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Date : 20130320

Dossier : T-1394-12

Référence : 2013 CF 271

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

 

ENTRE :

 

KRZYSZTOF POLNIAK

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel présenté par Krzysztof Polniak (le demandeur) à l’égard de la décision d’un juge de la citoyenneté de rejeter sa demande de citoyenneté. Ce rejet était fondé sur le sous‑alinéa 22(1)a)(i) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi), qui interdit d’accorder la citoyenneté à une personne qui est sous le coup d’une ordonnance de probation. Le demandeur a présenté son appel en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi et conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, et à l’alinéa 300c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

 

Le contexte

[2]               Le 29 mai 2009, le demandeur a demandé la citoyenneté canadienne en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi. Le 29 novembre 2010, le demandeur a été accusé de voies de fait. Le 6 janvier 2012, il a reçu une absolution sous conditions et une ordonnance de probation de dix-huit mois a été prononcée à son endroit. Le 16 mai 2012, le demandeur a comparu devant le juge de la citoyenneté R. Brum Bozzi (le juge de la citoyenneté). Lors de l’audience, le demandeur a informé le juge de la citoyenneté qu’il était sous le coup d’une ordonnance de probation et lui a demandé de reporter sa décision pour deux ou trois mois, car il s’attendait à ce que l’ordonnance de probation soit levée d’ici la fin de cette période. Le juge de la citoyenneté a refusé cette demande et a rendu sa décision le 18 mai 2012 (la décision).

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[3]               Lorsque le demandeur a comparu devant lui, le 16 mai 2012, le juge de la citoyenneté a conclu qu’il satisfaisait à toutes les exigences de la Loi, hormis celle que prévoit le sous‑alinéa 22(1)a). À cet égard, selon les renseignements inscrits à son dossier, une ordonnance de probation de dix-huit mois avant été rendue à l’égard du demandeur le 6 janvier 2012 pour des infractions commises en novembre 2010. Par conséquent, le demandeur ne satisfaisait pas à l’alinéa 22(1)a) de la Loi, qui prévoit que nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre du paragraphe 5(1) durant la période où il est sous le coup d’une ordonnance de probation. Le juge de la citoyenneté a donc rejeté la demande de citoyenneté du demandeur.

 

[4]               En application du paragraphe 15(1) de la Loi, le juge de la citoyenneté s’est ensuite demandé s’il y avait lieu de recommander au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) d’exercer les pouvoirs discrétionnaires prévus aux paragraphes 5(3) et (4) de la Loi, c’est‑à‑dire d’exempter le demandeur, pour des raisons d’ordre humanitaire, des exigences relatives aux aptitudes linguistiques ou à la connaissance du Canada ou de lui attribuer la citoyenneté afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle. Le juge de la citoyenneté a conclu qu’aucun des éléments de preuve présentés à l’audience n’établissait l’existence de circonstances spéciales qui justifieraient de faire cette recommandation.

 

La position des parties

[5]               Le demandeur soutient que, si le juge de la citoyenneté avait accepté de reporter sa décision jusqu’à la levée de l’ordonnance de probation, comme il le lui avait demandé, la citoyenneté lui aurait été attribuée. Le demandeur veut que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen à la lumière des nouvelles circonstances, c’est-à-dire le fait que l’ordonnance de probation a été levée deux mois et demi après la date de la décision.

 

[6]               Le défendeur soutient que, puisque le demandeur était sous le coup d’une ordonnance de probation lors de l’audition de sa demande de citoyenneté, son cas correspond exactement à l’interdiction prévue au sous‑alinéa 22(1)a)(i) de la Loi, et que l’application de cette disposition constitue une exception implicite au pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 5(4). En outre, le paragraphe 14(1) de la Loi obligeait le juge de la citoyenneté à rendre sa décision dans les soixante jours de sa saisine – il n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de reporter sa décision, comme le souhaitait le demandeur.

 

La question en litige

[7]               À mon avis, la question en litige est celle de savoir si la décision du juge de la citoyenneté était raisonnable.

 

La norme de contrôle

[8]               La Cour suprême a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière qui lui est soumise est bien établie par la jurisprudence, la cour chargée du contrôle peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque les recherches sont vaines que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir)).

 

[9]               En l’espèce, la Cour doit statuer sur le bien-fondé de la décision de refuser la citoyenneté au demandeur en application du sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi. Comme il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. (Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Diallo, 2012 CF 1537, au paragraphe 13 : « la norme de contrôle applicable aux décisions de juges de la citoyenneté quant aux questions mixtes de faits et de droit, comme la question de savoir si l’individu qui demande la citoyenneté s’est conformé aux exigences de la Loi, est celle de la décision raisonnable ».)

 

[10]           Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir, précité, aux paragraphes 45, 47 et 48, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 62).

 

Analyse

Le paragraphe 22(1) de la Loi

[11]           Il n’est pas contesté que le demandeur était sous le coup d’une ordonnance de probation lorsqu’il a comparu devant le juge de la citoyenneté le 16 mai 2012. Le demandeur a informé le juge de la citoyenneté de la situation et, dans les observations écrites qu’il a présentées à la Cour, il a affirmé que le juge de la citoyenneté avait insisté sur le fait que cela l’empêchait d’attribuer la citoyenneté au demandeur. Dans ses observations, le demandeur soutient aussi avoir demandé au juge de la citoyenneté de reporter sa décision pour deux ou trois mois, car il faisait des démarches pour que l’ordonnance de probation soit levée. À la fin de l’audience, le demandeur est parti en croyant que sa demande de report allait être accueillie, mais, le 25 mai, il a reçu la décision qui rejetait sa demande.

 

[12]           Le sous-alinéa 22(1)a)(i) de la Loi est rédigé de la sorte :

22. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre des paragraphes 5(1), (2) ou (4) ou 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté :

 

a) pendant la période où, en application d’une disposition législative en vigueur au Canada :

 

(i) il est sous le coup d’une ordonnance de probation,

22. (1) Despite anything in this Act, a person shall not be granted citizenship under subsection 5(1), (2) or (4) or 11(1) or take the oath of citizenship

 

 

(a) while the person is, pursuant to any enactment in force in Canada,

 

 

(i) under a probation order,

 

 

[13]           Je conviens avec le défendeur que la situation du demandeur correspondait en tous points au cas prévu à cette disposition, qui était déterminante eu égard à la demande de citoyenneté. D’ailleurs, lors de l’audience de la Cour, le demandeur a reconnu que c’est le moment où le juge de la citoyenneté a rendu sa décision qu’il conteste, et que la décision en soi était correcte et raisonnable à la lumière du sous-alinéa 22(1)a)(i).

 

[14]           Compte tenu des faits en cause, le juge de la citoyenneté n’a commis aucune erreur dans son application du droit aux faits (voir Al-Darawish c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 984 (Al-Darawish), aux paragraphes 20 à 22 et 26).

 

Le paragraphe 5(4) de la Loi

[15]           Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a dit qu’à l’audience, le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve qui justifierait de faire une recommandation relative au paragraphe 5(4).

 

[16]           Le défendeur affirme que, de toute manière, le juge de la citoyenneté ne pouvait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de recommander que la citoyenneté soit attribuée au demandeur en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi (afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse), car l’interdiction prévue au sous-alinéa 22(1)a)(i) d’attribuer la citoyenneté à une personne qui est sous le coup d’une ordonnance de probation constitue une exception implicite au pouvoir discrétionnaire conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 5(4), c’est-à-dire d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à une personne (voir Frankowski c Canada (Citizenship and Immigration), 192 DLR (4th) 187, aux paragraphes 15 et 16, et Al-Darawish, précitée, aux paragraphes 24 et 25).

 

[17]           Le demandeur n’a présenté aucune observation sur ce point précis. Toutefois, son appel de la décision repose essentiellement sur sa requête de report de la décision jusqu’à ce que l’ordonnance de probation soit levée. Autrement dit, l’appel porte sur le pouvoir discrétionnaire que le juge de la citoyenneté pouvait avoir eu égard aux circonstances particulières du demandeur.

 

[18]           Selon le défendeur, la question de savoir si le passage « malgré les autres dispositions de la présente loi » du paragraphe 5(4) de la Loi l’emporte sur la mention identique qui précède les interdictions énoncées au paragraphe 22(1) a déjà été tranchée dans les décisions Al-Darawish, aux paragraphes 24 et 25, et Frankowski, aux paragraphes 15 et 16. Le défendeur se fonde sur les conclusions suivantes du juge Rothstein dans Frankowski :

[15]      Après avoir appliqué la technique de l’exception tacite pour résoudre le conflit apparent entre le paragraphe 5(4) et l’alinéa 22(2)a), et après avoir conclu que le paragraphe 5(4) était la disposition plus générale et que l’alinéa 22(2)a) était la disposition plus spécifique, je suis d’avis que l’interdiction relative à l’attribution de la citoyenneté à l’égard d’une personne déclarée coupable, dans les trois années précédant sa demande de citoyenneté, d’une infraction prévue à l’alinéa 22(2)a) constitue une exception tacite au pouvoir discrétionnaire général conféré au gouverneur en conseil d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(4).

 

[16]      En définitive, j’estime que le juge de la citoyenneté avait raison de conclure que, puisque l’alinéa 22(2)a) est applicable, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas qui se prête à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 5(4). Comme le gouverneur en conseil n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 5(4), le juge n’était pas tenu en vertu du paragraphe 15(1) d’en faire davantage.

 

[19]           À mon avis, ce raisonnement s’applique aussi à la présente espèce. Par conséquent, même si le juge de la citoyenneté avait recommandé au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 5(4), c’est-à-dire d’attribuer la citoyenneté au demandeur afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse, l’application de l’alinéa 22(1)a) de la Loi signifiait que l’exception implicite s’appliquait aussi. Par conséquent, le ministre n’avait aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard en l’espèce.

L’article 14 de la Loi

[20]           L’alinéa 14(1)a) de la Loi prévoit que, dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté doit statuer sur la conformité – avec les dispositions applicables en l’espèce de la Loi et de ses règlements – de la demande déposée en vue de l’attribution de la citoyenneté, au titre des paragraphes 5(1) ou (5).

 

[21]           À l’audience devant la Cour, le demandeur a soutenu – pour la première fois – que le juge de la citoyenneté lui avait confirmé oralement qu’il reporterait sa décision pendant les démarches visant à ce que l’ordonnance de probation soit levée. Le demandeur a aussi allégué que le juge de la citoyenneté lui avait demandé de le tenir au courant des progrès de ces démarches. De plus, le demandeur affirme avoir écrit trois lettres au juge de la citoyenneté à ce sujet. Cette allégation ne figure ni dans le mémoire des faits et du droit du demandeur ni dans l’affidavit fait à l’appui de ce mémoire.

 

[22]           Selon le demandeur, cet engagement et le défaut de l’avoir respecté soulèvent une question d’équité procédurale. Il soutient que le ministre a mis trois ans pour traiter sa demande et que le défaut du juge de la citoyenneté de respecter son engagement envers le demandeur – c’est‑à‑dire de reporter sa décision pour une courte période de trois mois afin de permettre au demandeur d’obtenir la levée de l’ordonnance de probation – est injuste, surtout compte tenu du fait que le demandeur satisfaisait à toutes les autres exigences d’obtention de la citoyenneté, comme l’a d’ailleurs reconnu le juge de la citoyenneté.

 

[23]           Le défendeur soutient qu’aucun élément de preuve – sous forme d’affidavit ou autre – n’étaye la prétention du demandeur et que, de toute manière, une quelconque violation de l’équité procédurale n’aurait aucune pertinence, car le juge de la citoyenneté devait rendre sa décision dans le délai de soixante jours fixé par le paragraphe 14(1) de la Loi.

 

[24]           À mon avis, la question du manquement à l’équité procédurale ne se pose pas en l’espèce, et ce, parce que rien ne démontre que le juge de la citoyenneté a bel et bien affirmé qu’il allait reporter sa décision, que l’exception implicite prévue à l’alinéa 22(1)a) s’appliquait au paragraphe 5(4) et que le paragraphe 14(1) obligeait le juge de la citoyenneté à rendre sa décision dans les soixante jours. Même si le juge de la citoyenneté avait dit au demandeur qu’il allait reporter sa décision en attendant la levée de l’ordonnance de probation et si l’on interprétait le paragraphe 14(1) de manière à ce que le délai de 60 jours ait seulement commencé à courir à compter de la date de l’audition de la demande de citoyenneté, le 16 mai 2012, le résultat aurait été le même, car l’ordonnance de probation a seulement été levée le 2 août 2012, après l’expiration du délai de soixante jours imparti.

 

[25]           En conclusion, la présente affaire ne soulève aucune conclusion de fait erronée, aucune erreur susceptible de contrôle ou aucun manquement à l’équité procédurale. Lorsque sa demande de citoyenneté a été entendue, le demandeur était sous le coup d’une ordonnance de probation. En l’espèce, le juge de la citoyenneté a correctement appliqué le droit aux faits en cause, sa décision est justifiée, transparente et intelligible, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[26]           Le demandeur s’est représenté lui-même devant la Cour, et ce, de manière franche et efficace. Même si je ne peux pas lui accorder la réparation qu’il sollicite, je n’adjugerai aucuns dépens dans les circonstances.

 

[27]           Initialement, l’intitulé de la cause identifiait le défendeur comme suit : « Juge de la citoyenneté (Commission) ». L’intitulé a été corrigé dans les présentes afin d’indiquer que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1394-12

 

INTITULÉ :                                      POLNIAK c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krzysztof Polniak

 

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Krzysztof Polniak

 

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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