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     T-631-96

ENTRE

     RONALD SAVARD,

     Requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     Intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

     La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision rendue le 21 février 1996 par le président indépendant du tribunal disciplinaire à l'Établissement de Cowansville, à l'effet de trouver le requérant coupable en vertu du paragraphe 40(1)1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la


"Loi"), d'avoir refusé de fournir un échantillon d'urine, tel qu'exigé par l'alinéa 54a)2 de la Loi.

     Le requérant prétend que son refus de fournir un échantillon d'urine était justifié puisque l'allégation à l'appui de la demande d'échantillon était trop vague et non suffisamment précise pour lui permettre de présenter une réponse intelligente en vertu du paragraphe 57(1)3 de la Loi. De plus, le requérant allègue avoir eu une crainte raisonnable de partialité lors de l'audition devant le tribunal disciplinaire, et ce, en raison du fait que le coordonnateur des prises d'échantillon d'urine à l'Établissement de Cowansville, M. Daniel Chateauneuf, a exercé une double fonction lors de cette audition. Le requérant reproche à ce dernier d'avoir agi comme assesseur du président indépendant et d'avoir en outre témoigné contre lui devant le tribunal disciplinaire.

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     Le 10 janvier 1996, vers 7 h 30, le requérant s'est présenté à l'infirmerie de l'Institution, se plaignant de "gros maux de tête". L'infirmière, Angèle Lacasse, a alors constaté qu'il avait une démarche chambranlante, qu'il parlait lentement et avait la bouche pâteuse. Cette infirmière a plus tard témoigné avoir alors décidé de garder le requérant en observation, l'ayant trouvé dans un "état anormal". Suite à une conversation entre cette infirmière et l'agent de sécurité, Jacques Grenier, ce dernier a appelé M. Pierre Sansoucy pour l'informer que le requérant était dans un état anormal. M. Sansoucy, à son tour, a appelé M. Daniel Chateauneuf, le coordonnateur des prises d'échantillon d'urine à l'Établissement de Cowansville, pour lui transmettre l'information. M. Chateauneuf a alors demandé que l'on fasse subir un test d'urine au requérant. C'est le refus définitif du requérant à cette demande qui a causé l'émission d'un rapport d'offense basé sur le paragraphe 40(1) de la Loi. L'enquête relative à cet incident fut tenue les 31 janvier et 21 février 1996. Lors de cette enquête, le coordonnateur des prises d'échantillon d'urine, M. Daniel Chateauneuf, devait être l'assesseur du président indépendant, ce à quoi s'est objecté le procureur du requérant. L'objection fut maintenue. Bien qu'à un moment donné M. Chateauneuf se soit ensuite objecté à ce que le témoin Grenier soit entendu, le président indépendant n'a pas tenu compte de cette objection et a ajourné l'enquête de façon à permettre à M. Grenier de témoigner plus tard, comme le souhaitait le procureur du requérant.

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     À l'audition devant moi, on a référé à la décision que j'ai rendue dans l'affaire Picard v. Tribunal disciplinaire à l'Établissement à Drummond4. Dans cette affaire, impliquant également une infraction de refus de fournir un échantillon d'urine exigé en vertu de l'alinéa 54a) de la Loi, j'ai cassé la décision du président indépendant du tribunal disciplinaire en raison de manquements aux articles 56 et 57 de la Loi, de l'article 255 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (le "Règlement"), et en conséquence, pour violation de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés . Dans le présent cas, j'ai permis aux avocats des parties de se faire entendre en regard de la violation apparente de l'article 25 du Règlement. À mon avis il y a eu violation flagrante de cette dernière disposition, l'avis d'accusation ne comportant absolument aucun "résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qui seront présentés à l'audition". Cette violation est fatale.

     En effet, ce n'est pas une simple directive du Commissaire qui n'a pas été respectée, mais bien un règlement édicté sous l'autorité de la Loi. Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Martineau and Butters v. Matsqui Institution Inmate Disciplinary Board, [1978] 1 S.C.R. 118, M. le Juge Pigeon a bien fait la distinction, à la page 129 :

         Il est évident que l'on est soumis "légalement" à ce qui est prescrit par les règlements. La loi en vertu de laquelle ils sont pris prévoit des sanctions par amende ou emprisonnement. Il convient de citer ici ce que disait le Conseil privé dans l'arrêt Japanese Canadians [[1947] A.C. 87] à propos des décrets adoptés en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, à la p. 107 :                 
             C'est encore l'activité législative du Parlement qui s'exerce au moment où les décrets sont adoptés et ces décrets sont des "lois".                         
         Je ne pense pas que l'on puisse dire la même chose des directives. Il est significatif qu'il n'est prévu aucune sanction pour elles et, bien qu'elles soient autorisées par la Loi, elles sont nettement de nature administrative et non législative. Ce n'est pas en qualité de législateur que le commissaire est habilité à établir des directives, mais en qualité d'administrateur. Je suis convaincu qu'il aurait l'autorité d'établir ces directives même en l'absence d'une disposition législative expresse. À mon avis, le par. 29(3) doit être considéré de la même manière que bien d'autres dispositions de nature administrative concernant les services de l'administration et qui énoncent simplement un pouvoir administratif qui existerait même en l'absence d'une disposition expresse de la Loi.                 
         Il est, à mon avis, important de distinguer les devoirs imposés aux employés de l'État par une loi ou un règlement ayant force de loi, des obligations qui leur incombent en qualité d'employés de l'État. Les membres du comité de discipline ne sont habituellement pas de hauts fonctionnaires publics mais de simples employés de l'administration. Les directives du commissaire ne sont rien de plus que des instructions relatives à l'exécution de leurs fonctions dans l'institution où ils travaillent.                 

     Comme dans le présent cas, l'avis de l'accusation ne comporte qu'une simple description de l'infraction, qu'on n'y retrouve aucun résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qu'on entendait présenter à l'audition devant le tribunal disciplinaire, je suis forcé de constater qu'on n'a pas respecté la volonté du Parlement, laquelle vise à accorder à un détenu accusé d'une infraction disciplinaire un moyen précis et particulier pouvant lui permettre de préparer une défense pleine et entière, principe reconnu de justice naturelle.

     En conséquence, ce manquement m'apparaît suffisant pour maintenir la présente demande de contrôle judiciaire sans avoir à considérer d'avantage les autres moyens invoqués par le requérant.

     Une ordonnance est donc rendue pour annuler la décision concernée du président indépendant du tribunal disciplinaire de l'Établissement de Cowansville et retourner l'affaire à ce tribunal disciplinaire pour qu'il la décide en prenant pour acquis que le requérant ne peut être trouvé coupable de l'infraction reprochée parce que l'avis d'accusation y relié n'a pas été donné en pleine conformité avec l'article 25 du Règlement.

OTTAWA (Ontario)

Ce 28e jour de janvier 1997

                                                                          JUGE


__________________

1      L'alinéa 40(1) se lit comme suit :
         40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :
         [...]
         1) refuse ou omet de fournir l'échantillon d'urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55;     

2      L'alinéa 54a) de la Loi se lit comme suit :          54. L'agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d'urine dans l'un ou l'autre des cas suivants :          a) il a obtenu l'autorisation du directeur et a des motifs raisonnables de croire que le détenu commet ou a commis l'infraction visée à l'alinéa 40k) et qu'un échantillon d'urine est nécessaire afin d'en prouver la perpétration;
         L'alinéa 40k) se lit comme suit :
         40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :
         [...]
         k) introduit dans son corps une substance intoxicante;

3      Le paragraphe 57(1) de la Loi se lit comme suit :
         57. (1) Lorsque la prise est faite au titre de l'alinéa 54a), l'intéressé doit, auparavant, avoir la possibilité de présenter ses observations au directeur.

4      (1996) 107 F.T.R. 1.

5      25.(1) L'avis d'accusation d'infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :
         a) un énoncé de la conduite qui fait l'objet de l'accusation, y compris la date, l'heure et le lieu de l'infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qui seront présentés à l'audition;          b) les dates, heure et lieu de l'audition.
         (2) L'agent doit établir l'avis d'accusation disciplinaire visé au paragraphe (1) et le remettre au détenu aussitôt que possible.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-631-96

INTITULÉ : Ronald Savard c. Le Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal, Québec DATE DE L'AUDIENCE : Le 22 janvier 1997 MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE PINARD EN DATE DU 28 JANVIER 1997

COMPARUTIONS

Me Jean-Sébastien Clément

POUR LE REQUÉRANT

Me Eric Lafrenière

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Jean-Sébastien Clément

Montréal, Québec POUR LE REQUÉRANT

George Thomsom

Sous-procureur général du Canada POUR L'INTIMÉ

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