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  No du greffe T-2689-95

 

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ, L.R.C. 1985, ch. C‑29

 

 

ET un appel de la décision d'un juge de la citoyenneté

 

 

 

ET KIT PING LUI NG,

 

appelant.

 

 

  ET

 

 

  AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

  L.R.C. 1985, ch. C‑29

 

 

  ET un appel de la décision

  d'un juge de la citoyenneté

 

 

  ET WING CHIU NG,

 

appelant.

 

 

  MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE CULLEN

 

  À l'audition, j'ai traité de deux affaires, celles du mari et de son épouse. Ces deux appels sont interjetés à l'encontre des décisions par lesquelles le juge de la citoyenneté, en date du 3 octobre 1995, rejetait la demande citoyenneté des appelants au motif qu'ils n'avaient pas respecté les exigences en matière de résidence imposées par la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (ci‑après appelée la Loi). Les appels en matière de citoyenneté interjetés auprès de cette Cour sont de nouveaux procès.

 

  Avec déférence, je ne suis pas d'accord avec les décisions du juge de la citoyenneté, mais je constate que la résidence au Canada des appelants a été minimale. Comme je l'ai dit précédemment, il faut souligner que ces auditions constituent de nouveaux procès, de sorte que je puis considérer tous les éléments de preuve produits à chacune des auditions. Conséquemment, j'ai entendu le témoignage oral du mari de l'appelante en l'espèce, et vice versa.

 

  Si ces deux affaires avaient été des «appels» dans le sens habituel du mot, j'aurais dû m'en tenir à la décision du juge de la citoyenneté pour déterminer si cette décision devait être confirmée ou infirmée en me fondant uniquement sur la preuve soumise au juge. En l'espèce, cependant, j'ai pu entendre les témoignages moi‑même et parvenir à ma propre décision en me fondant sur la preuve et la crédibilité des témoins. J'ai estimé que la preuve du mari appelant était très crédible et convaincante.

 

LES FAITS

 

  L'appelant a été légalement admis au Canada en vue de sa résidence permanente le 29 mars 1991. Il était accompagné de son épouse et de ses deux filles, qui ont aussi reçu le droit d'établissement à ce moment. En arrivant au Canada, l'appelant a vendu deux de ses propriétés de Hong Kong et il a acheté sa première maison au Canada, à Willowdale (Ontario). Huit mois plus tard, il a acheté une maison à Richmond (Colombie‑Britannique) où il s'est installé et dont il est encore propriétaire. Depuis le début de 1994, il loue aussi une résidence à Thornhill (Ontario). Au cours de ses fréquents voyages d'affaires et familiaux à Hong Kong, l'appelant habite l'appartement de ses parents.

 

  L'appelant a reçu le droit d'établissement au Canada dans le cadre du Programme des investisseurs à l'intention des immigrants. Il a investi 250 000 $ dans une entreprise au Canada, qui a périclité. L'appelant n'a pas rompu tous ses liens commerciaux avec Hong Kong et la Chine.

 

  Il a obtenu un numéro d'assistance sociale, une carte de OHIP, un permis de conduire, et a acheté des automobiles au Canada. Il a aussi établi et conservé des comptes bancaires et des investissements au Canada. Ses deux filles ont fréquenté des écoles locales bien que, selon la décision du juge de la citoyenneté, elles aient fréquenté la plupart du temps des écoles de Hong Kong. Il a constitué une compagnie canadienne et il a rempli des déclarations d'impôt sur le revenu au Canada. L'appelant soutient qu'il a adopté de façon générale le mode vie d'un canadien chinois.

 

  L'appelant s'est absenté du Canada pendant un temps considérable au cours de la période précédant immédiatement la date de sa demande. Il s'est absenté du Canada pendant 1 068 jours en tout, n'étant physiquement présent au Canada que durant 110 jours . La raison des absences de l'appelant était principalement reliée à ses affaires, bien qu'il ait aussi prolongé ses voyages pour apporter un soutien moral et familial à son frère aîné (qui souffre des reins) et à ses parents âgés et malades.

 

DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ

 

  Le juge de la citoyenneté n'a pas accueilli la demande de citoyenneté parce que l'appelant n'a pas respecté les exigences de la Loi en matière de résidence. Elle estimait que l'appelant n'ayant pas établi sa résidence initiale au Canada, sa présence au Canada prenait seulement la forme de visites ou de séjours temporaires. À l'appui de cette conclusion, le juge a cité les absences répétées de l'appelant du Canada. Plus précisément, elle a mentionné le fait que le requérant était retourné à Hong Kong pour ses affaires seulement trois semaines après être arrivé au Canada, et qu'il était alors resté à Hong Kong environ cinq mois. Pour reprendre les paroles du juge à cet égard, [TRADUCTION] «trois semaines ... ne suffisent pas à établir des racines ici.» L'appelant est revenu au Canada pendant trois semaines encore, avant de retourner de nouveau à Hong Kong pour un an et deux mois. Il est rentré au Canada pendant onze jours, puis il est reparti encore pour Hong Kong. Ce va‑et‑vient a continué. Pour ces motifs, le juge a conclu que l'appelant n'avait pas centralisé son mode de vie au Canada et que par conséquent, ses absences du Canada ne pouvaient pas compter en tant que périodes de résidence au Canada.

 

  Le juge a aussi conclu que l'appelant n'a pas maintenu suffisamment de liens avec le Canada au cours de ses absences pour que celles‑ci comptent en tant que périodes de résidence en vertu de la Loi.

 

  Le juge a conclu que puisque le requérant n'était pas frappé d'incapacité, il n'y avait pas lieu de faire une recommandation en vertu du paragraphe 5(3). Elle a conclu en outre que rien ne justifiait une recommandation favorable conformément au paragraphe 5(4) afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, aucune preuve n'ayant été déposée à cet égard.

 

  Le juge a fondé sa décision sur le raisonnement suivi dans l'arrêt Canada (Secretary of State) v. Yee, [1995] C.F. No. 1919, (1995) 31 Imm. L.R. (2d) 248 (1re inst.); Koo (Re) (1992), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.); Re: Abolghasem Poorghasemi.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

  Existe‑t‑il, en l'espèce, des recours contre la résidence obligatoire de 1 095 jours ?


LES ARGUMENTS DE L'APPELANT

 

  L'appelant soutient que le juge de la citoyenneté a fait certaines erreurs en arrivant à sa décision :

 

1)Le juge a manifesté de la partialité à l'encontre de l'appelant et de son avocat au cours de l'entrevue du 25 août 1995 et, conséquemment, le rejet de sa demande conformément à l'article 14 de la Loi sur la citoyenneté est nul dès le départ et sans aucun effet juridique;

 

2)Le juge a mal interprété les faits propres à la cause de l'appellant; mal interprété le droit applicable; et mal appliqué le droit aux faits de l'espèce.

 

3)Le juge a été trop sélective dans le choix de la jurisprudence, manifestant là encore sa partialité;

 

4)Le juge a dit publiquement qu'elle n'interrogerait aucun des clients de l'avocat de l'appelant, manifestant de nouveau sa partialité;

 

5)La lettre de rejet, en date du 3 octobre 1995, et postée le 16 octobre 1995, n'a pas été postée conformément au paragraphe 14(4) de la Loi sur la citoyenneté à l'appelant à sa dernière adresse connue.

 

ANALYSE

 

  Les accusations de partialité sont de sérieuses accusations à porter contre un juge. Cet appel étant un nouveau procès et non une demande de contrôle judiciaire, je n'ai pas à me prononcer sur les accusations en cause.

 

  M. Sheldon M. Robins est l'avocat de l'appelant. Une série de ses causes à Oshawa, dont la présente, ont été réparties par le greffe d'Ottawa entre des cours géographiquement plus près de la résidence des requérants. Cinq de ses causes étaient attribuées à la cour de North York. M. Robins s'est plaint, n'a pas comparu pour ses clients, et a porté des accusations contre deux juges au tribunal de North York. Après la troisième absence de comparution, le gestionnaire de North York a présumé qu'il y avait désistement à l'égard des cinq affaires. Il semble qu'il en sera traité plus tard, le cas échéant.

 

  L'appelant a finalement comparu devant le juge Godfrey pour son entrevue relative à la citoyenneté.

 

  Je note que le 11 octobre 1996, j'ai reçu un fax du greffier dans cette affaire, (Mike Switzer), relativement à une lettre adressée par le juge Godfrey à l'amicus curiae en l'espèce. Dans la lettre, le juge Godfrey demandait à l'amicus curiae de ne pas manquer de tout étudier dans les dossiers, et elle s'est montrée convaincue de l'absence de motifs d'appel selon les faits dans chaque cas.

 

  La décision du juge Godfrey à l'égard de l'appelant ne semble aucunement entachée d'erreur. La décision est exprimée avec soin, elle a tenu compte de la jurisprudence applicable et, selon la preuve fournie à cette Cour jusqu'à maintenant, elle paraît avoir tenu compte correctement de tous les faits pertinents. En outre, dans sa lettre en date du 12 septembre 1995, M. Robins déclare que le juge Godfrey s'est comportée au cours des entrevues en matière de citoyenneté d'une façon très professionnelle et pleine de compassion, parfaitement consciente de l'angoisse que peuvent provoquer ces entrevues chez les requérants et qu'[TRADUCTION] «elle fait un excellent travail».


DISPOSITION STATUTAIRE

 

  L'alinéa 5(1)c) de la Loi, qui vise la résidence, dit ce qui suit :

 

  5.(1)  Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

. . .

 

c)  a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans.

 

LA JURISPRUDENCE APPLICABLE À LA RÉSIDENCE

 

  L'arrêt faisant jurisprudence en matière de résidence est l'arrêt In Re Papadogiorgaiis, [1978] 2 C.F. 208 (C.A.). Aux pages 213 et 214, le juge en chef adjoint Thurlow a dit :

 

Il me semble que les termes «résidence» et «résident» employés dans l'alinéa 5(1)b) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante fréquente pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. Cette interprétation n'est peut‑être pas très différente de l'exception à laquelle s'est référé le juge Pratte lorsqu'il emploie l'expression «(d'une façon au moins habituelle)», mais, dans un cas extrême, la différence peut suffire pour mener le requérant au succès ou à la défaite.

 

Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] «essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question».

 

  Dans l'arrêt Koo (Re) (1992), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.) à la page 293, Madame le juge Reed a pleinement examiné la jurisprudence en matière de résidence et elle a résumé les différents critères permettant de déterminer si un appelant est résident au Canada, en dépit de son absence physique :

 

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant «vit régulièrement, normalement ou habituellement». Le critère peut être tourné autrement : le Canada est‑il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence ?»

 

Pour constater si l'appelant «vit régulièrement, normalement ou habituellement» au Canada, le juge Reed a aussi proposé aux pages 293 et 294 six questions que la Cour pourrait poser pour s'aider à tirer une conclusion sur la résidence :

 

1)  la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté ?

 

2)  où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant ?

 

3)  la forme de présence physique de la personne au Canada dénote‑t‑elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite ?

 

4)  quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables) ?

 

5)  l'absence physique est‑elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger) ?

 

6)  quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont‑elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays ?

 

  À part le [TRADUCTION] «critère du lieu où vit» le requérant dont il est question dans l'arrêt Koo, la Cour a également eu recours à quatre autres critères pour établir la résidence. Le [TRADUCTION] «critère de la raison» vise la raison de l'absence physique du Canada du requérant. Si l'absence était de nature temporaire ou involontaire -comme par exemple pour s'occuper d'un parent malade ou pour fréquenter l'école à l'étranger - l'appel est généralement accueilli. Conformément au [TRADUCTION] «critère de l'intention», la Cour doit déterminer si l'appelant a démontré son intention d'établir et de maintenir un foyer au Canada. La Cour a aussi appliqué un [TRADUCTION] «critère à trois volets» : le requérant doit avoir établi une résidence au Canada, maintenu un pied‑à‑terre au Canada et avoir eu l'intention de résider au Canada. Finalement, la Cour a fait mention du [TRADUCTION] «critère de résidence» et de la [TRADUCTION] «qualité des attaches», soulignant que le critère le plus strict, la qualité des attaches, gagne faveur.

 

  Bien que la réputation de l'appelant puisse être un facteur pertinent, une seule décision, Re Chan, 70 F.T.R. 171 (T.D.), a accueilli un appel au motif que l'appelant était «précisément le genre de personne dont le Canada avait besoin».

 

APPLICABILITÉ À L'ESPÈCE

 

  Cette affaire doit être traitée comme un nouveau procès et j'ai la possibilité d'étudier de nouveau la preuve soumise au juge de la citoyenneté.

 

DÉCISION

 

  Étant donné les absences considérables de l'appelant du Canada, je ne suis pas étonné que le juge de la citoyenneté n'ait pas approuvé sa demande de citoyenneté canadienne. Cependant, il est tout à fait possible d'établir l'existence d'une [TRADUCTION] «résidence implicite» en examinant la situation globale. Il est certain que le fardeau imposé à l'appelant est plus lourd en raison de ses nombreuses absences du Canada.

 

  Je vais tout d'abord passer en revue les six questions sur lesquelles devrait se guider cette Cour en tirant une conclusion sur la résidence comme l'a établie l'arrêt Koo.

 

1)  La présence physique au Canada : Trois semaines après que l'appelant ait reçu le droit d'établissement au Canada, il a commencé à retourner régulièrement à Hong Kong pour ses affaires et pour visiter des membres malades de sa famille proche. En moyenne, ces voyages ont duré de cinq à quatorze mois. Les deux derniers voyages antérieurs à la date de la demande n'ont duré que un mois et demi et deux mois respectivement, l'appelant étant demeuré onze jours au Canada entre les deux voyages. Chaque fois qu'il a quitté le Canada, il s'est assuré d'obtenir un permis de retour pour résident permanent.

 

2)  Résidence de la famille proche et des personnes à charge de l'appelant : L'épouse de l'appelant et ses deux filles sont devenues des immigrantes ayant reçu le droit d'établissement en même temps que l'appelant. L'épouse de l'appelant l'a accompagné à Hong Kong au cours de tous ses voyages sauf les deux derniers susmentionnés, ce qui lui donne une présence physique au Canada de 214 jours en tout au cours de la période prévue par la Loi. L'appelant a fait valoir que ses deux enfants ont fréquenté des écoles locales au Canada, bien que la conclusion du juge de la citoyenneté qu'elles ont fréquenté la majorité du temps des écoles de Hong Kong serait plus exacte.

 

3)  La forme de la présence physique : retour à la maison ou simple visite au Canada ?

  Plusieurs personnes font quotidiennement de longues distances de la campagne à la ville pour se rendre à leur travail, et considèrent néanmoins qu'elles rentrent à la maison à la campagne à la fin de la journée. Bien qu'elles puissent passer la majorité de leur temps à leur travail en ville, elles ne considèrent pas que leur retour à la maison ne constitue qu'une simple visite (bien que parfois, elles puissent en avoir l'impression!). Dans notre monde contemporain, où les voyages par avion à réaction sont communs et où les capitaux sont de plus en plus mobiles, il est parfaitement concevable d'avoir à faire la navette entre le Canada et Hong Kong (ou entre tout autre pays d'ailleurs) pendant de longues périodes de temps pour travailler, tout en considérant le Canada comme notre pays, tout compte fait. L'appelant maintient une résidence au Canada. Il considère aussi l'appartement de ses parents à Hong Kong comme une résidence en ce sens qu'il y habite durant ses voyages d'affaires à Hong Kong.

 

  Le juge de la citoyenneté a estimé que la forme de la présence physique de l'appelant au Canada et son souhait de continuer à faire vivre sa famille au moyen de ses entreprises commerciales à l'étranger signifiaient qu'il n'avait pas rompu ses liens avec Hong Kong et la Chine. Cependant, cette forme de présence physique peut aussi être l'indice d'une saine décision commerciale et n'a pas nécessairement à jouer contre l'appelant lorsqu'il s'agit d'établir sa résidence, particulièrement si l'on tient compte de la tradition chinoise selon laquelle l'âge et la santé des parents de l'appelant et la transplantation rénale de son frère étaient sa responsabilité et un souci pour lui. Les enfants, pour l'instant, devaient demeurer et vivre avec leurs grands‑parents âgés.

 

4)  Quelle est l'étendue des absences physiques ? L'appelant a été absent pendant 1 058 des 1 095 jours requis. Cette Cour a accueilli des appels quand l'appelant avait été absent 916 jours (voir l'arrêt Tzu‑Fa Wang, No de greffe T‑1085‑95).

 

  Cependant, dans l'arrêt Canada (Secretary of State) v. Yu (1995) 31 Imm. L.R. (2d) 248 (ci‑après appelé Yu), le juge Rothstein de cette Cour a accueilli un appel interjeté contre la décision d'un juge qui avait accueilli une demande de citoyenneté en dépit du fait que la requérante ait vécu seulement 156 jours au Canada avant sa demande de citoyenneté. C'est en se fondant sur le raisonnement suivi dans l'affaire Yu que le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté. Dans l'affaire Yu, la requérante était restée 17 jours au Canada après avoir reçu son droit d'établissement. Elle est alors retournée aux États‑Unis pour y terminer des études au cours des trois prochaines années. Elle revenait au Canada dès qu'elle n'avait pas à fréquenter l'école, de sorte qu'elle avait accumulé 156 jours de présence physique au Canada. Le juge Rothstein a estimé que la période de dix‑sept jours pendant laquelle la requérante a vécu au Canada lorsqu'elle est arrivée en premier lieu ne suffisait pas à établir une résidence initiale, en ce sens que la requérante n'avait pu conserver ou centraliser son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances en dix‑sept jours seulement, avec uniquement une chambre dans la résidence de son oncle. Le juge Rothstein a déclaré qu'il était essentiel d'établir une résidence initiale pour satisfaire aux exigences en matière de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, particulièrement lorsqu'il doit y avoir de longues absences du Canada à une fin requise. Le juge de la citoyenneté a aussi conclu qu'un séjour initial de trois semaines ne suffisait pas pour que l'appelant ait établi une résidence initiale au Canada.

 

  Cependant, les faits en cause dans l'affaire Yu se distinguent de ceux de l'espèce des façons suivantes : dans l'affaire Yu, la requérante avait simplement logé chez son oncle lorsqu'elle était au Canada, alors que l'appelant en l'espèce est propriétaire de sa résidence. Il a aussi placé 250 000 $ au Canada, alors que la requérante dans l'affaire Yu ne l'avait pas fait. L'appelant a une entreprise au Canada qui a un rapport étroit avec son entreprise de Hong Kong.

 

5)  L'absence est-elle imputable à une situation temporaire ? L'absence de l'appelant est imputable à deux facteurs : des obligations commerciales et des devoirs familiaux. L'appelant avance qu'il n'a pas mis fin à son emploi ni à ses affaires à l'étranger parce que ce ne serait pas prudent de le faire avant qu'il ne soit assuré de sa réussite financière au Canada.

 

  L'appelant insiste que lorsqu'il a immigré au Canada, la récession économique était très sérieuse, et qu'il ne voulait pas compromettre la situation financière de sa famille.

 

  Les intérêts commerciaux de l'appelant à Hong Kong et en Chine sont de nature continuelle, et ne répondent pas à ce critère. Cependant, on peut avancer qu'il est possible de conserver des intérêts commerciaux à l'étranger tout en maintenant une résidence implicite au Canada, particulièrement si l'on considère que l'entreprise au Canada continue à fonctionner de concert avec celle de Hong Kong.

 

6)  Les attaches avec le Canada sont‑elles plus importantes que celles avec Hong Kong ?

  En ce qui concerne ce critère, on peut tenir compte de certains facteurs : le premier est le fait que l'appelant est devenu résident permanent du Canada le 29 mars 1991. L'appelant s'est assuré un indice de résidence par l'achat, à son entrée au Canada, d'une résidence dans notre pays; en payant de l'impôt canadien sur le revenu; en conservant un compte bancaire canadien; en payant des primes d'assurance‑maladie au Canada; en entreposant des meubles au Canada, en y conservant une automobile et en y possédant des biens.

 

  L'état de l'économie canadienne a rendu difficile pour son entreprise de produire des revenus suffisants. Le fait est que sans les deux entreprises à Hong Kong et au Canada, il serait incapable de remplir ses obligations familiales envers ses parents et son frère. On n'a nullement laissé entendre que ses revenus servaient à autre chose qu'à aider les membres de sa famille. L'affaire à Hong Kong fonctionne à partir d'un petit bureau loué et la résidence de l'appelant à Hong Kong est la demeure de ses parents. Il ne possède ni biens, ni propriété ni terrain à Hong Kong, alors qu'il est propriétaire de deux maisons au Canada. La question capitale consiste à savoir si l'appelant choisira finalement Toronto ou Richmond (C.‑B.) pour résidence.

 

  Un investissement de 250 000 $ au Canada, dans le cadre du programme d'investissement des immigrants, dénote un engagement profond envers le Canada.

 

  Des intérêts commerciaux considérables dans un autre pays ne joueront pas nécessairement contre l'appelant en ce qui concerne la résidence. Comme l'a écrit mon collègue le juge Noël dans l'arrêt Stephen Yu Hung Lai, C.F. 1re inst., T‑2258‑93 :

 

Dans les cas où l'absence physique se produit pendant la période prévue par la loi, il faut, pour faire la preuve de la résidence continue, présenter des éléments de preuve démontrant le caractère temporaire de l'absence, une intention claire de revenir au Canada et l'existence de liens factuels suffisants avec le Canada pour affirmer que l'on résidait en fait au Canada durant la période en cause. .... Lorsqu'un homme d'affaires choisit le Canada comme lieu de résidence en y fixant son foyer conjugal et sa famille, il lui est loisible de se déplacer, dans des limites raisonnables, pour gagner sa vie.

 

  En l'espèce, j'ai recherché s'il existait suffisamment d'attaches réelles avec le Canada, à part les attaches susmentionnées (c.‑à‑d. les indices) pour permettre à l'appelant d'invoquer la résidence de fait. Dans quelle mesure sa famille a‑t‑elle établi avec le Canada de réelles attaches ? L'appelant a témoigné avoir maintenant de nombreux amis à Toronto et à Richmond et des relations commerciales en raison de ses ventes de produits.

 

  Les points forts de la cause de l'appelant sont les suivants : 1) il a investi 250 000 $ dans une entreprise au Canada, bien que cette affaire n'ait pas connu de succès; 2) il a acheté et/ou acquis les attributs habituels de la citoyenneté canadienne (une résidence, une automobile, un compte bancaire, une carte‑santé, les numéros habituels reliés aux avantages sociaux du gouvernement, il a payé des impôts, etc.); 3) il ne possède pas de maison à l'étranger mais il habite plutôt chez ses parents lorsqu'il est à Hong Kong.


  Les points faibles de la cause de l'appelant sont les suivants : 1) il n'a pas rompu tous ses liens avec Hong Kong et la Chine; 2) ses absences du Canada sont considérables : 1 068 jours au cours des quatre années ayant précédé sa demande; l'épouse de l'appelant l'a accompagné à l'étranger au cours de tous ses voyages sauf les deux derniers, ce qui lui donne une présence physique au Canada de 214 jours au cours de la période prévue par la Loi; et 3) on n'a soumis à cette Cour aucune preuve de liens importants créés avec le Canada après la faillite de l'investissement commercial de l'appelant et son achat initial d'une maison et de choses essentielles dont il a fait état auprès de cette Cour.

 

CONCLUSION

 

  Tout compte fait, je suis persuadé que les appelants remplissent les conditions applicables à la résidence implicite et, conséquemment, les appels sont accueillis. L'affaire est renvoyée aux autorités compétentes pour qu'elles prennent les mesures nécessaires pour accorder la citoyenneté canadienne aux appelants.

 

 

OTTAWA  B. Cullen 

Le 22 octobre 1996 J.C.F.C.

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme 

Louise Dumoulin-Clark


  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

  AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

No DU GREFFE :T-2689-95 et T-2690-95

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :LOI SUR LA CITOYENNETÉ C. KIT PING LUI NG

LOI SUR LA CITOYENNETÉ C. WING CHIU NG

 

LIEU DE L'AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :  le 16 octobre 1996

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE CULLEN

 

EN DATE DU :22 octobre 1996

 

 

ONT COMPARU :

 

M. Sheldon M. RobinsPOUR LES APPELANTS

M. Peter K. LargeAMICUS CURIAE

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Sheldon M. RobinsPOUR LES APPELANTS

Toronto (Ontario)

 

 

M. Peter K. LargeAMICUS CURIAE

Toronto (Ontario)

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