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Date : 20131106


Dossier : IMM-824-13

 

Référence : 2013 CF 1125

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 6 novembre 2013

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

 

 

ENTRE :

OLGA CAUIA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi], d’une décision d’une agente d’immigration rendue le 16 janvier 2013. L’agente a rejeté la demande parrainée de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait parce qu’elle n’était pas convaincue que la relation de fait était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑226, tel que modifié [le Règlement].

 

LES FAITS

[2]               La demanderesse est une citoyenne de 30 ans de la Moldavie. Entre 1998 et 2008, elle a étudié en Roumanie, même si le gouvernement moldave ne reconnaît pas son diplôme roumain.

 

[3]               La demanderesse est arrivée au Canada en vertu d’un visa de visiteur le 23 juin 2008. Elle a demandé l’asile le 12 juin 2009 après une manifestation et une répression violente de la part du gouvernement (qui, selon la demanderesse, cible les personnes ayant étudié en Roumanie) en Moldavie à la suite d’une élection. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a rejeté sa demande le 17 février 2012.

 

[4]               Le 6 juin 2012, la demanderesse a demandé la résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait selon l’article 12 de la Loi, parrainée par Volvick Edouard [le répondant].

 

[5]               À l’appui de sa demande de résidence permanente à la faveur d’un parrainage, la demanderesse allègue ce qui suit :

i.                    un camarade de classe français lui a présenté son répondant vers novembre 2009;

ii.                  elle a commencé à suivre des cours de danse avec le répondant à son studio;

iii.                elle a commencé à prendre part à des concours de danse sociale avec son répondant;

iv.                le répondant a officiellement emménagé avec elle en février 2011 lorsqu’il a signé le renouvellement du bail, quittant son ancien appartement où il vivait avec son frère;

v.                  elle est souvent au studio de danse de son répondant où elle danse, enseigne et gère l’entreprise en acquittant les factures, organisant le bureau, vérifiant les recettes et assumant toutes les tâches administratives;

vi.                son répondant et elle font vie commune; ils vivent ensemble, ont le même comptable, s’aiment, et elle prépare le repas du soir pour lui tous les jours;

vii.              le répondant a deux enfants âgés de 11 et quatre ans avec son ex‑épouse, dont il est séparé;

viii.            le répondant a une sœur qui vit à New York et une nièce et un neveu, âgés de 21 et 17 ans. La nièce et le neveu ont rendu visite au répondant à l’été 2011 et ont habité chez le frère de celui-ci. La nièce et le neveu sont souvent venus au studio de danse, et le répondant a organisé une fin de semaine dans une maison de campagne à Victoriaville pour tout le groupe, y compris la demanderesse. La demanderesse prétend également qu’elle est allée manger au restaurant avec le neveu et la nièce du répondant sans lui.

 

[6]               Le gouvernement du Québec a délivré un Certificat de sélection du Québec en faveur de la demanderesse le 10 janvier 2013.

 

[7]               La demanderesse et le répondant ont tous deux été convoqués à une entrevue avec l’agente le 16 janvier 2013. L’agente a rendu sa décision le 17 janvier 2013.

 

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[8]               L’agente a constaté que la demanderesse avait miné sa propre crédibilité en faisant sciemment de fausses déclarations aux autorités canadiennes de l’immigration sur sa demande initiale de permis de résidence temporaire pour entrer au Canada quand elle a prétendu qu’elle rentrerait en Moldavie et qu’elle rejoindrait son fiancé en Roumanie. Aux questions de l’agente, elle a répondu qu’elle souhaitait rester au Canada afin d’aider sa sœur à prendre soin de son bébé et qu’il y avait de l’agitation politique, de sorte qu’elle ne pouvait rentrer dans son pays.

 

[9]               L’agente a également relevé plusieurs incohérences dans les réponses de la demanderesse et du répondant pendant leurs entrevues.

 

[10]           L’agente n’a pas été convaincue par les explications fournies par le couple pour justifier les incohérences qui se sont dégagées de leurs témoignages. Elle a jugé que les réponses du couple étaient évasives et neutres, ce qui démontrait encore le peu de connaissances que le couple avait l’un de l’autre.

 

[11]           La demanderesse ne semble pas avoir de liens affectifs avec le répondant et ne partage pas sa vie avec lui au‑delà de l’aide qu’elle lui apporte dans la gestion de son studio de danse. Son absence de connaissances à l’égard de la situation financière du répondant ainsi que des dispositions relatives à la garde de ses enfants ne dénote guère de liens et d’investissement affectifs à l’égard de celui-ci. La demanderesse semble prendre une part minime à la vie familiale du répondant.

 

[12]           Enfin, l’agente a conclu que la documentation fournie par le couple ne démontre pas suffisamment l’existence d’une relation de fait authentique. De plus, la police d’assurance‑vie de la demanderesse désigne le répondant et sa sœur comme bénéficiaires à 50 p. 100 chacun, répartition que la demanderesse ne pouvait pas expliquer lorsque des questions lui ont été posées à ce sujet. Le répondant a aussi produit des éléments de preuve relatifs à sa police d’assurance‑vie, dont sa fille Terry est l’unique bénéficiaire pour la totalité du montant.

 

[13]           L’agente a souligné que, selon les entrevues qu’elle a menées et les réponses qu’elle a reçues dans les témoignages, elle n’était pas convaincue de l’authenticité de la relation. Les nombreuses incohérences dans les réponses rendent suspecte l’authenticité de la relation. L’agente a conclu qu’il s’agissait d’une relation de convenance, visant principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de l’article 4 du Règlement.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[14]           Il est reconnu qu’une conclusion relative à l’authenticité d’un mariage ou d’une relation de fait est susceptible de révision selon la norme de la raisonnabilité (Gangurean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 286, au paragraphe 9 [Gangurean]; Essaidi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 411, au paragraphe 10 [Essaidi]; et Bustamante c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1198, au paragraphe 20).

 

ANALYSE

[15]           Dès le départ, en réponse aux arguments de la demanderesse relatifs à la norme de preuve appliquée par l’agente, je ne suis pas convaincue que la simple utilisation du terme [traduction] « convaincue » montre que l’agente a appliqué une norme de preuve plus rigoureuse qu’il n’était nécessaire. Le reste des motifs correspondent à l’application d’une norme de « prépondérance des probabilités », et il n’existe aucun autre élément de preuve, outre le terme utilisé, selon lequel l’agente a utilisé un fardeau de preuve erroné.

 

[16]           La demanderesse soutient que l’agente n’a pas tenu compte d’éléments de preuve documentaire et a choisi de mettre l’accent sur les huit incohérences qu’elle a relevées dans les témoignages du répondant et de la demanderesse. Je ne souscris pas à cette interprétation de la décision. L’agente a bel et bien pris en compte les éléments de preuve documentaire, reconnaissant que la demanderesse et le répondant vivent ensemble et sont des partenaires de danse. Elle n’était toutefois pas convaincue que cet élément démontrait l’existence d’une relation de conjoint de fait authentique. L’agente a également renvoyé directement aux éléments de preuve produits concernant les polices d’assurance‑vie de la demanderesse et du répondant, même si elle a tiré une inférence défavorable du fait que le répondant n’avait pas désigné la demanderesse comme bénéficiaire et que le répondant n’était bénéficiaire que pour la moitié de la police d’assurance de la demanderesse. Je constate, de plus, qu’il existe une présomption voulant que l’agente a examiné tous les éléments de preuve dont elle était saisie même si elle n’a pas renvoyé précisément à chaque élément (voir Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF 598).

 

[17]           L’agente a relevé plusieurs incohérences dans les témoignages de la demanderesse et du répondant. Lorsqu’elle a donné au couple la possibilité d’expliquer les incohérences, elle n’a pas été convaincue par ses justifications. Notamment, il était raisonnable que l’agente tire une inférence défavorable de l’absence de connaissances de la demanderesse à l’égard de la situation financière du répondant dans la période suivant le moment où ils prétendent être devenus un couple.

 

[18]           Il était aussi loisible à l’agente de tirer une conclusion défavorable du fait que la demanderesse ne semblait pas prendre part à la vie familiale du répondant. Étant donné que le répondant semble jouer un rôle important dans la vie de ses enfants, il était loisible à l’agente de tirer une inférence défavorable du fait que la demanderesse et le répondant ne parlaient pas des enfants de celui-ci.

 

[19]           Même si les incohérences relevées par l’agente se rapportant à la fête de baptême et à la location d’un vidéo peuvent sembler anodines, elles sont importantes quand il s’agit d’évaluer le quotidien du couple (Gangurean, précité, au paragraphe 13), notamment puisqu’il aurait pu s’agir de la dernière fin de semaine que le couple passerait ensemble, étant donné que la demanderesse était visée par une mesure de renvoi. La demanderesse ne savait pas où était le répondant, tandis que le répondant ne savait pas que la demanderesse rencontrerait son avocat ce soir‑là. Étant donné que ces événements se sont produits quelques jours seulement avant l’entrevue, il ne peut pas s’agir d’un simple oubli.

 

[20]           Lorsqu’elle revoit une décision selon la norme de raisonnabilité, la Cour ne peut pas substituer sa propre évaluation de la preuve, mais elle doit plutôt faire preuve de retenue à l’égard des conclusions du décideur et se concentrer sur la justification, la transparence et l’intelligibilité de la décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). L’agente a pris en compte l’ensemble de la preuve dont elle était saisie, a renvoyé à celle-ci et a tiré l’inférence raisonnable voulant que, prises ensemble, les incohérences dans les témoignages sont suffisantes pour conclure que la relation de fait n’était pas authentique (Essaidi, précité, au paragraphe 18). Pour cette raison, la décision selon laquelle la relation entre la demanderesse et le répondant n’est pas authentique aux termes de l’article 4 du Règlement appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et, par conséquent, ne justifie pas l’intervention de la Cour (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[21]           Pour ces motifs, la présente demande est rejetée.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIeR :

                                                                                                IMM-824-13

 

INTITULÉ :                                      Olga Cauia c le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 17 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     le 6 Novembre 2013

 

COMPARUTIONS :

Dan M. Bohbot

 

Suzanne Trudel

POUR LA DEMANDERESSE

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan M. Bohbot

Avocat

Montréal (Québec)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 


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