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Date : 20131114


Dossier :

IMM-8-13

 

Référence : 2013 CF 1156

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Annis

Dossier :

IMM-8-13

 

ENTRE :

NIDIA ARACELI AREVALO ZALDANA

KATHERINE YAZMIN AREVALO ZALDANA

 

Demanderesses

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

Défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], relative à une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], Section de la protection des réfugiés [SPR] rendue le 26 octobre 2012, concluant que les demanderesses ne sont ni réfugiées au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

Les faits

[3]               La demanderesse principale, Mme Arevalo Zaldana, et sa fille mineure Katherine, sont citoyennes du Guatemala. 

 

[4]               Mme Arevalo Zaldana explique dans son affidavit qu’en juin 2009, elle a ouvert une boulangerie près de sa maison dans la ville de Villanueva.  À partir de janvier 2010, des membres de la Mara Salvatrucha rôdaient dans son voisinage et extorquaient de l’argent des commerçants.  La police ne faisait pas suite aux plaintes et au contraire passait du temps à boire avec les membres du gang.  Elle a essayé d’unir les marchands contre ces crimes.

 

[5]               Le 14 mars 2010, la demanderesse à son tour est devenue victime d’extorsion de la part de la Mara Salvatrucha.  Suite à des menaces de mort, elle a payé 150 quetzales par semaine.  Elle n’a rien rapporté à la police et a cessé d’essayer d’organiser les autres commerçants.  En juin 2010, elle a soumis des demandes de passeport pour elle et sa fille, par précaution.  En octobre 2010, le montant demandé a augmenté à 200 quetzales par semaine et elle a refusé.  Le 28 octobre, trois membres de la Mara Salvatrucha se sont rendus à la boulangerie.  Ils ont causé des dommages et l’ont battue, menacée, volée, et violée.  Ils ont dit que si elle parlait de leur visite, elle et sa famille seraient tuées. 

 

[6]               Elle s’est rendue à une clinique, où le médecin lui a conseillé de porter plainte.  Elle a fait part de sa réticence vu que les policiers étaient en collusion avec la Mara Salvatrucha, et il a recommandé d’aller au ministère public [fiscalia].  Elle a déposé une plainte chez le fiscalia le même soir.  Elle a fermé la boulangerie et s’est réfugiée chez sa sœur dans la ville de Sipacate avec sa fille Katherine, envoyant ses autres enfants chez d’autres membres de la famille à Pueblo Nueva Vinas, accompagnés de sa sœur Patricia.  Elle est demeurée en contact avec la fiscalia pour savoir l’issue de sa plainte.

 

[7]               En novembre 2010, elle a appris de ses voisins que quatre membres de la Mara Salvatrucha la cherchaient à sa maison.  Le 10 mars 2011, ne l’ayant pas trouvée, les Maras ont attaqué sa sœur Patricia et son beau-frère et ont menacé de violer et de tuer la demanderesse et sa fille.  Elle a quitté le pays le 29 mars 2011 avec sa fille et s’est rendue au Canada en passant par les États-Unis.  Elles ont demandé l’asile à la frontière en arrivant le 12 avril 2011.

 

La décision contestée

[8]               La SPR a entendu la demande le 16 octobre 2012.  Le tribunal, en tenant compte de la Directive no 4 du président concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [Directive no 4], et après avoir étudié la preuve documentaire et testimoniale, a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible.  Sa fille fondait sa demande sur celle de sa mère et donc la sienne échoua aussi.

 

[9]               Le tribunal a noté que la demanderesse disait avoir ouvert sa boulangerie en juin 2009, mais que son certificat d’enregistrement du commerce était daté le 8 juin 2010.  Elle a expliqué que l’enregistrement n’était pas nécessaire, mais que des agents du ministère de la Santé l’avaient exigé suite à une inspection des lieux, et qu’elle l’a fait même si elle avait déjà une crainte pour sa vie depuis le 14 mars 2010, date du premier incident avec la Mara Salvatrucha.  L’absence de documents corroboratifs concernant l’ouverture de la boulangerie a semé un doute dans l’esprit du tribunal.

 

[10]           La demanderesse n’a présenté aucune copie de la plainte faite auprès de la fiscalia en octobre 2010.  Elle dit qu’elle s’était adressée à un avocat du nom de Benicio Benitez et avait demandé une copie de sa plainte, et que ce dernier lui avait dit de revenir plus tard.  Ensuite elle a appelé Me Benitez tous les 15 ou 20 jours par la suite, jusqu’au 11 janvier 2011, mais elle a oublié de retourner chercher une copie de la plainte.  Une fois rendue au Canada, elle a donné une procuration à sa sœur, qui est allée au bureau du procureur municipal pour obtenir une copie de la plainte, mais on lui avait informé qu’il n’y avait pas de copie aux archives.  La demanderesse ne se souvenait pas si elle avait pris d’autres mesures pour obtenir une copie.  Pour expliquer pourquoi elle n’avait pas contacté Me Benitez, elle dit avoir été confuse au début de son séjour au Canada et ensuite avoir appris par les médias que ce dernier était soupçonné de frayer avec des narcotrafiquants et avait quitté son emploi.  Elle n’a pas pensé présenter ces reportages au tribunal.  Le tribunal a rejeté ces explications comme incohérentes et apparemment improvisées au fil de l’audience.

 

[11]           Le tribunal a aussi constaté que la demanderesse disait ne pas avoir porté plainte chez la police, mais, questionnée sur la différence entre la police et la fiscalia, elle a dit qu’on allait à la fiscalia si on était victime d’un crime et à la police pour dénoncer un vol ou un scandale sur la rue.  Elle aurait donc déposé sa plainte chez l’autorité désignée pour ce genre de délit.  Le tribunal était d’opinion que si elle avait réellement rapporté un crime grave comme le viol, elle n’aurait pas indiqué à l’agent d’immigration qu’elle n’était pas allée porter plainte.

 

[12]           La demanderesse dit ne pas avoir mentionné le viol du 28 octobre 2010 à l’agent d’immigration parce que c’était difficile pour elle d’en parler.  Toutefois, elle témoigne qu’avant son arrivée au Canada, elle avait parlé du viol à Me Benitez et au médecin qui l’avait soignée, en plus d’en parler à sa famille.  Le tribunal commenta que si elle avait déjà confié qu’elle avait été violée à ces personnes en dehors du cercle familial, il ne comprenait pas qu’elle ne divulgue pas l’information dans sa demande de protection si elle avait réellement été violée.

 

[13]           La demanderesse a déposé un certificat médical obtenu le jour du viol, mais raconta qu’elle avait laissé ce certificat dans une boîte au Guatemala et que sa sœur ne l’a pas retrouvé avant 2012 pour le lui envoyer.  Elle dit avoir craint qu’on fouille dans ses bagages à l’aéroport, qu’on trouve le rapport, et qu’en conséquence elle soit tuée.  Le tribunal a rejeté cette explication comme incohérente, inusitée, et improvisée.  Questionnée sur le fait qu’elle parlait d’avoir été traitée par un homme, tandis que le certificat était signé par une femme, la demanderesse a répondu qu’on dit       « le docteur » pour un homme ou une femme, dans son pays, mais le tribunal a rejeté ceci aussi comme non crédible. 

 

[14]           Le tribunal a pris en considération la Directive no 4, notamment en ce qui a trait aux problèmes de mémoire et aux disparités et imprécisions de dates, mais conclut néanmoins que ces éléments de preuve n’étaient pas crédibles.  Il n’accorda donc aucune valeur probante à la déclaration assermentée de la sœur de la demanderesse confirmant les faits allégués.

[15]           En vue du manque de preuve crédible, le tribunal rejeta les demandes d’asile de Mme Arevalo Zaldana et sa fille.

 

Questions en litige

[16]           Les questions en litige sont les suivantes :

a.       Est-ce que le tribunal a commis une erreur en concluant au manque de crédibilité de la demanderesse principale ?

b.      Est-ce que le tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte de la Directive no 4 du président concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe ?

 

Norme de contrôle

[17]           Les questions de crédibilité sont de nature factuelle et donc commandent une très grande déférence envers le tribunal.  La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Salazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 466 aux paras 35-36, [2013] ACF no 527 (QL)) :

[35]  Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a conclu qu'il n'y avait que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte, en ce qui a trait aux questions de droit, et la norme de la raisonnabilité, en ce qui concerne les questions mixtes de fait et de droit ainsi que les questions de fait. La Cour suprême du Canada a aussi jugé que, lorsque la norme de contrôle a déjà été arrêtée, il n'est pas nécessaire de reprendre l'analyse relative à la norme de contrôle applicable : arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 50 et 53.

 

[36]  La Cour fédérale a décidé que les conclusions en matière de vraisemblance et de crédibilité sont de nature factuelle. La norme de contrôle à appliquer aux évaluations en matière de crédibilité et de vraisemblance est la norme de la raisonnabilité, qui commande un degré très élevé de déférence : Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17 (Wu).

 

[18]           La norme de la décision raisonnable s’applique aussi au contrôle de la prise en compte par un tribunal de la Directive no 4 (Amin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 FC 206 au para 26. [2013] ACF no 216 (QL)) :

[26]  La Cour a examiné au regard de la norme de la décision raisonnable le fait de ne pas avoir pris en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (voir MDGD c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 855, au paragraphe 12, [2011] A.C.F. no 1050; et Cornejo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 261, aux paragraphes 16 à 18, [2010] A.C.F. no 295). En examinant la décision de l'agent au regard de la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit pas intervenir, à moins qu'il soit parvenu à une conclusion dénuée de transparence, de justification et d'intelligibilité et qui n'appartient pas aux issues acceptables compte tenu de la preuve produite (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Ainsi que la Cour l'a rappelé dans l'arrêt Khosa, précité, il n'appartient pas à la cour de révision de substituer l'issue qui serait à son avis préférable, pas plus qu'il ne lui appartient de soupeser à nouveau les éléments de preuve (paragraphes 59 et 61).

 

Analyse

[19]           Je note d’abord que le défendeur, se basant sur l’article 80(2.1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], et l’article 10(1) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, réclame qu’aucun poids ne soit accordé à l’affidavit de la demanderesse :

Règles des Cours fédérales

 

Preuve par affidavit et interrogatoires

 

Affidavits

 

Affidavit d’une personne ne comprenant pas une langue officielle handicapé visuel ou d’un analphabète

 

80. (2.1) Lorsqu’un affidavit est rédigé dans une des langues officielles pour un déclarant qui ne comprend pas cette langue, l’affidavit doit :

a) être traduit oralement pour le déclarant dans sa langue par un interprète indépendant et compétent qui a prêté le serment, selon la formule 80B, de bien exercer ses fonctions;

b) comporter la formule d’assermentation prévue à la formule 80C.

 

Federal Courts Rules

 

Affidavit Evidence and Examinations

 

Affidavits

 

Affidavit by deponent who does not understand an official language

 

 

80. (2.1) Where an affidavit is written in an official language for a deponent who does not understand that official language, the affidavit shall

(a) be translated orally for the deponent in the language of the deponent by a competent and independent interpreter who has taken an oath, in Form 80B, as to the performance of his or her duties; and

(b) contain a jurat in Form 80C.

 

Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés

 

Mise en état de la demande d’autorisation

 

(1) Le demandeur met sa demande d’autorisation en état en se conformant au paragraphe (2) :

a) s’il indique dans sa demande qu’il a reçu les motifs écrits du tribunal administratif, dans les 30 jours suivant le dépôt de sa demande;

b) s’il indique dans sa demande qu’il n’a pas reçu les motifs écrits du tribunal administratif, dans les 30 jours suivant la réception soit de ces motifs, soit de l’avis envoyé par le tribunal administratif en application de l’alinéa 9(2)b).

 

(2) Le demandeur signifie à chacun des défendeurs qui a déposé et signifié un avis de comparution un dossier composé des pièces suivantes, disposées dans l’ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :

a) lademande d’autorisation,

b) la décision, l’ordonnance ou la mesure, s’il y a lieu, visée par la demande,

c) les motifs écrits donnés par le tribunal administratif ou l’avis prévu à l’alinéa 9(2)(b), selon le cas,

d) un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués à l’appui de sa demande,

e) un mémoire énonçant succinctement les faits et les règles de droit invoqués par le demandeur à l’appui du redressement envisagé au cas où l’autorisation serait accordée,

 

et le dépose avec la preuve de la signification.

Immigration and Refugee Protection Rules

 

 

Perfecting application for leave

 

10. (1) The applicant shall perfect an application for leave by complying with subrule (2)

 

(a) where the application sets out that the applicant has received the tribunal’s written reasons, within 30 days after filing the application; or

 

(b) where the application sets out that the applicant has not received the tribunal’s written reasons, within 30 days after receiving either the written reasons, or the notice under paragraph 9(2)(b), as the case may be.

 

(2) The applicant shall serve on every respondent who has filed and served a notice of appearance, a record containing the following, on consecutively numbered pages, and in the following order

 

(a) the application for leave,

(b) the decision or order, if any, in respect of which the application is made,

(c) the written reasons given by the tribunal, or the notice under paragraph 9(2)(b), as the case may be,

(d) one or more supporting affidavits verifying the facts relied on by the applicant in support of the application, and

(e) a memorandum of argument which shall set out concise written submissions of the facts and law relied upon by the applicant for the relief proposed should leave be granted,

 

and file it, together with proof of service.

 

[20]           En l’espèce, l’affidavit de la demanderesse principale a été déposé en anglais, sans formule d’assermentation du traducteur, quoique, selon son Formulaire de renseignements personnels (FRP), elle ne parle ni ne comprend l’anglais.  Son affidavit aurait normalement très peu de poids en conséquence.  Voir par exemple Uwadia c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de le Protection civile), 2010 CF 576 au para 46, [2010] ACF no 683 (QL) :

[46]  La demanderesse a présenté un affidavit en langue anglaise sans formule d'une assermentation faite par le truchement d'un interprète. Lorsque la demanderesse a affirmé qu'elle avait besoin d'un interprète pour être contre-interrogée sur son affidavit (un besoin soulevé seulement quelques jours avant la date fixée au départ pour son contre-interrogatoire), les défendeurs ont alors soulevé la question de la validité de son affidavit. En effet, si la demanderesse ne comprenait pas l'anglais, son affidavit qui n'était pas accompagné d'une assermentation faite par le truchement d'un interprète, aurait peu de poids, sinon aucun (Momcilovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 998, [2001] A.C.F. no 1375 (QL), au paragraphe 6; Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 375, 231 F.T.R. 148, [2003] A.C.F. NO 525 (QL), au paragraphe 3; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 315, [2006] A.C.F. no 387 (QL), au paragraphe 44; Tkachenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1652, [2005] A.C.F. no 2105 (QL), au paragraphe 8.

 

[21]           Toutefois, l’article 3 des Règles des Cours fédérales me donne la discrétion de corriger des vices de forme si c’est dans l’intérêt de la justice :

Principe général

 

3. Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

General principle

 

3. These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

 

[22]           Dans Velinova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 268 au paras 10-14, [2008] ACF no 340 (QL), cette Cour a souligné qu’il est possible de se baser sur les autres pièces dans le dossier s’il n’y a aucune indication permettant de vérifier qu’une demanderesse comprend son affidavit :

[10]  Le défendeur fait observer, à titre préliminaire, que l'affidavit de la demanderesse ne comporte pas la formule d'assermentation requise par le paragraphe 80(2.1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), étant donné que la demanderesse avait dû faire traduire son FRP et, par l'entremise d'un interprète, le porter à la connaissance de la Commission durant l'audience. Selon le défendeur, la Cour devrait rejeter la demande, ou à tout le moins n'accorder aucun poids à l'affidavit. La demanderesse rétorque qu'il s'agit là au pis aller d'une erreur technique et elle dit que l'affidavit a en fait été traduit.

 

[11]  Le paragraphe 80(2.1) des Règles prévoit ce qui suit :

Lorsqu’un affidavit est rédigé dans une des langues officielles pour un déclarant qui ne comprend pas cette langue, l’affidavit doit :

a) être traduit oralement pour le déclarant dans sa langue par un interprète indépendant et compétant qui a prêté le serment, selon la formule 80B, de bien exercer ses fonctions;

b) comporter la formule d'assermentation prévue à la formule 80

* *

C.Where an affidavit is written in an official language for a deponent who does not understand that official language, the affidavit shall

(a) be translated orally for the deponent in the language of the deponent by a competent and independent interpreter who has taken an oath, in Form 80B, as to the performance of his or her duties; and

(b) contain a jurat in Form 80C.

 

[12]  La Cour fédérale a déjà eu affaire à une demande dans laquelle l'affidavit de la demanderesse ne comportait pas un affidavit de traduction : Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 375, [2003] A.C.F. no 525 (QL). Dans ce précédent, où il n'était pas question du paragraphe 80(2.1), la juge Judith Snider écrivait que la "pratique habituelle" dans de tels cas consiste à inclure un affidavit de traduction et que "l'absence d'une certification de la traduction pourrait, si les faits étaient contestés d'une manière importante, m'amener à conclure que cette demande devrait être rejetée" (paragraphe 13). Cependant, les parties étant pour l'essentiel entendues sur les faits, la juge Snider a plutôt décidé de n'accorder aucun poids à l'affidavit, puisque rien ne donnait à penser que la demanderesse avait compris ce qu'elle avait signé lorsqu'elle avait signé son affidavit.

 

[13]  Cette manière de voir fut suivie dans la décision Tkachenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1652, [2005] A.C.F. no 2105 (QL), où le juge Yvon Pinard s'est explicitement référé au paragraphe 80(2.1), tout en relevant que, même si l'affaire était largement tributaire des faits, "[i]l serait injuste de rejeter la présente affaire au motif qu'il manque un serment d'interprète" (paragraphe 8). L'absence du certificat de traduction allait plutôt "compromettr[e] sérieusement" la force probante de l'affidavit du demandeur.

 

[14]  En l'espèce, les points soulevés par la demanderesse peuvent être évalués sans que l'on s'en rapporte à son affidavit, puisque les pièces nécessaires se trouvent dans le dossier certifié du tribunal. D'ailleurs, pour l'essentiel, les faits ne sont pas contestés, la question étant de savoir si la Commission a étudié comme il convient l'aspect de la protection étatique. Je ne rejetterai donc pas la présente demande en me fondant sur le paragraphe 80(2.1), mais, puisqu'il n'apparaît pas que la demanderesse a compris ce qu'elle signait, et en l'absence d'une déclaration sous serment selon laquelle le contenu de l'affidavit avait été traduit pour elle, je n'accorde aucun poids à l'affidavit de la demanderesse.

 

 

1. Est-ce que le tribunal a commis une erreur en concluant au manque de crédibilité de la demanderesse principale ?

[23]           La demanderesse plaide qu’une abondante jurisprudence démontre que pour conclure au manque de crédibilité en raison de contradictions dans le témoignage d’un demandeur, il faut s’appuyer sur des divergences réelles qui sont de nature importante ou sérieuse, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. 

 

[24]           Premièrement, le tribunal aurait dû accepter ses explications concernant la contradiction entre les dates d’ouverture de la boulangerie.  Elle soumet que même au Canada il est possible d’exploiter une entreprise avant qu’elle soit enregistrée. De plus, elle n’avait aucun motif de rallonger les dates d’opération de la boulangerie, puisque l’agression qui lui avait mené à fermer le commerce a eu lieu en octobre 2010, après la date d’enregistrement en juin 2010.  S’il y avait une contradiction, elle n’établissait pas que le commerce n’existait pas.

 

[25]           Deuxièmement, le tribunal a reproché à la demanderesse de ne pas présenter une copie de sa dénonciation du 28 octobre 2010.  Cependant, son explication que l’avocat qui a reçu la plainte ne travaille plus pour la fiscalia et était soupçonné de collaborer avec des narcotrafiquants démontrait que l’avocat n’avait donné aucune suite à la plainte.  Le tribunal reproche à la demanderesse de ne pas avoir déposé cette dénonciation, mais quant au certificat médical, qu’elle avait déposé, il se plaint du fait qu’elle ne l’avait pas amené dans ses bagages; on dirait une recherche par tous les moyens pour lui reprocher.

 

[26]           Le défendeur, pour sa part, note que la demande d’asile était basée sur le fait que la demanderesse avait était victime d’extorsion reliée à sa boulangerie.  C’était donc essentiel d’établir que ce commerce fonctionnait à la date en question.  C’était raisonnable pour le tribunal d’avoir des doutes étant donné les contradictions dans la preuve.

 

[27]           Ensuite, un élément central de la demande était la crainte de la demanderesse suite au viol du 28 octobre 2010.  Les explications qu’elle a fournies pour justifier l’omission de déposer une copie de sa plainte auprès de la fiscalia n’étaient pas raisonnables – qu’elle avait oublié de retourner chercher sa copie, qu’elle n’avait pas pensé à contacter l’avocat responsable, et que par la suite celui-ci avait quitté son poste et s’était associé avec des narcotrafiquants.  Au point d’entrée, elle a uniquement dit avoir porté plainte auprès de la police; ce n’est que lors de l’audience qu’elle a parlé de la fiscalia.  Ceci porte à croire qu’elle n’a pas réellement faite de plainte.  Voir Mercado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 289 au para 32, [2010] ACF no 311 (QL) :

[32]  La jurisprudence est claire à l'effet que le défaut de déposer une preuve justificative à laquelle il est raisonnable de s'attendre peut avoir un impact sur la crédibilité du demandeur : A.M. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 579, [2005] A.C.F. no 709 (QL) au paragraphe 20 et Nechifor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1004, [2003] A.C.F. no 1278 (QL) au paragraphe 6. De plus, comme le souligne le juge Marc Nadon dans Hamid c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),(1995), 58 A.C.W.S. (3D) 469, [1995] A.C.F. no 1293 (C.F.) (QL) au paragraphe 20 :

 

Lorsqu'une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n'est pas crédible, dans la plupart des cas, il s'ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu'ils sont véritablement authentiques. En l'espèce, la preuve du requérant n'a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n'est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d'affirmer qu'il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité.

 

Voir aussi Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 756, [2006] A.C.F. no 1054 (QL) au paragraphe 17, Zaloshnja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 206, [2003] A.C.F. No. 272 au paragraphe 9.

 

[28]           De plus, la demanderesse a témoigné qu’elle avait été traitée par un homme, mais le médecin qui a signé le certificat médical était une femme.  Toutes ces divergences fondent légitimement des doutes sur la crédibilité.  Voir Zeferino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 456 au para 32, [2010] ACF no 644 (QL) :

[32]  Il est loisible au Tribunal de jauger la crédibilité de la demanderesse principale et de tirer des inférences défavorables au sujet des disparités entre sa déclaration telle que mentionnée au FRP initial, celle contenue dans les notes d'entrevue, la déclaration au narratif modifié du FRP, et dans le témoignage viva voce, pour lesquelles la demanderesse principale n'a pas fourni d'explications satisfaisantes, vraisemblables ou crédibles dans les circonstances (He c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994), 49 A.C.W.S. (3D) 562, [1994] A.C.F. no 1107). En l'espèce, et la Cour est d'accord avec la procureure du défendeur, la preuve démontre que l'histoire et le récit des demandeurs a changé au cours des deux dernières années.

 

[29]           La demanderesse a fait valoir que la cause Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732 (QL) devrait être adoptée pour décider cette cause vu la similarité des faits. Toutefois, la présente affaire peut être distinguée par le fait de l’existence de contradictions ou d’incohérences entre le témoignage de la demanderesse et plusieurs éléments de la preuve.

 

[30]           Je suis d’accord avec le défendeur que les divergences sont suffisamment majeures pour semer le doute chez le tribunal et permettre qu’il tire une conclusion adverse concernant la crédibilité.  À cet égard, la décision appartenait aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier en vue des faits présentés.

 

2. Est-ce que le tribunal a commis une erreur en ne pas tenant compte de la Directive no 4 du président concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe?

[31]           La Directive no 4  exige qu’un tribunal soit prêt à démontrer de la compréhension envers une victime de violence traumatisée par le viol.  La demanderesse a témoigné dès le début de l’audience qu’elle ne faisait pas confiance à la police.  Confrontée à l’audience, elle a expliqué que le viol était un souvenir difficile et honteux pour elle.  Il est compréhensible qu’elle ne l’ait pas déclaré à l’agent d’immigration.  D’en parler au médecin qui l’a soignée n’est pas tout à fait la même chose que d’en parler à un agent à la frontière.

 

[32]           Le défendeur soumet que cette explication n’est pas raisonnable et que la divergence entre la déclaration au point d’entrée, le FRP, et le témoignage à l’audience affecte la crédibilité de la demanderesse.  La Directive no 4 ne suffit pas à pallier à tout problème de crédibilité.  Voir par exemple Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 890 aux para 17-20, [2010] ACF no 1107 (QL) :

[17]  La relation entre, d'une part, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et, d'autre part, l'obligation de la demanderesse de faire reposer sa demande d'asile sur une preuve crédible est exposée dans la décision Karanja c. Canada (MCI), 2006 CF 574, rendue par le juge Pinard, aux paragraphes 5 à 7 :

 

para5 La demanderesse a raison de dire que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (que la présidente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a données le 9 mars 1993 en application de l'alinéa 159(1)h) de la Loi sur l'immigration et qui sont intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe) précisent que, dans le cas d'une demande d'asile fondée sur le sexe, la Commission devrait être particulièrement sensible à la difficulté qu'éprouvent les demanderesses à témoigner. Les Directives ne sont cependant pas conçues en elles-mêmes pour corriger toutes les lacunes que comportent la demande ou la preuve de la demanderesse. Il incombe à la demanderesse d'établir le bien-fondé de sa demande d'asile. Ainsi que le juge Pelletier l'a expliqué dans la décision Newton c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (2002), 182 F.T.R. 294 au paragraphe 18, "Il n'est pas possible de traiter les lignes directrices comme si elles corroboraient un quelconque élément de preuve étayant la thèse de la persécution fondée sur le sexe, de sorte que le seul fait de témoigner suffise à prouver la véracité des propos tenus". Le juge a ajouté au paragraphe 17 :

Les lignes directrices sont un outil dont le tribunal de la SSR peut se servir pour évaluer les éléments de preuve présentés par les femmes qui affirment avoir été victimes de persécution fondée sur le sexe. Les lignes directrices ne créent pas de nouveaux motifs permettant de conclure qu'une personne est victime de persécution. Dans cette mesure, les motifs restent les mêmes, mais la question qui se pose alors est celle de savoir si le tribunal était sensible aux facteurs susceptibles d'influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution [...]

 

para6 Par ailleurs, ce n'est pas parce que la Commission ne mentionne pas explicitement les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe qu'il faut en conclure qu'elle n'en a pas tenu compte et, de toute façon, pareille omission ne tire pas à conséquence et n'entraîne pas nécessairement l'annulation de la décision de la Commission. La Commission est présumée avoir tenu compte de l'ensemble de la preuve et il n'y a rien en l'espèce qui permette de penser qu'elle n'a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (voir S.I. c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 2015 (C.F.) (QL), Farah c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 416 (1re inst.) (QL), et Nuray Gunel c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (6 octobre 2004), IMM-8526-03).

 

para7 Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe prévoient expressément que la demanderesse doit démontrer que le préjudice est suffisamment grave pour équivaloir à de la persécution. En l'espèce, la Commission a, comme il lui était loisible de le faire, tiré plusieurs conclusions défavorables au sujet de la crédibilité.

[Non souligné dans l'original.]

 

[18]  Les principes exposés dans la décision Karanja ont été suivis dans la décision Allfazadeh c. Canada (MCI), 2006 CF 1173, rendue par le juge Harrington, où il écrivait au paragraphe 6 que la SPR est présumée avoir tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Ils ont également été suivis dans la décision Cornejo, précitée, rendue par le soussigné, où j'écrivais, au paragraphe 27, que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n'ont pas pour objet de corriger les lacunes d'une demande d'asile. Les principes exposés dans la décision Karanja ont également été suivis dans la décision I.M.P.P. c. Canada (MCI), 2010 CF 259, rendue par le juge Mosley, au paragraphe 47.

 

[19]  La SPR a brièvement mentionné les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, au paragraphe 32 de sa décision, mais elle s'est attardée, au paragraphe 25, aux difficultés auxquelles se heurtent au Mexique les femmes victimes de violence familiale :

 

para25 [...] Le tribunal garde à l'esprit le fait que les femmes violentées sont quelquefois réticentes à dénoncer leur agresseur aux autorités. Ainsi, la plupart des responsables reconnaissent que la violence familiale et sexuelle est sous-déclarée1, et le rapport d'Amnesty International fait état des obstacles auxquels se heurtent les femmes mexicaines au moment de signaler les cas de violence familiale, notamment le refus des responsables d'accueillir leurs plaintes, l'inefficacité des enquêtes et le caractère inadéquat des mesures de protection prises [...]

 

[20]  Le passage susmentionné de la décision montre, à mon avis, que la SPR a été sensible aux circonstances de la mère demanderesse en tant que femme victime de violence familiale. Le témoignage de la mère demanderesse comportait de nombreuses zones d'ombre qui ne sauraient toutes être excusées par les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. La SPR a bien évalué son témoignage en tenant compte de sa situation. Les conclusions de la SPR où elle met en doute la crédibilité de la demanderesse, et qui sont examinées plus loin dans les présents motifs, ne sont pas entachées d'une absence de sensibilité. Ce motif de contrôle doit être rejeté.

 

[33]           C’est évident qu’une victime de viol pourrait être réticente à dévoiler ce qui s’était passé à un agent d’immigration.  La transcription de l’audience démontre, selon moi, que le tribunal a été sensible à la difficulté que ressentait la demanderesse en témoignant.  Cette difficulté ne saurait pas expliquer toutes les incohérences dans sa preuve et son témoignage.

 

Conclusion

[34]           Je conclus que la décision de la SPR selon laquelle les demanderesses n’ont pas qualité de réfugiées au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger est raisonnable.  Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.  Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            IMM-8-13

 

INTITULÉ :

NIDIA ARACELI AREVALO ZALDANA ET AL

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 4 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 14 NOVEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Angelica Pantiru

 

Pour les demanderesses

 

Lyne Prince

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Firme d’avocat de Me Angelica Pantiru

Montréal (Québec)

 

Pour les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

 

 

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