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Date : 20131114


Dossier : IMM-9539-12

 

Référence : 2013 CF 1149

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

MARIA CZESAK

(alias MARIA CZESLAWA CZESAK)

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) d’une décision rendue le 24 août 2012 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger en application des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Contexte factuel

[3]               La demanderesse est née en Pologne en 1958. La demanderesse s’est mariée en 1979 et trois enfants sont nés de cette union, qui a pris fin en 1988. La demanderesse a alors amorcé une relation avec Tadeusz Poniewierski, son conjoint de fait, avec qui elle a eu trois autres enfants. La relation avec M. Poniewierski était marquée par la violence. La demanderesse est toutefois demeurée avec lui jusqu’en 2006, malgré des blessures physiques, dont une fracture au nez, aux bras et aux jambes, ainsi que des problèmes avec une de ses oreilles.

 

[4]               La demanderesse a téléphoné à la police à de nombreuses reprises, mais les policiers lui ont seulement dit de régler elle‑même ses problèmes conjugaux. Son deuxième conjoint élevait des pigeons avec le chef de police du village dans ses temps libres et buvait avec les autres policiers. Il a été arrêté une fois après l’avoir agressée, mais a été mis en liberté, celle‑ci étant assortie d’une période de probation. La demanderesse a finalement mis fin à la relation avec lui, mais il est demeuré à proximité. Il a continué de faire de fréquentes visites à son domicile pour la harceler.

 

[5]               Mme Czesak a effectué une visite au Canada de septembre 2005 à mars 2006. Lorsqu’elle est rentrée en Pologne, son ex‑conjoint l’a rejointe à l’aéroport de Varsovie, s’est introduit de force dans sa voiture et s’est rendu avec elle à son domicile. Il a donné des coups de poing dans la porte et les fenêtres, il a frappé son fils et il a poussé la demanderesse dans l’escalier, ce qui lui a fait perdre connaissance.

 

[6]               La demanderesse a pris l’avion pour le Canada en juillet 2006 au moyen d’un autre visa de visiteur de six mois et elle n’a plus quitté le pays. Elle a d’abord obtenu une prorogation de son visa pour une autre période de six mois, mais elle affirme que sa famille l’a dissuadée de faire une autre demande de prorogation et lui a dit de rester illégalement au Canada. Sa famille ne satisfaisait pas aux critères financiers pour la parrainer.

 

[7]               La demanderesse n’a appris qu’elle pouvait faire une demande d’asile qu’après avoir été arrêtée par la police, apparemment pour avoir traversé illégalement la chaussée, et mise en détention par les autorités de l’immigration. Sa famille n’a pas versé un cautionnement, même si elle avait promis de le faire. La demanderesse est restée en détention pendant trois mois, jusqu’à ce que l’unité de cautionnement à Toronto finisse par l’aider. Tandis qu’elle se trouvait en détention, le Bureau du droit des réfugiés lui a donné des conseils et elle a présenté une demande d’asile le 7 octobre 2009.

 

[8]               Elle n’avait pas vu son ex‑conjoint depuis 2006, mais elle a appris qu’il avait appelé sa mère au Canada en mai ou en juin 2009, car il la cherchait. Il continue de se rendre à son domicile en Pologne et menace les membres de sa famille qui s’y trouvent. Elle a rassemblé certains documents témoignant des problèmes, mais son ex‑conjoint les a volés dans la maison. Elle a demandé à ses enfants toujours en Pologne et au tuteur de son plus jeune enfant de mettre la main sur les documents, mais ils n’ont pas réussi. Elle a présenté des éléments de preuve relatifs à une décision du tribunal de la famille rendue en 2009 qui mettait fin aux droits parentaux de M. Poniewierski et de la demanderesse à l’égard de leurs enfants. La conseil de la demanderesse a envoyé au moins quatre demandes en Pologne, en anglais et traduites en polonais, ainsi que des formulaires de consentement signés, qui n’ont pas donné lieu à l’envoi d’autres documents.

 

[9]               Mme Czesak se trouve maintenant dans une situation difficile à Toronto, et un travailleur social qui l’a évaluée à la clinique Barbara Schlifer a conclu qu’elle était renfermée et possiblement traumatisée. Les évaluations des médecins font état de maux au dos, de maux de tête post‑traumatiques, de pertes de mémoire, de pertes de connaissance, de dépression et d’une possible dépendance à l’alcool.

 

Décision contestée

[10]           À l’audience, le tribunal a admis que Mme Czesak avait été « maltraitée sur une longue période pendant son second mariage » et a souligné qu’il avait tenu compte des directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe données par le président (les directives concernant la persécution fondée sur le sexe), ainsi que des rapports médicaux, pour prendre en considération les trous de mémoire et l’incapacité de se concentrer. Les questions déterminantes étaient la présentation tardive de la demande d’asile, la protection de l’État et la possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

[11]           Le tribunal a conclu que la présentation tardive de la demande d’asile ne correspondait pas à la situation d’une personne qui vit dans la crainte de subir de la persécution dans son pays, de laquelle on s’attendrait à ce qu’elle demande l’asile le plus tôt possible. La famille de la demanderesse a donné à celle‑ci un mauvais conseil sans aucun scrupule, mais la demanderesse était cependant consciente de sa situation illégale et elle n’a rien fait pour régulariser sa situation. Le tribunal a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse. Il ne m’apparaît toutefois pas que le refus du statut de réfugié est fondé sur la présentation tardive de la demande d’asile ou sur la crédibilité de la demanderesse en général.  

 

[12]           Le tribunal a examiné les dispositions législatives et les éléments de preuve soumis par la demanderesse au sujet de la protection de l’État. Il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption selon laquelle la Pologne était incapable d’assurer la protection des citoyens. Le tribunal a fait un examen approfondi de la preuve portant sur le manque de protection de l’État, constatant que la Pologne déployait des efforts importants afin de protéger les femmes, particulièrement depuis qu’elle s’était jointe à l’Union européenne, et que des éléments de preuve clairs et convaincants montraient que ces efforts étaient adéquats. La Pologne a adopté une loi visant à lutter contre la violence familiale (Act on Counteracting Violence in the Family) le 5 novembre 2005. Des poursuites ont été intentées contre des personnes accusées de violence conjugale qui pouvaient être condamnées à une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans, même si les sentences étaient généralement moins lourdes. Le nombre de demandes déposées par les victimes augmentait chaque année. Selon les dernières données statistiques de 2007, la police aurait procédé à 81 403 interventions liées à la violence familiale. Le ministère de la Justice a affirmé que, de ce nombre, 15 404 personnes ont été reconnues coupables, et, à la fin de l'année, 4 500 personnes purgeaient des peines d’emprisonnement pour des crimes relatifs à la violence familiale, ce qui montre que le pays pose des gestes pour combattre la criminalité.

 

[13]           L’inconduite policière était un problème, mais des mesures étaient aussi prises pour y remédier. Le tribunal a fait référence à des preuves documentaires selon lesquelles les policiers semblaient parfois réticents à intervenir dans les incidents de violence familiale et que la protection offerte aux femmes victimes de mauvais traitements était parfois insuffisante. Toutefois, la Pologne s’efforçait d’améliorer la capacité d’intervention de la police, et même si la conseil avait présenté des comptes rendus publiés par Amnesty International, Freedom House, le centre d’action policière de l’Europe contre la violence faite aux femmes et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations unies, ces documents dataient de cinq à sept ans. Le tribunal a conclu que la demanderesse n’avait fourni aucun élément de preuve convaincant montrant que son ex‑conjoint avait des relations parmi les policiers qui auraient pu empêcher la demanderesse de se prévaloir de la protection de l’État.

 

[14]           Le tribunal n’a pas admis l’explication que la demanderesse a donnée au fait qu’elle avait attendu juste avant le début de l’audience pour demander des copies de documents de la police, ou son explication selon laquelle certains rapports ne pouvaient être fournis parce que les policiers changeaient d’emploi, ou son allégation selon laquelle M. Poniewierski avait volé des documents qui se trouvaient dans la maison quand il s’était rendu compte qu’elle voulait rester au Canada. Le tribunal a également conclu qu’il n’était pas raisonnable que la demanderesse ait attendu jusqu’à deux semaines avant l’audience pour obtenir des documents médicaux, lorsqu’elle avait déposé sa demande d’asile en 2009.

 

[15]           Le tribunal a ensuite considéré la ville de Varsovie, située de 300 à 400 kilomètres de l’ancien lieu de résidence de Mme Czesak en Pologne, comme une possibilité de refuge intérieur (PRI). Le tribunal a encore une fois passé en revue l’abondante jurisprudence en matière de PRI, et souligné entre autres le caractère insuffisant des arguments selon lesquels les demandeurs n’avaient pas d’amis ou de parenté dans la région, ou pourraient ne pas y trouver de travail qui leur convienne, ou pourraient se trouver mieux au Canada que dans leur propre pays sur les plans économique, physique ou affectif. La demanderesse a déclaré dans son témoignage que l’homme qui la persécutait avait de la famille à Varsovie et connaissait très bien la ville étant donné qu’il y avait travaillé. Cependant, aucun élément de preuve ne montrait qu’il existait une relation spéciale entre Tadeusz et la police à Varsovie qui aurait laissé croire que la demanderesse ne pourrait se prévaloir de la protection de la police si les autorités de Varsovie le demandaient. Le tribunal a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé qu’elle serait exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités en raison de la protection de l’État insuffisante dans la région désignée comme PRI. Le tribunal a donc conclu que, dans les circonstances, il ne serait pas objectivement déraisonnable que la demanderesse déménage à Varsovie.

 

[16]           Le tribunal a ensuite examiné les observations au sujet des « raisons impérieuses » présentées par la demanderesse en application de l’article 108 de la LIPR. Il a constaté que l’alinéa (1)e) s’appliquait aux situations où une personne aurait pu avoir qualité de réfugié, mais où les conditions ayant mené à cette conclusion n’existaient plus. Sur ce point, le tribunal a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve convaincant montrant que les conditions en Pologne avaient changé à tel point qu’il était justifié d’invoquer des « raisons impérieuses ». Le tribunal a néanmoins examiné la nature des expériences de la demanderesse. Il a conclu que les qualificatifs « atroce » et « épouvantable » se rapportaient dans la jurisprudence à la persécution étant « extrêmement sauvage ou pernicieuse » et « choquante et troublante ». Selon le tribunal, les faits de l’espèce n’étaient pas du même ordre que les circonstances brutales décrites dans la jurisprudence qui étaient considérées comme une exception impérieuse selon les tribunaux.

 

[17]           Le tribunal a conclu que Mme Czesak n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

Questions en litige

[18]           La demanderesse a cité pas moins de six questions que la Cour devrait trancher, soit les suivantes :

(1)           Le tribunal a‑t‑il commis une erreur en ne suivant pas les directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe?

(2)           Le tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que la présentation tardive de la demande d’asile par la demanderesse était une question déterminante, à la lumière des éléments de preuve d’ordre médical et psychologique?

(3)           Le tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que la protection de l’État est offerte aux victimes de violence familiale en Pologne?

(4)           Le tribunal a‑t‑il commis une erreur dans sa manière d’analyser la PRI?

(5)           Le tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que le paragraphe 108(4) n’était pas applicable?

(6)           Le tribunal a‑t‑il commis une erreur en omettant d’analyser le risque prévu à l’article 97 pour la demanderesse?

 

Norme de contrôle

[19]           La norme de contrôle applicable aux six questions est celle de la décision raisonnable. Il s’agit d’une norme déférente à l’égard du décideur. La décision sera considérée comme raisonnable si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

Analyse

[20]           Je conclus qu’il n’y a qu’un point litigieux important, qui a trait à la question de savoir si la PRI à Varsovie est raisonnable à la lumière de la situation particulière de la demanderesse et de ses graves problèmes de santé.

 

[21]           En ce qui concerne les autres observations, tout d’abord, je rejette celle selon laquelle la SPR n’a pas tenu compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Des références précises y ont été faites et, dans le contexte de la présente affaire, je suis convaincu que le tribunal a été sensible aux facteurs qui influent sur le témoignage de la demanderesse qui a été victime de persécution. Le tribunal a accepté qu’elle était victime de maltraitance et il a pleinement tenu compte de ce fait. Il lui était cependant loisible de tirer des conclusions quant à la crédibilité, mais je ne conclus toutefois pas que celles‑ci ont joué un rôle dans la décision. De façon générale, les circonstances particulières de la demanderesse se rapportent à ses problèmes de santé, qui ont été établis par les rapports des médecins et qui découlent des conditions dans lesquelles la demanderesse a vécu dans le passé.

 

[22]           Je rejette également l’allégation de la demanderesse selon laquelle le tribunal a commis une erreur dans sa manière d’analyser la protection de l’État et la PRI de façon générale, indépendamment de la question de son caractère raisonnable qui demeure étant donné les problèmes de santé de la demanderesse. Comme il a été mentionné, le tribunal a effectué une analyse minutieuse de la jurisprudence et des éléments de preuve sur ces questions. De nombreux éléments de preuve appuyaient ses conclusions selon lesquelles la protection de l’État était généralement offerte en Pologne et qu’une PRI raisonnable était offerte à la demanderesse à Varsovie, où elle serait protégée de la persécution.

 

[23]           De même, je rejette les arguments de la demanderesse portant sur l’applicabilité du paragraphe 108(4). Aucun élément de preuve ne permettait de penser que la situation dans le pays avait changé. De plus, la situation de la demanderesse ne revêtait pas le caractère exceptionnel permettant d’invoquer des raisons impérieuses requis pour cette disposition. Dans un même ordre d’idées, l’argument relatif à l’absence d’une analyse distincte fondée sur l’article 97 est rejeté. La conclusion du tribunal selon laquelle l’élément objectif de l’article 96 n’avait pas été satisfait a permis de régler la question relative à l’article 97. Voir Balakumar c Canada (MCI), 2008 CF 20, au paragraphe 13; Kaleja c Canada (MCI), 2011 CF 668, au paragraphe 34.

 

Caractère raisonnable de la PRI eu égard à la situation personnelle de la demanderesse

[24]           La conseil de la demanderesse fait valoir qu’il serait particulièrement déraisonnable de renvoyer Mme Czesak à Varsovie compte tenu de son état mental précaire, tel que décrit par ses médecins, notamment en raison de la possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée où qu’elle vive en Pologne. La demanderesse allègue que, compte tenu de sa situation personnelle, il serait déraisonnable pour elle de chercher refuge ailleurs que dans le village où elle avait auparavant vécu lorsqu’elle habitait la Pologne.

 

[25]           Dans Syvyryn c MCI, 2009 CF 1027, la juge Snider a réitéré que la violence familiale fait intervenir les directives concernant la persécution fondée sur le sexe et qu’une analyse portant sur le caractère raisonnable d’une PRI doit tenir compte de l’âge, du sexe et de la situation personnelle du demandeur.

 

[26]           En ce qui concerne la protection de l’État et une PRI à Varsovie, le tribunal a conclu que la protection de l’État serait raisonnablement offerte, ce qui, comme je l’ai affirmé, m’apparaît être une conclusion raisonnable dans les circonstances.

 

[27]           Le tribunal a également constaté que la demanderesse avait déjà reçu des prestations d’aide sociale et qu’elle pourrait probablement recevoir des prestations de même nature à Varsovie. La demanderesse ne savait pas si elle pourrait trouver dans son village un emploi qui lui permettrait d’obtenir un revenu équivalent à celui qu’elle gagnait en travaillant à des fermes pendant l’été, mais elle n’a pas précisé qu’elle ne pourrait pas travailler. En ce qui concerne le soutien, le tribunal a fait remarquer que la demanderesse pouvait se rendre dans un pays étranger et qu’elle avait peu de soutien de sa famille ici ou qu’elle n’en avait aucun. Étant donné la liberté de circulation au sein du pays et les déplacements antérieurs de la demanderesse, le tribunal a conclu qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour elle de s’installer dans une autre ville, particulièrement à Varsovie. J’estime que cette conclusion est raisonnable compte tenu de la preuve dont le tribunal disposait.

 

[28]           Cependant, la demanderesse conteste particulièrement la conclusion du tribunal selon laquelle il n’était pas déraisonnable qu’elle se réinstalle à Varsovie malgré son état mental, tel que décrit par ses médecins.

 

[29]           Dans ses motifs, le tribunal a admis que la demanderesse avait été maltraitée, mais qu’elle pourrait obtenir de l’aide psychologique à Varsovie. De même, le tribunal a expressément affirmé qu’il avait tenu compte des observations de la conseil, ainsi que du rapport médical de la Dre Durish, qu’il avait jugé non concluant, notamment parce qu’il ne permettait pas de poser un diagnostic d’état de stress post‑traumatique (ESPT) chez la demanderesse.

 

[30]           La demanderesse affirme que le tribunal n’a pas fait preuve de transparence sur cette question, car il a fait abstraction de la totalité du rapport pour se fonder sur une seule phrase de celui‑ci. De plus, le tribunal a limité son examen de la preuve d’ordre médical au rapport de la Dre Durish. Fait à noter, elle n’a pas mentionné ou tenu compte d’autres rapports médicaux, notamment celui de la Dre Maria Koczorowska, une psychiatre.

 

[31]           En ce qui concerne ces allégations, je suis convaincu que le rapport de la Dre Durish pourrait être jugé non concluant sur la question de l’état psychologique de la demanderesse à de nombreux égards, et non uniquement en ce qui a trait à ses symptômes d’ESPT. Le rapport fait état de préoccupations relatives à une consommation importante de substances, précise que la demanderesse somatise les symptômes de son traumatisme dans une large mesure et indique qu’il est très difficile d’évaluer son fonctionnement intellectuel. Il y est observé que les domaines d’expertise clinique de la Dre Durish sont l’évaluation et le traitement des traumatismes, dans lesquels elle a effectué des études supérieures et une formation professionnelle poussées.

 

[32]           Quant au rapport de la Dre Koczorowska, il y est écrit que la première consultation avec la demanderesse remonte au 19 avril 2012. J’estime que le rapport de deux pages renferme des conclusions autrement plus catégoriques que le rapport de la Dre Durish. La Dre Koczorowska explique dans son rapport que la demanderesse souffre d’un retard psychomoteur grave et pose un diagnostic de trouble dépressif majeur et d’état de stress post‑traumatique associé à un état pathologique général, et relie certains facteurs psychologiques à un syndrome post‑commotion cérébrale.

 

[33]           En outre, la Dre Koczorowska s’exprime sur la question précise du renvoi de la demanderesse en Pologne, affirmant ce qui suit : [traduction] « Je crois qu’elle ne peut pas retourner en Pologne, parce que ce retour entraînerait assurément la détérioration de son état… Par conséquent, j’appuie entièrement sa demande de résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. » [Non souligné dans l’original.]

 

[34]           Les rapports médicaux du Dr Stachula ont également été présentés en preuve. Celui‑ci a d’abord traité la demanderesse en 2008 lorsqu’elle a été impliquée dans un accident d’automobile. Dans son rapport sommaire du 21 mars 2011, il a noté que la demanderesse se plaignait de douleur au bas du dos et de migraines. Il lui a conseillé de réduire sa consommation d’alcool pour atténuer ses migraines. Il a conclu que la patiente vivait incontestablement un deuil à la suite du décès de sa mère. Selon lui, ses céphalées post‑traumatiques étaient liées à son traumatisme crânien. Il affirme qu’elle était apparemment en bonne santé avant l’accident, mais qu’elle s’était mise à prendre des analgésiques et des anxiolytiques régulièrement après coup. Son rapport ne fait aucunement état de violence familiale ou de la possibilité que la violence familiale ait pu jouer un rôle dans son problème de traumatisme crânien.

 

[35]           Il convient de noter que la Dre Koczorowska a également indiqué que la demanderesse se portait bien avant d’être détenue par les autorités de l’immigration et que ses symptômes s’étaient aggravés après le décès de sa mère, depuis lequel elle éprouvait des problèmes.

 

[36]           À la lumière des éléments de preuve qui précèdent, dont ceux de la Dre Koczorowska, je suis convaincu qu’il était raisonnable pour le tribunal de conclure que la preuve relative aux problèmes de santé de la demanderesse n’était pas concluante.

 

[37]           De plus, j’estime que les décideurs ne devraient se fier qu’avec prudence aux éléments de preuve des experts judiciaires obtenus aux fins du litige, sauf s’ils font l’objet d’une certaine forme de validation. Cette remarque vise le rapport de la Dre Koczorowska, qui est allée jusqu’à intervenir en la faveur de la demanderesse en formulant un avis sur la question précisément débattue devant le tribunal.

 

[38]           Notre système juridique a une longue expérience des relations avec les experts judiciaires qui témoignent sur des questions relatives à des éléments de preuve techniques pour aider les tribunaux à rendre leurs décisions. Forts de cette expérience, les tribunaux ont, me semble‑t‑il, appris à jauger avec prudence et circonspection les conclusions des experts judiciaires qui n’ont pas fait l’objet d’un processus de validation rigoureux dans le cadre de procédures judiciaires.

 

[39]           Les procédures de validation des opinions d’experts peuvent comprendre l’échange de rapports tôt dans le processus, un rapport étant normalement présenté en contre‑preuve aux fins de la validation initiale. En règle générale, les parties ont le droit d’obtenir des renseignements détaillés sur le contexte factuel de la rédaction des rapports, relatifs entre autres à la production de la correspondance entre les avocats et les experts, et elles ont le droit de savoir s’il existe d’autres rapports qui ne sont pas pris en compte. À cela s’ajoute le droit d’interroger les parties adverses lors de l’interrogatoire préalable au sujet des questions soulevées dans les rapports. Plus important encore, les tribunaux ont la possibilité de faire évaluer la fiabilité des opinions des experts obtenues en contre‑interrogatoire par des avocats compétents, souvent sous la direction de leurs propres experts. Dans certains cas, les décideurs font même intervenir des experts neutres pour aider à trancher des questions plus controversées opposant les experts judiciaires des deux parties.

 

[40]           Il ne s’ensuit pas que tout rapport d’expert rédigé aux fins du litige doive être rejeté au motif qu’il n’aurait pas beaucoup de poids, sinon aucun. Ce que la Cour a plutôt retenu de son expérience avec les experts judiciaires, relativement à la production de rapports devant des tribunaux administratifs en l’absence de procédure de validation définie, est la nécessité d’exercer une grande prudence avant d’accepter les rapports sans réserve, particulièrement lorsqu’ils seraient de nature à trancher des questions importantes en litige devant la Cour. Par conséquent, selon moi, à moins qu’il ne soit possible de garantir la neutralité ou l’absence d’intérêt personnel de l’expert dans le cadre du litige, il convient généralement de leur accorder peu de poids.

 

[41]           En l’espèce, les rapports de la Dre Durish et du Dr Stachula me semblent répondre au critère de fiabilité requis, compte tenu du moment où ils ont été rédigés et de l’interaction de leurs auteurs avec la demanderesse, et parce que l’état de santé de la demanderesse y est dépeint avec une neutralité et une objectivité plus grandes et que les diagnostics et pronostics sont empreints d’une réserve raisonnable.

 

[42]           Il me semble donc que la demanderesse n’était aucunement fondée à affirmer que le tribunal a été sélectif à l’égard de la preuve ou a commis une erreur en ne tenant pas compte des rapports médicaux pour tirer sa conclusion selon laquelle « il ne serait pas déraisonnable pour la [demanderesse], compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris celles qui lui sont propres, de chercher refuge dans une autre ville de la Pologne, particulièrement à Varsovie ».

 

[43]           Par conséquent, la demande est rejetée.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-9539-12

 

INTITULÉ :

MARIA CZESAK (alias MARIA CZESLAWA CZESAK) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :                            LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 novembre 2013

 

COMPARUTIONS :

Preevanda K. Sapru

POUR LA DEMANDERESSE

 

Tamrat Gebeyehu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Preevanda K. Sapru

Avocate
Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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