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Date : 20131118

                                                                                                                        Dossier :

IMM-96-13

 

Référence : 2013 CF 1152

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

ENTRE :

RASHID HARED BARUD

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          Aperçu

 

[1]               Monsieur Rashid Hared Barud a quitté la Somalie en 1995 et il est déménagé en Afrique du Sud où il a obtenu l’asile en 2011. Monsieur Barud a ensuite présenté une demande de résidence permanente au Canada, mais un agent d’immigration l’a rejetée au motif qu’il n’avait démontré « aucune possibilité raisonnable de solution durable […] réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada » (al 139d), Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [RIPR], LC 2001, ch 27 – voir Annexe). L’agent a conclu que M. Barud disposait d’une solution durable en Afrique du Sud.

 

[2]               Monsieur Barud prétend que l’agent a commis une erreur en appliquant la mauvaise définition de « solution durable » et en arrivant à la conclusion déraisonnable qu’il ne correspond pas à cette définition. Il me demande d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner à un autre agent d’examiner sa demande de résidence permanente.

 

[3]               Je ne vois aucune raison d’annuler la décision de l’agent et, par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. À mon avis, il n’existe aucune définition précise de « solution durable ». La question est donc de savoir si l’agent a conclu de façon raisonnable que M. Barud disposait d’une solution durable en Afrique du Sud. Compte tenu de la preuve, je ne peux conclure que la conclusion de l’agent était déraisonnable.

 

[4]               Il y a deux questions en litige :

 

1.         L’agent a-t-il appliqué la mauvaise définition de « solution durable »?

2.         L’agent a-t-il conclu de façon déraisonnable que M. Barud n’avait pas démontré qu’il n’avait aucune possibilité de solution durable en Afrique du Sud?

 

II.        La décision de l’agent

 

[5]               L’agent a examiné la situation personnelle de M. Barud, soulignant que, depuis 2011, il travaille dans une épicerie somalienne à Port Elizabeth, en Afrique du Sud. Bien qu’il n’ait pas personnellement subi un préjudice, les [traduction] « Somaliens font face à de nombreuses difficultés » à cet endroit. Monsieur Barud et sa femme vivaient constamment dans la peur.

 

[6]               Toutefois, l’agent a conclu que M. Barud et sa femme n’avaient pas été victimes de violence raciste. Ils craignaient être victimes d’un crime, mais les crimes sont fréquents en Afrique du Sud. Leur situation n’était pas différente de celle des autres résidents.

 

[7]               Selon la preuve documentaire portant sur la situation en Afrique du Sud, l’agent a fait remarquer ce qui suit :

 

•           Le gouvernement sud-africain a pris des mesures pour régler le problème de la violence raciste, particulièrement en reconnaissant les instruments internationaux sur les droits de la personne;

•           Un rapporteur spécial des NU a affirmé que l’Afrique du Sud avait pris des mesures pour lutter contre les attaques racistes, même si d’autres améliorations étaient nécessaires;

 

•           Selon le Consortium pour les réfugiés et les migrants en Afrique du Sud [Consortium for Refugees and Migrants in South Africa] (CORMSA), les personnes ayant qualité de réfugié en Afrique du Sud détiennent la plupart des droits conférés aux citoyens, sauf le droit de vote. C’est l’équivalent du statut de résident permanent au Canada;

 

•           Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) offre de nombreux services aux réfugiés en Afrique du Sud.

 

[8]               Dans la lettre de décision envoyée à M. Barud, l’agent a affirmé qu’il ne répondait pas aux conditions permettant d’obtenir le statut de résident permanent parce qu’il n’avait pas prouvé qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable de solution durable en Afrique du Sud, vu qu’il s’y était réinstallé avec succès et qu’il avait, essentiellement, obtenu des droits assimilables à ceux que confère la citoyenneté. L’agent a reconnu que M. Barud avait été victime d’un crime, mais a conclu que ce dernier n’avait pas été victime du genre d’attaques répétitives typiques de la violence raciste. Comme les autres résidents d’Afrique du Sud, M. Barud avait été exposé au crime généralisé.

 

III.       L’agent a-t-il appliqué la mauvaise définition de « solution durable »?

 

[9]               Monsieur Barud prétend que l’agent s’est fondé, à tort, sur les efforts déployés par l’Afrique du Sud pour régler le problème de la violence raciste pour conclure qu’il disposait d’une solution durable là-bas. Il soutient que les efforts déployés pour offrir une protection ne donnent pas nécessairement lieu à une solution durable – la véritable question est de savoir si le pays en question peut réellement offrir une protection.

[10]           Monsieur Barud soutient que le concept de solution durable est une norme internationale qui devrait, par conséquent, être examinée selon la norme de la décision correcte afin de favoriser la cohérence d’un pays à l’autre (comme dans Hernandez Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324).

[11]           Je ne suis pas convaincu que le concept de « solution durable » est une norme internationale devant être examinée selon la norme de la décision correcte. Monsieur Barud a attiré mon attention sur des documents qui démontrent que l’un des objectifs les plus importants de la Convention relative aux réfugiés, telle qu’elle est interprétée par le HCR, consiste à offrir une solution permanente ou durable aux demandeurs d’asile. Pour cette raison, il affirme que le concept de solution durable est une norme juridique internationale.

[12]           Je ne suis pas d’accord. L’objectif général de la Convention relative aux réfugiés est peut-être d’offrir une protection durable aux véritables demandeurs d’asile, mais il ne s’ensuit pas que l’expression « solution durable » utilisée dans le RIPR comprenne une norme juridique internationale. Cette expression n’équivaut pas à la définition de réfugié, ni aux motifs justifiant l’exclusion du statut de réfugié (comme dans Febles, précité), lesquels sont fondés sur la Convention relative aux réfugiés. À mon avis, la question de savoir si un demandeur a une possibilité raisonnable de solution durable dans un pays autre que le Canada nécessite l’appréciation de la situation personnelle du demandeur et de la situation du pays de résidence du demandeur (Mushimiyimana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1124, par 21). Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui commande l’application de la norme de la raisonnabilité. La vraie question dont je suis saisi est donc de savoir si l’agent a conclu de façon déraisonnable que M. Barud avait une possibilité raisonnable de solution durable en Afrique du Sud.


IV.       L’agent a-t-il conclu de façon déraisonnable que M. Barud n’avait pas démontré qu’il n’avait aucune possibilité raisonnable de solution durable en Afrique du Sud?

 

[13]           Monsieur Barud prétend que l’agent n’a pas reconnu qu’il était exposé à de la violence en raison de sa nationalité somalienne et de son statut de réfugié en Afrique du Sud. Selon M. Barud, l’agent a conclu à tort que, comme les autres résidents d’Afrique du Sud, il était exposé à une violence criminelle généralisée.

 

[14]           Dans les documents qu’il a présentés à l’agent, M. Barud soutenait qu’il était ciblé par des gangs et par la police, et qu’il était victime de discrimination en raison de son statut de réfugié somalien. Les personnes dans sa situation ne peuvent pas se prévaloir de la protection de l’État. Il n’a donc pas signalé à la police les crimes dont il a été victime. De plus, M. Barud prétend que la preuve dont disposait l’agent indiquait seulement la volonté, et non la capacité, de le protéger. Par conséquent, même s’il lui incombait de prouver l’absence de protection, la preuve sur laquelle l’agent s’est fondé ne démontrait pas qu’il pouvait se prévaloir de la protection de l’État.

 

[15]           À mon avis, la décision de l’agent n’était pas déraisonnable. La question était de savoir si M. Barud avait une possibilité raisonnable de solution durable en Afrique du Sud, réalisable dans un délai raisonnable. Compte tenu de cette norme prospective, il était loisible à l’agent d’invoquer les efforts déployés par l’État pour améliorer le traitement des étrangers. L’agent a raisonnablement conclu, vu le statut dont M. Barud bénéficiait en Afrique du Sud et la preuve documentaire sur la situation du pays, que M. Barud avait une possibilité raisonnable de solution durable là-bas, même s’il avait été victime d’un crime dans le passé.

 

[16]           La norme de la solution durable est différente du critère relatif à la protection de l’État. Dans ce dernier cas, la question est de savoir si le demandeur éprouverait une crainte fondée de persécution s’il retournait dans son pays d’origine, compte tenu des ressources et de la volonté de l’État de protéger la personne. Dans le cas de la « solution durable », les plans et les intentions de l’État, comparativement à sa capacité et son désir, sont bien plus pertinents. En l’espèce, l’agent a correctement analysé la situation en cours en Afrique du Sud pour les étrangers.  

 

[17]           Par conséquent, je ne peux pas conclure que la décision de l’agent était déraisonnable. Elle représentait une solution acceptable au regard des faits et du droit.

 

V.        Conclusion et dispositif

[18]           La conclusion de l’agent selon laquelle M. Barud avait une possibilité raisonnable de solution durable en Afrique du Sud n’était pas déraisonnable. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[19]           Monsieur Barud a proposé que les questions suivantes soient certifiées :

 

1.                  La norme de contrôle applicable à l’interprétation juridique du concept de solution durable que l’on retrouve à l’alinéa 139(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est celle de la décision correcte ou celle de la raisonnabilité?

2.                  Dans le cas d’un demandeur de résidence permanente au Canada qui prétend avoir besoin de protection, est-ce qu’une solution durable dans un pays autre que le Canada exige que le pays manifeste une volonté et une capacité de protéger le demandeur?

3.                  L’existence d’un risque de criminalité généralisée est-elle pertinente lorsqu’il s’agit de statuer qu’un demandeur de résidence permanente au Canada qui prétend avoir besoin de protection dispose d’une solution durable dans un pays autre que le Canada?

[20]                       À mon avis, ces questions ne devraient pas être énoncées. La première question soulève une question qui a été réglée par la jurisprudence (p. ex., Mushimiyimana, précité). De même, en ce qui concerne la deuxième question, il ressort clairement de la jurisprudence que la situation personnelle du demandeur et la situation qui règne dans le pays doivent être prises en considération, ce qui inclut manifestement la capacité et la volonté de l’État de protéger ses résidents. S’agissant de la troisième question, l’existence du crime généralisé n’était qu’un des facteurs invoqués par l’agent en l’espèce. Même si l’on devait conclure que l’agent a tenu compte, à tort, de ce facteur, la conclusion de l’agent selon laquelle M. Barud disposait d’une solution durable en Afrique du Sud serait probablement confirmée. La réponse à la question proposée ne serait donc pas déterminante de l’issue de la présente demande. Par conséquent, aucune des questions proposées ne soulève une question de portée générale.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.  

 

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


Annexe

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

 

Exigences générales

 

  139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

[…]

 

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

 

 

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

 

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

Immigration and Refugee Protection Regulations, SC 2001, c 27

 

 

General requirements

 

  139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

 

 

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

 

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence, or

 

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country;

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-96-13

 

INTITULÉ :

RASHID HARED BARUD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 15 OCTOBRE 2013

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :

                                    LE JUGE O’REILLY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 18 NOVEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brendan Friesen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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