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Date : 20131118

Dossier : IMM-10228-12

Référence : 2013 CF 1167

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

TONG LE SU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [le commissaire] a rejeté la demande d’asile de M. Su parce qu’il n’a pas trouvé crédible son allégation selon laquelle il était poursuivi par le bureau de la sécurité publique de la Chine [PSB] et qu’il doutait de l’authenticité de sa pratique de la foi pentecôtiste au Canada.

[2]               La décision par laquelle le commissaire a rejeté la demande d’asile de M. Su au motif que ce dernier n’était pas crédible ne peut être maintenue étant donné que de trop nombreuses conclusions défavorables tirées par le commissaire relativement à la crédibilité étaient fondées sur des hypothèses et des déductions non appuyées par le dossier.

 

[3]               La plus importante de ces déductions a poussé le commissaire à conclure que l’Avis d’arrestation délivré à la suite de l’arrestation des parents de M. Su était probablement frauduleux et, subsidiairement, que si les parents avaient été arrêtés et que ce fait était documenté, le PSB aurait également délivré une assignation à M. Su, ce qu’il n’a pas fait.

 

[4]               Le commissaire a conclu que l’Avis d’arrestation était probablement frauduleux pour trois raisons. La première est que M. Su a communiqué le document à la Commission à peine quatre jours avant l’audience, alors qu’il avait communiqué d’autres documents plus tôt. 

 

[5]               S’il existait d’autres indices du caractère frauduleux de ce document, alors le fait qu’il ait été communiqué d’une manière si opportuniste pourrait être pertinent. Toutefois, le commissaire n’a pas procédé à une évaluation indépendante pour déterminer si le document pouvait être valide. Il y a lieu de noter que M. Su a lui-même remis l’Avis d’arrestation avec sa carte d’identité de résident et son certificat de résidence (hukou); le commissaire n’a pas mis en doute la validité de ces pièces. De fait, le commissaire s’est fié à ces deux documents pour établir l’identité et la nationalité de M. Su. Si le fait que ces documents ont été produits tardivement n’a pas mis en cause leur authenticité, pourquoi donc la présentation tardive de l’Avis d’arrestation mettrait-elle en doute l’authenticité de ce document? Je constate aussi que le commissaire, lors d’une interruption de l’audience, aurait déclaré, après l’avoir fait examiner, que la carte d’identité de résident ne semble pas poser de problème manifeste. Pourquoi n’a-t-il pas aussi fait vérifier l’Avis d’arrestation? Quoi qu’il en soit, rien dans le dossier ne donne à croire que l’Avis d’arrestation posait problème, et je dois donc supposer qu’il s’agissait d’un document authentique en toute apparence.

 

[6]               La deuxième raison pour laquelle le commissaire a conclu que l’Avis d’arrestation était probablement frauduleux est que le demandeur a prétendu que ses parents ont été arrêtés deux mois après qu’il leur eut envoyé par courriel des brochures religieuses alors qu’ils avaient fréquenté leur maison‑église pendant vingt ans sans incident. Le commissaire écrit que cette arrestation est une « extraordinaire coïncidence » et considère de ce fait comme suspects la descente à l’église et l’arrestation des parents de M. Su. Je ne vois rien d’extraordinaire dans le moment où s’est produite la descente.   

 

[7]               Exprimant des doutes sur le fait que M. Su avait envoyé ces brochures religieuses par courriel, le commissaire a lui-même fait remarquer que les autorités chinoises surveillent l’utilisation d’Internet et du courriel dans le pays. Il s’est exprimé en ces termes : « [I]l est raisonnable de présumer qu’il [le demandeur] savait que les autorités chinoises surveillaient officiellement le Web, qu’il aurait pris des précautions et utilisé un site neutre et qu’il aurait été inquiet à l’idée d’envoyer des documents à ses parents » (non souligné dans l’original). En conséquence, il est très possible que les autorités aient intercepté le message envoyé par courriel et qu’elles aient ainsi compris que les parents de M. Su avaient reçu des documents religieux et qu’ils fréquentaient une église chrétienne non étatique.

 

[8]               Je constate que le commissaire n’a jamais signalé qu’il ne croyait pas que le courriel avait été envoyé; on ne peut que supposer qu’il a tiré cette conclusion. Le commissaire a retenu de manière très sélective certains passages du témoignage de M. Su pour étayer sa conclusion. Dans ces motifs, le commissaire dit que M. Su a « affirmé qu’il est écrit dans la Bible que Dieu lui viendra en aide » et « qu’il n’y avait pas pensé à l’époque ». Le commissaire a rejeté les deux explications. Toutefois, voulant donner une explication plus détaillée, M. Su a affirmé que les pièces jointes au courriel n’étaient pas, selon lui, d’une nature politique susceptible d’offenser les autorités chinoises, et qu’elles portaient essentiellement sur le concept de l’Église au Canada. Il a en outre expliqué que comme ses parents avaient pratiqué leur foi pendant si longtemps sans que cela ne leur crée de difficultés, il ne pensait pas que les documents qu’il leur avait envoyés allaient causer de gros problèmes. Enfin, il a mentionné dans son témoignage que ses parents lui avaient demandé de leur envoyer les documents. Il ne l’a pas fait de sa propre initiative. Le commissaire n’a tenu compte d’aucune de ces explications, et s’il l’avait fait, sa conclusion aurait pu être différente. 

 

[9]               Enfin, le commissaire fait remarquer qu’il est facile de se procurer des documents frauduleux en Chine. Comme la Cour en a déjà statué, il ne s’ensuit pas que tous les documents qui proviennent de la RPC sont nécessairement frauduleux, et le commissaire est tenu d’examiner et de soupeser le document qui lui a été présenté et non de le rejeter d’entrée de jeu (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 157, aux paragraphes 54 et 55).

 

[10]           Le commissaire suppose que si l’Avis d’arrestation était authentique, il aurait été « raisonnable de supposer qu’il devrait exister des documents démontrant que [M. Su] représente un intérêt pour le PSB ». Cette supposition n’est tout simplement pas fondée. Les parents de M. Su ont été arrêtés, et un document a été délivré à cet effet. M. Su n’a pas été arrêté. Ce document n’était pas un mandat d’arrestation, mais plutôt un document indiquant la date à laquelle les parents de M. Su ont été arrêtés et l’endroit où ils ont été mis sous garde. Ses parents vivaient en Chine, M. Su au Canada. À défaut d’une mention dans le cartable national de documentation étayant l’hypothèse du commissaire, cette conclusion n’est que pure conjecture de sa part, injustifiée et déraisonnable. 

 

[11]           Le commissaire a tiré sa conclusion relative à la crédibilité essentiellement en tenant pour acquis que l’Avis d’arrestation était frauduleux et en construisant l’hypothèse non fondée selon laquelle un document semblable aurait dû être délivré à l’endroit de M. Su. Ne reposant pas sur des assises solides, la conclusion relative à la crédibilité doit être considérée comme déraisonnable.

 

[12]           Le commissaire, « [a]près avoir conclu que le témoignage du demandeur d’asile n’était pas crédible en ce qui a trait au fait qu’il [était] poursuivi par le PSB », conclut en outre que le demandeur est devenu membre d’une église à Toronto afin d’éviter d’être expulsé et qu’il n’est pas un véritable chrétien. Cette conclusion est également déraisonnable parce qu’elle est fondée sur la supposition, déraisonnable aussi, que l’argument voulant que le demandeur était poursuivi par le PSB n’était pas crédible.

 

[13]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision ayant pour effet de rejeter la demande d’asile est annulée, que la demande sera renvoyée à un commissaire différent pour qu’il rende une nouvelle décision, et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10228-12

 

 

INTITULÉ :                                      TONG LE SU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 novembre 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 novembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jayson Thomas

 

 

              POUR LE DEMANDEUR

Nimanthika Kaneira  

 

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEVINE ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

            POUR LE DEMANDEUR

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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