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Date : 20131126

Dossier : IMM‑11479‑12

Référence : 2013 CF 1185

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 26 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

ZEINA ALI JABER

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) pour obtenir le contrôle judiciaire du défaut du défendeur de rendre une décision au sujet de la demande résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse. La demanderesse sollicite une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de rendre une décision définitive sur sa demande de résidence permanente.

 

Contexte factuel

[2]               Zeina Ali Jaber (demanderesse) est citoyenne du Liban. Elle a obtenu le droit d’établissement au Canada en 2003 et a fait une demande d’asile le jour même.

 

[3]               Le 15 février 2005, la demanderesse a été reconnue à titre de réfugiée au sens de la Convention. Le 26 février 2005, elle a déposé une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des personnes protégées.

 

[4]               Le 26 mai 2005, Citoyenneté et Immigration Canada (défendeur) a commencé à traiter la demande de résidence permanente de la demanderesse.

 

[5]               Le 26 juin 2005, une enquête de sécurité a été entreprise pour se renseigner au sujet des antécédents de la demanderesse.

 

[6]               Le 6 juillet 2010, le défendeur a informé la demanderesse qu’avant de rendre une décision sur sa demande de résidence permanente, il devait mettre son dossier à jour. Le défendeur a demandé à la demanderesse de fournir divers certificats et documents financiers personnels dans les trente (30) jours.

 

[7]               Le 4 août 2010, la demanderesse a fourni au défendeur les documents demandés.

 

[8]               Entre le 7 septembre 2006 et le 5 mars 2010, le défendeur a effectué diverses enquêtes au sujet d’une intervention possible dans la demande d’asile de Jaafar Mohamad Sbeiti. La demanderesse a divorcé de M. Sbeiti le 19 mars 2002 lorsqu’ils vivaient aux États‑Unis. Le 28 février 2007, ils se sont remariés au Canada. Le 16 avril 2010, M. Sbeiti a obtenu le statut de réfugié au Canada. Le 10 mai 2010, le défendeur a commencé à traiter la demande de résidence permanente de M. Sbeiti.

 

[9]               Le 6 décembre 2010, une enquête de sécurité a été entreprise pour se renseigner au sujet des antécédents de M. Sbeiti.

 

[10]           Le défendeur a décidé, compte tenu des liens entre la demanderesse et M. Sbeiti et des nombreux recoupements dans leurs déclarations, d’attendre le résultat de l’enquête de sécurité sur M. Sbeiti avant de rendre une décision définitive sur la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse.

 

[11]           Le 19 janvier 2011, la demanderesse a adressé une lettre au défendeur pour demander s’il avait reçu les documents demandés, s’il avait besoin d’autres renseignements et quand il envisageait de terminer le traitement de sa demande.

 

[12]           Le 2 février 2011, le défendeur a confirmé à la demanderesse avoir reçu les documents demandés, qu’il n’avait besoin d’aucun autre renseignement et qu’il n’était pas en mesure de confirmer à quel moment le traitement de la demande serait terminé.

 

[13]           Le 19 septembre 2012, la demanderesse s’est de nouveau adressée par écrit au défendeur pour obtenir une mise à jour sur le traitement de sa demande.

 

[14]           Le 24 septembre 2012, le défendeur a répondu que la demande était [traduction] « actuellement en attente de traitement » et qu’il n’était pas possible de confirmer le délai de traitement [traduction] « du fait que ce délai varie selon le nombre de demandes en cours de traitement, la complexité du dossier et l’obtention des résultats de toutes les démarches prescrites par la loi pour que le dossier de [la demanderesse] et sa famille soit en règle ».

 

[15]           Le 9 novembre 2012, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire pour l’inaction du défendeur [traduction] « en ce qui concerne son défaut de traiter en temps utile la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse », où elle sollicite, entre autres choses, [traduction] « une ordonnance de mandamus ».

 

[16]           Le 17 janvier 2013, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a déposé, au titre des paragraphes 108(1)a) et 108(1)e) de la Loi, une demande visant la perte de l’asile au Canada de la demanderesse et de M. Sbeiti. Cette demande était fondée sur les contradictions qu’il aurait relevées dans les dossiers de la demanderesse et de M. Sbeiti ainsi que sur des questions de sécurité.

 

Question en litige

[17]           La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la demanderesse a le droit d’obtenir une ordonnance de mandamus quant à sa demande de résidence permanente.

 

[18]           La demanderesse soutient que le défendeur a manqué à son devoir d’appliquer en temps utile les dispositions de la Loi. Elle avance qu’un délai de huit (8) ans pour traiter sa demande de résidence permanente n’est pas raisonnable (Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33, FTR 215 (1re inst.) [Conille]).

 

[19]           La demanderesse souligne qu’elle a fourni au défendeur les documents supplémentaires demandés en temps opportun, qu’elle n’a rien fait pour retarder le traitement de son demande et que le défendeur n’a donné aucune explication satisfaisante pour se justifier. Pour ces motifs, la demanderesse soutient que toutes les conditions sont respectées pour obtenir une ordonnance de mandamus comme il est énoncé dans Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 18 Admin. LR (2d) 122 (CA), conf. par [1994] 3 RCS 1100 [Apotex].

 

[20]           Dans sa réponse, le défendeur se reporte au paragraphe 21(3) de la Loi entrée en vigueur récemment (2012) pour soutenir qu’il ne servirait à rien de prononcer une ordonnance de mandamus alors qu’une demande visant la perte de l’asile est pendante, car si cette dernière est accueillie, elle nierait tout droit à la résidence permanente (Tapie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1048, au paragraphe 9, [2007] ACF no 1368 (QL); Kang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1118, aux paragraphes 24 à 27, [2001] ACF no 1544 (QL) [Kang]).

 

[21]           En outre, le défendeur soutient que les conditions ne sont pas respectées par la défenderesse pour solliciter une ordonnance de mandamus, car le long délai de traitement peut trouver une explication satisfaisante (paragraphes 18 à 28 du document intitulé « Mémoire et affidavit du défendeur »). Le défendeur souligne aussi que la Loi ne prescrit aucun délai pour le traitement des demandes de résidence permanente. Enfin, le défendeur souligne que selon l’alinéa 3(1)h) de la Loi, il a la responsabilité de protéger la santé et la sécurité publiques et de garantir la sécurité des Canadiens ainsi que d’examiner tout motif possible d’interdiction de territoire au titre des articles 34 à 39 de la Loi.

 

Analyse

[22]           La Cour est d’avis que, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire dont elle est saisie, elle ne peut pas prononcer une ordonnance de mandamus.

 

[23]           Avant de procéder à son analyse (ci‑après), la Cour rappelle qu’au début de l’audience, le défendeur a déposé une lettre, un affidavit et une série de courriels. Selon ces documents, la Section de l’immigration et de la protection des réfugiés n’a toujours pas rendu sa décision sur la demande visant la perte de l’asile présentée par le défendeur en janvier 2013. La demanderesse s’est opposée au dépôt de cette information. La Cour estime toutefois que l’information fournie par le défendeur est pertinente en l’espèce et qu’elle ne cause aucun préjudice à la demanderesse. Par conséquent, la Cour en tiendra compte.

 

[24]           La Cour fait remarquer que dans Apotex, précité, la Section d’appel de la Cour fédérale, comme elle était désignée à l’époque et dont la décision a été confirmée par la Cour suprême du Canada, énonce les conditions suivantes qu’il faut respecter avant de prononcer une ordonnance de mandamus :

a)                  Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances;

b)                  L’obligation doit exister envers le requérant;

c)                  Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

i)        le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation, et il doit y avoir eu

ii)      une demande d’exécution de l’obligation,

iii)    un délai raisonnable pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ,

iv)    et un refus exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

d)                 Le requérant n’a aucun autre recours;

e)                  L’ordonnance sollicitée doit avoir une incidence sur le plan pratique;

f)                   Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

g)                  Compte tenu de la « prépondérance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

 

Dans Conille, la présente Cour a statué que l’exécution tardive d’une obligation prévue par la loi sera jugée déraisonnable si :

a)                  le délai a été plus long que ce que la nature du processus exige à première vue;

b)                  ni le demandeur ni son conseiller juridique n’en sont responsables;

c)                  l’autorité responsable du prolongement du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

[25]           En l’espèce, le défendeur soutient essentiellement qu’en raison de la demande pendante visant la perte de l’asile accordé à la demanderesse, la condition c) de l’arrêt Apotex n’est pas respectée. Le défendeur prétend aussi que la demanderesse a contribué au prolongement du délai de traitement de sa demande de résidence permanente parce qu’elle n’a pas dissipé l’incertitude entourant son état matrimonial et parce que le passeport de son mari était incomplet. Ainsi, selon le défendeur, la défenderesse n’a pas pu établir qu’elle n’était pas responsable du prolongement du délai comme il en est question à la condition c) dans Conille. Le défendeur ne conteste pas le fait que la demanderesse respecte toutes les autres conditions énoncées tant dans Apotex que dans Conille.

 

[26]           La Cour reconnaît que le prolongement du délai de traitement de la demande de résidence permanente de la demanderesse est en partie attribuable aux enquêtes de sécurité liées aux dossiers de cette dernière et de son mari. Il est vrai aussi que la nécessité de mener des enquêtes de sécurité peut constituer une explication satisfaisante des longs délais de traitement (Kang, précitée, au paragraphe 21; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 585, (1999) 47 Imm LR (2d) 83; Chaudhry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1695, 157 F.T.R. 213; Lee c Canada (Secrétaire d’État), [1987] ACF no 1130, 16 FTR 314; Aowad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1581, 75 ACWS (3d) 928; Seyoboka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1290, au paragraphe 10, [2005] ACF no 1611 (QL); Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1040, [2002] ACF no 1373 (QL).

 

[27]           En l’espèce, plus de huit (8) ans se sont écoulés depuis que la demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente. Le défendeur fait référence à un certain nombre de documents qui démontrent la complexité du dossier, raison justifiant le long délai. Le défendeur est aussi d’avis que la demanderesse est en partie responsable du prolongement du délai.

 

[28]           Un examen minutieux de ces documents montre que neuf (9) des dix (10) documents auxquels le défendeur s’est reporté à l’audience étaient à la disposition du défendeur avant 2008. La Cour fait aussi remarquer que chaque fois où la demanderesse s’est fait demander de fournir de l’information ou des documents, elle semble s’être acquittée de cette demande dans les délais prescrits.

 

[29]           À ce point‑ci, la Cour doit toutefois se tourner vers le paragraphe 21(3) de la Loi, où il est prévu ce qui suit :

Statut et autorisation d’entrer

 

 

Résident permanent

 

21. (1)

[…]

 

Demande pendante —paragraphe 108(2)

 

(3) La personne à l’égard de laquelle le ministre a fait la demande visée au paragraphe 108(2) ne peut devenir résident permanent aux termes du paragraphe (2) tant que cette demande est pendante.

 

Status and Authorization to Enter

 

Permanent resident

 

21. (1)

 

Pending application —subsection 108(2)

 

(3) A person in respect of whom the Minister has made an application under subsection 108(2) may not become a permanent resident under subsection (2) while the application is pending.

 

[30]           Le paragraphe 21(3) de la Loi touche la question d’une personne qui fait une demande de résidence permanente, mais qui est aussi visée par une demande visant la perte de l’asile. Essentiellement, le défendeur soutient que la Cour devrait s’abstenir de prononcer une ordonnance de mandamus parce qu’il est trop tôt pour le faire.

 

[31]           En particulier, le paragraphe 21(3) de la Loi prévoit dans la version française qu’une personne « ne peut devenir résident permanent » – et dans la version anglaise, « may not become a permanent resident » – tant qu’une demande prévue au paragraphe 108(2) visant la perte de l’asile est pendante.

 

[32]           À sa face même, le paragraphe 21(3) de la Loi est clair quant au fait que la demande visant la perte de l’asile doit suivre son cours et qu’il n’est pas possible de rendre une décision sur toute demande antérieure de résidence permanente avant qu’une décision soit rendue sur la question de l’asile. La raison en est bien simple : s’il est jugé que la demanderesse est interdite de territoire, il s’ensuit nécessairement que la demande de résidence permanente ne suivra pas son cours. En revanche, si la demande d’asile de la demanderesse est confirmée, la demande de résidence permanente suivra alors son cours. Par conséquent, d’ici à ce qu’une décision soit rendue sur la question de la perte de l’asile, le paragraphe 21(3) de la Loi a pour effet que la demanderesse n’a pas de « droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation » (Apotex). En arriver à une autre conclusion irait à l’encontre du cadre général et de l’objet de la Loi.

 

[33]           Enfin, la Cour fait remarquer que la demande visant la perte de l’asile au titre du paragraphe 108(2) de la Loi a été déposée deux (2) mois après que la demanderesse eut présenté une demande d’ordonnance de mandamus. Si la demanderesse a soutenu que la demande visant la perte de l’asile déposée par le défendeur peut constituer [traduction] « une excuse pour justifier son inaction et servir de moyen de défense dans la présente demande » ou un motif ultérieur pour justifier le prolongement du délai dans le traitement de la demande de résidence permanente de la demanderesse, aucune preuve n’a toutefois été présentée à la Cour pour étayer cette allégation. Dans les circonstances, cette dernière repose sur des conjectures.

 

[34]           Pour l’ensemble de ces motifs, la Cour ne peut accorder la mesure demandée par la demanderesse. Les parties n’ont déposé aucune question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.         que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée;

2.         qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Labrecque

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑11479‑12

 

INTITULÉ :                                                  ZEINA ALI JABER c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 novembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 26 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara J. Leiter

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mario Blanchard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara J. Leiter, avocate, inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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