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Date : 20131203

Dossier : IMM‑9657‑12

Référence : 2013 CF 1206

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

ABDUL WADUD BABUL

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Abdul Wadud Babul, citoyen du Bangladesh, demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. La demande est fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

[3]               Monsieur Babul a vécu et a travaillé aux États‑Unis entre novembre 1985 et janvier 2004. Pendant qu’il était aux États‑Unis, il s’est rendu dans son pays d’origine plusieurs fois. Au cours d’un de ses voyages, il s’est marié. Après son retour au Bangladesh en 2004, on l’a contraint à soutenir le parti Jamaat‑ul‑Mujahideen du Bangladesh (JMB) et la Ligue Awami. On l’a également menacé de préjudices corporels et on lui a réclamé de l’argent, qu’il a fourni à plusieurs occasions. M. Babul a longtemps soutenu le Parti national du Bangladesh (BNP). Le BNP était au pouvoir à l’époque, et, en 2005, le JMB a été banni. Un certain nombre de dirigeants du JMB ont été détenus, mais les membres locaux ont intensifié leurs activités militantes partout au pays.

 

[4]               Les membres du JMB et de la Ligue Awami ont continué de harceler M. Babul, lui extorquant de l’argent et le menaçant de faire du mal à sa famille s’il ne payait pas. M. Babul a quitté le Bangladesh pour Guam en mars 2006, en route vers la partie continentale des États‑Unis. Il a demandé l’asile à son arrivée à l’aéroport de Guam, mais il été détenu par les autorités quand il a été déterminé qu’il avait utilisé de faux titres de voyage. M. Babul a été détenu en prison pendant six mois et, par la suite, dans un centre de détention pendant trois mois, en attendant son expulsion.

 

[5]               Monsieur Babul allègue qu’il a été torturé mentalement et physiquement pendant sa détention à Guam. Il affirme que c’est pourquoi il a retiré sa demande d’asile. Un agent d’immigration des États‑Unis lui a demandé s’il avait été menacé pendant qu’il était en détention et d’expliquer pourquoi il voulait retourner à la maison s’il était exposé à la persécution là‑bas. M. Babul dit qu’il a nié avoir fait l’objet de menaces par crainte d’être torturé de nouveau ou d’être envoyé au camp de détention de la baie de Guantanamo. Il a dit à l’agent qu’il préférait rentrer chez lui et mourir plutôt que de rester en détention.

 

[6]               Monsieur Babul est retourné au Bangladesh le 15 décembre 2006. En janvier 2007, l’état d’urgence a été déclaré au Bangladesh. M. Babul s’est engagé auprès d’un organisme, le Durniti Protirodh Anddolan (le mouvement anticorruption), créé pour combattre la corruption. En mai 2007, M. Babul a reçu une menace selon laquelle on s’en prendrait à sa famille s’il ne cessait pas ses activités au sein du mouvement anticorruption. Il a déposé le jour même une plainte auprès de la police et a continué son travail politique, devenant l’un des 301 membres du comité électoral de Sylhet au nom du BNP.

 

[7]               En novembre 2008, on a demandé à M. Babul de se joindre à la Ligue Awami en vue des élections à venir. Celui‑ci a refusé. Une alliance ayant à sa tête la Ligue Awami a gagné les élections générales du 29 décembre 2008. Le 10 février 2009, des membres de la Ligue Awami se sont rendus à la maison de M. Babul et l’ont sommé de faire un don. On lui a dit qu’il devait amasser le montant exigé au plus tard le 20 février 2009. M. Babul a signalé l’incident à la police, mais on l’a accusé de mentir. Il est entré dans la clandestinité. Sa maison a été mise à sac le 20 février 2009. À la suite d’autres menaces de membres du JMB et d’un épisode où la police était à sa recherche, il a quitté le Bangladesh en mai 2009. Il est entré au Canada avec un faux passeport américain, a détruit le passeport et a déposé une demande d’asile dans un bureau intérieur environ une semaine plus tard.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               Les questions déterminantes pour le tribunal concernaient la crédibilité du demandeur et l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Dacca. Le tribunal a noté que le demandeur n’avait jamais présenté de demande d’asile au cours des 18 années où il avait vécu aux États‑Unis avant son retour au Bangladesh en 2004. Le tribunal a déterminé qu’il était invraisemblable que le demandeur soit resté deux ans au Bangladesh avant de partir pour Guam et ait ensuite accepté de retourner au Bangladesh depuis Guam en décembre 2006 s’il craignait pour sa vie. Le tribunal ne l’a pas cru lorsqu’il a allégué avoir été torturé par les autorités américaines à Guam. Dans son examen du dossier de l’entrevue, le tribunal a conclu que le demandeur se souciait de sa mise en liberté et qu’il retournerait au Bangladesh s’il ne pouvait pas être libéré.

 

[9]               Le tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi attestant sa participation de longue date aux activités politiques du BNP ou démontrant que, en raison de cette participation, sa vie était menacée. Plus particulièrement, le tribunal a jugé que les documents soumis pour établir l’appartenance du demandeur au parti ne décrivaient ni son rôle ni ses antécédents au sein du BNP, ni même ses activités avant l’élection de 2008. Le tribunal a conclu que les documents ne contenaient pas suffisamment de renseignements pour le convaincre de l’engagement du demandeur auprès du BNP. Il a aussi conclu qu’une modification du Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur ayant trait à une agression et aux soins médicaux que le demandeur avait demandés le 25 décembre 2008 avait été faite après coup afin d’établir que la vie du demandeur était menacée.

 

[10]           Le tribunal a déclaré qu’il ne croyait pas les allégations du demandeur, mais qu’il existait selon lui une PRI viable à Dacca. À son avis, il y avait peu d’éléments de preuve crédibles donnant à penser que ce sont les liens du demandeur avec le BNP qui avaient amené le parti politique actuel, le gouvernement ou la police à le rechercher à Dacca et partout au Bangladesh. De plus, le tribunal était d’avis que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure que le demandeur était actuellement membre du BNP ou qu’il aurait commencé à participer aux activités du BNP, ce qui pourrait l’exposer à une menace à sa vie s’il devait retourner au Bangladesh, en raison de la violence politique là‑bas.

 

[11]           Selon le tribunal, rien ne permettait de croire que le demandeur ne pourrait pas déménager à Dacca, puisqu’il s’agit d’une ville très grande et qu’elle est éloignée du lieu où il a déjà habité. En outre, le demandeur n’a pas établi comment on pourrait le trouver à Dacca ni pourquoi il ne pouvait chercher à obtenir la protection de la police, puisqu’il l’avait déjà demandée en avril 2009.

 

QUESTIONS À TRANCHER

[12]           Les questions soulevées dans la présente procédure peuvent être résumées comme suit :

1.      Était‑il raisonnable pour le tribunal de conclure que le demandeur n’était pas crédible?

2.      Le tribunal a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale dans son traitement de la décision du demandeur de retourner au Bangladesh en 2006?

3.      Était‑il raisonnable pour le tribunal de conclure qu’il y avait une PRI viable pour le demandeur?

 

[13]           La norme de contrôle applicable à la première et à la troisième questions est celle du caractère raisonnable. La deuxième question suppose un examen fondé sur la norme de la décision correcte : Yildiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 839, aux paragraphes 42 à 45, (2013) ACF no 905; Soto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 360, au paragraphe 19, (2011) ACF no 446.

 

ANALYSE

Était‑il raisonnable pour le tribunal de conclure que le demandeur n’était pas crédible?

 

[14]           Les problèmes du demandeur avec les partis politiques adverses ont apparemment commencé avant son départ pour les États‑Unis en 1985. M. Babul n’a pas cherché à obtenir l’asile durant cette période et est retourné dans son pays d’origine plusieurs fois avant d’y retourner en janvier 2004. Il dit qu’il s’est rendu compte que sa vie était menacée dès le mois de mars 2004, mais il est resté deux ans au Bangladesh avant de partir pour Guam. Il était loisible au tribunal de conclure, à la lumière de la preuve, que cela n’était pas compatible avec une crainte subjective de persécution.

 

[15]           Il lui était aussi loisible de ne pas croire l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été torturé pendant sa détention à Guam. Cela n’a pas été signalé aux autorités américaines quand le demandeur a été interviewé avant sa libération. Même si l’explication du demandeur pour ne pas l’avoir fait était plausible, il est clair qu’il a choisi de retirer sa demande d’asile plutôt que de continuer d’être détenu en attendant l’évaluation de sa demande d’asile par les États‑Unis, où la question de la torture aurait pu être soulevée.

 

[16]           Le tribunal a procédé à un examen exhaustif des éléments de preuve produits par le demandeur avant de rendre sa décision défavorable quant à la crédibilité de son affirmation selon laquelle il participait activement aux activités du BNP. Plus précisément, le tribunal était d’avis que les documents soumis par le demandeur manquaient de « renseignements provenant de sources indépendantes, crédibles, dignes de foi » permettant de conclure que le demandeur « est bien la personne qu’il prétend être » au sein du BNP. De plus, il a souligné qu’aucun des documents ne précise de quoi le demandeur aurait été accusé ni n’établit qu’il avait au sein du BNP un statut qui attirerait l’hostilité de ses opposants. Donc, le tribunal n’a pas fait fi de cette preuve documentaire : il lui a plutôt accordé une faible valeur probante après un examen attentif, mené dans le cadre de l’audience, qui s’inscrivait dans les limites de son pouvoir discrétionnaire.

 

[17]           Le tribunal a évalué la preuve corroborante fournie par le demandeur pour établir le bien‑fondé de sa demande avant de conclure que la preuve dans son ensemble lui faisait douter du bien‑fondé de la demande d’asile. Il n’était pas nécessaire pour le tribunal de passer en revue de façon explicite chaque élément de cette preuve dans ses motifs : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16. Le tribunal a abordé de façon explicite les éléments de preuve pris en considération dans sa conclusion relative à la crédibilité du demandeur et, à la lumière de ces éléments de preuve, a raisonnablement conclu que l’affirmation du demandeur selon laquelle sa vie était menacée en raison de ses liens avec le BNP n’était pas crédible.

 

Le tribunal a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale dans son traitement de la décision du demandeur de retourner au Bangladesh en 2006?

 

[18]           Le demandeur prétend que, durant l’audience, le tribunal a affirmé de façon répétée que les motifs du demandeur concernant le retrait de sa demande d’asile et son retour au Bangladesh depuis Guam en 2006 n’étaient pas pertinents pour sa demande d’asile et a demandé à ce moment‑là à sa conseil d’orienter ses questions sur la crainte de retourner au Bangladesh et non pas sur ce qui c’était produit à Guam.

 

[19]           L’audition de la demande d’asile s’est déroulée sur plusieurs jours. Il ressort de la transcription que, à mesure que la conclusion de l’audition approchait, le tribunal voulait délaisser la question de ce qui c’était passé à Guam, cela étant déjà au dossier, et se concentrer sur la demande d’asile à l’égard du Bangladesh. Si les événements survenus à Guam étaient pertinents pour ce qui est de savoir pourquoi le demandeur avait retiré sa demande d’asile et était rentré chez lui en 2006, ils n’avaient quand même pas de lien direct avec la demande d’asile. Le tribunal a manifestement considéré que les événements survenus à Guam avaient été abordés suffisamment et trouvait que la conseil revenait toujours sur le même thème. Après avoir lu les parties pertinentes de la transcription, je peux comprendre comment le tribunal peut être arrivé à cette conclusion.

 

[20]           Il est problématique que le tribunal ait d’emblée accepté les affirmations que le demandeur avait faites au cours de son entretien avec les autorités de l’immigration des États‑Unis sans les présenter au demandeur pour lui permettre de s’expliquer. Cependant, le tribunal a reconnu que la conseil devrait être autorisée à aborder ce sujet, et le tribunal et la conseil ont invité le demandeur à expliquer pourquoi il avait retiré sa demande d’asile à Guam. Dans les deux cas, le demandeur a expliqué qu’il l’avait fait à cause de la violence qu’il avait subie en prison à la suite de sa détention initiale.

 

[21]           La conseil du demandeur avait la possibilité, à l’audience, de demander à son client d’expliquer les réponses qu’il avait données à l’agent d’immigration des États‑Unis pendant l’entrevue. Elle lui a bel et bien demandé pourquoi il n’avait pas dit à l’agent d’immigration qu’il avait été torturé, mais elle a ensuite choisi d’insister sur ce qui se serait passé au centre de détention et sur le fait de savoir si le demandeur avait eu accès à un avocat. Si le demandeur avait eu des éléments de preuve supplémentaires à fournir à l’appui des motifs justifiant le retrait de sa demande d’asile, sa conseil a omis de les mettre en lumière pendant ce qui a été une longue audience.

 

[22]           Il est clair que le tribunal a compris l’explication du demandeur concernant le retrait de sa demande d’asile aux États‑Unis. Il n’a simplement pas cru que le demandeur aurait quitté le territoire des États‑Unis s’il craignait d’être tué au Bangladesh.

 

[23]           Le tribunal aurait pu faire preuve d’une plus grande patience dans la conduite de l’audience, mais aucun manquement à l’équité procédurale ne s’est produit.

 

Était‑il raisonnable pour le tribunal de conclure qu’il y avait une PRI viable pour le demandeur?

 

[24]           Pour déterminer que le demandeur a une PRI viable et sûre, le tribunal doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI et que la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances, y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier : Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 703, aux par. 36 à 38.

 

[25]           C’est au demandeur d’asile qu’il incombe de prouver que la PRI est inexistante ou déraisonnable : Saldana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1092, au par. 22.

 

[26]           En l’espèce, le tribunal a invité le demandeur à expliquer pourquoi il ne pouvait pas déménager à Dacca, ville de plus de 10 millions d’habitants, utiliser les services de santé et d’éducation et d’autres services et chercher à obtenir l’aide des autorités, au besoin. Le seul motif du demandeur pour ne pas accepter la PRI proposée était que, en raison de ses activités politiques, il se trouvait sur la liste des cibles de la Ligue Awami qui prévalait partout au pays. Comme je l’ai déjà mentionné, le tribunal n’a pas accepté l’affirmation selon laquelle le demandeur avait le statut politique qu’il affirmait avoir au sein du BNP et de l’organisation anticorruption à Sylhet, ville située à quelque 400 kilomètres de Dacca, dont il était l’un des 300 membres

 

[27]           À la lumière du témoignage du demandeur lui‑même, la décision du tribunal selon laquelle il existe une PRI viable était raisonnable.

 

[28]           Dans l’ensemble, la décision est transparente, intelligible et justifiée, et elle fait partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

 

[29]           Aucune question d’importance générale n’a été proposée, et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑9657‑12

 

INTITULÉ :                                                  ABDUL WADUD BABUL c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 1er octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE :                                                          Le 3 décembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ian Wong

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

IAN WONG

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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