Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20140221

 

Dossier : IMM-13227-12

 

Référence : 2014 CF 170

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 21 février 2014

En présence de madame la juge Simpson

 

ENTRE :

B261

 

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE


 

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne un Tamoul célibataire âgé de 30 ans originaire du Sri Lanka (le demandeur). Il est arrivé au Canada à bord du MS Sun Sea le 13 août 2010. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d’asile en qualité de réfugié et de personne à protéger et sa demande d’asile « sur place » aux termes d’une décision datée du 7 novembre 2012 (la décision). La Commission a conclu que, puisqu’il était soupçonné d’avoir milité au sein des TLET au Sri Lanka en 2009 et avait ensuite été détenu puis remis en liberté, et puisque par la suite il s’était vu délivrer un passeport et avait été autorisé à quitter le Sri Lanka, il n’a aucun lien ni réel ni perçu avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). La Commission a donc conclu qu’il n’y avait aucun fondement objectif à sa crainte de persécution.

 

[2]               Le demandeur soulève cinq questions en litige. Je les examinerai tour à tour.

 

Première question en litige

[3]               La décision est-elle déraisonnable du fait que la Commission n’a pas examiné les observations écrites de l’avocat du demandeur, datées du 30 juillet 2012 (les observations), selon lesquelles le demandeur craint d’être victime, à son retour au Sri Lanka, d’actes discriminatoires qui, cumulativement, équivaudront à de la persécution?

 

[4]               Le demandeur affirme que la Commission était tenue d’examiner cette crainte même s’il n’en avait pas fait mention dans son formulaire de renseignements personnels ni dans son témoignage de vive voix à l’audience devant la Commission. Selon son témoignage, il n’avait subi aucune discrimination qui pourrait équivaloir à de la persécution lorsqu’il avait franchi des points de contrôle entre Jaffna et Colombo. De plus, l’exigence selon laquelle il devait s’enregistrer à Colombo ne lui avait causé aucune difficulté importante.

 

[5]               Les observations étaient fondées sur un rapport du département d’État des États-Unis, qui traite de la situation en 2009, soit l’année où l’armée sri-lankaise a vaincu les TLET. À cette époque, les Tamouls étaient étroitement surveillés.

 

[6]               Cependant, la Commission a pris en compte des éléments de preuve plus récents qui démontrent qu’il se pourrait que le demandeur soit assujetti à une surveillance spéciale, mais la Commission a estimé que cela n’équivaudrait pas à de la persécution. De plus, la Commission a reconnu que la population sri-lankaise – surtout les Tamouls – serait assujettie à des « contraintes » imposées par le gouvernement qui continuerait de chercher des partisans ou des membres des TLET. Mais puisque le demandeur n’avait aucun profil semblable, la Commission a tiré la conclusion suivante au paragraphe 63 de la décision :

[63] Le tribunal estime que les contraintes potentielles auxquelles pourrait devoir se plier le demandeur d’asile, en tant que Tamoul dont la demande d’asile a été rejetée, ne sont pas déraisonnables et qu’il existe moins qu’une possibilité raisonnable que le demandeur d’asile soit persécuté.

 

 

[7]               À mon avis, cette conclusion traitait de la question de savoir si la discrimination cumulative équivaudrait à de la persécution.

 

Deuxième question en litige

[8]               Était-il raisonnable que la Commission conclue que « [l]e tribunal n’a été saisi d’aucun élément de preuve selon lequel le demandeur d’asile a des cicatrices [traduction] “évidentes” »?

 

[9]               Le demandeur a affirmé dans son témoignage à l’audience devant la Commission que « toutes ses cicatrices sont petites et qu’il se les est faites en jouant au soccer sur du gravier ». Le demandeur a fait des commentaires similaires lors de son entretien avec des agents de l’ASFC le 12 septembre 2010. Il a également dit à l’avocat du ministre à l’audience qu’il n’avait pas parlé des cicatrices aux agents de l’ASFC en un premier temps parce qu’elles étaient [traduction] « très petites ». Cependant, l’agente examinatrice de l’ASFC a décrit les cicatrices dans le dos du demandeur comme des lacérations qui semblaient indiquer qu’il avait subi de profondes entailles ou des blessures de combat. De même, elle a relevé des marques circulaires sur une de ses jambes dont elle a dit qu’elles ressemblaient [traduction] « presque à des blessures par balle ou à des blessures d’éclats d’obus » (collectivement, les commentaires de l’ASFC).

 

[10]           L’avocate du demandeur affirme qu’étant donné les commentaires de l’ASFC, la Commission n’aurait pas dû croire le demandeur lorsqu’il minimisait ses cicatrices et elle aurait dû plutôt conclure qu’en fait, il avait des cicatrices importantes. La Commission aurait également dû s’interroger quant à savoir si ces cicatrices mettaient le demandeur en danger parce qu’elles pourraient donner l’impression qu’il avait des liens avec les TLET.

 

[11]           À mon avis, la conclusion de la Commission est raisonnable. Le demandeur ne saurait être admis à invoquer les commentaires de l’ASFC étant donné son témoignage à l’audience selon lequel les cicatrices étaient [traduction] « petites ». S’il avait voulu que la Commission considère qu’il avait des cicatrices importantes, il aurait dû en fournir une preuve directe. Il aurait pu montrer des photos des cicatrices à la Commission ou il aurait pu les exhiber à l’audience.

 

Troisième question en litige

[12]           La décision est-elle déraisonnable du fait que la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions?

 

[13]           Le document que la Commission n’a pas mentionné est un rapport d’Amnesty International du 12 juin 2012 (le rapport d’AI) qui faisait état des passagers du MS Sun Sea et de l’Ocean Lady et énonçait notamment : [TRADUCTION] « Amnesty International croit qu’ils seraient exposés à un grave risque de détention, de torture et de mauvais traitements à leur retour si les autorités sri-lankaises les soupçonnaient d’avoir été à bord de ces navires […] Amnesty International se soucie du fait que les passagers du MS Sun Sea et de l’Ocean Lady soient perçus comme étant des partisans ou des membres des TLET et qu’ainsi ils craignent avec raison d’être persécutés, en étant notamment soumis à une détention illégale, à la torture et des mauvais traitements, si les autorités sri-lankaises les soupçonnent d’avoir été passagers à bord de ces navires et ils sont renvoyés de force au Sri Lanka. » [Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Sur cette question, la Commission a formulé la conclusion suivante :

[71] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve orale et documentaire ainsi que les observations concernant le profil du demandeur d’asile et son traitement potentiel par les autorités du Sri Lanka pour avoir été un passager du Sun Sea et avoir demandé l’asile, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile ne serait pas perçu comme un membre ou un partisan des TLET et qu’il ne sera pas persécuté pour cette raison. Voici les motifs du tribunal.

Après avoir prétendument été arrêté parce que sa bicyclette se trouvait près du lieu de l’explosion d’une bombe, le demandeur d’asile a été libéré par l’armée et il n’a jamais été arrêté de nouveau parce qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec les TLET.

Après sa mise en liberté en février 2009, le demandeur d’asile a obtenu un passeport et il a pu quitter le pays en 2010.

Aucun élément de preuve convaincant ne laisse croire que le demandeur d’asile était soupçonné d’avoir des liens avec les TLET lorsqu’il a quitté le Sri Lanka muni de son propre passeport.

Le nom du demandeur d’asile ne figure dans aucun des reportages des médias diffusés au sujet du Sun Sea, et il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles selon lesquels l’identité des passagers du Sun Sea a été communiquée aux autorités du Sri Lanka.

Aucun élément de preuve ne laisse croire que le gouvernement du Sri Lanka soupçonne des personnes d’avoir des liens avec les TLET simplement parce qu’elles ont voyagé clandestinement à bord d’un navire appartenant aux TLET et exploité par eux.

Aucun document ne laisse croire que tous les passagers à bord du Sun Sea étaient membres des TLET ou soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[15]           Le demandeur soutient que les deux dernières affirmations (les affirmations) sont contredites par les passages du rapport d’AI qui expriment des croyances et des préoccupations.

 

[16]           Cependant, à mon avis, lorsqu’elles sont lues en contexte, les affirmations ne sont pas contredites par le rapport d’AI parce que celui-ci décrit seulement un risque touchant les passagers que les autorités sri-lankaises soupçonnaient d’avoir été à bord du MS Sun Sea. Puisque la Commission a conclu que le demandeur n’appartenait pas à cette catégorie, il n’était pas déraisonnable que la Commission ne mentionne pas le rapport d’AI.

 

Quatrième question en litige

[17]           La décision est-elle déraisonnable du fait que la Commission ne s’est pas demandé si le demandeur était en danger parce que les autorités canadiennes soupçonnaient le demandeur d’être un membre des TLET?

 

[18]           À mon avis, la Commission s’est bien demandé si les autorités sri-lankaises, à l’instar de leurs homologues canadiennes, risqueraient de soupçonner le demandeur d’avoir des liens avec les TLET parce qu’il était arrivé à bord du MS Sun Sea. Comme je l’ai indiqué précédemment, la Commission a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve qui démontrait que les autorités sri‑lankaises étaient au courant que le demandeur avait voyagé à bord du navire. Cependant, même si son arrivée par bateau était connue, la Commission a conclu que le demandeur ne serait pas en danger parce qu’il avait déjà fait l’objet d’une enquête et il n’était pas soupçonné d’avoir des liens avec les TLET lorsqu’il avait quitté le Sri Lanka.

 

Cinquième question en litige

[19]           La décision est-elle déraisonnable du fait que la Commission ne s’est pas demandé si, en raison de son appartenance à un groupe social décrit comme étant « les Sri-lankais revenant de l’étranger », le demandeur risquait d’être persécuté au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) en raison de la menace d’être extorqué par l’armée et des groupes paramilitaires?

 

[20]           Aux paragraphes 39 et 40 de sa décision, la Commission s’est prononcée sur les éléments de preuve relatifs à l’extorsion dont le demandeur avait été victime avant qu’il quitte le Sri Lanka. Voici ce que la Commission a affirmé :

[39] […] Il a allégué que, un an après avoir été mis en liberté, il s’est fait extorquer de l’argent par l’armée et les groupes paramilitaires. Il ne savait pas la raison pour laquelle les militaires ont précisé qu’il serait arrêté de nouveau si l’argent n’était pas versé. Il ne savait pas si les représentants de l’armée qui l’avaient détenu en 2009 étaient les mêmes que ceux qui ont demandé de l’argent à sa famille en janvier 2010. La famille du demandeur d’asile n’a pas donné d’argent en janvier 2010. Toutefois, le demandeur d’asile prétend que sa famille a remis un certain montant d’argent en mai 2010 parce qu’elle avait peur. Le demandeur d’asile a été invité à expliquer la raison pour laquelle il est écrit dans le FRP que de l’argent a été donné dans l’espoir que le demandeur d’asile ne soit plus arrêté alors qu’il n’était pas là lorsque les militaires sont venus. Le demandeur d’asile a répondu que de l’argent avait été versé non seulement pour éviter qu’il soit arrêté, mais aussi pour éviter que tout membre de sa famille soit arrêté. Ce n’est toutefois pas ce qui est écrit dans le FRP, et le demandeur d’asile ne pouvait pas fournir d’autres explications que celle-là.

[40] Le demandeur d’asile a été questionné au sujet de l’extorsion commise par des groupes paramilitaires. Dans l’exposé circonstancié original, il est écrit que le père du demandeur d’asile a payé un pot-de-vin à la police avec l’aide d’un membre du Parti démocratique populaire de l’Eelam (EPDP) en vue de sa mise en liberté. C’est l’unique fois où un groupe paramilitaire en particulier est nommé dans la preuve écrite. À l’audience, le demandeur d’asile a été invité à préciser si le pot-de-vin versé par l’entremise de l’EPDP avait été payé à l’armée ou à la police. Il a répondu qu’il avait été versé à l’armée et que la police n’était pas mêlée à cette affaire. Il n’était pas en mesure d’expliquer l’énoncé du FRP selon lequel le pot-de-vin avait été payé à la police. Le demandeur d’asile a dit au conseil du ministre qu’il ne savait pas à quel groupe paramilitaire appartenaient les extorqueurs. À la question demandant la façon dont il savait qu’ils appartenaient à un groupe paramilitaire, il a répondu qu’ils étaient masqués et qu’ils portaient des vêtements noirs. Il a dit que leurs visages étaient couverts par des vêtements. Il ne leur a pas donné d’argent lors de leur seule visite avant sont départ du Sri Lanka. Lorsqu’il a été demandé au demandeur d’asile s’ils ont déjà informé les autorités qu’il était membre des TLET, il a répondu par la négative. Le demandeur d’asile ne sait pas quand les membres de ce groupe paramilitaire sont revenus, mais il a dit qu’ils étaient venus une fois de plus après son départ et que sa famille leur avait versé une somme d’argent inconnue […]

 

[21]           La Commission a conclu que la menace de fausse accusation ou arrestation était pour l’extorqueur le moyen de parvenir à une fin, et elle a souligné que le demandeur avait affirmé dans son témoignage que [traduction] « tout le monde » était ciblé. Son témoignage sur ce point était corroboré par des éléments de preuve documentaire qui démontrent que le Parti démocratique populaire de l’Eelam (L’EPDP) cible quiconque a de l’argent indépendamment de son ethnicité.

 

[22]           La Commission a donc conclu que le risque était généralisé et, au regard de l’article 96 de la LIPR, elle a conclu que les éléments de preuve démontraient que les victimes d’extorsion étaient des victimes de la criminalité et qu’il n’y avait aucun lien avec des motifs prévus dans la Convention.

 

[23]           À mon avis, compte tenu de la preuve selon laquelle tout le monde était ciblé, la Commission n’était pas tenue d’examiner la question de savoir si les Sri-lankais qui reviennent de l’étranger constituaient un groupe social pour l’application de l’article 96 de la LIPR. Ceux qui reviennent de l’étranger risquent peut-être davantage d’être extorqués parce qu’ils sont perçus comme ayant de l’argent, mais cela ne les distingue pas d’autres victimes potentielles de la criminalité comme les gens d’affaires ou les propriétaires fonciers fortunés. Ils sont tous des victimes potentielles d’extorsion, et non des membres d’un groupe social.

 

Certification

[24]           Aucune question n’a été posée à des fins de certification.

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

 

DOSSIER :

                                                            IMM-13227-12

 

INTITULÉ :

B261 C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 6 NOVEMBRE 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 21 FÉVRIER 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Karina Thompson

pour le demandeur

 

Tamrat Gebeyehu

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Karina Thompson

Avocate

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.