Date : 20150123
Dossier : A-410-13
Référence : 2015 CAF 18
CORAM : |
LE JUGE NADON LA JUGE TRUDEL LE JUGE BOIVIN |
ENTRE : |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
appelant |
et |
CHEF JESSE JOHN SIMON ET CONSEILLERS FOSTER NOWLEN AUGUSTINE, STEPHEN PETER AUGUSTINE, ROBERT LEO FRANCIS, MARY LAURA LEVI, ROBERT LLOYD LEVY, JOSEPH DWAYNE MILLIEA, JOSEPH JAMES LUCKIE, TYRONE MILLIER, MARY-JANE MILLIER, JOSEPH DARRELL SIMON, ARREN JAMES SOCK, JONATHAN CRAIG SOCK ET MARVIN JOSEPH SOCK EN LEUR NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION D’ELSIPOGTOG, ET AU NOM DES PREMIÈRES NATIONS MI’KMAK DU NOUVEAU-BRUNSWICK, ET AU NOM DES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS MI’KMAK DU NOUVEAU-BRUNSWICK CHEF STEWART PAUL ET CONSEILLERS GERALD BEAR, DARRAH BEAVER, EDWIN BERNARD, ELDON BERNARD, BRENDA HAFKE-PERLEY, TIM NICHOLAS, KIM PERLEY, ROSS PERLEY, THERESA (HART) PERLEY, TINA PERLEY-MARTIN, PAUL PYRES ET LAURA (LARA) SAPPIER EN LEUR NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION TOBIQUE, ET AU NOM DES PREMIÈRES NATIONS DES MALÉCITES DE KINGSCLEAR, D’OROMOCTO ET DE WOODSTOCK ET DES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS DES MALÉCITES DE KINGSCLEAR, D’OROMOCTO ET DE WOODSTOCK CHEF LEROY DENNY ET CONSEILLERS BERTRAM (MUIN) BERNARD, LEON CHARLES DENNY, OLIVER JR. (SAPPY) DENNY, BARRY C. FRANCIS, GERALD ROBERT FRANCIS, ELDON GOULD, ALLAN WAYNE JEDDORE, DEREK ROBERT JOHNSON, KIMBERLY ANN MARSHALL, BRENDON JOSEPH POULETTE, JOHN FRANK TONEY ET CHARLES BLAISE YOUNG EN LEUR NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION D’ESKASONI ET AU NOM DES PREMIÈRES NATIONS MI’KMAQ D’ACADIA, DE LA VALLÉE DE L’ANNAPOLIS, DE BEAR RIVER, GLOOSCAP, MILLBROOK, PAQTNKEK, DE PICTOU LANDING, DE POTLOTEK, DE SHUBENACADIE, DE WAGMATCOOK ET WAYCOBAH ET DES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS MI’KMAQ D’ACADIA, DE LA VALLÉE DE L’ANNAPOLIS, DE BEAR RIVER, GLOOSCAP, MILLBROOK, PAQTNKEK, DE PICTOU LANDING, DE POTLOTEK, DE SHUBENACADIE, DE WAGMATCOOK ET WAYCOBAH CHEF BRIAN FRANCIS ET CONSEILLERS DANNY LEVI ET DAREN KNOCKWOOD EN LEUR NOM ET AU NOM DES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS ABEGWEIT |
intimés |
et |
PREMIÈRE NATION DE MADAWASKA, PREMIÈRE NATION ST. MARY’S, PREMIÈRE NATION MEMBERTOU ET PREMIÈRE NATION DE LENNOX ISLAND |
intimées |
Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 8 septembre 2014.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2015.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE NADON |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE TRUDEL LE JUGE BOIVIN |
Date : 20150123
Dossier : A-410-13
Référence : 2015 CAF 18
CORAM : |
LE JUGE NADON LA JUGE TRUDEL LE JUGE BOIVIN |
ENTRE : |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
appelant |
et |
CHEF JESSE JOHN SIMON ET CONSEILLERS FOSTER NOWLEN AUGUSTINE, STEPHEN PETER AUGUSTINE, ROBERT LEO FRANCIS, MARY LAURA LEVI, ROBERT LLOYD LEVY, JOSEPH DWAYNE MILLIEA, JOSEPH JAMES LUCKIE, TYRONE MILLIER, MARY-JANE MILLIER, JOSEPH DARRELL SIMON, ARREN JAMES SOCK, JONATHAN CRAIG SOCK ET MARVIN JOSEPH SOCK EN LEUR NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION D’ELSIPOGTOG, ET AU NOM DES PREMIÈRES NATIONS MI’KMAK DU NOUVEAU-BRUNSWICK, ET AU NOM DES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS MI’KMAK DU NOUVEAU-BRUNSWICK CHEF STEWART PAUL ET CONSEILLERS GERALD BEAR, DARRAH BEAVER, EDWIN BERNARD, ELDON BERNARD, BRENDA HAFKE-ERLEY, TIM NICHOLAS, KIM PERLEY, ROSS PERLEY, THERESA (HART) PERLEY, TINA PERLEY-MARTIN, PAUL PYRES ET LAURA (LARA) SAPPIER EN LEUR NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION TOBIQUE, ET AU NOM DES PREMIÈRES NATIONS DES MALÉCITES DE KINGSCLEAR, D’OROMOCTO ET DE WOODSTOCK ET DES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS DES MALÉCITES DE KINGSCLEAR, D’OROMOCTO ET DE WOODSTOCK CHEF LEROY DENNY ET CONSEILLERS BERTRAM (MUIN) BERNARD, LEON CHARLES DENNY, OLIVER JR. (SAPPY) DENNY, BARRY C. FRANCIS, GERALD ROBERT FRANCIS, ELDON GOULD, ALLAN WAYNE JEDDORE, DEREK ROBERT JOHNSON, KIMBERLY ANN MARSHALL, BRENDON JOSEPH POULETTE, JOHN FRANK TONEY ET CHARLES BLAISE YOUNG EN LEUR NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION D’ESKASONI ET AU NOM DES PREMIÈRES NATIONS MI’KMAQ D’ACADIA, DE LA VALLÉE DE L’ANNAPOLIS, DE BEAR RIVER, GLOOSCAP, MILLBROOK, PAQTNKEK, DE PICTOU LANDING, DE POTLOTEK, DE SHUBENACADIE, DE WAGMATCOOK ET WAYCOBAH ET DES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS MI’KMAQ D’ACADIA, DE LA VALLÉE DE L’ANNAPOLIS, DE BEAR RIVER, GLOOSCAP, MILLBROOK, PAQTNKEK, DE PICTOU LANDING, DE POTLOTEK, DE SHUBENACADIE, DE WAGMATCOOK ET WAYCOBAH CHEF BRIAN FRANCIS ET CONSEILLERS DANNY LEVI ET DAREN KNOCKWOOD EN LEUR NOM ET AU NOM DES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS ABEGWEIT |
intimés |
et |
PREMIÈRE NATION DE MADAWASKA, PREMIÈRE NATION ST. MARY’S, PREMIÈRE NATION MEMBERTOU ET PREMIÈRE NATION DE LENNOX ISLAND |
intimées |
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE NADON
[1] Par le présent appel, le procureur général du Canada (le procureur général) demande à la Cour d’annuler la décision du 4 novembre 2013, Chef Jesse John Simon et autres c. Canada (Procureur général), 2013 CF 1117, [2013] A.C.F. n° 1203 (la décision de la Cour fédérale), par laquelle le juge Scott de la Cour fédérale (maintenant juge de notre Cour) (le juge) a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par les membres de diverses Premières Nations des Maritimes en leur nom personnel et en qualité de représentants (les intimés).
[2] Les questions en litige dans le présent appel ont trait aux critères d’admissibilité à l’aide au revenu dans les réserves des Premières Nations du Canada atlantique. Les intimés ont contesté par leur demande de contrôle judiciaire la décision du ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada (le ministre) de veiller à ce que les taux et les critères d’admissibilité provinciaux soient appliqués conformément à un protocole d’entente conclu en 1990 (le PE de 1990) avec le Conseil du Trésor du Canada (le Conseil du Trésor). Dans leurs plaidoiries, les parties ont reconnu qu’elles n’ont pas de différend au sujet des taux d’aide au revenu applicables aux membres des Premières Nations vivant dans les réserves. Cette question ne sera donc pas abordée dans les présents motifs.
[3] Il importe de préciser la nature de la question en litige et de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire dans la présente affaire étant donné qu’il semble y avoir eu une certaine confusion à cet égard devant la Cour fédérale. Dans un passage de ses motifs, le juge dit que la décision visée par la demande de contrôle des intimés « chang[e] l’approche des normes “raisonnablement comparables” en ce qui a trait aux taux d’aide et aux critères d’admissibilité du Programme d’aide au revenu en vue d’imposer une obligation de se conformer rigoureusement aux taux d’aide et aux critères d’admissibilité provinciaux […] » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 1). Le juge a toutefois décrit cette décision différemment par la suite, disant que « la mesure contestée dans le cadre de la présente demande est la décision du ministre d’interpréter le [PE de 1990] de façon étroite et d’exiger le respect des taux et des critères d’admissibilité provinciaux » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 84).
[4] L’interprétation par le juge de la décision du ministre contraste avec celle donnée par notre Cour et par la Cour fédérale dans les décisions portant sur la demande des intimés visant à obtenir une injonction interlocutoire interdisant l’application dans les réserves des Premières Nations des Maritimes d’une exigence d’observation stricte des normes et des taux d’aide au revenu des provinces, jusqu’à ce qu’ait été tranchée la demande de contrôle judiciaire sous-acente présentée à la Cour fédérale, sur laquelle le juge s’est prononcé.
[5] Dans l’une de ces décisions, la juge Simpson de la Cour fédérale a qualifié la décision du ministre d’« initiative d’appliquer la directive [de 1964 du Conseil du Trésor] » (Chef Jesse John Simon et autres c. Canada (Procureur général), 2012 CF 387, [2012] A.C.F. n° 446, au paragraphe 9). En appel devant la Cour, notre ancien collègue, le juge Mainville, a conclu que par sa décision le ministre exigeait l’observation stricte des critères d’admissibilité et des taux d’aide au revenu provinciaux (Chef Jesse John Simon et autres c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 312, [2012] A.C.F. 1538, au paragraphe 9).
[6] Le procureur général, tant dans son mémoire des faits et du droit qu’à l’audience, a fait valoir que la décision du ministre visait à faire appliquer un manuel régional d’aide sociale mis à jour dans le cadre d’un processus qui a mené à la publication d’un nouveau manuel national d’aide sociale, dans lequel est énoncée l’obligation pour les conseils de bande des Premières Nations d’adopter pour l’administration des programmes d’aide au revenu dans les réserves des taux et des critères d’admissibilité provinciaux, conformément à diverses ententes conclues entre le prédécesseur du ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (Affaires autochtones) et le Conseil du Trésor (voir le mémoire des faits et du droit du procureur général, au paragraphe 32). Le procureur général qualifie la décision différemment du juge en ne mentionnant pas l’interprétation par le ministre du PE de 1990; il laisse plutôt entendre que le ministre ne fait que mettre en œuvre des obligations préexistantes découlant d’ententes conclues avec le Conseil du Trésor.
[7] Les intimés ont une compréhension de la décision qui fait l’objet du contrôle différente de celle du procureur général. Ils présentent plutôt la décision comme un changement dans l’interprétation faite par le ministre de ses obligations découlant du PE de 1990. Les intimés s’appuient sur divers manuels et documents internes d’Affaires autochtones pour soutenir que le ministre interprétait auparavant le PE de 1990 comme prescrivant que les normes et les taux d’aide au revenu doivent être « raisonnablement comparables » à ceux des provinces. Toutefois, selon la nouvelle interprétation du ministre, il doit y avoir correspondance entre le Programme d’aide au revenu d’une part et les critères d’admissibilité et les taux provinciaux d’autre part. En d’autres termes, les intimés affirment que, par sa décision, le ministre ne fait pas qu’adopter un nouveau manuel, il modifie fondamentalement le Programme d’aide au revenu.
[8] Selon moi, la décision faisant l’objet du contrôle est celle du ministre d’exiger l’observation stricte des critères d’admissibilité et des taux provinciaux en conformité avec des obligations préexistantes d’Affaires autochtones envers le Conseil du Trésor. La véritable question est donc de savoir si cette décision d’exiger l’observation de ces critères et taux était raisonnable. À mon avis, elle l’était.
I. Historique et contexte
[9] Comme aucune loi fédérale spécifique ne réglemente les services et programmes essentiels destinés aux Premières Nations, le Canada a eu recours à des directives du Conseil du Trésor pour fournir certains de ces services et programmes. Sur le fondement de ces directives, Affaires autochtones a élaboré des politiques relatives à la prestation des divers programmes et services.
[10] En 1964, le Conseil du Trésor a approuvé la proposition d’Affaires autochtones visant à ce que des normes et procédures provinciales ou municipales soient adoptées en ce qui a trait à la gestion de l’aide sociale destinée aux Premières Nations. La proposition visait plus particulièrement l’adoption de taux et de règlements provinciaux ou municipaux en matière d’aide sociale, en vue de les appliquer aux membres des Premières Nations vivant dans les réserves. Les négociations ont mené à la délivrance, en 1964, d’une directive du Conseil du Trésor qui autorisait Affaires autochtones à adopter des normes et procédures provinciales ou municipales en matière d’aide sociale (la directive de 1964).
[11] À compter de 1967, Affaires autochtones a mis en œuvre la directive du Conseil du Trésor au moyen de manuels régionaux et, jusqu’à la fin des années 1970, le ministère a administré directement la fourniture des services essentiels aux Premières Nations. Au début des années 1980, Affaires autochtones a toutefois conclu avec les Premières Nations – pour favoriser leur autonomie gouvernementale – des ententes qui leur permettaient d’administrer le Programme d’aide au revenu pour leurs membres.
[12] Ces ententes étaient financées par Affaires autochtones en fonction des dépenses réelles. Affaires autochtones avait pour rôle de s’assurer, au moyen de redditions de comptes et d’examens de la conformité réguliers ainsi que d’audits, que les Premières Nations appliquaient les critères d’admissibilité et les taux adéquatement.
[13] En août 1990, le Conseil du Trésor a conclu avec Affaires autochtones un PE intitulé le « Protocole d’entente relatif à l’accroissement des pouvoirs et des responsabilités ministériels ». Le PE de 1990, qui remplaçait la directive de 1964, regroupait les pouvoirs conférés à l’égard des programmes d’éducation et de développement social, et énonçait notamment les conditions que devait remplir Affaires autochtones pour financer l’aide au revenu destinée aux membres des Premières Nations vivant dans les réserves.
[14] Les clauses suivantes du PE de 1990 sont d’intérêt particulier dans le contexte du présent appel :
[traduction]
I) Aide sociale. Le Ministère finance l’aide sociale en conformité avec la norme de service et le mode d’exécution du programme, comme suit :
– Norme de service. Pour chaque province et le territoire du Yukon, le programme d’aide sociale doit adopter les exigences d’admissibilité et les taux d’aide du programme général de la province ou du territoire en question. Le niveau des prestations versées est rajusté pour refléter les services et les prestations fournis aux Indiens et aux Inuits dans le cadre d’autres programmes fédéraux (p. ex. le Programme de logement des Indiens et les Services de santé non assurés).
[...]
Le Ministère octroie le financement des services d’aide sociale, notamment pour les postes suivants :
– Aide financière. Fonds pour les paiements de soutien au revenu versés aux bénéficiaires admissibles conformément aux taux d’aide du programme général de la province ou du territoire en question.
[...]
ANNEXE 1: Cadres de rendement du programme
La responsabilité ministérielle accrue dans le domaine de la prestation de programmes établie dans le cadre du protocole d’entente relatif à l’APRM englobe les cadres de rendement du programme pour quatre secteurs clés du Ministère et un plan de l’élaboration proposée des cadres de rendement pour les autres secteurs importants du Ministère.
Les quatre cadres de rendement du programme terminés portent sur les activités suivantes :
● Éducation
● Développement social
● Gestion des capitaux
● Administration
[...]
Développement social : Cadre de rendement du programme
Généralités – L’activité de développement social comporte trois programmes majeurs : aide sociale, services aux familles et enfants indiens et soins aux adultes.
Aide sociale : L’objectif du programme d’aide sociale est de veiller à ce que les Indiens admissibles reçoivent le même montant de prestations d’aide sociale que les autres résidents de la province et de réduire leur dépendance à l’aide sociale, dans la mesure du possible.
Sous-objectifs |
Résultats |
Indicateurs |
Cibles/Rapports |
Même niveau de prestations |
Traitement équitable des Indiens admissibles vivant dans les réserves qui recevront des prestations comparables à celles offertes aux autres Canadiens |
Pourcentage de fonds de l’aide sociale qui ont été administrés par une bande ou le Ministère et qui ont été bien gérés |
Élaborer des systèmes et des cibles pour le RAG [rapport annuel de gestion] de juin 1991. Faire rapport sur les cibles établies en juin 1992 et les années subséquentes |
Taux de dépendance réduit |
Plus grande autonomie |
Pourcentage du budget de l’aide sociale transféré aux termes des autorisations en vigueur pour fournir des séances de formation et de perfectionnement aux personnes admissibles |
Cet indicateur ne sera pas ciblé, car il subit les répercussions de bon nombre d’éléments incontrôlables. L’indicateur sera présent dans tous les RAG. |
Évaluations : Une évaluation des répercussions à long terme de l’autorisation liée au transfert de l’aide sociale sera présentée dans le RAG de juin 1993 ou dans un RAG antérieur.
[Tableau modifié par rapport à l’original; non souligné dans l’original.]
[15] Le PE de 1990 initial a été en vigueur du 1er avril 1990 au 31 mars 1993, et il a été renouvelé au moyen d’autres PE, selon les mêmes conditions pour les fins qui nous concernent.
[16] L’objet du PE de 1990 était de fixer les modalités auxquelles était assujettie l’utilisation des fonds alloués à Affaires autochtones. À titre d’exemple, comme la directive de 1964 qu’il remplaçait, le PE de 1990 exigeait qu’Affaires autochtones adopte les exigences d’admissibilité et les taux de prestations des programmes d’aide sociale applicables dans les provinces où se trouvaient les Premières Nations. Cette exigence est demeurée inchangée depuis l’entrée en vigueur le 1er avril 1990 du PE de 1990 initial. Autrement dit, les taux et les critères d’admissibilité à l’aide sociale destinée aux Premières Nations devaient être les mêmes que ceux en vigueur dans les provinces où celles-ci se trouvaient.
[17] Comme la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, ne prévoyait aucun cadre approprié pour réglementer le transfert de responsabilités aux Premières Nations en matière d’administration de programmes, Affaires autochtones a eu recours à deux types d’ententes de financement : des ententes globales de financement (EGF) et des modes optionnels de financement (MOF), c’est-à-dire des ententes pluriannuelles aux termes desquelles les Premières Nations recevaient un bloc de financement. Les MOF permettent aux Premières Nations de transférer les fonds inutilisés ou excédentaires d’un programme à un autre programme approuvé, alors que, dans le cadre des EGF, les Premières Nations doivent remettre à Affaires autochtones les fonds excédentaires.
[18] Pour les programmes de services sociaux et autres offerts et dispensés par Affaires autochtones grâce à ces types d’ententes de financement, les Premières Nations doivent se conformer aux politiques et lignes directrices mises en place par Affaires autochtones, y compris aux manuels nationaux et régionaux qui précisent les exigences et les objectifs généraux des programmes sociaux – notamment le Programme d’aide au revenu – offerts dans les réserves. Les divers manuels préparés par Affaires autochtones se voulaient des guides d’interprétation des normes et des objectifs énoncés dans le PE de 1990.
[19] À compter de 1991 plus particulièrement, Affaires autochtones a fourni aux Premières Nations des manuels de programmes régionaux et nationaux qui présentent ses priorités stratégiques et qui établissent les critères d’admissibilité et les taux applicables à l’aide au revenu dans les réserves. Certaines Premières Nations ont produit leurs propres manuels de politiques.
[20] En 1991, Affaires autochtones a préparé un manuel régional connu sous le nom de manuel de l’aide sociale du Nouveau-Brunswick (le manuel de 1991). L’extrait pertinent du manuel est reproduit ci-après :
[traduction]
CHAPITRE I –
OBJECTIFS, PRINCIPES ET NORMES
1.1 Introduction
[...]
Le Programme d’aide sociale du MAINC [Affaires autochtones] adopte et applique les taux et les conditions établis par le gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick et respecte un cadre de normes nationales du MAINC [Affaires autochtones]. Cela permet aux Indiens et aux membres de leur famille de recevoir des prestations comparables à celles offertes aux non-Indiens dont la situation est semblable.
[Non souligné dans l’original.]
[21] Avant de l’appliquer, Affaires autochtones a remis une ébauche du manuel de 1991 aux Premières Nations de la région visée. Après en avoir pris connaissance, la Première Nation d’Elsipogtog a formulé divers commentaires au sujet de la décision d’Affaires autochtones d’adopter et d’appliquer les taux et les conditions en vigueur dans la province du Nouveau-Brunswick.
[22] Selon le manuel de 1991, un demandeur est admissible s’il peut démontrer qu’il réside dans une réserve et qu’il a besoin d’une aide au revenu. On établit le besoin en fonction du principe du déficit budgétaire et d’un calcul fondé sur celui-ci. Faute de déficit, il n’y a aucun besoin et, par conséquent, le demandeur n’est pas admissible.
[23] En 1994, la Première Nation d’Elsipogtog a élaboré son propre manuel d’aide sociale, qui prévoyait des critères d’admissibilité différents de ceux du manuel de 1991 (le manuel d’Elsipogtog), qu’elle a appliqué à compter d’au moins 1999. Selon ce manuel, l’admissibilité est fonction non pas d’un déficit budgétaire, mais plutôt de l’existence de certaines situations, à savoir un problème de santé attesté par un certificat médical; l’absence de la formation ou des compétences requises pour l’accès à l’emploi ou à des programmes de formation; la rareté des emplois ou l’absence de programme de formation supervisé; un revenu d’emploi inférieur au niveau calculé d’allocation budgétaire; la monoparentalité du demandeur.
[24] Il ressort clairement de la preuve qu’Affaires autochtones a informé plusieurs fois la Première Nation d’Elsipogtog que son manuel posait problème. Aux paragraphes 16 et 90 de la décision de la Cour fédérale, le juge a souligné que le manuel d’Elsipogtog et le manuel de 1991 utilisaient des critères différents pour établir l’admissibilité à l’aide au revenu dans les réserves.
[25] Bien que des examens de conformité soient prévus dans le manuel de 1991, Affaires autochtones n’en a jamais faits entre 1991 et 2008. Toutefois, un examen de conformité effectué en 2010, qui s’appuyait sur un échantillon de 5 pour cent des bénéficiaires d’aide au revenu de la Première Nation d’Elsipogtog, a révélé que 21 personnes qui travaillaient pour la Première Nation avaient reçu des prestations qui n’avaient pas été réduites malgré leur revenu d’emploi, comme cela aurait été normalement le cas pour des bénéficiaires vivant hors réserve.
[26] À compter de 2004, Affaires autochtones a tenté de mettre à jour ses manuels national et régionaux d’aide au revenu. Affaires autochtones a tout d’abord rédigé une ébauche de manuel national intitulée [traduction] « Aide au revenu - Manuel sur les normes et les lignes directrices nationales », datée du 16 février 2004 (l’ébauche de manuel national de 2004). L’objet du document était d’établir des normes nationales devant orienter l’élaboration des politiques régionales. L’ébauche de manuel national de 2004 prévoyait ce qui suit sous la rubrique « Principes du programme » :
[traduction]
1.5.1 Dans son approche en matière de politique d’aide au revenu, AINC [Affaires autochtones] a adopté les principes généraux suivants :
– les normes de prestation de l’aide au revenu doivent être raisonnablement comparables à celles de la province ou du territoire de résidence;
– les bénéficiaires de l’aide au revenu doivent vivre ordinairement dans une réserve (pour de plus amples détails, voir la section portant sur les personnes vivant ordinairement dans une réserve, au Chapitre 2, Composantes du Programme);
– Les Premières nations qui administrent l’aide au revenu doivent se conformer à une série d’exigences communes les amenant à rendre des comptes par l’entremise de politiques prônant la transparence, la divulgation et la réparation lorsque le Programme peut comporter des risques élevés.
1.5.2 Le Programme d’aide au revenu est un programme parmi de nombreux autres programmes de soutien du revenu offerts aux Premières nations. On doit l’appliquer en tenant compte de toute la gamme des programmes et services dispensés en lien avec le développement économique, la santé, les services sociaux, l’éducation et l’emploi. On doit considérer le Programme d’aide au revenu comme un programme de dernier recours, et non pas comme une première ressource pour ce qui est de satisfaire aux besoins des Premières nations en matière de soutien au revenu.
[Non souligné dans l’original.]
[27] L’ébauche de manuel national de 2004 prévoyait ensuite à l’article 1.6.1, en ce qui concerne les objectifs du Programme, que tous les programmes d’aide au revenu devaient être dispensés selon des normes raisonnablement comparables à celles en vigueur dans la province ou le territoire de résidence de référence.
[28] Affaires autochtones a donné suite à l’ébauche de manuel national de 2004 en élaborant un manuel intitulé « Programme d’aide au revenu - Manuel national », daté de mai 2005 (le manuel national de 2005). L’extrait pertinent de ce manuel est reproduit ci-après :
0.4 Lien avec les manuels régionaux
0.4.1 Le présent manuel fournit un cadre national applicable au Programme d’aide au revenu. Il énonce les normes générales et les lignes directrices à partir desquelles le Programme régional d’AINC [Affaires autochtones] doit fonctionner. Cependant, étant donné que le Programme est guidé par les taux et les critères d’admissibilité établis par les provinces ou les territoires en cause, on note des différences considérables dans la façon dont le Programme est mis en œuvre selon les régions. La façon dont chaque bureau régional applique les normes et les pratiques provinciales ou territoriales dépend de la disponibilité des ressources.
0.4.2 Le présent manuel établit des normes nationales et des lignes directrices générales qui offrent une marge de manœuvre suffisante pour tenir compte des différences et des pratiques régionales. Les bureaux régionaux devront élaborer leurs propres manuels pour appliquer ces lignes directrices et ces normes nationales dans leur province ou leur territoire. La plupart des détails entourant la procédure que le personnel régional devra connaître pour administrer ses programmes seront intégrés dans les manuels régionaux plutôt que dans le manuel national.
[Non souligné dans l’original.]
[29] Le manuel national de 2005 prévoyait également ce qui suit à l’article 1.4.1, sous la rubrique « Principes du Programme » :
1.4.1 Dans son approche en matière de politique d’aide au revenu, AINC [Affaires autochtones] a adopté les principes généraux suivants :
● les normes de prestation de l’aide au revenu doivent être relativement comparables à celles de la province ou du territoire de résidence
[Non souligné dans l’original.]
[30] Enfin, l’article 1.6.5 est aussi digne d’intérêt :
Provinces ou Territoires
1.6.5 Les gouvernements provinciaux et territoriaux n’assument pas de rôles ou de responsabilités directs dans la mise en œuvre du Programme d’aide au revenu du gouvernement fédéral; toutefois, les conditions du Conseil du Trésor précisent qu’AINC [Affaires autochtones] doit assurer l’exécution du Programme d’aide au revenu en fonction de normes raisonnablement comparables à celles de la province ou du territoire en cause. Par conséquent, ces normes sont tirées des dispositions législatives de la province ou du territoire en matière d’aide au revenu.
[Non souligné dans l’original.]
[31] Une fois le nouveau manuel national publié, Affaires autochtones a entamé des démarches pour mettre à jour ses manuels régionaux. En 2011, le ministre a informé les Premières Nations du Nouveau-Brunswick de l’intention d’Affaires autochtones de mettre en œuvre un manuel des programmes sociaux pour le Canada atlantique mis à jour et il leur en a présenté une ébauche (l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011). L’ébauche de manuel n’a jamais été mise en œuvre, mais on continuait simplement d’y exiger, comme dans le manuel de 1991, l’adoption ou l’application des critères d’admissibilité et des taux des provinces. Là encore, il est utile de citer des extraits pertinents de ce document, dont l’article 1, qui prévoit ce qui suit sous la rubrique [traduction] « Principaux objectifs et description du programme » :
[traduction]
Le programme fournit une aide financière dans le but d’assurer :
[...]
● que les programmes sont dispensés selon des normes raisonnablement comparables à celles en vigueur dans la province ou le territoire de résidence de référence.
[Non souligné dans l’original.]
[32] L’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011 prévoyait ensuite que [traduction] « [l]e Programme d’aide au revenu dans une réserve est administré en appliquant les mêmes taux et les mêmes critères d’admissibilité que le programme parallèle administré par la province pour les résidents hors réserve » (non souligné dans l’original). On prévoyait également à l’article 4 de l’ébauche, sous la rubrique « Allocation de base » que [traduction] « les taux d’allocation de base devraient correspondre aux normes et aux taux de la province » (non souligné dans l’original). Comme on l’a dit, l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011 n’a jamais été mise en œuvre. On l’a toutefois éventuellement remplacée par un manuel national révisé (le manuel national de 2012).
[33] En mai 2011, avant que le manuel national de 2012 ne soit mis en œuvre, Affaires autochtones a rencontré des représentants des Premières Nations pour répondre à leurs questions et leur donner une formation en lien avec la mise en œuvre alors prévue de l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011. De plus, en septembre 2011, Affaires autochtones a invité les Premières Nations du Nouveau-Brunswick à participer à une séance de formation donnée par des membres de son personnel et par un spécialiste des politiques provinciales d’aide au revenu au Nouveau-Brunswick; une présentation a porté sur l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011.
[34] Les chefs des Premières Nations représentés à la séance de formation ont toutefois accueilli défavorablement l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011 et la présentation d’Affaires autochtones. Ils ont adopté une résolution marquant leur désaccord avec l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011, mais ils ont néanmoins consenti à constituer avec Affaires autochtones un comité directeur et un sous-comité de travail mixtes pour examiner diverses questions liées à la mise en œuvre de l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011.
[35] On a reporté, du 1er novembre 2011 au 1er avril 2012, la date de la mise en œuvre de l’ébauche du manuel pour le Canada atlantique de 2011 afin de permettre au comité directeur de s’acquitter de sa tâche. Entre octobre 2011 et janvier 2012, le personnel d’Affaires autochtones et un spécialiste provincial ont donné des séances de formation individuelle à des administrateurs de l’aide au revenu des Premières Nations.
[36] En janvier 2012, Affaires autochtones a donné avis que l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011 ne serait pas mise en œuvre, et serait plutôt remplacée par le manuel national de 2012. Sous la rubrique « Principaux objectifs et description du programme », le manuel national de 2012 prévoit ce qui suit :
1.1 Le Programme d’aide au revenu, en tant que dernier recours, vise à :
● soutenir les besoins fondamentaux et particuliers des personnes démunies qui habitent dans les réserves indiennes et de leurs personnes à charge;
● soutenir l’accès aux services afin d’aider les clients à effectuer la transition vers le marché du travail et à favoriser leur rétention.
1.2 Le programme fournit une aide financière dans le but d’assurer :
● que les besoins de base pour l’alimentation, l’habillement et le logement sont satisfaits;
● qu’une aide à l’emploi et un soutien préalable à l’emploi sont fournis;
● que des allocations pour besoins spéciaux sont accordées pour les produits et les services qui sont essentiels au bien-être physique ou social d’un client;
● que les programmes soient dispensés selon des normes raisonnablement comparables à celles en vigueur dans la province ou le territoire de résidence de référence;
● que les montants payables au titre de l’aide au revenu soient équivalents aux taux en vigueur dans la province ou le territoire de référence.
[Non souligné dans l’original.]
[37] Sous la rubrique « Type de dépenses admissibles », l’article 2.2 prévoit ce qui suit :
2.2 Les montants payables au titre de l’aide au revenu doivent être équivalents aux taux en vigueur dans la province ou le territoire de référence. La contribution d’AADNC [Affaires autochtones et Développement du Nord Canada] sera rajustée pour tenir compte des prestations fédérales, provinciales ou territoriales connexes fournies afin d’éviter le chevauchement du financement.
[Non souligné dans l’original.]
[38] En outre, l’article 3.0 du manuel national de 2012, sous la rubrique « Conditions d’admissibilité pour les clients » précise :
3.1 Pour confirmer son admissibilité aux prestations d’aide au revenu, le client doit faire la démonstration qu’il est :
● une personne vivant ordinairement dans une réserve;
● admissible à une aide financière de base ou particulière (telle que définie par la province ou le territoire de résidence et confirmée par une évaluation couvrant l’employabilité, la composition et l’âge de la famille et les ressources financières à la disposition du ménage);
● en mesure de montrer qu’il a besoin du soutien des programmes et des services de l’aide au revenu et qu’il ne dispose d’aucune autre source de financement pour satisfaire ses besoins fondamentaux.
[Non souligné dans l’original.]
[39] Le manuel national de 2012 est actuellement en vigueur au Canada, sauf dans les provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard (en raison d’une injonction interlocutoire obtenue de la Cour fédérale par les intimés).
[40] Des représentants de la Première Nation d’Elsipogtog et d’autres Premières Nations Mi’kmak du Nouveau-Brunswick ont présenté une demande de contrôle judiciaire le 7 octobre 2011 (modifiée en février 2012) de la décision du ministre d’ [traduction] « imposer unilatéralement l’obligation de recourir à des normes et à des taux provinciaux d’aide sociale aux gouvernements des Premières Nations qui administrent l’aide sociale destinée aux membres des Premières Nations qui vivent dans des réserves assujetties à la Loi sur les Indiens au Nouveau-Brunswick ». Par requête présentée à la Cour fédérale, les autres Premières Nations de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard ont été ajoutées comme parties demanderesses ou défenderesses à la demande de contrôle judiciaire, selon qu’elles souhaitaient ou non participer à l’instance.
II. Décision de la Cour fédérale
[41] Le juge a d’abord passé en revue les faits pertinents et, ce faisant, la directive de 1964, le PE de 1990, ainsi que les divers manuels d’aide sociale élaborés par Affaires autochtones. Il a ensuite porté son attention sur les questions en litige, qu’il a énoncées comme suit :
1. La décision du ministre d’imposer, dans le cadre du financement de l’aide au revenu dans les réserves, des taux et des exigences d’admissibilité correspondant à ceux établis par la province est-elle conforme au PE du Conseil du Trésor [le PE de 1990]?
2. Le ministre a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs [les intimés en appel]?
[42] Dans son examen des questions en litige, le juge s’est d’abord penché sur la norme de contrôle applicable. Il a conclu qu’il avait le pouvoir de contrôler la décision du ministre, ayant consisté selon lui à interpréter « les termes “adopter”, “comparables” et “conformément à” utilisés dans le [PE de 1990] comme commandant une correspondance avec les taux provinciaux » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 39). Le juge a conclu que la décision était contrôlable selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, mais que la norme de la décision correcte s’appliquait en ce qui concerne la deuxième question en litige portant sur l’équité procédurale.
[43] Le juge a procédé à un examen exhaustif des observations des parties – du paragraphe 41 au paragraphe 75 de sa décision –, et il a ensuite examiné une question préliminaire, qu’il a formulée comme suit : « Quelle est la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire? ». En réponse à cette question, au paragraphe 84 de sa décision, il a conclu que la décision contestée par les intimés était celle « du ministre d’interpréter le PE [de 1990] de façon étroite et d’exiger le respect des taux et des critères d’admissibilité provinciaux ».
[44] Le juge a commencé l’analyse des questions en litige dans les paragraphes suivants de la décision de la Cour fédérale. Mais avant d’examiner ces questions, il a déclaré que le ministre était tenu, « en vertu d’une politique publique, [d’]octroyer un financement pour les programmes d’aide au revenu dans les réserves depuis 1964 » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 85), ajoutant toutefois que le ministre bénéficiait d’un large pouvoir discrétionnaire dans la mise en œuvre de cette politique. Le juge a ajouté que, de quelque manière qu’il exerce ce pouvoir discrétionnaire, le ministre devait « respecter les limites et les paramètres des conditions de la politique et veiller à ce que les objectifs énoncés par le Conseil du Trésor soient atteints » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 86). Cela a conduit le juge à se poser la question qui est au cœur même du présent appel, à savoir si la décision du ministre d’exiger l’observation stricte des critères d’admissibilité et des taux provinciaux respectait le PE de 1990, celle-ci faisant en sorte que les membres des Premières Nations reçoivent les mêmes prestations d’aide au revenu que les autres Canadiens vivant hors réserve. Sa réponse figure au paragraphe 87 de la décision de la Cour fédérale, à savoir qu’en appliquant les normes provinciales à la fourniture d’aide au revenu aux membres des Premières Nations, le ministre leur fournirait un niveau de prestations d’aide sociale comparable à celui des autres résidents de leur province.
[45] Pour ce qui est des questions en litige, le juge a d’abord rejeté l’argument des intimés selon lequel le renvoi dans les manuels aux normes provinciales constituait une délégation inconstitutionnelle des pouvoirs du ministre. Le juge a jugé que ce renvoi constituait plutôt « un exercice de compétence fédérale consistant à financer l’aide sociale dans les réserves selon un traitement comparable des bénéficiaires de l’aide sociale vivant dans les réserves et hors réserve dans la même province », et il a conclu que « [m]ême s’il y a application des normes d’admissibilité et des taux établis par les provinces [du fait du renvoi aux normes provinciales], le gouvernement fédéral a toujours compétence au chapitre des questions relatives aux Indiens aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867 » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 88).
[46] Le juge a également rejeté l’argument des intimés voulant que le ministre ait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, étant donné que les critères de la comparabilité raisonnable étaient maintenus dans le manuel national de 2012.
[47] Le juge a ensuite constaté que les exigences d’admissibilité prévues dans le manuel d’Elsipogtog différaient de celles en vigueur dans la province du Nouveau-Brunswick. Il a conclu qu’on avait tenté avec le manuel national de 2012 d’harmoniser les exigences d’admissibilité applicables aux demandeurs vivant dans une réserve avec les exigences des provinces dans lesquelles ils vivaient. Il a toutefois relevé qu’il y avait contradiction dans le manuel national de 2012, qui exigeait d’une part le respect rigoureux des exigences d’admissibilité des provinces, et qui précisait d’autre part que, dans le cadre des programmes, l’aide devait être fournie selon des normes raisonnablement comparables à celles de la province ou du territoire de résidence. Cela a conduit le juge à déclarer : « La question est de savoir si l’imposition des taux et des critères d’admissibilité provinciaux entraînera pour les bénéficiaires dans les réserves une aide financière moindre que celle des personnes admissibles dans le cadre des régimes d’aide sociale provinciaux » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 90).
[48] Après avoir examiné les éléments de preuve (décision de la Cour fédérale, aux paragraphes 91 à 105), le juge s’est dit d’avis que le changement de politique d’Affaires autochtones – en passant de la norme du raisonnablement comparable à une norme d’observation rigoureuse des conditions et des taux provinciaux – aurait une incidence sur l’admissibilité des intimés. Le juge a ajouté que les intimés avaient présenté peu d’éléments de preuve à ce titre, hormis en ce qui concerne la province de l’Île-du-Prince-Édouard où, « à leurs dires, 35 p. cent des bénéficiaires n’auront plus droit aux prestations », et en ce qui concerne la province de la Nouvelle-Écosse où, selon les Premières Nations intimées, « les jeunes […] devront maintenant avoir 19 ans pour être admissibles » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 106).
[49] Le juge s’est ensuite posé la question suivante : « La décision d’appliquer rigoureusement les critères provinciaux est-elle conforme au protocole d’entente du Conseil du Trésor? » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 112). Ayant répondu par l’affirmative, le juge a donné les explications suivantes (décision de la Cour fédérale, aux paragraphes 113 à 115) :
[113] La Cour conclut néanmoins qu’elle est conforme au protocole d’entente du Conseil du Trésor pour les mêmes motifs que ceux présentés ci-dessus, à savoir que le libellé du manuel reflète l’objectif énoncé dans le [PE de 1990]. Elle n’est toutefois pas raisonnable, car aucune donnée sur le nombre de bénéficiaires qui n’auront plus droit à leurs prestations en raison de l’application des critères d’admissibilité provinciaux n’a été présentée. Le ministre n’a pas obtenu de données sur les répercussions qu’aurait l’application rigoureuse des critères d’admissibilité provinciaux sur les bénéficiaires; la décision n’est donc pas raisonnable (voir Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 91).
[114] La Cour observe également que le libellé du [manuel national de 2012] s’éloigne quelque peu de celui du [PE de 1990] en ce qui concerne les normes applicables aux programmes, puisque le concept de comparabilité raisonnable a été conservé. Les demandeurs [les intimés en appel] devraient donc tirer profit de ce changement, car la norme applicable aux programmes doit seulement être raisonnablement comparable.
[115] Comme j’ai conclu que l’application des critères d’admissibilité et des taux provinciaux est conforme au protocole d’entente du Conseil du Trésor, il ne reste plus qu’à examiner la question de la consultation.
[50] Ainsi, bien que le juge ait conclu que la décision du ministre de faire s’appliquer les taux et les critères d’admissibilité provinciaux à la fourniture de l’aide au revenu aux membres des Premières Nations vivant dans les réserves était parfaitement conforme à la directive de 1964 et au PE de 1990, il a jugé la décision déraisonnable parce que le ministre n’en avait aucunement évalué, en pratique, les répercussions sur les bénéficiaires d’aide au revenu des Premières Nations. Le juge a par conséquent porté son attention sur l’argument des intimés selon lequel il y avait eu manquement à l’équité procédurale, et qu’ils avaient droit à une véritable consultation.
[51] Le juge a d’abord clairement signifié son désaccord avec la thèse des intimés selon laquelle la présente affaire mettait en cause l’honneur de la Couronne. Il a jugé que les intimés n’avaient pas réussi à démontrer qu’il existait un droit ou un titre ancestral qui pourrait être touché négativement par la décision du ministre. Le juge a toutefois convenu avec les intimés que, dans les circonstances, ces derniers avaient le droit d’être traités de façon équitable sur le plan procédural.
[52] Le juge a ensuite indiqué qu’il passerait en revue « le cours des événements » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 124) pour déterminer si les intimés avaient le droit d’être traités équitablement sur le plan procédural, si Affaires autochtones avait l’obligation de les consulter et, le cas échéant, si le ministère les avait consultés adéquatement en ce qui concerne la décision du ministre.
[53] L’examen du « cours des événements » a permis au juge de dire que les Premières Nations avaient bien été consultées sur la mise en œuvre du manuel national de 2012, mais qu’elles avaient choisi de se mettre à l’écart du processus de consultation. Le juge a toutefois jugé qu’il n’y avait pas eu de consultation véritable sur « le bien-fondé d’une application rigoureuse des taux et des critères d’admissibilité provinciaux avant que le manuel ne soit élaboré et mis en œuvre » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 143). Autrement dit, les consultations d’Affaires autochtones auprès des Premières Nations avaient porté non pas sur l’opportunité de la mise en œuvre du manuel national de 2012 en sa forme existante, mais plutôt sur la nécessité pour les Premières Nations de s’adapter au nouveau régime.
[54] Le juge ayant conclu que les intimés avaient le droit d’être consultés et qu’il n’y avait pas eu de véritables consultations, il lui fallait se demander quelle était la portée de l’obligation de consultation. À cet égard, il a fait mention des facteurs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. n° 39, et il les a examinés au regard des faits et du contexte de l’affaire. Après l’examen de ces facteurs, le juge a conclu (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 153) que les intimés avaient droit à « une plus grande protection procédurale, prenant la forme de consultations, avant que la décision [du ministre] soit prise ». Les Premières Nations, a-t-il ajouté, n’avaient pas eu l’occasion de présenter leur point de vue sur la décision du ministre.
[55] Par conséquent, selon le juge, le ministre avait manqué à son obligation d’équité procédurale en ce qu’il aurait dû tenir des discussions de fond avec les intimés quant aux répercussions sur les bénéficiaires des Premières Nations de l’application rigoureuse des taux et critères d’admissibilité provinciaux, dans le contexte en particulier de la politique globale d’Affaires autochtones axée sur une plus grande autonomie des Premières Nations dans la gestion de leurs affaires (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 155).
III. Analyse
[56] Il y a selon moi deux questions à trancher. Premièrement, quelle est la norme de contrôle applicable? Deuxièmement, le juge a-t-il conclu erronément que le ministre devait consulter les Premières Nations avant de décider que les critères d’admissibilité à l’aide au revenu des membres des Premières Nations vivant dans une réserve devaient être identiques aux critères adoptés par la province où se situe cette réserve?
A. Quelle est la norme de contrôle applicable?
[57] Lorsqu’une décision en matière de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de la Cour consiste à décider « si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement » (Agence du revenu du Canada c. Telfer, 2009 CAF 23, [2009] A.C.F. n° 71, au paragraphe 18). On l’a dit, le juge a conclu que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’appliquait à la décision du ministre, et que la norme de la décision correcte s’appliquait à la question d’équité procédurale.
[58] Le procureur général estime comme le juge que la décision du ministre est assujettie à la norme de la décision raisonnable, puisque le ministre a interprété un document – le PE de 1990 – dont il avait une connaissance approfondie. Le procureur général convient également que l’équité procédurale appelle la norme de contrôle de la décision correcte. Quant aux intimés, ils n’ont formulé aucune observation sur ce sujet.
[59] Je suis moi aussi d’avis que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision du ministre. La Cour suprême a en effet établi que l’interprétation par un ministre de sa propre loi constitutive commandait la retenue et, par conséquent l’application de la norme de la décision raisonnable (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] A.C.S. n° 36, au paragraphe 50; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] A.C.S. n° 40, au paragraphe 55). Comme le juge l’a souligné, le PE de 1990 définit les pouvoirs du ministre quant à l’administration du Programme d’aide au revenu, de sorte que le ministre en a une connaissance approfondie.
[60] Pour ce qui est de la question de l’équité procédurale, il ne fait aucun doute qu’elle est contrôlable selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, aux paragraphes 79 et 83).
B. Le juge a-t-il conclu erronément que le ministre devait consulter les Premières Nations avant de décider que les critères d’admissibilité à l’aide au revenu des membres des Premières Nations vivant dans une réserve devaient être identiques aux critères adoptés par la province où se situe cette réserve?
[61] Pour déterminer si le juge a commis une erreur sur le point susmentionné, je dois examiner tant le PE de 1990 que les divers manuels pertinents d’Affaires autochtones.
(1) Le PE de 1990
[62] À mon avis, il n’y a rien d’ambigu dans ce que le PE de 1990 enjoint au ministre de faire. Le ministre doit fournir l’aide au revenu aux membres des Premières Nations selon les mêmes conditions que celles en vigueur dans la province où se situe leur réserve.
[63] La proposition d’Affaires autochtones, adoptée le 16 juillet 1964 par le Conseil du Trésor dans sa directive de 1964, a mis en branle le processus actuellement appliqué pour fournir de l’aide au revenu aux Premières Nations. Cette proposition et la directive de 1964 qui en est résultée sont sans équivoque : on visait l’adoption de normes et de procédures provinciales en ce qui concerne l’administration de l’aide destinée aux Autochtones vivant dans les réserves.
[64] La directive de 1964 a conduit à la conclusion du PE de 1990, qui prévoyait très clairement que le Programme d’aide sociale devait adopter [traduction] « les exigences d’admissibilité et les taux d’aide » des programmes d’aide en vigueur dans la province où se trouvait une Première Nation. Le PE de 1990 prévoyait également que les fonds pour le programme d’aide devaient être versés de manière « conforme » aux programmes d’aide généraux de la province.
[65] À l’annexe 1 du PE de 1990, intitulée [traduction] « Cadres de rendement du Programme », il est dit que l’objectif du programme d’aide sociale est [traduction] « de veiller à ce que les Indiens admissibles reçoivent le même montant de prestations d’aide sociale que les autres résidents de la province […] ». Sous la rubrique [traduction] « Sous-objectifs », on prévoit ensuite à l’annexe 1 que les Autochtones toucheront le [TRADUCTION] « [m]ême niveau de prestations » que les autres Canadiens et que, conformément à ce sous-objectif, on s’attend à ce que le [TRADUCTION] « [t]raitement équitable des Indiens admissibles vivant dans les réserves » fasse en sorte qu’ils reçoivent « des prestations comparables à celles offertes aux autres Canadiens ». L’expression [traduction] « prestations comparables » dans ce contexte ne peut que vouloir dire que les membres des Premières Nations seront traités de la même manière que les autres Canadiens. Cela ne veut pas dire ni ne peut vouloir dire que les membres des Premières Nations toucheront des prestations différentes de celles des autres Canadiens.
[66] Je suis par conséquent d’avis, avec égards, que le PE de 1990 est clair et non ambigu. Affaires autochtones doit fournir l’aide au revenu aux Premières Nations selon les conditions, c.-à-d. les taux et les critères d’admissibilité, en vigueur dans les provinces où elles se trouvent. Il s’agissait d’ordres donnés par le Conseil du Trésor au ministre, et la situation est depuis demeurée inchangée. Par conséquent, Affaires autochtones devait verser des fonds pour l’aide au revenu aux Premières Nations selon les mêmes conditions que celles qui s’appliquaient aux autres Canadiens des provinces en cause.
[67] C’est la conclusion à laquelle le juge est arrivé lorsqu’il a affirmé que la décision du ministre d’appliquer « rigoureusement les critères provinciaux [de manière] conforme au protocole d’entente du Conseil du Trésor » était conforme au PE de 1990 (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 112). Autrement dit, les efforts consentis par le ministre pour s’assurer que les fonds d’aide au revenu soient distribués selon les conditions, c.-à-d. les taux et les exigences d’admissibilité, en vigueur dans les provinces respectent la directive de 1964 et le PE de 1990. Il est utile à cet égard de se reporter à la déclaration suivante du juge (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 35) :
[35] Selon le défendeur [le procureur général], le [PE de 1990] constituait un exercice de son pouvoir légal à l’égard de la gestion financière des fonds [en application de l’alinéa 7(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, c. F-11] et imposait une contrainte au pouvoir du ministre de dépenser ces fonds […]. La Cour est d’accord. Comme le Parlement n’a pas légiféré dans le domaine de l’aide au revenu destinée aux Premières Nations, la directive, le [PE de 1990] et la Politique sur les paiements de transfert du Conseil du Trésor sont les seuls documents qui expriment l’objectif ou l’intention du Parlement relativement à la fourniture d’un financement de l’aide au revenu dans les réserves. En ce sens, ils constituent une sorte de prise de décision législative où le ministre est lié par la décision discrétionnaire qu’il a prise à l’égard de la dépense des fonds autorisés à cette fin. Selon la Cour, ces documents sont bien plus que de simples lignes directrices pour la dépense des fonds et la gestion efficiente du Programme d’aide au revenu, car ils établissent également les critères de dépense de ces fonds et les résultats à atteindre (voir le [PE de 1990]).
[Non souligné dans l’original.]
(2) Manuels des Affaires autochtones
[68] Examinons maintenant les divers manuels élaborés par Affaires autochtones en vue de déterminer si le ministre a agi comme il se devait en ce qui concerne la fourniture de l’aide au revenu aux Premières Nations. Selon le procureur général, il faut répondre par l’affirmative, tandis que les intimés soutiennent le contraire.
[69] Premièrement, il y a le manuel de 1991, qui concernait les Premières Nations du Nouveau-Brunswick. On y indiquait clairement qu’Affaires autochtones voulait faire en sorte que soient [traduction] « adoptés et appliqués les taux et les conditions établis par le gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick », puis que les Autochtones devaient recevoir [TRADUCTION] « des prestations comparables à celles offertes aux non-Indiens dont la situation est semblable ». Ainsi, en contexte, les mots [traduction] « prestations comparables à celles offertes aux non-Indiens » voulaient nécessairement dire que les Autochtones toucheraient les mêmes prestations que les non-Autochtones.
[70] Ensuite, l’ébauche de manuel national de 2004 prévoyait que les normes de prestation de l’aide au revenu pour les Autochtones devaient être [traduction] « raisonnablement comparables à celles de la province ou du territoire de résidence de référence ». Elle prévoyait également que les programmes d’aide au revenu devaient être dispensés selon des [traduction] « normes […] raisonnablement comparables à celles de la province ou du territoire de résidence de référence ». Avec égards, rien dans ce libellé ne me semble justifier ou permettre de s’écarter de la directive explicite du PE de 1990 selon laquelle les taux et les exigences d’admissibilité doivent être ceux de la province où se trouve une Première Nation. En d’autres termes, le seul sens que l’on peut donner à l’expression [traduction] « raisonnablement comparables » est qu’il faut traiter les Autochtones de la même manière que les non-Autochtones en ce qui a trait à la fourniture de l’aide au revenu.
[71] Passons maintenant au manuel national de 2005. On y déclarait d’abord bien clairement que le Programme d’aide au revenu était « guidé par les taux et les critères d’admissibilité établis par les provinces ou les territoires en cause ». On y ajoutait, comme dans l’ébauche de manuel national de 2004, que les normes de prestation de l’aide au revenu pour les Autochtones devaient être « relativement comparables à celles de la province ou du territoire de résidence ». À l’article 1.6.5, il est souligné que le PE de 1990 enjoignait de fournir l’aide au revenu « en fonction de normes raisonnablement comparables à celles de la province ou du territoire en cause », et que par conséquent les normes applicables devaient être tirées des dispositions législatives de la province ou du territoire en matière d’aide au revenu.
[72] Avec égards, encore une fois, il ne fait guère de doute qu’Affaires autochtones indique au moyen du manuel national de 2005 que les taux et les conditions d’admissibilité pour la fourniture d’aide au revenu aux Premières Nations sont ceux de la province où elles se trouvent. Rien dans le manuel ne justifie une interprétation différente.
[73] Avant de traiter de l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011, je veux simplement mentionner que, dans les manuels nationaux d’aide au revenu de 2006 et de 2007, on a utilisé le même libellé que dans l’ébauche de manuel national de 2004 et dans les manuels nationaux de 2005 auxquels je viens de faire référence.
[74] L’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011 prévoit, comme les manuels précédents, que les programmes doivent être dispensés [traduction] « selon des normes raisonnablement comparables à celles en vigueur dans la province ou le territoire de résidence de référence », et que le Programme d’aide au revenu pour les Autochtones vivant dans une réserve doit être administré [traduction] « en appliquant les mêmes taux et les mêmes critères d’admissibilité que le programme parallèle administré par la province pour les résidents hors réserve ». On ne peut sérieusement soutenir selon moi, au vu de ce libellé, qu’Affaires autochtones entendait s’écarter de la directive du PE de 1990 prévoyant explicitement que l’aide au revenu devait être fournie aux membres des Premières Nations vivant dans des réserves selon les mêmes conditions que celles en vigueur dans les provinces. L’article 4 de l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011, qui prévoit sous la rubrique [TRADUCTION] « Allocation de base » que [traduction] « les taux d’allocation de base devraient correspondre aux normes et aux taux de la province », renforce cette conclusion.
[75] Le dernier manuel examiné est le manuel national de 2012, qui prévoit, comme les autres manuels, que les programmes doivent être « dispensés selon des normes raisonnablement comparables à celles en vigueur dans la province ou le territoire de résidence de référence », tout en ajoutant que les montants payables au titre de l’aide au revenu pour les Indiens seront « équivalents aux taux en vigueur dans la province ou le territoire de référence ». Un libellé identique est utilisé plus loin sous la rubrique « Type de dépenses admissibles ». Ensuite, sous la rubrique « Conditions d’admissibilité pour les clients », le manuel national de 2012 précise que les clients des Premières Nations doivent démontrer qu’ils sont admissibles « […] à une aide financière […] (telle que définie par la province ou le territoire de résidence […]) ».
[76] Encore une fois, le manuel national de 2012 ne laisse aucun doute dans l’esprit du lecteur quant à l’objectif visé : Affaires autochtones et ceux qui administrent le Programme d’aide au revenu doivent se conformer au PE de 1990.
[77] Avec respect pour l’opinion contraire, rien n’indique selon moi dans l’un ou l’autre manuel en cause que le ministre et Affaires autochtones aient voulu s’écarter de la directive donnée par le Conseil du Trésor dans le PE de 1990, selon laquelle l’aide au revenu doit être fournie aux Premières Nations selon les mêmes conditions que celles en vigueur dans la province. Quoi qu’il en soit, c’est cette approche que le ministre a retenue en adoptant le dernier manuel, qui vise à ce que les taux et critères d’admissibilité provinciaux s’appliquent à l’aide au revenu destinée aux Premières Nations. Selon la norme de la décision raisonnable, cette décision n’est assurément pas déraisonnable.
(3) Le point de vue du juge
[78] Le juge a conclu que la décision contestée par les intimés était conforme à la directive de 1964 et au PE de 1990, étant d’avis que le manuel national de 2012 « reflé[ait] l’objectif énoncé dans le [PE de 1990] initial » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 113). Le juge a néanmoins jugé la décision du ministre déraisonnable en raison de ses répercussions sur certains bénéficiaires, qui seraient par suite de l’application des taux et critères d’admissibilité provinciaux privés de leurs prestations d’aide au revenu (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 113). Le raisonnement du juge s’appuie sur plusieurs conclusions tirées à diverses étapes de la décision de la Cour fédérale.
[79] Premièrement, le juge a déclaré aux paragraphes 83 et 84 de la décision de la Cour fédérale que, même si la décision du ministre était limitée par les conditions de la directive de 1964 et du PE de 1990, la décision que contestaient effectivement les intimés était la décision du ministre d’interpréter le PE de 1990 de façon étroite et de la sorte d’exiger que les taux et les critères d’admissibilité provinciaux s’appliquent à la fourniture de l’aide au revenu aux membres des Premières Nations vivant dans une réserve.
[80] Deuxièmement, le juge a conclu, au paragraphe 86 de la décision de la Cour fédérale, que le ministre bénéficiait d’un vaste pouvoir discrétionnaire dans l’application de la politique adoptée par le Conseil du Trésor. Dans l’exercice de ce pouvoir, le ministre devait respecter les paramètres de la politique et veiller à ce que les objectifs énoncés par le Conseil du Trésor soient atteints.
[81] Troisièmement, le juge a dit, aux paragraphes 86 et 87 de la décision de la Cour fédérale, qu’il fallait se demander si la décision du ministre respectait les principes établis dans le PE de 1990. Ayant répondu par l’affirmative, le juge a conclu qu’en rendant applicables les conditions et les taux provinciaux à l’aide au revenu, le ministre atteindrait l’objectif visé que les membres des Premières Nations reçoivent des prestations d’aide sociale comparables à celles des autres Canadiens.
[82] Quatrièmement, le juge a jugé que le manuel national de 2012 constituait un changement de politique de la part du ministre. Il a comparé le libellé du manuel de 1991 et de l’ébauche de manuel national de 2004 à celui de l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011 et du manuel national de 2012, et il a conclu que, selon les manuels plus anciens, l’aide au revenu aux Premières Nations devait être octroyée selon des normes « raisonnablement comparables » à celles des provinces. Le libellé utilisé dans l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011, toutefois, « exigeait le respect intégral des normes et des taux provinciaux ou une correspondance avec ceux-ci » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 20), tandis que le manuel national de 2012 prescrivait l’application rigoureuse des taux provinciaux, tout en semblant, de manière contradictoire, à la fois conserver et écarter pour l’admissibilité le critère de la comparabilité raisonnable (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 22).
[83] C’est cette perception de l’évolution des manuels qui a conduit le juge à conclure, au paragraphe 105 de la décision de la Cour fédérale, que l’interprétation faite par le ministre du PE de 1990, dont témoigne le manuel national de 2012, constituait un changement de politique. Le juge a toutefois jugé ce changement de politique conforme au PE de 1990, étant donné que celui-ci prescrivait que les bénéficiaires des Premières Nations devaient recevoir les mêmes prestations que les autres Canadiens.
[84] Cinquièmement, bien que le juge ait jugé conforme au PE de 1990 la décision du ministre d’imposer l’application des taux et des critères d’admissibilité provinciaux à la fourniture de l’aide au revenu aux Premières Nations, il a néanmoins conclu que cette décision était déraisonnable parce que le ministre n’avait pas évalué adéquatement les répercussions de ce « changement de politique » sur ceux ayant eu droit dans le passé à des prestations d’aide au revenu.
[85] Ainsi, le juge a conclu, en raison de la décision du ministre d’adopter une approche différente en ce qui concerne la fourniture de l’aide au revenu aux Premières Nations – passant de la comparabilité raisonnable aux normes appliquées par les provinces à l’application rigoureuse des conditions d’admissibilité et des taux provinciaux –, que les intimés avaient droit à l’équité procédurale.
(4) Analyse
[86] À mon avis, le juge a commis plusieurs erreurs.
[87] Je dirai tout d’abord que, clairement, le ministre ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire quant à l’application de la directive de 1964 et du PE de 1990. On prescrivait dans ces documents que les critères d’admissibilité à l’aide au revenu des membres des Premières Nations vivant dans une réserve devaient être identiques à ceux des autres Canadiens vivant hors réserve. Le ministre n’avait d’autre choix que de veiller à la mise en œuvre de la directive de 1964 et du PE de 1990. Selon moi, le ministre le comprenait bien lorsque les manuels en cause ont été adoptés. Autrement dit, le ministre savait que le respect intégral des critères d’admissibilité provinciaux était la norme qu’il devait appliquer.
[88] Le juge était par conséquent dans l’erreur lorsqu’il a déclaré (au paragraphe 86 de la décision de la Cour fédérale) que le ministre bénéficiait d’un large pouvoir discrétionnaire dans la mise en œuvre de la directive de 1964 et du PE de 1990. Le ministre ne disposait en fait d’aucun pouvoir discrétionnaire quant aux critères d’admissibilité à appliquer pour la fourniture de l’aide au revenu aux membres des Premières Nations vivant dans une réserve.
[89] Il convient en deuxième lieu de souligner que les manuels ne reflètent aucun changement de politique de la part du ministre. J’ai déjà expliqué pourquoi je suis d’avis que les manuels, interprétés en contexte, mettaient clairement en œuvre l’obligation prévue dans la directive de 1964 et le PE de 1990 de dispenser l’aide au revenu aux Premières Nations selon les critères d’admissibilité en vigueur dans la province. Selon moi, le juge a commis une erreur en concluant qu’il y avait eu un changement de politique lorsque le ministre a adopté l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011 et le manuel national de 2012. Il n’y a pas eu de changement de politique.
[90] Le juge a aussi conclu erronément que les intimés avaient le droit à l’équité procédurale sous forme de consultations quant au bien-fondé de la décision du ministre d’imposer l’application rigoureuse des conditions d’admissibilité et des taux provinciaux. Je tire cette conclusion pour deux motifs. Premièrement, les manuels sont conformes à l’obligation faite dans la directive de 1964 et le PE de 1990 de dispenser l’aide au revenu aux Premières Nations selon les critères d’admissibilité en vigueur dans les provinces. Le ministre ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard et, par conséquent, des consultations sur le bien-fondé de sa décision seraient vaines et injustifiées. Deuxièmement, rien dans les manuels ne permet de conclure que le ministre a modifié une politique. En de telles circonstances, les intimés n’avaient droit à aucune forme de consultation quant au bien-fondé de la décision.
[91] Je souhaite traiter d’un dernier point avant de conclure. Indépendamment du contenu des manuels, selon les intimés, Affaires autochtones a interprété et appliqué le PE de 1990 comme s’il exigeait que les taux et les normes d’admissibilité pour les membres des Premières Nations vivant dans une réserve soient « raisonnablement comparables » aux normes et aux taux provinciaux. Sans en décider, je tiendrai pour acquis qu’il en est ainsi aux fins de la discussion qui suit.
[92] Je suis d’avis que, même si Affaires autochtones avait bel et bien interprété et appliqué le PE de 1990 de cette manière, cela ne changerait en rien l’issue du présent appel. Premièrement, aucun fondement juridique ne permettait à Affaires autochtones d’interpréter et d’appliquer le PE de 1990 aussi libéralement, puisque le Conseil du Trésor avait clairement indiqué la façon dont l’aide au revenu devait être dispensée aux Premières Nations. Par conséquent, le ministre n’avait d’autre choix en ce qui concerne les critères d’admissibilité que d’appliquer les normes et les taux provinciaux. Deuxièmement, on peut tout au plus dire que, dans les circonstances, les intimés auraient eu droit dans une certaine mesure à l’équité procédurale, ce qui se serait traduit par un avis formel de l’intention du ministre d’exiger l’observation stricte des taux et critères d’admissibilité provinciaux, ainsi que par l’octroi aux Premières Nations d’un délai de transition pour se conformer à cette approche stricte, et une offre de formation sur la mise en œuvre du manuel national de 2012. Selon moi, les intimés n’avaient assurément pas droit à ce qu’on les consulte sur le « bien-fondé » de la décision du ministre d’appliquer les normes et les taux provinciaux.
[93] Ainsi, d’après moi, en donnant un avis, un délai et de la formation aux Premières Nations en vue de leur permettre de modifier le mode d’administration du programme d’aide au revenu pour appliquer les critères d’admissibilité provinciaux, le ministre a respecté son obligation d’équité procédurale.
[94] En bref, Affaires autochtones a donné avis, lors d’une rencontre en mai 2011 avec le Congrès des chefs des Premières nations de l’Atlantique (le Congrès des chefs de l’Atlantique), que l’aide au revenu allait devoir être fournie aux membres des Premières Nations vivant dans une réserve, à compter du 1er novembre 2011, de manière rigoureusement conforme aux taux et aux critères d’admissibilité provinciaux. Certains intimés ont réagi par l’adoption d’une motion s’opposant à ce qu’ils prétendaient être un changement de politique.
[95] En septembre 2011, le sous-ministre des Affaires autochtones a rencontré certains intimés pour discuter de leurs préoccupations concernant l’aide au revenu fournie aux Premières Nations. Affaires autochtones a présenté l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011 au Congrès des chefs de l’Atlantique à la fin de septembre 2011 et, plus tard le même mois, il a tenu une réunion d’information à Fredericton, à l’intention des intimés, au sujet de l’application des normes et des taux provinciaux. Le 29 septembre 2011, le Congrès des chefs de l’Atlantique a adopté une résolution d’appui aux chefs de la Nouvelle-Écosse dans leur opposition à la mise en œuvre de l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011, et il a demandé la création d’un groupe de travail mixte sur l’aide sociale devant discuter, notamment, de l’adoption proposée des taux et normes d’aide au revenu provinciaux. Les intimés, les chefs de la Nouvelle-Écosse, et Affaires autochtones ont alors mis sur pied un comité directeur et un sous-comité de travail mixtes pour examiner ces questions.
[96] À la fin d’octobre 2011, le processus engagé par le comité a pris fin, et le ministre a reporté du 1er novembre 2011 à la fin mars 2012, tout au moins, la mise en œuvre projetée de l’ébauche de manuel pour le Canada atlantique de 2011. Le 20 décembre 2011, le ministre a écrit au Congrès des chefs de l’Atlantique pour demander sa participation à un groupe de travail dirigé par Affaires autochtones, et pour offrir une séance de formation de deux jours ainsi que des séances de formation individuelles au Nouveau-Brunswick portant sur la mise en œuvre proposée. Le 28 décembre 2011, le ministre a écrit aux chefs du Nouveau-Brunswick pour les aviser que le 1er avril 2012 était désormais la date prévue de la mise en œuvre, et pour les inviter à présenter au groupe de travail leurs propositions quant à toute solution de rechange. Les chefs ont décliné l’invitation. Enfin, à la mi-février 2012, Affaires autochtones a organisé à l’intention des administrateurs du développement social des Premières Nations un atelier portant sur la mise en œuvre des normes et des taux provinciaux.
[97] Au vu des faits exposés, je suis d’avis que l’obligation d’équité procédurale a été respectée. Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a énoncé quels étaient, dans le contexte du droit administratif, les éléments constitutifs de l’équité procédurale. Elle a plus particulièrement énoncé ce qui suit, au paragraphe 28 de ses motifs :
[…] Les valeurs qui sous-tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.
[98] L’équité procédurale repose sur le principe que les participants à un processus doivent avoir la possibilité de présenter équitablement leurs positions. Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a dressé une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte en vue d’établir si l’obligation d’équité a été respectée dans un processus donné. En dressant cette liste, la Cour suprême a clairement indiqué que l’obligation d’équité était souple et variable et qu’elle reposait, il va sans dire, sur une appréciation par le décideur du contexte de la loi en cause et des droits touchés par la décision. Les facteurs énumérés par la Cour suprême sont les suivants :
(1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;
(2) la nature du régime législatif concerné;
(3) l’importance de la décision pour les personnes visées;
(4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;
(5) enfin, les choix de procédure faits par le décideur.
[99] Contrairement à l’affaire Baker, aucun « droit de participation » n’est en cause en l’espèce. De plus, si des droits de participation avaient été en cause, ce sont les conseils de bande en leur qualité d’administrateurs du Programme d’aide au revenu qui auraient été touchés. Les personnes vivant dans une réserve ne disposent pas, selon moi, de tels droits. Fait important, la décision du ministre n’a pas fait suite à une audience, et elle ne portait pas sur des droits individuels; il a simplement été décidé que les normes et taux provinciaux s’appliqueraient à la fourniture d’aide au revenu aux Premières Nations. Autre fait important, la décision du ministre n’est en réalité qu’une réaffirmation de la directive de 1964 et du PE de 1990, ni plus, ni moins.
[100] La décision du ministre n’aura pas de répercussions sur les intimés en leur qualité d’administrateurs du Programme d’aide au revenu, si ce n’est qu’ils devront adapter leur mode d’administration de manière à respecter les critères d’admissibilité imposés par le PE de 1990 et par la décision du ministre. Quant aux bénéficiaires individuels d’aide au revenu vivant dans des réserves, la décision du ministre aura pour effet de rendre inadmissibles aux prestations d’aide au revenu, ou à une partie de ces prestations, ceux qui ne répondent pas aux critères d’admissibilité des provinces. Le niveau d’équité procédurale offert, que j’estime d’ailleurs plutôt élevé, et dont nous avons traité plus haut (l’avis officiel, le délai de transition, et la formation donnés) suffit pour satisfaire à l’obligation d’équité envers ces personnes. Il importe de ne pas oublier l’objectif général visé par le prétendu changement de politique, soit que les membres des Premières Nations vivant dans une réserve soient traités de la même manière que les autres Canadiens qui vivent hors réserve.
[101] Il est pertinent de répéter que, dès le départ, le principe à la base de la fourniture d’aide au revenu aux Premières Nations était que leurs membres devaient recevoir cette aide selon les taux et les normes en vigueur dans la province où ils habitent. Les intimés, en leur qualité d’administrateurs du Programme d’aide au revenu, ont pour responsabilité de fournir aux personnes vivant sur leur territoire une aide au revenu conforme aux conditions établies par le Conseil du Trésor dans le PE de 1990. La décision contestée n’a fait que réaffirmer une obligation existant de longue date. Dans les circonstances et pour les motifs exposés, dans la mesure où les intimés avaient droit à l’équité procédurale, ils avaient droit à un avis, une formation, et un délai en vue de leur permettre d’adapter ou de modifier au besoin leur mode d’administration du Programme d’aide au revenu. Au regard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, dont je n’ai pas à approfondir l’examen, l’obligation d’équité procédurale a été respectée. Contrairement à ce qu’a conclu le juge, je suis d’avis que rien ne justifie une ordonnance portant que les intimés doivent être consultés quant au « bien-fondé » de la décision du ministre.
IV. Conclusion
[102] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais le jugement du 4 novembre 2013 de la Cour fédérale et, rendant le jugement qui aurait dû l’être, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire des intimés avec dépens.
« M. Nadon »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Johanne Trudel, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Richard Boivin, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Mario Lagacé, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DoSSIER : |
A-410-13 |
(APPEL D’UN JUGEMENT DU JUGE SCOTT DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉ DU 4 NOVEMBRE 2013, NUMÉRO DE DOSSIER T-1649-11)
INTITULÉ : |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. CHEF JESSE JOHN SIMON et autres
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Halifax (NOUVELLE-ÉCOSSE)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 8 SEPTEMBRE 2014
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE NADON
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Y ONT SOUSCRIT : |
LES JUGES TRUDEL et BOIVIN
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DATE : |
LE 23 JANVIER 2015
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COMPARUTIONS :
REINHOLD M. ENDRES, c.r. JULIEN S. MATTE |
POUR L’APPELANT |
NAIOMI METALLIC JASON COOKE |
POUR LES INTIMÉS
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
WILLIAM F. PENTNEY SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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POUR L’APPELANT
|
BURCHELLS LLP HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE) |
POUR LES INTIMÉS
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