Date : 20150204
Dossier : A-227-14
Référence : 2015 CAF 39
CORAM : |
LA JUGE DAWSON LE JUGE RYER LE JUGE WEBB |
ENTRE : |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
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demandeur |
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et |
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TRITECH GROUP LTD. |
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défenderesse |
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 4 février 2015.
Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 4 février 2015.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : |
LE JUGE RYER |
Date : 20150204
Dossier : A-227-14
Référence : 2015 CAF 39
CORAM : |
LA JUGE DAWSON LE JUGE RYER LE JUGE WEBB |
ENTRE : |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
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demandeur |
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et |
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TRITECH GROUP LTD. |
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défenderesse |
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 4 février 2015).
LE JUGE RYER
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision (n° de dossier PR-2013-035 2014) du Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE), datée du 31 mars 2014 : 2014 CanLII 33813. Le TCCE a accueilli une plainte déposée par la défenderesse, Tritech Group Ltd., selon laquelle Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) a indûment rejeté une soumission qu’elle avait présentée en réponse à une demande d’offre à commandes (la DOC) publiée par TPSGC, au nom du ministère des Pêches et Océans.
[2] Aux termes de la DOC, le soumissionnaire devait présenter une offre à commandes pour la fabrication et la fourniture de longerons modulaires du châssis en aluminium de trois différentes tailles (les bâtiments modulaires), et d’autres documents connexes.
[3] Voici les conditions de la DOC :
(a) chaque soumissionnaire doit présenter une offre à commandes (offre à commandes) dans le but de vendre les bâtiments modulaires pour une période d’un an, avec deux options d’un an (durée de l’offre à commandes);
(b) les prix des bâtiments modulaires (prix unitaires) doivent être indiqués à l’annexe B de chaque offre à commandes et valides (condition relative à l’établissement de prix fixes) pendant toute la durée de l’offre à commandes;
(c) TPSGC pouvait accepter l’offre à commandes dans les 90 jours (période d’acceptation de 90 jours) suivant la date de clôture pour la remise des soumissions;
(d) TPSGC pouvait demander par écrit (demande de prolongation de la période d’acceptation) une prolongation de la période d’acceptation de 90 jours à tous les soumissionnaires ayant déposé une soumission recevable.
[4] La défenderesse a présenté une offre à commandes dans laquelle étaient indiqués les prix unitaires à l’annexe B. Elle a aussi inscrit les deux phrases suivantes (les phrases contestées) à l’annexe B, à savoir :
[traduction] Les prix des matériaux sont valides pour 90 jours. Après 90 jours, les prix des matériaux seront indexés en fonction des indices des prix de l’aluminium en Amérique du Nord.
[5] La présente demande tourne autour de l’interprétation des phrases contestées.
[6] TPSGC a rejeté l’offre à commandes de la défenderesse et a conclu qu’elle n’était pas conforme puisque les phrases contestées constituaient une modification non autorisée des conditions de la DOC, plus particulièrement de la condition relative à l’établissement de prix fixes.
[7] La défenderesse a déposé une plainte auprès du TCCE et a demandé que l’attribution du contrat soit reportée, mais cela s’est avéré impossible. Dans sa plainte, la défenderesse a soutenu que les phrases contestées ne se rapportaient pas à la condition relative à l’établissement de prix fixes. Elle a plutôt affirmé que ces phrases devaient s’appliquer seulement si TPSGC présentait une demande de prolongation de la période d’acceptation.
[8] Le TCCE a conclu que la défenderesse aurait été liée par la condition relative à l’établissement de prix fixes si son offre à commandes avait été acceptée au courant de la période d’acceptation de 90 jours et que, par conséquent, TPSGC n’aurait pas dû rejeter son offre au motif qu’elle n’était pas conforme. Comme il était impossible de reporter l’attribution du contrat, le TCCE a conçu une mesure de réparation, dont les détails n’étaient pas contestés dans le cadre de la présente demande.
[9] En faisant droit à la plainte, le TCCE a rejeté l’interprétation que TPSGC avait donnée aux phrases contestées au motif qu’elle était déraisonnable et a conclu ce qui suit :
(a) l’ajout des phrases contestées à l’annexe B de l’offre à commandes de la défenderesse reflétait une « réalité commerciale » en ce sens qu’un soumissionnaire voudrait réviser ses prix si on lui demandait de prolonger la période d’acceptation, ce qui permettrait à TPSGC d’accepter son offre après la période d’acceptation de 90 jours;
(b) les phrases contestées faisaient seulement référence au [traduction] « prix des matériaux », c.‑à-d. le prix des composants en aluminium des bâtiments modulaires, et il n’y avait aucune autre mention des « prix des matériaux » ailleurs dans l’offre à commandes de la défenderesse. Au contraire, toutes les autres références aux prix se rapportaient aux prix unitaires des bâtiments modulaires et ces prix n’étaient pas touchés par les phrases contestées;
(c) il y avait une « correspondance parfaite » entre la période de 90 jours mentionnée dans les phrases contestées et la période de 90 jours pendant laquelle TPSGC pouvait accepter l’offre à commandes, ce qui corroborait essentiellement l’affirmation de la défenderesse, et l’opinion du TCCE, selon laquelle les phrases contestées ne visaient pas à modifier les prix unitaires; elles étaient plutôt censées s’appliquer seulement si TPSGC présentait une demande de prolongation de la période d’acceptation;
(d) toute confusion quant au sens des phrases contestées aurait très bien pu être évitée si TPSGC avait demandé des éclaircissements à la défenderesse.
[10] La Cour est tenue d’examiner la décision du TCCE selon la norme déférente de la décision raisonnable. (Voir Construction de Défense (1951) Limitée c. Zenix Engineering Ltd., 2008 CAF 109.) Cela signifie que nous devons déterminer si le raisonnement du TCCE tient à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité » et si sa décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (Voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.)
[11] Le demandeur prétend que le TCCE a commis une erreur en obligeant TPSGC à demander des éclaircissements à la défenderesse quant à l’ajout des phrases contestées à l’annexe B de son offre à commandes. À notre avis, le TCCE n’a pas fondé sa décision sur celle de TPSGC de ne pas demander de précisions. Nous interprétons plutôt les remarques du TCCE comme voulant dire que, lorsqu’une soumission est rédigée en des termes qui se prêtent à plusieurs interprétations, TPSGC est libre de se faire sa propre opinion quant au sens de ces mots. Toutefois, ce faisant, il risque d’arriver à une interprétation erronée ou déraisonnable pouvant avoir des conséquences défavorables – un risque qui peut être évité en demandant des éclaircissements.
[12] Nul ne conteste que TPSGC puisse rejeter la soumission de la défenderesse s’il juge qu’elle n’est pas conforme. Dans l’affaire dont nous sommes saisis, la controverse découle des interprétations contradictoires des phrases contestées. Pour que sa demande soit accueillie, le demandeur doit nous convaincre que l’interprétation retenue par le TCCE est déraisonnable.
[13] À cet égard, le demandeur affirme qu’il était déraisonnable pour le TCCE de conclure que ces phrases ne se rapportaient pas à la condition relative à l’établissement de prix fixes ou qu’elles n’avaient pas pour effet de la modifier. Cependant, il semble que la seule raison avancée à l’appui de cette affirmation soit que, comme les phrases contestées ont été ajoutées à l’annexe B de l’offre à commandes de la défenderesse, laquelle comprenait aussi les prix unitaires des bâtiments modulaires, ces phrases devraient s’appliquer aux prix unitaires et avoir pour effet de les modifier.
[14] En toute déférence, cette affirmation n’est pas convaincante et ne permet pas d’établir que l’interprétation que le TCCE a faite des phrases contestées est déraisonnable.
[15] À notre avis, les motifs du TCCE, dont il est question aux alinéas 9(a), (b) et (c) ci-dessus, justifient sa conclusion quant au sens des phrases contestées de manière suffisamment transparente et intelligible. En outre, nous concluons que la décision du TCCE de faire droit à la plainte appartient aux issues possibles acceptables.
[16] En conséquence, nous sommes d’avis que la demande devrait être rejetée avec dépens, que les parties ont convenu d’établir à 4 000 $.
« C. Michael Ryer »
j.c.a.
Traduction certifiée conforme
Mario Lagacé, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
A-227-14 |
LA COUR EST SAISIE D’UNE DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE À L’ENCONTRE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR DATÉE DU 31 MARS 2014
INTITULÉ : |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. TRITECH GROUP LTD.
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 4 FÉVRIER 2015
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MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : |
LA JUGE DAWSON LE JUGE RYER LE JUGE WEBB
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PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR : |
LE JUGE RYER |
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COMPARUTIONS :
Max Binnie
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POUR LE DEMANDEUR
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David Wilson Benjamin Grant
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POUR LA DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DEMANDEUR
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Conway Baxter Wilson LLP Ottawa (Ontario) |
POUR LA DÉFENDERESSE
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