Date : 20150216
Dossier : A-439-13
Référence : 2015 CAF 46
CORAM : |
LE JUGE NADON LA JUGE DAWSON LA JUGE TRUDEL |
ENTRE : |
OFFSHORE INTERIORS INC. |
appelante |
et |
HARRY SARGEANT III et COMERICA BANK |
intimés |
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 juin 2014.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 février 2015.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE NADON |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE DAWSON LA JUGE TRUDEL |
Date : 20150216
Dossier : A-439-13
Référence : 2015 CAF 46
CORAM : |
LE JUGE NADON LA JUGE DAWSON LA JUGE TRUDEL |
ENTRE : |
OFFSHORE INTERIORS INC. |
appelante |
et |
HARRY SARGEANT III et COMERICA BANK |
intimés |
MOTIFS DU JUGEMENT
TABLE DES MATIÈRES (PAR PAGE)
I. LE CONTEXTE FACTUEL ET PROCÉDURAL
II. LES DÉCISIONS VISÉES PAR LE CONTRÔLE
A. La décision du 5 mars 2013 du protonotaire
B. La décision du 19 décembre 2013 de la Cour fédérale
(a) L'obligation de remboursement
(b) Les avances en tant que fonds
(c) La preuve de l'existence d'un compte courant
(d) Le manque de détails de l'hypothèque de constructeur
A. Quelle est la norme de contrôle applicable?
(a) Principes de l'interprétation contractuelle
(b) La nature des hypothèques de constructeur
(c) L'hypothèque de constructeur avait pour objet de garantir les avances versées par M. Sargeant
LE JUGE NADON
[1] La Cour est saisie de l'appel interjeté par Offshore Interiors Inc. (Offshore) à l'encontre d'une ordonnance de la juge Strickland de la Cour fédérale (la juge) du 19 décembre 2013, 2013 CF 1266 (le jugement de la Cour fédérale), selon laquelle une hypothèque de constructeur inscrite en faveur de Harry Sargeant III (M. Sargeant) sur le navire « QE014226C010 » (le navire) garantissait les avances qu'il avait versées à Worldspan Marine Inc. (Worldspan) pour la construction du navire. Ainsi, elle a conclu que Worldspan était tenue de rembourser les fonds avancés par M. Sargeant.
[2] Étant arrivée à cette conclusion, la juge a accueilli l'appel interjeté par M. Sargeant et Comerica Bank (Comerica) de l'ordonnance du protonotaire Lafrenière (le protonotaire) du 5 mars 2013 (le jugement du protonotaire), qui avait conclu que l'hypothèque de constructeur de M. Sargeant (l'hypothèque de constructeur) ne garantissait que la livraison du navire à M. Sargeant et que, par conséquent, Worldspan n'était nullement tenue de rembourser les avances que lui avait versées M. Sargeant.
[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejetterais l'appel. J'en arrive à cette conclusion car, selon moi, la juge n'a pas commis une erreur de droit ni une erreur manifeste et dominante. Plus précisément, je suis d'avis qu'en arrivant à la conclusion que l'hypothèque de constructeur garantissait les avances versées par M. Sargeant à Worldspan, la juge a correctement interprété l'hypothèque de constructeur à la lumière du contexte factuel, qui comprenait un contrat de construction de navire (le contrat de construction) conclu entre M. Sargeant et le constructeur, Worldspan.
I. LE CONTEXTE FACTUEL ET PROCÉDURAL
[4] Les faits pertinents sont plutôt simples et ne sont pas contestés. Par conséquent, un bref sommaire suffira pour les besoins du présent appel.
[5] Le 29 février 2008, M. Sargeant a signé le contrat de construction avec Worldspan en vertu duquel Worldspan a convenu de concevoir, de construire, d'équiper, de mettre à l'eau et de compléter le navire — un yacht de luxe sur commande, d'une longueur de 142 pieds — ainsi que de le vendre et de le livrer à M. Sargeant.
[6] En mars 2008, la construction du navire a débuté et, le 14 mai 2008, l'hypothèque de constructeur sur le navire a été inscrite en faveur de M. Sargeant au registre maritime de Vancouver.
[7] Au mois d'août 2009, les paiements qui avaient été faits par M. Sargeant ou pour son compte à Worldspan totalisaient 11 064 525,38 dollars américains. Le 14 août 2009, M. Sargeant a conclu avec Comerica un contrat de prêt à la construction d'un montant supplémentaire de 9 400 000 dollars américains, en vue de financer l'achèvement de la construction du navire. Au moyen d'un contrat de cession de garantie et d'hypothèque (datant également du 14 août 2009), M. Sargeant a cédé les droits qu'il détenait sur le contrat de construction, le navire et l'hypothèque de constructeur à Comerica, en contrepartie des fonds avancés.
[8] Du mois d'août 2009 au mois de mars 2010, Comerica a versé à Worldspan, pour le compte de M. Sargeant, 9 387 398,67 dollars américains, sur présentation des factures soumises par Worldspan aux termes du contrat de construction.
[9] Vers avril ou mai 2010, un différend a pris naissance entre M. Sargeant et Worldspan à propos des coûts du projet et de la construction. À cette date, une somme totale de 20 651 924,05 dollars américains avait été versée à Worldspan par M. Sargeant, ou par Comerica pour le compte de M. Sargeant, en lien avec la construction du navire.
[10] Le 20 juillet 2010, Offshore a intenté l'action sous‑jacente contre Worldspan, Crescent Custom Yachts Inc., M. Sargeant, Comerica et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire ainsi que le navire lui-même pour non‑paiement de factures concernant des services et des matériaux fournis en lien avec la construction du navire.
[11] Le 28 juillet 2010, Offshore a saisi le navire. La saisie est demeurée en vigueur jusqu'au 30 juin 2014, auquel moment le navire a été vendu par la Cour fédérale, franc et quitte de revendications, de charges et de servitudes, pour la somme de 5 000 000 dollars américains.
[12] Le 27 mai 2011, par une requête présentée à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (la Cour suprême de la C.‑B.), Worldspan et des entités liées ont demandé à se prévaloir du régime prévu par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. C‑36 (la LACC). La requête a donné lieu à la délivrance d'une ordonnance relative à la procédure de réclamation, qui exigeait que tous les créanciers produisent des preuves de réclamation à l'égard de Worldspan à la Cour suprême de la C.‑B. au plus tard le 9 septembre 2011, faute de quoi il leur serait à tout jamais interdit de déposer ou de faire valoir une réclamation quelconque contre Worldspan. L'ordonnance prévoyait également que n'importe quel créancier qui faisait valoir une réclamation de nature réelle à l'encontre du navire pouvait poursuivre cette réclamation, hors l'instance engagée en vertu de la LACC, devant la Cour fédérale.
[13] Le 29 août 2011, le protonotaire a rendu une ordonnance relative à la procédure de réclamation à l'intention de tous les créanciers ayant une réclamation de nature réelle à l'égard du navire. Cette ordonnance prescrivait qu'avis soit donné à tous les créanciers de l'obligation de produire un affidavit à l'appui de leur réclamation à l'égard du navire. L'ordonnance précisait que les affidavits devaient décrire la nature de la réclamation et donner des précisions à l'appui de celle‑ci, afin que la Cour fédérale puisse établir s'il s'agissait d'une réclamation de nature réelle à l'égard du navire et, le cas échéant, fixer son rang dans l'ordre de priorités.
[14] Le 14 octobre 2011, M. Sargeant a produit un affidavit au soutien de sa réclamation à l'égard du navire. Selon l'affidavit, sa réclamation était fondée sur des paiements de plus de 21 millions de dollars américains qu'il avait versés à Worldspan ou qui avaient été faits en son nom pour la construction du navire, et sur la garantie grevant le navire que Worldspan lui avait accordée pour garantir ces paiements.
A. Modalités pertinentes du contrat de construction, de l'hypothèque de constructeur et de la cession d'assurance
[15] Pour faciliter la consultation, certaines dispositions du contrat de construction sont reproduites ci‑dessous. Il y a lieu de préciser que, dans le contrat de construction, le « constructeur » désigne Worldspan, alors que le « propriétaire » désigne M. Sargeant. Les articles 1 et 2 du contrat de construction établissent les obligations fondamentales de Worldspan.
[TRADUCTION]
ARTICLE 1 – PORTÉE
1.1 Le constructeur s'engage à concevoir, à construire, à équiper, à mettre à l'eau et à compléter [...] un [...] yacht fait de matériaux composites de fibre de verre, ainsi que de le vendre et de le livrer au propriétaire.
[...]
ARTICLE 2 – ACHÈVEMENT DES TRAVAUX ET LIVRAISON
[...]
2.3 Le navire [...] sera livré franc et quitte des privilèges, hypothèques et charges (à l'exception des privilèges et charges approuvés par le propriétaire et accordés au prêteur du propriétaire finançant la construction, le cas échéant) [...] existant avant la livraison du navire au propriétaire, qui grèvent le navire ou qui se rattachent aux matériaux, à la main-d'œuvre, aux fournitures ou à l'équipement procurés par le constructeur dans l'exécution du présent contrat.
[16] L'article 4 du contrat de construction stipule que les paiements versés par M. Sargeant à Worldspan au cours des travaux de construction sont des avances et que le droit aux paiements ne serait acquis qu'au moment de la livraison finale du navire et de son acceptation par M. Sargeant.
[TRADUCTION]
ARTICLE 4 – COÛT ET PAIEMENT
4.1 Le coût du navire et le prix d'acquisition final payable par le propriétaire (le prix d'acquisition final) seront établis à la fin en fonction du temps et des matériaux requis, sous réserve d'une vérification raisonnable [...] Pendant la construction du navire, le propriétaire versera des paiements au titre du prix d'acquisition final, de la manière prévue ci-après; ces paiements seront des avances faites au constructeur, et le constructeur n'acquerra le droit au prix d'acquisition final qu'une fois le navire livré et accepté conformément au présent contrat.
[Non souligné dans l'original.]
[17] Le contrat de construction indiquait que le prix estimatif du navire était de 15 millions de dollars et établissait une méthode par laquelle les parties pouvaient convenir de modifier ce prix estimatif (article 4.2). En vue d'assurer des rentrées de fonds pendant la période de construction, M. Sargeant devait verser à la fin de chaque mois des paiements servant à couvrir les dépenses de Worldspan au cours du mois précédent (alinéa 4.3a)). Selon ce système, Worldspan devait présenter à M. Sargeant un [TRADUCTION] « certificat de réclamation » faisant état des dépenses du mois (alinéa 4.3c)).
[18] Quant aux risques et à l'assurance, le contrat de construction stipulait que Worldspan devait assumer tous les risques de perte et de dommages à l'égard du navire jusqu'à la livraison du navire et son acceptation par M. Sargeant. À ce moment, tous les risques de perte seraient immédiatement assumés par M. Sargeant (article 5.1).
[19] De plus, Worldspan était tenue de souscrire et de maintenir diverses polices d'assurance, y compris une assurance sur le corps de navire, une assurance protection et indemnité, et d'autres assurances maritimes, une assurance responsabilité civile générale pour les décès et les dommages corporels et matériels, ainsi qu'une assurance standard des risques du constructeur (article 5.2). Toutes les polices d'assurance devaient être souscrites au nom de Worldspan et de M. Sargeant. En outre, l'article 5.3 du contrat de construction prévoyait ce qui suit :
[TRADUCTION]
Advenant que le constructeur ne soit pas en mesure ou omette de livrer le navire au propriétaire comme il est exigé dans les présentes en raison de la perte totale du navire durant la construction, le propriétaire a le droit de recouvrer la totalité des sommes versées au constructeur en vertu des présentes, au moyen d'une assurance ou d'une autre manière (le « remboursement »). Le remboursement ne portera pas atteinte aux autres droits du propriétaire, notamment ceux prévus par la loi ou par le présent contrat.
[Non souligné dans l'original.]
[20] L'article 8.1 traitait du droit de M. Sargeant de céder ses droits en vertu du contrat de construction :
[TRADUCTION]
Le propriétaire peut librement céder le bénéfice du présent contrat à toute société [...] Le propriétaire peut aussi librement céder le bénéfice du présent contrat, en garantie, à n'importe quelle institution bancaire ou financière qui finance la construction du navire, auquel cas le constructeur doit collaborer à la cession, au besoin, et fournir les reconnaissances et les confirmations conformes aux modalités du présent contrat en fonction des exigences de l'institution bancaire ou financière.
[21] L'article 12.1 du contrat de construction traitait du titre de propriété du navire au cours de la construction et accordait expressément à M. Sargeant une garantie permanente de rang prioritaire à l'égard du navire en vue de garantir les sommes avancées à Worldspan en vertu du contrat de construction.
[TRADUCTION]
Le constructeur conserve le titre de propriété du navire jusqu'à sa livraison au propriétaire. Il accorde au propriétaire une garantie permanente de rang prioritaire sur le navire, notamment sur l'ensemble des travaux, des matériaux, de la machinerie et de l'équipement liés au navire, pour garantir les sommes que le propriétaire avance ou verse au constructeur en vertu du présent contrat; cependant, cette garantie est subordonnée aux obligations qu'imposent les documents contractuels au propriétaire, dont le droit du constructeur de recevoir des paiements en vertu du présent contrat. Le constructeur consent, à l'appui de la garantie du propriétaire grevant le navire, à enregistrer une hypothèque maritime en faveur du propriétaire ou de son prêteur aux fins de la construction (les parties, agissant de façon raisonnable, devant s'entendre sur la teneur du document hypothécaire) si le propriétaire demande que cela soit fait pour une raison quelconque.
[Non souligné dans l'original.]
[22] L'article 13 du contrat de construction traitait de la possibilité de résiliation en cas de défaut de la part de Worldspan :
[TRADUCTION]
Défaut de la part du constructeur
13.1 Le propriétaire a le droit et le pouvoir, sans préjudice de tout autre recours, de résilier le présent contrat, en tout ou en partie, s'il survient l'une des situations suivantes [...] :
[...]
(c) le constructeur n'acquitte plus ses dettes, cesse d'exploiter son entreprise ou prend des arrangements ou conclut des transactions avec ses créanciers;
[...]
13.2 Lors de la résiliation du présent contrat par le propriétaire, le propriétaire pourra librement s'approprier le navire et en faire achever ailleurs la construction, auquel cas le constructeur devra respecter les obligations suivantes :
(a) livrer le navire ou les parties de ce dernier qui ont été construites ainsi que l'ensemble des matériaux, moteurs, machines, fournitures et équipement affectés de temps à autre au navire ou se rapportant au présent contrat (y compris les fournitures du propriétaire) francs et quittes d'hypothèques, de privilèges maritimes, de créances et de réclamations de toute nature, en vue de leur enlèvement du chantier du constructeur;
[...]
13.3 Subsidiairement aux droits que lui confèrent les dispositions antérieures du présent article 13, le propriétaire peut [...] exiger du constructeur qu'il collabore à la vente rapide du navire selon les conditions et de la manière que le propriétaire peut fixer et que le constructeur peut approuver [...] et, à la suite d'une telle vente, les dispositions de l'article 24 s'appliqueront.
[23] L'article 24, quant à lui, énonçait une formule s'appliquant en cas de vente en vertu de l'article 13.3. Dans ces circonstances, Worldspan serait tenue de payer à M. Sargeant une somme déterminée si le produit de la vente était inférieur au montant total des avances versées par M. Sargeant à Worldspan au moment de la vente. À l'inverse, si le produit de la vente était supérieur au montant total des avances versées par M. Sargeant à Worldspan au moment de la vente, M. Sargeant serait tenu de verser à Worldspan une partie de tout bénéfice tiré de la vente du navire.
[24] En cas de non‑versement par M. Sargeant des paiements prévus dans le contrat de construction, l'article 13.5 accordait à Worldspan le droit de résilier le contrat de construction. Dans cette situation, la propriété du navire reviendrait à Worldspan, et M. Sargeant serait tenu [TRADUCTION] « de prendre toutes les mesures et de signer tous les documents qui seront nécessaires ou que le constructeur exigera raisonnablement en vue de parfaire la propriété de ce dernier à l'égard du navire ». Ensuite, Worldspan pourrait vendre le navire et serait tenue de rembourser à M. Sargeant ses avances à partir du produit de la vente, moins les frais d'entreposage et de revente de Worldspan. Si Worldspan vendait par la suite le navire à un prix inférieur au [TRADUCTION]« prix d'acquisition plafonné » (correspondant au moindre de la somme des avances versées par M. Sargeant au moment de la vente et du prix estimatif initial du navire, soit 15 millions de dollars, majoré de 10 %), elle aurait été tenue de rembourser à M. Sargeant tous les versements, moins ses frais directs et ses dépenses et moins la différence entre le prix d'acquisition plafonné et le prix de revente réel du navire.
[25] L'hypothèque de constructeur accordée à M. Sargeant par Worldspan se présentait sous une forme réglementaire (le formulaire 16), comme l'exige la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, ch. 26 (la Loi sur la marine marchande du Canada) et désignait M. Sargeant comme le créancier hypothécaire et Worldspan comme la débitrice hypothécaire. Le formulaire 16 contient une boîte de texte précédée des instructions suivantes :
Considérant que (Indiquer qu'il existe un compte courant entre le débiteur hypothécaire et le créancier hypothécaire en désignant l'un et l'autre et décrire la nature de l'opération de façon à indiquer comment le montant du principal et des intérêts dus à date fixe, doivent être déterminés, et le mode et la date du paiement).
[26] Sous ces instructions, le paragraphe suivant figure sur l'hypothèque de constructeur accordée à M. Sargeant :
[TRADUCTION]
Il existe un compte courant établi en vertu du contrat de construction de navire du 29 février 2008 entre la débitrice hypothécaire et le créancier hypothécaire, lequel contrat précise les obligations garanties par la présente.
[27] Sous ces extraits, une autre partie de l'hypothèque de constructeur contenait la disposition standard suivante, à laquelle le nombre « 64 » avait été ajouté, comme suit :
Je/Nous, débiteur(s) hypothécaire(s) en contrepartie, nature de laquelle est décrite ci-dessus, convenons avec le(s) créancier(s) hypothécaire(s) de lui/leur payer dès lors les sommes dues sur la présente garantie, soit en principal, soit en intérêts, aux dates et de la manière indiquées. Afin de mieux garantir au(x) créancier(s) hypothécaire(s) le paiement de ces sommes, déclarent hypothéquer au(x) créancier(s) hypothécaire(s) ___64___ parts (indiquer le nombre de parts) [...] que celui-ci(ceux-ci) a(ont) le pouvoir d'hypothéquer ces parts et que celles‑ci sont libres de charge sauf pour ce qui figure d'après l'inscription du dit bâtiment.
[28] Enfin, comme il a déjà été mentionné, le 14 août 2009, M. Sargeant a cédé les droits qu'il détenait en vertu du contrat de construction à Comerica en vue d'obtenir un financement supplémentaire permettant d'achever la construction du navire. Le paragraphe ci‑dessous est tiré d'un document intitulé [TRADUCTION] « Cession d'assurance », soit une entente conclue entre M. Sargeant, Worldspan et Comerica en vertu de cette cession, et est pertinent au présent appel :
[TRADUCTION]
Par la signature de la présente entente de cession, les parties reconnaissent que les droits cédés au cessionnaire [Comerica] aux présentes ne seront pas d'une plus grande portée que les droits conférés à l'acheteur [M. Sargeant] aux termes du contrat de construction. Les parties reconnaissent expressément le privilège de premier rang du constructeur [Worldspan] ainsi que le droit du constructeur de recevoir tout produit d'assurance. Le constructeur [Worldspan] n'a, à l'égard de l'acheteur [M. Sargeant], aucune obligation qui n'est pas expressément établie dans le contrat de construction de navire, et aucune obligation supplémentaire ne découle de la présente cession, selon les droits des parties.
II. LES DÉCISIONS VISÉES PAR LE CONTRÔLE
A. La décision du 5 mars 2013 du protonotaire
[29] Offshore a sollicité du protonotaire un jugement déclaratoire portant que l'hypothèque de constructeur consentie à M. Sargeant aux termes du contrat de construction de navire ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n'était pour en garantir la livraison. Le 5 mars 2013, le protonotaire a accueilli la requête d'Offshore, avec dépens.
[30] De façon préliminaire, le protonotaire s'est fondé sur une partie des observations écrites d'Offshore et a déterminé que l'argument présenté par M. Sargeant et Comerica, selon lequel M. Sargeant pouvait faire valoir une hypothèque en equity ou une demande visée à l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 (la Loi), était « de nulle importance » (jugement du protonotaire, paragraphe 27).
[31] Le protonotaire a plutôt souligné que c'était en interprétant les modalités figurant dans les contrats en question qu'il serait possible d'établir s'il découlait de l'hypothèque de constructeur ou du contrat de construction de navire l'obligation de remboursement, implicite ou expresse, par Worldspan des sommes avancées par M. Sargeant et Comerica.
[32] Le protonotaire a d'abord conclu que, bien que l'hypothèque de constructeur ait été présentée selon la forme prévue par la Loi sur la marine marchande du Canada (formulaire 16), elle ne renfermait pas les détails de l'opération exigés par le formulaire. Plus précisément, ni le contrat de construction ni l'hypothèque de constructeur ne précisaient la somme due ou « la date du paiement ».
[33] Ensuite, le protonotaire a conclu que le contrat de construction ne renfermait aucune clause de remboursement expresse ou implicite. À l'appui de cette conclusion, il a fait remarquer que, malgré les termes de l'hypothèque de constructeur, rien dans la preuve ne démontrait la création d'un compte courant et les dispositions du contrat de construction « permettaient clairement à Worldspan de conserver toutes les avances versées par M. Sargeant en vue du paiement de la main‑d'œuvre et des matériaux requis pour la construction du navire » (jugement du protonotaire, paragraphe 39).
[34] Se fondant sur une décision d'arbitrage (F.C. Yachts Ltd., P.R. Yacht Builders Ltd., et New World Expedition Yachts LLC, décision ad hoc sur les priorités, 31 août 2010, l'arbitre McIntyre), selon laquelle l'obligation de financer la construction d'un navire, comme les avances versées par M. Sargeant et Comerica en l'espèce, ne constitue pas un prêt, le protonotaire en est arrivé à la conclusion suivante : « Les parties ont manifestement envisagé que toutes les sommes avancées pour la construction du navire soient bien utilisées à cette fin et ne soient pas constituées en un fonds » (jugement du protonotaire, paragraphe 45). De plus, le protonotaire a conclu que les parties avaient envisagé qu'en cas de rupture du contrat, Worldspan ne serait pas en mesure de rembourser les sommes importantes versées au titre de la construction du navire. Dans cette situation, M. Sargeant n'aurait comme recours que de vendre le navire ou de le sortir du chantier pour en achever ailleurs la construction.
[35] Par conséquent, le protonotaire a conclu que le contrat de construction ne renfermait aucune clause de remboursement expresse ou implicite. Ainsi, le contrat de construction n'imposait à Worldspan aucune obligation financière envers M. Sargeant. En cas de rupture du contrat, les recours de M. Sargeant étaient limités à la possession et à la propriété du navire ainsi qu'à une action personnelle intentée contre Worldspan. Enfin, le protonotaire est parvenu à la conclusion selon laquelle, puisque les sommes avancées n'étaient pas un prêt, Worldspan n'était nullement tenue de les rembourser, et, en conséquence, M. Sargeant ne disposait pas d'une réclamation de nature réelle à l'égard du navire par le remboursement des avances.
B. La décision du 19 décembre 2013 de la Cour fédérale
[36] En appel, la juge a infirmé la décision du protonotaire et a conclu que le contrat de construction et l'hypothèque de constructeur imposaient à Worldspan une obligation, expresse ou implicite, de rembourser les sommes avancées par M. Sargeant et Comerica.
[37] Selon la juge, trois questions étaient en litige :
(1) Quelle est la norme de contrôle applicable lorsqu'un juge de la Cour fédérale est saisi d'un appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance rendue par un protonotaire?
(2) Le protonotaire a‑t‑il commis une erreur en concluant que l'hypothèque de constructeur ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n'était pour en garantir la livraison?
(3) Le protonotaire a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte de la demande subsidiaire de M. Sargeant et de Comerica en vertu de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales?
[38] Ayant présenté les questions en litige établies par la juge, je résumerai ses conclusions pour chacun de ces points.
(1) La décision de la juge quant à la norme de contrôle applicable lorsqu'un juge de la Cour fédérale est saisi d'un appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance rendue par un protonotaire
[39] En ce qui a trait à la première question en litige, la juge a déterminé que la tâche du protonotaire ne consistait pas à exercer son pouvoir discrétionnaire, mais plutôt à « dégager les intentions des parties en interprétant les dispositions contractuelles et les faits pertinents » (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 21). Elle a donc conclu qu'il s'agissait d'une question mixte de fait et de droit qui était régie par la norme de contrôle de « l'erreur manifeste et dominante » établie dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (l'arrêt Housen).
[40] Cependant, quant à l'affirmation de M. Sargeant et de Comerica voulant que la demande soit visée à l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales, la juge a conclu que la question tranchée par le protonotaire constituait une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.
(2) La décision de la juge sur la question de savoir si le protonotaire a commis une erreur en concluant que l'hypothèque de constructeur ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n'était pour en garantir la livraison
[41] En ce qui a trait à la deuxième question en litige, la juge a tranché que le protonotaire avait reconnu à juste titre que l'interprétation d'un contrat a pour but de déterminer l'intention des parties en se fondant sur le libellé des documents contractuels et en tenant compte du contexte dans lequel le contrat en question a été passé. À ce chapitre, elle a conclu que le protonotaire avait commis une erreur, à savoir qu'il n'avait pas pris en compte le contexte factuel dans son ensemble, y compris le contrat de construction et l'hypothèque de constructeur, lorsqu'il a tenté de cerner l'intention véritable des parties.
[42] La juge a conclu que l'article 12.1 constituait le point de départ de l'analyse du contrat de construction. Selon cette disposition, Worldspan devait conserver le titre de propriété du navire au cours de la construction, et l'hypothèque de constructeur serait accordée à M. Sargeant à titre de garantie pour les avances que ce dernier versait à Worldspan.
[43] La principale question à trancher était celle de la portée de la garantie de M. Sargeant en vertu de l'hypothèque de constructeur. Après avoir examiné les articles 12.1 et 4.1 du contrat de construction, la juge a conclu que l'hypothèque de constructeur avait comme but de fournir à M. Sargeant une garantie permanente de rang prioritaire à l'égard du navire de façon à garantir les avances non acquises. La juge a déclaré à ce sujet (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 52) :
[...] On peut raisonnablement en déduire que cette fin visait à se protéger contre des tiers et que son effet ne se limitait pas à Worldspan et à M. Sargeant. En bref, elle servait à gérer le risque auquel s'exposait M. Sargeant du fait qu'il versait les avances sans détenir le titre de propriété du navire. [...] la portée de la garantie qu'offrait l'hypothèque de constructeur ne se limitait pas selon moi à garantir la livraison du navire; il était plutôt envisagé que le navire lui‑même serve de garantie pour les versements avant livraison que faisait M. Sargeant.
(a) L'obligation de remboursement
[44] En ce qui a trait à l'obligation de rembourser les avances, la juge a conclu que, selon l'arrangement factuel entre les parties, M. Sargeant était tenu de fournir les fonds de roulement dont Worldspan avait besoin pour construire le navire, Worldspan devait demeurer propriétaire de ce dernier jusqu'à sa livraison, et les avances faites par M. Sargeant devaient être garanties par l'hypothèque de constructeur.
[45] La juge a reconnu que le contrat de construction et l'hypothèque de constructeur ne constituaient pas un « prêt » dans le sens classique du terme. Par surcroît, elle a souligné l'absence de dispositions expresses en ce sens dans le contrat de construction ou d'autres preuves habituelles d'un prêt, comme un billet à ordre ou un calendrier de paiements de capital et d'intérêts.
[46] Néanmoins, elle a conclu que le libellé de l'article 4.1 du contrat de construction, soit le fait que les avances seraient [TRADUCTION] « au titre » du prix d'acquisition et que le droit aux avances ne serait acquis qu'une fois le navire livré et accepté, impliquait au moins l'existence d'un crédit consenti, et, partant, d'une dette éventuelle, jusqu'à l'acquisition du droit aux avances (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 53). Ainsi, à la simple lecture de cette disposition, cela dénote que Worldspan « n'a pas le droit de conserver les avances [et de ne pas] les restituer si le navire n'a pas été livré » (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 56).
[47] La juge a également trouvé un appui supplémentaire à l'obligation de rembourser les avances faites par M. Sargeant à l'article 5.3 du contrat de construction, qui traite de la question de la perte totale du navire. Elle a conclu que cette disposition donnait à M. Sargeant le droit de recouvrer la totalité des sommes versées à Worldspan en vertu du contrat de construction, au moyen d'une assurance ou d'une autre manière. Même si cette disposition envisage clairement que Worldspan paiera le remboursement à M. Sargeant à même le produit d'assurance, la juge a conclu qu'elle ne se limite pas à ce produit et qu'elle permettrait d'obtenir directement un recouvrement de Worldspan si l'assureur de cette dernière refusait de couvrir la perte (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 58).
[48] La juge a également trouvé un appui à l'obligation de remboursement dans les dispositions du contrat de construction portant sur la vente du navire en cas de défaut de la part de Worldspan aux termes du contrat de construction. Elle a tranché que la raison première de ces dispositions était de permettre à M. Sargeant de recouvrer les fonds qu'il a contribués au coût de la construction. En outre, elle a fait remarquer que le prix d'acquisition final, un terme défini à l'article 4.1 du contrat de construction, constitue un élément de la formule établie à l'article 24 qui sert à déterminer les obligations des parties en cas de défaut et de la vente subséquente du navire. L'article 4.1, quant à lui, prévoit que M. Sargeant versera des paiements au titre du prix d'acquisition final, que ces paiements seront des avances faites à Worldspan et que cette dernière n'acquerra le droit au prix d'acquisition final qu'une fois le navire livré et accepté. Ainsi, la juge en est arrivée à la conclusion suivante : « on ne peut pas faire valoir raisonnablement que le produit de la vente du navire à payer à M. Sargeant n'est autre chose que le remboursement des avances aux termes de cette disposition » (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 60).
[49] Quant à la disposition du contrat de construction portant sur un défaut de la part de M. Sargeant (article 13.5), la juge a conclu que cette disposition signifiait que, dans une telle situation, il faudrait que l'hypothèque de constructeur soit levée afin de permettre à Worldspan de vendre le navire avec un titre franc. Cela dit, elle a tranché que cela n'aurait pas d'incidence sur l'obligation de Worldspan de rembourser les avances versées par M. Sargeant avant la vente du navire.
[50] La juge était du même avis que le protonotaire sur le fait que les parties ont envisagé qu'en cas de manquement au contrat de construction ou de perte totale du navire, ce dernier serait vendu pour rembourser les sommes avancées par M. Sargeant. Cependant, elle a conclu que, comme le navire avait été saisi et qu'il était l'objet de réclamations de la part de tierces parties, les dispositions du contrat de construction ayant trait à la vente du navire n'étaient pas directement applicables. Néanmoins, elle a conclu que ces dispositions étaient pertinentes pour ce qui est de l'intention des parties et de l'interprétation correcte du contrat de construction dans son ensemble, compte tenu des faits. Plus précisément, elle a tranché qu'il existait implicitement dans le contrat de construction une obligation de remboursement des avances de M. Sargeant par Worldspan.
[51] La juge en est donc arrivée aux conclusions suivantes (aux paragraphes 72 et 74 du jugement de la Cour fédérale) :
72 [...] en interprétant l'opération comme un tout pour déterminer l'intention des parties, au sein de la matrice factuelle pertinente, l'hypothèque de constructeur et le contrat de construction prévoyaient implicitement l'obligation de rembourser les avances dont le droit à celles‑ci n'était pas acquis, ce qui créait une dette potentielle, une dette qui, en fait, se concrétiserait en cas de non‑livraison du navire dans ces circonstances. Même s'il n'y avait pas de « prêt » à proprement parler, il existait une dette potentielle créée par les dispositions du contrat de construction, et M. Sargeant a garanti l'acquittement de la dette potentielle au moyen de l'hypothèque de constructeur.
[...]
74 En l'espèce, la dette potentielle a été créée par le droit aux avances qui ne serait acquis qu'au moment de la livraison. Cette dette aurait été acquittée par la livraison du navire. Comme cela n'a pas eu lieu, et comme les dispositions du contrat de construction qui auraient par ailleurs régi les parties en cas de défaut ne s'appliquent pas dans ces circonstances, la dette s'est concrétisée et on l'aurait acquittée en remboursant les avances, au sujet desquelles les deux parties tenaient des comptes.
(b) Les avances en tant que fonds
[52] La juge a conclu que le protonotaire avait commis une erreur en concluant que les avances ne constituaient pas un prêt, puisqu'elles seraient utilisées pour la construction du navire et ne seraient donc pas constituées en un fonds. Elle a déclaré : « S'il fallait que les fonds avancés ne puissent pas servir au but visé, soit la construction d'un navire, et doivent plutôt être mis de côté en vue de rembourser les avances, cela donnerait lieu à une absurdité sur le plan commercial » (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 81).
(c) La preuve de l'existence d'un compte courant
[53] La juge a également conclu que le protonotaire avait commis une erreur en concluant qu'il n'existait aucune preuve qu'un compte courant avait été créé aux termes du contrat de construction.
[54] Elle a conclu que les conditions du contrat de construction envisageaient que les paiements mensuels demandés par Worldspan feraient l'objet d'une vérification. En fait, elle a souligné que Worldspan était tenue de conserver des registres appropriés à cet égard et de soumettre à M. Sargeant, pour vérification et approbation, un certificat de réclamation exposant et justifiant les dépenses mensuelles demandées. Cette mesure permettait de vérifier ce que Worldspan dépensait chaque mois et, partant, ce que M. Sargeant devait. De plus, cela permettait aux deux parties de déterminer, chaque mois, le coût total des travaux de construction accomplis (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 84).
[55] Par conséquent, elle a conclu que les sommes avancées constituaient le compte courant garanti par l'hypothèque de constructeur, même en l'absence d'une mention explicite d'un tel compte dans le contrat de construction (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 89).
(d) Le manque de détails de l'hypothèque de constructeur
[56] La juge a conclu que le protonotaire avait commis une erreur en mettant l'accent sur le défaut des parties d'inclure certaines précisions dans l'hypothèque de constructeur, soit la somme due et la date du paiement. Elle a tranché que le protonotaire aurait dû se concentrer sur la détermination des intentions des parties quant à l'essentiel de leur entente et qu'il n'aurait pas dû avoir recours à une approche exagérément formaliste et littérale pour l'interprétation de l'hypothèque de constructeur. En ce qui a trait à cette dernière, la juge a conclu qu'il n'était pas nécessaire de préciser la somme due ni les dates du paiement, car ces détails pouvaient être obtenus par renvoi au contrat de construction, plus précisément au processus de vérification prescrit.
[57] La juge a expressément rejeté l'argument d'Offshore selon lequel l'hypothèque de constructeur n'avait que pour seul objet de garantir la livraison du navire. Renvoyant au libellé même du contrat de construction, elle a fait remarquer que la garantie de rang prioritaire sur le navire, comme le confirmait l'hypothèque de constructeur, avait été accordée à M. Sargeant [TRADUCTION] « pour garantir les sommes que le propriétaire avance ou verse au constructeur au vertu du présent contrat », et que ni le contrat de construction, ni l'hypothèque de constructeur ne précisaient que l'hypothèque de constructeur n'avait que pour seul objet de garantir la livraison du navire. La juge a conclu que la livraison était plutôt garantie par d'autres dispositions du contrat de construction, particulièrement celles ayant trait au défaut et à la perte totale. Elle en est arrivée à la conclusion suivante (jugement de la Cour fédérale, paragraphe 99) :
99 [...] l'hypothèque de constructeur avait pour objet de garantir les droits prioritaires de M. Sargeant sur le navire par rapport à des tiers dans des circonstances comme celles-ci, où les dispositions du contrat de construction ne régissent pas la manière de disposer du navire entre Worldspan et M. Sargeant parce qu'il a été saisi par des tiers et qu'il sera vendu par la Cour.
[58] Après avoir présenté l'analyse qui précède, la juge a conclu que le protonotaire n'avait pas interprété le contrat de construction et l'hypothèque de constructeur de façon à discerner l'intention véritable des parties. Plus précisément, elle a conclu que le protonotaire n'avait pas pris en compte l'ensemble de l'opération dans le contexte factuel pertinent et qu'il n'avait pas non plus interprété le contrat de construction et l'hypothèque de constructeur d'une manière qui ne donnerait pas lieu à une absurdité commerciale. Elle a conclu qu'il s'agissait là d'une erreur manifeste et dominante qui l'a amené à conclure erronément que l'hypothèque de constructeur ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n'était pour en garantir la livraison.
(3) La décision de la juge sur la question de savoir si le protonotaire a commis une erreur en ne tenant pas compte de la demande subsidiaire de M. Sargeant et de Comerica en vertu de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales
[59] En ce qui a trait à la troisième question en litige, la juge a commencé en reproduisant l'extrait de la partie des observations écrites d'Offshore que le protonotaire a fait sien dans sa décision. Elle a souligné que cet extrait ne traitait pas des arguments de M. Sargeant et de Comerica relatifs à l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales. Plutôt, les observations étaient uniquement axées sur la question de savoir si M. Sargeant ou Comerica pouvaient faire valoir l'existence d'une hypothèque en equity. La juge a souligné que, sauf pour l'extrait utilisé, le protonotaire n'a pas donné de motifs expliquant la raison pour laquelle l'alinéa 22(2)n) de la Loi ne s'appliquait pas et n'a pas non plus expliqué pourquoi ces motifs seraient inutiles dans les circonstances (jugement de la Cour fédérale, paragraphes 102 et 103). À la lumière de ce défaut, la juge a conclu qu'elle devrait dûment traiter cette observation.
[60] La juge a tranché qu'une demande de « livraison, possession ou propriété » du navire n'était pas requise pour étayer une demande déposée en vertu de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales. Plutôt, cette disposition autorise toute demande découlant d'un contrat lié à la construction d'un navire. La juge a conclu que, dans l'espèce, la demande visait le recouvrement des avances faites en vue de la construction du navire aux termes du contrat de construction de navire. À son avis, cela suffisait pour fonder une demande en matière réelle déposée en vertu de l'alinéa 22(2)n).
[61] Par conséquent, la juge a tranché que le protonotaire avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la demande subsidiaire de M. Sargeant et de Comerica. Elle a conclu que cette demande subsidiaire était fondée et qu'il y avait lieu de l'examiner à l'audience sur le rang des priorités.
III. LES QUESTIONS EN LITIGE
[62] Les parties ne s'entendent pas sur la qualification des questions dont est saisie la Cour. Offshore estime que la juge a attribué une obligation de remboursement implicite au contrat de construction et fonde ses observations sur la jurisprudence relative à la présence implicite de dispositions contractuelles. Les intimés, M. Sargeant et Comerica, soutiennent, quant à eux, que la juge a d'abord interprété le contrat de construction et les faits connexes, ce qui l'a amenée à discerner une obligation de remboursement dans les modalités du contrat et que, par la suite, elle a conclu que, même si elle n'avait pas interprété le contrat de construction en ce sens, elle aurait considéré que le contrat impliquait une obligation de remboursement compte tenu des circonstances.
[63] Je préfère la qualification des questions en litige proposée par les intimés. La juge s'est fondée sur la jurisprudence sur l'interprétation des contrats et de leurs contextes factuels pour en arriver à ses conclusions. L'aspect analytique de son approche ressort clairement aux paragraphes 71 et 72 du jugement de la Cour fédérale, comme en témoignent les extraits suivants :
71 [...] Ce libellé, dans le contrat de construction, peut être interprété de manière à qualifier les avances de prêt. Et, comme nous le verrons plus loin, le simple fait que l'hypothèque de constructeur elle-même ne fasse pas état des détails relatifs au compte courant n'est pas fatal.
72 Même sans arriver à ce résultat, j'aurais conclu qu'en interprétant l'opération comme un tout pour déterminer l'intention des parties, au sein de la matrice factuelle pertinente, l'hypothèque de constructeur et le contrat de construction prévoyaient implicitement l'obligation de rembourser les avances dont le droit à celles-ci n'était pas acquis, ce qui créait une dette potentielle, une dette qui, en fait, se concrétiserait en cas de non‑livraison du navire dans ces circonstances. [...]
[Non souligné dans l'original.]
[64] Offshore présente dix motifs d'appel. Cependant, compte tenu de ma conclusion qui précède au sujet du cadre analytique appliqué par la juge, j'ai regroupé ces motifs en deux catégories, soit les erreurs d'interprétation présumées et les erreurs présumées sur la présence implicite d'une disposition dans le contrat de construction.
[65] À mon avis, je dois trancher quatre questions dans le présent appel :
A. Premièrement, quelle est la norme de contrôle applicable lorsque notre Cour examine une décision d'un juge de la Cour fédérale ayant infirmé la décision d'un protonotaire?
B. Deuxièmement, la juge a‑t‑elle commis une erreur manifeste dans son interprétation du contrat de construction, de l'hypothèque de constructeur et des faits connexes qui l'a amenée à conclure que Worldspan était tenue de rembourser à M. Sargeant les avances qu'il avait versées?
C. Troisièmement, la juge a‑t‑elle commis une erreur manifeste en arrivant à la conclusion que le contrat de construction renfermait implicitement une obligation de remboursement de la part de Worldspan?
D. Quatrièmement, la juge a-t-elle commis une erreur de droit lors de son examen de la demande des intimés aux termes de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales?
IV. ANALYSE
A. Quelle est la norme de contrôle applicable?
[66] Offshore soutient que la décision de la juge devrait être revue selon la norme de l'erreur manifeste et dominante pour les questions mixtes de fait et de droit. Toutefois, elle affirme également que la norme de la décision correcte devrait s'appliquer à deux questions de droit : premièrement, la question de savoir si la demande donne lieu à des droits de nature réelle aux termes de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales et, deuxièmement, la question de savoir si la juge a commis une erreur de droit en tranchant qu'une hypothèque doit prévoir une dette monétaire pour être opérante.
[67] Les intimés soutiennent que la norme de contrôle énoncée par la Cour dans l'arrêt Apotex Inc. c. Bristol‑Myers Squibb Co., 2011 CAF 34, [2011] A.C.F. no 147 (QL) (l'arrêt Bristol‑Myers), au paragraphe 7, s'applique à toutes les questions dont est saisie la Cour. Dans cet arrêt, la Cour a tranché que la norme de contrôle applicable à la révision d'une décision de la Cour fédérale infirmant la décision d'un protonotaire consiste à déterminer si la Cour fédérale « n'avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l'existence d'un tel motif, si la décision du juge [...] était mal fondée ou manifestement erronée » (voir également l'arrêt Kniss c. Telecommunications Workers Union, 2013 FCA 293, [2013] F.C.J. no 1409 (QL), au paragraphe 14, citant l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18).
[68] À mon avis, la norme établie dans l'arrêt Bristol‑Myers s'applique à la décision à rendre pour les deuxième et troisième questions, c'est‑à‑dire pour déterminer si la juge a commis une erreur manifeste en interprétant les documents contractuels ou en arrivant à sa conclusion subsidiaire voulant que le contrat de construction implique une obligation de remboursement. Cela dit, la norme de la décision correcte s'appliquera à la conclusion de la juge sur l'applicabilité de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales en l'espèce.
[69] La juge a contrôlé la décision du protonotaire en se fondant sur le fait que cette dernière était non discrétionnaire et, de ce fait, commandait l'application de la norme énoncée dans l'arrêt Housen. Bien qu'il ait été soutenu dans l'arrêt Bristol‑Myers que les décisions non discrétionnaires des protonotaires devraient être soumises à la norme énoncée dans l'arrêt Housen, nous n'avons pas tranché ce point dans cette affaire, car il n'était pas nécessaire de le faire (arrêt Bristol‑Myers, paragraphes 8 et 9). Je suis également d'avis qu'il n'est pas nécessaire de statuer sur cette question en l'espèce, car, premièrement, les parties ne sont pas réellement en désaccord en ce qui a trait à la norme de contrôle appliquée par la juge et, deuxièmement, sans égard à la norme applicable, je suis convaincu que la juge avait un motif de modifier le jugement du protonotaire.
B. La juge a‑t‑elle commis une erreur manifeste dans son interprétation du contrat de construction, de l'hypothèque de constructeur et des faits connexes qui l'a amenée à conclure que Worldspan était tenue de rembourser à M. Sargeant les avances qu'il avait versées?
(1) Observations d'Offshore
[70] Je commence en présentant les arguments mis de l'avant par Offshore quant à la raison pour laquelle nous devrions modifier la décision de la juge.
[71] Offshore soutient que la juge a commis deux erreurs dans son interprétation de l'hypothèque de constructeur en particulier. Tout d'abord, Offshore affirme que la juge a commis une erreur de droit en concluant implicitement qu'une hypothèque doit prévoir une dette monétaire pour être opérante. Offshore soutient qu'une hypothèque peut manifestement garantir une obligation non financière, comme la livraison d'un navire. À son avis, cette erreur de droit est devenue une [TRADUCTION] « lentille déformante » au moyen de laquelle la juge a analysé les faits en l'espèce. Ensuite, faisant fond sur cette erreur de droit présumée, Offshore fait valoir que la juge n'a pas tenu compte du fait qu'une hypothèque ne garantit pas des biens, mais des obligations. En l'espèce, Offshore soutient que la seule obligation expressément imposée à Worldspan par l'accord contractuel était la livraison du navire.
[72] Offshore présente également divers arguments contre l'interprétation qu'a faite la juge des dispositions du contrat de construction et des faits connexes.
[73] Premièrement, Offshore affirme que la juge a eu tort d'établir qu'il existait une obligation de remboursement générale en raison de la présence de plusieurs obligations de remboursement précises dans le contrat de construction. Selon Offshore, la présence d'obligations précises de ce type n'indique pas que les parties avaient l'intention d'établir une obligation de remboursement générale. Elle fait remarquer que, si les parties avaient voulu appliquer une obligation de remboursement générale, il leur aurait été facile de l'exprimer clairement dans le contrat de construction. En l'absence d'une obligation de remboursement expresse, la juge aurait dû se fonder sur l'entente écrite à titre d'élément de preuve faisant état des intentions des parties.
[74] Deuxièmement, Offshore soutient que la juge a eu tort de conclure qu'un défaut de livraison a eu lieu et a fait en sorte que la dette éventuelle envers M. Sargeant s'est concrétisée. Offshore affirme qu'en fait, il n'y a pas eu de livraison parce que M. Sargeant a omis de payer Worldspan conformément aux obligations énoncées dans le contrat de construction. Par conséquent, M. Sargeant n'avait pas le droit de recevoir le navire. En outre, Offshore fait valoir que le contrat de construction renfermait des dispositions prévoyant l'intervention possible de créanciers tiers et que la juge a commis une erreur en concluant que les dispositions du contrat de construction ne prévoyaient pas de telles interventions. Offshore fait renvoi à l'alinéa 13.1c) du contrat de construction comme preuve qu'une telle situation est considérée comme un acte de défaut, mais elle précise rapidement que pour savoir si M. Sargeant peut se fonder sur cette situation, il faut déterminer si cette dernière a été causée par un défaut de paiement de sa part.
[75] Ainsi, le résultat de l'intervention d'un créancier tiers est que M. Sargeant ou Worldspan n'aura pas respecté le contrat de construction. En cas de rupture du contrat de construction par M. Sargeant, ce dernier ne pourra obtenir un nouveau recours en se fondant sur ce manquement. En cas de rupture du contrat de construction par Worldspan, le défaut de M. Sargeant d'exercer son droit de livraison ou de vente aux termes du contrat de construction ne donne pas lieu à un nouveau droit de se voir rembourser ses avances. Bref, la non‑livraison a été causée par le défaut de paiement de M. Sargeant ou par le défaut de M. Sargeant ou de Comerica de demander la livraison du navire avant que les demandes de ce type soient interdites par l'ordonnance relative à la procédure de réclamation rendue par le protonotaire le 29 août 2011.
[76] Outre l'argument selon lequel le contrat de construction prévoyait l'intervention possible de créanciers tiers, Offshore est d'avis que la juge a eu tort de conclure que le défaut d'établir la présence d'une obligation de remboursement dans le contrat de construction donnerait lieu à une absurdité sur le plan commercial. Offshore soutient que la juge a, en fait, créé un recours subsidiaire puissant pour M. Sargeant, qui lui permet de [TRADUCTION] « jouer à la bourse ». Autrement dit, si le marché des yachts connaissait une hausse importante et si la valeur des yachts achevés était beaucoup plus élevée que le coût de construction, M. Sargeant pouvait demander la livraison du navire. En revanche, si le marché connaissait une diminution et si la valeur des yachts achevés était plus faible que le coût de construction, M. Sargeant pouvait demander le remboursement des sommes qu'il a avancées.
[77] Troisièmement, Offshore soutient que la juge a commis une erreur en concluant que les avances étaient remboursables puisque le droit à celles‑ci était considéré comme non acquis jusqu'au moment de la livraison. Offshore affirme que le droit aux avances était considéré comme non acquis jusqu'au moment de la livraison afin d'éviter le paiement de taxes. Selon Offshore, il n'est pas nécessaire de soumettre une preuve par voie d'affidavit sur ce point puisque les parties à un contrat [TRADUCTION] « sont censées connaître leurs activités et les structurer de manière à éviter l'application inutile de taxes ». Offshore ne cite ni jurisprudence ni doctrine à l'appui de cette supposée présomption contractuelle.
[78] Quatrièmement, Offshore soutient que la juge a commis une erreur dans son interprétation des dispositions du contrat de construction ayant trait à la rupture du contrat et aux recours. Selon Offshore, la juge a eu tort de considérer qu'une obligation de remboursement figurait implicitement aux articles 13.5 et 24, qui traitent de la vente du navire. Offshore fait valoir que ces articles prévoient un mécanisme servant à rendre compte du produit d'une vente, ce qui est différent d'une obligation de remboursement. Comme l'affirme Offshore dans son mémoire, [TRADUCTION] « en aucun cas le constructeur ne serait tenu, en vertu de l'article 24, de rembourser au propriétaire une partie ou la totalité des fonds avancés en vue de la construction du navire. Les droits de l'acheteur [M. Sargeant] se limitent à la réception du navire ou du produit de la vente de ce dernier, moins toute somme due au constructeur. »
[79] Selon Offshore, l'interprétation qu'a faite la juge des dispositions du contrat de construction ayant trait à la rupture du contrat et aux recours ferait en sorte que Worldspan serait tenue de rembourser la totalité des avances sans égard au prix de vente. Cette conclusion contredit les dispositions expresses du contrat de construction, qui, soutient Offshore, [TRADUCTION] « envisagent la détermination définitive des obligations respectives du constructeur et du propriétaire en fonction du prix de vente du navire, mais sans aucune obligation résiduelle advenant que le prix de vente ne soit pas supérieur au montant des sommes avancées ».
[80] Offshore fait également remarquer que la juge a mal cité une partie de l'article 13.5 et en a omis un passage, qui traite de la résiliation du contrat de construction en cas de non‑respect des dispositions du contrat de la part de M. Sargeant. La partie omise de cet article stipule que le montant des versements à rembourser à M. Sargeant serait tributaire du prix de vente du navire. Selon Offshore, [TRADUCTION] « il est difficile de déterminer si et dans quelle mesure [ces omissions et citations partielles] ont influé sur les conclusions de la juge » au sujet des dispositions du contrat de construction ayant trait à la rupture du contrat et aux recours.
[81] Enfin, en ce qui concerne l'interprétation erronée du contrat de construction, Offshore affirme que la conclusion de la juge selon laquelle l'hypothèque de constructeur demeurerait en vigueur jusqu'à la vente du navire par Worldspan aux termes de l'article 13.5 ne tient pas compte des dispositions expresses de cet article stipulant que, en cas de rupture du contrat de construction par M. Sargeant et de résiliation du contrat de construction par Worldspan, le [TRADUCTION] « droit de propriété sur le navire sera restitué ou transmis » à Worldspan, et M. Sargeant prendra toutes les mesures nécessaires pour parfaire le droit de propriété de Worldspan à l'égard du navire. Essentiellement, une telle conclusion signifie que le droit de propriété sur le navire ne serait jamais restitué ou transmis à Worldspan.
[82] Cinquièmement, Offshore soutient que la juge a commis une erreur dans son interprétation des conclusions du protonotaire au sujet de la question de savoir si les avances constituaient un « fonds ». Selon Offshore, le protonotaire a conclu que les avances seraient utilisées aux fins de la construction du navire et que les parties ont envisagé qu'en cas de rupture du contrat, Worldspan ne serait pas en mesure de rembourser les fonds qu'elle a reçus. Dans cette situation, M. Sargeant n'aurait comme recours que de vendre le navire ou de le sortir du chantier pour en achever ailleurs la construction. Offshore est d'avis que ces conclusions du protonotaire ont été interprétées erronément par la juge de sorte que, selon cette dernière, le protonotaire voulait dire que le fait que les avances n'ont pas été constituées en un fonds signifiait qu'elles ne pouvaient être considérées comme un prêt. Elle a conclu que cette situation donnait lieu à une absurdité sur le plan commercial, à savoir que les fonds avancés pour la construction du navire ne pouvaient servir à cette fin et devaient plutôt être mis de côté en vue de rembourser les avances. Dans ce scénario, l'hypothèque de constructeur accordée à M. Sargeant serait sans effet.
[83] Selon Offshore, les commentaires du protonotaire ne traitaient aucunement de la question de savoir si les fonds constituaient un prêt ou si l'hypothèque de constructeur était sans effet. Pour reprendre les termes de l'appelante, [TRADUCTION] « le protonotaire voulait tout simplement souligner le fait que le navire constituait le bien sur lequel compterait M. Sargeant ou tout cessionnaire, au besoin ». Par conséquent, une obligation de remboursement n'a délibérément pas été incluse dans le contrat de construction, car elle ne représenterait en aucun cas un recours utile.
[84] Sixièmement, Offshore soutient que l'interprétation qu'a faite la juge des dispositions relatives à l'assurance figurant dans le contrat de construction contrevient aux principes établis dans l'arrêt Commonwealth Construction Co. Ltd. c. Imperial Oil Ltd., [1978] 1 R.C.S. 317, [1976] A.C.S. no 115 (QL) (l'arrêt Commonwealth Construction). Selon les observations d'Offshore, les dispositions relatives à l'assurance figurant dans le contrat de construction établissent un engagement d'assurance en vertu duquel M. Sargeant et Worldspan doivent être tous deux désignés comme des assurés dans toute police d'assurance. Ainsi, sur la base de la décision rendue dans l'arrêt Commonwealth Construction, M. Sargeant et Worldspan sont des assurés conjoints, il existe un intérêt conjoint véritable, et une subrogation est impossible. En interprétant l'article 5.3 du contrat de construction comme donnant lieu à une obligation de remboursement, au moyen d'une assurance ou d'une autre manière, la juge a, en fait, donné à l'assureur le droit de subrogation. En l'absence d'une disposition de dérogation expresse dans le contrat de construction, une telle interprétation contrevient aux principes établis dans l'arrêt Commonwealth Construction. Offshore soutient que l'article 5.3 du contrat de construction doit être interprété de façon à signifier que M. Sargeant avait le droit de recouvrer toute somme avancée au moyen d'une assurance ou d'une « autre manière », c'est‑à‑dire par le truchement de tierces parties autres que Worldspan.
(2) Analyse
(a) Principes de l'interprétation contractuelle
[85] Il y a lieu à cette étape de traiter brièvement de l'interprétation contractuelle. Récemment, dans l'arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633 (l'arrêt Sattva), la Cour suprême a confirmé, à l'unanimité, les principes devant orienter l'interprétation des documents contractuels. En statuant sur la question de savoir si l'interprétation contractuelle, soit l'établissement des droits et des obligations en vertu d'une entente écrite, constituait une question de droit ou une question mixte de fait et de droit (la Cour suprême a tranché qu'il s'agissait de la deuxième de ces possibilités), le juge Rothstein s'est prononcé ainsi aux paragraphes 46 à 48 de ses motifs :
46 La tendance à délaisser l'approche historique au Canada [c.‑à‑d. que l'établissement des droits et des obligations en vertu d'un contrat écrit constituait une question de droit] semble s'expliquer par deux changements. Le premier est l'adoption d'une méthode d'interprétation contractuelle qui oblige le tribunal à tenir compte des circonstances — que l'on appelle souvent le fondement factuel — dans l'interprétation d'un contrat écrit [...].
47 Relativement au premier changement, l'interprétation des contrats a évolué vers une démarche pratique, axée sur le bon sens plutôt que sur des règles de forme en matière d'interprétation. La question prédominante consiste à discerner « l'intention des parties et la portée de l'entente » [...]. Pour ce faire, le décideur doit interpréter le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots y figurant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat. Par l'examen des circonstances, on reconnaît qu'il peut être difficile de déterminer l'intention contractuelle à partir des seuls mots, car les mots en soi n'ont pas un sens immuable ou absolu :
[TRADUCTION] Aucun contrat n'est conclu dans l'abstrait : les contrats s'inscrivent toujours dans un contexte. [...] Lorsqu'un contrat commercial est en cause, le tribunal devrait certes connaître son objet sur le plan commercial, ce qui présuppose d'autre part une connaissance de l'origine de l'opération, de l'historique, du contexte, du marché dans lequel les parties exercent leurs activités.
(Reardon Smith Line, p. 574, le lord Wilberforce)
48. Le sens des mots est souvent déterminé par un certain nombre de facteurs contextuels, y compris l'objet de l'entente et la nature des rapports créés par celle‑ci [...]. Pour reprendre les propos du lord Hoffmann dans Investors Compensation Scheme Ltd. c. West Bromwich Building Society, [1998] 1 All E.R. 98 (H.L.) :
[TRADUCTION] Le sens d'un document (ou toute autre déclaration) qui est transmis à la personne raisonnable n'équivaut pas au sens des mots qui le composent. Le sens des mots fait intervenir les dictionnaires et les grammaires; le sens du document représente ce qu'il est raisonnable de croire que les parties, en employant ces mots compte tenu du contexte pertinent, ont voulu exprimer. [p. 115].
[Non souligné dans l'original.]
[86] Aux paragraphes 56 à 58 de ses motifs, le juge Rothstein souligne qu'il est juste de prendre en considération les circonstances dans l'interprétation des termes d'un contrat, mais qu'elles « ne doivent jamais les supplanter », puisque le décideur examine cette preuve dans le but de mieux saisir les intentions réciproques et objectives des parties exprimées dans les termes du contrat. Il ajoute : « Une disposition contractuelle doit toujours être interprétée sur le fondement de son libellé et de l'ensemble du contrat » (arrêt Sattva, paragraphe 57). Enfin, le juge Rothstein indique clairement que les « circonstances » se limitent à « une preuve objective du contexte factuel au moment de la signature du contrat » (arrêt Sattva, paragraphe 58).
[87] Bien que la jurisprudence ne soit pas unanime sur ce que constitue le fondement factuel, il englobe, au minimum, l'origine du contrat, son objet et son contexte commercial (Primo Poloniato Grandchildren's Trust (Trustee of) c. Browne, 2012 ONCA 862, 115 R.J.O. (3e) 287, au paragraphe 69, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2013] C.S.C.R. no 68 (QL)). Comme l'a conclu le juge en chef Winkler de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Salah c. Timothy's Coffees of the World Inc., 2010 ONCA 673, [2010] O.J. no 4336 (QL), au par. 16 :
[TRADUCTION]
16 Les principes fondamentaux de l'interprétation des contrats commerciaux se résument comme suit. Lorsqu'elle interprète un contrat, la cour vise à dégager l'intention des parties du texte employé dans le document, en présumant que les parties voulaient vraiment dire ce qu'elles ont dit. La cour interprète le contrat globalement, d'une manière qui donne un sens à tous ses termes, et elle évite toute interprétation privant d'effet une ou plusieurs de ses dispositions. La cour doit tenir compte dans son interprétation de la preuve objective du « fondement factuel » ou du contexte dans lequel s'est inscrite la négociation du contrat, mais non d'éléments de preuve subjectifs quant à l'intention des parties. L'interprétation du contrat par la cour doit être en accord avec les principes commerciaux et le bon sens des affaires et éviter d'être absurde du point de vue commercial. Si la cour estime le contrat ambigu, elle peut recourir à des éléments de preuve extrinsèque pour lever l'ambiguïté. Lorsqu'une transaction nécessite la signature de plusieurs documents faisant partie d'un ensemble complet plus large — dans le cas par exemple d'une opération complexe — et que chaque entente est conclue en supposant la conclusion des autres, on peut pour interpréter une entente avoir recours aux ententes connexes. [...]
[Non souligné dans l'original.]
(b) La nature des hypothèques de constructeur
[88] En l'espèce, le fondement factuel s'inscrit dans le contexte de l'hypothèque de constructeur, qui, elle‑même, fait partie d'un ensemble plus vaste d'ententes ayant trait à la construction, au financement, à la livraison et à la vente du navire. Ainsi, pour comprendre le contexte de l'espèce, il serait utile de passer en revue les caractéristiques générales d'une hypothèque de constructeur.
[89] Comme toute autre hypothèque, une hypothèque de constructeur fournit à un créancier une garantie en vue du remboursement d'un prêt ou de l'exécution d'une obligation par l'acquisition d'une sûreté sur un navire ou une part de celui‑ci (Edgar Gold, Aldo Chircop et Hugh Kindred, Essentials of Canadian Law: Maritime Law (Toronto, Irwin Law, 2003), aux pages 241 et 242 (Gold)). En particulier, on a recours à une hypothèque de constructeur pendant la construction d'un navire, période pendant laquelle le navire inachevé est détenu en garantie des prêts accordés au propriétaire du navire (Gold, page 160).
[90] Conformément à la Loi sur la marine marchande du Canada, les hypothèques de constructeur se présentent sous la forme d'un formulaire standard réglementaire (le formulaire 16). Comme le formulaire réglementaire contient moins de renseignements que les documents hypothécaires habituels, on utilise souvent d'autres documents, comme un contrat de construction de navire, pour compléter ses modalités (Gold, pages 160 et 161; Loi sur la marine marchande du Canada, paragraphe 65(1)).
[91] Il importe de souligner que les formulaires réglementaires permettent deux types d'hypothèques, soit une hypothèque qui garantit un montant en capital avec taux d'intérêt fixe ou une hypothèque qui garantit un compte courant (Gold, page 246). En l'espèce, il s'agit d'une hypothèque qui garantit un compte courant.
[92] Malgré le peu d'autorités jurisprudentielles sur le sujet en question, le protonotaire Hargrave, dans la décision Governor and Company of the Bank of Scotland c. Nel (Le), [2001] 1 C.F. 408, [2000] A.C.F. no 1305 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 20, a décrit un compte courant comme une « garantie générale » qui, dans cette affaire, garantissait une vaste gamme de comptes courants, y compris les avances consenties au propriétaire ou pour le compte du propriétaire. De même, comme l'indique Edgar Gold (à la page 246) :
[TRADUCTION]
[...] un compte courant [...] est une garantie permanente pour un solde et un taux d'intérêt qui peuvent varier. L'hypothèque qui garantit un compte courant est la plus souple des deux hypothèques parce qu'elle permet les avances futures, pour couvrir par exemple des activités ou des travaux de réparation sur le navire une fois consenti le prêt initial pour son acquisition; elle permet aussi de disposer de crédits permanents comme source de financement.
[93] Habituellement, le créancier hypothécaire (M. Sargeant) a le droit de faire valoir une réclamation de nature réelle à l'encontre du navire ou de faire saisir ce dernier en attendant qu'un défaut soit constaté (J. D. Buchan, Mortgages of Ships: Maritime Security in Canada (Toronto et Vancouver, Butterworths, 1986), à la page 82 (Buchan)). Généralement, les droits du créancier hypothécaire au titre de la garantie sur le navire sont régis par les droits et les recours établis dans le contrat de prêt connexe (en l'espèce, le contrat de construction) (Buchan, page 69).
[94] De même, à condition que l'hypothèque n'ait pas été forclose et que le navire n'ait pas été vendu en vertu du pouvoir de vente du créancier hypothécaire, le débiteur hypothécaire (Worldspan) devrait avoir le droit de racheter son bien en payant la créance (Buchan, page 63); cela dit, même si le créancier hypothécaire a exercé son droit de vente à l'égard du navire, il a l'obligation de retenir l'excédent du produit (c'est‑à‑dire ce qui dépasse le montant requis pour éteindre la dette hypothécaire, plus les intérêts accumulés et le coût de l'entreposage et de la vente) en fiducie pour le débiteur hypothécaire et les autres créanciers à l'égard du navire (Buchan, pages 66 et 67).
(c) L'hypothèque de constructeur avait pour objet de garantir les avances versées par M. Sargeant
[95] Compte tenu de ces principes, je me pencherai maintenant sur la question de savoir si la juge a eu tort de conclure que l'hypothèque de constructeur garantissait les avances versées par M. Sargeant à Worldspan. Je suis d'avis que la juge n'a pas commis d'erreur manifeste en concluant que l'hypothèque de constructeur garantissait le remboursement des avances ou, pour employer la terminologie de l'arrêt Housen, je suis convaincu que la juge n'a pas commis d'erreur manifeste et dominante.
[96] J'en arrive à cette conclusion pour les motifs énoncés ci‑après. Premièrement, il ne fait aucun doute que la juge connaissait les principes pertinents de l'interprétation contractuelle qu'elle a appliqués pour interpréter les documents en question à la lumière des circonstances ou du fondement factuel.
[97] Deuxièmement, elle a conclu, après avoir dûment examiné l'hypothèque de constructeur et le contrat de construction, que, par la signature de l'hypothèque de constructeur, les parties entendaient garantir les avances versées par M. Sargeant à Worldspan, avances qui étaient un prêt.
[98] Troisièmement, je suis d'avis que l'on ne peut pas considérer que la juge, en arrivant à sa conclusion, a attribué une obligation de remboursement implicite au contrat de construction. Elle a plutôt conclu, après une analyse contractuelle adéquate et, en particulier, après un examen minutieux des articles 4.1, 5.3 et 12.1 du contrat de construction, que les avances étaient un prêt et donc remboursables. Par conséquent, l'argument d'Offshore selon lequel la juge a eu tort de ne pas se référer à la jurisprudence sur la présence implicite de dispositions contractuelles est incorrect.
[99] Quatrièmement, à mon avis, si le contrat de construction et l'hypothèque de constructeur sont dûment interprétés, on ne peut qu'arriver à la conclusion que les avances doivent nécessairement être considérées comme un prêt destiné à Worldspan et donc comme remboursables.
[100] Dans les paragraphes suivants, j'expliciterai les brefs motifs que j'ai énoncés ci‑dessus quant à la raison pour laquelle je suis d'avis que rien ne justifie une intervention de la Cour dans le présent appel. Ensuite, je traiterai de chacun des arguments mis de l'avant par Offshore à l'appui du présent appel.
[101] Le protonotaire a conclu que, malgré les termes de l'hypothèque de constructeur, il n'y avait aucune preuve qu'un « compte courant » avait été établi en vertu du contrat de construction. À l'appui de cette position, il s'est fondé sur la décision d'un arbitre selon laquelle des avances n'étaient pas suffisantes pour constituer un compte courant. En outre, le protonotaire s'est particulièrement fondé sur le fait que les avances en l'espèce n'étaient manifestement pas censées être conservées dans un fonds, mais plutôt utilisées pour la construction du navire. Ainsi, le protonotaire était d'avis que le contrat de construction n'imposait nullement à Worldspan une obligation de rembourser les avances à M. Sargeant et que l'hypothèque de constructeur ne garantissait que la livraison du navire. Je suis parfaitement d'accord avec la juge sur le fait que cette interprétation ne résisterait pas à un examen minutieux.
[102] Tout d'abord, l'interprétation du protonotaire fait essentiellement fi du libellé explicite de l'hypothèque de constructeur qui se rapporte à l'existence d'un « compte courant » et ne fournit aucune autre explication quant à la signification possible de ce terme. À mon avis, cette situation justifiait à elle seule la modification de l'ordonnance du protonotaire par la juge.
[103] Selon une règle essentielle de l'interprétation contractuelle, [TRADUCTION] « une interprétation privant d'effet une ou plusieurs des dispositions du contrat sera rejetée » (Athwal c. Black Top Cabs Ltd., 2012 BCCA 107, [2012] B.C.J. no 420 (QL), au paragraphe 42). Qu'une hypothèque puisse ou non garantir des obligations non financières, les formulaires réglementaires pour les hypothèques maritimes ne mentionnent que deux types de contrepartie : un compte courant ou un montant en capital. Ainsi, une de ces deux obligations doit être présente pour que l'hypothèque soit opérante; autrement, il n'y aurait aucune contrepartie entre les parties. À la lumière de ces faits, je souscris à l'opinion de la juge, à savoir que l'acceptation de l'interprétation du protonotaire rendrait l'hypothèque de constructeur inopérante pour garantir la livraison, puisqu'il n'y aurait pas eu de contrepartie.
[104] Par surcroît, l'interprétation du protonotaire ne tient pas compte de la promesse essentielle d'une hypothèque de constructeur (telle qu'elle est énoncée dans le formulaire 16 réglementaire), soit que le débiteur hypothécaire (Worldspan) doit payer au créancier hypothécaire (M. Sargeant), en contrepartie du compte courant, « les sommes dues sur la présente garantie, soit en principal, soit en intérêts, aux dates et de la manière indiquées ». En effet, pour reprendre les termes employés dans le formulaire 16, le navire a été donné en garantie uniquement « afin de mieux garantir au(x) créancier(s) hypothécaire(s) le paiement de ces sommes ». Par conséquent, tout comme la juge, et bien que le contrat de construction et l'hypothèque de constructeur soient plutôt ambigus quant au moment et au mode du remboursement des avances à M. Sargeant, je ne crois pas que cette situation soit fatale pour la réclamation de M. Sargeant.
[105] Comme l'a souligné la juge, les avances sont, conformément à l'article 4.1 du contrat de construction, versées au titre du prix d'acquisition final, mais le droit aux avances n'est acquis par Worldspan qu'au moment de la livraison du navire et de son acceptation par M. Sargeant. Bien que je sois d'accord avec la juge pour dire que le fait que le droit aux avances n'est « pas acquis » donne fortement à penser que celles‑ci sont un prêt, à mon avis, le fait que les avances soient versées au titre du prix d'acquisition final prouve d'autant plus qu'elles sont garanties par l'hypothèque de constructeur.
[106] Comme les avances sont versées au titre du prix d'acquisition final, on peut présumer que M. Sargeant fera réduire le prix d'acquisition final du montant de ces avances au moment de l'achat final du navire. En effet, les articles 4.1 et 24.2 du contrat de construction prévoient que ces montants seront pris en compte lorsque viendra le temps de calculer le prix d'acquisition final. Par ailleurs, une fois le navire livré, les avances seront, en fait, remboursées à M. Sargeant, et leur valeur sera représentée par une réduction du prix d'acquisition du navire. Ainsi, on peut considérer que la « présente garantie » vise la livraison du navire à M. Sargeant. Toutefois, si le navire est détruit ou si Worldspan n'est plus en mesure d'en assurer la livraison, les avances ne pourront plus être remboursées au moyen d'un prix d'acquisition réduit et, donc, devront être remboursées en espèces, d'où l'obligation de remboursement.
[107] Cette interprétation est étayée par l'article 12.1 du contrat de construction, qui stipule expressément que Worldspan accorde à M. Sargeant une garantie sur le navire en vue de garantir les sommes que M. Sargeant avance ou verse au constructeur en vertu du contrat de construction, et que [TRADUCTION] « [l]e constructeur consent, à l'appui de la garantie du propriétaire grevant le navire, à enregistrer une hypothèque maritime en faveur du propriétaire [...] si le propriétaire demande que cela soit fait pour une raison quelconque ». Selon cette disposition, il semblerait que l'objet principal de l'hypothèque de constructeur consiste à garantir les sommes avancées par M. Sargeant et non la livraison du navire.
[108] Je suis également en accord avec la juge sur le fait que les dispositions relatives aux recours du contrat de construction appuient l'argument selon lequel Worldspan était tenue de rembourser les avances à M. Sargeant, particulièrement parce qu'elles démontrent que les droits de M. Sargeant sur le navire, jusqu'au paiement du prix d'acquisition final, étaient définis par les sommes avancées.
[109] En vertu de l'article 13.5 du contrat de construction, en cas de défaut de la part de M. Sargeant à l'égard de ses obligations aux termes du contrat de construction, Worldspan a le droit de résilier le contrat de construction et de vendre le navire. Cela dit, comme l'a souligné la juge, si Worldspan vendait le navire, elle serait tout de même tenue de rembourser tous les « versements » (soit les avances) faits par M. Sargeant si le prix de vente était supérieur au prix d'acquisition plafonné. Même si le prix de vente était inférieur au prix d'acquisition plafonné, Worldspan serait tout de même tenue de rembourser les avances, moins la différence entre le prix d'acquisition plafonné et le prix d'acquisition réel. Ainsi, ce fait donne à penser que M. Sargeant conserve un intérêt dans le navire qui équivaut au montant des avances versées.
[110] De même, aux termes de l'article 24 du contrat de construction, si M. Sargeant vend le navire dans les trois années suivant la date de livraison (que le navire soit achevé ou non), quatre formules distinctes seront appliquées pour établir les sommes dues entre M. Sargeant et Worldspan. Comme l'a fait remarquer la juge, si le navire est vendu à profit, M. Sargeant sera tenu de verser une partie de ce profit à Worldspan. En revanche, si le navire est vendu à perte, Worldspan sera tenue de rembourser une partie de la perte à M. Sargeant. Qui plus est, aux termes de l'article 24.8, au moment du versement d'un paiement en vertu de l'une des formules prévues à l'article 24, chaque partie a le droit de déduire de la somme due à l'autre partie le montant qui lui est dû en vertu du contrat de construction. Compte tenu de ces formules, je suis parfaitement d'accord avec la conclusion de la juge, à savoir que le produit de la vente du navire à payer à M. Sargeant constitue, en fait, un remboursement des avances.
[111] À cette fin, comme ces formules exigent que M. Sargeant partage le bénéfice tiré de la vente avec Worldspan, cette situation ne peut pas donner ouverture d'une façon réaliste à [TRADUCTION] « l'absurdité sur le plan commercial » mentionnée par Offshore, selon laquelle M. Sargeant pouvait [TRADUCTION] « jouer à la bourse » et faire livrer le navire en vue d'obtenir un remboursement accru plutôt que de demander le remboursement des avances, car la vente du navire à un prix plus élevé serait tout autant avantageuse pour les deux parties. En outre, bien qu'Offshore soutienne qu'il serait injuste si les obligations de Worldspan à l'égard de M. Sargeant étaient acquittées par le [TRADUCTION] « simple remboursement des avances », même si le navire était vendu à un prix fortement gonflé, à mon avis, un tel résultat ne serait pas injuste si l'on considère que les droits de M. Sargeant sur le navire se limitent aux avances déjà versées, ce qui, encore une fois, appuie l'argument voulant que les parties aient entendu garantir ces droits au moyen de l'hypothèque de constructeur.
[112] Enfin, je suis également d'accord avec la conclusion de la juge selon laquelle l'article 5.3 du contrat de construction appuie l'argument voulant que les parties aient eu l'intention de garantir le remboursement des avances (que ce soit sous la forme d'un fonds ou par la livraison du navire). Selon cette disposition, en cas de perte du navire au cours de la construction, M. Sargeant avait le droit de recouvrer toutes les sommes versées à Worldspan en vertu du contrat de construction. Offshore soutient que cette disposition permet uniquement à M. Sargeant de réclamer les sommes ayant été versées à Worldspan en vertu d'une assurance ou d'une réclamation d'une tierce partie, et non les sommes qu'il a lui‑même déjà versées à Worldspan. Cependant, une lecture grammaticalement correcte de l'article 5.3 permet de constater que, en raison de la présence d'une virgule entre [TRADUCTION] « en vertu des présentes » et [TRADUCTION] « au moyen », les sommes recouvrables par M. Sargeant sont bel et bien celles que ce dernier a versées à Worldspan. La mention [TRADUCTION] « au moyen d'une assurance ou d'une autre manière » sert tout simplement à indiquer les manières dont Worldspan pourrait rembourser la somme en question.
[113] Finalement, en toute déférence, je suis d'avis qu'Offshore confond les moyens et les fins en affirmant que l'hypothèque visait à garantir la livraison du navire. Comme les avances sont « au titre du » prix d'acquisition final, qui, comme le prévoit l'article 24.2, tient compte de la totalité des sommes versées, ces avances pourraient être remboursées par la livraison du navire. Toutefois, aucune disposition de l'hypothèque de constructeur ou du contrat de construction ne réfute le principe général selon lequel, avant la forclusion ou la vente, le débiteur hypothécaire a le droit de racheter le navire hypothéqué en remboursant la dette, et, au moment de la vente, le créancier hypothécaire est tenu de remettre l'excédent au débiteur hypothécaire. En fait, ce principe est étayé par les dispositions relatives aux recours du contrat de construction et les formules de vente. Ainsi, je suis du même avis que Comerica et M. Sargeant sur le fait que, après un examen complet du fondement factuel, on peut conclure que l'article 12.1 du contrat de construction et les conditions générales de l'hypothèque de constructeur garantissent expressément le remboursement des avances à titre de « compte courant ».
(d) Réponses aux arguments précis présentés par Offshore contre l'interprétation qu'a faite la juge de l'hypothèque de constructeur et du contrat de construction
[114] Je me pencherai maintenant sur les divers arguments précis présentés par Offshore pour décrire en quoi la juge aurait commis des erreurs lors de son interprétation de l'hypothèque de constructeur et du contrat de construction.
[115] Premièrement, Offshore affirme que la juge a eu tort de conclure, au paragraphe 97 du jugement de la Cour fédérale, que l'hypothèque de constructeur serait inopérante si elle ne garantissait que la livraison du navire. Selon Offshore, la jurisprudence indique clairement qu'une hypothèque peut garantir une dette ou l'acquittement de toute autre obligation non financière. Je n'estime pas devoir en arriver à une conclusion définitive sur ce point puisque la juge a conclu, dans son interprétation des documents contractuels, que l'hypothèque de constructeur ne visait pas à garantir uniquement la livraison du navire. Plutôt, elle a conclu que l'hypothèque de constructeur avait manifestement pour objet de garantir les avances versées par M. Sargeant à Worldspan; sinon, elle ne fournirait aucun recours utile à M. Sargeant. Par conséquent, il n'est pas nécessaire que nous tranchions la question de savoir si une hypothèque peut garantir uniquement des obligations non financières, comme la livraison d'un navire.
[116] Deuxièmement, Offshore soutient que la juge a eu tort de conclure, au paragraphe 74 du jugement de la Cour fédérale, que la dette a été créée par le fait que le droit aux avances ne serait acquis qu'au moment de la livraison et par le défaut de Worldspan de livrer le navire. Dans les circonstances de l'affaire, la juge a conclu que les dispositions du contrat de construction relatives au défaut ne s'appliquaient pas. Ainsi, selon la juge, la dette s'est réalisée, et Worldspan l'aurait acquittée en remboursant les avances à M. Sargeant.
[117] Plus précisément, Offshore affirme que la livraison n'a pas eu lieu parce que M. Sargeant a omis de verser les sommes dues à Worldspan aux termes de l'article 12 du contrat de construction ou parce que M. Sargeant et Comerica n'ont pas réclamé la livraison du navire avant la date de prescription établie en vertu de l'ordonnance relative à la procédure de réclamation rendue par le protonotaire le 29 août 2011. Par la présentation de cet argument, Offshore répète son affirmation selon laquelle l'hypothèque de constructeur n'avait pour objet que de garantir la livraison du navire. En outre, Offshore soutient que la juge a eu tort de conclure, au paragraphe 64 du jugement de la Cour fédérale, que la saisie du navire par un créancier tiers de Worldspan constituait une circonstance imprévue dans le contrat de construction. Offshore affirme que, dans une telle situation, deux résultats sont possibles : premièrement, en cas de rupture du contrat de construction par M. Sargeant, ce dernier ne pourra se faire rembourser ses avances; deuxièmement, en cas de rupture du contrat de construction par Worldspan, M. Sargeant aura le droit de demander la livraison et la vente du navire conformément aux modalités du contrat de construction.
[118] En conséquence, Offshore soutient que la détermination d'une disposition implicite de remboursement des avances est sans fondement, car celles‑ci sont garanties par l'obligation expresse de Worldspan de livrer le navire. Ainsi, la non‑existence d'une disposition de remboursement ne donne pas lieu à une absurdité sur le plan commercial.
[119] Je ne peux souscrire au point de vue mis de l'avant par Offshore. Le navire a été saisi par Offshore en raison d'un défaut de paiement de la part de Worldspan. Ce défaut a entraîné le dépôt d'un jugement contre Worldspan en faveur d'Offshore. Dans ces circonstances, Worldspan n'a pas été à même d'obtenir la mainlevée du navire, qui, en temps voulu, a été vendu par la Cour fédérale franc et quitte de revendications, de charges et de servitudes de toute nature.
[120] L'argument présenté par Offshore au sujet de la livraison est fondé sur l'affirmation voulant que M. Sargeant soit endetté envers Worldspan en raison de son défaut de verser ses avances. Donc, selon le raisonnement d'Offshore, Worldspan n'était nullement tenue de livrer le navire. Toutefois, cette affirmation est contestée par M. Sargeant. Ce dernier soutient qu'il y a eu surfacturation de la part de Worldspan. Quoi qu'il en soit, la question de savoir si M. Sargeant ou Worldspan ou les deux ont contrevenu au contrat de construction n'a pas encore été tranchée par un tribunal. Cela dit, le contrat de construction ne traite manifestement pas de l'éventualité que le navire soit saisi par un créancier tiers avant que M. Sargeant ou Comerica ait la possibilité d'en demander la livraison, puis qu'il soit vendu par la Cour. Bien qu'il soit vrai que le contrat de construction impose à Worldspan l'obligation de livrer le navire, une telle obligation ne figure pas dans l'hypothèque de constructeur ni dans la partie du contrat de construction qui stipule que Worldspan doit enregistrer une hypothèque en faveur de M. Sargeant à la demande de ce dernier. Par conséquent, on peut difficilement affirmer que l'hypothèque de constructeur n'avait pour objet que de garantir la livraison du navire.
[121] Si la position d'Offshore est correcte, il aurait en fait fallu que M. Sargeant assure une surveillance continue des comptes de Worldspan auprès de créanciers tiers (comme Offshore) afin de veiller à ce qu'elle ne conclue aucun arrangement avec ses créanciers et à ce qu'elle ne contrevienne à aucune de ses obligations financières. En outre, si Worldspan avait conclu un arrangement ou contrevenu à l'une de ses obligations à l'égard d'une tierce partie, il aurait fallu que M. Sargeant réclame immédiatement la livraison du navire avant que la tierce partie saisisse le navire, faute de quoi il ne lui resterait plus aucun recours utile. Une telle interprétation de l'application du contrat de construction et de l'hypothèque de constructeur donne manifestement lieu à une absurdité sur le plan commercial.
[122] Par conséquent, je ne décèle aucune erreur dans la conclusion de la juge voulant que le défaut de Worldspan de livrer le navire à M. Sargeant ait entraîné une obligation de rembourser les avances.
[123] Le troisième argument présenté par Offshore souligne que, si les parties avaient eu l'intention d'imposer à Worldspan une obligation de remboursement générale, elles l'auraient indiquée expressément dans le contrat de construction. Donc, en l'absence d'une disposition expresse, la juge n'aurait pas dû conclure qu'il existait une telle obligation générale en se fondant sur les diverses obligations de remboursement précises figurant dans le contrat de construction. À l'appui de cet argument, Offshore fait remarquer que le contrat de construction a dû être rédigé par des avocats compétents et, à cet égard, souligne le fait que, conformément au contrat de construction, une copie de tout avis envoyé à M. Sargeant devait être transmise à un cabinet d'avocats situé au Royaume‑Uni. En conséquence, selon Offshore, cela donne plus de poids à ses arguments voulant que l'omission d'inclure une clause de remboursement générale ne soit pas accidentelle, mais qu'elle reflète bel et bien l'intention des parties.
[124] Tout d'abord, rien au dossier ne prouve que le contrat de construction a, en fait, été rédigé par des avocats. Quoi qu'il en soit, même s'il en était ainsi, je ne vois pas en quoi ce fait influerait sur la manière dont la juge aurait dû interpréter les documents contractuels.
[125] La juge a conclu qu'il existait une obligation de rembourser les avances à M. Sargeant en raison de sa lecture du contrat de construction et de l'hypothèque de constructeur. Autrement dit, elle a interprété les documents contractuels et a tranché que les parties entendaient faire en sorte que, en cas de non‑livraison du navire, M. Sargeant ait le droit de se faire rembourser les avances auxquelles Worldspan n'avait pas encore acquis le droit. Pour en arriver à cette interprétation des documents contractuels, la juge a examiné, à juste titre selon moi, d'autres dispositions du contrat de construction qui obligeaient Worldspan, dans des circonstances précises, à rembourser les avances à M. Sargeant. Je ne décèle aucune erreur dans cette conclusion de la juge.
[126] Le quatrième argument présenté par Offshore voulait que la juge ait eu tort de conclure que les avances versées par M. Sargeant devaient être remboursées par Worldspan en raison du fait que le droit aux avances n'était considéré comme acquis qu'au moment de la livraison du navire. Offshore affirme que le droit aux avances était considéré comme non acquis jusqu'au moment de la livraison afin d'éviter le paiement de taxes. Selon Offshore, il n'était pas nécessaire de soumettre une preuve à l'appui de cet argument puisque les parties à un contrat [TRADUCTION] « sont censées connaître leurs activités et les structurer de manière à éviter l'application inutile de taxes ». Plus précisément, à l'appui de cet argument, Offshore souligne que le contrat de construction stipule que la livraison du navire doit avoir lieu dans les eaux internationales. Ainsi, selon Offshore, le fait que le navire devait être exporté constituait un élément essentiel de la vente (mémoire des faits et du droit d'Offshore, paragraphe 56).
[127] À mon avis, cet argument est sans fondement. Premièrement, Offshore ne cite ni jurisprudence ni doctrine à l'appui de la présomption contractuelle mise de l'avant au sujet de la minimisation des paiements superflus de taxes. Deuxièmement, rien dans la preuve au dossier n'appuie l'argument d'Offshore. On aurait pu s'attendre à ce que la présentation d'une preuve par affidavit soit requise pour étayer un tel argument.
[128] Dans son cinquième argument, Offshore soutient que, nonobstant le fait que certaines dispositions du contrat de construction, soit les articles 13.5 et 5.3, traitent expressément du remboursement des avances dans des circonstances définies, cela ne justifiait pas la conclusion rendue par la juge, c'est‑à‑dire qu'il existait une obligation de remboursement générale implicite. Toutefois, la juge n'était pas du même avis. Selon elle, ces dispositions étaient pertinentes aux fins de l'établissement de l'intention des parties et de l'interprétation du contrat de construction dans le contexte du fondement factuel. Encore une fois, je ne vois aucune raison d'intervenir à l'égard des conclusions de la juge.
[129] Offshore met de l'avant un autre argument dans son mémoire des faits et du droit, sous le sous‑titre [TRADUCTION] « Interprétation erronée de ce que constitue le “fonds” ». Offshore soutient que la juge a fait une interprétation erronée des conclusions du protonotaire au sujet de l'existence ou de la non‑existence des avances en tant que « fonds ». Selon Offshore, les parties ont envisagé que les avances versées à Worldspan par M. Sargeant seraient utilisées pour la construction du navire et ne seraient pas constituées en un fonds, et que les parties étaient parfaitement conscientes du fait que, en cas de rupture du contrat de construction, Worldspan ne serait pas en mesure de rembourser les avances importantes qui lui avaient été versées. Par conséquent, M. Sargeant n'aurait comme seul recours que de sortir le navire du chantier pour en achever ailleurs la construction ou le vendre.
[130] Offshore affirme que, dans son jugement, le protonotaire voulait tout simplement souligner le fait que M. Sargeant et Comerica compteraient sur le navire à titre de bien, au besoin, plutôt que de chercher à se faire rembourser les avances, une obligation qui n'a délibérément pas été incluse dans le contrat de construction, sauf dans les circonstances précises prévues aux articles 13.5 et 5.3 du contrat de construction.
[131] Je ne vois aucune raison de ne pas souscrire à la conclusion de la juge selon laquelle, bien que les parties se soient attendues à ce que Worldspan utilise les avances pour la construction du navire et que, par conséquent, ces avances ne seraient pas constituées en un « fonds » à proprement parler, cela n'empêchait pas les avances de constituer un prêt, même s'il ne s'agissait pas d'un prêt conventionnel.
[132] Offshore soutient également que la juge a commis une erreur lors de son interprétation des dispositions du contrat de construction ayant trait à l'assurance, qui se trouvent à l'article 5.3 du contrat, en arrivant à la conclusion que ces dispositions témoignaient de la présence d'une obligation de rembourser les avances. Selon Offshore, on ne peut avoir envisagé une interprétation de l'article 5.3 donnant lieu à une obligation de remboursement indépendante du statut des parties à titre d'assurés conjoints, et une telle interprétation aurait nécessité la présence d'une disposition de dérogation. Pour les raisons que j'ai déjà énoncées au paragraphe 112 des présents motifs, je ne peux me rallier au point de vue d'Offshore. L'article 5.3 du contrat de construction ne peut être restreint de la manière qu'a présentée Offshore. Qui plus est, je suis convaincu que le recours d'Offshore à l'arrêt Commonwealth Construction est mal fondé, car cette affaire porte sur le droit d'un assureur à la subrogation à l'encontre d'un assuré conjoint aux termes de la police. Le fondement factuel en l'espèce se distingue entièrement de celui de l'arrêt Commonwealth Construction. Par conséquent, je ne décèle aucune erreur de la part de la juge.
[133] Offshore présente un autre argument. À son avis, la juge, au paragraphe 59 et suivants de ses motifs, a également mal interprété les diverses dispositions du contrat de construction ayant trait à la rupture du contrat et aux recours, figurant aux articles 13.1, 13.5 et 24.8, en arrivant à la conclusion qu'elles appuient la thèse selon laquelle Worldspan était tenue de rembourser les avances en cas de défaut.
[134] À mon avis, la juge n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle. Je suis convaincu qu'elle a examiné ces dispositions lors de son interprétation du contrat de construction et de l'hypothèque de constructeur et qu'elle a tranché qu'en fait, ces dispositions servaient aussi à garantir les avances de M. Sargeant. Je ne décèle aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion qu'elle a rendue à l'égard de ces dispositions.
C. La juge a-t-elle commis une erreur manifeste en arrivant à la conclusion que le contrat de construction renfermait implicitement une obligation de remboursement de la part de Worldspan?
[135] Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé relativement à la deuxième question, je n'ai nullement besoin de traiter de la troisième question. Cela dit, il y a lieu de souligner qu'il ne fait aucun doute, au vu du paragraphe 72 du jugement de la Cour fédérale, que la juge n'a pas fondé sa décision sur une disposition implicite. Elle a écrit ce qui suit au paragraphe en question :
72 Même sans arriver à ce résultat, j'aurais conclu qu'en interprétant l'opération comme un tout pour déterminer l'intention des parties, au sein de la matrice factuelle pertinente, l'hypothèque de constructeur et le contrat de construction prévoyaient implicitement l'obligation de rembourser les avances dont le droit à celles-ci n'était pas acquis, ce qui créait une dette potentielle, une dette qui, en fait, se concrétiserait en cas de non‑livraison du navire dans ces circonstances. Même s'il n'y avait pas de « prêt » à proprement parler, il existait une dette potentielle créée par les dispositions du contrat de construction, et M. Sargeant a garanti l'acquittement de la dette potentielle au moyen de l'hypothèque de constructeur.
[Non souligné dans l'original.]
[136] La mention « même sans arriver à ce résultat » figurant dans le paragraphe qui précède se rapporte à la conclusion de la juge (au paragraphe 71 du jugement de la Cour fédérale) selon laquelle le libellé du contrat de construction peut être interprété de manière à qualifier les avances de prêt. Ainsi, l'extrait qui précède démontre clairement que la conclusion de la juge sur la présence d'une disposition implicite n'a été présentée que pour décrire une autre voie par laquelle elle serait arrivée au même résultat. Comme j'ai conclu que la juge n'a pas commis d'erreur lors de son interprétation contractuelle, je n'ai nullement besoin de formuler d'autres commentaires sur cette question.
D. La juge a‑t‑elle commis une erreur de droit lors de son examen de la demande des intimés aux termes de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales?
[137] Il ne fait aucun doute que la juge avait raison de conclure que la demande de M. Sargeant s'inscrivait dans la portée de l'alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales, qui dispose que la Cour fédérale a compétence dans le cas d'une « demande fondée sur un contrat de construction, de réparation ou d'équipement d'un navire », et, en outre, qu'en vertu du paragraphe 43(2) de la Loi, la demande de M. Sargeant pouvait être exercée en matière réelle.
[138] Je ne vois aucune raison d'infirmer la conclusion de la juge. Quoi qu'il en soit, Offshore ne conteste pas véritablement cette partie de sa décision; elle affirme tout simplement que cette conclusion est, en fait, sans pertinence.
[139] Selon Offshore, bien que l'alinéa 22(2)n) accorde compétence à la Cour pour traiter la demande de M. Sargeant, elle n'étaye pas une cause d'action qui, en l'espèce, découle des obligations créées par le contrat de construction et une demande en dommages-intérêts connexe possible pour rupture de contrat.
[140] Je suis d'accord avec Offshore pour dire qu'une demande visée à l'alinéa 22(2)n) ne peut avoir un objet plus large que celui de l'hypothèque de constructeur si ce document n'a pour objet que de garantir les avances au moyen d'une obligation de livraison.
[141] Quoi qu'il en soit, la conclusion de la juge à l'égard de l'alinéa 22(2)n) subsistera, mais, en toute déférence, j'estime que rien ne reposera sur ce point vu ma conclusion selon laquelle l'hypothèque de constructeur ne garantissait pas uniquement la livraison du navire, mais bien aussi les avances de M. Sargeant.
V. CONCLUSION
[142] Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
« M. Nadon »
j.c.a.
« Je suis d'accord.
Eleanor R. Dawson, j.c.a. »
« Je suis d'accord.
Johanne Trudel, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Yves Bellefeuille, réviseur
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
A-439-13 |
APPEL D'UNE ORDONNANCE RENDUE LE 19 DÉCEMBRE 2013 PAR LA JUGE STRICKLAND DE LA COUR FÉDÉRALE DANS LE DOSSIER T‑1226‑10
INTITULÉ : |
OFFSHORE INTERIORS INC. c. HARRY SARGEANT III et COMERICA BANK
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LIEU DE L'AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario)
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DATE DE L'AUDIENCE : |
LE 9 juin 2014
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
le juge NADON
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Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE DAWSON LA JUGE TRUDEL
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DATE DES MOTIFS : |
LE 16 février 2015 |
COMPARUTIONS :
W. Gary Wharton |
POUR L'APPELANTE
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John W. Bromley Kaitlin Smiley |
POUR L'INTIMÉ HARRY SARGEANT III |
John I. McLean, c.r. Scott R. Anderson |
POUR L'INTIMÉE COMERICA BANK
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bernard LLP Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR L'APPELANTE
|
Bull Housser & Tupper LLP Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR L'INTIMÉ HARRY SARGEANT III |
Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l. Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR L'INTIMÉE COMERICA BANK
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