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Date : 20150505


Dossier : A-212-14

Référence : 2015 CAF 118

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

CAITHKIN, INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 avril 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 mai 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

 


Date : 20150505


Dossier : A-212-14

Référence : 2015 CAF 118

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

CAITHKIN, INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]               La Cour d’appel est saisie de l’appel d’une décision du juge Graham (le juge de première instance), de la Cour canadienne de l’impôt (2014 CCI 80). La question que le juge de première instance devait trancher était celle de savoir si la prestation de services par l’appelante à différentes sociétés d’aide à l’enfance de l’Ontario (les SAE) constituait une fourniture exonérée selon l’article 2 de la partie IV de l’annexe V de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E-15 (la LTA).

[2]               La question circonscrite à trancher en appel est celle de savoir si le juge de première instance a interprété correctement l’article 2 et a eu raison d’en restreindre la portée à la fourniture de services au lieu réel ou au foyer où résident les enfants en famille d’accueil.

I.                   Faits et procédures

[3]               Les SAE administrent le système de familles d’accueil en Ontario. Selon la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, LRO 1990, c C-11 (Loi sur les services à l’enfance et à la famille), les SAE sont les tuteurs légaux des enfants en famille d’accueil qui leur sont confiés. À leur tour, les SAE concluent des contrats avec des fournisseurs relativement à l’exécution de services connexes, y compris la recherche et la formation de familles d’accueil et l’inspection de foyers d’accueil.

[4]               L’appelante est l’un de ces fournisseurs. Elle trouve et forme les parents de familles d’accueil, place les enfants auprès de parents de familles d’accueil, supervise les parents de familles d’accueil et inspecte les foyers d’accueil sur une base continue. L’appelante est titulaire d’un permis aux termes de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, lequel permis l’autorise à assurer des soins en établissement dans des foyers d’accueil, mais elle n’est pas titulaire d’un permis l’autorisant à exploiter des foyers pour enfants. L’appelante n’est pas mandataire de la Société d’aide à l’enfance, mais est plutôt une entreprise indépendante à but lucratif qui assure des services en qualité d’intermédiaire entre la SAE et les parents de familles d’accueil. L’appelante négocie avec la SAE afin de déterminer l’indemnité quotidienne qu’elle touchera pour chaque enfant demeurant sous les soins et la garde de parents de familles d’accueil avec lesquels elle a des liens. À son tour, l’appelante verse une indemnité quotidienne aux parents de familles d’accueil pour chaque enfant demeurant sous les soins et la garde de ceux-ci.

[5]               L’appelante n’a déclaré aucune taxe sur les produits et services (TPS) à percevoir à l’égard des indemnités quotidiennes reçues de la SAE. Cependant, elle a demandé des crédits de taxe sur les intrants (CTI) à l’égard de la TPS payée à l’égard des frais qu’elle a engagés pour fournir des services à la SAE.

[6]               Le ministre du Revenu national (le ministre) a subséquemment établi une nouvelle cotisation à l’encontre de l’appelante à l’égard des périodes de déclaration visées par l’appel afin d’augmenter de 368 569,79 $ la TPS à percevoir par l’appelante. Le juge Graham a réduit le montant de la nouvelle cotisation afin de tenir compte du fait que la première période d’imposition était prescrite à la date de la nouvelle cotisation. Le ministre avait également refusé des CTI totalisant 77 496,73 $. Le juge Graham a accueilli l’appel en ce qui concerne les CTI. Devant le juge de première instance, l’intimée a convenu que l’appelante aurait droit à ces CTI si les services qu’elle a assurés à la SAE étaient effectivement des fournitures taxables.

II.                La décision portée en appel

[7]               Dans ses motifs du jugement, le juge de première instance a conclu que, même si l’appelante satisfaisait aux premier et deuxième critères prévus par la disposition législative, selon lesquels les services assurés doivent consister à « assurer la garde et la surveillance d’enfants […] et à leur offrir un lieu de résidence », l’appelante n’avait pas satisfait au troisième critère de la disposition, selon lequel les services doivent être assurés dans « un établissement exploité » par l’appelante.

[8]               De l’avis du juge de première instance, le mot « établissement » s’entend du lieu matériel ou du lieu de résidence où la garde et la surveillance sont assurées, plus précisément le foyer des parents de familles d’accueil. Le juge de première instance a conclu que l’« établissement » était l’endroit où les enfants étaient gardés et surveillés et où ils avaient leur résidence, soit, en termes plus simples, le toit et les murs d’un foyer. Il a également relevé que, même s’il interprétait le mot « exploiter » de la manière la plus large possible, l’appelante n’exploitait pas les foyers des parents de familles d’accueil. Il a reconnu qu’il était permis de dire que l’appelante gérait le service de familles d’accueil assuré dans les foyers, mais il ne pouvait admettre que l’appelante gérait les foyers eux-mêmes, car les parents de familles d’accueil sont les [TRADUCTION] « rois et reines de leurs propres châteaux ».

III.             La question en litige en appel

[9]               Aucune question n’est soulevée en ce qui concerne la manière dont le juge de première instance a apprécié la preuve ou dont il l’a appliquée à la disposition qu’il a interprétée. La question en litige en appel se limite plutôt strictement à une question d’interprétation des lois, soit la question de savoir si le juge de première instance a eu raison de conclure que l’« établissement » doit être la structure physique réelle ou le foyer où résident les enfants en famille d’accueil.

[10]           L’appelante soutient que le mot « établissement » peut avoir un sens plus large que celui que lui a donné le juge de première instance. Elle cite le Canadian Oxford Dictionary, qui définit le mot « establishment » comme suit :

[TRADUCTION]

1. Acte ou fait d’établir; processus de mise sur pied. 2a. organisation commerciale ou institution publique. 2b. lieu d’affaires. 3a. personnel ou équipement d’une organisation. 3b foyer. 4. toute entité organisée maintenue en permanence dans un but précis. 5a. système ecclésiastique organisé par la loi. 6a. groupe d’une société qui exerce une autorité ou une influence et qui est perçu comme un groupe hostile au changement. 6b. tout groupe qui exerce une influence ou une forme de contrôle.

[11]           Eu égard à cette définition, l’appelante soutient que le mot « établissement » peut avoir plusieurs sens, dont celui d’une organisation commerciale. En conséquence, le contribuable peut exercer ses activités et « exploiter » son « établissement » sans endroit matériel. L’appelante fait une analogie avec un parc de taxis qui, selon le paragraphe 26 de la décision R. c Twoyoungmen [1979] 5 WWR 712, peut être considéré comme un parc de véhicules « exploité » par son propriétaire ou par le répartiteur  sans que cette personne se trouve nécessairement à l’intérieur du taxi. Dans la présente affaire, l’appelante fait valoir que l’« établissement » réside dans [TRADUCTION] « l’ensemble de services » que l’appelante fournit à la SAE. En d’autres termes, l’établissement serait la [TRADUCTION] « fonction sous licence » que l’appelante est autorisée à accomplir.

[12]           L’appelante ajoute que, étant donné que le mot « établissement » a plusieurs sens, il y a lieu de l’interpréter d’une manière qui cadre avec l’objet visé de manière à couvrir les prestataires de services comme elle. Va dans le sens de cette interprétation la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’objet général de la disposition consiste probablement à exonérer de la TPS différents services de base assurés à certaines personnes susceptibles d’être vulnérables (comme les enfants) (décision de la Cour canadienne de l’impôt, au paragraphe 32). L’appelante invoque également l’arrêt Québec (Communauté urbaine) c Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 RCS 3, au paragraphe 18, où la Cour suprême du Canada a reconnu que la loi fiscale vise des objectifs tant sociaux que fiscaux et que « rien n’empêche qu’une politique générale de levée de fonds soit assujettie à une politique secondaire d’exemption des œuvres sociales. Il s’agit là de deux buts légitimes […] et, à ce titre, on voit difficilement pourquoi l’un devrait primer l’autre ».

[13]           Par les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais l’appel. Le juge de première instance a correctement dit que, selon son sens ordinaire, le mot « établissement » s’entend des foyers des parents de familles d’accueil.

IV.             Analyse

[14]           L’appel peut être tranché en fonction des principes fondamentaux d’interprétation des lois, notamment le principe moderne de Driedger selon lequel [TRADUCTION] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi, de même qu’avec l’intention du législateur » (voir E.A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983).

[15]           Dans l’arrêt Sa Majesté la Reine c Hypothèques Trustco Canada, 2005 CSC 54 (Trustco Canada), au paragraphe 10, la Cour suprême du Canada précise que l’interprétation d’une disposition législative « doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble ». De plus, « [l]orsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation » : Trustco Canada, au paragraphe 10; Bakorp Management Ltd c Canada, 2014 CAF 104, au paragraphe 25.

[16]           Selon l’article 2 de l’annexe V de la partie IV, les fournitures exonérées comprennent la fourniture suivante :

2. La fourniture de services qui consistent à assurer la garde et la surveillance d’enfants ou de personnes handicapées ou défavorisées, et à leur offrir un lieu de résidence, dans un établissement exploité à cette fin par le fournisseur.

2. A supply of a service of providing care, supervision and a place of residence to children, underprivileged individuals or individuals with a disability in an establishment operated by the supplier for the purpose of providing such service.

[17]           L’article 3 prévoit également ce qui suit :

3. La fourniture d’un service de soins et de surveillance d’une personne dont l’aptitude physique ou mentale sur le plan de l’autonomie et de l’autocontrôle est limitée en raison d’une infirmité ou d’une invalidité, si le service est rendu principalement dans un établissement du fournisseur.

3. A supply of a service of providing care and supervision to an individual with limited physical or mental capacity for self-supervision and self-care due to an infirmity or disability, if the service is rendered principally at an establishment of the supplier.

[18]           Le mot « établissement » ne peut être extrait de la loi et lu de façon isolée. Cette interprétation irait à l’encontre de la directive donnée par la Cour suprême du Canada, selon laquelle il faut lire les termes d’une loi au regard de leur contexte global. Dans la présente affaire, cette disposition ne joue que lorsque les services sont fournis « dans un établissement exploité […] par le fournisseur ». Autrement dit, il est nécessaire que les services soient rendus « dans » un établissement et que l’établissement en question soit « exploité […] par le fournisseur ». Le sens du mot « établissement » est circonscrit par ces derniers mots.

[19]           Le mot « in », qui circonscrit dans la version anglaise le mot « establishment », évoque selon son sens ordinaire un endroit matériel et non une construction figurative, comme le soutient l’appelante. Un ensemble de services n’est pas un endroit matériel. Il est impossible d’assurer la garde et la surveillance et d’offrir un lieu de résidence dans un ensemble de services. De plus, la version française de la disposition emploie le mot « dans », ce qui renforce le sens ordinaire du mot « établissement », soit un foyer ou un lieu de résidence matériel. La thèse de l’appelante selon laquelle l’« établissement » peut être un ensemble de services ne cadre pas avec le sens ordinaire de ce mot.

[20]           Qui plus est, le sens ordinaire du mot « establishment » (établissement) employé à l’article 3 et circonscrit par les mots « at an » ou « dans » évoque un endroit matériel et non un groupe de services. Le fait que le mot « établissement » soit également employé à l’article 3 renforce le sens qu’il convient de lui donner, soit le foyer proprement dit des parents de familles d’accueil. L’interprétation du mot « établissement » comme l’endroit matériel où la garde et la surveillance d’enfants sont assurées permet de préserver l’uniformité en ce qui concerne l’utilisation de termes identiques. Eu égard au sens ordinaire du mot et au contexte dans lequel il est employé, l’interprétation plus large que défend l’appelante ne peut être retenue.

[21]           En troisième lieu, il faut interpréter les lois de façon à donner un sens à chaque mot et à éviter les redondances : Placer Dome Canada Ltd c Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, au paragraphe 45, [2006] 1 RCS 715, à la page 739, citant Hill c William Hill (Park Lane) Ltd, [1949] AC 530 (CL). Si, comme l’appelante le soutient, un établissement était davantage que le toit et les murs de l’immeuble physique, le troisième critère du test n’aurait pas été nécessaire, car il aurait été superflu et sans conséquence. La disposition se serait terminée par le mot « disability », dans la version anglaise, et par le mot « résidence », dans la version française. L’interprétation que donne l’appelante du mot « établissement » est contraire à la présomption d’absence de tautologie et de la nécessité de donner un sens à chaque terme.

[22]           Même s’il suffit de s’en remettre au sens ordinaire de la disposition législative pour trancher le présent appel, la validité de cette analyse est renforcée lorsqu’il est tenu compte de deux autres aspects de la démarche d’interprétation.

[23]           La consultation du Hansard ou des travaux préparatoires n’est nécessaire que lorsqu’il y a ambiguïté ou qu’il est souhaitable d’établir des éléments contextuels manquants, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Cependant, au cours des débats, il a été fait mention des Notes explicatives émises par le ministre des Finances (ministère des Finances du Canada, Notes explicatives du projet de loi concernant la taxe sur les produits et services (Ottawa : ministère des Finances du Canada, février 1993), à la page 298). Selon les Notes explicatives, la fourniture est exonérée si, à la fois :

•          elle englobe la garde et la surveillance dans un lieu de résidence;

•          elle est fournie directement au bénéficiaire (c’est-à-dire effectuée par la personne qui exploite l’établissement ou le lieu de résidence).

[24]           Là encore, bien que cette précision ne soit pas nécessaire aux fins de l’analyse, les Notes explicatives confirment que l’interprétation ordinaire et textuelle du mot « établissement » mentionnée ci-dessus est correcte. Cela signifie que, dans le contexte de la disposition législative, le mot « établissement » s’entend d’un lieu de résidence ou d’un foyer.

[25]           Il a également été fait mention de l’historique législatif de cette disposition et de la modification apportée à l’article 2 en 1993 (voir LC 1993, c 27, paragraphe 162(2)), par suite de laquelle le mot « institution » utilisé dans la version anglaise précédente a été remplacé par « establishment ». L’appelante soutient que ce changement pourrait refléter une intention du législateur d’élargir la portée de la disposition, mais l’intimée a répondu que le mot français correspondant, « établissement », était utilisé avant la modification et a continué à l’être après celle-ci. Cet argument évoque simplement l’intention du législateur d’assurer, par cette modification, une plus grande uniformité entre les termes anglais et français et je ne crois pas qu’il aurait appuyé la position de l’appelante, même si j’avais estimé qu’il était nécessaire d’examiner les travaux préparatoires.

[26]           En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Donald Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, Réviseur

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 24 MARS 2014 PAR LE JUGE GRAHAM, DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, DANS LE DOSSIER NO 2011 – 1556 (GST)G)

DOSSIER :

A-212-14

 

INTITULÉ :

CAITHKIN, INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 avril 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

DATE des motifs :

Le 5 mai 2015

COMPARUTIONS :

Arnold B. Schwisberg

POUR L’APPELANTE

Marilyn Vardy

Kelly Smith-Wayland

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arnold B. Schwisberg

Avocat

Markham (Ontario)

pour l’appelante

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour l’intimée

 

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