Date : 20150423
Dossier : A‑113‑15
Référence : 2015 CAF 104
CORAM : |
LE JUGE EN CHEF NOËL LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB
|
ENTRE : |
JAMIESON LABORATORIES LTD. |
appelante |
et |
RECKITT BENCKISER LLC ET RECKITT BENCKISER (CANADA) LIMITED |
intimées |
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 avril 2015
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 avril 2015
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE EN CHEF NOËL |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB |
Date : 21050423
Dossier : A‑113‑15
Référence : 2015 CAF 104
CORAM : |
LE JUGE EN CHEF NOËL LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB
|
ENTRE : |
JAMIESON LABORATORIES LTD. |
appelante |
et |
RECKITT BENCKISER LLC ET RECKITT BENCKISER (CANADA) LIMITED |
intimées |
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE EN CHEF NOËL
[1] Notre Cour est saisie d’un appel de la décision (2015 CF 215) par laquelle le juge Brown, de la Cour fédérale (le juge de la Cour fédérale), a accordé une injonction interlocutoire contre Jamieson Laboratories Ltd. (Jamieson) jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à l’action intentée par Reckitt Benckiser LLC et Reckitt Benckiser (Canada) Limited (collectivement appelées Reckitt) en vue d’obtenir la protection de leur marque de commerce « MEGARED ». L’injonction interdit à Jamieson d’employer le terme « OMEGARED » et impose le rappel immédiat des produits et autres articles qui contreviennent aux modalités de l’ordonnance d’interdiction.
[2] Par les motifs exposés ci‑après, je confirmerais l’ordonnance du juge de la Cour fédérale, à la différence que j’accorderais à Jamieson un délai de 30 jours pour qu’elle se conforme à l’interdiction.
Faits et procédures
[3] Reckitt Benckiser LLC est propriétaire de la marque de commerce enregistrée au Canada sous le numéro LMC 793,186 (la marque en cause), qui couvre l’emploi du mot MEGARED en liaison, notamment, avec des suppléments contenant des acides gras oméga‑3. Reckitt Benckiser (Canada) Limited est la licenciée et l’unique distributrice canadienne des produits MEGARED. La gamme de produits MEGARED est faite exclusivement d’huile de krill, qui est de couleur rouge et contient des acides gras oméga‑3.
[4] Jamieson commercialise actuellement au Canada une gamme de produits contenant des acides gras oméga‑3 sous le nom « Omega RED ». La plupart des produits de cette gamme sont à base d’huile de krill, mais l’un d’eux est à base d’huile de poisson. Avant d’entreprendre un processus pour renommer sa marque en janvier 2013, Jamieson commercialisait une version différente de sa gamme de produits, comprenant uniquement de l’huile de krill, sous le nom « Super Krill », qui n’était pas une marque déposée.
[5] Le premier enregistrement de la marque en cause au Canada remonte à mars 2011. À l’époque, elle était la propriété de Schiff Nutrition International Inc. (Schiff). Schiff connaissait déjà beaucoup de succès aux États‑Unis avec la marque en cause et la gamme de produits oméga‑3 qui lui étaient associés, mais ceux‑ci n’étaient pas encore offerts dans les magasins au Canada.
[6] À l’automne 2012, après avoir décidé de pénétrer le marché nord‑américain, Reckitt a engagé des pourparlers à la fois avec Schiff et avec Jamieson en vue d’une éventuelle acquisition. En décembre 2012, Reckitt a acquis Schiff et mis fin aux pourparlers avec Jamieson.
[7] Le mois suivant, soit en janvier 2013, Jamieson a décidé de procéder au changement de nom signalé au paragraphe 4. Un certain produit à base d’huile de poisson, également de teinte rouge parce qu’il contenait du saumon, devait être ajouté à la gamme existante de produits à base d’huile de krill qui avait jusque‑là été vendue sous la marque « Super Krill ». Il était prévu que la nouvelle gamme de produits serait commercialisée sous la marque de fabrique « Omega RED ». En février 2013, Jamieson a produit une demande d’enregistrement au Canada pour la marque « OmegaRed », semblable sans être parfaitement identique, fondée sur un emploi projeté en liaison avec des « [v]itamines, minéraux, suppléments alimentaires […] [et] compléments alimentaires… ». En juin 2013, Jamieson a amorcé le lancement de sa nouvelle marque « Omega RED » dans les magasins au Canada.
[8] Ce lancement a provoqué l’envoi de deux lettres d’avertissement par Reckitt, qui n’avait pas encore lancé sa propre marque, MEGARED, au Canada. Elle avait en effet décidé de repousser ce lancement jusqu’en décembre 2013 ou en janvier 2014.
[9] Jamieson a continué de commercialiser sa gamme de produits « Omega RED » et, le 16 octobre 2014, Reckitt a réagi en intentant une action pour contrefaçon de marque de commerce et commercialisation trompeuse. Le 28 novembre 2014, Reckitt a déposé un avis de requête en injonction interlocutoire, requête à laquelle le juge de la Cour fédérale a fait droit le 20 février 2015.
[10] Jamieson a fait appel de l’injonction interlocutoire le 27 février 2015 et, le 2 mars 2015, elle a présenté une requête en sursis d’exécution jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel. Le sursis a été accordé le 12 mars 2015 (2015 FCA 71), à la condition que l’appel soit instruit selon une procédure accélérée.
DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE
[11] Pour décider s’il devait accorder l’injonction interlocutoire sollicitée par Reckitt, le juge de la Cour fédérale a appliqué le critère en trois volets consacré par la jurisprudence RJR‑McDonald c. Canada (Procureur général), [1994] 1. R.C.S. 311 [RJR‑McDonald]. Selon ce critère cumulatif, le requérant doit établir qu’il existe une question sérieuse à juger, qu’il subira un préjudice irréparable en cas de refus de la mesure et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi de la mesure.
[12] Concernant la première étape de l’analyse, le juge de la Cour fédérale a conclu à l’existence d’une « question très sérieuse » à juger. Après avoir rappelé que la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 [la Loi] conférait un droit exclusif à l’emploi d’une marque, le juge de la Cour fédérale a conclu que Jamieson avait entrepris une démarche pour renommer sa marque avant tout pour faire échouer l’entrée de Reckitt sur le marché canadien (motifs, aux paragraphes 34 et 45). Il a également conclu qu’une question sérieuse se posait en matière de contrefaçon de marque de commerce et de commercialisation trompeuse après avoir jugé probable que Jamieson ait délibérément commis ces deux actes (motifs, aux paragraphes 47 à 50).
[13] Concernant le deuxième volet du critère consacré par la jurisprudence RJR‑McDonald, le juge de la Cour fédérale a constaté l’existence de plusieurs formes de préjudices irréparables. Premièrement, il a conclu que, sans injonction, il serait impossible de calculer les dommages‑intérêts auxquels Reckitt aurait droit si elle obtenait gain de cause dans l’action au fond, puisqu’elle n’aurait jamais eu la possibilité d’exploiter son entreprise à l’abri de la conduite attentatoire de Jamieson (motifs, au paragraphe 54). Deuxièmement, il a conclu que Reckitt connaîtrait une baisse d’achalandage due à la perte de caractère distinctif de la marque en cause (motifs, au paragraphe 55). Troisièmement, il a conclu que les consommateurs pourraient être amenés à confondre les produits de Jamieson à base d’huile de poisson et la gamme de produits MEGARED, que Reckitt présente comme exclusivement à base d’huile de krill, les faisant ainsi douter de la qualité de ces derniers (motifs, au paragraphe 58).
[14] En ce qui a trait au troisième volet du critère consacré par la jurisprudence RJR‑McDonald, le juge de la Cour fédérale a conclu que la prépondérance des inconvénients militait en faveur de Reckitt. En plus de tenir compte des conclusions qu’il avait tirées aux étapes de l’analyse relatives à l’existence de la question sérieuse et du risque de préjudice irréparable, le juge de la Cour fédérale s’est fondé sur le fait qu’il avait conclu que Jamieson avait entrepris sa démarche de changement de nom « en toute connaissance de cause » quant à la possibilité que Reckitt intente une poursuite (motifs, aux paragraphes 63 et 64). Il a rejeté la thèse portant que le retour à la marque « Super Krill » causerait à Jamieson un préjudice irréparable (motifs, au paragraphe 67). Il a également rejeté l’argument de Jamieson selon lequel Reckitt était coupable de retard ou d’inertie; il a plutôt jugé que Reckitt avait reporté son entrée sur le marché en raison de préoccupations légitimes liées au contexte commercial et aux risques juridiques (motifs, au paragraphe 65). Au final, Jamieson avait, aux yeux du juge de la Cour fédérale, « probablement contrefait une marque de commerce et […] commercialisé un produit qui crée probablement de la confusion » (motifs, au paragraphe 67).
LES THÈSES DES PARTIES
[15] Devant notre Cour, Jamieson soutient que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur à chacune des étapes de l’application du critère consacré par la jurisprudence RJR‑McDonald et que sa décision doit être annulée.
[16] Pour ce qui est de savoir si Reckitt a soulevé une question sérieuse à juger, Jamieson soutient que le juge de la Cour fédérale a commis quatre erreurs de droit. Premièrement, il a fait erreur dans son appréciation de l’allégation de contrefaçon de marque de commerce faite par Reckitt au regard de l’article 19 de la Loi. Vu que les marques en cause ne sont pas identiques, il s’agissait plutôt d’appliquer l’article 20 et le paragraphe 6(5) (mémoire de Jamieson, aux paragraphes 51 et 52). Entre autres conséquences, cette erreur a fait en sorte que le caractère distinctif inhérent de la marque en cause et la mesure dans laquelle cette marque était devenue connue n’ont pas été pris en compte (mémoire de Jamieson, aux paragraphes 54 et 55). Deuxièmement, il a tenu compte des motifs invoqués par Jamieson dans sa discussion de la question de la contrefaçon, alors qu’il n’y a pas lieu de prendre la mens rea en compte dans l’analyse de cette question (mémoire de Jamieson, au paragraphe 77). Troisièmement, toujours dans sa discussion de la question de la contrefaçon, il a poussé trop loin l’examen du fond de l’affaire et permis que les conclusions ainsi tirées déterminent le résultat de sa discussion relative aux autres volets du critère de RJR‑McDonald (mémoire de Jamieson, au paragraphe 10). Quatrièmement, il a tout bonnement omis d’examiner l’allégation de commercialisation trompeuse de Reckitt (mémoire de Jamieson, au paragraphe 64).
[17] Quant à savoir si Reckitt subirait un préjudice irréparable sans la mesure sollicitée, Jamieson soutient que le juge de la Cour fédérale était tenu de suivre la jurisprudence Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de Hockey et autre (1994), 53 C.P.R. (3d) 34 (CAF) [Centre Ice] et que, s’il l’avait fait, le défaut de Reckitt de produire des éléments de preuve montrant, par exemple, qu’elle avait dû réduire ses prix ou qu’elle avait perdu des recettes de vente, aurait donné lieu au rejet de sa demande (mémoire de Jamieson, aux paragraphes 83 et 88). À défaut de disposer d’éléments de preuve clairs et spécifiques comme le requiert la jurisprudence Centre Ice, le juge de la Cour fédérale n’était pas en mesure de conclure que les dommages invoqués par Reckitt étaient réellement irréparables (mémoire de Jamieson, aux paragraphes 88, 90 et 91).
[18] Concernant l’analyse du critère de la prépondérance des inconvénients, Jamieson soutient que le juge de la Cour fédérale a ignoré les preuves de préjudice qu’elle lui a présentées sur la base des conclusions qu’il avait tirées quant au fond de l’affaire (mémoire de Jamieson, aux paragraphes 97 et 98). Jamieson soutient également que le juge de la Cour fédérale n’a pas tenu compte des conséquences de l’injonction attribuables à sa nature obligatoire (mémoire de Jamieson, au paragraphe 102). Enfin, elle soutient que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte du temps que Reckitt avait mis pour faire valoir ses droits, ajoutant que cet aspect aurait dû l’inciter à refuser la mesure demandée, vu que cette mesure relève de l’equity (mémoire de Jamieson, au paragraphe 103).
[19] Pour sa part, Reckitt soutient que Jamieson fonde son appel sur une interprétation forcée des motifs du juge de la Cour fédérale. Elle ajoute que si ce dernier a poussé son examen au‑delà de ce que requiert le critère de la jurisprudence RJR‑McDonald, c’est uniquement parce que Jamieson, lors des débats, a si âprement contesté l’idée qu’il était saisi d’une question sérieuse à juger (mémoire de Reckitt, au paragraphe 57).
[20] Par ailleurs, Reckitt retient l’enseignement du juge de la Cour fédérale en se fondant essentiellement sur les motifs exposés par ce dernier. En définitive, il s’agissait d’une décision discrétionnaire et Jamieson n’a donné aucune raison valable de l’infirmer.
ANALYSE
[21] La décision du juge de la Cour fédérale d’accorder ou de refuser une injonction interlocutoire est de nature discrétionnaire. Comme l’a décidé la Cour récemment, l’examen des décisions de cette nature s’effectue conformément au cadre général applicable en appel qui a été énoncé à l’occasion de l’affaire Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen] (Imperial Manufacturing Group Inc. and Home Depot of Canada Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, aux paragraphes 18 et 19). Puisqu’elle porte sur une question mixte de fait et de droit, la décision du juge de la Cour fédérale ne peut être annulée – en l’absence d’une erreur de droit isolable – que si elle comporte une erreur manifeste et dominante (Housen, au paragraphe 36).
[22] Le juge de la Cour fédérale a conclu à juste titre que le critère à trois volets consacré par la jurisprudence RJR‑McDonald était celui qui s’appliquait au différend dont il était saisi. Les parties ne remettent pas cette jurisprudence en cause. La question est plutôt de savoir si le critère a été appliqué correctement.
[23] Pour établir que la question à trancher est sérieuse, le requérant n’a pas à satisfaire à une exigence élevée. L’existence d’une telle question est admise à moins qu’il ne soit démontré que les arguments du requérant sont frivoles ou vexatoires (RJR‑McDonald, au paragraphe 55).
[24] Jamieson ne tente pas de convaincre la Cour que la requête de Reckitt est frivole ou vexatoire. Elle ne soutient pas non plus que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’elle ne l’était pas. Jamieson fait plutôt valoir que le juge de la Cour fédérale a poussé trop loin son examen des aspects se rapportant au bien‑fondé de l’action principale, qu’il en a fait une analyse erronée et que les conclusions qu’il a tirées à cet égard ont défini le cadre de son analyse des deux autres volets du critère consacré par la jurisprudence RJR‑McDonald.
[25] Je conviens que le juge de la Cour fédérale est allé trop loin dans son analyse des arguments de fond de Reckitt. En principe, il doit rechercher s’il existe une question sérieuse à trancher en se fondant tout au plus sur un « examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR‑McDonald, au paragraphe 55). Dans le cadre d’une requête interlocutoire telle que la présente, l’examen du litige au fond est reporté et en règle générale, le juge appelé à statuer sur la requête doit éviter de se livrer à l’examen du fond de l’affaire qui irait au‑delà de ce qui lui est strictement nécessaire pour rendre sa décision. En l’occurrence, bien qu’il ait conclu que « Jamieson a probablement contrefait une marque de commerce et a commercialisé un produit qui crée probablement de la confusion » seulement à l’étape de l’analyse de la prépondérance des inconvénients, cette conclusion était superflue (motifs, au paragraphe 67).
[26] Cela dit, je conclus que les motifs du juge de la Cour fédérale, au moins en substance, sinon en termes explicites, constituent une base suffisante pour conclure que Reckitt a établi l’existence d’une question sérieuse à juger concernant l’éventuelle contrefaçon d’une marque de commerce (motifs, aux paragraphes 29 et 50). Je n’ai pas à examiner les autres observations du juge de la Cour fédérale sur la question de la commercialisation trompeuse, car il n’est besoin de soulever qu’une seule question sérieuse pour satisfaire à ce volet du critère (Canada (Procureur général) c. Simon, 2012 CAF 312, au paragraphe 34).
[27] Si, comme le prétend Jamieson, le juge de la Cour fédérale a permis que son analyse approfondie du fond de l’affaire détermine à l’avance ou influence l’issue de son examen des questions relatives au préjudice irréparable ou à la prépondérance des inconvénients, c’est lors de ces étapes ultérieures de l’analyse qu’il convient d’examiner cet argument.
[28] En ce qui concerne le préjudice irréparable, je ne crois pas que le juge de la Cour fédérale ait commis d’erreur lorsqu’il a conclu que Reckitt serait exposée à un préjudice de cette nature si la mesure demandée ne lui était pas accordée. Qu’il me suffise de dire que Jamieson n’est pas parvenue à mettre en doute l’argument de Reckitt concernant l’impossibilité de quantifier le préjudice qu’elle est susceptible de subir.
[29] Par ailleurs, c’est à tort que Jamieson se fonde sur la jurisprudence Centre Ice, étant donné que dans la présente affaire, la partie qui demande la protection de sa marque de commerce a fait son entrée sur le marché en cause après la partie à qui elle reproche d’avoir contrefait sa marque. Il serait bien évidemment aberrant d’exiger qu’un demandeur fasse la preuve des dommages qu’il a subis en raison d’une diminution de ses prix ou d’une perte de recettes de vente s’il a exploité son entreprise uniquement dans un marché où la partie à qui il reproche d’avoir contrefait sa marque est elle aussi présente.
[30] Lorsque cette distinction a été portée à son attention, Jamieson a simplement fait valoir que si Reckitt avait engagé sa poursuite plus tôt, les difficultés qu’il y avait à comparer les recettes encaissées par elle avant et après l’emploi de la marque en cause par Jamieson auraient été évitées. Cet argument ne révèle l’existence d’aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour. Je conviens que le requérant s’expose à certaines conséquences en tardant à agir, mais le juge de la Cour fédérale disposait du pouvoir discrétionnaire de décider s’il devait en être ainsi au vu des faits portés à sa connaissance.
[31] Quant à la thèse de Jamieson selon laquelle le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en tenant compte de la jurisprudence relative aux recours de nature préventive, ses motifs révèlent qu’il ne l’a invoquée qu’afin d’illustrer et de confirmer le principe général selon lequel lorsque les pertes sont impossibles à quantifier, elles puissent donner lieu à un préjudice irréparable (motifs, au paragraphe 53). À cet égard, Jamieson n’a pas démontré que le juge de la Cour fédérale avait eu tort de conclure que si Reckitt devait obtenir gain de cause dans l’action principale, ses pertes seraient impossibles à calculer, de sorte qu’elles constituaient un préjudice irréparable.
[32] Enfin, il n’a pas été démontré que le juge de la Cour fédérale a conclu à tort que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de Reckitt.
[33] Sur ce point, l’affirmation au cœur de l’argumentation de Jamieson veut que le juge de la Cour fédérale n’ait pas tenu compte de la preuve de préjudice qu’elle lui a présentée et qu’il n’ait pas pondéré les risques comme il se devait de le faire (mémoire de Jamieson, aux paragraphes 95 et 96). Jamieson attribue cette omission au fait que le juge de la Cour fédérale s’obstinait à croire, à tort, que Jamieson avait « probablement contrefait une marque de commerce » et qu’elle avait agi « en toute connaissance de cause » quant à la possibilité que Reckitt intente une action en justice (ibidem, au paragraphe 95).
[34] Cet argument n’ébranle pas la conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle Jamieson n’a pas établi le caractère irréparable du préjudice qu’elle subirait si l’injonction demandée était accordée (motifs, au paragraphe 67). Plus précisément, il ne partageait pas l’avis de Jamieson selon lequel elle ne pourrait plus commercialiser sa marque « Super Krill ».
[35] Ainsi que l’a conclu le juge de la Cour fédérale, le préjudice qui pourrait résulter d’un retour à la marque « Super Krill » est susceptible de réparation sous forme de dommages‑intérêts. Étant donné que Reckitt s’est engagée à couvrir le montant de ces dommages‑intérêts et que cet engagement n’a pas été remis en question, Jamieson est assurée d’une indemnisation intégrale si elle obtient gain de cause quant au fond de l’affaire.
[36] Enfin, je suis prêt à reconnaître que les préjudices invoqués par Jamieson comme étant susceptibles de lui être causés ne sont pas tous rattachés au retour à la marque « Super Krill ». Plus précisément, Jamieson a aussi fait valoir que les préjudices susceptibles de découler des préoccupations des consommateurs pour leur santé et de l’atteinte à la réputation de Jamieson envers des détaillants qui sont ses partenaires sont le résultat d’un autre problème, issu de la nature « immédiate » de l’injonction demandée. Comme cela a été indiqué dans la décision antérieure d’accorder un sursis d’exécution, je conviens qu’un retrait précipité des produits en question pourrait causer une atteinte irréparable à la réputation de Jamieson. Toutefois, cela concerne les modalités de mise en œuvre de l’ordonnance plutôt que la question de savoir si elle doit être rendue. À l’instar des parties à l’instance, le juge de la Cour fédérale s’est concentré sur cette dernière question. Cela dit, je conclus que si on lui avait demandé d’examiner cette question particulière, il aurait prévu une période de mise en œuvre.
[37] Par les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel, mais je modifierais les modalités de l’ordonnance en retranchant le terme « immédiatement », au paragraphe 2, et en lui substituant les mots « dans les 30 jours suivant la date de l’ordonnance, dans sa version modifiée en appel ». Reckitt a droit aux dépens.
« Marc Noël »
Juge en chef
« Je suis d’accord.
Johanne Gauthier, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Wyman W. Webb, j.c.a. »
Traduction
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
A‑113‑15
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INTITULÉ : |
JAMIESON LABORATORIES LTD. c. RECKITT BENCKISER LLC ET RECKITT BENCKISER (CANADA) LIMITED
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
le 15 avril 2015
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE EN CHEF NOËL
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Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB
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DATE DES MOTIFS : |
LE 23 AVRIL 2015
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||
COMPARUTIONS :
May M. Cheng David Wotherspoon
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POUR L’AppelantE
|
Chris B. Zelyas
|
POUR LES INTIMÉES
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Fasken Martineau DuMoulin, S.E.N.C.R.L., s.r.l. Toronto (Ontario)
|
POUR L’AppelantE
|
PARLEE McLAWS LLP Edmonton (Alberta)
|
POUR LES INTIMÉES
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