Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20150520


Dossier : A‑518‑14

Référence : 2015 CAF 129

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

ROBBIE RICHARD ERASMO

appelant

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 6 mai 2015

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 mai 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20150520


Dossier : A‑518‑14

Référence : 2015 CAF 129

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

ROBBIE RICHARD ERASMO

appelant

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               Monsieur Erasmo, l’appelant, demande à notre Cour d’annuler un jugement (2014 CF 1096) rendu le 19 novembre 2014 par la Cour fédérale (le juge Manson).

[2]               L’appelant est détenu à l’Établissement de Stony Mountain, au Manitoba. Il a commis en tant qu’adolescent une infraction pour laquelle il a été reconnu coupable et condamné à une peine selon le régime applicable aux jeunes contrevenants. Il a également commis en tant qu’adulte une infraction dont il a été reconnu coupable et pour laquelle il a été condamné à une peine à purger consécutivement sous le régime des délinquants adultes.

[3]               Les deux régimes sont différents. Pour s’assurer qu’un délinquant n’est assujetti qu’à un seul régime, le législateur fédéral a adopté des dispositions prévoyant la fusion des deux régimes, en l’occurrence le paragraphe 743.5(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, ainsi que le paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Il résulte de l’effet combiné de ces deux dispositions que le reste de la peine spécifique est transformé en une peine applicable aux adultes et que les deux peines sont fusionnées en une seule. Le contrevenant devient alors admissible à divers types de mise en liberté sous condition à certaines dates aux termes de diverses dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

[4]               La gestionnaire des peines de l’Établissement de Stony Mountain a calculé la période d’incarcération de l’appelant et les dates auxquelles il était admissible à diverses formes de libération conditionnelle. Dans ses calculs, elle a utilisé les dispositions relatives à la fusion ainsi que les dispositions pertinentes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Elle a informé l’appelant des dates en question.

[5]               Il s’agissait d’une décision dont l’appelant pouvait demander le contrôle en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1970, ch. F‑7. C’est effectivement ce que l’appelant a fait. Il affirmait que les dispositions relatives à la fusion contrevenaient aux droits que lui garantissait la Charte canadienne des droits et libertés et que ces dispositions étaient donc inopérantes.

[6]               La Cour fédérale a jugé que les dispositions relatives à la fusion ne contrevenaient pas à la Charte. Elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant. L’appelant interjette appel de cette décision devant notre Cour.

[7]               À l’instar de la Cour fédérale, j’estime que les dispositions relatives à la fusion ne contreviennent pas à la Charte et je rejetterais par conséquent l’appel.

A.        Les faits essentiels

[8]               À l’âge de dix‑sept ans et demi, l’appelant a commis un meurtre au deuxième degré. Alors qu’il venait à peine d’avoir 18 ans, l’appelant a comploté pour commettre un vol qualifié. Peu de temps après, il a été arrêté et accusé de ces deux infractions.

[9]               Les individus qui sont accusés d’avoir commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans sont jugés en tant qu’adolescents sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1. Lorsqu’ils atteignent l’âge de dix‑huit ans, ils sont des adultes et le Code criminel, c’est‑à‑dire toutes ses procédures et ses dispositions de fond, s’applique intégralement à toute nouvelle infraction commise.

[10]           Par conséquent, l’appelant a été jugé pour le meurtre au deuxième degré en tant qu’adolescent et, pour l’accusation de complot en vue de commettre un vol qualifié, en tant qu’adulte.

[11]           Devant le tribunal pour adolescents, l’appelant a plaidé coupable à l’accusation de meurtre au deuxième degré. Il a été condamné en vertu du sous‑alinéa 42(2)q)(ii) à une peine de sept ans comportant quatre ans de placement sous garde et prévoyant des révisions régulières, ainsi que trois ans de surveillance dans la collectivité.

[12]           Le sous‑alinéa 42(2)q)(ii) dispose :

42. (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, dans le cas où il déclare un adolescent coupable d’une infraction et lui impose une peine spécifique, le tribunal lui impose l’une des sanctions ci‑après en la combinant éventuellement avec une ou plusieurs autres compatibles entre elles; dans le cas où l’infraction est le meurtre au premier ou le meurtre au deuxième degré au sens de l’article 231 du Code criminel, le tribunal lui impose la sanction visée à l’alinéa q) ou aux sous‑alinéas r)(ii) ou (iii) et, le cas échéant, toute autre sanction prévue au présent article qu’il estime indiquée :

[…]

q) l’imposition par ordonnance :

[…]

(ii) dans le cas d’un meurtre au deuxième degré, d’une peine maximale de sept ans consistant, d’une part, en une mesure de placement sous garde, exécutée de façon continue, pour une période maximale de quatre ans à compter de sa mise à exécution, sous réserve du paragraphe 104(1) (prolongation de la garde), et, d’autre part, en la mise en liberté sous condition au sein de la collectivité conformément à l’article 105;

42. (2) When a youth justice court finds a young person guilty of an offence and is imposing a youth sentence, the court shall, subject to this section, impose any one of the following sanctions or any number of them that are not inconsistent with each other and, if the offence is first degree murder or second degree murder within the meaning of section 231 of the Criminal Code, the court shall impose a sanction set out in paragraph (q) or subparagraph (r)(ii) or (iii) and may impose any other of the sanctions set out in this subsection that the court considers appropriate:

(q) order the young person to serve a sentence not to exceed

(ii) in the case of second degree murder, seven years comprised of

(A) a committal to custody, to be served continuously, for a period that must not, subject to subsection 104(1) (continuation of custody), exceed four years from the date of committal, and

(B) a placement under conditional supervision to be served in the community in accordance with section 105;

[13]           Après qu’une période d’environ deux ans et demi de la période de placement sous garde de sa peine spécifique se fut écoulée, l’appelant a plaidé coupable à l’accusation de complot en vue de commettre un vol qualifié. Il s’est vu infliger une peine pour adultes de quatre ans à purger consécutivement.

[14]           Toutefois, en raison de diverses dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, il n’est pas nécessaire que l’appelant purge la totalité des quatre années en question en prison. Aux termes de cette Loi, il est admissible à diverses formes de mise en liberté sous condition, comme une permission de sortir sans escorte, une semi‑liberté ou une libération conditionnelle totale.

[15]           Dans ces circonstances, qu’arrive‑t‑il lorsque le contrevenant est condamné à une peine spécifique et qu’il se voit infliger une peine pour adultes avant d’avoir fini de purger sa peine spécifique?

[16]           En pareil cas, le paragraphe 743.5(1) du Code criminel et le paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition s’appliquent. Ils convertissent le reste de la peine spécifique en une peine pour adultes et ils fusionnent les deux peines. C’est la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et non la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui s’applique à toute mise en liberté sous condition à venir.

[17]           Le paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition dispose :

139. (1) Pour l’application du Code criminel, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le transfèrement international des délinquants et de la présente loi, le délinquant qui est assujetti à plusieurs peines d’emprisonnement est réputé n’avoir été condamné qu’à une seule peine commençant le jour du début de l’exécution de la première et se terminant à l’expiration de la dernière.

139. (1) For the purposes of the Criminal Code, the Prisons and Reformatories Act, the International Transfer of Offenders Act and this Act, a person who is subject to two or more sentences is deemed to have been sentenced to one sentence beginning on the first day of the first of those sentences to be served and ending on the last day of the last of them to be served.

 

[18]           Le paragraphe 743.5(1) du Code criminel est ainsi libellé :

743.5 (1) Lorsqu’un adolescent ou un adulte assujetti à une décision rendue au titre des alinéas 20(1)k) ou k.1) de la Loi sur les jeunes contrevenants, chapitre Y‑1 des Lois révisées du Canada (1985), ou à une peine spécifique imposée en vertu des alinéas 42(2)n), o), q) ou r) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est ou a été condamné à une peine d’emprisonnement pour une infraction, le reste de la décision prononcée ou de la peine spécifique imposée est purgée, pour l’application de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, comme si elle avait été prononcée ou imposée au titre de la présente loi.

743.5 (1) If a young person or an adult is or has been sentenced to a term of imprisonment for an offence while subject to a disposition made under paragraph 20(1)(k) or (k.1) of the Young Offenders Act, chapter Y‑1 of the Revised Statutes of Canada, 1985, or a youth sentence imposed under paragraph 42(2)(n), (o), (q) or (r) of the Youth Criminal Justice Act, the remaining portion of the disposition or youth sentence shall be dealt with, for all purposes under this Act or any other Act of Parliament, as if it had been a sentence imposed under this Act.

 

[19]           Dans le cas de l’appelant, les dispositions relatives à la fusion s’appliquaient comme suit. Au moment où il s’est vu infliger une peine applicable aux adultes, il lui restait à purger 1 644 jours de sa peine spécifique, dont trois ans pouvaient être purgés sous forme de surveillance dans la collectivité. Lorsque l’appelant a été condamné en tant qu’adulte, le paragraphe 743.5(1) du Code criminel a transformé ces 1 644 jours en peine pour adultes. Le paragraphe 139(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a ajouté les 1 644 jours en question à la peine de quatre ans (1 461 jours) à laquelle il avait été condamné pour complot en vue de commettre un vol qualifié pour une peine totale de 3 105 jours, expirant le 25 août 2022.

[20]           Avec cette date, il est possible de calculer les dates d’admissibilité de l’appelant aux divers types de mise en liberté sous condition que lui offre la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. L’appelant est admissible à une libération d’office le 26 octobre 2019 (paragraphe 127(3)), à une libération conditionnelle totale le 25 décembre 2016 (paragraphes 120(1) et 120.1(1)), à une semi‑liberté le 25 juin 2016 (sous‑alinéa 119(1)c)(i)) et à une permission de sortir sans escorte le 26 juillet 2015 (sous‑alinéa 115(1)c)(ii)). En comparaison, le 16 août 2015 est la date à laquelle l’appelant aurait commencé sa période de trois ans de surveillance dans la collectivité si sa peine spécifique s’était poursuivie.

[21]           Ces faits essentiels étant exposés, je tiens à formuler quelques observations. Elles font partie du contexte dans lequel l’appelant formule ses arguments suivant lesquels les dispositions relatives à la fusion aggravent sa situation et portent atteinte à ses droits constitutionnels.

[22]           En premier lieu, comme on peut le voir en prenant connaissance du calcul qui précède, les dispositions relatives à la fusion rendent l’appelant admissible à des permissions de sortir sans escorte trois semaines plus tôt que cela aurait été le cas en vertu de sa libération sous surveillance dans la collectivité. En d’autres termes, les dispositions relatives à la fusion peuvent effectivement réduire la période réelle d’incarcération de l’appelant. On peut retrouver d’autres particularités dans d’autres affaires selon le type de décision rendue par le tribunal pour adolescent ainsi que la durée de la peine pour adultes.

[23]           En second lieu, lorsque l’appelant a atteint l’âge de 18 ans, il avait déjà commis une infraction en tant qu’adolescent. Dès son dix‑huitième anniversaire, il s’exposait à ce que les dispositions relatives à la fusion s’appliquent à lui en cas de récidive. C’est bien ce qui s’est produit et les dispositions relatives à la fusion ont fini par s’appliquer à lui. Dans la mesure où les dispositions relatives à la fusion le défavorisent, ce n’est que par suite de sa propre inconduite en tant qu’adulte.

B.        La Cour fédérale

[24]           La Cour fédérale a rejeté les moyens tirés de la Charte invoqués par l’appelant et l’a débouté de sa demande de contrôle judiciaire. Je souscris à une grande partie, mais pas à la totalité, du raisonnement suivi par la Cour fédérale et je m’y reporterai dans les présents motifs.

C.        La norme de contrôle applicable

[25]           Lorsqu’elle est saisie de l’appel d’une demande de contrôle judiciaire, notre Cour a pour tâche de décider si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, aux paragraphes 45 à 47).

[26]           Devant la Cour fédérale, les parties ont conclu que la norme de contrôle applicable à la décision de la gestionnaire des peines de l’Établissement de Stony Mountain était celle de la décision correcte. La Cour fédérale a refusé d’agir, concluant (au paragraphe 12) que les normes de contrôle du droit administratif ne s’appliquaient pas. La Cour fédérale a néanmoins conclu que l’affaire dont elle était saisie relevait du droit constitutionnel et elle a donc appliqué la norme de la décision correcte.

[27]           Devant nous, les parties conviennent de nouveau que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Toutefois, le fait que les parties s’entendent sur la norme de contrôle ne nous lie pas (Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, [2004] 3 R.C.S. 152, au paragraphe 6). Nous devons nous‑mêmes nous prononcer sur la question. En l’espèce, je suis d’accord avec les parties, mais pour des raisons différentes de celles de la Cour fédérale.

[28]           La présente affaire concerne le droit administratif : nous sommes chargés d’examiner la décision de la gestionnaire des peines; ce sont donc les normes de contrôle du droit administratif qui s’appliquent.

[29]           La première étape consiste à qualifier avec précision ce sur quoi porte le débat (Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au paragraphe 26). Dans le cas qui nous occupe, nul ne conteste le calcul mécanique qu’a effectué la gestionnaire des peines conformément aux dispositions de la Loi. L’appelant affirme plutôt que la gestionnaire des peines aurait dû écarter les dispositions relatives à la fusion parce qu’elles contreviennent à la Charte et qu’elles sont inopérantes.

[30]           En pareil cas, surtout lorsque, comme en l’espèce, aucune conclusion de fait ou conclusion mixte de fait et de droit n’est en litige, la norme de contrôle est présumée être celle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 58).

D.        La présente affaire est‑elle susceptible de contrôle?

[31]           L’appelant a soulevé la question constitutionnelle pour la première fois devant la Cour fédérale. Il n’a pas soulevé la question constitutionnelle devant le décideur administratif, la gestionnaire des peines.

[32]           Bien que le Procureur général n’ait pas soulevé cette objection, il s’agit d’une question préliminaire qu’il nous faut trancher dès le départ parce qu’elle concerne notre capacité de statuer sur la présente affaire.

[33]           Suivant le principe général, sauf en cas d’urgence, les questions constitutionnelles ne peuvent être soulevées pour la première fois devant la juridiction de révision si le décideur administratif avait le pouvoir et la possibilité pratique de les trancher (Okwuobi c. Commission scolaire Lester‑B.‑Pearson; Casimir c. Québec (Procureur général); Zorrilla c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 16, [2005] 1 R.C.S. 257, aux paragraphes 38 à 40; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, 465 N.R. 152, aux paragraphes 46 et 55; Donald J.M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition à feuilles mobiles (consultée le 11 mai 2015), (Toronto, Carswell, 2009), chapitre 13, aux pages 79 à 81 (le concept de « capacité pratique » faisant partie du principe général).

[34]           La gestionnaire des peines avait‑elle le pouvoir de trancher les questions constitutionnelles? Tout dépend de la réponse à la question de savoir si la gestionnaire des peines a le pouvoir exprès ou implicite d’examiner les questions de droit (Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504).

[35]           Comme l’analyse qui précède le démontre, la gestionnaire des peines est chargée d’interpréter et d’appliquer des dispositions législatives. Si ces dispositions sont ambiguës, la gestionnaire des peines doit résoudre l’ambiguïté. On peut donc dire que la gestionnaire des peines a le pouvoir implicite d’examiner des questions de droit et qu’elle peut donc examiner des questions constitutionnelles.

[36]           La gestionnaire des peines a‑t‑elle la capacité pratique de trancher les questions constitutionnelles soulevées en l’espèce? La même idée pourrait être exprimée différemment sous une forme mieux connue et mieux circonscrite dans la jurisprudence du droit administratif : la gestionnaire des peines constitue‑t‑elle le tribunal compétent et adéquat devant lequel l’appelant peut soulever ses préoccupations d’ordre constitutionnel?

[37]           Eu égard aux circonstances de la présente affaire, je réponds à cette question par la négative. L’appelant était détenu sous garde au moment où il a pris connaissance de la décision de la gestionnaire des peines, sa capacité de traiter directement avec la gestionnaire des peines était discutable, la gestionnaire des peines a rendu sa décision sans avoir à inviter l’appelant à faire valoir son point de vue et je ne suis pas convaincu qu’après avoir tranché la question, la gestionnaire des peines avait le pouvoir de réexaminer des points de droit.

[38]           Dans ces conditions, la question constitutionnelle pouvait être soulevée pour la première fois devant la Cour fédérale. L’objection préliminaire fondée sur le principe général posé dans l’arrêt Okwuobi/Forest Ethics est irrecevable.

E.        Analyse : constitutionnalité des dispositions relatives à la fusion

[39]           Pour contester la constitutionalité des dispositions relatives à la fusion, l’appelant soutient essentiellement que ces dispositions ont eu pour effet de le priver de son droit à la liberté d’une façon non conforme aux principes de justice fondamentale, contrairement à l’article 7 de la Charte.

[40]           Tant devant la Cour fédérale que dans notre Cour, le Procureur général a admis que les dispositions relatives à la fusion privent l’appelant de son droit à la liberté. Les dispositions relatives à la fusion portent atteinte aux conditions dans lesquelles l’appelant purge le reste de sa peine spécifique. Par conséquent, la seule question à examiner en vertu de l’article 7 de la Charte est celle de savoir si cette privation de liberté contrevient aux principes de justice fondamentale.

[41]           L’appelant affirme que les contrevenants qui commettent des crimes en tant qu’adolescents sont moins dignes de blâmes et qu’ils méritent des procédures, des droits et des protections spéciaux et qu’il convient davantage de favoriser leur réadaptation et leur réinsertion sociale que d’insister sur la dissuasion générale. Ce sont les principes généraux à la base du régime de détermination de la peine pour les adolescents (voir, par ex., R. c. B.M.P.; R. c. B.V.N., 2006 CSC 27, [2006] 1 R.C.S. 941, au paragraphe 4). L’appelant affirme que ces principes ne sont pas seulement des principes législatifs, mais également des principes de justice fondamentale. Il ajoute qu’il est fondamentalement injuste qu’une personne se trouvant dans sa situation perde les avantages rattachés à la surveillance dans la collectivité parce qu’elle a été condamnée à une peine d’emprisonnement en tant qu’adulte pour une infraction ultérieure distincte. Il ajoute également que les dispositions relatives à la fusion ont une portée trop large, en ce sens que, pour favoriser l’atteinte de leurs objectifs, elles causent un préjudice inutile. Enfin, l’appelant affirme que les dispositions relatives à la fusion sont inéquitables parce qu’elles sont appliquées sans lui donner la possibilité de se faire entendre.

[42]           L’argumentation de l’appelant repose essentiellement sur l’idée qu’une fois accordée, l’ordonnance de surveillance au sein de la collectivité constitue une mesure qui lui est constitutionnellement garantie, et ce, indépendamment des infractions qu’il pourrait commettre par la suite en tant qu’adulte.

[43]           D’entrée de jeu, les arguments formulés par l’appelant au sujet de la justice fondamentale souffrent de plusieurs lacunes :

                     La loi ne garantissait pas d’ordonnance de surveillance au sein de la collectivité à l’appelant. Cette mesure pouvait lui être retirée pendant qu’il était adolescent s’il avait une propension à commettre une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne (Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, précitée, articles 98 et 104, paragraphe 130(3) et alinéas 42(2)o), q) et r)).

                     Aux termes du sous‑alinéa 42(2)q)(ii) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, l’appelant a été condamné à une peine spécifique de sept ans et, après que les dispositions relatives à la fusion eurent été appliquées, sa peine spécifique de sept ans est demeurée inchangée. Les périodes non privatives de liberté d’une peine sont simplement des conditions dans lesquelles une peine doit être purgée et non des modifications apportées à l’ensemble de la peine (R. c. C.A.M., [1996] 1 R.C.S. 500, 46 C.R. (4th) 269, 105 C.C.C. (3d) 327).

                     Un contrevenant ne peut invoquer l’article 7 de la Charte pour empêcher qu’une modification soit apportée à la façon dont sa peine doit être purgée. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer, « [u]ne modification de la façon dont une peine est purgée, qu’elle soit favorable ou défavorable à l’endroit du détenu n’est, en soi, contraire à aucun principe de justice fondamentale » (Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, à la page 152, 20 C.R. (4th) 57, 80 C.C.C. (3d) 492).

                     L’appelant n’a cité aucune décision tendant à démontrer que les principes de justice fondamentale exigent le maintien de la peine spécifique même si l’intéressé commet par la suite un crime en tant qu’adulte et qu’il se voit infliger une peine pour adultes qui est assujettie à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

                     Dans la mesure où les principes de justice fondamentale exigent que les jeunes délinquants soient traités avec plus de clémence que les délinquants adultes (R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3), l’appelant a été traité ainsi. Alors qu’il était adolescent, il a commis un meurtre au deuxième degré et a été condamné à une peine de sept ans d’emprisonnement. En tant qu’adulte, il aurait été condamné à une peine minimale de dix ans d’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle. Les dispositions relatives à la fusion lui permettent de bénéficier de la peine plus favorable de sept ans.

                     Comme nous l’avons mentionné au paragraphe 22, les dispositions relatives à la fusion peuvent profiter à l’appelant. Il est maintenant admissible à un type de mise en liberté sous condition, en l’occurrence par voie de libération conditionnelle totale, trois semaines plus tôt qu’il ne l’aurait été s’il n’avait pas commis une infraction en tant qu’adulte.

[44]           De façon plus générale, l’appelant allègue que les dispositions relatives à la fusion sont foncièrement injustes. Toutefois, à elle seule, cette allégation ne démontre pas qu’une violation des principes de justice fondamentale a été commise.

[45]           Les principes de justice fondamentale ne sont pas une série de principes portant sur l’iniquité ou de « vagues généralisations sur ce que notre société estime juste ou moral » (R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, au paragraphe 112 (motifs des juges Gonthier et Binnie pour les juges majoritaires) et au paragraphe 224 (motifs de la juge Arbour, dissidente). Ils ne relèvent pas du domaine de l’ordre public en général (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C. ‑B.), [1985] 2 R.C.S. 486, à la page 503, 24 D.L.R. (4th) 536. Ils ne sont pas non plus « [de] simple[s] contenant[s], à même de recevoir n’importe quelle interprétation qu’on pourrait vouloir lui donner » Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la page 394, 38 D.L.R. (4th) 161 (motifs du juge McIntyre).

[46]           En réalité, les principes de justice fondamentale « se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique » (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C. ‑B.), précité, à la page 503, cité et approuvé dans l’arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, 132 D.L.R. (4th) 56, au paragraphe 39; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, au paragraphe 23; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, 17 C.R. (7th) 87, au paragraphe 89; et bien d’autres). Ces principes « doivent être le fruit d’un certain consensus quant à leur caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » (R. c. D.B., précité, aux paragraphes 46, 61, 67 et 68, 125, 131 et 138; R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, précité, aux paragraphes 112 et 113; Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176, au paragraphe 139). Les principes de justice fondamentale sont « les postulats communs qui sous‑tendent notre système de justice » qui « trouvent leur sens dans la jurisprudence et les traditions qui, depuis longtemps, exposent en détail les normes fondamentales applicables au traitement des citoyens par l’État » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 8).

[47]           Les principes de justice fondamentale peuvent invalider toute loi ou mesure prise en vertu d’une loi. En d’autres termes, ils peuvent avoir préséance sur le principe de la suprématie du Parlement, un principe qui se situe au cœur même des arrangements constitutionnels anglo‑canadiens depuis plus de quatre siècles. Pour cette raison, seules les valeurs essentielles les plus importantes enracinées dans nos pratiques et nos conventions consacrées par l’usage peuvent être considérées comme des principes de justice fondamentale. L’iniquité au sens courant du terme, les opinions politiques personnelles ou les opinions répandues sur ce qui est juste – qui sont toutes des questions d’appréciation personnelle – ne peuvent être considérées comme des principes de justice fondamentale et ne peuvent jouer quelque rôle que ce soit en ce qui concerne leur définition ou leur application. Ces questions sont la chasse gardée de la classe politique.

[48]           L’argumentation de l’appelant souffre d’une autre lacune. L’appelant interprète les dispositions relatives à la fusion de façon trop étroite en les abordant uniquement en fonction de ses intérêts personnels. Il ne tient pas compte du contexte plus large de ces dispositions ni de la raison pour laquelle elles ont été adoptées. Lorsqu’on examine les principes de justice fondamentale, il faut tenir compte de l’ensemble du contexte. Ainsi que le juge Linden de notre Cour l’a déclaré à juste titre :

Nous ne pouvons pas prendre de mesures à l’égard des délinquants à contrôler comme s’il n’y avait pas de droits garantis par la Charte; pareillement, nous ne pouvons pas considérer les droits garantis par la Charte comme s’il n’y avait pas de délinquants à contrôler. « Lorsque […] une structure administrative et juridictionnelle complète a été mise sur pied, il faut considérer le régime dans son ensemble. On doit examiner le problème particulier que ce dernier vise à résoudre » (Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, au paragraphe 65). Les principes de justice fondamentale peuvent être influencés par ce contexte, car il est reconnu que « les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque » (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, au paragraphe 85; voir aussi l’arrêt Winko, précité, au paragraphe 66). Plus exactement, le contexte a son importance lorsqu’il s’agit de pondérer les droits individuels et les intérêts de la société dans le cadre de l’article 7, et c’est là une considération qui forme une partie reconnue du processus consistant à préciser le contenu et le champ d’un principe donné de justice fondamentale (arrêt Winko, précité, au paragraphe 66; arrêt Malmo‑Levine, précité, aux paragraphes 98‑99; arrêt R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489, au paragraphe 45).

(Deacon c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 265, 143 C.R.R. (2d) 93, au paragraphe 53.)

[49]           Avant les dispositions relatives à la fusion actuelles, une peine spécifique ne pouvait être fusionnée avec une peine pour adultes prononcée ultérieurement que sur demande du Procureur général (voir la version de l’article 743.3 édicté par L.C. 1995, ch. 22, art. 6). Il arrivait souvent que cette demande n’était pas faite. Les contrevenants faisant l’objet d’une peine spécifique et d’une peine pour adultes se retrouvaient souvent assujettis à des régimes distincts et contradictoires. Les jeunes contrevenants ne pouvaient être libérés aux termes d’une ordonnance de probation ou d’une ordonnance de surveillance au sein de la collectivité s’ils n’étaient pas admissibles à une mise en liberté sous condition en vertu de la peine qui leur avait été infligée en tant qu’adultes. En revanche, les contrevenants adultes ne pouvaient bénéficier d’une libération conditionnelle ou d’autres formes de mise en liberté sous condition dans le cadre de leur peine applicable aux adultes que si cette mesure était compatible avec leur peine spécifique. Des solutions au cas par cas pouvaient parfois être élaborées, mais pas toujours. Cette situation allait à l’encontre de la certitude et de l’ordre qui devait caractériser la réglementation des droits à la liberté garantis par la Constitution aux contrevenants.

[50]           Désormais, les dispositions relatives à la fusion créent la certitude et l’ordre en appliquant une règle universelle claire. Elles ont pour effet de fusionner automatiquement la peine spécifique et la peine pour adultes en permettant au contrevenant de bénéficier de tous les types de mise en liberté sous condition prévus par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Certes, le reste de la peine spécifique à purger est considérée comme une peine pour adultes suivant les dispositions relatives à la fusion, mais la durée de la peine spécifique demeure inchangée. Dans le cas qui nous occupe, par exemple, la peine de sept ans qui a été infligée à l’appelant en tant que jeune contrevenant est toujours de sept ans. Seules les conditions de la peine ont été modifiées et, comme nous l’avons vu, les modifications apportées aux conditions de la peine n’ont aucune incidence sur les principes de justice fondamentale. D’ailleurs, comme nous l’avons vu, elles sont susceptibles de diminuer le temps d’incarcération du délinquant.

[51]           Dans le cas qui nous occupe, l’appelant affirme que, si notre Cour invalide les dispositions relatives à la fusion, il devrait être remis en liberté et faire l’objet d’une supervision dans la collectivité à la suite d’une période de placement sous garde pour l’infraction spécifique et l’infraction commise en tant qu’adulte. Quand la mise en liberté survient‑elle? Quelle loi répond à cette question? Quelle loi permet la libération sous surveillance dans la collectivité, une peine spécifique, suivant une période de placement sous garde pour une infraction en tant qu’adulte? La surveillance dans la collectivité est‑elle une mesure appropriée pour un individu qui a commis une infraction en tant qu’adulte et qui est d’âge mûr? Qu’arrive‑t‑il dans le cas d’autres contrevenants adultes faisant l’objet d’autres types de peines spécifiques? Nous nous retrouvons au beau milieu d’un dédale de questions. Les dispositions récentes relatives à la fusion nous empêchent de nous perdre dans ce dédale.

[52]           Les dispositions relatives à la fusion vont plus loin. En énonçant un principe général, elles nous permettent de croire que les personnes se trouvant dans une situation semblable devraient être traitées de la même façon selon la loi, une idée qui fait partie du principe de la « primauté du droit » consacré dans le préambule de la Charte. En particulier, les dispositions relatives à la fusion font la promotion de la justice et de l’égalité parmi les contrevenants adultes se trouvant dans une situation semblable, et ce, sans créer d’effets pervers.

[53]           Pour illustrer la chose, prenons l’exemple de deux adultes, A et B, qui ont été reconnus coupables d’une infraction qu’ils ont commise en tant qu’adultes. Le délinquant A doit encore purger une partie d’une peine spécifique à laquelle il a déjà été condamné. Le délinquant B en est à sa première infraction. En supposant que A et B aient commis l’infraction ensemble, qu’ils soient tout aussi blâmables l’un que l’autre, qu’ils aient les mêmes caractéristiques personnelles et que le juge chargé de prononcer la peine leur inflige la même peine pour adultes, est‑il juste que A, qui est maintenant un récidiviste, puisse continuer à bénéficier des mêmes aspects du régime pour adolescents plutôt que de l’ensemble des règles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition alors que B, qui en est à sa première infraction, soit entièrement assujetti aux règles en question? Dans la mesure où le régime pour adolescents offre des moyens plus cléments de purger sa peine, A, le récidiviste, sera mieux traité que B, qui en est à sa première infraction.

[54]           De plus, les dispositions relatives à la fusion créent certaines mesures dissuasives. Elles ne s’appliquent que lorsqu’une personne commet une infraction en tant qu’adulte et qu’elle n’est reconnue coupable de cette infraction qu’alors qu’elle purge une peine spécifique. Si l’on se place du point de vue de l’adulte qui a commis une infraction spécifique, le message est clair : si vous récidivez, l’application des dispositions relatives à la fusion fait partie des conséquences auxquelles vous êtes exposé, ce qui est conforme au principe suivant lequel les adultes sains d’esprit devraient être tenus responsables des actes répréhensibles qu’ils commettent.

[55]           Enfin, dans de nombreuses situations, des mesures d’atténuation peuvent être possibles au moment de la détermination de la peine pour adultes. Le jeune contrevenant qui purge une peine spécifique et qui est sur le point d’être condamné à une peine pour adultes peut demander au juge chargé de prononcer la peine de faire preuve de clémence ou d’une autre mesure compte tenu des préjudices que les dispositions relatives à la fusion pourraient lui causer.

[56]           Vu ce qui précède, on ne saurait affirmer que les dispositions relatives à la fusion ont une portée trop large en ce sens qu’elles causeraient des effets préjudiciables inutiles pour réaliser leur objectif (voir, par ex., Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101). L’objectif des dispositions relatives à la fusion est d’appliquer des peines infligées par le tribunal à des contrevenants qui sont assujettis à la fois à des peines spécifiques et à des peines pour adultes sous le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Les moyens législatifs utilisés ne s’appliquent qu’à ces contrevenants. Je suis d’accord avec la Cour fédérale (au paragraphe 30) pour dire que la disposition a été adaptée pour s’appliquer précisément à des contrevenants comme l’appelant dans des circonstances comme celles‑ci et pour minimiser les effets pervers. D’ailleurs, on voit mal comment le législateur pourrait atteindre ses objectifs autrement. Dans son mémoire et dans sa plaidoirie, l’appelant ne nous a été d’aucun secours à cet égard.

[57]           L’appelant affirme que les dispositions relatives à la fusion ne lui accordent pas la possibilité d’être entendu, ce qui contrevient aux principes de justice fondamentale. La réponse toute simple est que, pour reprendre les propos de la Cour fédérale (au paragraphe 25), « le processus [comporte] un simple calcul à partir des peines infligées au cours d’audiences antérieures, au regard desquelles [l’appelant] avait [été traité] en conformité avec les principes d’équité procédurale et de justice fondamentale ». Autrement dit, les dispositions relatives à la fusion écartent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui pourrait être influencé par les observations qui sont formulées. Ou plutôt, les dispositions relatives à la fusion s’appliquent automatiquement lors de la déclaration de culpabilité d’un adulte qui, à ce moment‑là, purge une peine spécifique de placement sous garde. Une audience ne serait d’aucune utilité (Cooper c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 374, 295 N.R. 184, au paragraphe 8; Capra c. Canada, 2008 CF 1212, [2009] 3 C.F. 461).

[58]           L’appelant affirme également que les dispositions relatives à la fusion lui imposent une forme de responsabilité absolue, ce qui va à l’encontre des principes de justice fondamentale. Ces dispositions n’ont toutefois pas cet effet. Tant dans les instances pour adolescents que dans celles pour adultes, il incombe au ministère public de faire la preuve de la mens rea pour obtenir une déclaration de culpabilité. Les dispositions relatives à la fusion ne sont pas fondées sur une faute ou sur une infraction supplémentaire. Elles constituent simplement une modalité administrative prévoyant le traitement du contrevenant selon un ensemble de règles.

[59]           Comme il l’a fait devant la Cour fédérale, l’appelant affirme que les droits que lui garantit l’alinéa 11i) de la Charte ont été violés. Dans le cadre de cet argument, il conteste certaines modifications apportées à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition après les faits à l’origine de la présente instance (Loi sur la sécurité des rues et des communautés, L.C. 2012, ch. 1). Je rejette cet argument essentiellement pour les mêmes motifs que ceux exposés par la Cour fédérale (aux paragraphes 34 à 37).

[60]           Devant notre Cour, l’appelant invoque pour la première fois les droits que lui garantit l’alinéa 11h) de la Charte. Il affirme que, comme il a été reconnu coupable de meurtre au deuxième degré et qu’il s’est vu infliger une peine pour cette infraction, il ne devrait pas se voir infliger une nouvelle peine. Nous pouvons examiner ce nouvel argument parce que le dossier probatoire est complet et qu’aucun nouvel élément de preuve n’aurait été nécessaire pour l’examiner en première instance (Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712; Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678). La réponse sur le bien‑fondé de cet argument est qu’il ne s’est pas vu infliger une nouvelle peine. Il a été condamné en tant qu’adolescent à une peine de sept ans d’emprisonnement pour l’infraction de meurtre au deuxième degré et les dispositions relatives à la fusion n’ont rien changé à cette peine. Seules les conditions de sa peine ont été modifiées et, comme nous l’avons vu, on ne peut invoquer la Constitution pour contester ces mesures.

[61]           Dans son mémoire, l’appelant invoque son droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l’article 9 de la Charte. Ce moyen ne figure pas dans son avis d’appel et je refuse donc de l’examiner. Toutefois, s’il était nécessaire de le faire, je le rejetterais essentiellement pour les mêmes motifs que ceux qu’a exposés la Cour fédérale (aux paragraphes 31 à 33).

[62]           Il n’est pas nécessaire de se demander si les dispositions relatives à la fusion sont sauvegardées par application de l’article premier de la Charte. Toutefois, s’il était nécessaire de le faire, je conclurais qu’elles sont sauvegardées et j’adopterais essentiellement les motifs exposés la Cour fédérale (aux paragraphes 45 à 47).

[63]           Je tiens à ajouter que les objectifs des dispositions relatives à la fusion – appliquer les peines selon une série unique de règles claires exposées dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, supprimer les conflits éventuels entre le régime pour adolescents et le régime pour adultes et protéger l’intégralité de la peine spécifique – sont des objectifs urgents et réels au sens du critère de justification énoncé dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, 26 D.L.R. (4th) 200, et ce, pour tous les motifs susmentionnés, ainsi que pour ceux que la Cour fédérale a énoncés au paragraphe 45 de sa décision. Compte tenu de ces objectifs et en tenant pour acquis que les dispositions relatives à la fusion portent atteinte à des droits, je ne puis imaginer un régime qui réaliserait les objectifs en question d’une façon moins attentatoire et proportionnée. L’appelant n’a d’ailleurs proposé aucun autre régime. Puisque la Cour a conclu que les objectifs visés par le législateur sont urgents et réels, il ne lui est pas loisible de remettre en question les objectifs du législateur ou de substituer ses propres objectifs à ceux qu’il a choisis (Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, aux paragraphes 54 et 55).

F.         Conclusion et dispositif proposé

[64]           Je conclus que l’appelant n’a pas démontré que les dispositions relatives à la fusion portent atteinte aux droits que lui garantit la Charte. Par conséquent, la gestionnaire des peines de l’Établissement de Stony Mountain a eu raison de tenir compte des dispositions relatives à la fusion et de les appliquer à l’appelant. Sa décision doit être confirmée. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Claude Mandeville, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A‑518‑14

APPEL DU JUGEMENT PRONONCÉ LE 19 NOVEMBRE 2014 PAR LE JUGE MANSON DANS LE DOSSIER No T‑881‑14

INTITULÉ :

ROBBIE RICHARD ERASMO c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MAI 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

y ont souscrit :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 

date des motifs :

LE 20 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Leonard J. Tailleur

 

POUR L’appelant

 

Scott Farlinger

Alexander Menticoglou

 

POUR L’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leonard J. Tailleur

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR L’appelant

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’intimé

 

 

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