Date : 20150612
Dossier : A‑559‑14
Référence : 2015 CAF 143
CORAM : |
LE JUGE EN CHEF NOËL LA JUGE TRUDEL LE JUGE RENNIE |
ENTRE : |
CAMECO CORPORATION |
appelante |
et |
SA MAJESTÉ LA REINE |
intimée |
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 1er juin 2015.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 juin 2015.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE EN CHEF NOËL |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE TRUDEL LE JUGE RENNIE |
Date : 20150612
Dossier : A‑559‑14
Référence : 2015 CAF 143
CORAM : |
LE JUGE EN CHEF NOËL LA JUGE TRUDEL LE JUGE RENNIE |
ENTRE : |
CAMECO CORPORATION |
appelante |
et |
SA MAJESTÉ LA REINE |
intimée |
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE EN CHEF NOËL
[1] Notre Cour est saisie de l’appel d’une ordonnance interlocutoire par laquelle le juge Pizzitelli, de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la Cour de l’impôt), a rejeté la requête présentée par Cameco Corporation (Cameco) en radiation de certains paragraphes de la réponse modifiée de la Couronne à l’avis d’appel modifié qu’elle a déposé relativement à l’année d’imposition 2003 et enjoignant au représentant de la Couronne de produire des réponses à certaines questions soulevées pendant l’interrogatoire préalable. Le juge de la Cour de l’impôt a également ordonné à Cameco de payer les dépens de la Couronne sur la base avocat‑client.
[2] À la demande de Cameco, l’appel a été instruit selon une procédure accélérée en raison de l’incertitude à laquelle donne lieu, sur le plan commercial, l’importance des sommes visées par la nouvelle cotisation à l’origine de l’affaire – quelque 43 millions de dollars en revenus supplémentaires – et ses conséquences pour les années d’imposition subséquentes, relativement auxquelles il est projeté d’établir de nouvelles cotisations sur le même fondement.
[3] À l’appui de son appel, Cameco soutient que la Couronne ne peut invoquer l’alinéa 247(2)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), dans sa réponse modifiée sans invoquer des raisons factuelles à l’appui. Elle ajoute qu’elle a le droit d’être informée des faits sur lesquels la Couronne se fonde pour invoquer la théorie du trompe‑l’oeil. Dans l’un et l’autre cas, Cameco soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que les réponses données à l’interrogatoire préalable lui avaient permis de connaître les moyens qu’on entend lui opposer. Quelle que soit l’issue de l’appel, Cameco soutient que rien ne justifiait de la condamner aux dépens sur la base avocat‑client.
[4] Les dispositions pertinentes de la Loi et des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688a (les Règles), sont reproduites à l’annexe des présents motifs.
FAITS ET PROCÉDURES
[5] Cameco est une société résidant au Canada, et l’un des plus importants producteurs d’uranium à l’échelle mondiale. En 1999, la filiale suisse de Cameco, Cameco Europe Ltd. (CEL), a été constituée et s’est vu confier le rôle d’acheter de l’uranium de Cameco ainsi que d’autres vendeurs situés ailleurs qu’au Canada avec lesquels elle n’avait pas de lien de dépendance, et de vendre de l’uranium à la filiale américaine de Cameco en vue de sa revente à des acheteurs, eux aussi, situés ailleurs qu’au Canada. Aux fins fiscales, Cameco et ses filiales sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance (alinéas 251(1)a) et 251(2)b) de la Loi).
[6] Selon Cameco, CEL joue le rôle de courtier et sa filiale américaine, de distributeur et négociant (avis d’appel modifié, au paragraphe 8, cahier d’appel, volume I, onglet 6D). La Couronne rejette cette thèse (réponse modifiée, au paragraphe 5, cahier d’appel, volume I, onglet 6E). Plus précisément, la Couronne soutient que la réorganisation effectuée en 1999 avait pour but la réduction de l’impôt sur le revenu que Cameco devait payer au Canada, cette dernière ayant continué de prendre toutes les décisions, d’exécuter toutes les fonctions et d’assumer tous les risques liés au commerce de l’uranium – ce qui revenait concrètement à traiter l’entreprise (CEL) comme étant la sienne (mémoire de la Couronne, au paragraphe 6b)).
[7] La nouvelle cotisation à l’origine de l’affaire a été établie aux termes des alinéas 247(2)a) et c) de la Loi. Le ministre du Revenu national (le ministre) s’est fondé sur ces dispositions pour attribuer à Cameco la totalité des revenus générés par CEL au cours de l’année d’imposition 2003.
[8] Le paragraphe 247(2) prévoit deux cas dans lesquels il est permis de modifier l’impact fiscal des opérations entre parties ayant entre elles un lien de dépendance. Le premier a trait aux modalités selon lesquelles des parties sans lien de dépendance auraient accepté de prendre part à l’opération (alinéa 247(2)a)); en ce qui concerne le deuxième, il faut démontrer que des parties sans lien de dépendance n’auraient pas conclu l’opération en cause (alinéa 247(2)b)). L’alinéa 247(2)c) établit le rajustement corrélatif devant être effectué dans le cas où « seul » l’alinéa 247(2)a) joue et l’alinéa 247(2)d), fait de même lorsque l’alinéa 247(2)b) joue.
[9] La Couronne donne des précisions concernant la thèse sur laquelle elle s’appuie pour justifier la nouvelle cotisation dans la réponse et la réponse modifiée qu’elle a déposées à la Cour de l’impôt. Il ressort de ces actes de procédure que la Couronne se fonde sur les deux volets du paragraphe 247(2), ainsi que sur le paragraphe 56(2). En outre, la Couronne soutient que la structure de CEL constitue un trompe‑l’œil destiné à dissimuler le fait que toutes les activités qui génèrent des revenus sont exercées par Cameco.
[10] Ce n’est pas la première fois que les actes de procédure de la Couronne sont contestés dans la présente affaire. La réponse initiale de la Couronne contenait deux hypothèses de fait qui visaient à faire jouer l’alinéa 247(2)a). Ces hypothèses étaient ainsi libellées :
[TRADUCTION]
14(bbb) les prix de transfert de l’uranium qui ont été appliqués lors des ventes faites par [Cameco] à [CEL] et des achats faits par [Cameco] de [CEL] ne correspondaient pas à des prix sans lien de dépendance;
14(fff) les modalités conclues ou imposées à l’égard de la vente et de l’achat d’uranium entre [Cameco] et [CEL] diffèrent de celles qu’auraient conclues des personnes sans lien de dépendance.
[11] Comme le rappelle le juge de la Cour de l’impôt (motifs, aux paragraphes 7 à 9), le juge en chef Rip, aujourd’hui surnuméraire, a radié ces deux paragraphes avec autorisation de les modifier quelques années auparavant (2010 TCC 636), et ce, pour les motifs suivants (idem, aux paragraphes 48 et 49) :
[TRADUCTION]
[48] L’alinéa 14(bbb) est une autre allégation clé qui est formulée dans le cadre du présent appel; il y est allégué que les prix de transfert applicables aux ventes et aux achats en litige ne correspondaient pas à des prix sans lien de dépendance. [Cameco] est en droit de savoir quels prix correspondent à des prix sans lien de dépendance, dans la mesure où l’on ne peut pas les déterminer en se reportant au montant de la cotisation d’impôt établie. Cet alinéa est radié, avec autorisation de modification.
[49] Les alinéas 14(fff), (ggg) et (jjj) sont radiés, avec autorisation de modification. Les éléments qu’ils contiennent sont des conclusions mixtes de fait et de droit, notamment une paraphrase de l’alinéa 247(2)a) de la Loi.
[12] La Couronne a donc déposé une réponse modifiée. Toutefois, la formulation proposée était identique à celle des paragraphes radiés. De nouveau saisi de la question, le juge en chef Rip a une fois de plus ordonné, le 29 juillet 2011, la radiation des paragraphes (2011 TCC 356, aux paragraphes 20 et 23) :
[TRADUCTION]
[20] Il a été ordonné que l’alinéa 14(bbb) soit radié de la réponse parce que [Cameco] était en droit de savoir en quoi les prix de l’uranium transféré entre [Cameco] et [CEL] différaient de ceux dont des parties sans lien de dépendance auraient convenu. […] dès lors que le ministre a présumé que les prix de transfert concernant des contrats d’uranium différaient de ceux dont des personnes sans lien de dépendance auraient convenu, [Cameco] était en droit de savoir exactement à combien s’élevait cette différence. En principe, cela peut également valoir pour l’alinéa 14(fff) de la réponse.
[…]
[23] Lorsque le juge ordonne qu’une disposition d’un acte de procédure soit radiée, la disposition en question doit être radiée. Si l’on accorde une autorisation de modification, les dispositions radiées peuvent être remplacées par une modification. En principe, cette autorisation ne prévoit pas que les dispositions radiées seront conservées dans les actes de procédure même si, au moment de la modification, d’autres dispositions sont ajoutées à des fins d’éclaircissement ou pour répondre aux préoccupations initiales du tribunal. […]
[13] Bien que le juge en chef Rip n’y fasse pas référence, la réponse modifiée comportait également les quatre paragraphes faisant l’objet du présent appel (les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a)), dont voici le texte (motifs, au paragraphe 3) :
[TRADUCTION]
C. QUESTIONS À TRANCHER
31. Les questions à trancher relativement aux opérations ou aux séries d’opérations ou d’arrangements exposés aux paragraphes 14 et 17 sont :
a) si les dispositions des alinéas 247(2)a) et c) visent ces opérations; […]
D. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES, MOTIFS INVOQUÉS ET MESURES DEMANDÉES
36. [Le sous‑procureur général du Canada] soutient respectueusement que les modalités établies ou imposées à l’égard de la vente et de l’achat d’uranium entre [Cameco] et [CEL] ainsi qu’à l’égard des services à fournir par [Cameco] à [CEL] dans le cadre des ententes d’exploitation minière diffèrent de celles qui auraient été établies entre personnes sans lien de dépendance au sens de l’alinéa 247(2)a) de la [Loi]. [Cameco] a exécuté toutes les fonctions et a assumé tous les risques et [CEL] n’a exécuté aucune fonction ni assumé aucun risque. Dans de telles circonstances, des parties sans lien de dépendance fourniraient à [CEL] une contrepartie nulle ou négligeable et remettraient à [Cameco] la totalité des revenus, proportionnellement aux fonctions exécutées et aux risques assumés par chacune des parties dans le cadre des opérations. Le ministre a établi à juste titre une nouvelle cotisation en ajoutant la totalité des bénéfices de [CEL] aux revenus de [Cameco], en application de l’alinéa 247(2)c) de la [Loi].
37. Il soutient par ailleurs qu’en ce qui concerne Tenex, Urenco et d’autres opérations conclues avec des tiers dans le cadre desquelles [CEL] a signé un ou des contrats et/ou une ou des modifications ou a pris les dispositions nécessaires pour que Luxco les lui cède, [Cameco] a garanti l’exécution et le paiement par [CEL] en échange d’une commission de garantie, a créé un contrat de services en vertu duquel [Cameco] a exécuté toutes les fonctions substantielles et nécessaires, et a assumé la totalité des risques. Les modalités conclues entre [Cameco] et [CEL] au sujet de ces opérations sont différentes de celles qu’auraient conclues des personnes sans lien de dépendance au sens de l’alinéa 247(2)a) de la [Loi]. Entre personnes sans lien de dépendance, les modalités :
a) feraient état du versement d’une rémunération à [CEL] uniquement pour les fonctions qu’elle exécutait et les risques qu’elle assumait, qui se limitaient à signer des contrats et à s’assurer que [CEL] demeure une entité juridique;
b) précisent que la partie exécutant toutes les fonctions restantes et assumant la totalité des risques gagnerait la totalité des bénéfices, soit dans le cadre des conventions de garantie et du contrat de services, soit dans le cadre d’autres arrangements.
38. Conformément à l’alinéa 247(2)c), le ministre a établi à juste titre une nouvelle cotisation en tenant compte des modalités qui existeraient entre parties sans lien de dépendance, à savoir que [Cameco] gagnerait la totalité des bénéfices et que [CEL] n’en gagnerait pas.
[Non souligné dans l’original.]
[14] Lors de l’interrogatoire préalable du représentant de la Couronne, Cameco a tenté d’obtenir des réponses au sujet des allégations qui précèdent. Plus précisément, elle a demandé au représentant de la Couronne de préciser les modalités que des parties sans lien de dépendance auraient acceptées à l’égard de chaque opération d’achat et de vente d’uranium.
[15] Au moment de produire les réponses auxquelles elle s’était engagée, la Couronne a avisé Cameco de ce qui suit (motifs, au paragraphe 26) :
[traduction] La position principale de la Couronne dans cet appel est que la structure est un trompe‑l’œil. Subsidiairement, nous sommes d’avis que, dans une situation sans lien de dépendance, CEL […] n’aurait pas été partie à ces opérations car CEL n’a exécuté aucune fonction ni assumé aucun risque. Une partie sans lien de dépendance n’aurait pas conclu cette série d’opérations avec CEL dans ces circonstances économiques. Une partie sans lien de dépendance n’aurait rien payé à CEL car CEL n’a rien contribué de valeur à la série d’opérations. Dans une situation sans lien de dépendance, CCO [Cameco] serait partie à toutes les opérations dans le cadre desquelles CEL (ou CSA) était signataire et la rémunération de CEL, le cas échéant, correspondrait aux fonctions minimes qu’elle exécuterait.
[Non souligné dans l’original.]
[16] Dans une lettre datée du 18 novembre 2014 qui se voulait elle aussi une réponse de suivi, la Couronne a également apporté les clarifications suivantes, qu’elle reprend au paragraphe 17 de son mémoire des faits et du droit (cahier d’appel, volume II, onglet 9) :
[traduction] […] le ministre a conclu que dans une situation sans lien de dépendance, [CEL] n’aurait touché aucun profit. À partir de cette conclusion, il est possible de calculer le prix de l’uranium. Le ministre a conclu que le prix de l’uranium sans lien de dépendance était le prix que des tiers n’ayant pas de lien de dépendance avec Cameco payaient à cette dernière […] pour l’achat d’uranium et le prix que [CEL] payait aux tiers n’ayant pas de lien de dépendance avec elle pour l’achat d’uranium. Autrement dit, le ministre a présumé que le prix que le dernier acheteur a payé au groupe Cameco représentait le prix sans lien de dépendance de l’uranium et que le groupe Cameco ne répartissait pas les profits réalisés conformément au principe de pleine concurrence.
[Souligné par la Couronne.]
[17] Concernant la théorie du trompe‑l’œil, Cameco a demandé au représentant de la Couronne de préciser quel était le fondement factuel de l’allégation selon laquelle la structure était un trompe‑l’œil et, en particulier, en quoi les relations juridiques réelles entre CEL et Cameco différaient de celles qui étaient consacrées par les ententes écrites qu’elles avaient conclues (motifs, au paragraphe 33).
[18] La Couronne a répondu de la manière suivante à chacune des questions posées à cet égard : « [Cameco] a traité l’entreprise de CEL comme étant la sienne » (motifs, au paragraphe 33).
[19] Insatisfaite des réponses fournies, Cameco a présenté une requête en vue d’obtenir diverses mesures (motifs, au paragraphe 1). En ce qui a trait aux déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a), elle faisait valoir que, par sa réponse, la Couronne n’avait pas produit les renseignements demandés et qu’en tentant de continuer à invoquer les alinéas 247(2)a) et c) sans préciser le fondement factuel de leur application la Couronne contrevenait aux ordonnances rendues par le juge en chef Rip, et que cette manœuvre était scandaleuse, frivole et vexatoire au sens de l’article 53 des Règles. Par sa requête, Cameco demandait que les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a) soient radiées et qu’il soit interdit à la Couronne d’invoquer cette disposition. Elle demandait aussi des réponses supplémentaires, plus étoffées, aux questions se rapportant à la théorie du trompe‑l’œil.
LA DÉCISION FRAPPÉE D’APPEL
[20] Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté la requête de Cameco et l’a condamnée aux dépens sur la base avocat‑client. En ce qui a trait aux déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a), il a conclu que les actes de procédure eux‑mêmes et la réponse reproduite au paragraphe 15, ci‑dessus, révélaient un fondement factuel suffisant pour invoquer les alinéas 247(2)a) et c), et ce, pour plusieurs raisons.
[21] Il a affirmé qu’il était « clairement indiqué », dans les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a), que le prix de pleine concurrence était de zéro (motifs, au paragraphe 12), et il a ensuite ajouté (motifs, au paragraphe 14) :
[…] [Ces déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a)] contiennent suffisamment de détails et de renseignements […] pour que [Cameco] sache exactement le prix à payer [de l’avis de la Couronne] dans une situation sans lien de dépendance, c’est‑à‑dire zéro et [elles] permettent donc [à Cameco] de le savoir et d’en traiter convenablement à l’instruction […]
[22] Puis, il a précisé que les hypothèses formulées par le ministre allaient dans le sens des déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a) selon lesquelles « [CEL] n’a[vait] droit en fait à aucune contrepartie dans le cadre du régime de prix de transfert » (motifs, au paragraphe 18). Qui plus est, la réponse donnée (reproduite au paragraphe 16, ci‑dessus) était on ne peut plus claire (motifs, au paragraphe 27) :
[…] On a répondu à la question, et la réponse, à l’instar des déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a) que [Cameco] cherchait à faire radier, est zéro […]
[23] Par ailleurs, le juge de la Cour de l’impôt a, en outre, précisé que même s’il avait conclu que les ordonnances de radiation du juge en chef Rip visaient les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a), il était d’avis que cette dernière réponse aurait remédié aux lacunes antérieurement relevées. Étant donné qu’il est possible que la Couronne puisse se fonder sur le fait que le prix est nul pour soutenir que l’alinéa 247(2)a) joue, il n’a pas été démontré que cet argument était voué à l’échec (motifs, au paragraphe 27).
[24] Par les mêmes motifs, et après avoir souligné que Cameco avait négligé de solliciter des mesures moins radicales, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que rien n’interdisait à la Couronne de contester le prix des opérations conclues entre Cameco et CEL sur le fondement des alinéas 247(2)a) et c) (motifs, au paragraphe 31).
[25] Enfin, en ce qui concerne l’allégation de trompe‑l’œil, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la réponse donnée lors de l’interrogatoire préalable était adéquate (motifs, au paragraphe 39). Il a précisé que, bien que les hypothèses détaillées sur lesquelles s’appuyait le ministre allaient dans le sens de la thèse relative au prix de transfert, elles pouvaient également aller dans le sens de la thèse fondée sur l’existence d’un « trompe‑l’œil » (motifs, au paragraphe 40). De l’avis du juge de la Cour de l’impôt, Cameco sait exactement ce qu’il lui faut prouver en ce qui concerne la thèse du trompe‑l’œil (motifs, au paragraphe 40).
LES THÈSES DES PARTIES EN APPEL
[26] En ce qui concerne les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a), Cameco soutient qu’un prix nul ne permet pas d’invoquer cette disposition. L’alinéa 247(2)a) suppose que des personnes sans lien de dépendance se trouvant dans la même situation que Cameco et CEL auraient pris part à l’opération et que des personnes sans lien de dépendance ne l’auraient pas fait à un prix nul (mémoire de Cameco, aux paragraphes 39 et 54). La thèse de la Couronne selon laquelle CEL n’avait droit à rien est conciliable avec l’alinéa 247(2)b), mais elle n’appelle pas l’application de l’alinéa 247(2)a) (idem, au paragraphe 51).
[27] Ce n’est que si CEL a contribué à la valeur de l’opération, et qu’elle a le droit d’être indemnisée, que l’alinéa 247(2)a) peut être utilement invoqué. Or, bien que la Couronne souhaite continuer à s’appuyer sur cette disposition, elle a systématiquement refusé de préciser le prix de pleine concurrence auquel Cameco et CEL auraient dû, à son avis, effectuer entre elles l’achat et la vente d’uranium (idem, aux paragraphes 54 et 55).
[28] Selon Cameco, il ressort de l’historique de la procédure qu’elle a fait tout ce qui était raisonnable pour tenter d’obtenir cette information, et le juge de la Cour de l’impôt est intervenu de manière déraisonnable en concluant qu’elle aurait dû prendre d’autres mesures à cette fin (ibidem).
[29] En somme, Cameco soutient que le juge de la Cour de l’impôt a mal compris le fondement de sa requête et les différences substantielles que présentent sur le plan juridique les premier et deuxième volets du paragraphe 247(2) (idem, au paragraphe 53). Elle demande à notre Cour de radier les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a) et d’interdire à la Couronne de s’appuyer sur l’alinéa 247(2)a) (idem, au paragraphe 68c)). À titre subsidiaire, elle demande qu’une dernière possibilité soit donnée à la Couronne de produire rapidement des réponses utiles aux questions adressées à ce sujet à son représentant lors de l’interrogatoire préalable (idem, au paragraphe 68d)).
[30] Concernant le refus du juge de la Cour de l’impôt d’exiger des réponses supplémentaires et plus étoffées aux questions relatives à l’allégation de trompe‑l’œil, Cameco soutient pour l’essentiel qu’elle a droit à des réponses concrètes à toutes ses questions. Le fait de déclarer que « [Cameco] a traité l’entreprise de CEL comme étant la sienne » ne saurait être considéré comme une réponse concrète (idem, au paragraphe 64). Là encore, elle sollicite une ordonnance enjoignant au représentant de la Couronne de produire des réponses supplémentaires plus étoffées (idem, au paragraphe 68e)).
[31] Enfin, Cameco attaque l’adjudication de dépens sur la base avocat‑client. Selon elle, seul un comportement répréhensible justifie l’octroi de dépens de cette nature; or, le dossier ne fait état d’aucun comportement répréhensible de sa part (idem, au paragraphe 67).
[32] De son côté, la Couronne adhère aux conclusions du juge de la Cour de l’impôt, y compris celles se rapportant aux dépens, et se fonde essentiellement sur les motifs exposés par ce dernier.
[33] Concernant les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a), la Couronne ajoute qu’en ce qui concerne leur applicabilité [traduction] « [a]ucune jurisprudence n’a déterminé où s’arrêtent les alinéas 247(2)a) et c) et où commencent les alinéas 247(2)b) et d) » (mémoire de la Couronne, au paragraphe 19). Selon elle, les deux dispositions ne s’excluent pas mutuellement et peuvent s’appliquer l’une et l’autre aux mêmes faits; elle cite à cet égard la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt à l’occasion de l’affaire General Electric Canada c. The Queen, 2011 TCC 564, aux paragraphes 87 et 88 [General Electric] (ibidem).
[34] Il s’ensuit que, si un prix nul est susceptible de faire jouer l’alinéa 247(2)b), il peut également faire jouer l’alinéa 247(2)a). La controverse entre les parties quant au mode d’application de ces dispositions tend à confirmer que la question doit être tranchée à l’issue d’un procès complet (idem, au paragraphe 20, citant Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, aux paragraphes 18, 28 et 43 [Hunt], et General Electric, au paragraphe 94).
[35] Par conséquent, la Couronne soutient que c’est à juste titre que le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il n’avait pas été démontré que l’argument se rattachant aux déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a) n’avait aucune chance d’être accueilli et que des réponses complètes avaient été données à toutes les questions posées lors de l’interrogatoire préalable (idem, aux paragraphes 23 à 32).
[36] Enfin, la Couronne soutient que son représentant a donné des réponses complètes à toutes les questions qui lui ont été posées pendant l’interrogatoire préalable au sujet des alinéas 247(2)a) et c). À cet égard, le juge de la Cour de l’impôt a eu raison de conclure que, dans la réponse qu’elle a donnée, la Couronne « a traité de manière évidente de la question des prix pratiqués dans toutes les opérations » et que Cameco est en mesure de savoir « exactement le prix à payer, selon [la Couronne à CEL], dans une situation sans lien de dépendance » (idem, au paragraphe 38).
[37] En ce qui a trait à l’allégation de trompe-l’œil, la Couronne soutient que toutes les questions légitimes ont reçu une réponse et qu’il n’a pas été démontré que le juge de la Cour de l’impôt était arrivé à sa conclusion à cet égard en se fondant sur un principe erroné ou en exerçant son pouvoir discrétionnaire de manière irrégulière (idem, aux paragraphes 42 à 45).
ANALYSE
[38] La décision de ne pas faire droit à une requête en radiation et celle de ne pas exiger de réponses supplémentaires et plus étoffées sont de nature discrétionnaire. Dans le premier cas, le juge de la Cour de l’impôt était saisi de la question de savoir s’il était manifeste et évident que le moyen contesté était voué à l’échec. Dans le deuxième, il s’agissait pour lui de rechercher si l’information communiquée dans les actes de procédure de la Couronne et les réponses données par son représentant lors de l’interrogatoire préalable permettaient à Cameco de connaître les moyens qu’on entend lui opposer.
[39] Comme l’a décidé notre Cour récemment, l’examen des décisions discrétionnaires rendues au stade interlocutoire doit désormais s’effectuer conformément au cadre généralement applicable en appel qui a été consacré par la jurisprudence Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen] (Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, aux paragraphes 18 et 19). Les deux questions auxquelles devait répondre le juge de la Cour de l’impôt étaient des questions mixtes de fait et de droit, de telle sorte que sa décision ne peut être infirmée que s’il est démontré qu’il a commis une erreur sur une question de droit isolable ou une erreur de fait manifeste et dominante (Housen, au paragraphe 36).
[40] Il n’est nul besoin de citer quelque jurisprudence que ce soit à l’appui du principe portant que, en matière d’impôt sur le revenu, le contribuable a, au même titre que la Couronne, le droit de connaître les faits allégués contre lui. Pour pouvoir invoquer une disposition de la Loi ou un principe issu de la jurisprudence à l’appui d’une cotisation établie, la Couronne doit avoir connaissance ou présumer l’existence de faits qui, s’ils sont avérés, sont susceptibles de justifier l’application de cette disposition ou de ce principe.
L’allégation de trompe‑l’œil
[41] Dans la mesure où elle se rapporte à l’allégation de trompe‑l’œil, la question peut être réglée rapidement. La Couronne a maintenant révélé, par l’intermédiaire de son représentant, que son moyen principal repose sur la thèse portant que la structure de CEL constitue un trompe‑l’œil. Comme le fait remarquer le juge de la Cour de l’impôt, les hypothèses de fait formulées pour justifier le rajustement du prix de transfert – à savoir que CEL n’a effectué aucune démarche, aucunement contribué à la valeur des opérations, assumé aucun risque et qu’elle n’a donc droit à rien – justifient également l’allégation de trompe‑l’œil.
[42] Je retiens la conclusion du juge de la Cour de l’impôt portant qu’au vu des hypothèses de fait avancées dans la réponse modifiée de la Couronne, on ne peut affirmer que Cameco n’est pas en mesure de connaître les moyens qu’on entend lui opposer quant à cet aspect du litige.
[43] La jurisprudence Smartcentres Realty Inc. c. The Queen, 2013‑4468(IT)G, de la Cour canadienne de l’impôt, qui a été portée à notre attention dans la semaine précédant l’audience, n’est d’aucune utilité pour Cameco. Dans cette affaire, la question était de savoir si l’allégation de trompe‑l’œil de la Couronne permettait à l’appelante de connaître la nature du subterfuge qu’on lui attribuait. En l’espèce, il ne fait aucun doute que le subterfuge reproché tient au fait que CEL ne s’interpose qu’en apparence.
Les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a)
[44] La question suivante, qui est de savoir si la Couronne peut utilement invoquer l’alinéa 247(2)a) sur la base des hypothèses de fait énoncées dans la réponse modifiée et de la réponse donnée lors de l’interrogatoire préalable sur la question du prix nul, appelle une discussion plus approfondie.
[45] Bien qu’il semble y avoir eu une certaine confusion à cet égard, la thèse de la Couronne consiste à dire qu’en l’absence de lien de dépendance CEL n’aurait pas pu réclamer les sommes qu’elle a touchées, ce qui, selon elle, fait jouer l’alinéa 247(2)b), mais peut également faire jouer l’alinéa 247(2)a).
[46] À cela, Cameco répond que les alinéas 247(2)a) et b) visent des situations différentes et que seul l’alinéa b) peut jouer s’il est démontré que CEL n’avait droit à rien. Pour justifier l’application du deuxième volet du critère (l’alinéa 247(2)b)), la Couronne doit avancer des faits – présumés ou connus – tendant à démontrer que l’opération en est une que des parties sans lien de dépendance n’auraient pas conclue. Or, en l’espèce, la Couronne allègue les mêmes faits pour justifier l’application de l’alinéa 247(2)a), c’est‑à‑dire que Cameco a exécuté toutes les fonctions pertinentes et que CEL n’a droit à rien. S’il est vrai que ces faits sont compatibles avec la thèse portant que la personne sans lien de dépendance se trouvant à la place de Cameco n’aurait pas conclu l’opération avec CEL, Cameco soutient qu’ils ne peuvent servir de fondement à l’application de l’alinéa 247(2)a). En clair, des personnes sans lien de dépendance ne concluraient pas d’opération si l’une d’elles n’a aucunement contribué à sa valeur.
[47] Je conviens qu’au vu de son libellé, l’alinéa 247(2)a) doit normalement viser l’opération à la valeur de laquelle chaque partie contribue, la question étant alors de savoir selon quelles modalités des parties sans lien de dépendance auraient conclu l’opération dans des circonstances identiques. Par la jurisprudence Canada c. GlaxoSmithKline Inc., 2012 CSC 52 [Glaxo], la Cour suprême du Canada a confirmé que l’ancien paragraphe 69(2) – que l’alinéa 247(2)a) a remplacé – envisageait l’existence de points de repère objectifs compilés à partir d’informations recueillies dans des conditions de libre concurrence et pouvant servir de données de substitution pour l’analyse des modalités de l’opération en cause. Lorsque cela est possible, on a recours à des opérations comparables auxquelles des correctifs auront ou non été apportés. Autrement, il faut s’en remettre au prix établi par déduction au moyen d’une méthode d’établissement de prix reconnue utilisant des données de pleine concurrence calculées par des experts (voir la circulaire d’information no 87‑2R, dans sa version modifiée par la note de service PTM 14) (pour une étude des méthodes applicables dans le domaine de l’industrie pharmaceutique au Canada, voir Glaxo, aux paragraphes 19 à 27).
[48] Compte tenu de l’hypothèse de fait avancée par la Couronne pour justifier l’application de l’alinéa 247(2)a) – à savoir que CEL n’a rien fait et n’a droit à rien –, il est difficile de voir comment semblables données pourraient être obtenues puisque les parties sans lien de dépendance ne concluent pas d’opérations en pareilles circonstances. Dans la mesure où l’alinéa 247(2)a) a sensiblement la même fonction que l’ancien paragraphe 69(2), il est fort possible que l’hypothèse selon laquelle CEL n’avait droit à rien ne puisse justifier son application.
[49] Le point de vue de Cameco est en outre étayé par la présence, dans la version anglaise de la Loi, du mot « or » (ou) à la fin de l’alinéa 247(2)a) et juste avant l’alinéa 247(2)b). Le texte de l’alinéa 247(2)a) envisage le cas où des parties sans lien de dépendance auraient conclu l’opération (ou la série d’opérations) faisant l’objet de la cotisation, mais selon des modalités différentes, alors que l’alinéa 247(2)b) suppose que des parties sans lien de dépendance n’auraient tout simplement pas conclu l’opération.
[50] Cela dit, la Couronne soutient que l’alinéa 247(2)a) peut jouer dans un contexte autre que celui que je viens de d'exposer. Plus précisément, elle relève que pour déterminer la portée des alinéas 247(2)a) et b) il faut également prendre en compte les alinéas 247(2)c) et d). À cet égard, il est utile de signaler que l’alinéa 247(2)c) commence par les mots « dans le cas où seul l’alinéa 247(2)a) s’applique ». Selon la Couronne, il ressort du mot « seul » que, dans certains cas, les alinéas 247(2)a) et b) peuvent tous deux jouer, comme lorsqu’une partie ne contribue aucunement à la valeur de l’opération. Elle cite à l’appui de cette thèse les paragraphes 87 et 88 de la décision rendue par la Cour de l’impôt à l’occasion de l’affaire General Electric.
[51] La jurisprudence n’a pas à ce jour déterminé où s’arrêtent les alinéas 247(2)a) et c) et où commencent les alinéas 247(2)b) et d), et je retiens l’opinion de la Couronne selon laquelle il serait inapproprié de tenter de régler ce point dans le cadre d’une requête en radiation (Hunt, aux paragraphes 18, 28 et 43). Il est préférable de laisser au juge du procès le soin de rechercher, à la lumière de l’ensemble des preuves, si un prix nul peut donner lieu à l’application des alinéas 247(2)a) et c) – en plus des alinéas 247(2)b) et d) (motifs, au paragraphe 27).
[52] En conséquence, il n’a pas été établi que le juge de la Cour de l’impôt a fait erreur en refusant de radier les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a), car la preuve n’a pas été rapportée que celles‑ci n’avaient aucune chance d’être retenues.
[53] Par ailleurs, je retiens également la conclusion du juge de la Cour de l’impôt portant que la deuxième ordonnance rendue par le juge en chef Rip ne visait pas les déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a). En effet, si le juge en chef Rip avait voulu que l’ordonnance de radiation s’applique également à ces déclarations, il l’aurait indiqué (motifs, au paragraphe 11). Rien ne permet de conclure qu’il y aurait lieu d’appliquer une mesure aussi radicale à d’autres paragraphes que ceux qu’il a mentionnés.
[54] Cependant, cela ne met pas fin au débat.
La requête en production de nouveaux éléments de preuve
[55] Peu de temps avant l’audience, Cameco a présenté une requête afin d’être autorisée à produire de nouveaux éléments de preuve, soit une demande d’aveux qu’elle a signifiée à la Couronne le 8 mai 2015 et la réponse que lui a donnée cette dernière en date du 25 mai 2015.
[56] Il a été convenu que la requête serait présentée au début de l’instruction de l’appel et, après avoir entendu les observations des parties, la Cour a indiqué qu’elle trancherait la question de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve au moment de statuer sur l’appel.
[57] La requête a pour origine une déclaration faite par la Couronne dans une lettre portant la date du 18 novembre 2014, déclaration qui correspond à la partie soulignée de l’extrait cité au paragraphe 16 des présents motifs. À partir de la thèse exprimée par la Couronne dans cet extrait, Cameco a calculé le prix moyen qu’elle avait obtenu de la vente d’uranium de parties sans lien de dépendance en 2003 ainsi que le prix moyen payé par CEL pour l’uranium acheté de parties sans lien de dépendance au cours de la même période.
[58] Dans sa demande d’aveux, Cameco invitait la Couronne à reconnaître que la valeur moyenne à laquelle elle était arrivée (soit 13,52 $ la livre) correspondait au prix de pleine concurrence de l’uranium vendu par Cameco à CEL dans le cadre des huit contrats qui ont régi leurs opérations au cours de l’année d’imposition 2003 (dossier de requête de Cameco, onglets A et B).
[59] La Couronne a refusé de faire l’aveu demandé, mais elle a reconnu qu’il était possible de calculer le prix de pleine concurrence qui aurait dû être pratiqué entre Cameco et CEL en ce qui concerne les opérations de vente et d’achat d’uranium intervenues entre elles, en prenant soin de préciser que ce calcul dépendait de multiples facteurs. Selon la Couronne, le calcul de Cameco ne tient compte ni de ces facteurs, ni du fait qu’il n’existe pas de prix de pleine concurrence unique dans le cas de l’uranium.
[60] Cameco soutient que les éléments de preuve qu’elle souhaite être autorisée à produire satisfont au critère jurisprudentiel relatif à l’admission de nouveaux éléments de preuve (ceux‑ci doivent être crédibles et permettre en pratique de trancher une question soulevée en appel et il était impossible, même en exerçant une diligence raisonnable, de les produire plus tôt (Shire Canada Inc. c. Apotex Inc., 2011 CAF 10, au paragraphe 17; R. c. General Electric Capital Canada Inc., 2010 FCA 290, au paragraphe 3)) et qu’il y a donc lieu de les admettre. Pour sa part, la Couronne soutient qu’aucun des trois éléments du critère n’est rempli.
[61] Il n’est pas nécessaire de rechercher si le critère susmentionné est rempli et s’il y a lieu d’autoriser la production des nouveaux éléments de preuve. En effet, quelle que soit la réponse à ces questions, il ressort à l’évidence des observations des parties qu’il subsiste entre elles une controverse que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas résolue et qui concerne la question de savoir si la Couronne est tenue d’informer Cameco de sa position concernant le prix de pleine concurrence applicable aux opérations de vente et d’achat d’uranium intervenues entre CEL et Cameco.
[62] Le juge de la Cour de l’impôt ne s’est pas penché sur cette question. La décision qu’il a rendue reposait sur la conclusion que Cameco détenait toute l’information dont elle avait besoin pour se préparer au procès (motifs, au paragraphe 14). Il est difficile d’expliquer les raisons de cette omission au vu du dossier partiel dont nous disposons, qui ne contient ni la transcription de l’audience ni les observations présentées au juge de la Cour de l’impôt. Peut‑être ce dernier a-t-il estimé que l’hypothèse du prix nul avancée par la Couronne constituait une réponse complète ou que les ordonnances antérieures du juge en chef Rip avaient permis de régler cet aspect.
[63] La raison pour laquelle la question demeure irrésolue tient au fait que, malgré la radiation des alinéas 14(bbb) et (fff) de la réponse de la Couronne dans lesquels il conteste le fait que le prix auquel les opérations de vente et d’achat d’uranium ont été effectuées entre Cameco et CEL correspondait à un prix de pleine concurrence, la Couronne continue d’alléguer, par ses actes de procédure, que les modalités dont avaient convenu Cameco et CEL relativement à la vente d’uranium différaient de celles qu’auraient conclues des personnes sans lien de dépendance.
[64] L’allégation en question se trouve au paragraphe 36 de la réponse modifiée (reproduite au paragraphe 13, ci‑dessus). Par souci de commodité, l’extrait pertinent est repris une fois de plus ci‑dessous :
[TRADUCTION] [Le sous‑procureur général du Canada] soutient respectueusement que les modalités établies ou imposées à l’égard de la vente et de l’achat d’uranium entre [Cameco] et [CEL] ainsi qu’à l’égard des services à fournir par [Cameco] à [CEL] dans le cadre des ententes d’exploitation minière diffèrent de celles qui auraient été établies entre personnes sans lien de dépendance au sens de l’alinéa 247(2)a) de la [Loi]…
[65] Cette allégation fait partie des déclarations relatives à l’alinéa 247(2)a) et, vu les motifs déjà exposés, elle peut être plaidée. Toutefois, comme l’a souligné l’avocat de Cameco à l’audience, puisque le prix constitue l’une des modalités des opérations en cause, cette allégation a non seulement pour effet d’obliger Cameco à prouver que le prix auquel les opérations de vente et d’achat d’uranium avec CEL ont été effectuées correspondait à un prix de pleine concurrence, mais elle permet en outre à la Couronne de faire valoir sa thèse quant à ce que devrait être ce prix de pleine concurrence.
[66] En réponse, la Couronne a fait remarquer que la question du prix de pleine concurrence entre Cameco et CEL n’avait pas d’incidence sur son argument puisqu’il repose sur la prémisse que des parties sans lien de dépendance n’auraient pas conclu de telles opérations. Cependant, le prix de pleine concurrence de l’uranium est un aspect pertinent de l’argumentation de Cameco et l’avocate de la Couronne n’a aucunement renoncé au droit de son client de se fonder sur les actes de procédure pour défendre une thèse différente au procès en ce qui concerne le prix de pleine concurrence dont Cameco et CEL auraient dû convenir relativement aux opérations de vente et d’achat d’uranium intervenues entre elles. Dans la mesure où la Couronne envisage de défendre une telle position au procès, elle a l’obligation de divulguer ce prix de pleine concurrence avant l’instruction, comme l’a déjà rappelé le juge en chef Rip à deux reprises.
[67] Évoquant un souci d’un autre ordre, l’avocate de la Couronne a rappelé que, du point de vue de ce dernier, il était impossible d’établir un prix unique de pleine concurrence pour l’uranium et que la détermination des divers prix possibles passait nécessairement par le recours à une formule complexe mise au point par l’Agence du revenu du Canada (cahier d’appel, volume II, aux pages 502 à 547) et qu’il pourrait être nécessaire de consulter des experts pour déterminer avec précision les prix applicables.
[68] Je suis conscient de ces difficultés. Ainsi, malgré le fait que cet aspect a déjà fait l’objet de deux ordonnances, j’accorderais à la Couronne un délai de soixante (60) jours pour communiquer à Cameco l’autre thèse qu’elle entend défendre concernant le ou les prix de pleine concurrence que Cameco et CEL auraient dû pratiquer relativement aux opérations de vente et d’achat d’uranium intervenues entre elles au cours de l’année d’imposition 2003, ou une formule permettant à Cameco de déterminer ce ou ces prix.
Les dépens avocat‑client
[69] Dans la dernière partie de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt explique en quoi le comportement de Cameco est à son avis condamnable (motifs, au paragraphe 44). Selon lui, Cameco était seule responsable des retards dans le déroulement de l’instance. Or, comme en témoigne la thèse défendue par la Couronne dans le cadre de la requête en production de nouveaux éléments de preuve, les deux parties ont effectué des choix stratégiques.
[70] Je n’ignore pas que la décision relative à l’adjudication des dépens relève du pouvoir discrétionnaire du juge et qu’elle ne doit pas être infirmée à la légère. Cela dit, en l’espèce, je suis d’avis qu’on peut tout autant reprocher à la Couronne d’avoir contourné les ordonnances antérieures du juge en chef Rip et d’avoir fait obstacle au droit de Cameco de disposer, avant le début du procès, des renseignements visés par ces ordonnances.
[71] Exerçant ce pouvoir discrétionnaire en tenant compte du comportement de l’une et l’autre partie, j’annulerais l’ordonnance d’adjudication de dépens avocat‑client et j’ordonnerais que chaque partie assume ses propres dépens.
DISPOSITIF
[72] Par les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir l’appel en partie, d’annuler l’adjudication de dépens avocat‑client et d’ordonner à la Couronne de communiquer à Cameco, dans les soixante (60) jours suivant la date du présent jugement, sa thèse concernant le ou les prix de pleine concurrence auxquels Cameco et CEL auraient dû effectuer les opérations de vente et d’achat d’uranium entre elles au cours de l’année d’imposition 2003, ou une formule permettant à Cameco de déterminer ce ou ces prix. Compte tenu de l’issue mitigée de l'affaire, il convient que chaque partie assume ses dépens en appel et en première instance.
« Marc Noël »
Juge en chef
« Je suis d’accord.
Johanne Trudel, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Donald J. Rennie, j.c.a. »
Traduction
ANNEXE
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) :
56. (2) Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable, à une autre personne au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne — sauf la cession d’une partie d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1 du Régime de pensions du Canada ou à une disposition comparable d’un régime provincial de pensions au sens de l’article 3 de cette loi — est inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable. |
56. (2) A payment or transfer of property made pursuant to the direction of, or with the concurrence of, a taxpayer to another person for the benefit of the taxpayer or as a benefit that the taxpayer desired to have conferred on the other person (other than by an assignment of any portion of a retirement pension under section 65.1 of the Canada Pension Plan or a comparable provision of a provincial pension plan as defined in section 3 of that Act) shall be included in computing the taxpayer’s income to the extent that it would be if the payment or transfer had been made to the taxpayer. |
247. (2) Lorsqu’un contribuable ou une société de personnes et une personne non‑résidente avec laquelle le contribuable ou la société de personnes, ou un associé de cette dernière, a un lien de dépendance, ou une société de personnes dont la personne non‑résidente est un associé, prennent part à une opération ou à une série d’opérations et que, selon le cas : |
247. (2) Where a taxpayer or a partnership and a non‑resident person with whom the taxpayer or the partnership, or a member of the partnership, does not deal at arm’s length (or a partnership of which the non‑resident person is a member) are participants in a transaction or a series of transactions and |
a) les modalités conclues ou imposées, relativement à l’opération ou à la série, entre des participants à l’opération ou à la série diffèrent de celles qui auraient été conclues entre personnes sans lien de dépendance, |
(a) the terms or conditions made or imposed, in respect of the transaction or series, between any of the participants in the transaction or series differ from those that would have been made between persons dealing at arm’s length, or |
b) les faits suivants se vérifient relativement à l’opération ou à la série : |
(b) the transaction or series |
(i) elle n’aurait pas été conclue entre personnes sans lien de dépendance, |
(i) would not have been entered into between persons dealing at arm’s length, and |
(ii) il est raisonnable de considérer qu’elle n’a pas été principalement conclue pour des objets véritables, si ce n’est l’obtention d’un avantage fiscal, |
(ii) can reasonably be considered not to have been entered into primarily for bona fide purposes other than to obtain a tax benefit, |
les montants qui, si ce n’était le présent article et l’article 245, seraient déterminés pour l’application de la présente loi quant au contribuable ou la société de personnes pour une année d’imposition ou un exercice font l’objet d’un redressement de façon qu’ils correspondent à la valeur ou à la nature des montants qui auraient été déterminés si : |
any amounts that, but for this section and section 245, would be determined for the purposes of this Act in respect of the taxpayer or the partnership for a taxation year or fiscal period shall be adjusted (in this section referred to as an “adjustment”) to the quantum or nature of the amounts that would have been determined if, |
c) dans le cas où seul l’alinéa a) s’applique, les modalités conclues ou imposées, relativement à l’opération ou à la série, entre les participants avaient été celles qui auraient été conclues entre personnes sans lien de dépendance; |
(c) where only paragraph 247(2)(a) applies, the terms and conditions made or imposed, in respect of the transaction or series, between the participants in the transaction or series had been those that would have been made between persons dealing at arm’s length, or |
d) dans le cas où l’alinéa b) s’applique, l’opération ou la série conclue entre les participants avait été celle qui aurait été conclue entre personnes sans lien de dépendance, selon des modalités qui auraient été conclues entre de telles personnes. |
(d) where paragraph 247(2)(b) applies, the transaction or series entered into between the participants had been the transaction or series that would have been entered into between persons dealing at arm’s length, under terms and conditions that would have been made between persons dealing at arm’s length. |
251. (1) Pour l’application de la présente loi : |
251. (1) For the purposes of this Act, |
a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance; […] |
(a) related persons shall be deemed not to deal with each other at arm’s length; ... |
(2) Pour l’application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles : |
(2) For the purpose of this Act, “related persons”, or persons related to each other, are |
[…] b) une société et : |
… (b) a corporation and |
(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne, |
(i) a person who controls the corporation, if it is controlled by one person, |
(ii) une personne qui est membre d’un groupe lié qui contrôle la société, |
(ii) a person who is a member of a related group that controls the corporation, or |
(iii) toute personne liée à une personne visée au sous‑alinéa (i) ou (ii); |
(iii) any person related to a person described in subparagraph 251(2)(b)(i) or 251(2)(b)(ii); and |
Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90‑688a :
53. (1) La Cour peut, de son propre chef ou à la demande d’une partie, radier un acte de procédure ou tout autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l’acte ou le document : |
53. (1) The Court may, on its own initiative or on application by a party, strike out or expunge all or part of a pleading or other document with or without leave to amend, on the ground that the pleading or other document |
a) peut compromettre ou retarder l’instruction équitable de l’appel; |
(a) may prejudice or delay the fair hearing of the appeal; |
b) est scandaleux, frivole ou vexatoire; |
(b) is scandalous, frivolous or vexatious; |
c) constitue un recours abusif à la Cour; |
(c) is an abuse of the process of the Court; or |
d) ne révèle aucun moyen raisonnable d’appel ou de contestation de l’appel. |
(d) discloses no reasonable grounds for appeal or opposing the appeal. |
(2) Aucune preuve n’est admissible à l’égard d’une demande présentée en vertu de l’alinéa (1)d). |
(2) No evidence is admissible on an application under paragraph (1)(d). |
(3) À la demande de l’intimé, la Cour peut casser un appel si : |
(3) On application by the respondent, the Court may quash an appeal if |
a) elle n’a pas compétence sur l’objet de l’appel; |
(a) the Court has no jurisdiction over the subject matter of the appeal; |
b) une condition préalable pour interjeter appel n’a pas été satisfaite; |
(b) a condition precedent to instituting an appeal has not been met; or |
c) l’appelant n’a pas la capacité juridique d’introduire ou de continuer l’instance. |
(c) the appellant is without legal capacity to commence or continue the proceeding. |
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
A‑559‑14 |
APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR MONSIEUR LE JUGE PIZZITELLI, DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, LE 2 DÉCEMBRE 2014, DANS LE DOSSIER NO 2009‑2430 (IT)G.
INTITULÉ : |
CAMECO CORPORATION c. SA MAJESTÉ LA REINE
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lieu de l’audience : |
TORONTO (oNTARIO)
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DATE de l’audience : |
le 1er juin 2015
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE EN CHEF NOËL
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Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE TRUDEL LE JUGE RENNIE
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DATE Des motifs : |
le 12 juin 2015
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COMPARUTIONS :
Joseph M. Steiner Al Meghji Peter Macdonald
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POUR L’APPELANTE
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Naomi Goldstein Elizabeth Chasson Diana Aird |
POUR L’intimée
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Osler, Hoskin & Arcourt, S.E.N.C.R.L./s.r.l. Toronto (Ontario)
|
POUR L’APPELANTE
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William F. Pentney, c.r. Sous‑procureur général du Canada
|
POUR L’intimée
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