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Date : 20150619


Dossier : A-411-13

Référence : 2015 CAF 148

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DES DÉNÉS YELLOWKNIVES

appelante

et

MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU NORD, OFFICE DES TERRES ET DES EAUX DE LA VALLÉE DU MACKENZIE et ALEX DEBOGORSKI

intimés

Audience tenue à Yellowknife (Territoires du Nord‑Ouest), le 12 mai 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 juin 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL


Date : 20150619


Dossier : A-411-13

Référence : 2015 CAF 148

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE DAWSON

LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DES DÉNÉS YELLOWKNIVES

appelante

et

MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU NORD, OFFICE DES TERRES ET DES EAUX DE LA VALLÉE DU MACKENZIE et ALEX DEBOGORSKI

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

I.                   Introduction

[1]               La Première nation des Dénés Yellowknives est un peuple autochtone au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils revendiquent des droits issus de traités de même que des droits fondés sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 dans la région de la baie Drybones. La baie Drybones proprement dite est située sur la rive nord du Grand lac des Esclaves, à environ 50 km au sud‑est de Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest.

[2]               Il ne fait nul doute que la région de la baie Drybones revêt une importance capitale pour les Dénés Yellowknives. Ainsi que d’autres groupes autochtones, ils occupent cette région depuis des centaines, voire des milliers d’années. Pour les Dénés Yellowknives, la région est d’une importance sans égale pour leur culture. Elle est unique et irremplaçable; la présence historique et continue de la Première nation dans ce lieu est une composante fondamentale de son identité et de son bien‑être.

[3]               L’intimé, Alex Debogorski (le promoteur), est titulaire d’une concession minière dans la région de la baie Drybones. Il a présenté à l’Office des terres et des eaux de la vallée du MacKenzie (l’Office des terres et des eaux) une demande de permis d’utilisation des terres en vue d’un projet de prospection diamantifère impliquant jusqu’à dix forages sur cinq ans dans la région de la baie Drybones (le projet de développement).

[4]               L’Office des terres et des eaux a été constitué aux termes du paragraphe 99(1) de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du MacKenzie, L.C. 1998, ch. 25 (la Loi). Il a pour mission d’assurer la préservation, la mise en valeur et l’exploitation des terres et des eaux de la façon la plus avantageuse possible pour tous les Canadiens et, en particulier, pour les habitants de la vallée du Mackenzie (paragraphe 101.1(1)).

[5]               L’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie (l’Office d’examen) a été constitué aux termes du paragraphe 112(1) de la Loi. Il est chargé de procéder à l’évaluation environnementale des projets de développement qui lui sont renvoyés (paragraphe 126(1)). Ainsi, l’Office des terres et des eaux a renvoyé le projet de développement à l’Office d’examen pour qu’il procède à une telle évaluation environnementale.

[6]               Pour résumer brièvement, dans « le rapport d’évaluation environnementale et la décision motivée » (EA1112-001) (la décision en cause), en date du 6 janvier 2012, l’Office d’examen a conclu que le projet de développement n’était pas susceptible d’avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement ou d’être la cause de préoccupations majeures pour le public. Ainsi, il n’y avait pas lieu de réaliser une étude d’impact du projet. L’Office d’examen a donc estimé que le projet devait passer à la phase réglementaire pour que soient délivrés les permis et licences. Il fallait ensuite transmettre la décision au ministre compétent.

[7]               Les Dénés Yellowknives ont présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire visant la décision. Par les motifs exposés dans la décision 2013 CF 1118, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire et adjugé au ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord les dépens, fixés à 18 920 $. En l’espèce, la Cour est saisie de l’appel du jugement de la Cour fédérale. J’ajouterai, par souci d’exhaustivité, que le promoteur, même s’il a été constitué partie intimée en l’espèce comme en première instance, n’a comparu ni devant notre Cour ni devant la Cour fédérale.

II.                Les questions en litige

[8]               Les questions soulevées dans le cadre de l’appel sont les suivantes :

  1. La conclusion selon laquelle le projet de développement n’était pas susceptible d’avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement était‑elle raisonnable?
  2. La conclusion selon laquelle le projet de développement n’était pas susceptible d’être la cause de préoccupations majeures pour le public était‑elle raisonnable?
  3. La Couronne s’est‑elle acquittée de son obligation de consulter les Dénés Yellowknives et de les accommoder, au besoin?

III.             Discussion des questions

1.      La conclusion selon laquelle le projet de développement n’était pas susceptible d’avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement était‑elle raisonnable?

A.                La norme de contrôle

[9]               Le présent appel vise un jugement rendu au terme d’une procédure en contrôle judiciaire. Notre Cour doit donc rechercher si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et si elle l’a correctement appliquée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46).

[10]           Il n’est pas controversé entre les parties que les évaluations environnementales auxquelles procède l’Office d’examen doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Je suis du même avis. L’Office d’examen est un tribunal spécialisé. Ce qui est en cause en l’espèce, ce sont principalement ses conclusions de fait, ou ses conclusions mélangées de fait et de droit lorsque les faits et le droit ne peuvent être aisément dissociés. En présence de questions de cette nature, un examen selon la norme de la décision raisonnable est indiqué (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 à 55).

B.                 L’application de la norme de contrôle

[11]           Pour bien comprendre le point de vue de la Première nation selon lequel il n’était pas raisonnable que l’Office d’examen conclue que le projet de développement n’était pas susceptible d’avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement, il faut connaître l’historique du développement de la région de la baie Drybones.

[12]           Le 30 novembre 2007, à l’issue d’une évaluation environnementale relative à un projet (le développement CGV) n’ayant aucun lien avec le projet de développement dans la région de la baie Drybones, l’Office d’examen a conclu que le projet en question, combiné aux effets cumulatifs des autres activités qui étaient en cours ou raisonnablement prévisibles, était susceptible d’avoir des répercussions négatives importantes et cumulatives sur le plan culturel (EA0506-005) (la décision CGV).

[13]           En particulier, l’Office d’examen a exprimé l’opinion suivante :

[traduction] Compte tenu de la preuve au dossier, des témoignages des parties et des considérations susmentionnées, l’Office d’examen est d’avis que l’augmentation graduelle du développement dans cette importante région a des répercussions d’ordre culturel, et cela s’applique aussi au projet de développement proposé. L’Office d’examen estime que ces répercussions culturelles cumulatives sont parvenues à un seuil critique. À moins que certaines mesures de gestion ne soient prises, ce seuil sera dépassé.

Si ce seuil était dépassé, la valeur culturelle de cette région particulière pour les peuples autochtones serait considérablement diminuée. L’impact culturel cumulatif sur les autochtones qui utilisent ces terres serait inacceptable. L’Office d’examen considère que les répercussions culturelles cumulatives mentionnées par les parties, notamment par la [Première nation des Dénés Yellowknives] sont probables, importantes et négatives. La plupart d’entre elles sont le résultat des perturbations engendrées par l’activité humaine liée au développement et aux loisirs. Ces répercussions se font particulièrement sentir dans la zone riveraine. [Non souligné dans l’original.]

[14]           La conclusion concernant la probabilité que soient causées d’importantes [traduction] « répercussions culturelles » négatives trouve sa pertinence dans le fait qu’à l’article 111 de la Loi, les « répercussions sur l’environnement social et culturel et sur les ressources patrimoniales » sont assimilées aux « répercussions environnementales », ou « répercussions sur l’environnement ».

[15]           L’allusion à la [traduction] « zone riveraine » s’explique par le fait que le projet de développement visait cette partie précise de la région de la baie Drybones. En outre, c’est dans cette zone riveraine que l’on retrouve l’activité traditionnelle la plus intense et la plus forte concentration de sites patrimoniaux.

[16]           Ayant conclu que le développement CGV était susceptible d’avoir des répercussions négatives importantes et cumulatives sur le plan culturel, l’Office d’examen a prescrit la mise en œuvre de six mesures en vue de réduire ou d’éviter les répercussions négatives.

[17]           L’une de ces mesures était particulièrement importante. Elle exigeait des gouvernements fédéral et territorial qu’ils collaborant avec les Dénés Yellowknives et les autres utilisateurs des terres autochtones à la production d’un [traduction] « plan d’action » local concernant la zone riveraine dans le délai précisé. Le plan d’action devait à tout le moins être rédigé et mis en œuvre en laissant une place importante à la contribution des parties autochtones, traiter du développement futur dans la zone riveraine (en prévoyant notamment des dispositions destinées à la protection des sites environnementaux, culturels et spirituels vulnérables) et formuler des recommandations claires pour la gestion des projets et des activités de loisirs dans la zone riveraine. Après avoir accepté la décision rendue par l’Office d’examen, le ministre compétent devait donner des instructions à l’Office des terres et des eaux, qui aurait à tenir compte du plan d’action avant de prendre une décision concernant l’examen préalable de toute nouvelle demande de projet dans la zone riveraine.

[18]           Suivant la recommandation de l’Office d’examen, le projet de développement CGV ne pouvait aller de l’avant qu’à la condition que les six mesures proposées soient mises en œuvre.

[19]           Or, la mise en œuvre de ces mesures n’a jamais eu lieu. En fait, le 13 avril 2010, conformément à l’article 130 de la Loi, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a demandé à l’Office d’examen de réexaminer certaines des mesures qu’il avait proposées. Plus précisément, le ministre faisait valoir que [traduction] « le "plan d’action" proposé et le programme de surveillance à long terme [étaient] jugés excessifs pour une proposition de projet d’exploration de faible envergure ».

[20]           L’Office d’examen a donc procédé au réexamen des mesures proposées et rendu sa décision le 15 novembre 2011 (la décision CGV de réexamen). En réponse aux réserves du ministre, il a souligné que les mesures critiquées visaient à atténuer les répercussions culturelles cumulatives, et non celles de chaque proposition de projet considérée isolément. Par conséquent, je pense que l’avocate des Dénés Yellowknives a raison de dire, quant à l’issue de la demande de réexamen, que l’Office d’examen est essentiellement [traduction] « resté sur sa position ».

[21]           L’audience publique qui a abouti à la décision CGV de réexamen a eu lieu les 12 et 13 septembre 2011 à N’Dilo, l’une des deux collectivités des Dénés Yellowknives. Ils y ont assisté pour y témoigner. Les témoignages ont ensuite été versés au dossier sur lequel l’Office d’examen s’est fondé pour rendre la décision en cause dans le présent appel. L’Office d’examen a rendu la décision en cause le 6 janvier 2012; celle‑ci renvoie à la fois à la décision CGV et à la décision CGV de réexamen.

[22]           C’est en ayant à l’esprit cet historique que je me propose d’examiner la thèse de la Première nation, à savoir qu’il n’était pas raisonnable que l’Office d’examen conclue que le projet de développement n’est pas susceptible d’avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement.

[23]           La Première nation soutient que l’Office d’examen s’est fondé sur les mesures qu’il avait recommandées dans la décision CGV, puis réexaminées, pour [traduction] « remédier au contexte — pour résoudre la crise des répercussions cumulatives qui frappait la région de la baie Drybones. Ayant ainsi "réglé" le problème systémique, le [projet de développement] proprement dit a été jugé suffisamment restreint pour être acceptable ».

[24]           La Première nation qualifie cette conclusion de grave erreur de droit parce qu’elle repose sur des mesures que le ministre compétent n’a pas acceptées et qui n’ont donc pas été mises en œuvre. Étant fondées sur l’efficacité de ces mesures, les conclusions tirées par l’Office d’examen au sujet du projet de développement l’ont été dans un contexte faussé. Autrement dit, et pour reprendre une thèse avancée lors des débats, puisque l’Office d’examen avait admis que [traduction] « les répercussions dues à diverses activités humaines étaient parvenues à un seuil critique dans la région de la baie Drybones » (la décision en cause, à la page 29), il aurait dû reconnaître que même un projet d’une envergure modeste contribuerait à l’effet cumulatif des répercussions. Comme il ne l’a pas fait, sa décision est illogique et déraisonnable.

[25]           À mon avis, la thèse de la Première nation doit être rejetée par les motifs exposés ci‑après.

[26]           Premièrement, je rejette l’idée que l’Office d’examen s’est fondé sur les mesures qu’il avait énoncées dans la décision CGV et la décision CGV de réexamen pour [traduction] « résoudre » la crise des répercussions cumulatives dans la région de la baie Drybones. Conformément à l’alinéa 117(2)a) de la Loi, l’évaluation environnementale doit notamment porter sur « les répercussions cumulatives que [l]a réalisation [du projet de développement], combinée à celle d’autres projets, entraînera vraisemblablement ». Les Dénés Yellowknives ont soulevé la question des répercussions cumulatives que l’Office d’examen avait relevées dans la décision CGV. C’est dans ce contexte que l’Office d’examen s’est référé aux mesures qu’il avait recommandées précédemment. Cela dit, à la page 31 de la décision en cause, l’Office d’examen a bien précisé que ces mesures n’avaient pas été instaurées. Ainsi, il faisait allusion aux mesures [traduction] « [s]i elles sont approuvées et mises en œuvre ». Il avait déjà déclaré qu’il y avait [traduction] « peu d’indications que les organismes publics compétents [avaient] fait de véritables démarches ou des progrès réels afin de résoudre les problèmes soulevés par la Première nation des Dénés Yellowknives », et ce, [traduction] « malgré les nombreuses recommandations et suggestions » qu’il a formulées à l’occasion des évaluations environnementales effectuées depuis 2003 relativement à la région de la baie Drybones.

[27]           De plus, comme nous l’avons déjà vu, l’Office d’examen avait récemment rendu la décision CGV en réexamen. Il était conscient qu’on lui avait demandé de réexaminer les mesures recommandées antérieurement et que ces dernières n’avaient donc pas été mises en œuvre. Dans ces circonstances, il n’est pas raisonnable dans ce contexte de soutenir que l’Office d’examen s’est fondé sur ces mesures comme si elles avaient permis d’obtenir des résultats.

[28]           Deuxièmement, l’Office d’examen a expliqué dans le détail pourquoi il avait conclu que le projet de développement n’aurait vraisemblablement pas de répercussions négatives importantes sur l’environnement.

[29]           La section 3 de la décision en cause porte sur les effets potentiels du projet de développement sur l’environnement. L’Office d’examen commence par observer que, conformément à l’alinéa 115(1)b) de la Loi, il devait tenir compte du maintien du bien-être social, culturel et économique des habitants et des collectivités de la vallée du Mackenzie. Selon lui, les préoccupations d’ordre social et culturel peuvent être réparties en deux catégories : celles touchant aux ressources archéologiques et patrimoniales, d’une part, et celles ayant trait aux répercussions cumulatives sur les pratiques traditionnelles, l’utilisation des terres et la culture, d’autre part.

[30]           L’Office d’examen a d’abord examiné les répercussions probables du projet de développement sur les ressources patrimoniales et culturelles. Sa discussion des preuves l’a amené à tirer les conclusions de fait suivantes :

  • Parce qu’on connaissait avec un grand degré d’exactitude les ressources patrimoniales situées dans le lot de concessions minières, la zone de protection exigée de 30 mètres servirait de tampon entre les sites archéologiques connus, d’un côté, et les deux premiers sites de forage et l’emplacement proposé pour le camp, de l’autre. Par conséquent, il était improbable que des répercussions négatives importantes se fassent sentir sur les sites archéologiques et patrimoniaux en ce qui concerne les deux premiers sites de forage (la décision en cause, aux pages 23 et 24).
  • Dans un projet d’exploration minière, la détermination des sites de forage comporte un degré élevé d’incertitude, car c’est à partir des résultats des premiers forages qu’on décide de l’emplacement des prochains sites de forage (la décision en cause, à la page 24).
  • Le lot de concessions minières du promoteur est principalement situé en zone immergée (90 p. cent). Si des trous étaient subséquemment forés au large sur la glace durant l’hiver, il était peu probable que ces sites aient un impact sur les ressources archéologiques (la décision en cause, à la page 24).
  • Seule une petite partie du lot de concessions minières du promoteur comprenait la rive. Cette zone avait déjà été considérablement perturbée par le passé par la présence d’un camp, de routes, de voies d’accès et d’autres activités d’exploration. Par conséquent, il était improbable que l’on trouve des ressources archéologiques non répertoriées dans la plus grande partie du lot de concessions minières. Toutefois, s’il y en avait, les clauses et conditions générales du permis d’utilisation des terres empêcheraient tout impact important sur ces ressources (la décision en cause, à la page 25).
  • En raison de l’envergure limitée du projet de développement, les huit trous de forage dont l’emplacement n’était pas indiqué n’auraient pas de répercussions négatives importantes sur l’environnement (la décision en cause, à la page 25).

[31]           L’Office d’examen s’est ensuite penché sur les répercussions sur l’usage traditionnel des terres et la culture. Dans un premier temps, il a rappelé que, suivant l’alinéa 117(2)a) de la Loi, l’évaluation environnementale d’un projet de développement doit notamment tenir compte des « répercussions cumulatives que sa réalisation, combinée à celle d’autres projets, entraînera vraisemblablement ». Puis, après avoir passé en revue la preuve, l’Office d’examen a tiré les conclusions de fait suivantes :

  • La région de la baie Drybones revêt une grande importance pour les Dénés Yellowknives et d’autres groupes autochtones qui font usage de la région (la décision en cause, à la page 30).
  • Le projet de développement est un projet d’exploration de faible envergure à l’intérieur d’un lot de concessions minières situé à 90 p. cent au‑dessus de l’eau. Bien que les Dénés Yellowknives et d’autres utilisateurs autochtones de ces terres se déplacent sur cette partie du Grand lac des Esclaves en suivant des routes traditionnelles, les perturbations causées à ces routes seraient de courte durée et n’auraient pas d’impact important (la décision en cause, à la page 31).
  • La petite partie du lot de concessions minières du promoteur comprenant la rive a déjà été considérablement perturbée par l’utilisation antérieure d’un camp, de routes, de voies d’accès et d’autres activités d’exploration. Le projet de développement n’ajouterait rien d’important (la décision en cause, à la page 31).
  • Les forages dans l’île Burnt Island empêcheraient les Dénés Yellowknives d’atteindre les îles et d’en faire usage pendant une courte période (la décision en cause, à la page 31).
  • Si le projet devait mener à d’autres développements, ce serait alors une bonne occasion d’examiner les projets plus importants qui seraient proposés (la décision en cause, à la page 31).
  • Compte tenu de tout ce qui précède, le projet de développement n’était pas susceptible de contribuer de manière importante aux répercussions négatives cumulatives déjà identifiées sur l’utilisation des terres et la culture (la décision en cause, à la page 32).

[32]           La Première nation n’a pas sérieusement mis en doute les conclusions de fait de l’Office d’examen, pas plus qu’elle n’a démontré que ce dernier ne pouvait raisonnablement tirer ces conclusions au vu des preuves dont il disposait. Ces conclusions constituent un fondement intelligible, transparent et justifiable à la conclusion à laquelle l’Office d’examen est arrivé au sujet des répercussions négatives sur l’environnement. La décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[33]           Avant de passer à la prochaine question, je voudrais discuter brièvement les allégations de la Première nation selon lesquelles la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que les mesures recommandées précédemment par l’Office d’examen ne s’appliqueraient pas au projet de développement (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 45) et en se fondant sur l’entente provisoire protégeant certaines terres soustraites à l'aliénation pour conclure qu’une partie considérable de la région de la baie Drybones et du rivage a été soustraite aux nouveaux projets de développement (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 47 et 48). Selon moi, ces allégations ne sont d’aucune utilité pour la Première nation, et ce, pour les raisons qui suivent.

[34]           Premièrement – et c’est la raison la plus importante –, pour rechercher si la Cour fédérale a correctement appliqué la norme de la décision raisonnable, notre Cour doit se mettre à sa place. Pour procéder à cet examen qui constitue essentiellement un réexamen de l’affaire sur le fond, j’ai tenu pour acquis que les mesures proposées par l’Office d’examen en 2007 dans la décision CGV s’appliqueraient au projet de développement si elles étaient mises en œuvre, et que l’entente provisoire protégeant certaines terres n’avait rien à voir avec le projet de développement.

[35]           Deuxièmement, si on fait une lecture objective des motifs de la Cour fédérale, on ne peut affirmer, à mon sens, que les commentaires dénoncés ont été déterminants dans la solution retenue.

2.      La conclusion selon laquelle le projet de développement n’était pas susceptible d’être la cause de préoccupations majeures pour le public était‑elle raisonnable?

A.                La norme de contrôle

[36]           Cette décision était de nature semblable à celle rendue au sujet des répercussions négatives sur l’environnement. Elle reposait sur des faits dont les points de droit ne pouvaient être aisément dissociés. Cet aspect de la décision en cause doit donc être examiné selon la norme de la décision raisonnable.

B.        L’application de la norme de contrôle

[37]           La Première nation soutient, à juste titre, que les préoccupations du public constituent un motif distinct qui doit être examiné isolément; un projet ne peut être approuvé au terme de l’évaluation visée par l’alinéa 128(1)a) de la Loi que dans le cas où, vraisemblablement, il n’aura pas de répercussions négatives importantes sur l’environnement et ne sera pas la cause de préoccupations importantes pour le public.

[38]           La Première nation affirme ensuite que l’Office d’examen a commis la même erreur lorsqu’il a cherché à déterminer si le projet de développement serait la cause de préoccupations importantes pour le public : il s’est fondé sur les mesures qu’il avait proposées dans la décision CGV pour répondre aux préoccupations du public.

[39]           Selon moi, l’Office d’examen ne s’est pas fondé sur les mesures qu’il avait précédemment recommandées pour conclure qu’il n’y avait aucune source de préoccupation majeure pour le public. Voici les raisons pour lesquelles j’arrive à cette conclusion.

[40]           L’Office d’examen a amorcé son analyse de la question en notant qu’il avait [traduction] « déjà recommandé des mesures et fait des suggestions en matière de prévision, de surveillance et de gestion des effets cumulatifs dans la zone riveraine, y compris dans la zone visée par le projet » (décision en cause, à la page 36 (note de bas de page omise)). Puis, il a fait observer que bien peu de progrès avaient été réalisés quant au règlement des questions de fond d’utilisation des terres de la zone riveraine dans la région visée par le projet de développement (la décision en cause, à la page 37).

[41]           Cela dit, l’Office d’examen a jugé que les éléments de preuve présentés par les Dénés Yellowknives lors des évaluations précédentes et intégrés aux preuves examinées dans le cadre de l’évaluation du projet de développement avaient trait au contexte régional et qu’ils étaient plutôt axés sur la nécessité de gérer l’utilisation des terres à l’échelle régionale. Étant donné que les inquiétudes précédemment exprimées quant aux utilisations actuelles concurrentes des terres dans la région de la baie Drybones étaient d’ordre régional et que le projet de développement ne contribuerait pas de manière importante à ces inquiétudes concernant le fond de la question, l’aspect relatif aux préoccupations du public revêtait un intérêt moindre pour l’évaluation environnementale du projet de développement.

[42]           Vu ce qui précède, on peut difficilement affirmer que l’Office d’examen a fondé ses motifs sur les mesures d’atténuation qu’il avait recommandées précédemment.

[43]           L’Office d’examen a ensuite fait remarquer qu’il avait déjà conclu, dans le cadre de cette évaluation environnementale, que le projet de développement ne contribuerait pas de manière importante aux répercussions cumulatives en raison de sa faible envergure et de sa courte durée, et du fait qu’il visait une région déjà perturbée (décision en cause, à la page 37). La question de savoir si les effets cumulatifs pouvaient être source de préoccupations pour le public ne jouait donc pas dans le cas du projet de développement (décision en cause, à la page 37).

[44]           Se fondant sur cette analyse, l’Office d’examen a conclu que les effets du projet de développement ne seraient pas importants et qu’ils ne constituaient donc pas une source de préoccupation majeure pour le public.

[45]           J’estime que la Première nation n’a pas démontré qu’il n’était pas raisonnablement loisible à l’Office d’examen de tirer les conclusions auxquelles il est parvenu au vu de la preuve dont il disposait. Ces conclusions constituent un fondement intelligible, transparent et justifiable à la conclusion à laquelle l’Office d’examen est arrivé au sujet des préoccupations du public. La solution retenue appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et était, par conséquent, raisonnable.

3.      La Couronne s’est‑elle acquittée de son obligation de consulter les Dénés Yellowknives et de les accommoder, au besoin?

A.    La norme de contrôle

[46]           Il n’y a nulle controverse entre les parties sur les normes de contrôle à appliquer à l’égard de cette question. L’existence d’une obligation de consulter et son étendue ou sa teneur sont des questions de droit assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Quant au caractère suffisant de la consultation, il est susceptible d’examen selon la norme de la décision raisonnable.

[47]           Je conviens que cette formulation des normes de contrôle est conforme à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada : Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, aux paragraphes 61 et 62; Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, au paragraphe 48.

B.                 L’application de la norme de contrôle

[48]           L’obligation de consulter repose sur l’honneur de la Couronne. Cette obligation prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle d’un titre ou de droits ancestraux et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur ces droits ou ce titre (Nation haïda, au paragraphe 35).

[49]           En l’espèce, le ministre reconnaît que l’obligation de consulter a pris naissance avec le processus d’évaluation environnementale. En effet, les rapports d’évaluation environnementale produits par l’Office d’examen sont transmis au ministre compétent qui peut, entre autres, retenir les recommandations, les rejeter ou demander à l’Office d’examen qu’il les réexamine (article 130 de la Loi). Le ministre s’en remet à l’Office d’examen et aux processus réglementaires qui sont de son ressort pour que soit acquittée l’obligation de consulter de la Couronne (voir le courriel adressé par Affaires autochtones et Développement du Nord Canada à un représentant des Dénés Yellowknives le 10 août 2011, cahier d’appel, volume 2, onglet 14).

[50]           L’intensité de l’obligation de consulter, ou sa teneur, varie en fonction des faits. La consultation exigée est plus approfondie lorsque la revendication autochtone paraît de prime abord fondée et que les effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre revendiqué sont graves (Nation haïda, au paragraphe 39; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, au paragraphe 36).

[51]           En l’espèce, la Cour fédérale a conclu que l’obligation de consulter se situait au milieu de l’évantail parce que la revendication des Dénés Yellowknives quant à l’exercice de droits dans la région de la baie Drybones était solide, mais l’Office d’examen avait néanmoins conclu que le risque d’impact négatif relatif au projet de développement était faible (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 58 et 59).

[52]           Lors des débats, l’avocate de la Première nation a convenu qu’il importe peu en l’espèce que l’on situe l’obligation soit au milieu, soit à l’extrémité supérieure de l’éventail défini par la jurisprudence Nation haïda étant donné que cela ne fera pas varier la teneur de l’obligation dans les circonstances présentes. La Première nation affirme que le processus suivi par l’Office d’examen ne pouvait, de toute manière, apporter la solution nécessaire, c’est‑à‑dire la planification de l’utilisation des terres. L’obligation de consulter n’a donc pas été respectée. De plus, aucune mesure d’accommodement n’a été offerte aux Dénés Yellowknives.

[53]           Je reconnais que la terminologie employée pour définir la nature de la consultation exigée importe peu. Ce qui importe, c’est de rechercher si les consultations ont été d’une ampleur qui correspondait à l’évaluation préliminaire de la solidité des droits revendiqués et à la gravité des effets préjudiciables potentiels du projet de développement sur ces droits (Nation haïda, au paragraphe 35).

[54]           Par les motifs exposés ci‑après, je suis d’avis que la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter par l’entremise du processus de l’Office d’examen. J’amorcerai mon analyse par un examen des principes juridiques applicables; puis j’appliquerai ces principes aux faits de l’espèce.

[55]           Il est aujourd’hui bien établi en droit qu’il est loisible au législateur de décider de déléguer certains aspects procéduraux de l’obligation de consulter à un tribunal administratif. Le tribunal administratif appelé à examiner une question ayant trait à une ressource et pouvant empiéter sur des intérêts autochtones peut se voir confier l’obligation de consulter, l’obligation de déterminer si une consultation adéquate a eu lieu, l’une et l’autre obligations ou même, ni l’une ni l’autre. Pour circonscrire la mission du tribunal, tant son pouvoir légal d’examiner les questions de droit que celui d’accorder des sanctions sont des considérations pertinentes (Rio Tinto, aux paragraphes 55 à 65).

[56]           Le processus de consultation n’a pas à aboutir à un résultat concret particulier. Ainsi, ce processus ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des terres en cause en attendant que leur revendication soit établie de façon définitive. La consultation ne doit pas non plus être assimilée à une obligation de parvenir à une entente; l’obligation consiste plutôt à procéder à de véritables consultations. Autrement dit, la satisfaction n’a pas à être totale. La question qui se pose est de savoir si, considéré dans son ensemble, le régime de réglementation respecte le droit ancestral en question (Nation haïda, aux paragraphes 42, 48 et 62).

[57]           Lorsque les consultations sont menées de bonne foi, elles peuvent révéler l’existence d’une obligation d’accommoder. Si la revendication repose des moyens à première vue sérieux et que les actes envisagés risquent de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’honneur de la Couronne pourrait obliger celle‑ci à adopter des mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte (Nation haïda, au paragraphe 47).

[58]           Je me propose maintenant de procéder à l’application des principes qui précèdent, en commençant par l’examen du rôle de l’Office d’examen.

[59]           Comme l’a observé le juge Blanchard à l’occasion de l’affaire Première nation Ka’a’Gee Tu c. Canada (Procureur général), 2007 CF 763, 315 F.T.R. 178, au paragraphe 118, la Loi prévoit un processus de consultation exhaustif qui offre la possibilité de tenir des consultations importantes entre le promoteur et les groupes autochtones concernés. Les dispositions suivantes de la Loi en sont l’illustration :

  • La partie 5 de la Loi prévoit la constitution de l’Office d’examen. Ses dispositions ont notamment pour objet de veiller à ce qu’il soit tenu compte des préoccupations des autochtones dans le cadre du processus d’évaluation environnementale (alinéa 114c)).

         Ce processus exige que soit pris en considération le maintien du bien-être social, culturel et économique des habitants et des collectivités de la vallée du Mackenzie et l’importance de préserver les ressources pour le bien-être et le mode de vie des peuples autochtones du Canada visés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui utilisent les ressources d’une région de la vallée du Mackenzie (alinéas 115(1)b) et c)).

         L’évaluation environnementale du projet de développement doit notamment porter sur les répercussions de ce projet sur l’environnement (alinéa 117(2)a)). Sont assimilées aux répercussions sur l’environnement, les répercussions sur l’environnement social et culturel et sur les ressources patrimoniales (paragraphe 111(1)).

         Au cours de l’étude d’impact, l’Office d’examen peut consulter toute personne qui utilise les ressources de la région où le projet de développement peut avoir des répercussions sur l’environnement (article 123.1b)).

         L’Office d’examen est tenu de consigner les motifs de ses décisions et de les mettre à la disposition du public (article 121).

         L’Office d’examen dispose de vastes pouvoirs. Au terme d’une évaluation environnementale, il peut ainsi recommander l’approbation du projet de développement sous réserve de la prise des mesures de nature, à son avis, à éviter les répercussions négatives importantes, mais il peut aussi recommander le rejet du projet (article 128).

[60]           À mon avis, ce régime traduit l’intention du législateur, à savoir que l’Office d’examen procède aux consultations nécessaires afin de mener à bien l’évaluation environnementale. Je conclus, à l’instar du juge Blanchard, que le processus permet une participation officielle au processus décisionnel. Je partage également son avis quant au fait que le produit du processus de consultation se reflète dans les rapports d’évaluation environnementale de l’Office d’examen (Première nation Ka’a’Gee Tu, au paragraphe 118).

[61]           Bien qu’il ne s’agisse aucunement d’un élément décisif, il demeure utile de relever que cette interprétation de la Loi semble concorder avec la façon dont l’Office d’examen conçoit sa mission. La partie 5 de la décision en cause s’intitule [traduction] « Questions liées aux droits ancestraux ou issus de traits ». Dans cette partie de ses motifs, l’Office d’examen reprend les éléments de preuve produits par les Dénés Yellowknives en ce qui a trait aux répercussions potentielles du projet sur leurs droits issus de traités et sur les droits ancestraux qu’ils revendiquent.

[62]           À la partie intitulée [traduction] « Consultation et accommodement », l’Office d’examen note que les fonctionnaires fédéraux ont confirmé que les Dénés Yellowknives n’avaient pas été consultés en marge du processus d’évaluation environnementale.

[63]           Puis, à la page 45 de la décision en cause, l’Office d’examen tire les conclusions suivantes :

         Le processus d’évaluation environnementale a permis aux groupes autochtones de connaître avec précision les répercussions environnementales négatives dans les régions où ils revendiquent des droits ancestraux ou issus de traités.

  • N’importe laquelle de ces répercussions négatives pourrait avoir des effets préjudiciables sur l’utilisation traditionnelle des terres.

         Cela dit, les répercussions négatives importantes sont peu probables.

[64]           Il faut maintenant rechercher les consultations permises par le processus de l’Office d’examen étaient adéquates.

[65]           La Cour fédérale a conclu que la revendication des Dénés Yellowknives quant à l’exercice de droits dans la région de la baie Drybones était solide. Cependant, elle a ensuite fait remarquer que selon ce que l’Office d’examen avait conclu, le projet de développement n’aurait vraisemblablement pas de répercussions négatives importantes sur l’environnement et n’était pas susceptible de contribuer de manière importante aux répercussions négatives cumulatives déjà enregistrées sur l’utilisation des terres et la culture. Je conclus que les conclusions tirées par l’Office d’examen à cet égard sont raisonnables.

[66]           Pour déterminer l’ampleur de la consultation requise au vu de ces facteurs, il est utile d’examiner le processus dont a pu bénéficier la Première nation. Le processus d’évaluation environnementale a offert aux Dénés Yellowknives la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations à l’Office d’examen — un décideur impartial et expert. Ce dernier a rédigé des motifs complets montrant que les préoccupations des Dénés Yellowknives ont été prises en compte et expliquant l’incidence de ces préoccupations sur sa décision. Au paragraphe 44 de l’arrêt Nation haïda, la Cour suprême signale que ces facteurs constituent des exemples de consultations approfondies. À mon avis, il s’agissait d’un degré de consultation proportionnel à la nature du projet de développement et à la mesure dans laquelle il était susceptible de porter atteinte aux droits ancestraux ou issus de traités revendiqués par les Dénés Yellowknives. Par conséquent, la consultation était adéquate.

[67]           Comme nous l’avons signalé, la Première nation soutient que l’obligation de consulter n’a pas été respectée parce que l’Office d’examen n’avait pas le pouvoir d’ordonner la prise de mesures de planification de l’utilisation des terres dans la région de la baie Drybones. Cet argument doit être rejeté pour la raison suivante.

[68]           Pour reprendre ce qui a été dit précédemment, l’obligation de consulter ne correspond pas à une obligation de s’entendre, n’accorde pas de droit de veto quant à l’utilisation des terres et ne mène pas forcément à un résultat unique. De l’avis de l’Office d’examen, le projet de développement n’était pas susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur l’environnement. Il n’était donc pas nécessaire qu’il recommande des mesures d’utilisation des terres semblables à celles qu’il avait recommandées dans la décision CGV. Vu cette conclusion de fait, il est impossible de retenir la thèse de la Première nation selon laquelle la tenue d’une véritable consultation ne pouvait aboutir qu’à un seul résultat, à savoir la planification de l’utilisation des terres.

[69]           À titre subsidiaire, la Première nation qualifie d’inapproprié le fait qu’aucune mesure d’accommodement n’a été offerte et soutient que le processus de consultation en a été vicié, d’autant plus que le Canada aurait pu dégager le promoteur de l’obligation de donner suite à sa demande immédiatement ou que l’Office d’examen aurait pu recommander des mesures similaires à celles recommandées dans la décision CGV. Au lieu de cela, la décision en cause ne prévoit aucune mesure d’atténuation.

[70]           Ici encore, je suis d’avis que cet argument ne tient pas dûment compte des conclusions de fait de l’Office d’examen concernant les répercussions probables du projet de développement sur l’environnement, notamment ses répercussions sur les effets cumulatifs précédemment enregistrés. Vu ces conclusions, il n’était point besoin, sur le plan juridique, de prendre des mesures d’accommodement pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les effets du projet de développement. L’obligation de consulter ne comporte pas toujours l’obligation d’offrir des mesures concrètes en plus de respecter certaines exigences au plan procédural (Beckman, au paragraphe 81).

IV.             Conclusion

[71]           Par les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel sans frais. Toutefois, avant de conclure, il semble important de discuter les observations finales de l’avocate de l’appelante, plus précisément ses déclarations selon lesquelles la thèse de la Couronne fédérale revient à [traduction] « provoquer l’escalade du conflit » et à [traduction] « mener la région à sa perte ». L’avocate a ajouté qu’on était en présence d’un [traduction] « conflit » que l’Office d’examen [traduction] « a tenté de désamorcer » dans la décision CGV et la décision CGV de réexamen.

[72]           À mon humble avis, cette thèse n’est d’aucune utilité. L’Office d’examen a conclu que le projet de développement était différent de celui proposé par CGV, puisqu’il a décidé que le projet de développement devait passer à la phase réglementaire pour que soient délivrés les permis et licences sans qu’aucune mesure d’atténuation ne s’impose. On ne peut affirmer en toute objectivité que le fait de confirmer cette décision revient à provoquer une escalade ni que cela va à l’encontre des décisions antérieures de l’Office d’examen concernant la région de la baie Drybones.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Johanne Trudel, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-411-13

 

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DES DÉNÉS YELLOWKNIVES c. MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU NORD, OFFICE DES TERRES ET DES EAUX DE LA VALLÉE DU MACKENZIE et ALEX DEBOGORSKI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :

le 19 juin 2015

COMPARUTIONS :

Judith Rae

Renée Pelletier

 

POUR L’APPELANTE

 

Tracy Carroll

Ken Landa

 

POUR LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Olthuis Kleer Townshend LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

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