Date: 20150723
Dossier : 15-A-40
Référence : 2015 CAF 172
En présence de monsieur le juge Webb
ENTRE: |
ABORIGINAL VOICES RADIO INC. |
appelante |
et |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
intimé |
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 juillet 2015.
Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2015.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : |
LE JUGE WEBB |
Date : 20150723
Dossier : 15-A-40
Référence : 2015 CAF 172
En présence de monsieur le juge Webb
ENTRE: |
ABORIGINAL VOICES RADIO INC. |
appelante |
et |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
intimé |
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
LE JUGE WEBB
[1] Dans une décision de radiodiffusion rendue le 25 juin 2015 (CRTC 2015‑282), le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a révoqué les licences de radiodiffusion de cinq stations de radio autochtone de type B détenues par Aboriginal Voices Radio Inc. (AVR) – CKAV-FM Toronto, CKAV-FM-2 Vancouver, CKAV-FM-3 Calgary, CKAV-FM-4 Edmonton et CKAV-FM-9 Ottawa. La révocation entre en vigueur le 25 juillet 2015.
[2] Le paragraphe 31(2) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, prévoit qu’une personne peut interjeter appel d’une décision du CRTC devant notre Cour si une autorisation d’appel est accordée et si l’appel porte sur une question de droit ou de compétence. AVR a présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel de la décision du CRTC mentionnée au paragraphe 1 ci‑dessus. Toutefois, la requête en autorisation d’appel n’a pas encore été instruite, et n’est pas près de l’être non plus, car la Couronne n’a pas encore déposé son dossier de requête. Étant donné que la date d’entrée en vigueur de la révocation des licences est le 25 juillet 2015, AVR a également présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance sursoyant à l’exécution de la décision du CRTC jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de sa requête en autorisation d’appel, et si l’autorisation d’appel est accordée, jusqu’au jugement définitif quant au fond de l’appel.
[3] Dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada, [1994] 1 R.C.S. 311; [1994] A.C.S. no 17, la Cour suprême du Canada a énoncé un critère à trois volets permettant de déterminer s’il y a lieu d’accorder un sursis à l’exécution d’un jugement :
43 L arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d’instance ou d’injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond. […]
Question sérieuse
[4] En appliquant ce critère en l’espèce, il est important de se rappeler que la présente demande de sursis a été présentée avant que l’autorisation d’appel soit accordée. La question de savoir « [s’]il y a une question sérieuse à juger » est la question qu’il faut trancher au moment de l’examen de la demande d’autorisation d’appel. Étant donné que je n’ai pas été dûment saisi de cette demande, l’analyse de la question de savoir s’il y a une question sérieuse à juger et si, par conséquent, il y a effectivement lieu d’accorder l’autorisation d’appel, devrait être reportée jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit instruite. En appliquant le critère relatif au sursis à ce stade‑ci, il s’agira de savoir si AVR a soulevé une question sérieuse qui devrait être examinée dans le cadre de la demande d’autorisation. À mon avis, cela signifie également qu’un sursis ne devrait être accordé que jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit tranchée.
[5] AVR a soulevé plusieurs questions auxquelles elle entend donner suite dans sa demande d’autorisation d’appel. À ce stade‑ci, il ne conviendrait pas de les passer toutes en revue pour déterminer s’il y a une question sérieuse à examiner dans la demande d’autorisation d’appel, car cela pourrait être perçu comme un jugement prématuré sur la question de savoir s’il y a lieu d’accorder l’autorisation d’appel. Il suffit, à ce stade‑ci, qu’AVR ait soulevé au moins une question sérieuse qui devrait être examinée dans le cadre de la demande d’autorisation.
[6] AVR a soulevé la question de savoir si les violations des conditions d’une licence donnée pouvaient constituer le fondement de la révocation des autres licences. Il semble que la gravité des violations des conditions de licences varie d’une station à l’autre. Plus particulièrement, lors de l’instruction de la présente requête, les deux parties ont reconnu que les violations les plus graves concernent la station de radio d’Ottawa. Cette station ne diffuse plus depuis le 3 octobre 2014. Personne n’a contesté que le fait de ne pas diffuser pendant plusieurs mois constitue un manquement grave aux conditions de cette licence de radiodiffusion.
[7] L’avocat de la Couronne a attiré l’attention sur les admissions d’AVR à l’audience du CRTC selon lesquelles elle ne se conformait pas aux conditions des autres licences, mais la nature exacte de ce défaut de se conformer aux conditions de chacune de ces licences quant aux exigences en matière de radiodiffusion n’est pas claire. La question de savoir s’il convenait de révoquer les cinq licences de radiodiffusion dans les circonstances de l’espèce constitue une question sérieuse qui devrait être examinée dans le cadre de la demande d’autorisation d’appel. Comme je l’ai déjà mentionné, il ne conviendrait pas, à ce stade‑ci, de déterminer s’il y a lieu d’accorder l’autorisation d’appel. L’analyse devrait plutôt servir à déterminer s’il y a une question sérieuse à trancher dans le cadre de la demande d’autorisation d’appel.
[8] Je suis convaincu qu’AVR a soulevé au moins une question sérieuse à examiner dans le cadre de la demande d’autorisation d’appel. La question de savoir s’il y a lieu d’accorder l’autorisation d’appel est une question qui devra être tranchée au moment de l’examen de cette demande.
Préjudice irréparable
[9] En ce qui concerne le préjudice irréparable, je suis convaincu qu’AVR a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé et qu’elle a finalement gain de cause quant à la demande d’autorisation d’appel, et quant à l’appel interjeté à l’encontre de la décision de révoquer les licences des stations de radio situées à Vancouver, Calgary, Edmonton et Toronto. Le fait de devoir cesser ses activités, et donc de perdre toutes les sources de revenus de ces stations, causerait fort probablement un préjudice irréparable s’il était finalement décidé que les licences n’auraient pas dû être révoquées.
[10] Cependant, la situation de la station de radio d’Ottawa est différente. Cette station ne diffuse plus depuis le 3 octobre 2014. Rien n’indique si cette station de radio reprendrait la radiodiffusion ou continuerait de ne pas diffuser si le sursis était accordé relativement à sa licence. Étant donné que cette station de radio ne diffuse plus depuis un certain temps, il est loin d’être clair quel préjudice irréparable serait subi aujourd’hui si le sursis à l’exécution de la décision de révoquer la licence de radiodiffusion de cette station n’était pas accordé. Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’AVR a établi qu’elle subirait un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé relativement à la licence de radiodiffusion de la station de radio d’Ottawa.
Prépondérance des inconvénients
[11] Les licences des stations de radio de Vancouver, Edmonton, Calgary et Toronto ont été accordées à AVR il y a plusieurs années. La prépondérance des inconvénients joue en faveur d’une décision permettant à ces stations de continuer à diffuser au moins jusqu’à ce que la demande d’autorisation d’appel soit tranchée. Le préjudice que subirait AVR si ces stations devaient cesser de diffuser et qu’AVR obtenait gain de cause quant à la demande d’autorisation d’appel l’emporte sur le préjudice qui serait subi si ces stations continuaient de diffuser quelques semaines de plus jusqu’à ce que la demande d’autorisation d’appel soit tranchée et qu’AVR n’obtenait pas gain de cause.
[12] Par conséquent, je vais accueillir en partie la requête d’AVR et accorder un sursis à l’exécution de la décision du CRTC de révoquer les licences de radiodiffusion de CKAV-FM Toronto, de CKAV-FM-2 Vancouver, de CKAV-FM-3 Calgary et de CKAV-FM-4 Edmonton. Ce sursis s’appliquera jusqu’à ce que la demande d’autorisation d’appel soit tranchée. Si l’autorisation d’appel n’est pas accordée, le sursis prendra fin. Si l’autorisation d’appel est accordée, la Cour pourra décider si ce sursis devrait ou non se poursuivre ou si un autre sursis devrait ou non être accordé selon les conditions qui seront alors jugées appropriées.
[13] Il a également été souligné que les licences des stations de radio de Vancouver, Calgary, Edmonton et Toronto expiraient le 31 août 2015 de toute façon. Dans l’arrêt Genex Communications Inc. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2004 CAF 279, [2004] A.C.F. no 1400 (Genex), la Cour a souligné ceci :
3 Étant donné la plénitude de compétence de la Cour fédérale et sa compétence administrative générale sur les tribunaux administratifs fédéraux (Canada (CDP) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, paragraphes 35 et 36), notre Cour a compétence pour prendre des mesures provisoires pour permettre que, dans l’exercice de sa fonction de contrôle des tribunaux et des organismes administratifs, l’appel d’une partie ne soit pas rendu illusoire.
[14] Dans l’arrêt Genex, le CRTC avait refusé de renouveler une licence de radiodiffusion et la Cour avait prolongé la durée de cette licence en attendant l’issue de l’appel. En l’espèce, en révoquant les licences de radiodiffusion en cause, le CRTC a effectivement aussi refusé de les renouveler. Étant donné que la Cour a le pouvoir d’assurer le caractère véritable du droit d’appel, je conclurais également que la Cour a le pouvoir de faire en sorte que le droit de demander une autorisation d’appel ne soit pas non plus illusoire. Dans l’éventualité où la demande d’autorisation d’appel ne serait pas tranchée au 31 août 2015, les licences de radiodiffusion de ces quatre stations de radio continueront donc d’être en vigueur selon les mêmes conditions que celles qui étaient applicables à ces licences avant la décision du CRTC mentionnée au paragraphe 1 ci‑dessus, et ce, jusqu’à ce que la demande d’autorisation soit tranchée.
[15] Étant donné que la station de radio d’Ottawa ne diffuse plus et que j’ai conclu qu’AVR n’a pas satisfait au critère permettant d’obtenir un sursis à l’exécution de la décision révoquant la licence de radiodiffusion de cette station, rien ne permet d’affirmer que la durée de cette licence pourrait ou devrait être prolongée par la Cour.
[16] Dans son avis de requête, AVR a également demandé [traduction] « une ordonnance enjoignant au [CRTC] de surseoir à la mise en œuvre de l’appel de demandes visant à attribuer de nouvelles licences pour CKAV-FM Toronto, CKAV-FM-2 Vancouver, CKAV-FM3 Calgary, CKAV-FM-4 Edmonton et CKAV-FM-9 Ottawa ». Dans son mémoire des faits et du droit, AVR s’est contentée de demander, dans la partie IV – Ordonnance sollicitée, que [traduction] « sa requête en sursis d’exécution de la décision soit accordée ». Au premier paragraphe de son mémoire, AVR définit la décision comme étant la décision du CRTC de révoquer les cinq licences de radiodiffusion susmentionnées. Par conséquent, le présent sursis ne s’appliquera qu’à la décision de révoquer les licences.
[17] Les dépens de la présente requête suivront l’issue de la cause.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
Traduction certifiée conforme
Mario Lagacé, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
15-A-40
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INTITULÉ : |
ABORIGINAL VOICES RADIO INC. c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 22 JUILLET 2015
|
|
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : |
LE JUGE WEBB
|
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 23 JUILLET 2015
|
COMPARUTIONS :
Katherine Hensel Jane Stewart
|
POUR L’AppelantE
|
Sean Gaudet |
POUR L’INTIMÉ |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hensel Barristers Toronto (Ontario)
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POUR L’AppelantE
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR L’INTIMÉ
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