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Date : 20150817


Dossier : A-75-13

Référence : 2015 CAF 178

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ DE PRÉVENTION CANADIENNE POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX ET DE L’ENVIRONNEMENT

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 mai 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 août 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RYER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 


Date : 20150817


Dossier : A-75-13

Référence : 2015 CAF 178

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ DE PRÉVENTION CANADIENNE POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX ET DE L’ENVIRONNEMENT

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RYER

[1]               La Société de prévention canadienne pour la protection des animaux et de l’environnement (l’appelante) interjette appel, en vertu de l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), d’une décision du ministre du Revenu national (le ministre), datée du 22 janvier 2013 (la décision de confirmation), par laquelle il confirmait la proposition du ministre de révoquer l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance, expression définie au paragraphe 149.1(1) (une œuvre de bienfaisance). Sauf indication contraire, toutes les références à des dispositions dans les présents motifs renvoient aux dispositions correspondantes de la Loi qui étaient en vigueur à la date pertinente.

[2]               Par les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

I.                   FAITS ET PROCÉDURES

[3]               Il est nécessaire d’exposer d’une manière assez circonstanciée les faits et procédures à l’origine du présent appel, notamment la jurisprudence de notre Cour – Société de prévention canadienne pour la protection des animaux et de l’environnement c. Ministre du Revenu national, 2013 CAF 154 [Société de prévention 2013], rendu par la juge Sharlow, et Société de prévention canadienne pour la protection des animaux et de l’environnement c. Ministre du Revenu national, 2014 CAF 53 [Société de prévention 2014], rendu par le juge Mainville.

[4]               L’appelante a été constituée en 1993 en vertu de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C-32, et enregistrée la même année à titre d’œuvre de bienfaisance. À toutes les époques intéressant le présent appel, M. Michael O’Sullivan était administrateur, dirigeant et membre de l’appelante.

[5]               En 2007, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a entrepris une vérification relativement à l’année d'imposition 2006 de l’appelante. Elle y avait fait état des préoccupations suivantes :

a)      un fort pourcentage des ressources de l’appelante ne semblait pas avoir été consacré aux activités de bienfaisance pour lesquelles elle était enregistrée;

b)      les dépenses personnelles de M. O’Sullivan étaient remboursées par l’appelante;

c)      les comptes et registres de l’appelante n’opéraient nulle distinction entre les dépenses personnelles de M. O’Sullivan et les dépenses de bienfaisance de l’appelante, et ils n’établissaient pas un lien direct entre les dépenses de l’appelante et ses activités de bienfaisance.

[6]               Par lettres datées du 11 mars 2009 et du 30 juin 2009, l’ARC a fait savoir à l’appelante que ses comptes et registres étaient insuffisants en ce qu’ils ne rattachaient pas adéquatement les dépenses de bienfaisance déclarées de l’appelante à ses activités de bienfaisance et n’opéraient nulle distinction entre les dépenses personnelles de M. O’Sullivan et les dépenses de bienfaisance de l’appelante.

[7]               Ces lettres exprimaient aussi des doutes sur un important chiffre – plus de 250 000 $ – de dépenses remboursées par l’appelante à M. O’Sullivan. L’ARC a reconnu que certains de ces remboursements pouvaient découler de l’apparente impossibilité pour l’appelante d’obtenir sa propre carte de crédit, mais elle a conclu que, sur le montant mentionné ci‑dessus, environ 70 000 $ se rapportaient à des dépenses personnelles de M. O’Sullivan. La somme en question comprenait un volume appréciable de dépenses se rapportant à des repas personnels, au coût de bandes dessinées achetées par l’entremise de PayPal, à des achats de vins et spiritueux à la LCBO, à des achats de produits d’épicerie, à des billets pour des spectacles au Royaume-Uni et aux États‑Unis, ainsi qu’à des dépenses engagées par M. O’Sullivan et sa famille à Disneyland.

[8]               Ces doutes ont conduit les fonctionnaires de l’ARC à informer l’appelante que l’ARC envisageait de lui délivrer, conformément au paragraphe 168(1), un avis d’intention de révocation (l’AIR) de l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance.

[9]               Le 31 août 2009, l’appelante a présenté au ministre des observations se rapportant aux constatations faites lors de la vérification. Ces observations, qui comprennent de multiples annexes, totalisaient 845 pages. Elles étaient exhaustives et visaient à dissiper les doutes de l’ARC, mais elles faisaient néanmoins état de deux importants aveux. D’abord, l’appelante reconnaissait [traduction« qu’environ 5,64 p. 100 des dépenses totales de 2006 » avaient été qualifiées à tort de dépenses de l’appelante. Elle affirmait ensuite qu’il s’agissait là de dépenses personnelles de M. O’Sullivan qui avaient, [traduction« par mégarde », été qualifiées à tort de dépenses légitimes de l’appelante. Deuxièmement, les observations contenaient le paragraphe suivant :

[traduction]
Les listes qui suivent font état de 42 grands programmes appliqués par l’organisme en 2006. Ces listes n’englobent pas chacune des activités auxquelles l’organisme a participé en 2006. Elles rendent compte des activités qui ont mobilisé la majorité des ressources de l’organisme. Le produit de travail afférent aux 42 programmes se trouve dans la communication de l’organisme. Des dépenses directes apparaissant dans les documents comptables de l’organisme ont été recensées dans les programmes 1 à 12. Les documents comptables de l’organisme ne sont pas suffisamment circonstanciés pour permettre l’attribution de coûts directs aux programmes 13 à 42. [Non souligné dans l'original.]

Par ce paragraphe, l’appelante reconnaît que ses documents comptables ne permettaient pas d’attribuer directement ses prétendues dépenses de bienfaisance pour 30 de ses 42 grands programmes.

[10]           Tout en reconnaissant les irrégularités susmentionnées, l’appelante priait instamment l’ARC de conclure une transaction plutôt que de lui délivrer un AIR.

[11]           Après examen des thèses de l’appelante, l’ARC a recherché s’il convenait d’imposer une pénalité, conformément au paragraphe 188.1(4), au motif que l’appelante avait conféré à M. O’Sullivan un avantage injustifié, au sens du paragraphe 188.1(5) (un avantage injustifié). Par rapport recommandant l’imposition d’une pénalité, daté du début de novembre 2009, (dossier d’appel 0548), l’ARC a décidé de procéder à la révocation, plutôt qu’à l’imposition d’une sanction pécuniaire. Selon elle, le montant de l’avantage injustifié ne pouvait pas être aisément établi en raison du grand nombre de reçus se rapportant aux quelque 251 500 $ de dépenses remboursées à M. O’Sullivan par l’appelante.

[12]           Sceptique devant les arguments de l’appelante, l’ARC lui a délivré un AIR le 17 février 2010. Elle y informait l’appelante que l’on envisageait la révocation pour les raisons suivantes :

a)      l’appelante n’avait pas consacré toutes ses ressources aux activités de bienfaisance pour lesquelles elle avait été constituée;

b)      l’appelante avait conféré un avantage injustifié à un membre de son conseil d’administration;

c)      l’appelante avait incorrectement rempli une déclaration de renseignements qui devait être produite auprès du ministre; et

d)     l’appelante ne tenait pas de comptes et registres adéquats à l’appui de ses activités.

[13]           Le 14 mai 2010, l’appelante a déposé auprès de la Direction des appels de l’ARC (la Direction des appels) un avis d’opposition à l’AIR, comme l’y autorisait le paragraphe 168(4). Un recueil de documents comprenant les observations présentées par l’appelante le 31 août 2009 y était joint.

[14]           Par lettre datée du 19 avril 2012, l’avocat de l’appelante confirmait qu’une somme d’environ 22 000 $ de dépenses personnelles de M. O’Sullivan avait été [traduction« par mégarde » remboursée par l’appelante, et il faisait valoir que les bandes dessinées avaient été achetées par l’appelante à titre de [traduction« biens d’investissement ». Par sa lettre, l’avocat de l’appelante reconnaissait aussi que des erreurs de tenue des comptes avaient été commises et que, par conséquent, l’appelante avait rompu sa relation professionnelle avec le comptable auquel elle s’était fiée.

[15]           Par lettre datée du 22 janvier 2013, la Direction des appels a confirmé la décision du ministre de délivrer l’AIR (la décision de confirmation). Les motifs invoqués à l’appui de la décision de confirmation étaient les suivants :

a)      l’appelante n’avait pas prouvé qu’elle consacrait la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance;

b)      l’appelante réservait une partie de son revenu pour l’avantage personnel d’un membre de son conseil d’administration;

c)      l’appelante n’avait pas observé l’un des articles 230 à 231.5 de la Loi.

[16]           La Direction des appels a accusé réception de plusieurs paquets de documents qui visaient apparemment à démontrer que les frais remboursés à M. O’Sullivan n’étaient pas de nature personnelle. Toutefois, après examen des documents en question, la Direction des appels est demeurée d’avis qu’une partie des remboursements, à savoir au moins 69 343,81 $, n’avaient aucun rapport avec les dépenses de bienfaisance de l’appelante et qu’il s’agissait plutôt de dépenses personnelles de M. O’Sullivan. La Direction des appels a reconnu que, même s’il ressortait d’un bon nombre des documents que des coûts avaient été engagés, ces documents ne permettaient nullement d’établir qu’ils l’avaient été pour soutenir les activités de bienfaisance de l’appelante. Finalement, la Direction des appels a refusé d’admettre que les bandes dessinées étaient des « biens d’investissement », parce que les états financiers de l’appelante n’allaient pas dans le sens de affirmation.

[17]           La Direction des appels ajoutait que les sommes décaissées par l’appelante pour l’avantage personnel de M. O’Sullivan ne pouvaient pas être qualifiées de sommes employées par l’appelante pour ses activités de bienfaisance.

[18]           La Direction des appels a conclu que chacun des trois manquements relevés dans la décision de confirmation était grave et appelait la délivrance de l’AIR. La décision de confirmation ne s’appuyait pas sur un prétendu manquement de l’appelante à son obligation de produire une déclaration de renseignements convenablement remplie, comme cela avait été signalé dans l’AIR.

[19]           Le 21 février 2013, l’appelante a déposé un avis d’appel (l’avis d’appel) devant notre Cour afin d’obtenir l’annulation de la décision de confirmation. Dans l’avis d’appel, elle priait la Cour d’annuler la décision de confirmation ou, subsidiairement, de déclarer que la révocation de l’enregistrement de l’appelante en tant qu’œuvre de bienfaisance n’était pas fondée. Les moyens d’appel étaient les suivants :

a)      le ministre a commis une erreur en concluant que l’enregistrement de l’appelante devrait être révoqué au motif qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle consacrait la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance, de telle sorte qu’elle avait cessé de se conformer aux conditions prévues par la Loi pour son enregistrement;

b)      le ministre a commis une erreur en concluant que l’enregistrement de l’appelante devrait être révoqué au motif qu’elle versait une partie de son revenu à M. O’Sullivan pour son avantage personnel;

c)      si les fonds ont été employés pour un avantage personnel, cette erreur était le résultat d’une faute commise par l’administrateur, et non d’un manquement de l’appelante à son obligation de consacrer ses ressources à des activités de bienfaisance;

d)     la définition des mots « avantage injustifié », dans la Loi, et le fait de conclure à l’existence d’un tel avantage injustifié, appelle l’imposition d’une sanction pécuniaire, de sorte que la révocation n’a pas lieu d’être; et

e)      le ministre a commis une erreur en concluant que l’enregistrement de l’appelante devrait être révoqué, parce qu’elle aurait négligé de tenir ou de mettre à disposition des livres et registres adéquats, au point de justifier la révocation de son enregistrement.

[20]           Par l’avis d’appel, l’appelante a aussi formulé la requête suivante au ministre :

[traduction]

L’appelante demande au ministre de lui envoyer, ainsi qu’au greffe de la Cour, la copie certifiée conforme des documents suivants qui ne sont pas en la possession de l’appelante, mais qui sont en la possession du ministre :

1. la vérification des comptes et registres de l’appelante effectuée par l’Agence du revenu du Canada pour la période allant du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2006;

2. tout document établi ou examiné par le ministre ou par l’[ARC] relativement à la décision de délivrer l’[AIR] et de publier cet AIR dans la Gazette du Canada; et

3. tout autre document établi ou examiné par le ministre ou par l’[ARC] dans le cadre de la décision de révoquer l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance.

[21]           Après avoir déposé l’avis d’appel, l’appelante a présenté à la Cour une requête pour que soit rendue une ordonnance obligeant le ministre à produire les détails complets de l’allégation, figurant dans la décision de confirmation, selon laquelle l’appelante n’a pas observé l’un des articles 230 à 231.5, de manière à ce que l’appelante puisse déterminer quels documents devraient figurer dans le dossier d’appel. En outre, l’appelante demandait à la Cour de rendre une ordonnance contraignant le ministre, conformément au paragraphe 317(1) et à l’alinéa 318(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), à lui transmettre la copie certifiée conforme de tous les documents que la Direction des appels avait en sa possession quand elle a rendu la décision de confirmation.

[22]           Dans l’affaire Société de prévention 2013, la juge Sharlow a rejeté la requête en précisions. Ce faisant, elle concluait que les articles 317 et 318 des Règles n’exigeaient pas une attestation particulière du ministre à propos des documents que la Direction des appels avait en sa possession quand elle a rendu la décision de confirmation. Elle a aussi conclu que, même si la décision de confirmation faisait état d’un manquement de l’appelante à « l’un des articles 230 à 231.5 de la Loi », seul l’alinéa 230(2)a) était en cause. Finalement, elle a conclu que tous les documents remis par l’appelante à l’ARC au stade de la vérification, ou durant le processus de révocation et de confirmation, devaient être présumés avoir été en la possession du ministre à l’époque pertinente. À ce titre, les documents qui intéressaient les points soulevés dans l’appel devraient tous figurer dans le dossier d’appel, éliminant par le fait même tout risque de présentation d’un dossier incomplet à la Cour.

[23]           Le 19 octobre 2013, les parties ont convenu du contenu du dossier d’appel, qui totalisait 18 volumes. Les volumes 1 à 10 contiennent les documents qui ont été certifiés conformes par le ministre aux termes de l’article 318 des Règles (le dossier certifié du tribunal). Comme indiqué au paragraphe 20 des présents motifs, l’appelante a demandé la production de documents en plus de ceux constituant le dossier certifié du tribunal, et les volumes 10 à 15 contiennent donc des documents supplémentaires qui ont été produits par la Direction des appels en réponse à cette demande. Les volumes 15 à 18 contiennent les documents qui ont été fournis par l’appelante, comme le permettait la jurisprudence Société de prévention 2013.

[24]           Le 23 janvier 2014, l’appelante a déposé une requête en modification de son avis d’appel, afin d’y ajouter plusieurs nouveaux moyens, notamment le fait qu’elle n’avait pas eu droit à une audition équitable devant la Direction des appels, parce que, entre autres, la Direction des appels n’avait pas tenu compte de ses observations avant de rendre la décision de confirmation.

[25]           Dans l’affaire Société de prévention 2014, le juge Mainville a en partie fait droit à ladite requête, en autorisant l’appelante à déposer un avis d’appel modifié (l’avis d’appel modifié) faisant uniquement état des modifications suivantes :

[traduction]

a. la mesure suivante peut être ajoutée : « un jugement déclarant que l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, contrevient à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, et qu’il est donc inopérant »;

b. le moyen d’appel suivant peut être ajouté : « l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu contrevient à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, en ce qu’il n’oblige pas le ministre à remettre à l’appelante (et à la Cour d’appel fédérale) le dossier que le ministre avait en sa possession lorsque la décision concernant la révocation de l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance a été rendue dans la présente affaire, ce qui a pour effet de nier à l’appelante une audition impartiale dans le présent appel ».

[26]           Le juge Mainville a aussi conclu que la question de la « révocation pour motif » avait été discutée par la Cour à l’occasion de l’affaire Prescient Foundation c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 120, 358 D.L.R. (4th) 541 [Prescient Foundation], et cette question ne se posait pas dans l’appel dont il était saisi. Par cette jurisprudence, la Cour a jugé raisonnable la révocation « pour motif » de l’enregistrement d’une fondation de bienfaisance, selon le sens donné à ces mots par le paragraphe 149.1(1) (une fondation de bienfaisance), parce que, en concluant certaines opérations et en utilisant son exonération fiscale pour permettre à des tiers d’obtenir des avantages fiscaux, elle n’avait pas respecté la règle du paragraphe 149.1(1) selon laquelle une fondation de bienfaisance doit être administrée exclusivement aux fins de bienfaisance.

[27]           À l’appui du nouveau moyen d’appel ajouté dans son avis d’appel modifié, l’appelante a signifié le 13 mai 2014 un avis de question constitutionnelle.

II.                LES QUESTIONS EN LITIGE

A.                La formulation des points litigieux

[28]           À l’audience, l’appelante a affirmé, pour la première fois et en réponse, que le dossier certifié du tribunal était irrégulier, parce qu’il ne contenait pas un document qui faisait partie des observations qu’elle avait présentées le 31 août 2009, et qui était désigné comme annexe 2 (l’annexe 2). Comme cette prétendue irrégularité n’a été constatée qu’à l’audience, la Cour a demandé à ce que des observations écrites postérieures à l’audience soient présentées. Dans ses conclusions, l’appelante faisait valoir qu’il fallait nécessairement déduire de l’absence de l’annexe 2 dans le dossier certifié du tribunal que la Direction des appels n’avait pas tenu compte de cette partie des arguments qui lui avaient été présentés. Ainsi, de soutenir l’appelante, la Direction des appels a commis un manquement à l’équité procédurale qui oblige la Cour à accueillir l’appel.

[29]           À mon avis, il n’appartient pas à notre Cour d’examiner ce nouveau moyen, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, il n’a pas été soulevé dans l’avis d’appel, ni dans l’exposé des faits et du droit déposé par l’appelante. Le ministre n’a donc pas été à même de produire une contre‑preuve, comme il en a le droit lorsque sont soulevés des arguments touchant à l’équité procédurale. Deuxièmement, comme il est signalé au paragraphe 24 des présents motifs, le juge Mainville, dans l’affaire Société de prévention 2014, a rejeté la requête de l’appelante en vue de modifier son avis d’appel pour y inclure essentiellement le même argument. Finalement, le raisonnement préconisé par l’appelante repose sur un postulat fautif, à savoir le fait que l’annexe 2 devait figurer dans le dossier certifié du tribunal. Dans l’affaire Société de prévention 2013, la juge Sharlow a rejeté l’idée selon laquelle tous les documents que la Direction des appels avait en sa possession devaient figurer dans le dossier certifié du tribunal. L’article 317 des Règles dispose que l’office fédéral concerné transmet les documents pertinents que la partie requérante n’a pas en sa possession. Il ne fait aucun doute que l’appelante possédait une copie de l’annexe 2. La pertinence de l’annexe 2 dans le présent appel se rapporte à la question de savoir si la décision de confirmation est, ou non, raisonnable.

[30]           Je formulerais donc ainsi les points soulevés dans le présent appel :

a)      L’alinéa 172(3)a.1) oblige-t-il le ministre, dans un appel interjeté en vertu de cette disposition, à remettre le « dossier complet » à l’appelante et à la Cour?

b)      Si le ministre a conclu ou avait pu conclure que l’appelante a conféré un avantage injustifié à M. O’Sullivan, cela l’empêcherait-il de révoquer l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance?

c)      La Direction des appels a-t-elle le pouvoir de modifier le motif de révocation de l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance, en ne retenant pas le motif indiqué dans l’AIR?

d)     La décision de confirmation était-elle raisonnable?

III.             LA NORME DE CONTRÔLE

[31]           A l’occasion de l’affaire Prescient Foundation, notre Cour a jugé que, en matière d’appels formés en vertu de l’alinéa 172(3)a.1) contre la décision du ministre de révoquer l’enregistrement d’une œuvre de bienfaisance, les normes de contrôle sont les suivantes :

a)      les questions mélangées de droit et de fait commandent l’application de la norme de la décision raisonnable; et

b)      les questions de droit, y compris celles qui peuvent être d’emblée isolées des questions mélangées de droit et de fait, commandent l’application de la norme de la décision correcte.

[32]           Le point a), comme il est mentionné ci-après, apparaît pour la première fois dans l’appel. Ce point, ainsi que les points b) et c), sont des questions de droit, tandis que le point d) soulève des questions mélangés de droit et de fait.

[33]           Par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême présente la norme de la décision raisonnable comme une norme accommodante qui requiert que le processus décisionnel présente les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et que la décision appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Comme l’observait tout récemment la Cour suprême, « la décision [du ministre] doit être considérée comme raisonnable si ses conclusions appartiennent aux “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” » (Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, au paragraphe 50, [2015] A.C.S. no 382, D.L.R. (4th) 385.

IV.             DISCUSSION

A.                Les textes législatifs pertinents

[34]           Le paragraphe 168(1) énonce plusieurs motifs pouvant conduire le ministre à décider de révoquer l’enregistrement d’une œuvre de bienfaisance. Les dispositions qui intéressent le présent appel sont les alinéas 168(1)b) et e), dont voici le texte :

168. (1) Le ministre peut, par lettre recommandée, aviser une personne visée à l’un des alinéas a) à c) de la définition de « donataire reconnu » au paragraphe 149.1(1) de son intention de révoquer l’enregistrement si la personne, selon le cas :

168. (1) The Minister may, by registered mail, give notice to a person described in any of paragraphs (a) to (c) of the definition “qualified donee” in subsection 149.1(1) that the Minister proposes to revoke its registration if the person

[…]

b) cesse de se conformer aux exigences de la présente loi relatives à son enregistrement;

(b) ceases to comply with the requirements of this Act for its registration;

[…]

e) omet de se conformer à l’un des articles 230 à 231.5 ou y contrevient;

(e) fails to comply with or contravenes any of sections 230 to 231.5; or

[…]

[35]           Selon l’alinéa 168(1)b), le ministre est habilité à révoquer l’enregistrement d’une œuvre de bienfaisance si elle cesse de se conformer aux exigences de son enregistrement. Sur ce point, certaines parties de la définition de l’« œuvre de bienfaisance », à l’article 149.1, sont pertinentes. Elles sont formulées ainsi :

149.1. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et à l’article 149.2. […]

149.1. (1)  In this section and section 149.2, …

« oeuvre de bienfaisance » Est une oeuvre de bienfaisance à un moment donné l’oeuvre, constituée ou non en société :

“charitable organization”, at any particular time, means an organization, whether or not incorporated,

a) dont la totalité des ressources est consacrée à des activités de bienfaisance qu’elle mène elle-même;

(a) all the resources of which are devoted to charitable activities carried on by the organization itself,

b) dont aucune partie du revenu n’est payable à l’un de ses propriétaires, membres, actionnaires, fiduciaires ou auteurs ni ne peut servir, de quelque façon, à leur profit personnel;

(b) no part of the income of which is payable to, or is otherwise available for, the personal benefit of any proprietor, member, shareholder, trustee or settlor thereof,

[…]

[36]           L’alinéa a) de cette définition dispose qu’une œuvre est, à un moment donné, une œuvre de bienfaisance si la totalité de ses ressources est consacrée à des activités de bienfaisance qu’elle mène elle-même. L’alinéa b) dispose qu’aucune partie du revenu de l’œuvre de bienfaisance n’est payable à l’un de ses propriétaires, membres, actionnaires, fiduciaires ou auteurs ni ne peut servir, de quelque façon, à leur profit personnel.

[37]           Aux termes de l’alinéa 168(1)e), le ministre est habilité à révoquer l’enregistrement d’une œuvre de bienfaisance qui omet de se conformer à l’un des articles 230 à 231.5 ou y contrevient. Dans le présent appel, comme il est indiqué au paragraphe 5 de l’arrêt Société de prévention 2013, seule l’obligation de l’appelante énoncée à l’alinéa 230(2)a) est en cause. Voici le texte de cette disposition :

230. …

230. …

(2) Chaque donataire reconnu visé aux alinéas a) à c) de la définition de « donataire reconnu » au paragraphe 149.1(1) doit tenir des registres et des livres de comptes — à une adresse au Canada enregistrée auprès du ministre ou désignée par lui, s’il s’agit d’un donataire reconnu visé aux sous-alinéas a)(i) ou (iii) ou aux alinéas b) ou c) de cette définition — qui contiennent ce qui suit :

(2) Every qualified donee referred to in paragraphs (a) to (c) of the definition “qualified donee” in subsection 149.1(1) shall keep records and books of account — in the case of a qualified donee referred to in any of subparagraphs (a)(i) and (iii) and paragraphs (b) and (c) of that definition, at an address in Canada recorded with the Minister or designated by the Minister — containing

a) des renseignements sous une forme qui permet au ministre de déterminer s’il existe des motifs de révocation de l’enregistrement de l’organisme ou de l’association en vertu de la présente loi;

(a) information in such form as will enable the Minister to determine whether there are any grounds for the revocation of its registration under this Act;

[38]           Cette disposition oblige l’œuvre de bienfaisance à tenir des registres et des livres de compte contenant des renseignements qui permettent au ministre de rechercher s’il existe des motifs propres à justifier la révocation de l’enregistrement. Parmi ces motifs de révocation, il y a le manquement de l’œuvre de bienfaisance à ses obligations énoncées aux alinéas a) et b) de la définition d’« œuvre de bienfaisance », au paragraphe 149.1(1).

[39]           La partie V de la Loi contient des dispositions aux termes desquelles certaines taxes et pénalités peuvent être imposées à une œuvre de bienfaisance. Le paragraphe 188.1(4) autorise le ministre à imposer une pénalité à une œuvre de bienfaisance pour l’année d'imposition au cours de laquelle elle confère un avantage injustifié à certaines personnes, notamment à l’un de ses membres.

[40]           Autre élément intéressant le présent appel, il importe de signaler la définition de l’« avantage injustifié », au paragraphe 188.1(5), dont l’extrait pertinent est reproduit ci-après :

188.1

188.1

(5) Pour l’application de la présente partie, l’avantage injustifié conféré à une personne (appelée « bénéficiaire » dans la présente partie) par un organisme de bienfaisance enregistré comprend un versement effectué sous forme de don ou toute partie du revenu ou des droits, biens ou ressources de l’organisme ou de l’association qui est payée, payable ou cédée à toute personne, ou autrement mise à sa disposition pour son bénéfice personnel

(5) For the purposes of this Part, an undue benefit conferred on a person (referred to in this Part as the “beneficiary”) by a registered charity includes a disbursement by way of a gift or the amount of any part of the income, rights, property or resources of the charity or association that is paid, payable, assigned or otherwise made available for the personal benefit of any person who is a proprietor, member, shareholder, trustee or settlor of the charity or association

[…]

Il convient ici de noter que la définition de l’« organisme de bienfaisance enregistré », au paragraphe 248(1), comprend l’œuvre de bienfaisance.

[41]           Finalement, la voie de contestation d’une décision prise par le ministre est exposé au paragraphe 165(3), ainsi qu’aux alinéas 168(4)a) et 172(3)a.1) de la Loi, reproduits ci-après :

165 […]

165

(3) Sur réception de l’avis d’opposition, le ministre, avec diligence, examine de nouveau la cotisation et l’annule, la ratifie ou la modifie ou établit une nouvelle cotisation. Dès lors, il avise le contribuable de sa décision par écrit.

(3) On receipt of a notice of objection under this section, the Minister shall, with all due dispatch, reconsider the assessment and vacate, confirm or vary the assessment or reassess, and shall thereupon notify the taxpayer in writing of the Minister’s action.

[…]

168 […]

(4) Une personne peut, au plus tard le quatre-vingt-dixième jour suivant la date de mise à la poste de l’avis, signifier au ministre, par écrit et de la manière autorisée par celui-ci, un avis d’opposition exposant les motifs de l’opposition et tous les faits pertinents, et les paragraphes 165(1), (1.1) et (3) à (7) et les articles 166, 166.1 et 166.2 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, comme si l’avis était un avis de cotisation établi en vertu de l’article 152, si :

a) dans le cas d’une personne qui est ou était enregistrée à titre d’organisme de bienfaisance enregistré ou qui a présenté une demande d’enregistrement à ce titre, elle s’oppose à l’avis prévu au paragraphe (1) ou à l’un des paragraphes 149.1(2) à (4.1), (6.3), (22) et (23); […]

168

(4) A person may, on or before the day that is 90 days after the day on which the notice was mailed, serve on the Minister a written notice of objection in the manner authorized by the Minister, setting out the reasons for the objection and all the relevant facts, and the provisions of subsections 165(1), (1.1) and (3) to (7) and sections 166, 166.1 and 166.2 apply, with any modifications that the circumstances require, as if the notice were a notice of assessment made under section 152, if

(a) in the case of a person that is or was registered as a registered charity or is an applicant for such registration, it objects to a notice under any of subsections (1) and 149.1(2) to (4.1), (6.3), (22) and (23); …

[…]

172

(3) Lorsque le ministre : […]

a.1) soit confirme toute intention, décision ou désignation à l’égard de laquelle le ministre a délivré, en vertu de l’un des paragraphes 149.1(2) à (4.1), (6.3), (22) et (23) et 168(1), un avis à une personne qui est ou était enregistrée à titre d’organisme de bienfaisance enregistré ou qui a demandé l’enregistrement à ce titre, soit omet de confirmer ou d’annuler cette intention, décision ou désignation dans les 90 jours suivant la signification, par la personne en vertu du paragraphe 168(4), d’un avis d’opposition concernant cette intention, décision ou désignation;; […]

la personne, dans le cas visé aux alinéas a), a.1) ou a.2), le demandeur, dans le cas visé aux alinéas b), e) ou g), le fiduciaire du régime ou l’employeur dont les employés sont bénéficiaires du régime, dans le cas visé à l’alinéa c), le promoteur, dans le cas visé à l’alinéa e.1), l’administrateur du régime ou l’employeur qui participe au régime, dans le cas visé aux alinéas f) ou f.1), ou l’administrateur du régime, dans le cas visé aux alinéas h) ou i), peuvent interjeter appel à la Cour d’appel fédérale de cette décision ou de la signification de cet avis.

172

(3) Where the Minister …

(a.1) confirms a proposal, decision or designation in respect of which a notice was issued by the Minister to a person that is or was registered as a registered charity, or is an applicant for registration as a registered charity, under any of subsections 149.1(2) to (4.1), (6.3), (22) and (23) and 168(1), or does not confirm or vacate that proposal, decision or designation within 90 days after service of a notice of objection by the person under subsection 168(4) in respect of that proposal, decision or designation, …

the person described in paragraph (a), (a.1) or (a.2), the applicant in a case described in paragraph (b), (e) or (g), a trustee under the plan or an employer of employees who are beneficiaries under the plan, in a case described in paragraph (c), the promoter in a case described in paragraph (e.1), the administrator of the plan or an employer who participates in the plan, in a case described in paragraph (f) or (f.1), or the administrator of the plan in a case described in paragraph (h) or (i), may appeal from the Minister’s decision, or from the giving of the notice by the Minister, to the Federal Court of Appeal.

B.                 L’analyse des questions en litige

Question en litige a) L’alinéa 172(3)a.1) oblige-t-il le ministre, lors de l’appel interjeté en vertu de cette disposition, à remettre le dossier complet à l’appelante et à la Cour?

[42]           Durant l’audience, l’appelante a renoncé à défendre la thèse portant que l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi était inopérant parce qu’il est contraire à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44 (la Déclaration des droits). L’appelante a plutôt invité la Cour à interpréter et à appliquer le paragraphe 172(3) comme une disposition obligeant le ministre à [traduction« remettre le dossier complet à l’appelante et à la Cour lors de l’appel » interjeté en vertu de cette disposition. Selon l’appelante, le « dossier complet » comprend tous les documents et pièces qu’avait en sa possession la Direction des appels, ainsi que tous les documents et pièces dont la Direction des appels a effectivement tenu compte pour rendre la décision de confirmation contestée dans le présent appel. Si je comprends bien la thèse avancée par l’appelante, retenir cette interprétation aurait pour effet que seul le dossier en la possession de la Direction des appels serait attesté comme dossier sur lequel se fonderait la Cour pour examiner la décision de confirmation.

[43]           Il convient de rappeler que, selon le moyen d’appel puisé dans la Déclaration des droits et qui a été ajouté par l’avis d’appel modifié, l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi devrait être déclaré invalide au motif qu’il n’oblige pas le ministre à remettre à l’appelante « le dossier » que la Direction des appels avait en sa possession lorsqu’elle a rendu la décision de confirmation. L’appelante affirme que la conséquence de cette absence d’obligation est qu’elle ne pourra pas obtenir une audition impartiale dans le présent appel.

[44]           Après avoir renoncé à ce moyen, l’appelante a ensuite soutenu que l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits oblige la Cour à interpréter et appliquer l’alinéa 172(3)a.1) en tenant pour acquis qu’il oblige concrètement le ministre, dans le présent appel, à remettre « le dossier complet » à l’appelante et à la Cour. Si l’alinéa 172(3)a.1) n’est pas ainsi interprété et appliqué, selon la thèse remaniée de l’appelante, il lui sera impossible d’obtenir une audition impartiale devant notre Cour.

[45]           Cette volte-face étonnante de l’appelante s’explique sans aucun doute par le fait qu’elle s’est aperçue que, si elle parvenait à faire invalider l’alinéa 172(3)a.1), elle allait perdre le droit d’appel qu’elle tentait d’exercer.

[46]           L’article 2 de la Déclaration des droits dispose que toute loi du Canada doit s’interpréter de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus dans la Déclaration. L’alinéa 2e) proscrit les interprétations d’une « loi du Canada », au sens du paragraphe 5(2) de la Déclaration des droits, qui auraient pour effet de priver une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations.

[47]           Selon moi, l’alinéa 172(3)a.1) ne saurait être interprété comme le préconise l’appelante. Cet alinéa confère simplement une voie de recours contre la décision de confirmation, laquelle est une confirmation ministérielle de l’AIR. Il est totalement muet à propos de la procédure qui doit être suivie quant à l’exercice du droit d’appel qu’il confère. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de lois du Canada portant sur une telle procédure.

[48]           Les questions procédurales se rapportant aux appels interjetés devant notre Cour qui sont permis par la Loi sont visées par les Règles. Par sa thèse, l’appelante conteste essentiellement l’utilité des Règles telles qu’elles sont interprétées par la juge Sharlow dans l’arrêt Société de prévention 2013. Elle n’a pas fait appel de la décision de la juge Sharlow ni contesté d’une autre manière son bien-fondé devant nous. Retenir le thèse de l’appelante reviendrait à interpréter l’alinéa 172(3)a.1) comme s’il prévoyait implicitement le résultat procédural que la juge Sharlow a rejeté après examen des articles 317 et 318 des Règles, qui sont les dispositions procédurales directement applicables. Selon moi, il ne serait pas judicieux pour la Cour de remettre en question la décision de la juge Sharlow sous couvert de l’interprétation de l’alinéa 172(3)a.1) qu’avance l’appelante.

[49]           L’appelante invite notre Cour à intégrer à l’alinéa 172(3)a.1) une question procédurale se rapportant au contenu du dossier qui sera produit devant la Cour lors d’un appel interjeté en vertu de cet alinéa. Si cela était de circonstance, pourquoi s’arrêter là? Pourquoi ne pas se passer totalement des Règles et simplement considérer que toutes les procédures régissant un appel aux termes de l’alinéa 172(3)a.1) se trouvent dans cet alinéa? Évidemment, cela ne saurait être, et je décline l’invitation de l’appelante à considérer la chose ainsi.

[50]           Bien que l’alinéa 172(3)a.1) doive, dans la mesure du possible, s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas priver l’appelante du droit à une audition équitable conformément aux principes de justice fondamentale, interpréter l’alinéa 172(3)a.1) comme une disposition conférant un simple droit d’appel ne donne lieu en aucune manière à la privation du droit susmentionné.

[51]           L’on ne peut utilement soutenir, si l’on exclut les arguments de l’appelante sur la manière dont l’alinéa 172(3)a.1) devrait être interprété, que les appels interjetés devant la Cour aux termes de cette disposition sont dépourvus de garanties procédurales. Le droit à une audition impartiale devant la Cour est préservé par les Règles et, de manière plus générale, par les principes d’équité procédurale. On est conforté dans cette conclusion par l’ordonnance de la juge Sharlow rendre à l’occasion de l’affaire Société de prévention 2013, une ordonnance selon laquelle, compte tenu du paragraphe 343(3) des Règles, tous les documents pertinents dont le ministre a tenu compte durant le processus tout entier, depuis la vérification jusqu’à la décision de confirmation, doivent être versés au dossier d’appel.

[52]           Je conclus donc que l’interprétation de l’alinéa 172(3)a.1) proposée par l’appelante devant la Cour lors de l’audience relative au présent appel est incorrecte, et je la rejette.

Question en litige b) Si le ministre a estimé ou avait pu estimer que l’appelante a conféré un avantage injustifié à M. O’Sullivan, cela l’empêcherait-il de révoquer l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance?

[53]           Le ministre n’a pas voulu pénaliser l’appelante aux termes du paragraphe 188.1(4) après avoir constaté que les avantages personnels qu’elle avait conférés à M. O’Sullivan constituaient des avantages injustifiés.

[54]           Le mémoire du ministre contenait des références à la fois à des « avantages personnels » et à des « avantages injustifiés ». Durant l’audience, l’avocat du ministre a confirmé que, eu égard au motif connexe de révocation indiqué dans la décision de confirmation, le ministre ne soutenait pas que M. O’Sullivan avait reçu un avantage injustifié.

[55]           L’appelante soutient que ces dispositions doivent être interprétées de manière à ce que, si une somme peut constituer un avantage injustifié, alors l’unique solution qui s’offre au ministre consiste à pénaliser l’entité qui a conféré l’avantage injustifié. Autrement dit, le ministre ne soutenait délivrer un AIR dans les cas où il lui est loisible de fixer une pénalité aux termes du paragraphe 188.1(4).

[56]           En l’occurrence, l’appelante soutient qu’il était loisible au ministre de fixer une pénalité aux termes du paragraphe 188.1(4) pour la partie du revenu de l’appelante qui a été versée à M. O’Sullivan à titre d’avantages personnels. L’appelante soutient donc que le ministre était tenu de procéder de la sorte et qu’il ne pouvait envisager la révocation de l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance.

[57]           En réponse, le ministre cite l’extrait suivant d’un document de l’ARC intitulé « Sommaire de la politique de l’ARC, no CSP-U02, Avantages injustifiés » :

Un organisme de bienfaisance enregistré qui contrevient ou qui continue à contrevenir à la Loi peut [outre l’imposition d’une pénalité aux termes du paragraphe 188.1(4)] aussi voir son enregistrement révoqué.

[58]           Cet extrait ne fait rien d’autre que résumer le paragraphe 189(7), que ni l’une ni l’autre des parties n’ont invoqué devant la Cour. Cette disposition se lit comme suit :

189 (7) Sans qu’il soit porté atteinte à son pouvoir de révoquer l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance enregistré ou d’une association canadienne enregistrée de sport amateur, le ministre peut établir à l’égard d’un contribuable une cotisation concernant toute somme dont celui-ci est redevable en vertu de la présente partie.

189 (7) Without limiting the authority of the Minister to revoke the registration of a registered charity or registered Canadian amateur athletic association, the Minister may also at any time assess a taxpayer in respect of any amount that a taxpayer is liable to pay under this Part.

[59]           Comme il a été signalé précédemment, la définition de l’« organisme de bienfaisance enregistré » comprend  l’œuvre de bienfaisance. Je suis donc d’avis que le paragraphe 189(7) constitue une réponse complète aux arguments de l’appelante, arguments que je rejette.

Question en litige c) La Direction des appels a-t-elle le pouvoir de modifier le motif de révocation de l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance, en ne retenant pas le motif indiqué dans l’AIR?

[60]           Par ses observations postérieures à l’audience, l’appelante s’est apparemment désistée de son moyen d’appel fondé sur cette question d’interprétation des lois.

[61]           La réponse à cette question figure dans le texte même du paragraphe 168(4), qui confère le droit de s’opposer à un AIR. Selon cette disposition, après qu’un avis d’opposition a été signifié au ministre, plusieurs autres dispositions, notamment le paragraphe 165(3), jouent, avec les adaptations nécessaires, comme si l’AIR était un avis de cotisation établi en vertu de l’article 152.

[62]           En cas d’opposition à un AIR, selon le paragraphe 165(3) le ministre doit, avec diligence, examiner de nouveau l’AIR et l’annuler, le ratifier ou le modifier ou établir un nouvel AIR, et en informer ensuite le contribuable à qui l’AIR a été envoyé.

Question en litige d) La décision de confirmation était-elle raisonnable?

[63]           Comme il a été signalé ci-dessus, la décision de confirmation fait état de trois raisons distinctes à l’origine de la décision du ministre de révoquer l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance – le fait d’avoir versé une partie de son revenu à l’un de ses membres pour l’avantage personnel de celui-ci (alinéa 168(1)b)), le manquement à son obligation de consacrer la totalité de ses ressources à ses activités de bienfaisance (alinéa 168(1)b)), et le manquement à son obligation de tenir des livres et registres adéquats (alinéa 230(2)a)).

[64]           Pour avoir gain de cause, l’appelante doit établir qu’aucune de ces trois raisons à l’origine de la révocation de son enregistrement à titre d’œuvre de bienfaisance n’appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

(1) Versement par l’appelante d’une partie de son revenu à M. O’Sullivan pour son avantage personnel, et manquement de l’appelante à son obligation de consacrer la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance.

[65]           Puisque les deux premiers motifs de révocation se rattachent aux mêmes faits et s’appuient sur le même fondement juridique, à savoir l’alinéa 168(1)b) et l’alinéa b) de la définition d’« œuvre de bienfaisance », au paragraphe 149.1(1), je les examinerai simultanément.

[66]           L’appelante a soutenu que le ministre a commis une erreur de droit en concluant qu’il avait le pouvoir de révoquer son enregistrement parce qu’elle n’avait pas consacré la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance. Elle ajoute que le ministre a non seulement tiré des conclusions de fait déraisonnables en jugeant que les dépenses controversées n’avaient pas été engagées à des fins de bienfaisance, mais aussi qu’il a tenu compte d’éléments de preuve non-pertinents.

[67]           Tout au long du processus allant de la vérification à la décision de confirmation, l’ARC a maintenu que l’appelante avait versé des sommes à M. O’Sullivan pour son avantage personnel. L’appelante a d’ailleurs reconnu que, effectivement, une partie des quelque 251 500 $ de dépenses remboursées à M. O’Sullivan lui avait été versée à titre d’avantages personnels. Il y a eu désaccord entre les parties sur le montant réel des avantages personnels, mais l’appelante ne soutient pas que le total de ces avantages personnels était négligeable.

[68]           Je suis d’avis que, la conclusion de la Direction des appels, selon laquelle l’attribution d’avantages personnels à M. O’Sullivan constituait un grave manquement aux dispositions pertinentes de la Loi, appartenait aux issues possibles acceptables, et ce, même dans le cas où elle se fondait sur la somme la plus faible admise par l’appelante.

[69]           Le dossier fait état d’un nombre considérable de cas où M. O’Sullivan a obtenu des avantages personnels. En conséquence, je suis d’avis qu’il était loisible à la Direction des appels de rejeter l’argument de l’appelante selon lequel il s’agissait là d’incidents [traduction« malencontreux » qui faisaient de la révocation une sanction trop rigoureuse.

[70]           L’appelante a aussi soutenu que le manquement d’une œuvre de bienfaisance à son obligation de consacrer la totalité de ses ressources aux activités de bienfaisance pour lesquelles elle a été constituée, comme le requiert l’article 149.1, ne peut juridiquement valoir comme motif de révocation de son statut à titre d’œuvre de bienfaisance.

[71]           À mon avis, cette thèse n’est pas fondée vu la jurisprudence Prescient Foundation de notre Cour. Dans cette affaire, le ministre envisageait de révoquer l’enregistrement de l’organisme contribuable à titre de fondation de bienfaisance, en application de l’alinéa 168(1)b). Le motif de la révocation envisagée était le fait que, en concluant certaines « opérations liées à la vente d’une ferme » et en se servant de son exonération fiscale pour permettre à des tiers d’obtenir des avantages fiscaux, la fondation avait cessé d’exercer ses activités exclusivement à des fins de bienfaisance et ne répondait plus aux exigences de la définition de « fondation de bienfaisance ».

[72]           À mon avis, le manquement de l’appelante à son obligation de consacrer la totalité de ses ressources à ses activités de bienfaisance constituerait un manquement à son obligation de répondre aux exigences de l’alinéa a) de la définition de l’« œuvre de bienfaisance ». Un tel manquement est, d’un point de vue théorique, similaire au manquement dont il était question à dans l’affaire Prescient Foundation, c’est-à-dire le manquement de la Fondation à son obligation de répondre aux exigences de la définition de « fondation de bienfaisance ». Je conclus donc que le manquement de l’appelante à son obligation de se conformer en permanence aux exigences de l’alinéa a) de la définition d’« œuvre de bienfaisance » est un manquement du genre qui entre dans les prévisions de l’alinéa 168(1)b) et qu’il constitue une raison suffisante pour le ministre de révoquer l’enregistrement de l’appelante à titre d’œuvre de bienfaisance.

[73]           Je suis par conséquent d’avis que la décision de confirmation est raisonnable en ce qui concerne ces motifs de révocation.

(1) Manquement à l’obligation de tenir des livres et registres comme le requiert l’alinéa 230(2)a).

[74]           La première thèse de l’appelante est essentiellement fondée sur la notion d’équité procédurale selon laquelle la décision de confirmation ne se limitait pas foncièrement à une contravention du seul alinéa 230(2)a), la conséquence étant qu’elle ne connaissait pas les moyens qui lui seraient opposés pour faire annuler cette décision par notre Cour.

[75]           Cette thèse n’est pas convaincante. Le paragraphe 5 de l’arrêt Société de prévention 2013, qui a été rendu avant que l’appelante n’eut rédigé son exposé des faits et du droit, précise que le ministre « a formellement confirmé » que l’alinéa 230(2)a) est la seule disposition prise en compte dans la décision de confirmation pour ce qui concerne les livres et registres de l’appelante.

[76]           L’appelante affirme aussi que la conclusion du ministre selon laquelle il y a eu manquement à l’alinéa 230(2)a) est déraisonnable. L’alinéa 230(2)a) oblige l’appelante à tenir des registres et des livres de comptes contenant des renseignements sous une forme qui permette au ministre de déterminer s’il existe des motifs de révocation. Depuis l’achèvement de la vérification, l’ARC a toujours maintenu que les livres et registres de l’appelante ne lui permettaient pas de vérifier si elle se conformait à ses obligations selon la Loi ou s’il pouvait y avoir des motifs de révocation de son enregistrement à titre d’œuvre de bienfaisance. L’aveu de l’appelante selon lequel elle ne pouvait rattacher directement ses dépenses qu’à 12 de ses 42 programmes autorisait la Direction des appels à conclure que l’appelante n’était pas en mesure d’établir qu’elle consacrait la totalité de ses ressources aux activités de bienfaisance pour lesquelles elle avait été constituée.

[77]           Pareillement, il ressort de la confusion des dépenses personnelles de M. O’Sullivan et des dépenses de l’appelante dans les registres comptables une incapacité de l’appelante à démontrer qu’aucune partie de son revenu n’a été versée à M. O’Sullivan pour son avantage personnel. Vu ces irrégularités, il était impossible pour le ministre de vérifier si l’appelante se conformait en permanence aux conditions de son enregistrement, énoncées dans la définition de l’« œuvre de bienfaisance », au paragraphe 149.1(1).

[78]           Les thèses de l’appelante donnent l’impression que, en règle générale, tout ce que M. O’Sullivan faisait, il le faisait au nom de l’appelante, qu’il s’agisse d’aller au restaurant avec d’autres, d’y aller seul, ou d’acheter des articles à la LCBO ou dans d’autres établissements (voir par exemple les achats faits chez La Senza Girl, Usana Canada, Beaches Cinemas, HMV, Silver City, au Albert Theatre London, et Last Minute.com). Le dossier produit devant la Cour contenait des reçus PayPal pour une diversité de souvenirs, d’autres types de reçus portant une brève mention censée indiquer la prétendue nature de la dépense (par exemple « WM » pour un repas de travail [Working Meal]), et divers relevés de carte de crédit. L’appelante a soutenu que tout cela témoignait suffisamment que les dépenses engagées étaient des dépenses de bienfaisance, et, donc, démontrait qu’elle tenait des livres et registres adéquats.

[79]           Ces thèses ne m’ont pas convaincu que les registres et les livres de comptes de l’appelante répondaient aux exigences de l’alinéa 230(2)a).

[80]           Compte tenu des privilèges non négligeables qui découlent de l’enregistrement de l’organisme à titre d’œuvre de bienfaisance selon la Loi, le ministre doit être en mesure de vérifier si l’œuvre de bienfaisance conserve ou non son droit à de tels privilèges. Sur ce point, je reconnais avec le ministre que l’obligation d’une œuvre de bienfaisance de tenir des livres et registres adéquats est fondamentale.

[81]           Je suis donc d’avis que, eu égard à ce motif de révocation, la décision de confirmation est raisonnable.

V.                DISPOSITIF

[82]           Par les motifs susmentionnés, je rejetterais l’appel, avec dépens.

« C. Michael Ryer »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-75-13

INTITULÉ :

SOCIÉTÉ DE PRÉVENTION CANADIENNE POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX ET DE L’ENVIRONNEMENT c.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MAI 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RYER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Robert W Grant

Blake Bromley

 

pour L’appelante

 

Lynn M Burch

Selena Sit

 

pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gall Legge Grant & Monroe s.r.l.

BENEFIC LAW CORPORATION

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour L’appelante

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

pour l’intimée

 

 

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