Date : 20151105
Dossier : A-519-14
Référence : 2015 CAF 247
CORAM : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB LA JUGE GLEASON
|
ENTRE : |
HELEN JOHNSON, CARL SAMPSON fils, RUSSEL MATHER, TED WHITE, GERALDINE ALEXCEE, CHRIS SANKEY, CHACUN ÉTANT CONSEILLER DE LA BANDE DE LAX KW’ALAAMS, ET JOHN HELIN, ET RUDY KELLY, ALLAN HELIN père, SHARON HURDELL, SHARON HALDANE ET CHERYL TAIT AGISSANT EN TANT QUE MEMBRES DU COMITÉ D’APPEL ET D’EXAMEN DES PLAINTES |
appelants |
et |
ANDREW TAIT, LAWRENCE SANKEY, BARB HENRY, STAN DENNIS, VICTOR KELLY, ROBBIE HUGHES, CHACUN ÉTANT CONSEILLER DE LA BANDE DE LAX KW’ALAAMS, POUR LEUR PROPRE COMPTE ET POUR LE COMPTE DU CONSEIL DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS ET DES MEMBRES DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS, ET GARRY REECE, MAIRE DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS |
intimés |
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 octobre 2015.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2015.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : |
LA JUGE GLEASON |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB |
Date : 20151105
Dossier : A-519-14
Référence : 2015 CAF 247
CORAM : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB LA JUGE GLEASON
|
ENTRE : |
HELEN JOHNSON, CARL SAMPSON fils, RUSSEL MATHER, TED WHITE, GERALDINE ALEXCEE, CHRIS SANKEY, CHACUN ÉTANT CONSEILLER DE LA BANDE DE LAX KW’ALAAMS, ET JOHN HELIN, ET RUDY KELLY, ALLAN HELIN père, SHARON HURDELL, SHARON HALDANE ET CHERYL TAIT AGISSANT EN TANT QUE MEMBRES DU COMITÉ D’APPEL ET D’EXAMEN DES PLAINTES |
appelants |
et |
ANDREW TAIT, LAWRENCE SANKEY, BARB HENRY, STAN DENNIS, VICTOR KELLY, ROBBIE HUGHES, CHACUN ÉTANT CONSEILLER DE LA BANDE DE LAX KW’ALAAMS, POUR LEUR PROPRE COMPTE ET POUR LE COMPTE DU CONSEIL DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS ET DES MEMBRES DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS, ET GARRY REECE, MAIRE DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS |
intimés |
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
LA JUGE GLEASON
[1] Les appelants sont membres du conseil de la bande indienne de Lax Kw’alaams [la bande] et d’un Comité d’appel et d’examen des plaintes [le Comité d’appel] qui a pris la décision de déclarer Garry Reece inhabile à continuer d’occuper le poste de maire de la bande. Les intimés sont d’autres membres du conseil de bande qui se sont opposés à la destitution du maire, et M. Reece.
[2] Dans un jugement rendu le 20 novembre 2014, le juge Manson de la Cour fédérale a infirmé la décision destituant le maire de ses fonctions (2014 CF 1102). Son jugement était le suivant :
1. la dissolution du précédent comité d’appel par le conseil de bande était déraisonnable, contraire au Règlement électoral de la bande et invalide;
2. la procédure suivie pour la constitution du nouveau comité d’appel (qui a pris la décision contestée de destituer le maire de ses fonctions) était inéquitable et déraisonnable. Il s’ensuit que le nouveau comité d’appel n’a pas été régulièrement constitué et n’avait pas compétence pour examiner et trancher la requête du conseil de bande de destituer le maire de ses fonctions;
3. comme la constitution du nouveau comité d’appel était invalide, la décision de révoquer M. Reece du poste de maire a été annulée et la nomination du maire remplaçant a été déclarée invalide;
4. la demande, qui sollicitait plusieurs autres déclarations, a été rejetée.
[3] Les appelants interjettent appel du jugement et les intimés interjettent un appel incident visant le paragraphe 4 du jugement, demandant à ce qu’il soit modifié pour ajouter une déclaration selon laquelle la requête qui aurait autorisé le conseil de bande à déclarer le maire inhabile à continuer d’occuper son poste ou que le conseil de bande a présentée à cette fin ne respectait pas la partie 6 du Règlement électoral de la bande.
[4] Pour les motifs exposés ci‑après, j’accueillerais l’appel en partie, mais seulement pour modifier légèrement le jugement de la Cour fédérale, et j’accueillerais aussi l’appel incident. Ainsi, la décision du juge saisi de la demande, annulant la décision de déclarer M. Reece inhabile à occuper le poste de maire et déclarant la décision invalide, demeure intacte.
I. Le Règlement électoral dit Election Regulations de la bande
[5] Le 26 janvier 2011, l’arrêté intitulé Arrêté modifiant l’Arrêté sur l’élection du Conseil de bandes indiennes (Lax Kw’alaams), DORS/2011-5 a été adopté. L’arrêté visait à soustraire la bande à l’application des règles électorales prévues par la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, et à lui faire adopter un code électoral coutumier qui est exposé dans le Règlement électoral de la bande.
[6]
La partie 4 du Règlement électoral renferme
les dispositions applicables au conseil de bande. L’article 4 prévoit que
le conseil est formé du maire et de 12 conseillers. L’article 7 du
Règlement électoral prévoit que [traduction]
« le maire de Lax Kw’alaams ou un quorum du
conseil » a le pouvoir de convoquer une assemblée extraordinaire en
cas de [traduction] « situation d’urgence ou de crise qui nécessite une
prise de décisions immédiate ». L’article 9
prévoit que le quorum d’une assemblée du conseil de bande est de cinq membres
du conseil. L’article 12 énonce que les assemblées sont déclarées ouvertes
lorsqu’il y a quorum, et l’article 13 prévoit que l’ordre du jour de [traduction] « chaque
assemblée ordinaire » du conseil de bande [traduction] « sera établi
conformément à l’ouvrage intitulé Robert’s Rules of Order ».
L’article 18 définit les vacances des charges de maire ou de conseiller
comme suit :
[traduction]
18. Le poste de maire ou de conseiller peut devenir vacant si, pendant que le maire ou le conseiller occupait ses fonctions :
a. il démissionne de son poste volontairement moyennant un avis écrit;
b. il n’a pas été en mesure d’exercer les fonctions liées à sa charge pendant plus de six mois en raison d’une maladie ou d’une autre incapacité;
c. il décède;
d. il est déclaré inhabile à occuper son poste conformément à l’article 21;
[7] La partie 14 du Règlement électoral établit un comité d’appel de cinq membres qui sont choisis par le conseil de bande au moins cent jours avant une élection et dont le mandat dure quatre ans. L’article 120 du Règlement électoral prévoit que les membres du comité d’appel demeurent en fonction [traduction] « jusqu’au jour où les membres d’un autre conseil sont choisis ». Le Règlement électoral ne renferme aucune disposition sur la révocation du mandat des membres du comité d’appel avant l’expiration de ce mandat.
[8] Le comité d’appel est chargé de statuer sur les appels en matière d’élections et de rendre des décisions sur les requêtes visant la destitution du maire ou d’un conseiller. L’article 122 du Règlement électoral prévoit qu’un membre du comité d’appel qui fait partie de la [traduction] « famille immédiate » d’un [traduction] « appelant ou candidat, ou dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’il ne soit pas impartial ou à ce qu’il soit en situation de conflit d’intérêts à l’égard de l’appel » doit se retirer de la réunion visant à traiter de l’appel.
[9]
La partie 6 du Règlement électoral traite
de la destitution du maire ou des membres du conseil. Les motifs de destitution
sont énoncés à l’article 21 et comprennent l’omission de respecter les
lignes directrices du code de déontologie intitulé « Code
of Conduct ». La procédure de destitution est prévue aux
articles 22 à 29 du Règlement électoral. Les articles 22
à 25 sont essentiels aux présents appel et appel incident; c’est pourquoi
ils sont énoncés ci‑après dans leur intégralité, à savoir :
[traduction]
22. La procédure visant à faire déclarer une personne inhabile à continuer d’occuper la charge de maire ou de conseiller peut être intentée par :
a. un membre de la bande de Lax Kw’alaams qui est âgé d’au moins 18 ans et qui présente au comité d’appel et d’examen des plaintes une requête devant :
i. indiquer les motifs prévus au paragraphe 21(1) pour lesquels la destitution du maire ou d’un conseiller est demandée;
ii. présenter les éléments de preuve au soutien de la requête;
iii. comporter la signature du requérant;
iv. comporter les signatures d’au moins 25 % des membres de la bande de Lax Kw’alaams, âgés d’au moins 18 ans, qui appuient la requête;
v. faire état
du paiement de frais de dépôt non remboursables de
100,00 $.
b. une majorité des membres du conseil ayant adopté une résolution du conseil de bande et présentant une requête au comité d’appel et d’examen des plaintes devant :
i. indiquer les motifs prévus au paragraphe 21(1) pour lesquels la destitution du maire ou d’un conseiller est demandée;
ii. présenter les éléments de preuve au soutien de la résolution;
iii. comporter les signatures de tous les membres du conseil qui ont voté en faveur de la destitution.
23. Dès qu’il reçoit la requête, le comité d’appel et d’examen des plaintes doit vérifier qu’elle est conforme au paragraphe 21(1). Si la requête n’est pas conforme, le comité d’appel et d’examen des plaintes en informe le ou les requérants.
24. Si la requête est conforme au paragraphe 21(1), le comité d’appel et d’examen des plaintes doit, au choix :
a. conclure que les motifs indiqués dans la requête ne sont pas vrais et rejeter la requête;
b. tenir une audition de l’examen de la requête, laquelle doit avoir lieu dans les 20 jours à compter de la date de présentation de la requête au comité.
c. Si la requête a été rejetée en vertu de l’alinéa 24a), le comité d’appel et d’examen des plaintes en informe le ou les requérants en leur faisant parvenir une décision écrite et motivée.
d. Lorsque le comité d’appel et d’examen des plaintes décide de tenir une audition en vertu de l’alinéa 24b), le comité envoie un avis écrit de l’audition par courrier recommandé au conseil, au ou aux requérants et au membre du conseil qui est visé par la requête en destitution.
e. L’avis écrit décrit à l’alinéa 24d) doit indiquer :
i. la nature de l’audition et tout renseignement connexe;
ii la date, l’heure et le lieu de l’audition;
iii une déclaration que le ou les requérants, le membre du conseil ou le conseil qui est visé par la requête en destitution peut, à l’audition, présenter ses arguments au comité, et il peut notamment produire des documents et appeler des témoins à témoigner.
25. Le comité d’appel et d’examen des plaintes doit tenir l’audition à l’heure et à l’endroit énoncés dans l’avis remis conformément à l’article 24.
II. Les motifs de la Cour fédérale
[10] Il convient d’expliciter un peu le contexte dans lequel la Cour fédérale a rendu ses motifs.
[11] Au mois de juillet 2014, le comité d’appel de la bande ne comprenait que trois personnes, car l’un des anciens membres du comité était décédé et un autre membre avait démissionné pour des raisons de santé sans qu’il ait été remplacé. Deux des membres avaient été nommés par une résolution du conseil de bande du mois d’août 2011 pour un mandat allant du 23 novembre 2011 au 23 novembre 2015. Le troisième membre a été nommé pour remplacer un membre du comité d’appel qui avait démissionné, et son mandat devait aussi prendre fin le 23 novembre 2015.
[12] Au mois de juillet 2014, l’un des conseillers appelants, Helen Johnson, a reçu une plainte au sujet de la conduite du maire alléguant une liaison extra-conjugale avec une employée du conseil de bande. Mme Johnson a décidé de convoquer les membres du conseil de bande en assemblée extraordinaire pour examiner l’allégation et elle a demandé au secrétaire de la bande d’envoyer un courriel d’avis de convocation aux conseillers et au maire le 22 juillet 2014 les informant qu’une assemblée extraordinaire d’urgence du conseil de bande se tiendrait le jour suivant. Le maire était en déplacement le 23 juillet et il n’a pas été en mesure d’assister à l’assemblée ainsi convoquée.
[13] Mme Johnson a décidé que l’un des trois membres du comité d’appel se trouvait en situation de conflit d’intérêts, car elle était la mère de la personne qui entretenait une prétendue liaison avec le maire. Mme Johnson a téléphoné aux deux autres membres du comité d’appel le 22 juillet, sans réussir à les joindre et, par conséquent, elle a décidé qu’ils ne pouvaient pas siéger au comité d’appel pour décider de la requête en destitution du maire de ses fonctions.
[14] Le 23 juillet 2014, le conseil de bande s’est réuni et a adopté trois résolutions : la première destituant les trois membres du comité d’appel de leurs fonctions; la deuxième nommant cinq nouveaux membres du comité d’appel et la troisième suspendant le maire de ses fonctions. Les membres du comité d’appel nouvellement constitué ont assisté à l’assemblée du conseil de bande du 23 juillet 2014.
[15] Au cours de l’assemblée et en l’absence du maire, les conseillers présents ont discuté des éléments de preuve liés à la destitution du maire avec les membres du comité d’appel nouvellement constitué. Le comité d’appel a également parlé au téléphone avec le plaignant, le mari de la femme avec laquelle le maire entretenait prétendument une liaison. Les membres du comité d’appel se sont rencontrés à huis clos pendant une pause de l’assemblée du conseil de bande, et il semble qu’ils ont décidé de destituer le maire de ses fonctions. Mme Johnson a écrit au maire plus tard cette journée‑là pour l’informer de sa destitution.
[16] Le maire s’est défendu en invoquant les irrégularités procédurales qui ont eu lieu et en alléguant que sa destitution était nulle. Par la suite, Mme Johnson a décidé de convoquer une autre assemblée extraordinaire d’urgence du conseil de bande pour le 28 juillet 2014. Durant l’assemblée, six des huit conseillers du conseil de bande qui étaient présents ont voté en faveur du retrait de la résolution précédente du conseil de bande nommant les cinq nouveaux membres du comité d’appel, ont adopté une autre résolution les nommant de nouveau et une troisième résolution approuvant la présentation d’une requête au comité d’appel nouvellement constitué visant à destituer le maire de ses fonctions. Il semble, cependant, qu’aucune requête formelle n’a été signée dans la foulée de l’adoption de la troisième résolution.
[17] Le 1er août 2014, les membres du comité d’appel nouvellement constitué se sont réunis et ont discuté des questions avec les conseillers qui souhaitaient la destitution du maire de ses fonctions, en son absence, puis ils ont rencontré le maire pour recevoir sa version des faits. Le comité d’appel possédait des documents qu’il n’a pas communiqués au maire et il semble aussi qu’il ait reçu des conseils juridiques d’un avocat qui représentait les conseillers cherchant la destitution du maire.
[18] Le 6 août 2014, le comité d’appel a décidé de destituer le maire de ses fonctions et lui a écrit pour lui faire part de sa décision.
[19] En infirmant cette décision, le juge saisi de la demande a conclu que la dissolution sommaire du précédent comité d’appel et la constitution du nouveau comité d’appel étaient inéquitables et déraisonnables sur le plan procédural compte tenu de la rapidité avec laquelle ces décisions ont été prises (au paragraphe 73). En particulier, il a conclu qu’il incombait aux conseillers présents à l’assemblée du 23 juillet 2014 de faire tout en leur pouvoir pour joindre les trois membres restants du comité d’appel avant de les destituer. Il a aussi conclu que le troisième membre du comité d’appel, qui a été déclaré être en situation de conflit d’intérêts, aurait dû avoir la possibilité de réfuter l’allégation selon laquelle elle se trouvait en situation de conflit d’intérêts (au paragraphe 54).
[20] Le juge saisi de la demande a ensuite examiné la nomination des cinq nouveaux membres du comité d’appel et a conclu qu’ils n’avaient pas été sélectionnés à l’avance de manière déraisonnable et que rien n’indiquait que leur intégrité ou leur impartialité pouvait être remise en cause (aux paragraphes 55 et 73). Il a toutefois conclu que la rencontre entre les conseillers appelants et le nouveau comité d’appel le 23 juillet 2014 pour discuter de la requête et de la preuve à réunir pour qu’elle soit accueillie, en l’absence du maire Reece et à son insu, indique que la procédure suivie « n’était pas totalement indépendante et exempte de partialité » (au paragraphe 74).
[21] Le juge saisi de la demande a également conclu que le Règlement électoral devait être interprété de façon souple de manière à conférer au conseil de bande une marge de manœuvre lui permettant de remplacer les membres du comité d’appel avant l’expiration de leur mandat dans les cas appropriés (au paragraphe 51).
[22] Le juge saisi de la demande a aussi conclu que les résolutions du 28 juillet du conseil de bande avaient été adoptées comme il convient par une majorité du quorum de cinq membres du conseil, conformément à l’article 9 et à l’alinéa 22b) du Règlement électoral. En se fondant sur l’article 22 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21 et sur l’ouvrage intitulé Robert’s Rules of Order, 9e éd. (Reading, Mass.: Addison-Wesley, 1997), il a conclu que, lorsque le quorum est atteint, une décision prise par la majorité des membres présents est réputée avoir été prise par le conseil de bande. Il a ensuite conclu que l’expression [traduction] « majorité des membres du conseil » employée à l’alinéa 22b) du Règlement électoral renvoie à la majorité du quorum (aux paragraphes 58 à 60).
[23] Le juge saisi de la demande a conclu ensuite que l’omission de présenter une requête à l’appui de la résolution prise par le conseil de bande le 28 juillet 2014 et autorisant la présentation d’une requête ne viciait pas la procédure de destitution instituée contre le maire parce que la résolution indiquait le motif pour lequel la destitution était demandée, comportait les éléments de preuve au soutien des allégations ainsi que les signatures de tous les membres du conseil de bande (au paragraphe 57).
III. Questions
[24] Les appelants soutiennent que le juge saisi de la demande a commis une erreur en concluant que la dissolution du précédent comité d’appel était déraisonnable, contraire au Règlement électoral et invalide, et avancent les moyens suivants :
- la décision n’est pas conforme à ses conclusions selon lesquelles le Règlement électoral permettait la nomination de nouveaux membres du comité d’appel pendant le mandat de quatre ans;
- comme les erreurs procédurales liées à la destitution des membres du précédent comité d’appel touchaient uniquement ces membres, elles ne pouvaient pas être soulevées par le maire ni justifier l’annulation de la décision de le destituer de ses fonctions;
- il n’y avait aucun élément de preuve montrant que deux des membres du précédent comité d’appel étaient prêts à exercer leurs fonctions et, par conséquent, le juge saisi de la demande a commis une erreur en concluant que leur destitution était déraisonnable;
- la situation de conflit d’intérêts visant le troisième membre du précédent comité d’appel, qui était la mère de la personne avec laquelle le maire entretenait prétendument une liaison, était évidente; par conséquent le juge n’aurait pas dû conclure que sa destitution était déraisonnable.
[25] Les appelants affirment aussi que le juge saisi de la demande a commis une erreur en fondant sa décision sur l’iniquité alléguée, à l’égard du maire, des décisions prises le 23 juillet 2014 et il aurait dû plutôt porter son attention sur ce qui s’est passé le 28 juillet 2014, lorsque le maire était présent. Ils soutiennent aussi que le juge saisi de la demande n’a pas employé le bon critère en matière de partialité et, au lieu de vérifier que la procédure suivie « n’était pas totalement indépendante et exempte de partialité », il aurait dû se demander si les actes du comité d’appel laissaient entrevoir une crainte raisonnable de partialité.
[26] En ce qui concerne l’appel incident, les intimés soutiennent que le juge saisi de la demande a commis une erreur dans son interprétation du Règlement électoral parce que l’alinéa 22b) du Règlement électoral, s’il est interprété de manière appropriée ou raisonnable, exige qu’une majorité des membres du conseil de bande (par opposition à une simple majorité du quorum) approuve une résolution du conseil de bande déclarant la destitution du maire et exige aussi que la majorité signe une requête en faveur de la destitution avant que la question de la destitution soit soumise au comité d’appel. Les intimés soutiennent également que le juge saisi de la demande a commis une erreur en concluant que la résolution du conseil de bande du 28 juillet 2014 respectait les exigences de la requête énoncées à l’alinéa 22b) du Règlement électoral.
IV. Analyse
[27] Dans l’examen du jugement de la Cour fédérale accueillant la demande de révision judiciaire des intimés, la Cour est tenue de se mettre à la place de la Cour fédérale et de décider si cette dernière a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47.
[28] En l’espèce, le juge saisi de la demande a conclu avec raison que la norme de contrôle applicable aux décisions du conseil de bande interprétant le Règlement électoral est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Première nation de Fort McKay c. Orr, 2012 CAF 269, [2012] A.C.F. no 1353 (QL) au paragraphe 11 [Orr], la Cour a conclu que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada postérieure à sa décision dans l’arrêt Dunsmuir, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, exige l’application de la norme de la décision raisonnable aux décisions des conseils de bande interprétant leurs codes électoraux coutumiers. Cependant, comme le juge Stratas l’a indiqué dans l’arrêt Orr au paragraphe 12, la distinction entre la norme de la décision raisonnable et la norme de la décision correcte dans un tel cas est très mince; si la « décision du conseil […] ne peut se justifier par le libellé du code électoral ou toute autre source de pouvoir, on ne saurait affirmer que la décision est acceptable ou justifiable au regard du droit », et ainsi elle ne peut pas être raisonnable.
[29] En appliquant la norme de la décision raisonnable ainsi définie à l’interprétation implicite du Règlement électoral que le conseil de bande a faite en l’espèce, je serais portée à conclure que cette interprétation est déraisonnable, mais pour des raisons différentes de celles retenues par le juge saisi de la demande.
[30] À la différence du juge saisi de la demande, je ne vois aucune raison d’ajouter implicitement dans le Règlement électoral une disposition qui permet la destitution des trois membres du comité d’appel précédent en l’espèce, même s’ils ont été amplement prévenus et s’ils ont eu la possibilité de s’exprimer devant le conseil de bande avant leur destitution.
[31] Les dispositions de la partie 14 du Règlement électoral, prévoyant que les membres du comité d’appel doivent être nommés bien à l’avance d’élections et ce pour un mandat de quatre ans, nous amènent à comprendre que le comité d’appel est censé être un organe stable qui, dans toute la mesure possible, est protégé des différends sur lesquels il peut être amené à se prononcer. Il s’ensuit que le conseil de bande ne peut pas destituer de leurs fonctions les membres du comité d’appel lors d’un conflit où une partie au différend a le pouvoir de choisir les membres d’un nouveau comité d’appel. Par conséquent, l’absence d’une disposition dans le Règlement électoral prévoyant la possibilité d’une destitution des membres du comité d’appel doit être considérée comme délibérée.
[32] Ceci étant dit, lorsque des vacances surviennent au comité d’appel et en particulier si le nombre de membres descend à moins de trois, le Règlement électoral doit être interprété comme conférant au conseil de bande le pouvoir de nommer de nouveaux membres au comité d’appel pour le reste du mandat, car sans cela le comité ne serait pas en mesure de fonctionner. Lorsqu’il s’agit de décider quand il y a vacance, les dispositions des alinéas 18a) à c) du Règlement électoral, applicables aux vacances au conseil, offrent des précisions et une liste de situations où le conseil de bande pourrait raisonnablement combler un poste au sein du comité d’appel.
[33] Par conséquent, je serais portée à conclure que la décision du conseil de bande de destituer les trois membres du comité d’appel précédent était déraisonnable, car le Règlement électoral ne conférait pas au conseil de bande le pouvoir de révoquer les trois membres du comité d’appel dans un tel cas. Ceci est vrai même pour le membre dont on pensait qu’il se trouvait en situation de conflit d’intérêts. En vertu de l’article 122 du Règlement électoral, il lui incombait de décider si elle se trouvait en situation de conflit et, dans l’affirmative, de refuser de prendre part à la décision sur la destitution du maire. Ainsi, il n’appartenait pas au conseil de bande de décider de cette question.
[34] Comme la décision de destituer les membres du comité d’appel précédent sous-tend la suite des événements, je serais portée à conclure que la décision du nouveau comité d’appel de destituer le maire de ses fonctions devrait être annulée, car le conseil de bande ne disposait pas du pouvoir en vertu du Règlement électoral de destituer les trois membres du précédent comité d’appel le 23 juillet 2014. La constitution du nouveau comité d’appel était nulle et celui-ci n’avait donc pas le pouvoir de décider si le maire aurait dû être destitué de son poste.
[35] Les motifs qui précèdent sont suffisants pour décider de cet appel et il n’est pas nécessaire de trancher les autres questions soulevées par les appelants; d’ailleurs, bon nombre d’entre elles sont purement théoriques à la lumière de la conclusion concernant le manque de pouvoir du conseil de bande de destituer de leurs fonctions les trois membres du précédent comité d’appel. De plus, les parties nous ont demandé de rendre ce jugement rapidement, car les prochaines élections sont censées se tenir le 19 novembre 2015, ce qui est une raison supplémentaire pour renoncer à décider des questions purement théoriques.
[36] À titre informatif, cependant, j’aimerais indiquer que les règles suivantes doivent s’appliquer à toute procédure future de destitution du maire ou d’un conseiller de ses fonctions afin de respecter les exigences en matière d’équité procédurale :
- le maire ou le conseiller doit être informé suffisamment à l’avance de l’assemblée des membres du conseil de bande convoquée pour décider de l’opportunité de faire jouer la procédure de destitution. Cet avis doit indiquer un résumé des motifs allégués (comportant un résumé des faits pertinents) ainsi que la communication de tous les éléments de preuve pertinents à l’appui de la demande de requête en destitution;
- le maire ou le conseiller devraient avoir l’occasion de s’adresser au conseil avant que ses membres ne votent sur la question de savoir si la requête doit être autorisée;
- si le conseil de bande entend les personnes qui sont en faveur de la destitution, cela doit être fait en présence du maire ou du conseiller concerné;
- le comité d’appel doit donner au maire ou au conseiller un préavis suffisant de l’assemblée convoquée pour examiner la requête, doit communiquer au maire ou au conseiller tous les éléments de preuve qu’il examine, doit leur donner une occasion suffisante d’examiner les éléments de preuve et de les réfuter et il serait bien avisé de ne pas rencontrer les autres parties au différend en l’absence du maire ou du conseiller;
- le comité d’appel et le conseil de bande doivent fonctionner de façon indépendante l’un de l’autre et doivent tenir des réunions ou assemblées séparées;
- le comité d’appel ne devrait pas consulter l’avocat des membres du conseil de bande qui désirent destituer le maire ou un autre conseiller de ses fonctions;
- si le comité d’appel a besoin de conseils juridiques, il devrait retenir les services d’un conseiller juridique indépendant.
[37] En ce qui concerne l’appel incident, je ne suis pas d’accord avec le du juge saisi de la demande selon qui une interprétation raisonnable des exigences de l’article 22 du Règlement électoral autoriserait ce qui s’est passé en l’espèce, notamment la simple adoption d’une résolution à la simple majorité du quorum à une assemblée du conseil de bande convoquée en toute hâte pour amorcer la procédure de destitution. Une telle interprétation est contraire aux termes clairs de l’article 22 du Règlement électoral, qui exige que la résolution visant à destituer un maire de ses fonctions doive être adoptée à la majorité des membres du conseil de bande (et pas seulement à la majorité des membres présents à une assemblée) et qui exige aussi que la majorité des membres signent une requête, énonçant les motifs de la destitution sollicitée et les éléments de preuve à l’appui de la destitution et contenant les signatures de la majorité des membres du conseil de bande qui appuient la requête.
[38] En interprétant l’exigence de la majorité à l’article 22 du Règlement électoral, le juge saisi de la demande a commis une erreur en se fondant sur l’ouvrage Robert’s Rules of Order et sur la Loi d’interprétation pour justifier sa conclusion que le terme majorité s’entendait uniquement de la majorité des conseillers présents à une assemblée du conseil de bande où le quorum est atteint.
[39] En vertu de l’article 13 du Règlement électoral, l’ouvrage Robert’s Rules of Order ne s’applique qu’à l’établissement de l’ordre du jour d’une assemblée ordinaire du conseil de bande et, par conséquent, il ne s’applique pas aux assemblées extraordinaires convoquées pour décider de la question de la destitution du maire de ses fonctions.
[40] En ce qui concerne la Loi d’interprétation, il n’est pas certain qu’elle s’applique au Règlement électoral, lequel à strictement parler n’est pas un règlement fédéral. De plus, même si la Loi d’interprétation s’appliquait, elle ne permettrait pas de conclure que le terme majorité, tel qu’il est employé à l’article 22 du Règlement électoral, signifie la majorité du quorum. Le juge saisi de la demande s’est fondé sur l’alinéa 22(2)b) de la Loi d’interprétation dans son interprétation, lequel énonce ce qui suit :
tout acte accompli par la majorité des membres de l’organisme présents à une réunion, pourvu que le quorum soit atteint, vaut acte de l’organisme; |
an act or thing done by a majority of the members of the association present at a meeting, if the members present constitute a quorum, is deemed to have been done by the association; |
[41] Cette disposition définit ce qui constitue une décision (ou tout acte) d’un organisme, lequel en l’espèce était le conseil de bande. Pourtant, l’article 22 du Règlement électoral n’exige pas une décision du conseil de bande pour amorcer le processus de destitution, mais plutôt le soutien d’une majorité des conseillers du conseil de bande. Cela signifie au moins sept conseillers, ce qui est un nombre plus élevé que la majorité du quorum à l’assemblée du conseil de bande. En vertu de l’article 9 du Règlement électoral, une majorité du quorum peut être aussi peu que trois conseillers du conseil de bande. Il n’est pas raisonnable d’interpréter le Règlement électoral comme autorisant un si petit nombre de conseillers à amorcer la procédure de destitution du maire, alors que cela est contraire aux termes clairs de l’article 22 du Règlement électoral et pourrait déstabiliser de façon importante la gouvernance de la bande. Par conséquent, le terme majorité tel qu’il est employé à l’article 22 du Règlement électoral doit être interprété comme signifiant une majorité des conseillers du conseil de bande.
[42] Dans le même ordre d’idées, l’énoncé clair de l’article 22 du Règlement électoral exige à la fois une résolution du conseil de bande et une requête pour amorcer la procédure de destitution, et une telle exigence n’est absolument pas ambiguë.
[43] De plus, la résolution du conseil de bande du 28 juillet 2014 ne pouvait pas raisonnablement être considérée comme une requête, contrairement à ce que le juge saisi de la demande a conclu, car elle n’indiquait pas les éléments de preuve retenus à l’encontre du maire.
[44] Ainsi, j’accueillerais l’appel en partie, j’accueillerais l’appel incident et je modifierais le jugement de la Cour fédérale de façon à ce qu’il se lise comme suit :
LA COUR STATUE que :
1. La dissolution du précédent comité d’appel était déraisonnable, contraire au règlement électoral et invalide;
2. Le conseil de bande n’avait par conséquent pas le pouvoir de nommer le nouveau comité d’appel.
3. Comme la constitution du nouveau comité d’appel était invalide, la décision de révoquer Garry Reece du poste de maire est annulée et la nomination de John Helin est invalide. Garry Reece demeure maire.
4. La résolution du conseil de bande du 28 juillet 2014 demandant la destitution du maire ne respectait pas l’article 22 du Règlement électoral et elle est invalide.
5. La demande est par ailleurs rejetée.
[45] Étant donné que les intimés ont gain de cause dans le cadre de cet appel et de l’appel incident, je leur accorderais leurs dépens de l’appel, de l’appel incident et de l’action devant la Cour fédérale, calculés à l’échelon moyen de la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106.
« Mary J.L. Gleason »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Johanne Gauthier, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Wyman W. Webb, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme.
Mario Lagacé, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
A-519-14 |
INTITULÉ : |
HELEN JOHNSON, CARL SAMPSON fils, RUSSEL MATHER, TED WHITE, GERALDINE ALEXCEE, CHRIS SANKEY, CHACUN ÉTANT CONSEILLER DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS, ET JOHN HELIN, ET RUDY KELLY, ALLAN HELIN père, SHARON HURDELL, SHARON HALDANE ET CHERYL TAIT AGISSANT EN TANT QUE MEMBRES DU COMITÉ D’APPEL ET D’EXAMEN DES PLAINTES c. ANDREW TAIT, LAWRENCE SANKEY, BARB HENRY, STAN DENNIS, VICTOR KELLY, ROBBIE HUGHES, CHACUN ÉTANT CONSEILLER DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS, AGISSANT POUR LEUR PROPRE COMPTE ET POUR LE COMPTE DU CONSEIL DE BANDE DE LAX KW'ALAAMS ET DES MEMBRES DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS, ET GARRY REECE, MAIRE DE LA BANDE DE LAX KW'ALAAMS
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 26 OCTOBRE 2015
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LA JUGE GLEASON
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Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB
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DATE DES MOTIFS : |
LE 5 NOVEMBRE 2015
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COMPARUTIONS :
Stephen Schachter Kevin Loo
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POUR LES APPELANTS
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Gregory McDade Michelle Bradley
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POUR LES INTIMÉS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathanson, Schachter & Thompson LLP Avocats Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LES APPELANTS
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Ratcliff & Company Avocats Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LES INTIMÉS
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