Date : 20151030
Dossier : A-125-14
Référence : 2015 CAF 236
CORAM : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB LE JUGE NEAR
|
ENTRE : |
SA MAJESTÉ LA REINE |
appelante |
et |
FIO CORPORATION |
intimée |
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 avril 2015.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2015.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : |
LE JUGE WEBB |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE NEAR |
Date : 20151030
Dossier : A-125-14
Référence : 2015 CAF 236
CORAM : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE WEBB LE JUGE NEAR
|
ENTRE : |
SA MAJESTÉ LA REINE |
appelante |
et |
FIO CORPORATION |
intimée |
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE WEBB
[1] La question dans le présent appel est de savoir si la règle de l'engagement implicite s'applique aux faits de la présente affaire. Le juge D'Arcy de la Cour canadienne de l'impôt a rendu une ordonnance le 20 février 2014 (2014 CCI 58). Cette ordonnance interdisait à la Couronne d'utiliser certains documents remis par Fio Corporation, lorsqu'elle a interjeté appel à la Cour canadienne de l'impôt, dans toute autre instance. Des dépens de 25 000 $ ont aussi été adjugés à Fio Corporation, et la Couronne s'est vu accorder un délai de 30 jours pour déposer une demande d'autorisation d'utiliser les documents dans une autre instance.
[2] La Couronne a interjeté appel de cette ordonnance. Pour les motifs exposés ci-après, j'accueillerais le présent appel.
Le contexte
[3] En 2007 et 2008, Fio Corporation mettait au point [TRADUCTION] « un instrument de diagnostic médical portable [...] pouvant analyser un échantillon de sang humain et dépister plusieurs maladies humaines » (affidavit du 17 avril 2013 de Stephen Petes, dirigeant principal de l'information de Fio Corporation).
[4] Lorsqu'elle a produit ses déclarations de revenus pour les années 2007 et 2008, conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), Fio Corporation a réclamé des crédits d'impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental (les crédits RSDE). En 2009, l'Agence du revenu du Canada (l'ARC) a procédé à la vérification de ces réclamations. Plus précisément, le 2 octobre 2009, Gary Kakis, vérificateur scientifique, et Amir Giga, vérificateur financier, se sont présentés aux bureaux de Fio Corporation. Stephen Petes a confirmé qu'un certain nombre de documents ont été fournis aux vérificateurs de l'ARC.
[5] Par voie d'avis de nouvelle cotisation du 2 mars 2011 et du 11 mars 2011, le ministre du Revenu national (le ministre) a établi à l'endroit de Fio Corporation de nouvelles cotisations à l'égard des crédits pour RSDE réclamés pour les années 2007 et 2008. Fio Corporation a signifié des avis d'opposition à ces nouvelles cotisations. Le 12 avril 2012, Fio Corporation a déposé un avis d'appel à la Cour canadienne de l'impôt sans d'abord avoir reçu une réponse du ministre à l'égard des avis d'opposition. Tout en déposant son avis d'appel, Fio Corporation a transmis au ministère de la Justice une liste de documents en application de l'article 81 (communication partielle) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les Règles) et des copies des documents qui apparaissaient sur cette liste. Le juge de la Cour de l'impôt a qualifié les documents envoyés au ministère de la Justice le 12 avril 2012 de « documents communiqués lors de l'enquête préalable ». Par souci de commodité, j'utiliserai le même terme pour désigner ces documents.
[6] Le ministère de la Justice a transmis les documents communiqués lors de l'enquête préalable au ministre. Après examen de ces documents, de nouvelles cotisations supplémentaires ont été établies en octobre 2012 pour les années 2007 et 2008 afin de réduire les crédits pour RSDE pour ces années. En 2013, après l'établissement de ces nouvelles cotisations, Fio Corporation a présenté à la Cour canadienne de l'impôt la requête qui fait l'objet du présent appel. La requête visait à obtenir une ordonnance annulant les nouvelles cotisations établies en octobre 2012 au motif que l'établissement de ces nouvelles cotisations constituait [TRADUCTION] « une violation de la règle de l'engagement implicite et un outrage à la Cour » (paragraphe 7 de l'avis de requête de Fio Corporation).
La décision de la Cour de l'impôt
[7] Au paragraphe 15 de ses motifs, le juge de la Cour de l'impôt a formulé la conclusion de fait suivante :
[15] Les avocates de l'intimée ont admis que le ministre avait fondé les secondes nouvelles cotisations, en partie du moins, sur des documents que l'intimée avait obtenus pour la première fois lors d'un interrogatoire préalable au procès; il s'agissait, plus précisément, de documents qui étaient inclus dans la liste de documents de l'appelante et qui avaient été fournis aux avocates de l'intimée le 12 avril 2012 (les « documents communiqués lors de l'enquête préalable »).
(Non souligné dans l'original; renvoi omis.)
[8] Le juge de la Cour de l'impôt a ensuite renvoyé à certains passages de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Juman c. Doucette, 2008 CSC 8, [2008] 1 R.C.S. 157 (Juman). Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que l'appel de Fio Corporation a commencé au moment où elle a déposé son avis d'appel, et que puisque les avocates de la Couronne avaient obtenu les documents communiqués lors de l'enquête préalable « dans le cadre de l'interrogatoire préalable » (paragraphes 40 et 50 de ses motifs), la règle de l'engagement implicite s'appliquait. Le juge de la Cour de l'impôt a aussi conclu que les nouvelles cotisations établies en octobre 2012 « donnent lieu à un nouveau litige ».
[9] Toutefois, après avoir rendu ces conclusions, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas fait droit à la demande de Fio Corporation d'annuler les nouvelles cotisations établies en octobre 2012, rendant plutôt l'ordonnance suivante :
Conformément aux motifs de l'ordonnance ci-joints :
a) la Cour ordonne à [la Couronne] de n'utiliser dans le cadre d'une autre instance devant la Cour ou tout autre tribunal aucun des documents qu'elle a obtenus dans le cadre de l'interrogatoire préalable lié à l'appel que [Fio Corporation] a interjeté le 12 avril 2012. L'ordonnance de la Cour ne s'applique à aucun des documents que l'Agence du revenu du Canada a obtenus avant la date à laquelle [Fio Corporation] a interjeté appel;
b) des dépens s'élevant à 25 000 $ sont adjugés à [Fio Corporation];
c) [la Couronne] disposera d'un délai de 30 jours pour déposer auprès de la Cour une demande d'autorisation d'utiliser les documents pertinents dans le cadre d'une autre instance.
Les normes de contrôle
[10] Les normes de contrôle sont celles énoncées dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Decor Grates Inc. c. Imperial Manufacturing Group Inc., 2015 CAF 100, [2016] 1 R.C.F. 246). Dans Housen c. Nikolaisen, la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle pour les appels des décisions rendues par les cours d'instance inférieure sur des questions de droit est celle de la décision correcte. Les conclusions de fait (y compris les inférences de fait) seront maintenues à moins qu'il ne soit établi que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur manifeste et dominante. Pour ce qui est des questions mixtes de fait et de droit, la norme de la décision correcte s'appliquera à toute question de droit isolable; sinon, la norme de l'erreur manifeste et dominante s'appliquera. Une erreur est manifeste si elle est facilement décelable, et elle est dominante si elle a pour effet de changer l'issue de la cause.
La question à trancher
[11] La question à trancher dans le présent appel consiste à déterminer, selon les faits de l'espèce, si la règle de l'engagement implicite s'appliquait aux documents communiqués lors de l'enquête préalable.
La règle de l'engagement implicite
[12] Il n'y a pas de règle d'engagement implicite dans les Règles. Toutefois, il n'est pas contesté dans le présent appel que la règle de l'engagement implicite s'applique aux parties devant la Cour canadienne de l'impôt. Afin de déterminer si la règle s'applique aux documents communiqués lors de l'enquête préalable en l'espèce, il est nécessaire d'examiner cette règle.
[13] Dans l'arrêt Juman, la question à trancher consistait à déterminer si une activité criminelle présumée divulguée au cours d'une procédure civile pouvait être communiquée à la police. Le juge Binnie, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a mentionné au paragraphe 1 ce qui suit :
Le principal point en litige en l'espèce concerne la portée de la « règle de l'engagement implicite » selon laquelle les éléments de preuve obtenus par contrainte d'une partie à une instance civile lors de l'enquête préalable ne peuvent être utilisés par les parties à d'autres fins que celles de l'instance au cours de laquelle ils ont été recueillis. [...]
[14] La règle de l'engagement implicite s'applique à la preuve (ce qui comprend les documents) que l'une des parties à un litige civil est contrainte de révéler pendant ce litige. Le juge Binnie a insisté à plusieurs reprises sur l'exigence que la communication de la preuve soit obtenue par contrainte lors d'un litige (voir, par exemple, les paragraphes 4, 5, 24, 25 et 27). Cette exigence est conforme à la justification de la règle énoncée aux paragraphes 23 à 27 de l'arrêt Juman :
[23] Hormis les cas de préjudice exceptionnel, comme dans les litiges en matière de secrets commerciaux ou de propriété intellectuelle, où les ordonnances expresses de confidentialité sont courantes, il y a de bonnes raisons de reconnaître l'existence d'un engagement implicite (ou, en réalité, d'un engagement d'origine judiciaire).
[24] Premièrement, l'enquête préalable est une atteinte au droit de garder pour soi ses pensées et ses documents, aussi embarrassants, diffamatoires ou scandaleux soient-ils. Dans chaque poursuite, au moins une partie est réticente. Or, l'étape de l'enquête préalable est essentielle pour éviter les surprises ou les « litiges par guet‑apens », pour encourager les règlements une fois les faits connus et pour circonscrire les questions en litige même lorsqu'un règlement s'avère impossible. Ainsi, la règle 27(22) des Rules of Court de la Colombie‑Britannique oblige une partie à un litige à répondre à toutes les questions pertinentes posées lors de l'interrogatoire préalable. Le refus est sanctionné par l'emprisonnement ou une amende en application des règles 56(1), 56(4) et 2(5). Dans certaines provinces, selon les règles de pratique, les personnes qui ne sont même pas parties au litige peuvent se voir ordonner de se soumettre à l'interrogatoire préalable au sujet de questions qui sont pertinentes pour le litige, mais dans lesquelles elles n'ont aucun intérêt direct. Il n'est pas rare que l'avocat du demandeur poursuive vigoureusement « tout ce qui bouge », non pas dans l'espoir réaliste d'une indemnisation, mais pour avoir droit à l'interrogatoire préalable. Ainsi, contre le paiement des menus frais exigés pour le dépôt d'une déclaration ou autre procédure, la partie demanderesse a accès à un flot de renseignements privés et peut-être de documents hautement confidentiels de la personne interrogée, sur la base d'allégations, qui en fin de compte peuvent se révéler complètement dénuées de fondement.
[25] Dans une action civile, l'intérêt qu'a le public à découvrir la vérité l'emporte sur le droit de la personne interrogée à sa vie privée, lequel mérite néanmoins une certaine protection. La loi n'oblige à fournir des réponses et à produire des documents que pour l'action civile, et elle exige donc que l'atteinte à la vie privée se limite généralement à la mesure nécessaire à ces fins. Même si la présente affaire soulève la question de l'auto-incrimination de l'appelante, il ne s'agit pas d'une condition préalable à la protection. En fait, il n'est même pas nécessaire que les renseignements divulgués satisfassent aux exigences légales de confidentialité énoncées dans Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254. L'idée générale est que, métaphoriquement, tout ce qui est divulgué dans la pièce où se déroule l'interrogatoire préalable reste dans cette pièce, sauf si cela est finalement révélé en salle d'audience ou révélé par suite d'une ordonnance judiciaire.
[26] Une deuxième raison justifie l'existence d'un engagement implicite. La partie qui a une certaine assurance que les documents et les réponses qu'elle fournit ne seront pas utilisés à des fins connexes ou ultérieures à l'instance où ils sont exigés sera incitée à donner des renseignements plus exhaustifs et honnêtes. Cela est particulièrement intéressant à une époque où la production de documents est d'une envergure telle (« litige par avalanche ») qu'elle empêche, bien souvent, les particuliers ou les entreprises devant produire les documents de procéder à une présélection approfondie. Voir Kyuquot Logging Ltd. c. British Columbia Forest Products Ltd. (1986), 5 B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.), le juge Esson, dissident, p. 10‑11.
[27] À juste titre donc, la loi impose aux parties à un litige civil un engagement envers la cour de ne pas utiliser les documents ou les réponses pour toute autre fin que la recherche de la justice dans l'instance civile au cours de laquelle ils ont été obtenus (que ces documents ou réponses aient été ou non à l'origine confidentiels ou incriminants). [...]
[15] Les raisons de cette règle ne s'appliquent que si la preuve en question est communiquée pendant le litige et que si la communication de la preuve est obligatoire. Si la preuve a préalablement été divulguée, la divulgation de la preuve lors de l'enquête préalable ne porte pas atteinte à la vie privée. Toute atteinte à la vie privée se sera déjà produite, lorsque la preuve a été divulguée la première fois. Si la preuve a été communiquée préalablement, il n'y a pas lieu d'inciter la partie à « donner des renseignements plus exhaustifs et honnêtes ». De plus, si la communication de la preuve est faite de manière volontaire et que la personne n'est pas contrainte d'en faire la divulgation, les préoccupations relatives à l'atteinte à la vie privée sont réduites, puisque la personne a choisi de faire la divulgation en question. L'absence de contrainte réduirait également la probabilité que des renseignements plus exhaustifs et honnêtes soient donnés, puisque la personne peut choisir ce qu'elle communique et ce qu'elle garde secret.
[16] Par conséquent, je suis d'avis que, pour ce qui est des appels devant la Cour canadienne de l'impôt, la règle de l'engagement implicite ne s'applique pas à :
(a) toute preuve ayant été produite avant le début de l'instance devant la Cour canadienne de l'impôt;
(b) toute preuve produite pendant une telle instance par une partie qui n'a pas été contrainte de la produire pendant l'instance.
Analyse
[17] Il faut d'abord se demander si les documents communiqués lors de l'enquête préalable avaient déjà été remis au ministre. Je suis d'avis que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les documents communiqués lors de l'enquête préalable avaient été remis au ministre la première fois à la suite de la livraison de ces documents au ministère de la Justice le 12 avril 2012 ou vers cette date. Comme je l'ai mentionné ci‑dessus, le juge de la Cour de l'impôt est parvenu à cette conclusion au paragraphe 15 de ses motifs. Dans la note de bas de page de ce paragraphe, il renvoie aux pages 85 et 97 de la transcription de l'audience pour étayer cette conclusion.
[18] Toutefois, la page 85 de la transcription démontre que l'avocate de la Couronne a formulé les observations suivantes :
[TRADUCTION]
Me Linden : [...] Stephen Petes, l'auteur de l'affidavit de l'appelante, a admis dans l'affidavit et en contre‑interrogatoire — ceci est très important. Mon collègue n'a pas mentionné ce fait, et à notre avis, il s'agit du fait essentiel — que les documents visés — ce sont, en fait, non seulement les quatre documents, mais les sept volumes que constitue la preuve — avaient déjà été fournis au vérificateur en 2009.
On peut le constater au paragraphe 31 de l'affidavit de M. Petes. Il se trouve à l'onglet C du dossier de requête de l'appelante.
« Les 314 documents qui ont été divulgués en notre nom lors de l'appel à la Cour de l'impôt ont été fournis à M. Kakis, le vérificateur scientifique, et à M. Giga, le vérificateur financier, au cours de la vérification de 2009 et de 2010. »
Je l'ai interrogé à ce sujet au cours de son contre-interrogatoire. Vous avez la transcription. J'ai commencé à aborder ce sujet à la question 205, mais je pense qu'on peut trouver une question et une réponse plus claires à la question 243 de l'interrogatoire.
Voici ma question :
« Si j'ai bien compris, selon votre témoignage, tous les documents de la liste de documents selon la communication partielle, les trois ensembles — »
Les trois ensembles — c'est seulement le premier ensemble, qui compte les 261 documents, qui comprend les quatre documents qui sont pertinents.
« — dont l'ensemble le plus important, qui a été envoyé avant l'avis d'appel, qui a reçu un numéro — »
J'aurais dû dire « qui n'a pas encore reçu un numéro de dossier ».
« — qui étaient dans ces sept volumes, selon votre affidavit, ont été divulgués pour votre compte, et ont tous été fournis à M. Kakis, le vérificateur scientifique, et à M. Giga, le vérificateur financier. Donc, tous ces registres de la contribuable ont été fournis aux deux vérificateurs, les vérificateurs scientifique et financier. »
Et la réponse est : « Et bien plus encore. »
[19] Ces observations ne signifient pas que le ministre reconnaît avoir obtenu les documents communiqués lors de l'enquête préalable la première fois lorsque Fio Corporation a remis ces documents le 12 avril 2012. Il s'agit d'observations détaillées, renvoyant à l'affidavit de Stephen Petes qui a été déposé par Fio Corporation à l'appui de sa requête, et aussi à la transcription de son contre-interrogatoire qui confirme que les documents communiqués lors de l'enquête préalable avaient déjà été mis à la disposition de l'ARC, qui agissait au nom du ministre.
[20] Le juge de la Cour de l'impôt a aussi renvoyé à la page 97 de la transcription de l'audience. Toutefois, la seule déclaration pertinente à cette page est la confirmation du juge de la Cour de l'impôt selon laquelle les nouvelles cotisations établies en octobre 2012 étaient fondées sur les documents inclus parmi les documents communiqués lors de l'enquête préalable. Rien n'indique que l'avocate de la Couronne ait retiré ses observations selon lesquelles ces documents avaient été préalablement remis aux vérificateurs de l'ARC. Après les déclarations apparaissant à la page 97 de la transcription de l'audience, l'avocate de la Couronne, dans les observations apparaissant à la page 127 de la transcription, a répété que [TRADUCTION] « de l'aveu même de l'appelante, les documents ont été fournis aux vérificateurs de l'ARC en 2009, bien avant toute obligation de le faire selon les règles concernant la communication préalable dans un appel en matière d'impôt, et sans lien avec cette communication ».
[21] Par conséquent, rien ne permettait au juge de la Cour de l'impôt de conclure que les documents communiqués lors de l'enquête préalable avaient été remis au ministre la première fois après le 12 avril 2012; la preuve déposée à l'audience de la Cour de l'impôt (que Fio Corporation n'a pas contestée dans le présent appel) indique que tous les documents communiqués lors de l'enquête préalable avaient déjà été fournis aux vérificateurs de l'ARC en 2009 et en 2010. Même si les vérificateurs de l'ARC peuvent ne pas avoir saisi l'importance de certains de ces documents, notamment les quatre documents sur lesquels sont fondées les nouvelles cotisations d'octobre 2012, cela ne change rien au fait que ces documents leur avaient été fournis avant le début de l'appel à la Cour canadienne de l'impôt.
[22] L'erreur que le juge de la Cour de l'impôt a commise en concluant que les documents avaient été communiqués la première fois en avril 2012 est une erreur manifeste et dominante. La preuve n'étaye pas cette conclusion, et cette conclusion a un effet direct sur l'issue de la cause. Puisque, selon la preuve présentée, les documents avaient été communiqués aux vérificateurs de l'ARC en 2009, la règle de l'engagement implicite ne s'applique pas aux documents communiqués lors de l'enquête préalable.
[23] Le juge de la Cour de l'impôt a aussi formulé des commentaires supplémentaires à l'égard de l'article 241 de la Loi qui, a‑t‑il fait remarquer, n'étaient pas nécessaires en l'espèce. À son avis, Fio Corporation a été contrainte de divulguer les documents communiqués lors de l'enquête préalable en vertu des Règles.
[24] En l'espèce, Fio Corporation a fourni les documents communiqués lors de l'enquête préalable conformément à l'article 81 des Règles (communication partielle). Puisque j'estime que les documents communiqués lors de l'enquête préalable avaient été préalablement fournis à l'ARC, il n'est pas nécessaire, dans le présent appel, de déterminer si les documents divulgués en application de l'article 81 des Règles sont des documents que la contribuable était contrainte de divulguer. Il n'est pas non plus nécessaire de déterminer si les nouvelles cotisations établies en octobre 2012 ont donné lieu à un nouveau litige. Par conséquent, je renverrais ces questions à un autre appel où il faudrait rendre des décisions à ces égards. Mes propos ne constituent pas une confirmation des conclusions du juge de la Cour de l'impôt à l'égard de ces questions.
[25] Fio Corporation a aussi présenté des observations à l'égard des rôles différents du ministre et de la Couronne dans l'établissement des cotisations en application de la Loi et dans les appels en matière fiscale. À la lumière de ma conclusion selon laquelle la règle de l'engagement implicite ne s'applique pas aux documents communiqués lors de l'enquête préalable, il n'est pas nécessaire d'examiner ces observations. Toutefois, puisque l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt concerne les nouvelles cotisations établies par le ministre, je suis d'avis qu'il était convenable que le ministère de la Justice transmette les documents communiqués lors de l'enquête préalable à l'ARC, qui agit au nom du ministre dans l'application de la Loi. Ce faisant, le ministère de la Justice a tout simplement envoyé à l'ARC des documents qui avaient déjà été fournis aux vérificateurs de l'ARC qui passaient en revue les crédits pour RSDE réclamés par Fio Corporation en application de la Loi.
Conclusion
[26] L'ordonnance de la Cour de l'impôt indiquait qu'elle ne s'appliquait pas aux documents que l'ARC avait obtenus avant la date à laquelle Fio Corporation avait interjeté son appel. Puisque les documents communiqués lors de l'enquête préalable ont été fournis à l'ARC avant que Fio Corporation interjette son appel, il semblerait que l'ordonnance ne s'applique pas à ces documents. À la lecture des motifs, et des autres parties de l'ordonnance adjugeant les dépens de 25 000 $ à Fio Corporation et accordant à la Couronne « un délai de 30 jours pour déposer auprès de la Cour une demande d'autorisation d'utiliser les documents pertinents dans le cadre d'une autre instance », il est clair que la première partie de l'ordonnance du juge de la Cour de l'impôt visait à ce que l'interdiction d'utiliser les documents s'applique aux documents communiqués lors de l'enquête préalable. Pour dissiper tout doute, j'annulerais l'ordonnance de la Cour de l'impôt.
[27] Par conséquent, j'accueillerais l'appel, avec dépens, j'annulerais l'ordonnance de la Cour canadienne de l'impôt et je rejetterais la requête de Fio Corporation en vue d'obtenir une ordonnance annulant les nouvelles cotisations établies en octobre 2012, avec dépens à la Cour canadienne de l'impôt.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
« Je souscris à ces motifs.
Johanne Gauthier, j.c.a. »
« Je souscris à ces motifs.
D.G. Near, j.c.a. »
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
APPEL D'UNE ORDONNANCE RENDUE LE 20 FÉVRIER 2014 PAR LE JUGE STEVEN K. D'ARCY DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT, DOSSIER NO 2012‑1452(IT)G
DOSSIER : |
A‑125-14
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INTITULÉ : |
SA MAJESTÉ LA REINE c. FIO CORPORATION
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LIEU DE L'AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L'AUDIENCE : |
Le 30 avril 2015
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|
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE GAUTHIER LE JUGE NEAR
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Date DES MOTIFS : |
LE 30 OCTOBRE 2015
|
COMPARUTIONS :
Wendy Linden Toronto (Ontario)
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POUR L'APPELANTE
|
A. Christina Tari Toronto (Ontario)
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POUR L'INTIMÉE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada
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POUR L'APPELANTE
|
Richler & Tari Toronto (Ontario) |
POUR L'INTIMÉE
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