Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151113


Dossier : A-396-14

Référence : 2015 CAF 253

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

CATHAY PACIFIC AIRWAYS LIMITED

appelante

et

AIR MILES INTERNATIONAL TRADING B.V.

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20151113


Dossier : A-396-14

Référence : 2015 CAF 253

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

CATHAY PACIFIC AIRWAYS LIMITED

appelante

et

AIR MILES INTERNATIONAL TRADING B.V.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               Il s'agit d'un appel d'une décision du juge O'Reilly de la Cour fédérale, qui a annulé la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) dont la référence est 2012 COMC 80 (la décision), et qui a renvoyé l'affaire à la Commission pour qu'une formation différente statue à nouveau sur l'affaire. La décision de la Cour fédérale a la référence 2014 CF 549 (les motifs).

[2]               Requérante à la Commission et appelante à notre Cour, Cathay Pacific Airways Limited (Cathay Pacific) souhaitait enregistrer cinq marques de commerce, dont l'une est les mots servant de marque « ASIA MILES » et les quatre autres sont des dessins‑marques incorporant les mots servant de marque.

[3]               Air Miles International Trading B.V. (Air Miles) s'opposait à l'enregistrement des marques pour treize motifs, y compris l'inobservation des exigences prévues à l'article 30 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), le non‑emploi des marques au Canada (articles 4 et 50 de la Loi) et un ensemble de motifs qui ont trait au caractère distinctif et à la probabilité de confusion (articles 12, 16 et 18 de la Loi).

[4]               La Commission a examiné la preuve de l'emploi des marques au Canada et, en particulier, la question de savoir si l'emploi des marques au Canada profite à Cathay Pacific, puisque, selon la preuve, ces marques sont employées par une filiale en propriété exclusive de celle‑ci (Cathay Pacific Loyalty Management (CPLP)). La question que la Commission devait trancher était celle de savoir si, selon les termes de l'article 50 de la Loi, Cathay Pacific « contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services ». Le cas échéant, l'emploi des marques profite à Cathay Pacific; dans la négative, la demande d'enregistrement devait se fonder sur un critère autre que l'emploi des marques au Canada par la requérante.

[5]               La Commission a examiné la preuve et a conclu comme suit :

[...] Eu égard à l'absence de spécificité de la preuve par affidavit de Mme Poon, à l'incapacité de Mme Poon, en contre‑interrogatoire, de s'exprimer sur les termes d'un accord de licence, et aux pièces annexées à l'affidavit de Mme Poon, je suis d'avis qu'il existe des doutes sur l'affirmation de la requérante selon laquelle CPLP emploie les marques ASIA MILES au Canada sous licence aux termes de l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce. Plus exactement, l'opposante s'est acquittée de son obligation de susciter le doute sur le point de savoir si un quelconque emploi des marques ASIA MILES au Canada profite en réalité à la requérante. [...]

Décision, au paragraphe 25.

[6]               Il s'ensuit que la requérante n'a pas été en mesure de réfuter les autres motifs d'opposition qui étaient liés à l'emploi des marques au Canada, notamment les facteurs à prendre en considération en vertu du paragraphe 6(5) de la Loi pour évaluer les probabilités de confusion. En définitive, la Commission a rejeté toutes les demandes d'enregistrement.

[7]               Cathay Pacific a interjeté appel de la décision devant la Cour fédérale et, comme l'autorise l'article 56 de la Loi, elle a produit des éléments de preuve supplémentaires pour appuyer sa demande d'enregistrement des marques, comme l'a également fait Air Miles.

[8]               Lorsqu'elle a été saisie de l'affaire, la Cour fédérale a conclu qu'il n'était pas nécessaire qu'elle examine les éléments de preuve supplémentaires. Elle a tranché la question en se fondant sur le dossier dont la Commission avait été saisie. À l'égard de la question cruciale de l'emploi des marques au Canada par Cathay Pacific, la Cour fédérale a jugé que la conclusion de la Commission était déraisonnable. Elle a déclaré ceci :

[...] La preuve non contredite dont la Commission était saisie démontrait que Cathay Pacific autorisait CPLP à employer la marque « Asia Miles ». La Commission était saisie de suffisamment d'éléments de preuve pour conclure que Cathay Pacific « contrôl[ait], directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité » de l'emploi de la marque de sorte que l'emploi de la marque par CPLP aurait dû être attribué à Cathay Pacific (article 50, Loi sur les marques de commerce).

Motifs, au paragraphe 22.

[9]               Quant aux autres motifs d'opposition, la Cour fédérale a conclu que si la Commission n'était pas parvenue à une conclusion déraisonnable relativement à la question de l'emploi des marques, ses conclusions au sujet du caractère distinctif et de la confusion auraient été différentes : voir les motifs, au paragraphe 23.

[10]           La Cour fédérale n'a pas traité l'argument relatif à l'observation de l'article 30 de la Loi par la requérante.

[11]           En définitive, le juge de la Cour fédérale a accueilli l'appel et a renvoyé l'affaire à la Commission pour qu'elle y soit examinée à nouveau par un membre différent.

[12]           Cathay Pacific interjette appel de la décision du juge de la Cour fédérale, alléguant que la Cour aurait dû autoriser l'enregistrement des marques de commerce. Air Miles interjette un appel incident sur le fond de la décision de la Cour fédérale et, par conséquent, je statuerai sur l'appel incident en premier.

[13]           Bien que les parties aient soulevé un certain nombre de points pour appuyer leurs thèses, je suis d'avis qu'il convient d'annuler la décision de la Cour fédérale pour deux motifs.

[14]           En premier lieu, la Cour fédérale a erré en droit lorsqu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire à l'endroit des nouveaux éléments de preuve produits conformément à l'article 56 de la Loi :

56.(1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

[...]

56.(1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

. . .

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

[non souligné dans l'original]

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 

[15]           La Cour suprême a défini ainsi les effets de l'article 56 dans l'arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 35 :

[...] Lorsqu'un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l'affaire comme s'il s'agissait d'une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. no 849 (QL) (C.A.)). L'article 56 laisse croire que le législateur voulait qu'il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion. [...]

[16]           En l'espèce, la Cour fédérale n'a pas étudié les nouveaux éléments de preuve produits par l'appelante. Elle a plutôt analysé immédiatement la décision de la Commission pour décider si elle était raisonnable.

[17]           La Cour fédérale s'est sans doute posé la question suivante : « Pourquoi devrais‑je me pencher sur les nouveaux éléments de preuve s'il m'est possible de trancher l'affaire en faveur de l'appelante en me fondant sur le dossier initial en utilisant la norme de contrôle la plus favorable à l'intimée? Si je le peux, les nouveaux éléments de preuve de l'appelante ne sont‑ils pas inutiles? »

[18]           La réponse se trouve dans la Loi, qui enjoint au juge de tenir compte des nouveaux éléments de preuve, les deux parties ayant le droit de produire de nouveaux éléments. La preuve qui est inutile pour une partie peut être cruciale pour l'autre partie. Les parties ont le droit de demander à la Cour fédérale d'étudier, eu égard aux nouveaux éléments de preuve, si elle doit trancher le litige en procédant à une nouvelle audience en se fondant sur le dossier élargi ou en procédant à un contrôle de la décision de la Commission en se fondant sur le dossier dont la Commission était saisie.

[19]           En pratique, puisque la décision de la Cour fédérale est susceptible d'appel à notre Cour, notre Cour et les parties ont le droit de s'attendre à ce que la Cour fédérale apprécie la valeur probante des nouveaux éléments de preuve. Si notre Cour décide que la Cour fédérale a erré d'une façon qui justifie notre intervention, l'absence de cette appréciation est un facteur qui milite en faveur du renvoi de l'affaire à la Cour fédérale pour un nouvel examen, plutôt qu'en faveur de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de notre Cour en vertu du sous‑alinéa 52b)(i) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[20]           Le second motif qui incite la Cour à accueillir l'appel tient au fait que, tout en prétendant appliquer la norme de la décision raisonnable à la décision de la Commission, la Cour fédérale a plutôt appliqué la norme de la décision correcte. Cela se voit à la façon dont la Commission a traité la preuve du contrôle par rapport à la façon dont la Cour fédérale a traité les mêmes éléments. Dans le passage cité au paragraphe 5, la Commission examine la qualité de la preuve produite par la requérante au sujet du contrôle exercé par Cathay Pacific sur la qualité ou les caractéristiques des biens et des services liés aux marques et conclut qu'elle laisse à désirer. Dans le passage cité au paragraphe 8, la Cour fédérale réévalue la preuve elle‑même et y trouve un certain appui à sa façon de considérer l'affaire.

[21]           Une décision n'est pas déraisonnable parce que la preuve appuierait une autre conclusion. La Cour doit décider si la conclusion du décideur appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit :

[...] certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.

[22]           Il ne nous a été donné aucun motif de conclure que la décision de la Commission était déraisonnable, étant donné le dossier dont elle était saisie.

[23]           Il s'ensuit, à mon avis, que l'appel incident devrait être accueilli.

[24]           Si je comprends bien l'appel de Cathay Pacific, celle‑ci accepte la conclusion de la Cour fédérale sur le fond, mais soutient que la Cour fédérale aurait dû emprunter une autre voie pour y parvenir, une voie qui aurait permis à la Cour fédérale d'autoriser l'enregistrement des marques de commerce plutôt que de renvoyer l'affaire à la Commission. Ainsi, tandis qu'elle contestait la décision de la Cour fédérale sur le fond, Cathay Pacific avait comme seul but de faire annuler la décision de la Cour fédérale de renvoyer l'affaire à la Commission pour un nouvel examen, plutôt que de rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre en vertu du sous‑alinéa 52b)(i) de la Loi sur les Cours fédérales, à savoir autoriser l'enregistrement des marques de commerce en question.

[25]           Étant donné que la décision de la Cour fédérale devrait être annulée, la prétention de Cathay Pacific à un redressement différent se fondant sur la décision de la Cour fédérale sur le fond ne peut être retenue.

[26]           Cela dit, il nous reste à décider de l'issue de l'appel. Dans son mémoire des faits et du droit, Air Miles ne nous demande pas de faire ce que Cathay Pacific aimerait que nous fassions :

[TRADUCTION]

291.     Compte tenu de ce qui précède, Air Miles demande respectueusement :

a)         que la Cour accueille son appel incident;

b)         que la Cour casse la décision du juge O'Reilly;

c)         que la Cour rétablisse la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce;

d)         subsidiairement, que la Cour rejette l'appel de Cathay et confirme la décision du juge O'Reilly;

e)         que les dépens de l'appel de Cathay et de l'appel incident d'Air Miles soient adjugés à Air Miles.

[27]           Étant donné les motifs sur lesquels je m'appuierais pour accueillir l'appel incident, il ne convient pas d'ordonner le rétablissement de la décision. La Cour fédérale a erré dans son contrôle de la décision; l'issue du contrôle de la décision au regard des nouveaux éléments de preuve demeure litigieuse.

[28]           Dans certains cas, l'analyse par notre Cour de la décision portée en appel ne laisse aucun doute quant à la conclusion à laquelle la Cour fédérale aurait dû parvenir. Dans d'autres cas, d'autres facteurs peuvent porter à croire qu'il va de l'intérêt supérieur de la justice que notre Cour rende la décision que la Cour fédérale aurait dû rendre. Il ne s'agit pas d'un tel cas. Bien que les frais supplémentaires que les parties devront supporter si l'affaire est renvoyée à la Cour fédérale soient un facteur pertinent, le fait que Cathay Pacific puisse continuer d'employer ses marques comme elle le fait depuis 1999 me convainc qu'il n'existe aucun motif impérieux pour que nous effectuions une analyse que le législateur a confiée à la Cour fédérale.

[29]           En ce qui concerne les dépens, je note que ni l'une ni l'autre partie n'a obtenu le redressement qu'elle cherchait à obtenir de notre Cour. La décision n'a pas été rétablie et la Cour n'a pas autorisé l'enregistrement des marques. Dans ces circonstances, je conclus qu'il est équitable que chaque partie supporte ses propres dépens.

[30]           Par conséquent, j'ordonnerais que :

a)      l'ordonnance de la Cour fédérale soit annulée;

b)      l'appel soit rejeté;

c)      l'appel incident soit accueilli;

d)     l'affaire soit renvoyée à la Cour fédérale pour que toutes les questions soulevées par l'appel soient décidées à nouveau par un autre juge de la Cour fédérale.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Le juge Stratas, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

La juge Gleason, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑396‑14

APPEL D'UN JUGEMENT DU JUGE O'REILLY DU 11 JUIN 2015

INTITULÉ :

CATHAY PACIFIC AIRWAYS LIMITED c. AIR MILES INTERNATIONAL TRADING B.V.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 3 NOVEMBRE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Steven B. Garland

Daniel M. Anthony

POUR L'APPELANTE

 

Stephen I. Selznick

Steven N. Kennedy

POUR L'INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SMART & BIGGAR

POUR L'APPELANTE

 

Cassels, Brock & Blackwell LLP

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.