Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151127


Dossier : A-366-14

Référence : 2015 CAF 269

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

appelant

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et BRITISH AIRWAYS PLC

intimés

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 15 septembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

MOTIFS DISSIDENTS :

LA JUGE DAWSON

 


Date : 20151127


Dossier : A-366-14

Référence : 2015 CAF 269

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

appelant

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et BRITISH AIRWAYS PLC

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I.                   Introduction

[1]               L’appelant interjette appel d’une décision du 26 mai 2014 de l’Office des transports du Canada (l’Office) relative à l’indemnisation que doit verser British Airways aux passagers auxquels elle a refusé l’embarquement (décision no 201-C-A-2014). Il conteste le fond de la décision et l’équité de la procédure menant à celle-ci. La Cour a autorisé l’appelant à interjeter appel en vertu de l’article 41 de Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10.

II.                Faits

[2]               Le 30 janvier 2013, l’appelant a porté plainte auprès de l’Office à l’égard d’un certain nombre de questions concernant British Airways. Le 17 janvier 2014, après que les parties eurent déposé leurs observations, l’Office a rendu sa décision.

[3]               Seulement l’une des questions figurant dans la décision du 17 janvier 2014 reste à trancher en l’espèce, à savoir la question de l’« indemnisation pour refus d’embarquement ». Cette notion signifie l’indemnisation qu’une ligne aérienne doit verser aux passagers auxquels elle refuse l’embarquement en raison de la surréservation d’un vol. La somme que British Airways est tenue de verser est définie par la règle 87(B)(3)(B) du tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff no BA-1, NTA(A) no 306.

[4]               Dans sa plainte initiale, l’appelant a soutenu que la règle 87(B)(3)(B) était déraisonnable au sens de l’article 111 du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (le RTA). L’appelant a mis de l’avant un certain nombre d’arguments à l’appui de cette thèse.

[5]               D’abord, l’appelant a soutenu que la règle devrait tenir compte des obligations de British Airways prévues par le règlement de l’Union européenne (CE) no 261/2004, lequel vise tous les vols au départ d’un aéroport situé au Royaume-Uni (R.-U.) exploités par les lignes aériennes de l’Union européenne (UE) (transporteurs aériens ou transporteurs) à destination du R.-U. L’appelant a soutenu que British Airways ne serait pas désavantagée par rapport à la concurrence si elle modifiait la règle afin de tenir compte du règlement de l’UE. Il a aussi soutenu que British Airways a respecté le règlement sur les vols au départ du R.-U. vers le Canada, mais a omis de se conformer au règlement sur les vols au départ du Canada vers le R.‑U. L’appelant a déclaré qu’il ne demandait pas à l’Office d’appliquer le règlement de l’UE. Il demandait plutôt à l’Office d’examiner le caractère raisonnable de la règle et des substituts adéquats, à la lumière du règlement.

[6]               L’Office a conclu qu’il n’exigerait pas de British Airways qu’elle incorpore les dispositions du règlement. L’Office a fondé sa conclusion sur sa jurisprudence antérieure no 432‑C‑A‑2013 (Nawrot et al. c. Sunwing Airlines Inc.), par laquelle il s’est penché sur une thèse concernant le même règlement de l’UE et qui portait qu’il n’examinerait le caractère raisonnable des tarifs des transporteurs qu’en se référant à des lois ou à des règlements qu’il peut appliquer. Le paragraphe pertinent de la décision no 432-C-A-2013 est ainsi libellé :

[103]    En ce qui a trait au caractère raisonnable des tarifs des transporteurs déposés auprès de l’Office, l’Office fait des déterminations concernant des dispositions rattachées à des lois ou à des règlements qu’il peut appliquer. Les lois ou règlements promulgués par une autorité étrangère, comme le règlement (EC) 261/2004 de l’Union européenne, ne satisfont pas à ce critère. Si un transporteur a reçu l’instruction par une autorité étrangère d’inclure dans son tarif une référence à une loi de cette autorité ou se sent contraint de le faire, le transporteur a le droit de le faire, mais l’Office ne l’exige pas.

[7]               Ensuite, l’appelant a soutenu que la règle 87(B)(3)(B) était déraisonnable parce qu’elle était incompatible avec le principe d’un taux fixe d’indemnisation pour refus d’embarquement. La règle 87(B)(3)(B) dispose que, lorsqu’un passager se voit refuser l’embarquement sur un vol au départ du Canada vers le R.-U., British Airways paie la pleine valeur du billet de remplacement jusqu’à la prochaine escale du passager, en plus de lui verser entre 50 $ et 200 $.

[8]               L’Office a conclu que la règle peut être déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA parce que British Airways n’a pas démontré en quoi elle subirait un désavantage concurrentiel si elle augmentait les montants de l’indemnisation pour refus d’embarquement.

[9]               Finalement, l’appelant a soutenu que la règle 87(B)(3)(B) vise à empêcher les passagers qui acceptent l’indemnisation pour refus d’embarquement d’exercer le droit de réclamer des dommages-intérêts sous le régime d’autres lois et, de ce fait, ne donne pas aux passagers la possibilité raisonnable d’évaluer de façon exhaustive leurs options en matière d’indemnisation. L’Office a souscrit à cette thèse en concluant que la règle était déraisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA en ce sens qu’elle vise à fournir un « seul recours » au refus d’embarquement.

[10]           Par l’ordonnance rendue dans sa décision du 17 janvier 2014, l’Office a donné à British Airways la possibilité de « justifier » pourquoi l’Office ne devrait pas exiger qu’elle modifie la règle 87(B)(3)(B) pour la rendre conforme à l’un des trois régimes d’indemnisation pour refus d’embarquement retenus par l’Office, ou de proposer un régime que l’Office pourrait juger raisonnable. L’ordonnance précisait également que l’appelant aurait la possibilité de présenter ses observations à l’égard de la réponse de British Airways à l’ordonnance de justification.

[11]           Le 17 mars 2014, British Airways a déposé sa réponse. Par cette réponse, British Airways a déclaré qu’elle choisissait de mettre en œuvre l’un des quatre régimes recensés dans l’ordonnance, à savoir « le régime proposé par Air Canada dans le cadre des instances relatives à la décision no 442-C-A-2013 (Azar c. Air Canada) ». British Airways a proposé de modifier la règle 87(B)(3)(B) afin qu’elle dispose que, sur les vols au départ du Canada vers le R.-U., les passagers qui se voient refuser l’embarquement reçoivent une indemnisation de 400 $ CAN en espèces ou l’équivalent pour les retards de zéro à quatre heures, et de 800 $ CAN pour les retards de plus de quatre heures.

[12]           Le 26 mars 2014, conformément à l’ordonnance de justification, l’appelant a déposé des observations à l’égard de la réponse de British Airways.

[13]           Le 28 mars 2014, British Airways a déposé une réplique aux observations du 26 mars 2014 de l’appelant. Le 1er avril 2014, l’appelant a présenté une demande par écrit à l’Office afin d’obtenir l’autorisation de présenter des observations à l’égard de la réplique du 28 mars 2014 de British Airways.

[14]           Par la décision no LET-C-A-25-2014 du 16 avril 2014, l’Office a retiré du dossier les observations du 28 mars 2014 de British Airways et celles du 1er avril 2014 de l’appelant. L’Office a également ordonné à l’appelant de modifier ses observations du 26 mars 2014 en supprimant toutes les observations n’ayant pas de lien avec la question précise du régime d’indemnisation pour refus d’embarquement proposé par Air Canada par la décision no 442‑C‑A‑2013 (Azar c. Air Canada).

[15]           Le 23 avril 2014, l’appelant a demandé à l’Office de réexaminer sa décision du 16 avril 2014. Le 2 mai 2014, par la décision no LET-C-A-29-2014, l’Office a rejeté la demande de réexamen de l’appelant. Peu de temps après, le 8 mai 2014, l’appelant a déposé « sous toute réserve » une version expurgée de ses observations du 26 mars 2014.

[16]           Le 26 mai 2014, l’Office a rendu la décision no 201-C-A-2014 (la décision définitive), la décision attaquée en l’espèce.

[17]           Par cette décision, l’Office a d’abord résumé la réponse de l’appelant, selon laquelle la règle proposée était déraisonnable parce qu’elle ne visait que les vols au départ du Canada vers le R.-U., et non aux vols au départ du R.-U. vers le Canada. À l’appui de son argument, l’appelant a cité la décision no 227-C-A-2013 (Lukács c. WestJet), par laquelle l’Office a conclu que :

[…] Le défaut d’établir des conditions régissant l’indemnisation pour refus d’embarquement pour les vols à destination et en provenance du Canada est contraire à la décision no 666-C-A-2001. Par conséquent, l’Office conclut que si la règle tarifaire 110(E) proposée était déposée auprès de l’Office, elle serait considérée comme étant déraisonnable.

(Au paragraphe 39; non souligné dans l’original.)

[18]           Par cette analyse, l’Office a conclu que la règle proposée par British Airways était compatible avec la proposition faite par Air Canada par la décision no 442-C-A-2013 à l’égard du montant de l’indemnité. Toutefois, l’Office a décidé que, pour ce qui est de son application, la règle proposée était incompatible avec la proposition d’Air Canada dans la décision no 442-C-A-2013. La proposition d’Air Canada visait les vols au départ du Canada vers l’UE, alors que celle de British Airways ne visait que les vols au départ du Canada vers le R.-U.

[19]           L’Office a donc conclu que la règle proposée était déraisonnable et que, par conséquent, British Airways avait omis de donner une justification. L’Office a ordonné à British Airways de déposer une règle proposée qui s’appliquerait aux vols au départ du Canada vers l’UE.

III.             Cadre législatif

[20]           L’article 110 du Règlement sur les transports aériens exige des transporteurs aériens exploitant un service international au Canada qu’ils fixent un tarif, dans lequel sont comprises les conditions du transport, et qu’ils en fassent le dépôt auprès de l’Office. Le tarif est un contrat entre le transporteur et ses passagers.

[21]           Le sous-alinéa 122c)(iii) du RTA ordonne aux transporteurs d’inclure dans leur tarif des modalités portant sur les indemnités pour refus d’embarquement :

122. Les tarifs doivent contenir :

122. Every tariff shall contain

[…]

c) les conditions de transport, dans lesquelles est énoncée clairement la politique du transporteur aérien concernant au moins les éléments suivants :

(c) the terms and conditions of carriage, clearly stating the air carrier’s policy in respect of at least the following matters, namely,

[…]

(iii) les indemnités pour refus d’embarquement à cause de sur réservation,

(iii) compensation for denial of boarding as a result of overbooking,

[…]

[22]           L’article 111 du RTA recense les exigences que les transporteurs doivent respecter en établissant les conditions de transport :

111.(1) Les taxes et les conditions de transport établies par le transporteur aérien, y compris le transport à titre gratuit ou à taux réduit, doivent être justes et raisonnables et doivent, dans des circonstances et des conditions sensiblement analogues, être imposées uniformément pour tout le trafic du même genre.

111. (1) All tolls and terms and conditions of carriage, including free and reduced rate transportation, that are established by an air carrier shall be just and reasonable and shall, under substantially similar circumstances and conditions and with respect to all traffic of the same description, be applied equally to all that traffic.

 

(2) En ce qui concerne les taxes et les conditions de transport, il est interdit au transporteur aérien :

(2) No air carrier shall, in respect of tolls or the terms and conditions of carriage,

 

 

a) d’établir une distinction injuste à l’endroit de toute personne ou de tout autre transporteur aérien;

(a) make any unjust discrimination against any person or other air carrier;

 

 

b) d’accorder une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, de quelque nature que ce soit, à l’égard ou en faveur d’une personne ou d’un autre transporteur aérien;

(b) give any undue or unreasonable preference or advantage to or in favour of any person or other air carrier in any respect whatever; or

 

c) de soumettre une personne, un autre transporteur aérien ou un genre de trafic à un désavantage ou à un préjudice indu ou déraisonnable de quelque nature que ce soit.

(c) subject any person or other air carrier or any description of traffic to any undue or unreasonable prejudice or disadvantage in any respect whatever.

(3) L’Office peut décider si le trafic doit être, est ou a été acheminé dans des circonstances et à des conditions sensiblement analogues et s’il y a ou s’il y a eu une distinction injuste, une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable, ou encore un préjudice ou un désavantage au sens du présent article, ou si le transporteur aérien s’est conformé au présent article ou à l’article 110.

(3) The Agency may determine whether traffic is to be, is or has been carried under substantially similar circumstances and conditions and whether, in any case, there is or has been unjust discrimination or undue or unreasonable preference or advantage, or prejudice or disadvantage, within the meaning of this section, or whether in any case the air carrier has complied with the provisions of this section or section 110.

 

[23]           L’article 113 du RTA permet à l’Office de rejeter tout tarif, ou toute partie d’un tarif, qui n’est pas conforme aux exigences de l’article 111 :

113. L’Office peut :

113. The Agency may

a) suspendre tout ou partie d’un tarif qui paraît ne pas être conforme aux paragraphes 110(3) à (5) ou aux articles 111 ou 112, ou refuser tout tarif qui n’est pas conforme à l’une de ces dispositions;

(a) suspend any tariff or portion of a tariff that appears not to conform with subsections 110(3) to (5) or section 111 or 112, or disallow any tariff or portion of a tariff that does not conform with any of those provisions; and

b) établir et substituer tout ou partie d’un autre tarif en remplacement de tout ou partie du tarif refusé en application de l’alinéa a).

(b) establish and substitute another tariff or portion thereof for any tariff or portion thereof disallowed under paragraph (a).

IV.             Thèses des parties

[24]           L’appelant soutient que la décision définitive de l’Office est déraisonnable, parce qu’elle omet d’imposer une indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols de British Airways au départ de l’UE, ce qui contrevient au sous-alinéa 122c)(iii) du RTA. L’appelant soutient aussi que l’Office l’a privé à toutes fins pratiques de la possibilité de répliquer à la réponse de British Airways à l’ordonnance de justification et que, par conséquent, l’Office a manqué à son obligation d’équité procédurale.

[25]           L’appelant demande à notre Cour de faire droit à l’appel et d’annuler la décision définitive de l’Office. Il demande aussi à notre Cour d’annuler les décisions procédurales de l’Office, dans la mesure où ces décisions ordonnent à l’appelant de supprimer des parties de ses observations. L’appelant réclame ses frais, peu importe l’issue de la cause; et, s’il a gain de cause, il réclame un montant raisonnable pour le temps qu’il a consacré au présent appel.

[26]           L’intimée, British Airways, soutient que la décision définitive de l’Office est raisonnable, et demande à la Cour de rejeter l’appel, avec dépens. L’intimé, l’Office des transports du Canada, n’a pas présenté d’observations écrites en l’espèce.

V.                Questions

[27]           Le présent appel porte sur deux questions :

1.      Est-ce que, au fond, la décision définitive de l’Office contient une erreur appelant l’infirmation de celle-ci?

2.      Est-ce que l’Office a manqué à son obligation d’équité procédurale?

VI.             Norme de contrôle

[28]           La norme de contrôle applicable à la première question, le fond de la décision de l’Office, est celle de la décision raisonnable. La question de savoir si British Airways a donné une « justification » est une question mélangée de fait et de droit. Par conséquent, la norme de contrôle est, en principe, celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 51). Par ailleurs, la jurisprudence contrôle généralement les décisions de l’Office – un organisme administratif ayant une expertise spécialisée – selon la norme fondée sur la retenue (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Office des transports du Canada, 2013 CAF 270, 454 N.R. 125, au paragraphe 3, évoquant Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, au paragraphe 100).

[29]           L’examen des questions d’équité procédurale suit la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79). Par conséquent, la norme de la décision correcte est la norme de contrôle applicable à la seconde question en l’espèce.

VII.          Analyse

A.                Caractère raisonnable de la décision

[30]           L’appelant soutient que la décision définitive de l’Office est déraisonnable parce qu’elle impose à British Airways un tarif sur l’indemnisation pour refus d’embarquement qui ne concerne que les passagers voyageant au départ du Canada vers l’UE, et non ceux voyageant de l’UE vers le Canada.

[31]           L’appelant soutient que la solution retenue par cette décision est déraisonnable parce qu’elle contrevient au sous-alinéa 122c)(iii) du RTA et parce qu’elle crée une lacune juridique, ce qui est contraire à l’objet du sous-alinéa 122c)(iii) du RTA.

[32]           L’appelant soutient que le sous-alinéa 122c)(iii), qui exige des transporteurs qu’ils incluent dans leur tarif une politique d’indemnités pour refus d’embarquement, vise tant les services aériens au départ du Canada vers l’étranger que les services aériens au départ de l’étranger vers le Canada. À l’appui de cette thèse, l’appelant cite no 227-C-A-2013 (Lukács c. WestJet), une jurisprudence de l’Office. L’appelant cite aussi une jurisprudence plus récente de l’Office, portant le no 148-C-A-2015 (Ahmad c. Pakistan International Airlines Corporation). À l’occasion de ces deux affaires, l’Office a conclu que le tarif d’une ligne aérienne doit inclure des dispositions régissant les indemnités pour refus d’embarquement tant pour les vols à destination que ceux en provenance du Canada.

[33]           Comme le soulève l’appelant avec raison, par la décision no 227-C-A-2013, l’Office a conclu qu’une règle tarifaire proposée par WestJet était déraisonnable parce qu’elle ne prévoyait aucune indemnisation pour les vols à destination et en provenance du Canada. Le paragraphe pertinent invoqué par l’appelant se lit comme suit :

[39]      Même si WestJet propose de réviser la règle tarifaire 110(E) actuelle en supprimant le libellé qui prévoit que l’indemnisation pour refus d’embarquement ne sera pas offerte pour les vols à destination et en provenance du Canada, la règle tarifaire 110(E) proposée prévoit une indemnisation uniquement pour les passagers à qui elle a refusé l’embarquement pour les vols en partance des États-Unis d’Amérique. Le défaut d’établir des conditions régissant l’indemnisation pour refus d’embarquement pour les vols à destination et en provenance du Canada est contraire à la décision no 666-C-A-2001. Par conséquent, l’Office conclut que si la règle tarifaire 110(E) proposée était déposée auprès de l’Office, elle serait considérée comme étant déraisonnable.

[34]           De même, par la décision no 148-C-A-2015, l’Office a tiré la conclusion suivante :

[29]      Puisque le tarif de PIA ne contient pas de conditions de transport qui indiquent clairement la politique de PIA relative au refus d’embarquement et à l’indemnité pour refus d’embarquement découlant d’une surréservation pour les vols à destination et en provenance du Canada, l’Office conclut que PIA a contrevenu à l’alinéa 122c) et au sous-alinéa 122c)(iii) du RTA.

[35]           Dans l’affaire dont nous sommes saisis, l’Office semble avoir implicitement décidé qu’il n’est pas nécessaire pour une ligne aérienne d’inclure dans son tarif une disposition qui énonce clairement ses obligations à l’égard de l’indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols en provenance de l’UE à destination du Canada. L’Office a conclu que British Airways n’a pas besoin de faire référence au règlement de l’UE (CE) no 261/2004 dans son tarif. Il n’est nullement controversé entre les parties en l’espèce que British Airways est assujettie au règlement de l’UE (CE) no 261/2004 pour ses vols partant de l’UE vers d’autres pays, y compris le Canada.

[36]           L’Office a appuyé cette conclusion en se fondant sur sa décision antérieure no 432‑C‑A‑2013, dans laquelle il observe :

[103]    En ce qui a trait au caractère raisonnable des tarifs des transporteurs déposés auprès de l’Office, l’Office fait des déterminations concernant des dispositions rattachées à des lois ou à des règlements qu’il peut appliquer. Les lois ou règlements promulgués par une autorité étrangère, comme le règlement (EC) 261/2004 de l’Union européenne, ne satisfont pas à ce critère. Si un transporteur a reçu l’instruction par une autorité étrangère d’inclure dans son tarif une référence à une loi de cette autorité ou se sent contraint de le faire, le transporteur a le droit de le faire, mais l’Office ne l’exige pas.

[37]           Je suis d’avis que la conclusion exposée au paragraphe 103 jette simplement les bases d’une décision de principe selon laquelle l’Office n’obligera pas une ligne aérienne à incorporer par renvoi une disposition législative d’un autre ressort territorial au motif que l’Office ne peut pas appliquer les dispositions législatives étrangères. Cette conclusion ne porte pas expressément sur la question de savoir si un tarif doit inclure une disposition régissant l’indemnisation pour refus d’embarquement indépendamment de la législation d’un autre ressort territorial sur les vols à destination et en provenance du Canada.

[38]           Il est intéressant de noter que le tarif existant de British Airways fixait effectivement une indemnité pour refus d’embarquement sur les vols [traduction] « entre des points au Canada et des points au Royaume-Uni desservis par British Airways » (règle 87(B)). L’Office n’a produit aucune explication claire sur la raison pour laquelle cela n’était plus nécessaire. De plus, aux paragraphes 71 et 72 de la décision no 432-C-A-2013, l’Office a conclu que l’absence d’un texte prévoyant que les passagers touchés par un refus d’embarquement sont admissibles à une indemnisation est déraisonnable. Dans l’affaire dont nous sommes saisis, il n’y a pas non plus de texte régissant l’indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols de l’UE vers le Canada. Il me semble que la décision no 432-C-A-2013 n’enseigne pas vraiment que British Airways n’a pas à énoncer clairement dans son tarif ses obligations à l’égard de l’indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols tant à destination qu’en provenance du Canada.

[39]           De plus, l’option retenue par British Airways en application de l’ordonnance de justification était « le régime proposé par Air Canada dans le cadre des instances relatives à la décision no 442-C-A-2013 (Azar c. Air Canada) ». Le régime proposé par Air Canada à l’occasion de l’affaire Azar c. Air Canada, selon les faits de cette affaire, ne portant que sur les vols au départ du Canada vers l’UE, mais il est important de noter que le tarif visé par la proposition valait également pour les vols au départ de l’UE vers le Canada, conformément à la règle tarifaire 90(A) d’Air Canada, qui prévoit l’adoption par renvoi du règlement de l’UE (CE) no 261/2004 pour les vols en provenance de l’UE et de la Suisse.

[40]           La décision de l’Office dans l’affaire dont nous sommes saisis manque de clarté quant à savoir si British Airways devrait prévoir une indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols vers le Canada en provenance de l’UE. En outre, il y a une discordance apparente entre la décision dont nous sommes saisis et les décisions antérieures de l’Office qui semblent enseigner que le tarif d’une ligne aérienne doit prévoir des dispositions relatives à l’indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols tant à destination qu’au départ du Canada. Je suis d’avis qu’il est nécessaire que l’Office résolve directement cette discordance et cette incohérence apparente. Je suis donc d’avis que la question doit être déférée à l’Office pour nouvel examen. L’Office doit clairement préciser de quelle manière British Airways doit « satisfai[re] aux obligations relatives à la clarté du tarif » de sorte que « les droits et les obligations du transporteur aérien et des passagers [soient] définis de telle façon à éviter quelque doute, ambiguïté ou incertitude que ce soit » dans les situations où le tarif ne traite pas de l’indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols à destination du Canada (décision no 432-C-A-2013, faisant référence à la décision no 344-C-A-2013 (Lukács c. Porter Airlines Inc.)). Plus particulièrement, l’Office doit préciser si le tarif doit dans tous les cas exposer les dispositions relatives à l’indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols à destination et en provenance du Canada, ou s’il est suffisant que les passagers de British Airways voyageant de l’UE au Canada soient visés par le règlement de l’UE (CE) no 261/2004.

B.                 Équité procédurale

[41]           L’appelant soutient que l’Office a manqué à son obligation d’équité procédurale lorsqu’il lui a ordonné d’expurger la majeure partie de ses observations du 26 mars 2014. Il soutient que, ce faisant, l’Office l’a privé de son droit de présenter des observations pertinentes en réponse à la proposition de British Airways. Compte tenu de la décision de renvoyer la présente affaire à l’Office, il n’y a pas lieu d’examiner la question de l’équité procédurale soulevée par l’appelant. L’Office est plus apte à déterminer l’importance des observations dont il aura besoin pour examiner de nouveau la question exposée ci-dessus.

VIII.       Conclusion

[42]           J’accueillerais l’appel et je renverrais l’affaire à l’Office pour nouvel examen conformément aux présents motifs.

[43]           La Cour a déjà jugé bon d’accorder à l’appelant ses débours au motif que son appel peut être qualifié de litige d’intérêt public et que la question soulevée par l’appelant n’est pas frivole (Lukács c. Canada (Office des transports), 2014 CAF 76, 456 N.R. 186, au paragraphe 62). J’adjugerais donc à l’appelant des dépens de 250 $, ainsi que ses débours devant la Cour, payables par British Airways.

« David G. Near »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

C. Michael Ryer, j.c.a. »


LA JUGE DAWSON (motifs dissidents)

[44]           Je rejetterais l’appel par les motifs exposés ci-après.

[45]           Comme l’ont souligné les juges majoritaires, l’appelant, Gábor Lukács, a porté plainte à l’Office des transports du Canada le 30 janvier 2013. La plainte alléguait que certaines dispositions relatives à la responsabilité et à l’indemnisation pour refus d’embarquement prévues dans le tarif intitulé International Passenger Rules and Fares Tariff no BA-1, NTA(A) no 306 de British Airways n’étaient pas claires ou étaient déraisonnables. Parmi les mesures sollicitées, l’appelant a notamment demandé à l’Office d’abroger la règle tarifaire 87(B)(3)(B) et d’ordonner à British Airways d’incorporer dans le tarif les obligations énoncées dans le règlement (CE) n°261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004.

[46]           Le règlement (CE) no 261/2004 porte sur l’indemnisation à verser aux passagers qui se voient refuser l’embarquement. Il vise tous les vols au départ d’un aéroport situé au Royaume-Uni, et tous les vols exploités par un transporteur aérien de l’Union européenne dont la destination se trouve au Royaume-Uni. L’appelant a soutenu que le tarif de British Airways devrait tenir compte de son obligation juridique visée par le règlement.

[47]           En réponse, British Airways a relevé que, bien qu’elle se conforme au règlement (CE) no 261/2004, il ne conviendrait pas que l’Office applique des lois étrangères en exigeant des transporteurs qu’ils incluent des dispositions réglementaires européennes dans leurs contrats de transport canadiens.

[48]           Dans sa réplique à la réponse de British Airways, l’appelant a :

i)       retenu la preuve de British Airways dont il ressort qu’elle se conforme aux dispositions du règlement (CE) no 261/2004 portant sur les passagers voyageant du Royaume-Uni au Canada;

ii)     soutenu que British Airways ne se conformait pas actuellement à ses obligations prévues au règlement no 261/2004 portant sur les passagers voyageant du Canada au Royaume-Uni;

iii)   soutenu que l’Office doit substituer, dans la partie pertinente du tarif, une disposition qui tient compte de la pratique actuelle de British Airways en matière d’indemnisation pour refus d’embarquement versée aux passagers voyageant en provenance du Royaume-Uni vers le Canada;

iv)   soutenu que le tarif doit obliger British Airways à verser les montants prescrits par le règlement (CE) no 261/2004 à titre d’indemnisation pour refus d’embarquement aux passagers voyageant en provenance du Canada vers le Royaume-Uni.

[49]           À l’occasion de l’affaire no 10-C-A-2014, l’Office a rejeté les observations de l’appelant à l’égard du règlement (CE) no 261/2004 en déclarant au paragraphe 113 qu’il « n’exigera[it] pas que British Airways incorpore les dispositions du règlement (CE) no 261/2004 dans son tarif ou renvoie à ce règlement ». Pour tirer cette conclusion, l’Office a cité le passage suivant de sa décision antérieure no 432-C-A-2013 :

En ce qui a trait au caractère raisonnable des tarifs des transporteurs déposés auprès de l’Office, l’Office fait des déterminations concernant des dispositions rattachées à des lois ou à des règlements qu’il peut appliquer. Les lois ou règlements promulgués par une autorité étrangère, comme le règlement (EC) 261/2004 de l’Union européenne, ne satisfont pas à ce critère. Si un transporteur a reçu l’instruction par une autorité étrangère d’inclure dans son tarif une référence à une loi de cette autorité ou se sent contraint de le faire, le transporteur a le droit de le faire, mais l’Office ne l’exige pas.

[50]           L’ordonnance prévue par la décision obligeait British Airways à « modifier son tarif et [à] se conformer à cette ordonnance, ainsi qu’aux conclusions de l’Office établies dans [la] décision ».

[51]           L’ordonnance ajoutait, au paragraphe 144 :

[…] l’Office fournit à British Airways l’occasion de justifier, au plus tard le 17 février 2014, pourquoi l’Office ne devrait pas exiger que British Airways, en ce qui a trait à l’indemnisation pour refus d’embarquement offerte aux passagers en vertu de la règle 87(B)(3)(B), applique l’une ou l’autre des dispositions suivantes :

1.    le régime applicable aux États-Unis;

2.    le régime proposé par M. Lukács dans les instances relatives à la décision no 342-C-A-2013;

3.    le régime proposé par Air Canada dans le cadre des instances relatives à la décision no 442-C-A-2013;

4.    tout autre régime que British Airways pourrait proposer et que l’Office pourrait juger raisonnable au sens du paragraphe 111(1) du RTA.

[52]           La décision no 442-C-A-2013, dont il est question à la troisième option offerte à British Airways, portait sur le caractère raisonnable du tarif d’Air Canada à l’égard de l’indemnité pour refus d’embarquement sur les vols en provenance du Canada vers l’Union européenne. L’Office a conclu que l’indemnité en vigueur d’Air Canada pour refus d’embarquement sur les vols en provenance du Canada vers l’Union européenne était déraisonnable. Ainsi, l’Office a ordonné à Air Canada de modifier son tarif en déposant ses montants d’indemnité pour refus d’embarquement proposés relativement aux vols au départ du Canada vers l’Union européenne.

[53]           Comme l’a fait valoir British Airways, l’appelant n’a pas demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision no 10-C-A-2014 (mémoire des faits et du droit de British Airways, au paragraphe 18).

[54]           En réponse à cette décision, British Airways a proposé d’appliquer le régime d’indemnisation proposé par Air Canada tel qu’il est exposé dans la décision no 442-C-A-2013 de l’Office. Le libellé du tarif proposé par British Airways indiquait clairement que l’indemnisation ne visait que les vols au départ du Canada vers le Royaume-Uni. Le tarif proposé ne mentionnait pas le versement d’une indemnisation sur les vols au départ du Royaume-Uni vers le Canada.

[55]           L’appelant a répliqué à la proposition mise de l’avant par British Airways en contestant son caractère raisonnable au motif qu’elle omettait de fixer les conditions régissant l’indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols au départ du Royaume-Uni vers le Canada. L’appelant a soutenu que la proposition de British Airways visait à exonérer celle‑ci, bien qu’implicitement, de son obligation de verser l’indemnisation pour refus d’embarquement sur les vols au départ du Royaume-Uni vers le Canada.

[56]           Par la suite, par la décision no LET-C-A-25-2014, l’Office a conclu que certaines parties des observations présentées par l’appelant en réplique n’avaient pas de rapport avec la question précise du régime d’indemnisation pour refus d’embarquement proposé par Air Canada dans le cadre de l’instance ayant mené à la décision no 442-C-A-2013. Par conséquent, l’Office a ordonné à l’appelant de déposer de nouvelles observations en réplique, en supprimant toutes celles qui n’avaient pas de rapport avec le régime d’indemnisation pour refus d’embarquement proposé précédemment par Air Canada dans le cadre de l’instance ayant mené à la décision no 442-C-A-2013.

[57]           Ensuite, l’Office a rejeté une demande en réexamen de cette décision (décision no LET-C-A-29-2014).

[58]           Il ressort clairement de cette chronologie que l’Office, par la décision no 10-C-A-2014, a rendu une décision définitive portant qu’il n’exigerait pas que British Airways incorpore les dispositions du règlement (CE) no 261/2004 dans son tarif. L’Office – en permettant à British Airways d’offrir le même régime d’indemnisation que celui proposé précédemment par Air Canada – a aussi rendu une décision définitive selon laquelle British Airways pouvait proposer, comme elle l’a fait, un tarif qui ne tenait compte que de l’indemnisation pour refus d’embarquement sur les voyages au départ du Canada vers le Royaume-Uni.

[59]           Toute attaque visant ces décisions aurait dû être introduite à titre de demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision no 10-C-A-2014. L’appelant ne peut pas attaquer ces décisions par la voie d’une contestation de la décision no 201-C-A-2014.

[60]           Il s’ensuit également que l’Office n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en ordonnant à l’appelant de supprimer de sa réplique finale les observations n’ayant pas de lien avec le régime tarifaire proposé par Air Canada qui a mené à la décision no 442-C-A-2013. Les observations contestées n’avaient pas de lien avec la question qu’il restait à trancher, et l’Office n’a pas agi de manière inéquitable en les ignorant et en ordonnant qu’elles soient retirées du dossier.

[61]           Par ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL DE LA DÉCISION DE L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA DU 26 MAI 2014 PORTANT LE NUMÉRO 201-C-A-2014.

DOSSIER :

A-366-14

 

 

INTITULÉ :

GÁBOR LUKÁCS c. OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA ET BRITISH AIRWAYS PLC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 septembre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE NEAR

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

MOTIFS DISSIDENTS :

LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :

LE 27 NOVEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Gábor Lukács

 

POUR L’APPELANT

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Allan Matte

 

POUR L’INTIMÉ

Office des transports du Canada

 

Carol E. McCall

 

POUR L’INTIMÉE

BRITISH AIRWAYS PLC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

Paterson, MacDougall LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉe

BRITISH AIRWAYS PLC

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.