Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20151217


Dossier : A-4-15

Référence : 2015 CAF 291

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

MOHAMED BALIKWISHA PATANGULI

appelant

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION)

intimé

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 5 novembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20151217


Dossier : A-4-15

Référence : 2015 CAF 291

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

MOHAMED BALIKWISHA PATANGULI

appelant

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION)

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

I.                   Nature de l’affaire

[1]               M. Mohamed Balikwisha Patanguli (l’appelant) interjette appel de la décision du juge George R. Locke de la Cour fédérale (le juge) (2014 CF 1206), rejetant la demande de contrôle judiciaire d’une décision arbitrale confirmant le congédiement de l’appelant (2014 CRTFP 6).

[2]               Dans sa décision, le juge a appliqué la norme de la raisonnabilité à la conclusion de l’arbitre que le congédiement était une mesure disciplinaire appropriée en l’espèce, et la norme de la décision correcte aux questions d’équité procédurale. Sauf en ce qui concerne la question de savoir si la suffisance des motifs soulève une question d’équité procédurale, l’appelant ne remet pas en question le choix de ces normes de contrôle. Il soumet plutôt que le juge les a mal appliquées.

[3]               Le rôle de cette Cour dans le cadre d’un appel d’une décision rendue sur une demande de contrôle judiciaire est de vérifier si le juge a choisi la norme de contrôle appropriée et s’il l’a bien appliquée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, para. 47 [Agraira]). Selon moi, le juge a effectivement choisi les normes de contrôle appropriées aux questions devant lui. Pour déterminer s’il les a bien appliquées, notre Cour se met à la place du juge et se concentre sur la décision administrative (Agraira, para. 46). Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les erreurs que le juge aurait commises et que soulève l’appelant.

II.                Décision de l’employeur

[4]               Au moment de son licenciement, l’appelant occupe un poste d’agent d’examen des risques avant renvoi (groupe et niveau PM-04), au sein du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’employeur ou CIC) à Calgary.

[5]               Par voie d’une lettre datée du 19 avril 2010 (Dossier d’appel, Vol. I, Onglet. 13, p. 98), Mme Claudette Deschênes, Sous-ministre adjointe responsable des opérations à l’époque, informe l’appelant de son congédiement. Cette sanction disciplinaire fait suite à un rapport d’enquête interne concluant que l’appelant a obtenu de façon inappropriée les questions et réponses à un examen de sélection pour une promotion, et les a utilisées pour préparer et répondre audit examen.

[6]               Dans sa lettre, Mme Deschênes indique que les faits reprochés contreviennent au Code de valeurs et d’éthique du secteur public, au Code de conduite de l’employeur, ainsi qu’à la Politique d’utilisation des réseaux électroniques de l’employeur. Mme Deschênes conclut que la conduite reprochée est très sérieuse, et qu’elle a causé des dommages irréparables à la relation de confiance mutuelle qui doit être maintenue entre l’employeur et son employé. Mme Deschênes décrit le processus qui a mené à l’émission du rapport final et à la rencontre du 31 mars 2010, lors de laquelle l’appelant a eu l’opportunité de commenter ledit rapport final. Elle indique aussi avoir tenu compte des circonstances atténuantes, telles le nombre d’années de service de l’appelant, ses antécédents disciplinaires et ses évaluations de rendement, ainsi que des excuses et commentaires de l’appelant. Elle ajoute que le sérieux des gestes de l’appelant est aggravé par le fait que celui-ci n’a pas assumé la pleine responsabilité des faits reprochés et qu’il a minimisé l’importance de sa conduite.

III.             Décision de l’arbitre

[7]               Dans son grief déposé le 11 mai 2010, l’appelant a contesté son licenciement en soumettant qu’il s’agissait d’une « sanction disciplinaire extrêmement/trop sévère ».

[8]               Dans sa décision de quatorze pages, l’arbitre a d’abord résumé la preuve faite devant elle et les arguments des parties. L’arbitre a confirmé que l’appelant n’avait pas contesté avoir reçu et utilisé les réponses de l’examen de sélection.

[9]               La preuve documentaire établissait clairement que le 8 juillet 2009, l’appelant avait demandé à l’une de ses deux collègues qui avaient passé le même examen ce jour-là si elle pouvait lui faire parvenir les questions de l’examen. Celle-ci ne lui avait pas répondu.

[10]           Le 7 août 2009, l’appelant a reçu un courriel incluant en pièce jointe les questions et réponses de l’examen qu’il devait passer le 13 août. Ce courriel provenait de l’ordinateur de Mme Lasonde. Le courriel aurait été envoyé pendant que celle-ci était à l’extérieur pour son dîner. L’arbitre a accepté comme crédible le témoignage de Mme Lasonde, lequel était corroboré par une personne avec qui elle était au moment de l’envoi du courriel, et a ainsi rejeté l’explication de l’appelant selon laquelle c’est Mme Lasonde qui lui avait elle-même envoyé ce courriel.

[11]           La preuve indiquait aussi les heures où l’appelant avait utilisé sa passe d’employé pour entrer et sortir des locaux où lui et sa collègue travaillaient. De plus, l’ordinateur de Mme Lasonde n’était pas éteint lorsqu’elle a quitté son bureau, et son mot de passe n’avait pas à être utilisé avant qu’une période de dix minutes ne se soit écoulée depuis la dernière utilisation de l’ordinateur.

[12]           Le 7 août 2009, l’appelant a transféré le courriel reçu de l’ordinateur de sa collègue dans sa boîte de courriel personnelle. Le 12 août, soit la veille de l’examen, l’appelant a renvoyé les questions d’examen et ses réponses préparées à l’avance de son adresse courriel personnelle à son adresse courriel au bureau. Il a admis avoir préparé ses réponses en se servant de l’information reçue, mais a indiqué que cela ne l’avait pas vraiment aidé, puisqu’il avait déjà toutes les connaissances nécessaires pour répondre aux questions qui n’étaient en soi pas difficiles.

[13]           L’arbitre a conclu qu’elle était satisfaite que l’employeur avait établi, selon la prépondérance de preuve, que c’était l’appelant qui avait envoyé le courriel contenant les questions et réponses de sa collègue en utilisant l’ordinateur de cette dernière, alors que celle-ci avait quitté son bureau pendant sa pause du midi. L’arbitre a ainsi rejeté le témoignage de l’appelant, qui niait avoir posé ce geste et prétendait que ce courriel avait, comme je l’ai dit, effectivement été envoyé par sa collègue.

[14]           L’arbitre a indiqué qu’elle n’avait aucune hésitation à rejeter le grief, puisque non seulement la preuve était accablante, mais il ne faisait également aucun doute dans son esprit que « les faits reprochés et prouvés selon la balance des probabilités [étaient] graves et [avaient] de façon irrémédiable rompu le lien de confiance qui doit exister entre un employé et son employeur » (Décision de l’arbitre, para. 81).

[15]           Ce faisant, l’arbitre a rejeté les arguments présentés par la représentante syndicale de l’appelant, à savoir qu’une mesure disciplinaire plus clémente était appropriée en l’espèce compte tenu du dossier exemplaire de l’appelant et du fait qu’il n’y avait aucune preuve directe qu’il s’était lui-même envoyé le premier courriel du 7 août 2009 (Décision de l’arbitre, para. 87). En plus de se dire satisfaite qu’il était plus probable que c’était l’appelant qui avait envoyé ce courriel, l’arbitre a noté que ce dernier ne réalisait toujours pas pleinement la gravité de ses gestes et que son témoignage la « laiss[ait] très perplexe quant à l’attitude du fonctionnaire dans cette affaire ainsi que la sincérité de son ‘repentir’ » (Décision de l’arbitre, para. 87).

[16]           L’arbitre a aussi indiqué que la nature même des fonctions d’agent d’examen des risques avant renvoi et les conséquences des décisions rendues dans le cadre de cet emploi requéraient un haut niveau de confiance entre l’employeur et l’employé.

[17]           Finalement, l’arbitre a rejeté les autres arguments soulevés par l’appelant, y inclus que son employeur aurait dû l’empêcher de rédiger l’examen le matin du 13 août 2009, et que la décision de l’employeur était entachée de plusieurs erreurs, dont la violation des droits linguistiques de l’appelant. À cet égard, l’arbitre a conclu que le processus de novo qui s’était déroulé en français devant elle avait remédié à cette violation alléguée et avait permis à l’appelant de présenter une preuve pleine et entière. Selon elle, l’appelant n’avait pas établi que le congédiement devait être annulé sur cette base.

IV.             Analyse

[18]           Bien qu’il ne soit pas représenté par avocat, l’appelant a soumis des arguments très détaillés, et il s’appuie sur une longue liste de jurisprudence. Vu les conséquences graves de la décision arbitrale sur sa carrière et sur sa famille, il est évident que celui-ci a de la difficulté à accepter qu’elle puisse être bien fondée. Pour un non-juriste, plusieurs questions de droit ou d’appréciation de la preuve qui sont claires aux yeux d’une cour de révision ou d’appel peuvent prendre une importance déterminante qu’elles n’ont pas dans un cadre juridique. Comme le juge de la Cour fédérale, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de traiter de toutes et chacune des allégations de l’appelant ou de la jurisprudence sur laquelle il s’appuie. Je ne commenterai que les plus importantes, étant entendu que l’appelant ne m’a pas persuadée que les autres questions justifiaient une intervention de notre Cour.

[19]           D’emblée, il convient d’indiquer que je ne suis pas d’accord avec l’appelant que l’insuffisance des motifs doive être analysée comme un manquement à l’équité procédurale. Ce dont l’appelant se plaint, c’est que l’arbitre n’a pas expressément traité de tous les arguments qu’il avait soulevés et de la jurisprudence qu’il avait citée, telle l’affaire Parisé c. Canada, 1997 CanLII 16521 (CF) que l’arbitre a omis d’inclure au paragraphe 80 de sa décision. À la lumière de Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, para. 22 [Newfoundland Nurses], je conclus que la suffisance des motifs de l’arbitre, ou plutôt du raisonnement qui sous-tend sa décision, ne peut être remise en question ici que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.

A.                Caractère raisonnable de la décision de l’arbitre

[20]           L’appelant soutient que la décision de l’arbitre est déraisonnable pour de multiples raisons, incluant les suivantes:

a)         les motifs de l’arbitre sont insuffisants quant à des questions essentielles telles la proportionnalité de la sanction imposée, l’analyse de la jurisprudence invoquée, la partialité du comité d’enquête et la violation de ses droits linguistiques;

b)         l’arbitre a mal analysé la preuve, notamment quant i) au témoignage de M. Robert Ferguson et, ii) à la crédibilité des témoins devant elle, incluant celle de l’appelant et celle de sa collègue Mme Lasonde;

c)         l’arbitre ne pouvait conclure que l’appelant avait envoyé le premier courriel du 7 août 2009 à partir de l’ordinateur de sa collègue en l’absence d’une preuve directe à cet égard.

[21]           L’appelant conteste l’appréciation par l’arbitre du caractère proportionnel de la mesure disciplinaire adoptée. De fait, selon lui, l’arbitre n’a pas vraiment tenu compte du principe de la proportionnalité des sanctions. D’emblée, je note qu’une simple lecture des motifs de l’arbitre démontre que cette dernière s’est penchée sur cette question, laquelle était la question essentielle soulevée dans le grief de l’appelant (Décision de l’arbitre, paras. 64, 65, 71 et 87). De plus, je souligne que l’évaluation de la proportionnalité de la sanction imposée est au cœur même de la compétence et de l’expertise de l’arbitre. Contrairement à ce que suggère l’appelant, l’arbitre n’avait pas à traiter de la jurisprudence qui réitère simplement les principes généraux applicables en l’espèce. La Cour suprême du Canada a édicté ce qui suit dans l’arrêt Newfoundland Nurses :

[i]l se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).  En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

(Newfoundland Nurses, para. 16)

[22]           L’arbitre est présumée connaître les principes généraux bien établis quant à la proportionnalité des mesures disciplinaires et l’appelant n’a pas réfuté cette présomption.

[23]           Lorsque les motifs de l’arbitre sont examinés à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, je ne peux que conclure que ces motifs expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision.

[24]           De plus, l’appelant semble mal interpréter la norme de contrôle qui s’applique au mérite de la décision de l’arbitre, soit celle de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada a énoncé dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 que :

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[25]           Ainsi, le fait qu’un autre décideur ait tiré, dans un dossier similaire au nôtre, une conclusion différente de celle tirée par l’arbitre en l’espèce (Parisé c. Canada, 1997 CanLII 16521 (CF); Hampton c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), dossier de la CRTFP 166‑02-28445 (19981123); Hickling c. Agence canadienne d'inspection des aliments, 2007 CRTFP 67) ne rend pas la décision devant nous nécessairement déraisonnable.

[26]           Tel que je l’ai clairement indiqué à l’audience devant nous, cette Cour ne peut simplement substituer sa propre évaluation de la preuve à celle de l’arbitre, particulièrement en ce qui concerne la crédibilité des témoignages et le poids à leur accorder.

[27]           L’appelant ne m’a pas persuadée que la preuve au dossier ne supportait pas la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’employeur avait établi, selon la prépondérance de preuve, que c’est l’appelant qui a envoyé le courriel à partir de l’ordinateur de sa collègue. Une preuve directe n’est pas toujours nécessaire; l’arbitre pouvait très bien tirer l’inférence qu’elle a tirée à partir de la preuve circonstancielle devant elle. En outre, le simple fait que l’arbitre se soit mal exprimée au paragraphe 82 de sa décision en indiquant que l’appelant avait envoyé les réponses directement chez lui à partir de l’ordinateur de sa collègue ne suffit pas à justifier notre intervention à cet égard.

[28]           Après un examen attentif du dossier d’appel, de la décision de l’arbitre et des arguments de l’appelant, je suis d’avis que la conclusion de l’arbitre appartient à l’une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

B.                 Équité procédurale

[29]           D’une part, l’appelant soutient que les manquements à l’équité du processus ayant mené à son congédiement ne pouvaient être corrigés par l’enquête et l’évaluation de novo devant l’arbitre. D’autre part, il soutient que l’arbitre a erré en ne tranchant pas la question de la partialité du comité d’enquête. L’appelant soumet aussi que l’arbitre était elle-même partiale, et qu’elle ne lui a pas permis de présenter une preuve pleine et entière.

(1)               Équité procédurale et processus de novo

[30]           L’appelant soumet que son droit à l’équité procédurale a été enfreint par le comité d’enquête disciplinaire ainsi que par Mme Deschênes.

[31]           Premièrement, l’appelant affirme avoir eu l’attente légitime que ce soit M. Bram Strain, la personne qui l’a rencontré le 31 mars 2010 pour discuter du rapport final d’enquête, qui décide de la sanction disciplinaire appropriée. Selon l’appelant, « celui qui entend décide ». À tout le moins, l’appelant estime avoir eu l’attente légitime que les observations présentées à M. Strain, ainsi que le courriel d’excuses qu’il lui a envoyé le 31 mars 2010 après leur rencontre, seraient considérés par Mme Deschênes lors de sa prise de décision.

[32]           Deuxièmement, l’appelant soutient que le refus de l’employeur de mener ses entrevues disciplinaires en français, tel qu’il l’aurait demandé à deux reprises (les 27 et 31 août 2009), a porté atteinte à sa liberté d’expression telle que garantie par l’alinéa 2(b) de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi qu’à ses droits linguistiques protégés par l’article 16 de la Charte et par la Loi sur les langues officielles (la Loi). Il faut préciser que même si l’appelant insiste que cette question ne devait pas être traitée comme un simple manquement à l’équité procédurale, son grief ne soulève pas la violation de ses droits linguistiques comme une question distincte à être tranchée par l’arbitre. J’en traiterai donc ici.

[33]           En ce qui concerne les observations soumises à M. Strain, je note que contrairement à ce que soutient l’appelant, la lettre du 19 avril 2010 énonce :

On March 31, 2010, you and your bargaining agent representative attended a pre-disciplinary hearing to discuss the results of the final Investigation Report.

At the hearing, you stated that you are very sorry for your actions due to the impact the investigation has had on you personally and on your family. You also stated that you regret having received and used the assessment questions because you could have given the same responses without having the questions ahead of time. You stated emphatically that such behaviour would not occur again.

(Lettre du 19 avril 2010, Dossier d’appel, Vol. I, Onglet. 13, p. 99)

[34]           Dans son courriel du 31 mars 2010, l’appelant suggère qu’il réitère des excuses ayant auparavant été communiquées à son employeur. 

[35]           Contrairement à ce que prétend l’appelant, l’équité procédurale n’exige pas que les décideurs administratifs aient eux-mêmes rencontré l’appelant. Il ressort de la lettre du 19 avril 2010 que l’essentiel des observations de l’appelant avait effectivement été communiqué à Mme Deschênes, que celle-ci ait ou non vu le courriel du 31 mars 2010. En outre, les allégations contenues au paragraphe 69 à 71 de l’affidavit de l’appelant sont directement contredites par le contenu clair et non-équivoque de la lettre du 19 avril 2010.

[36]           Je tiens à ajouter qu’il est loin d’être clair que la représentante syndicale de l’appelant, laquelle a fait les représentations légales devant l’arbitre, a soulevé ce manquement à l’équité procédurale. L’arbitre n’en traite pas dans sa décision, et l’appelant ne fait qu’indiquer, au paragraphe 74 de son affidavit, qu’il a lui-même soulevé cette violation pendant son témoignage le 12 septembre 2013. Il est évident que l’argumentation et la présentation de la preuve factuelle par le biais d’un témoignage sont des processus distincts.

[37]           À tout événement, même si j’acceptais que Mme Deschênes n’avait pas été informée du courriel du 31 mars 2010, ou qu’elle n’avait pas bénéficié d’un compte-rendu parfait des observations faites le 31 mars 2010, selon moi, ce manquement, s’il en est, a été corrigé par le processus de novo tenu devant l’arbitre.

[38]           La jurisprudence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique est claire à l’effet qu’une audience tenue devant un arbitre de grief constitue une audience de novo. (Voir par exemple « B » c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2013 CRTFP 75, para. 30.)

[39]           Dans l’affaire Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, l’appelante soumettait qu’elle n’avait pas eu l’opportunité de réfuter les prétentions de son employeur dans le cadre d’une enquête portant sur sa réclamation de commissions et de salaire impayés. Le juge Binnie a noté en obiter que :

[32] Si une révision interne avait été ordonnée, un arbitre aurait alors examiné de novo la demande de l’appelante et aurait sans aucun doute permis à cette dernière de prendre connaissance des documents de l’employeur et lui aurait donné la possibilité d’y répondre et de les commenter. Je reconnais que, sous le régime de la Loi, les vices procéduraux qui surviennent à l’étape de la décision initiale, y compris l’omission de donner aux intéressés un préavis suffisant et la possibilité de se faire entendre pour réfuter la thèse de la partie adverse, peuvent être corrigés à l’étape de la révision.

[Je souligne.]

[40]           La jurisprudence de notre Cour applique ce même principe depuis au moins trente ans. Dans Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no. 818 (CAF), le juge Urie indique : 

En supposant qu’il y ait eu injustice sur le plan de la procédure lorsque les supérieurs du requérant ont recueilli les déclarations de ce dernier (hypothèse dont nous doutons beaucoup), cette injustice a été entièrement réparée par l’audition de novo qui a eu lieu devant l’arbitre, où le requérant a été pleinement informé des allégations qui pesaient contre lui et où il a eu pleinement l’occasion d’y répondre.

[41]           Dans Bonamy c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 156, le juge Létourneau a conclu que la procédure de novo devant le juge de la Cour fédérale – en appel d’une décision d’un protonotaire – avait remédié à un manquement à l’équité procédurale devant le protonotaire. Dans cette affaire, le protonotaire n’avait pas pris en compte la réponse du demandeur sur la requête en rejet qui était devant lui.

[42]           Dans McBride c. Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181 [McBride], le juge Pelletier a également conclu que la violation du droit de M. McBride à l’équité procédurale (soit le défaut de divulguer les rapports médicaux sur lesquels le premier décideur administratif s’était appuyé) avait été corrigé par les audiences de novo tenues devant le Comité des griefs et le chef d’état-major de la Défense des Forces canadiennes (McBride, para. 45). Dans cette décision, le juge Pelletier a clarifié la question à considérer lorsqu’un manquement à l’équité procédurale est suivi d’une procédure de novo. Il indique au paragraphe 44 qu’il faut se demander « si compte tenu de l’ensemble des circonstances, la procédure était équitable » (je souligne).

[43]           À l’audience, l’appelant a insisté sur l’importance de la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Doré c. Commission des relations du travail, 2007 QCCS 4760 (CanLII) paras. 83-91 [Doré]. Dans ses soumissions écrites soumises après l’audience, il réfère aussi à l’arrêt Neary v. Portugal Cove-St. Philip’s, 2013 NLCA 47 (CanLII) [Neary], où le juge Rowe de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador a conclu que M. Neary avait droit à une audience équitable tant devant son employeur que devant l’instance en charge de réviser la décision de l’employeur. Dans Neary, l’audience de novo devant l’instance de révision n’avait donc pas suffi à remédier au manquement à l’équité commis par l’employeur. Bien que ces décisions appuient effectivement la position de l’appelant, les deux Cours n’y traitent pas de la jurisprudence de notre Cour ni de celle de la Commission. Une saine administration de la justice exige que cette Cour suive ses précédents (Miller c. Canada (Procureur Général), 2002 CAF 370, paras. 9-10). Rien dans Doré ou Neary ne me permet de conclure que notre Cour s’est manifestement trompée en décidant comme elle l’a fait dans les affaires décrites aux paragraphes 40 à 42 ci-dessus, ou en posant la question identifiée par le juge Pelletier dans McBride. C’est donc ce dernier précédent que j’appliquerai ici.

[44]           Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, je suis satisfaite que l’appelant a été traité équitablement. Le contenu de la lettre du 19 avril 2010 démontre que Mme Deschênes avait connaissance de la rencontre entre M. Strain et l’appelant. Le fait que Mme Deschênes n’ait pas vu le courriel du 31 mars 2010 n’est pas suffisant pour conclure à un manquement qui justifie d’annuler la décision devant nous, surtout lorsqu’on considère que ce courriel était devant l’arbitre et que l’appelant a eu l’opportunité de présenter tous ses arguments à cet égard.

[45]           En ce qui concerne l’atteinte aux droits linguistiques de l’appelant, le rapport final d’enquête daté du 26 janvier 2010, signé par M. Ferguson et Mme Pirt Horodyski, relate que :

At the beginning of Mr. Balikwisha-Patanguli’s first interview with the investigating committee on August 31, 2009, Mr. Balikwisha-Patanguli expressed two concerns to the committee.

Secondly, Mr. Balikwisha-Patanguli requested that the interview be conducted in French as this is his first official language. The committee explained that due to the fact that Mr. Balikwisha-Patanguli’s work location, CIC Calgary, is not designated a bilingual region for language of work and that he has been deemed to meet the English Essential language requirements of his current position, the interview would be conducted in English. Mr. Balikwisha-Patanguli was, however, advised that the committee would take extra care to ensure clarity of the questions being posed and understanding of Mr. Balikwisha-Patanguli’s responses. Mr. Balikwisha-Patanguli was encouraged to seek additional clarification if and when he did not understand a question being asked or if and when he felt that a response was not totally understood by the committee. The committee also offered that should Mr. Balikwisha-Patanguli feel the need to provide additional follow-up to the interview, he could do so in writing. Mr. Balikwisha-Patanguli was in agreement to proceed with the interview on this basis. Mr. Balikwisha-Patanguli did not indicate any concerns related to his ability to express himself or understand the questions posed during the interview and at the conclusion of the interview, he declined the offer to provide a written follow-up to the interview. Neither Mr. Balikwisha-Patanguli nor his union representative raised any further concerns regarding the use of the English language at the second interview with the investigating committee [le 1er septembre 2009] or at any other time during the investigation process.

[46]           À mes yeux, il est loin d’être établi que l’appelant bénéficiait effectivement des droits linguistiques qu’il prétend avoir en vertu de la Charte et de la Loi, laquelle met en œuvre les paragraphes 16 à 20 de la Charte (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773). L’appelant s’appuie sur l’article 16 de la Charte et sur l’objet de la Loi (article 2), sans pour autant démontrer que ces dispositions imposaient une obligation à son employeur d’assurer que les entrevues du 31 août et du 1er septembre 2009 se dérouleraient en français. S’il existait une telle obligation, celle-ci découlerait vraisemblablement de la partie V de la Loi, partie intitulée « Langue de travail ». Cette partie de la Loi établit une distinction entre certaines régions du pays. Or, Calgary n’est pas une « région désignée » aux fins de la partie V, et les obligations linguistiques d’un employeur vis-à-vis ses employés sont par conséquent moindres dans cette région.

[47]           M. Patanguli n’a déposé aucun grief à l’égard de cette soi-disant violation à ses droits linguistiques, et rien n’indique qu’il ait porté plainte à ce sujet en vertu de la Loi. En l’absence d’arguments démontrant que l’objet de la Loi peut être source de l’obligation dont l’appelant se dit bénéficiaire, je ne peux conclure que les droits linguistiques de celui-ci ont été violés en l’espèce. Il n’est donc pas utile de s’interroger sur l’impact que le processus de novo devant l’arbitre aurait pu avoir à cet égard.

(2)               Partialité et autres manquements à l’équité procédurale

[48]           L’appelant soutient que le Comité d’enquête et l’arbitre ont fait preuve de partialité. Selon lui, le Comité d’enquête avait des préjugés défavorables à son endroit et avait déjà décidé de sa culpabilité. De plus, l’appelant soumet que l’arbitre a fait preuve de partialité en lui demandant d’être bref dans son témoignage, soi-disant afin qu’elle se rende à des funérailles, et en refusant un ajournement afin que les plaidoiries se tiennent à Ottawa à une date ultérieure, ce qui aurait permis à l’appelant de prendre plus de temps pour compléter son témoignage. Selon l’appelant, l’arbitre avait aussi des préjugés qui ont influencé sa décision.

[49]           La Cour suprême du Canada a défini le critère à appliquer pour apprécier l’existence d’une crainte de partialité dans Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, au para. 19, soit qu’une « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » aurait lieu de craindre que la décision a été prise de façon partiale.

[50]           Parce que les décideurs sont présumés impartiaux, la norme décrite ci-dessus doit être appliquée rigoureusement. Je note que ni l’appelant ni son représentant n’ont soulevé d’objection à l’égard de la neutralité de l’arbitre avant que celle-ci ne rende sa décision. Les gestes dont l’appelant se plaint et tous les éléments qu’il soulève dans son mémoire ne m’ont pas convaincue de l’existence d’une crainte de partialité en l’espèce, tant au niveau du comité d’enquête qu’au niveau de l’arbitre de grief.

[51]           L’appelant ne m’a pas convaincue non plus qu’il y ait eu un quelconque autre manquement du fait que l’ajournement demandé ait été refusé. 

[52]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la décision devant nous ne devrait pas être annulée sur la base d’une violation à l’équité procédurale.

V.                Conclusion

[53]           Les normes de contrôle ont bien été appliquées. La décision arbitrale ne contient pas d’erreur qui justifie notre intervention. Je propose donc de rejeter l’appel.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord

Donald J. Rennie j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DU 12 DÉCEMBRE 2014, N° DU DOSSIER T-380-14 (2014 CF1206)

DOSSIER :

A-4-15

INTITULÉ :

MOHAMED BALIKWISHA PATANGULI c. ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 novembre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 décembre 2015

 

COMPARUTIONS :

M. Balikwisha Patanguli

l’appelant

(se représentant lui-même)

Me Martin Desmeules

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

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