Date : 20161219
Dossier : A-8-16
Référence : 2016 CAF 317
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE NADON
LE JUGE RENNIE
LE JUGE DE MONTIGNY
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ENTRE :
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HERB C. PINDER JR., JOHN WEDGE ET TOM MOLLOY, FIDUCIAIRES DE LA PINDER FAMILY TRUST
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appelants
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET L’AGENCE PARCS CANADA
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intimés
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Audience tenue à Saskatoon (Saskatchewan), le 14 novembre 2016.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2016.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE DE MONTIGNY
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NADON
LE JUGE RENNIE
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Date : 20161219
Dossier : A-8-16
Référence : 2016 CAF 317
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE NADON
LE JUGE RENNIE
LE JUGE DE MONTIGNY
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ENTRE :
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HERB C. PINDER JR., JOHN WEDGE ET TOM MOLLOY, FIDUCIAIRES DE LA PINDER FAMILY TRUST
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appelants
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET L’AGENCE PARCS CANADA
|
intimés
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE DE MONTIGNY
[1]
Le présent appel soulève une question qui peut, à première vue, sembler simple à trancher, mais qui est à l’origine d’un différend qui continue à opposer les parties. Il s’agit, essentiellement, de dire si la terrasse qui est adjacente à un chalet et s’étend jusqu’à la limite latérale du terrain répond aux exigences du Règlement sur les chalets situés dans les parcs nationaux, DORS/79‑398 (le Règlement), selon lequel la largeur d’une cour latérale non contiguë à une rue doit être d’au moins deux mètres.
[2]
Dans une décision rendue le 9 décembre 2015 (2015 CF 1376), la juge Heneghan de la Cour fédérale (la juge) a rejeté la requête en jugement sommaire présentée par les appelants, faisant droit à la requête en jugement sommaire présentée parallèlement par les intimés, estimant que la déclaration des appelants ne soulève pas de véritable question litigieuse. Selon la juge, la terrasse, qu’elle fasse partie du chalet ou qu’elle n’en constitue qu’une saillie, n’est pas conforme au Règlement.
[3]
Après une lecture attentive du dossier et l’examen des observations présentées par les parties, j’estime que l’appel devrait être rejeté. C’est à bon droit que la juge a conclu que la terrasse fait partie du chalet. Cette conclusion n’a rien d’inéquitable, bien que ce ne soit pas l’élément principal de la thèse des parties.
I.
Les faits
[4]
Les appelants sont fiduciaires d’une fiducie appelée Pinder Family Trust (la Fiducie). Ils louent de Parcs Canada, un organisme fédéral qui agit comme mandataire du gouvernement canadien, un lot donnant sur le lac Waskesiu, dans le parc national de Prince Albert. Le bail a initialement été conclu en 1948 pour une période de 42 ans. Il a été renouvelé, en 1988, pour une seconde période de même durée. Aux termes du bail, l’utilisation qui est faite du terrain est assujettie à la réglementation liée à la gestion et à l’administration assurées par Parcs Canada en vertu des pouvoirs que lui confère la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32 (la Loi). Le 1er janvier 1995, le locataire original a cédé le bail aux appelants.
[5]
Devant la juge, les parties ont longuement débattu des circonstances de la construction, en 1995, du chalet et de la terrasse, notamment sur la question de savoir si Parcs Canada avait officiellement autorisé la construction d’une terrasse allant jusqu’à la clôture marquant la limite sud du terrain. Selon les appelants, l’aménagement (y compris la construction de la terrasse) avait été intégralement examiné et expressément autorisé, d’abord par une lettre du 14 août 1995, puis par le fait qu’après avoir arpenté, en 1997, le terrain des Pinder et l’ensemble du lotissement urbain de Waskesiu Lake, Parcs Canada n’avait élevé aucune objection quant à l’emplacement de la terrasse. Les intimés font pour leur part valoir que les plans n’avaient reçu qu’une autorisation de principe. Ils ont cependant reconnu que les plans de construction en principe prévoyaient une marge de recul de 1,2 mètre seulement, alors que, pour les cours non contiguës à une rue, le Règlement impose une marge de recul de deux mètres.
[6]
Cependant, ce n’est pas la question à l’origine du présent appel. En effet, le litige tire sa source de l’autorisation demandée en 2005 par un des fiduciaires de la Fiducie, M. Pinder, appelant en l’espèce, qui souhaitait effectuer des réparations sous la terrasse dont certains des pilotis s’étaient déplacés. Il a demandé à Coralee Vaillancourt, gestionnaire des baux de Waskesiu Lake, l’autorisation de remplacer et d’agrandir la terrasse, accompagnant sa demande des droits applicables. C’est alors que l’agente lui a fait savoir que la terrasse n’avait pas été construite conformément au plan de situation approuvé en 1994 et que la terrasse et la remise empiétaient considérablement sur les marges de recul prévues. Elle a précisé que Parcs Canada n’examinerait pas la demande tant que la terrasse ne respecterait pas les marges de recul prévues au Règlement.
[7]
Malgré la réponse de Mme Vaillancourt, M. Pinder a, sans permis de construire, effectué les réparations, agrandissant du même coup la terrasse du chalet. Il a agrandi la terrasse vers les limites est et ouest du terrain, a remplacé le platelage et a réparé les pilotis endommagés. Il n’a rien changé à la marge de recul de 1,2 mètre sur le côté sud de la terrasse, estimant que le plan de situation de 1994 autorisait la construction d’une terrasse allant jusqu’à la limite de la propriété. Mme Vaillancourt a été avisée de ces réparations par M. Leir, un voisin de M. Pinder, ce qui a entraîné l’examen du dossier, puis l’inspection du lot par M. Terrence Schneider, administrateur du lotissement urbain de Waskesiu Lake pour le parc national de Prince Albert. À la suite de cette inspection, il a été constaté que les travaux de reconstruction étaient bien plus que des travaux de réparation et d’entretien ordinaires, et que ce réaménagement complet de la terrasse avait accru l’empreinte de la terrasse précédente.
[8]
Les parties se sont ensuite rencontrées à plusieurs reprises et, le 6 novembre 2012, Parcs Canada a fait savoir à M. Pinder que le bail serait résilié si la terrasse n’était pas rendue conforme au Règlement d’ici le 1er juin 2013. En juillet 2013, les appelants ont engagé un recours en justice, sollicitant de la Cour : (1) un jugement déclaratoire portant que le bail est en règle; (2) un jugement déclaratoire portant que leur chalet ne contrevient pas au Règlement; (3) une injonction interdisant aux intimés de résilier le bail ou de prendre toute autre mesure à l’égard de la terrasse ou du chalet; (4) des dommages‑intérêts, tant généraux que punitifs, pour diffamation, atteinte à la vie privée et faute intentionnelle. Au chapitre de la diffamation, les appelants reprochent aux agents de Parcs Canada d’avoir illégalement, et à tort, fait savoir à leur voisin que M. Pinder avait, sans autorisation, construit une terrasse illégale, ce qui a donné à ce voisin l’impression que M. Pinder avait délibérément présenté des plans trompeurs quant à l’emplacement de la terrasse. À l’automne 2014, les intimés ont déposé une requête en jugement sommaire, à laquelle les appelants ont répondu en présentant eux aussi une requête en jugement sommaire (demandant, subsidiairement, que les questions litigieuses soulevées dans leur déclaration modifiée soient tranchées par voie de procès sommaire).
II.
La décision en appel
[9]
Après avoir établi le critère applicable dans une requête en jugement sommaire (soit qu’il n’y ait aucune véritable question litigieuse), la juge s’est penchée en premier lieu sur la requête des intimés et a conclu que l’interprétation et la portée du Règlement soulevaient bien une véritable question litigieuse. Étant donné que les appelants avaient soulevé la même question et avaient fait valoir leur thèse en réponse aux arguments avancés par les intimés, la juge a décidé que la question pouvait néanmoins être tranchée par voie de procès sommaire en vertu du paragraphe 215(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.
[10]
La juge a d’abord relevé que le mot « terrasse »
n’est défini ni dans la Loi ni dans le Règlement. Se fondant sur les définitions des mots « dépendance »
et « chalet »
figurant dans le Règlement, elle a conclu que la terrasse fait en réalité partie du chalet. Pour tirer cette conclusion, elle s’est essentiellement appuyée sur le fait que la terrasse est contiguë au chalet et qu’elle est accessoire à l’usage qui est fait du chalet.
[11]
La juge a ensuite souligné que, « [b]ien que physiquement, la terrasse fasse partie du chalet, dans la mesure où elle fait saillie »
, ce n’est pas une saillie pour l’application du Règlement. Cela étant, la terrasse ne pouvait pas bénéficier de l’exception visant les saillies prévues dans la définition de « largeur de la cour latérale »
, que la juge a interprétée comme excluant les saillies du calcul des marges de recul constituant des conditions relatives aux chalets et aux dépendances.
[12]
Selon la juge, même si l’on considérait la terrasse comme étant une saillie, le résultat serait le même, et la terrasse construite par les appelants demeurerait non conforme au Règlement. Sur ce point, cependant, son raisonnement n’est pas sans contradictions. Se fondant sur le principe voulant que, en cas d’ambiguïté dans une disposition législative, il convienne de retenir le sens qui est commun aux versions anglaise et française du texte, elle a jugé que, dans la version anglaise, le passage « clear of projections »
doit être interprété comme excluant les saillies. Pourtant, au paragraphe 97 des motifs de son jugement, elle s’exprime en ces termes : « Par conséquent, la largeur de la cour latérale doit être mesurée entre la partie la plus rapprochée d’un chalet, d’une dépendance principale ou d’une saillie et le point le plus rapproché de la limite latérale du terrain. »
Le fait de prendre la saillie en compte dans le calcul du point le plus rapproché de la limite latérale du terrain semble contraire à sa conclusion précédente voulant que les saillies ne soient pas prises en compte dans le calcul de la largeur de la cour latérale. Mais, ainsi que nous le verrons un peu plus loin, cette contradiction ne prête guère à conséquence.
[13]
La juge a en outre relevé que les travaux de réparation menés par M. Pinder en 2005 et 2006 devaient, aux termes du paragraphe 7(1) et de l’article 9 du Règlement, faire l’objet d’un permis puisqu’ils concernaient la charpente du chalet et de la terrasse. Cette conclusion n’a pas été portée en appel.
[14]
La juge a en outre estimé que la doctrine de la préclusion ne pouvait être appliquée pour empêcher les intimés de résilier le bail. Selon elle, cette question a été tranchée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Immeubles Jacques Robitaille Inc. c. Québec (Ville), 2014 CSC 34, [2014] 1 R.C.S. 784, qui a confirmé le principe voulant que la préclusion ne puisse être invoquée en défense dans un recours portant sur un usage dérogatoire. La juge a par ailleurs estimé que la préclusion ne saurait être invoquée dans le cas où un agent public a fait une promesse illégale ou contraire à des dispositions législatives explicites. Encore une fois, les appelants ne contestent pas cette conclusion.
[15]
Et enfin, la juge a estimé que les allégations de diffamation, d’atteinte à la vie privée et de faute intentionnelle avancées par les appelants ne soulevaient pas de véritable question litigieuse. Pour ce qui est de la diffamation, la juge a estimé que les propos tenus par des représentants de Parcs Canada étaient essentiellement véridiques, ce qui est un moyen de défense opposable à cette allégation. Pour ce qui est de l’atteinte à la vie privée, la juge était d’avis qu’il n’y a pas de tel délit en common law et que ce volet du recours intenté par les appelants ne relève donc pas des tribunaux. Quant aux allégations de faute intentionnelle, la juge a estimé que les éléments de preuve versés au dossier n’établissent aucune cause d’action, en particulier du fait que, sauf preuve contraire, les actes d’un agent public sont présumés avoir été commis de bonne foi. Aucune de ces conclusions n’est en appel en l’espèce.
[16]
La juge a par conséquent rejeté la requête des appelants, et fait droit à celle des intimés.
III.
Les questions en litige
[17]
Personne ne conteste que la terrasse jouxte le chalet et qu’elle s’étend jusqu’à la limite latérale sud du terrain; il n’y a, entre le chalet et la limite latérale sud du terrain, aucun espace libre, comme le montrent les photographies prises en 2009 lors de l’inspection des lieux, qui constituent la pièce « M »
de l’affidavit de Terrence Schneider (dossier d’appel, volume 1, aux pages 116 à 127). Ainsi, les seules questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :
Comment faut-il interpréter le Règlement, et en particulier les exigences concernant la
« largeur de la cour latérale »
?En faisant droit, par jugement sommaire, à la requête des intimés sur le fondement d’observations que les intimés n’avaient pas présentées dans leur défense ou leur avis de requête en jugement sommaire, la juge a‑t‑elle violé le droit à l’équité procédurale des appelants?
IV.
Analyse
[18]
Il est bien établi que les normes de contrôle applicables en appel, dégagées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, s’appliquent tout autant au contrôle de décisions prises à l’issue de requêtes en procès sommaire (voir Sadhu Singh Hamdard Trust c. Navsun Holdings Ltd., 2016 CAF 69, au paragraphe 8; Collins c. Canada, 2015 CAF 281, au paragraphe 38). La première question trouvant sa réponse non pas dans une constatation de fait mais dans l’interprétation qu’il faut faire du Règlement, elle doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Il en va de même de la seconde question, qui est de savoir si l’affaire a été tranchée sur le fondement d’une observation qui n’avait pas été présentée à la Cour, puisqu’il s’agit d’une question générale de justice naturelle. La Cour est en conséquence libre de substituer son propre avis à celui de la juge de première instance si elle estime que celle‑ci s’est trompée dans son interprétation du Règlement.
A.
Comment faut-il interpréter le Règlement, et en particulier les exigences concernant la « largeur de la cour latérale »
?
[19]
Ainsi que l’a relevé la juge, le Règlement ne définit pas le mot « terrasse »
. Étant donné que la terrasse n’est bien sûr ni le chalet en tant que tel ni une dépendance, elle doit être considérée comme faisant partie du chalet ou comme étant une saillie de celui‑ci. La juge a opté pour la première de ces deux possibilités, et ses motifs pour ce faire sont solides. Non seulement la terrasse jouxte le chalet, mais il n’y a pas le moindre espace entre les deux. Cela étant, la terrasse ne peut avoir comme raison d’être que de contribuer à la jouissance du chalet. Selon le Règlement, un chalet est « un bâtiment aménagé de façon à pouvoir y dormir, y faire la cuisine, y manger et possédant des installations sanitaires »
. Du fait que la terrasse est une structure qui prolonge le chalet et qui sert principalement à y faire la cuisine et à y manger, je souscris à la conclusion de la juge voulant qu’elle soit « subordonnée à l’usage du chalet »
et qu’elle ne soit « utile qu’en lien avec une structure principale, qui est le chalet »
(paragraphe 82 des motifs du jugement).
[20]
La juge a envisagé, mais rejeté, la possibilité d’assimiler la terrasse à une « saillie »
. Selon l’avocat des appelants, cette conclusion est illogique étant donné que la juge a conclu que la terrasse constitue dans les faits une saillie du chalet mais ne lui a pas appliqué l’exception excluant les saillies du calcul de la largeur de la cour latérale. Puisque le Règlement ne contient aucune définition du mot « saillie »
, on ne saurait retenir une définition autre que celle qui se trouve dans le dictionnaire et que la juge a citée, c’est‑à‑dire tout élément proéminent ou qui se prolonge au‑delà de la surface adjacente.
[21]
Toutefois, l’interprétation des dispositions légales nécessite la prise en compte à la fois des versions anglaise et française. Le mot « saillie »
(qui, dans le Règlement, correspond au mot anglais « projection »
) a, en architecture, un sens beaucoup plus étroit, plus technique. Dans le Dictionnaire Larousse en ligne, par exemple, le mot « saillie »
est défini comme étant « chacune des parties en avancée sur le nu d’une façade (balcon, corniche, etc.) »
. Le Petit Robert, pour sa part, en donne la définition suivante :
Partie qui avance, dépasse le plan, l’alignement; angle saillant. à aspérité, avancée, bosse, éminence, éperon, protubérance, relief, ressaut. (…) Auvent, balcon, escalier formant saillie.
[22]
Ces définitions ont en commun le fait que les proéminences assimilées à des « saillies »
telles que les corniches, les entablements, les bow‑windows, les balcons, etc., se trouvent au‑dessus du sol. Cette définition plus étroite s’accorde mieux avec le libellé du Règlement dans son ensemble et avec l’objet tant de la Loi que du Règlement.
[23]
Aux termes du paragraphe 8(2) de la Loi, le ministre de l’Environnement a principalement pour rôle d’assurer la préservation ou le rétablissement de l’intégrité écologique des parcs nationaux du Canada (voir Sunshine Village Corporation c. Parcs Canada et al., 2003 CFPI 546, [2003] 4 C.F. 459, aux paragraphes 29, 41 et 42). Dans le même esprit, l’alinéa 16(1)m) confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements concernant « la réglementation de l’emplacement, de la conception, de la construction, de l’entretien, de l’amélioration, de l’enlèvement et de la démolition de bâtiments, installations, pancartes et autres structures, des normes à appliquer et des matériaux à utiliser ainsi que le zonage en vue de l’utilisation des terres ou des bâtiments »
. Le Règlement a été pris en conformité avec cet objectif et il impose en matière de construction un certain nombre de restrictions afin de préserver l’intégrité des parcs nationaux et de limiter l’empreinte des constructions.
[24]
C’est ainsi, par exemple, qu’aux termes des alinéas 5(1)g) et h) du Règlement, l’apparence du chalet « doit être compatible avec les caractéristiques naturelles du parc dans lequel il est situé »
et son aménagement (qui comprend la modification, la reconstruction, et l’agrandissement du chalet ainsi que la réparation de sa charpente) ne peut « pas [nuire] aux caractéristiques du voisinage »
. D’autres dispositions du Règlement limitent l’aire de plancher du chalet ainsi que celle de toutes les dépendances (alinéas 5(1)a) et 6a)), précisent l’endroit où peuvent être construites les dépendances (alinéas 6b) et c)), conditionnent tout aménagement à la délivrance d’un permis (paragraphe 7(1)), fixent les normes d’entretien (article 12), précisent ce qui peut être entreposé dans la cour arrière ou latérale d’un lot (article 18), prévoient que les clôtures et les haies doivent être compatibles avec les caractéristiques naturelles du parc (article 20) et interdisent l’utilisation de caravanes, de maisons mobiles, de camionnettes de camping ou de tentes sur un lot (article 21). Toutes ces dispositions visent manifestement à limiter l’empreinte des constructions dans les parcs nationaux et à favoriser la réalisation des objectifs de la Loi. Les dispositions pertinentes en l’espèce sont reproduites en annexe des présents motifs.
[25]
Je trouve dans la définition que le Règlement donne du mot « cour »
une confirmation supplémentaire de la conclusion de la juge selon laquelle la terrasse fait bien partie du chalet. D’après cette définition, la « cour »
est « la surface qui, à l’intérieur des limites de propriété d’un lot, n’est pas couverte par un bâtiment ou une autre construction »
(non souligné dans l’original). Cette définition éclaire la manière dont il convient d’interpréter les termes « cour latérale »
et « largeur de la cour latérale »
, qui s’appliquent par conséquent à la partie qui n’est couverte par aucune structure. Cette interprétation a par ailleurs l’avantage de s’accorder avec mon interprétation du mot « saillie »
.
[26]
Si on laissait les locataires construire des terrasses ou édifier des structures que ne définit pas le Règlement, qu’adviendrait‑il de l’intention manifeste du gouverneur en conseil d’imposer des limites à l’empreinte des constructions? Ce serait contraire à l’objectif même du Règlement, qui est de prévoir un espace minimal entre les constructions édifiées sur des lots contigus. Poussée à son comble, l’interprétation proposée par les appelants aboutirait à un résultat absurde puisqu’on laisserait les locataires élever des structures qui s’étendraient d’une limite à l’autre de chaque terrain, ce qui relierait tous les lots par une série ininterrompue de constructions en bois. Ce ne peut pas être ce qu’envisageait le gouverneur en conseil. Par conséquent, selon une interprétation correcte, la terrasse doit être considérée comme faisant partie du chalet aux fins du calcul de la largeur de la cour latérale prévue à l’alinéa 5(1)c) du Règlement. Cela étant, il n’y a pas lieu de se pencher sur la conclusion subsidiaire de la juge selon laquelle la terrasse serait non conforme même si on la considérait comme étant une saillie du chalet.
B.
En faisant droit, par jugement sommaire, à la requête des intimés sur le fondement d’observations que les intimés n’avaient pas présentées dans leur défense ou leur avis de requête en jugement sommaire, la juge a‑t‑elle violé le droit à l’équité procédurale des appelants?
[27]
Selon les appelants, la principale conclusion à laquelle est parvenue la juge n’est pas le fondement sur lequel Parcs Canada entendait résilier le bail et ne correspond pas à la thèse soutenue par Parcs Canada dans ses actes de procédure ou dans les observations présentées à l’appui de sa requête en jugement sommaire. Cet argument n’est guère convaincant, et cela pour au moins deux raisons.
[28]
Il est vrai que Parcs Canada a, tout au long de cette affaire, fait valoir que la terrasse contrevient au Règlement parce qu’elle constitue une saillie qui doit être prise en compte dans le calcul de la largeur minimale de la cour latérale. Dans une lettre du 30 janvier 2013 envoyée aux appelants en réponse à leur demande d’éclaircissements, Parcs Canada fait valoir que [traduction] « la terrasse est, effectivement, une « saillie » pour l’application des définitions du Règlement sur les chalets situés dans les parcs nationaux du Canada et des exigences concernant la largeur de deux mètres imposée à la cour latérale »
(dossier d’appel, volume 1, page 312). Au paragraphe 29 de leur défense (dossier d’appel, volume 1, page 72), les intimés reprennent ce même argument. Dans leur avis de requête en jugement sommaire, ils font à nouveau valoir que le Règlement exige que [traduction] « les terrasses et autres saillies ou structures de même type »
doivent respecter la marge de recul réglementaire par rapport à la limite des lots adjacents (dossier d’appel, volume 1, page 44).
[29]
Les intimés ont toujours soutenu que, pour l’application du Règlement, la terrasse constitue une saillie, mais il n’en va pas de même des appelants. Il ressort clairement de leur déclaration modifiée, datée du 5 août 2014, qu’ils sollicitaient notamment de la Cour un jugement déclarant que leur chalet ne contrevient pas au Règlement (dossier d’appel, volume 1, page 54, alinéa 1b). Au paragraphe 32, ils ont en outre fait valoir que [traduction] « la terrasse des demandeurs ne fait pas partie du chalet ni de la dépendance principale au sens du Règlement, et qu’elle ne constitue pas non plus une « saillie », selon l’emploi qu’il est fait de ce terme dans le Règlement »
. Au paragraphe 33, ils ont ajouté que Parcs Canada a, par lettre du 1er octobre 2010, confirmé que leur terrasse n’était pas considérée comme faisant partie du chalet, affirmation que Parcs Canada rejette dans sa défense. Et enfin, ils ont fait valoir, au paragraphe 29 de leur mémoire des faits et du droit, que la terrasse [traduction] « ne fait pas partie du chalet, n’est pas une dépendance principale et ne constitue pas une partie en saillie de l’un ou l’autre de ces bâtiments, et par conséquent ne doit pas être prise en compte dans le calcul de la largeur de la cour latérale »
(dossier d’appel, volume 1, page 375). Ce mémoire a été déposé dans le cadre des requêtes en jugement sommaire présentées par les deux parties.
[30]
On ne saurait donc affirmer que la juge a violé le droit des appelants à l’équité procédurale, et qu’en donnant raison aux intimés au motif que la terrasse fait bien partie du chalet, la juge s’est écartée des actes de procédure ou des observations présentées par les parties. Cette interprétation du Règlement n’est peut-être pas l’élément principal de la thèse des parties, mais elle était néanmoins en cause, et les appelants se sont expressément opposées à ce qu’elle constitue le fondement de la conclusion selon laquelle ils ont contrevenu aux exigences concernant la largeur minimale de la cour latérale.
[31]
Quoi qu’il en soit, il y a une deuxième raison de rejeter les arguments avancés par les appelants au sujet de l’équité procédurale : le tribunal appelé à interpréter une disposition légale n’a pas à s’en tenir aux actes de procédure ni aux observations présentées par les parties. Invoquant un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (Rodaro c. Banque royale du Canada (2002), 59 R.J.O. (3e) 74) ainsi que plusieurs jugements, tant de notre Cour que de la Cour fédérale, fondés sur cet arrêt (voir, par exemple Tervita Corporation c. Commissaire de la concurrence, 2013 CAF 28, infirmé pour d’autres motifs par 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161; Canada c. Nunn, 2006 CAF 403; Mercury XII c. MLT‑3 (Bell Copper No. 3), 2013 CAF 96; 876947 Ontario Limited (RPR Environmental) c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 156; Lahnalampi c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1136), l’avocat des appelants a fait valoir qu’en s’écartant des actes de procédure et des observations présentées par les parties, on refuse aux parties le droit de connaître les thèses auxquelles elles devront répondre et on leur enlève la possibilité d’y répondre adéquatement.
[32]
Il convient, cependant, de faire une distinction entre la jurisprudence invoquée et les circonstances de la présente affaire. Aucune des décisions citées ne portait sur l’interprétation d’une disposition légale. Elles portaient plutôt sur des conclusions de droit reposant essentiellement sur les éléments de preuve produits par les parties. Dans Rodaro, par exemple, le juge de première instance devait déterminer si la divulgation de renseignements confidentiels avait porté préjudice au détenteur des renseignements en question ou avait enrichi de façon illégitime l’auteur de la divulgation. Selon le juge de première instance, le détenteur des renseignements (M. Rodaro) avait effectivement subi un préjudice, en l’occurrence la perte d’une occasion. Même si l’analyse était correcte en théorie, la Cour d’appel a estimé qu’elle ne pouvait s’appliquer dans ce cas, d’abord parce que cet argument n’avait pas été invoqué ou défendu devant la Cour, et ensuite parce que rien ne démontrait que la raison pour laquelle M. Rodaro avait effectivement perdu l’occasion évoquée par le juge de première instance était la divulgation des renseignements confidentiels. La Cour d’appel a accueilli l’appel, concluant que le juge de première instance avait privé les défendeurs du droit de connaître les thèses auxquelles ils devraient répondre et leur avait enlevé la possibilité d’y répondre adéquatement. Qui plus est, la validité de la nouvelle théorie de la responsabilité était également en doute du fait que cette théorie n’avait pas encore été soumise à l’épreuve de la procédure contradictoire.
[33]
Cette jurisprudence ne s’applique donc pas en l’espèce. L’interprétation des lois est une pure question de droit, et les tribunaux ont non seulement le pouvoir mais l’obligation d’interpréter toute disposition législative au cœur d’un litige. Pour ce faire, les juges n’ont pas à s’en tenir aux observations présentées par les parties et la juridiction d’appel peut substituer son propre avis à la décision du tribunal d’instance inférieure. Il est bien établi qu’en dernier ressort, c’est aux tribunaux qu’il appartient d’interpréter la loi.
[34]
Ajoutons que les appelants n’ont pas démontré que la décision de la juge leur a porté préjudice. Les affidavits, qui ont donné lieu à des contre‑interrogatoires approfondis, comprenaient des photos et des plans concernant l’emplacement et de la construction de la structure en cause, et les appelants n’ont pas fait mention d’éléments de preuve supplémentaires dont ils auraient pu faire état et qui auraient pu influer sur l’interprétation du Règlement ou sur la conclusion de la Cour voulant que la terrasse fasse effectivement partie du chalet. Cela étant, je ne saurais conclure à un manquement à l’équité procédurale.
V.
Conclusion
[35]
Pour l’ensemble de ces motifs, je rejetterais l’appel, avec dépens aux intimés.
« Yves de Montigny »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
M. Nadon, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Donald J. Rennie, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Elisabeth Ross, jurilinguiste
ANNEXE A
Dispositions pertinentes
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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A-8-16
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INTITULÉ :
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HERB C. PINDER JR., JOHN WEDGE ET TOM MOLLOY, FIDUCIAIRES DE LA PINDER FAMILY TRUST c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET L’AGENCE PARCS CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Saskatoon (Saskatchewan)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 NOVEMBRE 2016
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE DE MONTIGNY
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NADON
LE JUGE RENNIE
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DATE :
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LE 19 DÉCEMBRE 2016
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COMPARUTIONS :
Douglas C. Hodson
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POUR LES APPELANTS
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Marlon Miller
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POUR LES INTIMÉS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MacPherson Leslie & Tyerman LLP
Avocats
Saskatoon (Saskatchewan)
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pour les appelants
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William F. Pentney
Sous‑procureur général du Canada
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pour les intimés
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