Date : 20030826
Dossier : A-424-01
Référence : 2003 CAF 322
CORAM : LE JUGE STRAYER
ENTRE :
ARTHUR C. DWYER
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 18 mars 2003
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 août 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NADON
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE STRAYER
LE JUGE EVANS
Date : 20030826
Dossier : A-424-01
Référence : 2003 CAF 322
CORAM : LE JUGE STRAYER
ENTRE :
ARTHUR C. DWYER
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Arthur C. Dwyer interjette appel du jugement du juge McArthur, de la Cour canadienne de l'impôt, en date du 10 juillet 2001, qui avait rejeté son appel à l'encontre de nouvelles cotisations émises conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), pour les années d'imposition 1987, 1988, 1989, 1990 et 1991. Les nouvelles cotisations des années 1987 à 1990 incluaient dans le revenu de l'appelant des intérêts créditeurs provenant d'hypothèques domiciliaires, et elles établissaient des intérêts et pénalités pour la non-déclaration de ces intérêts créditeurs par le contribuable. S'agissant de l'année d'imposition 1991, la nouvelle cotisation ne comporte que les intérêts créditeurs provenant d'hypothèques domiciliaires.
LES FAITS
[2] Un bref sommaire des faits est nécessaire pour mettre le présent appel dans son contexte propre. L'appelant, Arthur Dwyer, a été marié à Ruth Dwyer pendant 41 ans. Au cours des 33 dernières années, Mme Dwyer a travaillé chez Sears et le couple a vécu avec son salaire. En 1984, M. Dwyer s'est infligé une sérieuse blessure au dos alors qu'il soulevait des plaques d'amiante et, pour cette raison, il est incapable depuis lors de faire un quelconque travail physique. Durant de nombreuses années, M. Dwyer a reçu des prestations d'accident du travail.
[3] En 1976, M. Dwyer a commencé d'employer ses épargnes pour des prêts hypothécaires à l'habitation. De 1976 à 1991, il a investi dans environ 78 hypothèques domiciliaires, pour lesquelles il employait des pratiques commerciales simples mais efficaces. Dans l'exploitation de son entreprise, il utilisait les services de courtiers en prêts hypothécaires et d'avocats et demandait un taux d'intérêt allant de 15 p. 100 à 20 p. 100 qui tenait compte du risque des prêts. Les intérêts de pénalisation et les pénalités de remboursement étaient des caractéristiques courantes de ses hypothèques.
[4] M. Dwyer déposait le principal de ses hypothèques dans deux comptes, à la Caisse de crédit communautaire de Peterborough (la PCCU), et dans deux comptes, au National Trust. Dans chaque institution, il y avait un compte à son nom et l'autre à celui de son épouse, et les intérêts étaient portés au crédit de quatre autres comptes, répartis de la même manière. M. Dwyer gérait personnellement tous les comptes. Selon l'enquête menée au nom de ministre du Revenu national (le ministre), M. Dwyer a pu faire passer son actif total de 460 483 $ en décembre 1986 à 1 717 147 $ en décembre 1990.
[5] Revenu Canada a commencé de s'intéresser aux affaires de M. Dwyer quand l'un de ses clients fit un appel anonyme informant le ministre que M. Dwyer ne déclarait pas les intérêts créditeurs de ses hypothèques. À la suite de ce tuyau, Eric Fransky, un employé de Revenu Canada affecté aux enquêtes spéciales, fut prié d'enquêter sur M. Dwyer. Il a d'abord passé en revue les déclarations de revenus de M. Dwyer pour les années 1989 et 1990, afin de voir si des intérêts hypothécaires avaient été déclarés. M. Fransky a aussi examiné les documents du bureau d'enregistrement immobilier pour voir si M. Dwyer avait effectivement des hypothèques. Comme il y avait des preuves en ce sens, et puisque M. Dwyer n'avait pas déclaré d'intérêts créditeurs provenant d'hypothèques, M. Fransky mena son enquête un peu plus loin et envoya au directeur de la PCCU, M. Leon Butterworth, une directive lui enjoignant de produire des documents ou des renseignements, en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi, afin d'obtenir des renseignements sur les opérations bancaires de M. Dwyer. La directive fut signifiée en main propre au directeur de la PCCU par Eric Fransky le 10 janvier 1992.
[6] Après examen des documents et renseignements obtenus de la PCCU, et après une rencontre avec un ancien client de M. Dwyer, un certain M. Hunter, M. Fransky commença de douter un peu plus de la régularité des activités de M. Dwyer. Il entreprit donc d'obtenir des mandats en vue de perquisitionner au domicile de M. Dwyer, dans les bureaux de ses avocats et au tribunal où des dossiers étaient conservés depuis un procès entre M. Dwyer et M. Hunter, procès qui concernait une hypothèque détenue par M. Dwyer. Les mandats furent exécutés le 31 mars 1992.
[7] Les perquisitions se sont déroulées sans incident. M. et Mme Dwyer ont pleinement collaboré avec les perquisiteurs, dirigés par M. Ray Finkle, qui exécutaient le mandat à leur domicile. Comme M. Dwyer avait pour règle de ne garder que les renseignements se rapportant à ses hypothèques en cours, il entreprit de montrer aux perquisiteurs les documents se rapportant auxdites hypothèques.
[8] Alors que les perquisiteurs se trouvaient chez lui, M. Dwyer a reçu un appel téléphonique de deux avocats, MM. Dunn et Clark, qui l'avaient représenté dans plusieurs opérations hypothécaires. Les deux avocats voulaient l'informer que des représentants de Revenu Canada se trouvaient dans leurs bureaux, en quête de documents se rapportant à ses investissements hypothécaires. MM. Dunn et Clark demandaient tous deux à M. Dwyer s'il voulait invoquer le privilège du secret professionnel de l'avocat et, après de brefs échanges avec eux, M. Dwyer les informa qu'il n'en avait pas l'intention.
[9] Le 14 avril 1992, M. et Mme Dwyer furent interrogés par Eric Fransky et son supérieur immédiat, Peter Heryet. Les Dwyer furent informés de leurs droits, et informés également qu'ils étaient l'objet d'une enquête criminelle. On leur a aussi demandé s'ils souhaitaient avoir recours à l'assistance d'un avocat, mais ils ont répondu par la négative.
[10] Le 18 juin 1992, une directive ordonnant la production de documents et de renseignements était signifiée au National Trust, à Peterborough. Cette directive devait permettre à Revenu Canada d'obtenir des renseignements et documents additionnels concernant les activités bancaires de M. Dwyer. Le 24 juin 1992, des directives semblables étaient également signifiées à plusieurs avocats qui avaient représenté des clients hypothécaires de M. Dwyer. Une autre directive était signifiée au National Trust le 2 octobre 1992.
[11] Le 26 mars 1993, M. Fransky déposait sous serment une dénonciation criminelle contre M. Dwyer, qu'il accusait de s'être soustrait délibérément à l'impôt et d'avoir fait de fausses affirmations dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1989 et 1990. Le 15 février 1996, M. Dwyer était acquitté de toutes les charges.
[12] À la date de son acquittement, M. Dwyer avait payé 300 000 $ au ministre au titre de ses impôts impayés. De nouvelles cotisations civiles furent émises le 25 mars 1993 pour les années d'imposition 1987 à 1990 de M. Dwyer. Les avis de nouvelle cotisation furent confirmés le 29 mai 1998. M. Dwyer a fait appel des nouvelles cotisations à la Cour canadienne de l'impôt et, le 10 juillet 2001, le juge McArthur rejetait son appel.
[13] Pour compléter le récit, je devrais ajouter ce qui suit. M. Finkle, l'agent de Revenu Canada qui avait dirigé les perquisiteurs chargés d'exécuter le mandat de perquisition au domicile des Dwyer le 31 mars 1992, avait demandé un prêt à M. Dwyer, au cours d'une visite qu'il avait faite à leur domicile, après l'exécution du mandat de perquisition, pour expliquer à M. Dwyer les nouvelles cotisations. Ce renseignement fut découvert durant le procès criminel de M. Dwyer. M. Finkle fut éventuellement réprimandé par écrit par ses supérieurs à Revenu Canada.
POINTS EN LITIGE
[14] L'appel soulève les points suivants :
1. Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il n'aurait pas motivé suffisamment sa décision?
2. Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il n'a pas dit que la question de savoir si l'appelant avait la disposition mentale requise pour justifier l'imposition de pénalités était chose jugée en raison de sa relaxe?
3. Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il n'a pas fait reposer sur le ministre la charge de prouver la cotisation du contribuable?
4. Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il n'a pas dit que la conduite de l'enquête/vérification constituait un abus de procédure?
5. Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il a dit qu'il n'y avait pas eu violation des articles 7 et 8 de la Charte des droits et libertés (la Charte) dans la manière dont les éléments de preuve au soutien des nouvelles cotisations avaient été obtenus ou, subsidiairement, ces éléments de preuve auraient-ils dû être utilisés selon le paragraphe 24(2) de la Charte?
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[15] Les paragraphes 163(2) et 231.2(1) de la Loi sont à propos. En voici le texte :
163 (2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à un règlement d'application, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse - appelé « déclaration » au présent article - rempli ou produit pour une année d'imposition conformément à la présente loi ou à un règlement d'application, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total : a) de l'excédent éventuel (i) de la fraction éventuelle de l'impôt qui serait payable par cette personne pour l'année en vertu de la présente loi qui est en sus du montant qui serait réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l'année, s'il était ajouté au revenu imposable déclaré par cette personne dans la déclaration pour l'année la partie de son revenu déclaré en moins pour l'année qu'il est raisonnable d'attribuer au faux énoncé ou à l'omission et si son impôt payable pour l'année était calculé en soustrayant des déductions de l'impôt payable par ailleurs par cette personne pour l'année, la partie de ces déductions qu'il est raisonnable d'attribuer au aux énoncé ou à l'omission sur (ii) la fraction éventuelle de l'impôt qui aurait été payable par cette personne pour l'année en vertu de la présente loi qui est en sus du montant qui aurait été réputé par le paragraphe 120(2) payé au titre de cet impôt pour l'année, si l'impôt payable pour l'année avait fait l'objet d'une cotisation établie d'après les renseignements indiqués dans la déclaration pour l'année; b) de l'excédent éventuel (i) du montant qui, s'il était calculé d'après les renseignements indiqués dans la déclaration produite pour l'année en application du paragraphe 122.2(1), serait réputé par ce paragraphe payé pour l'année par cette personne ou par le particulier qui habite avec cette personne à la fin de l'année si celle-ci assume les frais d'entretien d'un enfant admissible du particulier pour l'année - au sens du paragraphe 122.2(2) - sur (ii) le montant réputé par le paragraphe 122.2(1) payé pour l'année par cette personne ou par ce particulier, selon le cas; c) (Abrogé par 1990, chap. 45, art. 51(1).) c.1) de l'excédent éventuel du total visé au sous-alinéa (i) sur le total visé au sous-alinéa (ii) : (i) le total des montants dont chacun représente un montant qui serait réputé en application de l'article 122.5 payé soit par cette personne ou cours d'un mois déterminé de l'année, soit, si cette personne est le proche admissible, au sens du paragraphe 122.5(1), d'un particulier pour l'année, par ce particulier, si ce total était calculé d'après les renseignements fournis dans le formulaire prescrit produit pour l'année en application de cet article, (ii) le total des montants dont chacun représente un montant réputé en application de l'article 122.5 payé par cette personne ou ce proche admissible au cours d'un mois déterminé de l'année; d) de l'excédent éventuel (i) du montant qui, s'il était calculé d'après les renseignements indiqués dans la déclaration ou formule produite conformément au paragraphe 127.1(1), serait réputé par ce paragraphe payé pour l'année par cette personne sur (i) le montant réputé par ce paragraphe payé pour l'année par cette personne.
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163 (2) Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence in the carrying out of any duty or obligation imposed by or under this Act, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return, form, certificate, statement or answer (in this section referred to as a "return") filed or made in respect of a taxation year as required by or under this Act or a regulation, is liable to a penalty of the greater of $100 and 50% of the aggregate of (a) the amount, if any, by which (i) the amount, if any, by which (A) the tax for the year that would be payable by him under this Act exceeds (B) the amount that would be deemed by subsection 120(2) to have been paid on account of his tax for the year if his taxable income for the year were computed by adding to the taxable income reported by him in his return for the year that portion of his understatement of income for the year that is reasonably attributable to the false statement or omission and if his tax payable for the year were computed by subtracting from the deductions from the tax otherwise payable by him for the year such portion of any such deduction as may reasonably be attributable to the false statement or omission exceeds (ii) the amount, if any, by which (A) the tax for the year that would have been payable by him under this Act exceeds (B) the amount that would have been deemed by subsection 120(2) to have been paid on account of is tax for the year had his tax payable for the year been assessed on the basis of the information provided in his return for the year, (b) the amount, if any, by which (i) the amount that would be deemed by subsection 122.2(1) to be paid for the year by him or, where he is a supporting person of an eligible child of an individual for the year (within the meaning assigned by subsection 122.2(2)) and resided with the individual at the end fo the year, by that individual, as the case may be, if that amount were calculated by reference to the information provided in the return filed for the year pursuant to that subsection exceeds (ii) the amount that is deemed by subsection 122.2(1) to be paid for the year by him or the individual referred to in subparagraph (I), as the case may be, (c) [Repealed] (c.1) the amount, if any, by which (i) the aggregate of all amounts each of which is an amount that would be deemed under section 122.5 to be paid by that person during a month specified for the year or, where that person is a qualified relation of an individual for the year (within the meaning assigned by subsection 122.5(1)), by that individual, as the case may be, if that aggregate were calculated by reference to the information provided in the prescribed form filed for the year under section 122.5 exceeds (ii) the aggregate of all amounts each of which is an amount that is deemed under section 122.5 to be paid by that person or that qualified relation during a month specified for the year, and (d) the amount, if any, by which (i) the amount that would be deemed by subsection 127.1(1) to be paid for the year by him if that amount were calculated by reference to the information provided in the return or form filed for the year pursuant to that subsection exceeds (ii) the amount that is deemed by subsection 127.1(1) to be paid for the year by him.
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231.2 (1) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis, a) qu'elle fournisse tout renseignement out tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire; a) qu'elle produise des documents. |
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231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice, (a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or (b) the document. |
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[16] Les paragraphes 487(1) et 488.1(2) du Code criminel sont également à propos. En voici le texte :
487 (2) Un juge de paix qui est convaincu, à la suite d'une dénonciation faite sous serment selon la formule 1, qu'il existe des motifs raisonnables de croire que, dans un bâtiment, contenant ou lieu, se trouve, selon le cas : a) une chose à l'égard de laquelle une infraction à la présente loi, ou à toute autre loi fédérale, a été commise ou est présumée avoir été commise; b) une chose dont on a des motifs raisonnables de croire qu'elle fournira une preuve touchant la commission d'une infraction ou révélera l'endroit où se trouve la personne qui est présumée avoir commis une infraction à la présente loi, ou à toute autre loi fédérale; c) une chose dont on a des motifs raisonnables de croire qu'elle est destinée à servir aux fins de la perpétration d'une infraction contre la personne, pour laquelle un individu peut être arrêté sans mandat; c.1) un bien infractionnel,peut à tout moment décerner un mandat autorisant un agent de la paix ou, dans le cas d'un fonctionnaire public nommé ou désigné pour l'application ou l'exécution d'une loi fédérale ou provinciale et chargé notamment de faire observer la présente loi ou toute autre loi fédérale, celui qui y est nommé : d) d'une part, à faire une perquisition dans ce bâtiment, contenant ou lieu, pour rechercher cette chose et la saisir; e) d'autre part, sous réserve de toute autre loi fédérale, dans les plus brefs délais possible, à transporter la chose devant le juge de paix ou un autre juge de paix de la même circonscription territoriale ou en faire rapport, en conformité avec l'article 489.1.
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487 (1) A justice who is satisfied by information on oath in Form 1 that there are reasonable grounds to believe that there is in a building, receptacle or place (a) anything on or in respect of which any offence against this Act or any other Act of Parliament has been or is suspected to have been committed, (b) anything that there are reasonable grounds to believe will afford evidence with respect to the commission of an offence, or will reveal the whereabouts of a person who is believed to have committed an offence, against this Act or any other Act of Parliament, (c) anything that there are reasonable grounds to believe is intended to be used for the purpose of committing any offence against the person for which a person may be arrested without warrant, or (c.1) any offence-related property, may at any time issue a warrant authorizing a peace officer or a public officer who has been appointed or designated to administer or enforce a federal or provincial law and whose duties include the enforcement of this Act or any other Act of Parliament and who is named in the warrant (d) to search the building, receptacle or place for any such thing and to seize it, and (e) subject to any other Act of Parliament, to, as soon as practicable, bring the thing seized before, or make a report in respect thereof to, the justice or some other justice for the same territorial division in accordance with section 489.1.
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488.1 (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.
« avocat » Dans la province de Québec, un avocat ou un notaire, et dans les autres provinces, un barrister ou un solicitor. |
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488.1 (1) In this section,
"custodian" means a person in whose custody a package is placed pursuant to subsection (2);
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« document » Pour l'application du présent article, s'entend au sens de l'article 321. |
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"document", for the purposes of this section, has the same meaning as in section 321;
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« fonctionnaire » Agent de la paix ou fonctionnaire public. |
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"judge" means a judge of a superior court of criminal jurisdiction of the province where the seizure was made;
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« gardien » Personne à qui la garde d'un paquet est confiée conformément au paragraphe (2). |
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"lawyer" means, in the Province of Quebec, an advocate, lawyer or notary and, in any other province, a barrister or solicitor; |
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« juge » Juge d'une cour supérieure de juridiction criminelle de la province où la saisie a été faite. |
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"officer" means a peace officer or public officer. |
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(2) Lorsqu'un fonctionnaire agissant sous le régime de la présente loi ou de toute autre loi fédérale est sur le point d'examiner, de copier ou de saisir un document en la possession d'un avocat qui prétend qu'un de ses clients, nommément désigné, jouit du privilège des communications entre client et avocat en ce qui concerne ce document, le fonctionnaire doit, sans examiner le document ni le copier : a) le saisir et en faire un paquet qu'il doit convenablement sceller et identifier; b) confier le paquet à la garde du shérif du district ou du comté où la saisie a été effectuée ou, s'il existe une entente écrite désignant une personne qui agira en qualité de gardien, à la garde de cette dernière.
(3) Lorsqu'un document a été saisi et placé sous garde en vertu du paragraphe (2), le procureur général, le client ou l'avocat au nom de son client, peut : a) dans un délai de quatorze jours à compter de la date où le document a été placé sous garde, demander à un juge, moyennant un avis de présentation de deux jours adressé à toute autre personne qui pourrait faire une demande, de rendre une ordonnance : (i) fixant une date, au plus tard vingt et un jours après la date de l'ordonnance, et un endroit, où sera décidée la question de savoir si le document doit être communiqué, (ii) en outre, exigeant du gardien qu'il présente le document au juge au moment et au lieu fixés; b) faire signifier une copie de l'ordonnance à toute personne qui pourrait faire une demande et au gardien dans les six jours de la date où elle est rendue; c) s'il a procédé ainsi que l'alinéa b) l'autorise, demander, au moment et au lieu fixés, une ordonnance qui tranche la question.
(4) Suite à une demande prévue à l'alinéa (3)c), le juge : a) peut examiner le document, s'il l'estime nécessaire, pour établir si le document doit être communiqué; b) peut, s'il est d'avis que cela l'aidera à rendre sa décision sur le caractère privilégié du document, permettre au procureur général d'examiner le document; c) doit permettre au procureur général et à toute personne qui s'oppose à la communication du document de lui présenter leurs observations; d) doit trancher la question de façon sommaire et : (i) s'il est d'avis que le document ne doit pas être communiqué, s'assurer que celui-ci est remballé et scellé à nouveau et ordonner au gardien de le remettre à l'avocat qui a allégué le privilège des communications entre client et avocat ou à son client, (ii) s'il est d'avis que le document doit être communiqué, ordonner au gardien de remettre celui-ci au fonctionnaire qui a fait la saisie ou à quelque autre personne désignée par le procureur général, sous réserve des restrictions et conditions qu'il estime appropriées. Le juge motive brièvement sa décision en décrivant la nature du document sans toutefois en révéler les détails.
(5) Lorsque le juge décide, conformément à l'alinéa (4)d), qu'un privilège des communications entre client et avocat existe en ce qui concerne un document, ce document demeure privilégié et inadmissible en preuve, que le juge ait permis ou non au procureur général de l'examiner, conformément à l'alinéa (4)b), à moins que le client n'y consente ou que le privilège ne soit autrement perdu.
(6) Lorsqu'un document a été saisi et placé sous garde, en vertu du paragraphe (2) et qu'un juge, sur la demande du procureur général, est convaincu qu'aucune demande prévue à l'alinéa (3)a) n'a été faite, ou, si elle l'a été, qu'elle n'a pas été suivie d'une autre demande prévue à l'alinéa (3)c), il doit ordonner au gardien de remettre le document au fonctionnaire qui a fait la saisie ou à quelque autre personne désignée par le procureur général.
(7) Lorsque, pour quelque motif, le juge à qui une demande a été faite selon l'alinéa (3)c) ne peut agir ni continuer d'agir en vertu du présent article, des demandes subséquentes faites en vertu de cet alinéa peuvent être faites à un autre juge.
(8) Aucun fonctionnaire ne doit examiner ni saisir un document ou en faire des copies sans donner aux intéressés une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège des communications entre client et avocat en vertu du paragraphe (2).
9) En tout temps, lorsqu'un document est entre les mains d'un gardien selon le présent article, un juge peut, sur une demande ex parte de la personne qui s'oppose à la divulgation du document alléguant le privilège des communications entre client et avocat, autoriser cette dernière à examiner le document ou à en faire une copie en présence du gardien ou du juge; cependant une telle autorisation doit contenir les dispositions nécessaires pour que le document soit remballé et le paquet scellé à nouveau sans modification ni dommage.
(10) La demande visée à l'alinéa (3)c) est entendue à huis clos.
(11) Le présent article ne s'applique pas lorsque peut être invoqué le privilège des communications entre client et avocat en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ou le secret professionnel du conseiller juridique en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. |
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(2) Where an officer acting under the authority of this or any other Act of Parliament is about to examine, copy or seize a document in the possession of a lawyer who claims that a named client of his has a solicitor-client privilege in respect of that document, the officer shall, without examining or making copies of the document, (a) seize the document and place it in a package and suitably seal and identify the package; and (b) place the package in the custody of the sheriff of the district or county in which the seizure was made or, if there is agreement in writing that a specified person act as custodian, in the custody of that person. 3) Where a document has been seized and placed in custody under subsection (2), the Attorney General or the client or the lawyer on behalf of the client, may (a) within fourteen days from the day the document was so placed in custody, apply, on two days notice of motion to all other persons entitled to make application, to a judge for an order (i) appointing a place and a day, not later than twenty-one days after the date of the order, for the determination of the question whether the document should be disclosed, and (ii) requiring the custodian to produce the document to the judge at that time and place; (b) serve a copy of the order on all other persons entitled to make application and on the custodian within six days of the date on which it was made; and (c) if he has proceeded as authorized by paragraph (b), apply, at the appointed time and place, for an order determining the question.
(4) On an application under paragraph (3)(c), the judge (a) may, if the judge considers it necessary to determine the question whether the document should be disclosed, inspect the document; (b) where the judge is of the opinion that it would materially assist him in deciding whether or not the document is privileged, may allow the Attorney General to inspect the document; (c) shall allow the Attorney General and the person who objects to the disclosure of the document to make representations; and (d) shall determine the question summarily and, (i) if the judge is of the opinion that the document should not be disclosed, ensure that it is repackaged and resealed and order the custodian to deliver the document to the lawyer who claimed the solicitor-client privilege or to the client, or (ii) if the judge is of the opinion that the document should be disclosed, order the custodian to deliver the document to the officer who seized the document or some other person designated by the Attorney General, subject to such restrictions or conditions as the judge deems appropriate, and shall, at the same time, deliver concise reasons for the determination in which the nature of the document is described without divulging the details thereof.
(5) Where the judge determines pursuant to paragraph (4)(d) that a solicitor-client privilege exists in respect of a document, whether or not the judge has, pursuant to paragraph (4)(b), allowed the Attorney General to inspect the document, the document remains privileged and inadmissible as evidence unless the client consents to its admission in evidence or the privilege is otherwise lost.
(6) Where a document has been seized and placed in custody under subsection (2) and a judge, on the application of the Attorney General, is satisfied that no application has been made under paragraph (3)(a) or that following such an application no further application has been made under paragraph (3)(c), the judge shall order the custodian to deliver the document to the officer who seized the document or to some other person designated by the Attorney General.
(7) Where the judge to whom an application has been made under paragraph (3)(c) cannot act or continue to act under this section for any reason, subsequent applications under that paragraph may be made to another judge.
(8) No officer shall examine, make copies of or seize any document without affording a reasonable opportunity for a claim of solicitor-client privilege to be made under subsection (2).
(9) At any time while a document is in the custody of a custodian under this section, a judge may, on an ex parte application of a person claiming a solicitor-client privilege under this section, authorize that person to examine the document or make a copy of it in the presence of the custodian or the judge, but any such authorization shall contain provisions to ensure that the document is repackaged and that the package is resealed without alteration or damage.
(10) An application under paragraph (3)(c) shall be heard in private.
(11) This section does not apply in circumstances where a claim of solicitor-client privilege may be made under the Income Tax Act or under the Proceeds of Crime (Money Laundering) and Terrorist Financing Act.
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[17] Et finalement, les articles 7 et 8, ainsi que les paragraphes 24(1) et 24(2) de la Charte, sont à propos. En voici le texte
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. |
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7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice. |
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8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
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8. Everyone has the right to be secure against unreasonable search or seizure.
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24. (1) toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances. |
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24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by the Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances. |
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(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. |
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(2) Where, in proceedings under subsection (1), a court concludes that evidence was obtained in a manner that infringed or denied any rights or freedoms guaranteed by this Charter, the evidence shall be excluded if it is established that, having regard to all the circumstances, the admission of it would bring the administration of justice into disrepute. |
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ANALYSE
Premier point- Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il n'aurait pas motivé suffisamment sa décision?
[18] Selon l'appelant, les motifs du juge de la Cour de l'impôt ne répondent pas à la norme fixée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869. Plus précisément, il soutient que les motifs sont déficients parce que le juge n'a pas expliqué sa décision « d'une manière suffisamment intelligible pour en permettre l'examen en appel » (Sheppard, précité, au paragraphe 1).
[19] Au soutien de son argument, l'appelant fait observer que le juge de la Cour de l'impôt a négligé d'aborder plusieurs aspects, à savoir le privilège du secret professionnel de l'avocat et la renonciation à ce privilège, la tentative d'extorsion de Ray Finkle, l'un des enquêteurs de Revenu Canada, l'abus de procédure, l'inobservation du mandat de perquisition, l'article 488.1 du Code criminel, le fondement des cotisations et le fardeau de la preuve s'y rapportant.
[20] L'intimée, il va sans dire, rejette énergiquement la position de l'appelant, en affirmant que les motifs exposés par le juge de la Cour de l'impôt répondent à la norme fixée par l'arrêt Sheppard, précité.
[21] L'intimée soutient que le juge a examiné la preuve d'une manière équitable, en exposant clairement la position de l'appelant, une position qu'il a décidé de ne pas retenir. L'intimée soutient aussi que le juge a scrupuleusement passé en revue la preuve se rapportant aux directives émises et à leur exécution et, sur ce point, il a préféré la preuve des témoins de l'intimée. Le juge a estimé que le témoignage d'Eric Fransky était « méticuleux » , tout en concluant que « s'il y a quelque chose de stupéfiant, c'est le caractère scandaleux du comportement de l'appelant, qui a omis de déclarer des revenus très importants, en soutenant qu'il ignorait qu'il devait les déclarer » . De l'avis de l'intimée, ce ne pouvait être là qu'une observation sur la crédibilité de ces deux témoins.
[22] Par conséquent, l'intimée dit que les motifs exposés par le juge de la Cour de l'impôt donnent manifestement à l'appelant et à la Cour un compte rendu complet de son jugement et donc qu'ils ne sont pas « inintelligibles » . L'intimée conclut sur ce point en affirmant qu'il n'y a pas absence de motifs au point d'empêcher la Cour d'apprécier la justesse de la décision du juge McArthur.
[23] À mon avis, les motifs exposés par le juge de la Cour de l'impôt répondent à la norme fixée par la Cour suprême dans l'arrêt Sheppard. Avant d'examiner cet arrêt et la norme qu'il fixe, je passerai brièvement en revue les motifs exposés par le juge de la Cour de l'impôt.
[24] Le juge de la Cour de l'impôt a examiné les éléments de preuve, affirmant sans ambiguïté qu'il ne pouvait croire que Mme Dwyer n'eût pas été informée de ses droits durant la perquisition menée à son domicile. Il a retenu que, avant la perquisition menée dans les cabinets d'avocats, les avocats avaient reçu lecture de leurs droits, et il a aussi retenu que M. Dwyer avait renoncé au privilège du secret professionnel de l'avocat.
[25] Le juge a examiné les preuves se rapportant à la demande de prêt faite par M. Finkle, ainsi que le paiement de la somme de 300 000 $ fait par M. Dwyer au titre de ses impôts. Il a conclu qu'il n'existait « aucune preuve d'extorsion de la part de M. Finkle » , ni aucune preuve que M. Dwyer avait payé la somme de 300 000 $ sous la menace de poursuites criminelles.
[26] Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté l'argument de l'appelant selon lequel la preuve obtenue à la faveur des perquisitions menées dans les cabinets d'avocats était irrecevable en raison de l'inconstitutionnalité de l'article 488.1, et l'argument selon lequel la preuve obtenue à la faveur de la perquisition menée au domicile des Dwyer était irrecevable en raison d'atteintes à la Charte. Appliquant l'arrêt La Reine c. Jurchison, 2001 CAF 126, il a jugé que la preuve obtenue en violation d'un droit garanti par l'article 8 de la Charte était peut-être irrecevable dans un procès criminel, mais qu'elle était recevable dans un procès civil. La question de savoir si la preuve devrait être écartée dépendait de l'application du paragraphe 24(2) de la Charte, et il fallait pour cela examiner la preuve contestée, la manière dont elle avait été obtenue, la gravité de l'atteinte aux droits garantis par la Charte, enfin la question de savoir si l'information était déjà entre les mains de la Couronne ou si elle était susceptible de communication préalable. Le juge s'est aussi référé à l'arrêt rendu par le juge Linden dans l'affaire Donovan c. La Reine, 2000 DTC 6339 (CAF), qui expose le même critère pour l'utilisation d'éléments de preuve obtenus au mépris d'un droit garanti par la Charte. Le juge de la Cour de l'impôt a pris note aussi des commentaires du juge Linden pour qui le redressement consistant à annuler une cotisation n'est possible que lorsqu'il est manifeste que l'exclusion d'éléments de preuve selon le paragraphe 24(2) priverait le ministre d'une preuve si fondamentale que la cotisation ne pourrait subsister sans elle.
[27] Après un examen de la preuve, le juge de la Cour de l'impôt a conclu que, vu les circonstances de cette affaire, les perquisitions n'étaient pas abusives. Il a aussi conclu que, en tout état de cause, l'utilisation de la preuve n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il a plutôt exprimé l'avis que c'est l'exclusion de la preuve qui aurait eu cet effet. Pour arriver à cette conclusion, le juge de la Cour de l'impôt a considéré que les perquisitions avaient été menées de bonne foi, sans la connaissance de l'inconstitutionnalité de l'article 488.1 du Code criminel, que le ministre avait des motifs sérieux de croire que des perquisitions étaient nécessaires pour le travail de vérification, que les preuves n'avaient pas été obtenues par mobilisation de l'appelant contre lui-même, enfin que « l'on aurait probablement pu trouver ces éléments de preuve par d'autres moyens » .
[28] Le juge a ensuite exposé en détail les motifs de sa conclusion selon laquelle la preuve ne permettait pas de dire qu'il y avait eu tentative d'extorsion de la part de M. Finkle à l'endroit de M. Dwyer. Cette conclusion était autorisée par le fait que M. Finkle disposait d'un actif suffisant pour garantir l'hypothèque qu'il demandait à l'appelant, que l'opération avait été traitée selon les méthodes ordinairement employées par M. Dwyer, avec l'intervention d'un courtier en prêts hypothécaires, puis avec demande à remplir, vérifications de crédit et taux d'intérêt habituels demandés par M. Dwyer, enfin que, lorsque la demande de M. Finkle fut refusée par M. Dwyer, M. Finkle a pu obtenir un financement auprès d'un établissement commercial, financement pour lequel il avait entrepris des démarches en même temps qu'il avait tenté d'obtenir un prêt de M. Dwyer.
[29] Le juge a ensuite fait porter son attention sur la somme de 300 000 $ payée par M. Dwyer au titre de ses impôts. Au vu des éléments de preuve qu'il avait devant lui, il a estimé que M. Dwyer avait été informé qu'il allait devoir plus de 300 000 $ en impôts et que le paiement de cette somme empêcherait les intérêts de courir. Conscient que le processus de la vérification s'était révélé difficile pour M. Dwyer et sa famille, le juge a néanmoins exprimé l'avis qu'il n'en résultait pas un abus de procédure de la part de Revenu Canada.
[30] S'agissant du quantum des cotisations, le juge a exprimé l'avis que M. Dwyer ne l'avait pas sérieusement contesté, si ce n'est pour déplorer qu'il était fondé uniquement sur un échantillon de ses relevés bancaires. Le juge a retenu que M. Dwyer n'avait produit aucune preuve contestant le quantum des cotisations, tandis qu'il a jugé « impressionnante » l'explication détaillée donnée par M. Fransky pour le calcul de la somme due par M. Dwyer à Revenu Canada.
[31] Finalement, le juge s'est penché sur les pénalités imposées par Revenu Canada. Il a rejeté l'argument de l'appelant selon lequel la question était chose jugée à la suite de son acquittement. Invoquant l'arrêt Hirex Holdings Ltd. c. R., [1997] 1 CTC 103, il a conclu qu'un acquittement à l'issue d'un procès criminel ne permettait pas, dans un procès civil, d'invoquer l'irrecevabilité pour question déjà tranchée. Il a aussi examiné les conditions requises avant que l'on puisse conclure à faute lourde selon l'article 163.2 de la Loi, conditions qui sont exposées par le juge Strayer (sa fonction à l'époque) dans l'arrêt Venne c. La Reine, 84 DTC 6247. Puisque M. Dwyer exerçait les activités de prêteur hypothécaire depuis plusieurs années, il ne pouvait en aucune façon être considéré comme un néophyte et, en conséquence, le juge a exprimé l'avis que M. Dwyer « avait fait preuve d'un aveuglement volontaire et avait commis une faute lourde » (au paragraphe 29) en omettant d'inclure les intérêts hypothécaires dans son revenu.
[32] Le juge a ensuite rejeté l'argument de l'appelant selon lequel les circonstances de cette affaire étaient assimilables à celles de l'affaire Succession Colangelo c. M.R.N., [1998] 2 CTC 2923. De l'avis du juge, le précédent Colangelo devait être écarté parce que, dans cette affaire, seule une opération portant sur un gain en capital était en cause, et le juge avait admis que le contribuable ne savait pas comment déclarer son gain. Dans la présente affaire, cependant, M. Dwyer a négligé d'inclure dans son revenu des sommes qui « avaient clairement le caractère d'un revenu » . Par conséquent, de l'avis du juge, les pénalités imposées à M. Dwyer étaient justifiées.
[33] À mon avis, il n'y a nul bien-fondé dans l'argument de M. Dwyer selon lequel le juge de la Cour de l'impôt n'a pas expliqué sa décision « d'une manière suffisamment intelligible pour en permettre l'examen en appel » (arrêt Sheppard, précité).
[34] Dans l'arrêt Shepard, la Cour d'appel de Terre-Neuve avait infirmé la déclaration de culpabilité de l'accusé parce que le juge du procès n'avait pas expliqué raisonnablement sa décision « d'une manière suffisamment intelligible pour en permettre l'examen en appel » . La Cour d'appel a donc estimé que le juge du procès avait commis une erreur de droit. Monsieur le juge Binnie, au paragraphe 2, a récité comme il suit le texte intégral des motifs du juge du procès (R. c. Sheppard (1999), 138 C.C.C. 254, au paragraphe 14, le juge O'Neill) :
Après avoir examiné l'ensemble des témoignages en l'espèce et me rappelant le fardeau qui incombe au ministère public et la crédibilité des témoins, et la façon dont le tout doit être apprécié, je conclus que le défendeur est coupable des actes reprochés.
[35] Le juge Binnie, rédigeant l'arrêt unanime de la Cour suprême du Canada, s'est rangé à la conclusion de la Cour d'appel de Terre-Neuve. Il écrivait au paragraphe 25 que la règle fondamentale était qu'une cour d'appel pouvait intervenir lorsque, à son avis, les lacunes des motifs sont tels qu'ils font obstacle, en appel, à un examen véritable de la justesse de la décision. Si tel était le cas, la juridiction inférieure avait commis une erreur de droit. Cependant, le juge Binnie a également souligné qu'une juridiction d'appel n'était pas investie du pouvoir d'intervenir « simplement parce qu'elle estime que le juge du procès s'est mal exprimé » (paragraphe 26). Au paragraphe 28 de ses motifs, le juge Binnie exposait ensuite la manière dont une juridiction d'appel devrait considérer des motifs dont la validité est mise en doute :
28. Il n'est ni nécessaire ni approprié de limiter les circonstances dans lesquelles une cour d'appel peut s'estimer incapable de procéder à un examen valable en appel. Le mandat de la cour d'appel consiste à vérifier la justesse de la décision rendue en première instance et un critère fonctionnel exige que les motifs donnés par le juge du procès soient suffisants à cette fin. La cour d'appel est la mieux placée pour se prononcer sur cette question. Le seuil est manifestement atteint lorsque, comme en l'espèce, le tribunal d'appel s'estime incapable de déterminer si la décision est entachée d'une erreur. Les facteurs suivants sont pertinents dans le présent pourvoi : (i) des incohérences ou des contradictions importantes dans la preuve ne sont pas résolues dans les motifs du jugement, (ii) la preuve embrouillée et contradictoire porte sur une question clé en appel et (iii) le dossier ne permet pas par ailleurs d'expliquer de manière satisfaisante la décision du juge de première instance. D'autres facteurs seront évidemment en cause dans d'autres instances. En termes simples, la règle fondamentale est la suivante : lorsque la cour d'appel estime que les lacunes des motifs font obstacle à un examen valable, en appel, de la justesse de la décision, une erreur de droit a été commise.
[36] Je n'ai aucune hésitation à dire que les motifs exposés par le juge McArthur n'empêchent pas la Cour d'appel fédérale d'examiner comme il convient la justesse de sa décision. Le juge a passé en revue la preuve, a tiré des conclusions de fait essentielles au soutien de sa décision et a exposé le critère juridique applicable à son analyse. Il n'y a donc aucune difficulté, au stade d'un appel, à examiner la décision et, par conséquent, je n'ai pas été persuadé que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit parce qu'il aurait exposé des motifs lacunaires.
Deuxième point - Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il n'a pas dit que la question de savoir si l'appelant avait la disposition mentale requise pour justifier l'imposition de pénalités était chose jugée en raison de sa relaxe?
[37] Comme je l'ai dit plus haut, le juge de la Cour de l'impôt, se fondant sur l'arrêt Hirex Holdings, précité, a conclu qu'un acquittement dans un procès criminel ne permet pas dans un procès civil d'invoquer l'irrecevabilité pour question déjà tranchée.
[38] L'appelant soutient que l'imposition de pénalités requiert d'établir l'élément de connaissance et un minimum de mens rea, et que, puisqu'il a été lavé d'accusations de fraude fiscale, la question de la mens rea est donc chose jugée entre les parties. L'intimée répond en disant qu'une preuve qui est insuffisante pour satisfaire à la charge de la preuve en matière criminelle peut suffire à satisfaire à la charge de la preuve en matière civile. Par conséquent, selon l'intimée, alors qu'une déclaration de culpabilité peut constituer la base d'un argument d'irrecevabilité pour question déjà tranchée, un acquittement ne peut avoir cet effet. À l'appui, l'intimée invoque la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Van Rooy c. Ministre du Revenu national, [1989] 1 C.F. 489, dans lequel la Cour avait fait siens les propos tenus par lord Diplock dans l'arrêt Hunter v. Chief Constable of West Midlands Police, [1982] A.C. 529 (H.L.). Il s'exprime ainsi, aux pages 542 et 543 :
Vos Seigneuries, la présente espèce est la première à être rapportée dans laquelle la décision définitive contre laquelle on cherche à entamer une attaque incidente au moyen d'une action civile s'est trouvée être une décision définitive prise par une cour de compétence criminelle. Cette situation risque d'entraîner des complications puisque le fardeau de la preuve des faits incombant à la poursuite dans une instance criminelle est plus lourd que celui qui est imposé aux parties à une instance civile cherchant à y établir les faits sur lesquels elles s'appuient. Ainsi une décision statuant dans une affaire criminelle en faveur d'un défendeur sur une question particulière, qu'il s'agisse d'un jugement d'acquittement ou d'une ordonnance sur un voir-dire, n'est pas incompatible avec un jugement prononcé contre ce même défendeur dans un cadre où le critère applicable serait seulement le critère civil de la preuve suivant la prépondérance des probabilités. Voilà pourquoi les acquittements n'ont pas été rendus admissibles en preuve dans les actions civiles par la Civil Evidence Act 1968. Par contraste, une décision relative à une question particulière statuant à l'encontre des prétentions de la partie défenderesse dans une affaire criminelle, comme l'ordonnance prononcée par le juge Bridge sur le voir-dire dans le procès criminel, est prise suivant le critère plus élevé de la preuve au-delà de tout doute raisonnable qui est appliqué en matière criminelle et ne laisse place à aucune possibilité qu'une décision n'eût pas été rendue à l'encontre des prétentions de ce défendeur dans l'hypothèse où la question jugée aurait dû être tranchée dans une instance civile plutôt que dans une instance criminelle.
[39] À mon avis, l'intimée a raison d'affirmer que la question de la mens rea n'est pas chose jugée entre les parties. Il ne fait aucun doute qu'un procès criminel peut se solder par un acquittement dans un cas où, si l'on s'en était tenu à la prépondérance de la preuve, l'infraction aurait été établie. Un tel acquittement ne rend donc pas chose jugée la question de la mens rea pour les pénalités, même si la disposition mentale requise est la même.
[40] Par conséquent, le juge McArthur n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a dit que la question des pénalités n'était pas chose jugée.
Troisième point - Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il n'a pas fait reposer sur le ministre du Revenu national la charge de prouver la cotisation du contribuable?
[41] Selon l'appelant, le ministre a la charge de la preuve lorsqu'il veut faire relever un contribuable du champ d'une disposition fiscale. À l'appui de cette affirmation, il invoque un arrêt de la Cour suprême du Canada, Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3. Le ministre, quant à lui, invoquant l'arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, et l'arrêt Re Island Telecom Inc. (1999), 176 D.L.R. (4th) 356 (C.S. Î.-P.-É., Section d'appel), soutient que c'est manifestement au contribuable qu'il incombe de réfuter les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir ses cotisations.
[42] À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas commis d'erreur en ce qui a trait au fardeau de la preuve. Dans l'arrêt Hickman, précité, le juge L'Heureux-Dubé, aux paragraphes 92 à 95, exposait ainsi l'approche à retenir :
92. Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités : Dobieco Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1966] R.C.S. 95, et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve : Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. M.R.N., 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la page 1106. En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions : (Bayridge Estates Ltd. c. M.R.N., 59 D.T.C. 1098 (C. de l'É.), à la page 1101), et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la page 5361). Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus : First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la page 6340.
93. L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de « démolir » l'exactitude des présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie : Kamin c. M.R.N., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); ...
94. Lorsque l'appelant a « démoli » les présomptions du ministre, le « fardeau de la preuve [...] passe [...] au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie » faite par l'appelant et prouver les présomptions : Magilb Development Corp. c. La Reine, 87 D.T.C. 5012 (C.F. 1re inst.), à la page 5018. Ainsi, dans la présente affaire, la charge est passée au ministre, qui doit prouver ses présomptions suivant lesquelles il existe « deux entreprises » et il n'y a « aucun revenu » .
95. Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui-ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause : ...
[43] Dans l'arrêt Island Telecom, précité, la Section d'appel de la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard examinait un argument, semblable à celui qui est avancé ici par l'appelant, fondé sur l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Corporation Notre-Dame de Bon-Secours, précité. Aux paragraphes 18 à 22, le tribunal a disposé ainsi de l'argument :
[traduction]
[18] L'appelante, Island Telecom, soutient que c'est au commissaire de la taxe provinciale qu'il appartient de prouver la justesse de la cotisation, puisque c'est lui qui allègue la justesse de la cotisation en se fondant sur une disposition particulière de la Loi. L'appelante soutient que cela est conforme au principe général applicable dans les procès civils, principe selon lequel « qui affirme doit prouver » . Island Telecom s'appuie sur l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Corp. Notre-Dame de Bon-Secours c. Québec, [1994] 3 R.C.S. 3 (C.S.C.), au soutien de cette position. Plus précisément, l'appelante se réfère aux propos suivants tenus par le juge Gonthier au paragraphe 28 :
Il y a tout de suite lieu de souligner la confusion qui risque de s'opérer entre la règle d'interprétation stricte d'une disposition de nature fiscale et le fardeau de preuve qui incombe aux parties dans une demande opposant l'État et un contribuable. En effet, selon la règle générale qui prévoit que le fardeau de preuve repose sur le demandeur, en toute matière il appartient à celui qui invoque le bénéfice de l'application d'une disposition législative de démontrer qu'il peut s'en prévaloir. Le fardeau de preuve repose donc sur le fisc lorsqu'on est en présence d'une disposition qui impose une charge fiscale et sur le contribuable dans le cas d'une disposition qui porte exemption de taxe. On notera que les présomptions mentionnées plus haut vont sensiblement dans le même sens. Ceci explique qu'on ait pu superposer ces notions jusqu'à les confondre. Avec égards, il s'agit là néanmoins de deux concepts fort différents. En tout état de cause, la règle de l'interprétation stricte s'attache uniquement à la clarté de la formulation de la loi fiscale : peu importe à qui incombe le fardeau de preuve, celui-là aura à convaincre le tribunal que le contribuable est clairement visé par le libellé de la disposition législative dont l'application est réclamée.
[19] L'appelante soutient que cet arrêt permet d'affirmer que la charge de prouver une cotisation fiscale repose sur le percepteur des impôts si la disposition invoquée est une disposition d'imputation, et sur le contribuable si la disposition en question est une disposition d'exonération. Malheureusement, je ne partage pas son avis.
[20] L'essentiel de l'argument d'Island Telecom est que le commissaire de la taxe provinciale doit prouver les faits sur lesquels la cotisation est fondée. Cependant, dans les précédents que j'ai cités plus haut et qui concernent expressément la preuve de faits dans des matières relevant de la fiscalité, les tribunaux ont jugé que la charge de prouver les faits sur lesquels est fondée la cotisation ne repose pas sur le ministre en tant qu'auteur des cotisations, c'est plutôt au contribuable qu'il revient de réfuter les faits en questions. Ce principe a été clairement exposé dans l'arrêt Johnston, et il a toujours été appliqué. Il m'est impossible de croire que la Cour suprême du Canada apporterait une modification à ce principe et adopterait une nouvelle norme par son arrêt ultérieur dans l'affaire Notre-Dame, sans faire aucune mention ni aucun examen de son arrêt antérieur dans l'affaire Johnston.
[21] Il est plus raisonnable de croire que l'arrêt Notre-Dame clarifiait et modernisait les principes applicables à l'interprétation d'une loi fiscale. Dans son arrêt, la Cour passait en revue plusieurs règles d'interprétation des lois fiscales, en se dégageant d'abord de la règle traditionnelle de l'interprétation stricte des lois fiscales, règle selon laquelle, dans le doute, une présomption jouait en faveur du contribuable lorsqu'il y avait obligation fiscale, mais contre lui lorsqu'il y avait exonération. Puis la Cour a examiné et commenté plusieurs méthodes d'interprétation appliquées dans des affaires antérieures et, au paragraphe 38, elle a exposé pour l'avenir les règles d'interprétation des lois fiscales. Ces principes ont été appliqués par la Cour dans un arrêt ultérieur, Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, à la page 295, paragraphe 56.
[22] Chaque cotisation est fondée sur les présomptions factuelles établies par le ministre ou, dans le cas de la taxe de vente, par le commissaire de la taxe provinciale. Dans un régime fiscal fondé sur l'autodéclaration et l'autocotisation, tel celui qui est établi pour la taxe de vente et celui qui est établi par la Loi de l'impôt sur le revenu, ces présomptions constituent en réalité l'interprétation que fait le ministre des faits qui lui sont divulgués par le contribuable. Les faits relèvent donc uniquement de la connaissance et du contrôle du contribuable. Par conséquent, il n'est pas injuste d'obliger le contribuable à réfuter les faits en question si, en appel, le contribuable tente de faire annuler la cotisation. Une fois que cela est fait et que les présomptions ont été « réfutées » ou, pour employer des mots plus sobres, une fois que le contribuable s'est acquitté de la charge de montrer que les faits ou présomptions invoqués par l'auteur de la cotisation sont inexacts, alors l'auteur de la cotisation assume la charge de la preuve. Il ne s'agit nullement ici des principes régissant l'interprétation d'une loi fiscale, car la question est de savoir si le cas du contribuable, compte tenu des faits en question, est manifestement visé par la loi fiscale que l'on cherche à appliquer. La charge de la preuve se rapporte à l'établissement ou à la réfutation des faits sur lesquels est fondée la cotisation. La question de savoir si une loi sera interprétée de manière à s'appliquer aux faits soulève une question de droit, une question d'interprétation législative, pour laquelle il n'existe aucune charge de la preuve, mais uniquement certaines règles d'interprétation, lesquelles sont exposées au paragraphe 38 de l'arrêt Notre-Dame. Aucune des parties ne supporte jamais un quelconque fardeau de la preuve en ce qui concerne le droit.
[Non souligné dans l'original]
Je souscris entièrement au raisonnement de la Section d'appel de la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard.
[44] En l'espèce, le ministre ne s'est pas simplement fondé sur les présomptions factuelles exposées dans l'avis de réponse, il a aussi produit, concernant l'enquête, une preuve documentaire abondante qui justifiait les nouvelles cotisations. Un élément de cette documentation est le rapport de vérification de M. Fransky, qui donne le détail des revenus professionnels non déclarés de M. Dwyer et qui précise l'origine des intérêts créditeurs. Des feuilles de travail expliquent pour chaque compte la base des chiffres des intérêts créditeurs.
[45] Le ministre a aussi, pour les nouvelles cotisations, produit une preuve qui a consisté dans le témoignage de vive voix de M. Fransky. Comme je l'ai déjà dit, le juge de première instance a trouvé impressionnantes les explications de M. Fransky relatives aux cotisations, et il les a acceptées.
[46] Ayant la charge de la preuve, le ministre a produit une preuve convaincante au soutien des cotisations, et il appartenait alors à M. Dwyer de la réfuter. M. Dwyer n'a apporté aucune contre-preuve de cette nature. Qui plus est, il n'a pas contesté qu'il avait négligé de déclarer de considérables intérêts créditeurs. L'échange suivant fait ressortir le témoignage de M. Dwyer relatif au quantum des cotisations (procès-verbal du témoignage de M. Dwyer, le 19 février 2001, pages 122-123 - voir dossier d'appel, volume 8, à la page 1584) :
[traduction]
Q. Et, également, des revenus professionnels non déclarés, dit le ministre, non, vous avez gagné plus de 9 000 $. Vous avez gagné...
R. Deux cent cinquante.
Q. Plus de 250 000 $ d'intérêts créditeurs. Êtes-vous d'accord avec cela?
R. Non, je ne suis pas d'accord, mais bon...
Q. C'est bien cela?
R. C'est dans, comme vous dites...
Q. Mais vous n'avez pas...
R. ... ce pourrait être dans ces chiffres.
Q. Très bien.
R. Je ne sais pas.
Q. Vous n'êtes donc peut-être pas d'accord sur les 82 000 $...
R. Non, je ne le suis pas.
Q. ... mais vous aviez d'importants revenus d'intérêts...
R. Oui, certainement.
Q. Et ils n'ont pas été déclarés?
R. Non, ils ne l'étaient pas, c'est vrai.
[47] Par conséquent, je ne vois nul bien-fondé dans la prétention de l'appelant sur ce point. Le juge a scrupuleusement examiné la preuve produite et il a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le ministre avait satisfait à son obligation d'apporter une preuve.
Quatrième point - Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il n'a pas dit que la conduite de l'enquête/vérification constituait un abus de procédure?
[48] Selon M. Dwyer, la conduite tout entière, les actions et les événements constituent une perquisition et une saisie abusives, ainsi qu'un abus de procédure. Plus précisément, il dit que la tentative d'extorsion de M. Finkle envers lui était abusive, que M. Finkle avait été blanchi par ses supérieurs et qu'il avait été abusif de tenter d'obtenir des documents auprès des banques et auprès d'avocats après l'exécution des mandats de perquisition.
[49] Au soutien de son argument, M. Dwyer affirme que M. Fransky a concédé que des perquisitions sans mandat avaient été menées en application des dispositions de la Loi relatives aux directives, après même l'exécution des mandats de perquisition et le dépôt d'accusations criminelles contre lui et son épouse. M. Dwyer affirme aussi que Revenu Canada a tenté d'obtenir de lui la somme de 300 000 $ sous la menace d'accusations criminelles, à une époque où des accusations n'avaient pas été déposées et où de nouvelles cotisations n'avaient pas été émises. Finalement, M. Dwyer dit que toutes les directives émises conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi constituent un abus de procédure selon l'article 7 de la Charte et une atteinte à l'article 8, car elles équivalaient à une enquête policière irrégulière menée en vertu des dispositions de la Loi se rapportant aux mesures d'exécution de nature civile. Par conséquent, M. Dwyer demande la suspension ou l'annulation des cotisations.
[50] Selon l'intimée, l'enquête ne constituait pas un abus de procédure. Pour le montrer, l'intimée soutient que le paragraphe 487(1) du Code criminel, la disposition en vertu de laquelle les mandats ont été exécutés, est constitutionnel et qu'il n'y a eu dans la conduite des agents enquêteurs rien de flagrant ou d'inacceptable. Plus précisément, l'intimée dit que ces agents agissaient en vertu de dispositions valides de la Loi et du Code criminel lorsqu'ils ont enquêté sur de possibles agissements illégaux de la part de M. Dwyer. Par conséquent, l'intimée dit qu'il n'y a pas eu abus de procédure.
[51] À mon avis, le moyen invoqué par M. Dwyer n'est pas recevable. J'examinerai d'abord la conduite de M. Finkle. Selon M. Dwyer, M. Finkle a tenté de lui extorquer de l'argent. M. Finkle a effectivement demandé une hypothèque à M. Dwyer au cours de leurs discussions relatives aux nouvelles cotisations de M. Dwyer. Selon M. Dwyer, M. Finkle lui a demandé s'il lui ferait un prêt en espèces, ou bien s'il consentirait à lui accorder une hypothèque. M. Dwyer a informé M. Finkle qu'il examinerait la question. Quelques semaines plus tard, M. Finkle téléphonait à M. Dwyer pour savoir si M. Dwyer avait pris une décision. M. Dwyer a informé M. Finkle qu'il avait pris des dispositions pour que M. Finkle rencontre son courtier en prêts hypothécaires. M. Dwyer a demandé à M. Finkle, comme à chacun de ses autres clients, de remplir une formule de demande. En temps et lieu, M. Dwyer, M. Finkle et le courtier en prêts hypothécaires ont visité la maison et le chalet de M. Finkle, qui devaient servir à garantir le prêt. Durant le trajet vers la maison et le chalet, M. Finkle informa M. Dwyer que l'intention de M. Fransky était d' « attraper » M. Dwyer. Finalement, M. Dwyer décida qu'il ne consentirait pas le prêt demandé par M. Finkle.
[52] Il n'est pas établi que la conduite de M. Finkle a été sanctionnée par ses supérieurs ou qu'elle a été considérée dans le processus d'enquête. Durant la procédure criminelle, M. Finkle a été l'objet d'une enquête interne à la suite d'affirmations selon lesquelles il s'était adressé à M. Dwyer pour obtenir un prêt personnel. Il fut réprimandé par écrit. La conduite de M. Finkle fut, le moins que l'on puisse dire, une démarche déplacée, faite par lui sans qu'il ait consulté ses supérieurs ou conféré avec eux.
[53] Il importe de noter que M. Finkle n'a eu aucun rôle dans l'enquête, si ce n'est le rôle de chef d'équipe durant l'exécution du mandat de perquisition au domicile de M. Dwyer. Après la perquisition, M. Dwyer a communiqué avec M. Finkle, pour l'inviter chez lui afin d'examiner les nouvelles cotisations et les comptes.
[54] Dans l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, la Cour suprême du Canada expliquait la preuve qui était nécessaire pour autoriser une conclusion d'abus de procédure. Le juge Bastarache, écrivant pour la majorité, a fait siens les propos tenus par Donald M. Brown et John M. Evans dans l'ouvrage Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto : Canvasback, 1998 (feuilles mobiles), à la page 9-68). Il s'est exprimé ainsi, au paragraphe 120 :
120. Pour conclure qu'il y a eu abus de procédure, la cour doit être convaincue que [traduction] « le préjudice qui serait causé à l'intérêt du public dans l'équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l'intérêt du public dans l'application de la loi, s'il était mis fin à ces procédures » ...
Le juge Bastarache écrivait ensuite que, pour qu'on puisse conclure qu'il y a eu abus de procédure, il faut que la situation soit « à ce point viciée qu'elle constitue l'un des cas les plus manifestes » . Les procédures administratives doivent être « injustes au point qu'elles sont contraires à l'intérêt de la justice » (au paragraphe 120, citant les propos du juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt R. c. Power, [1984] 1 F.C.R. 601).
[55] À mon avis, M. Dwyer n'a pas produit une preuve suffisante atteignant le seuil fixé par la Cour suprême. Puisque M. Finkle n'était pas en position d'influencer l'issue des procédures administratives, sa conduite personnelle inopportune n'est pas de nature à justifier une conclusion d'abus de procédure. Revenu Canada a vu dans la conduite de M. Finkle un sérieux manquement et a pris les mesures qui s'imposaient. La conduite de M. Finkle était postérieure à l'exécution du mandat de perquisition au domicile de M. Dwyer, et, à mon avis, elle n'a pas pour effet de vicier la preuve obtenue grâce à cette perquisition. La conduite de M. Finkle était condamnable, mais je suis d'avis qu'il n'en a résulté aucune injustice envers M. Dwyer.
[56] L'autre affirmation de M. Dwyer en ce qui a trait à l'abus de procédure est que le recours de Revenu Canada à des directives après l'exécution des mandats de perquisition était abusif. À mon avis, cette prétention n'a aucun fondement. La présente procédure est une procédure d'exécution de nature civile introduite en vertu de la Loi, il ne s'agit pas de poursuites pour infractions criminelles. Il était donc loisible au ministre de diligenter à la fois une enquête aux fins d'éventuelles poursuites, et une vérification aux fins d'un recouvrement (R. c. Jarvis, précité, au paragraphe 97).
[57] La preuve obtenue à la faveur des pouvoirs de vérification n'est pas recevable dans une procédure criminelle, lorsqu'elle est obtenue après le début de l'enquête. Cependant, il demeure loisible au ministre d'exercer les pouvoirs prévus par les paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) pour obtenir une information aux fins de la vérification. Dans la présente affaire, ce n'est pas tâche facile que de faire la distinction entre l' « enquête » et la « vérification » , étant donné que M. Fransky semble avoir agi à la fois comme enquêteur et comme vérificateur. Cependant, puisque l'affaire dont nous sommes saisis concerne une procédure d'exécution de nature civile, le recours aux directives pour obtenir l'information n'équivaut pas, à mon avis, à un abus de procédure, même s'il est recouru à telles directives après l'exécution des mandats de perquisition. En tout état de cause, je suis d'avis que, le cas échéant, l'exclusion d'éléments de preuve obtenus irrégulièrement est un redressement préférable à celui qui consiste à dire qu'il y a eu abus de procédure.
Cinquième point - Le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur parce qu'il a dit qu'il n'y avait pas eu violation des articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) dans la manière dont les éléments de preuve au soutien des nouvelles cotisations avaient été obtenus, ou, subsidiairement, ces éléments de preuve auraient-ils dû être utilisés selon le paragraphe 24(2) de la Charte?
[58] Je passe maintenant au dernier point, qui concerne les atteintes à la Charte et la preuve. D'abord, selon M. Dwyer, il y a eu atteinte aux articles 7 et 8 de la Charte lorsque M. Fransky a signifié la directive du 10 janvier 1992 au directeur de la PCCU, M. Leon Butterworth, dans le dessein d'obtenir des renseignements et des documents se rapportant à ses opérations bancaires. Cet argument s'appuie sur le fait que, lors de la signification de la directive, Revenu Canada soupçonnait déjà M. Dwyer d'agissements criminels, c'est-à-dire de ne pas déclarer tous ses revenus. M. Dwyer affirme qu'il avait droit à la confidentialité de ses relevés bancaires. Il dit que, sans cette directive, aucun élément de preuve n'aurait pu être recueilli.
[59] Évidemment, l'intimée soutient que la directive signifiée au directeur de la PCCU résultait d'une application valide des dispositions touchant les directives. Un mandat est requis lorsqu'il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction a été commise, mais l'existence de tels motifs ne peut être déduite du simple fait que la Section des enquêtes spéciales a émis la directive. Les enquêteurs ont été d'abord priés de déterminer si des revenus hypothécaires avaient été déclarés par M. Dwyer, si M. Dwyer avait en fait reçu des revenus hypothécaires et s'il avait sciemment ou délibérément négligé de déclarer le revenu net tiré de telles hypothèques. Ce n'est qu'après que Revenu Canada déterminerait la mesure des gains de M. Dwyer et analyserait l'ensemble de la preuve que l'on serait en mesure de savoir si M. Dwyer devrait être l'objet d'une nouvelle cotisation, assujetti à des pénalités et/ou poursuivi.
[60] Selon l'intimée, le recours au paragraphe 231.2(1) de la Loi pour forcer la production des documents et renseignements propres à garantir la conformité à la Loi n'est pas une perquisition ou saisie abusive au sens de l'article 8 de la Charte (R. c. McKinley Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, aux pages 647 à 650). Le fait que le ministre avait des motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction avait été commise ne fait pas obstacle à l'utilisation de la preuve recueillie pour assurer la conformité à la Loi dans un contexte civil (Bisaillon c. Canada, [1999] A.C.F. 1477, au paragraphe 5 (C.A.F.)).
[61] On ne m'a pas persuadé que la directive initiale signifiée à la PCCU en vue de recueillir des documents et des renseignements sur les relevés bancaires de M. Dwyer contrevenait à la Charte. Dans l'arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, et dans l'arrêt R. c. Ling, 2002 CSC 74, la Cour suprême a récemment examiné le recours aux dispositions concernant les directives, dans le contexte des vérifications et poursuites prévues par la Loi. Dans l'arrêt Jarvis, la Cour suprême a jugé que le recours à telles dispositions pour obtenir des renseignements était valide et que les preuves recueillies étaient recevables dans un procès civil comme dans un procès criminel si l'objet premier de l'enquête du ministre n'était pas l'établissement d'une responsabilité pénale. Aux paragraphes 93 et 94 de leurs motifs exposés au nom de la Cour, les juges Iacobucci et Major énuméraient plusieurs facteurs permettant de dire si une enquête engage ou non la relation contentieuse entre l'État et le particulier :
93. Rappelons que, pour déterminer à quel moment la relation entre l'État et le particulier est effectivement devenue une relation de nature contradictoire, il faut tenir compte du contexte, en examinant tous les facteurs pertinents. À notre avis, la liste suivante de facteurs sera utile pour déterminer si un examen a pour objet prédominant d'établir la responsabilité pénale du contribuable. À l'exception de la décision claire de procéder à une enquête criminelle, aucun facteur n'est nécessairement déterminant en soi. Les tribunaux doivent plutôt apprécier l'ensemble des circonstances et déterminer si l'examen ou la question en cause crée une relation de nature contradictoire entre l'État et le particulier.
94. À cet égard, le juge de première instance examinera tous les facteurs, y compris les suivants :
a) Les autorités avaient-elles des motifs raisonnables de porter des accusations? Semble-t-il, au vu du dossier, que l'on aurait pu prendre la décision de procéder à une enquête criminelle?
b) L'ensemble de la conduite des autorités donnait-elle à croire que celles-ci procédaient à une enquête criminelle?
c) Le vérificateur avait-il transféré son dossier et ses documents aux enquêteurs?
d) La conduite du vérificateur donnait-elle à croire qu'il agissait en fait comme un mandataire des enquêteurs?
e) Semble-t-il que les enquêteurs aient eu l'intention d'utiliser le vérificateur comme leur mandataire pour recueillir des éléments de preuve?
f) La preuve recherchée est-elle pertinente quant à la responsabilité générale du contribuable ou, au contraire, uniquement quant à sa responsabilité pénale, comme dans le cas de la preuve de la mens rea?
g) Existe-t-il d'autres circonstances ou facteurs susceptibles d'amener le juge de première instance à conclure que la vérification de la conformité à la loi était en réalité devenue une enquête criminelle?
...
[62] Ainsi, le moment auquel a débuté la « relation de nature contradictoire » est essentiel pour la conclusion à tirer. Par conséquent, le recours aux dispositions touchant les directives en vue d'obtenir des renseignements après que la vérification est devenue une enquête constitue une atteinte aux droits du contribuable selon les articles 7 et 8 de la Charte.
[63] En l'espèce, la vérification ou la poursuite a commencé lorsqu'un renseignement anonyme fut reçu par M. Heryet. L'affaire a été soumise à M. Fransky, de la Section des enquêtes spéciales, lequel, à l'époque, ne pouvait nullement songé au dépôt d'accusations criminelles contre M. Dwyer simplement sur la foi d'un rapport non étayé. Les recherches initiales effectuées par M. Fransky participaient d'une enquête portant sur les obligations fiscales de M. Dwyer en général. Il a passé en revue les déclarations de revenus de M. Dwyer et consulté les archives du bureau local d'enregistrement immobilier pour savoir si M. Dwyer avait des investissements hypothécaires. Comme c'était le cas, la directive fut signifiée à la PCCU, et des renseignements furent recueillis auprès de M. Hunter, un ancien client de M. Dwyer.
[64] M. Fransky a exprimé l'avis que son enquête était le stade préliminaire d'une enquête criminelle, mais à mon sens, l'enquête menée était une vérification, en ce sens que la nature des preuves recherchées visait à établir s'il y avait ou non des revenus non déclarés et concernait davantage les obligations fiscales générales de M. Dwyer que la mens rea propre à une infraction. Même si le « vérificateur » était aussi l' « enquêteur » , il n'existait, avant la signification de la directive à la PCCU, aucun élément de preuve qui pût justifier un transfert du dossier à la Section des enquêtes spéciales, le dossier eût-il pour origine la Direction générale de la vérification de Revenu Canada. En d'autres termes, lorsque la directive a été signifiée à la PCCU, la relation de nature contradictoire entre l'État et le particulier n'avait pas pris naissance, et l'objet prédominant de l'enquête ne pouvait être l'établissement d'une responsabilité pénale. Au paragraphe 90 de leurs motifs, dans l'arrêt Jarvis, les juges Iacobucci et Major indiquent clairement qu'un simple soupçon ne suffit pas à faire naître une enquête :
90. On peut encore moins retenir comme critère le simple soupçon qu'une infraction a été commise. Au cours de sa vérification, le vérificateur peut soupçonner toutes sortes de conduites répréhensibles, mais on ne peut certainement pas affirmer qu'une enquête est commencée dès l'apparition d'un soupçon. Sur le fondement de quels éléments de preuve un enquêteur pourrait-il obtenir un mandat de perquisition si un vague soupçon était suffisant pour bloquer le processus de vérification qui permet d'établir les faits? L'intérêt qu'a l'État à poursuivre ceux qui éludent volontairement le paiement d'un impôt revêt une grande importance, et nous devons nous garder de neutraliser la capacité de l'État d'enquêter et de recueillir des éléments de preuve de la perpétration de ces infractions.
[65] Je suis donc d'avis que la directive signifiée au PCCU ne constitue pas une perquisition ou saisie abusive, et il n'y a donc pas eu atteinte aux droits de M. Dwyer selon les articles 7 et 8 de la Charte.
[66] Je passe maintenant à la validité des mandats qui ont été exécutés au domicile des Dwyer et dans les bureaux de MM. Dunn et Clark, après avoir été délivrés en conformité avec l'article 487 du Code criminel. Au moment de l'exécution de ces mandats, des preuves étaient clairement recherchées dans le contexte de poursuites relatives à des infractions à la Loi, plutôt que dans le contexte d'une vérification. Pour obtenir les mandats, les fonctionnaires qui ont déposé sous serment la dénonciation ont indiqué qu'il existait des motifs raisonnables et probables de croire que des preuves établissant l'existence d'agissements contraires à la Loi seraient trouvées aux endroits où les perquisitions devaient avoir lieu. Les éléments de preuve recueillis grâce à la directive signifiée à la PCCU établissaient en partie l'existence de tels motifs. Comme je suis arrivé à la conclusion que les renseignements obtenus de la PCCU n'a pas été recueillie d'une manière qui portait atteinte à la Charte, le fait que les mandats ont été décernés sur la foi de tels renseignements ne rend pas les mandats invalides.
[67] S'agissant du mandat exécuté au domicile des Dwyer, je n'ai aucune hésitation à dire que la perquisition effectuée à cet endroit n'était pas abusive. M. Dwyer ne m'a pas persuadé qu'il existe une bonne raison d'écarter les éléments de preuve recueillis à la faveur de l'exécution du mandat à son domicile. L'argument principal de M. Dwyer est que son épouse « n'a pas été informée de ses droits, et que ses droits n'ont pas été pris en compte, étant donné que M. Finkle ne savait pas qu'elle était désignée sur le mandat, bien qu'il fût responsable de l'équipe qui exécutait le mandat au domicile des Dwyer » (paragraphe 64 de l'exposé des faits et du droit de M. Dwyer). Je ne puis accepter cet argument. Mme Dwyer fût-elle menacée de l'utilisation d'éléments de preuve recueillis au mépris de ses droits fondamentaux en vue de l'imposition d'une responsabilité civile ou pénale selon la Loi, elle serait à même d'invoquer les droits en question en demandant que les éléments de preuve soient écartés (voir l'arrêt Bisaillon c. Canada, [1999] A.C.F. n ° 1477 (CAF), au paragraphe 9; voir aussi l'arrêt Del Zotto c. Canada (C.A.), [1997] 3 C.F. 40, pour les motifs dissidents du juge Strayer, aux paragraphes 33-34, arrêt confirmé par [1999] 1 R.C.S. 3). M. Dwyer ne peut opposer une défense en invoquant une possible atteinte aux droits fondamentaux de Mme Dwyer. Partant, les conséquences découlant de ce que Mme Dwyer n'aurait pas été informée de ses droits sont, à mon avis, hypothétiques.
[68] Les autres manquements allégués par M. Dwyer, qui sont de nature très technique, sont exposés aux paragraphes 64 et 66 de l'exposé des faits et du droit de M. Dwyer. Plus précisément, M. Dwyer dit que ni le mandat ni ses droits selon la Charte ne lui ont été lus avant que l'équipe de M. Finkle pénètre chez lui pour procéder à la perquisition. Il dit aussi que les termes du mandat et ceux de l'article 488.1 du Code criminel n'ont pas été respectés. Après examen de l'ensemble de la preuve, le juge McArthur a estimé que la preuve recueillie au domicile des Dwyer ne résultait pas d'une perquisition abusive. Il a aussi conclu que, en tout état de cause, il n'y avait aucune raison d'écarter la preuve en application du paragraphe 24(2) de la Charte. J'examinerai bientôt la conclusion du juge McArthur concernant le paragraphe 24(2), mais qu'il suffise de dire pour l'instant que je ne suis pas convaincu qu'il a eu tort de conclure comme il l'a fait en ce qui concerne les preuves recueillies à la faveur de la perquisition menée au domicile des Dwyer.
[69] Je passe maintenant aux mandats exécutés dans les bureaux de MM. Dunn et Clark. Comme la perquisition menée au domicile des Dwyer, les perquisitions menées dans les cabinets d'avocats ont été conduites conformément à des mandats décernés en vertu de l'article 487 du Code criminel. Cependant, les perquisitions se rapportant à des documents en la possession d'un avocat qui invoque le privilège du secret professionnel de l'avocat pour les documents en question doivent être conduites en conformité avec les dispositions de l'article 488.1 du Code criminel, dispositions que la Cour suprême du Canada a jugées inconstitutionnelles dans un arrêt récent, Lavallée, Rackel et Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer et Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, 2002 CSC 61. La Cour suprême a majoritairement jugé dans cet arrêt que l'article 488.1 ne permettait pas de protéger le secret professionnel de l'avocat et elle a donc conclu qu'une perquisition menée conformément à cette disposition constituait une perquisition ou saisie abusive au sens de l'article 8 de la Charte. Dans l'affaire qui nous occupe, les perquisitions menées dans les bureaux de MM. Clark et Dunn l'ont été en application des dispositions de l'article 488.1.
[70] Dans la présente affaire, le juge McArthur a retenu que M. Dwyer avait renoncé au privilège du secret professionnel de l'avocat. Au paragraphe 20 de ses motifs, il dit que M. Dwyer « a d'emblée renoncé au privilège du secret professionnel de l'avocat et a donné pour instructions à ses avocats de coopérer et de remettre aux enquêteurs tout ce que ces derniers demandaient » . Au paragraphe 14, il fait observer que « avant de perquisitionner au cabinet de chaque avocat et d'y saisir des documents, les fonctionnaires dirigeant la perquisition avaient lu une mise en garde aux avocats et, lors d'une conversation téléphonique avec ses avocats, M. Dwyer avait consenti à une communication complète de tous ses documents » . Par conséquent, si le juge McArthur a raison de conclure que M. Dwyer a renoncé au privilège du secret professionnel de l'avocat, l'article 488.1 n'est pas applicable et il n'importe pas de savoir s'il est inconstitutionnel.
[71] On peut résumer brièvement comme il suit l'incident au cours duquel M. Dwyer a renoncé à son privilège. M. Heryet, l'enquêteur qui a exécuté le mandat de perquisition dans les bureaux de M. Clark, a témoigné que M. Clark avait téléphoné à M. Dwyer à propos du privilège du secret professionnel de l'avocat et avait conféré avec son client sur un poste téléphonique à haut-parleur, alors que les enquêteurs étaient présents dans la pièce et pouvaient écouter la conversation. Au moment de l'appel téléphonique, les perquisiteurs, dirigés par M. Finkle, se trouvaient au domicile de M. Dwyer. Selon M. Heryet, M. Clark a simplement déclaré à M. Dwyer : « J'ai ici les gens de Revenu Canada, munis d'un mandat de perquisition, et je vais revendiquer le privilège à moins que vous y renonciez » . M. Heryet a alors témoigné que M. Dwyer avait répondu : « Allez-y. Donnez-leur tout » (Procès-verbal du témoignage de Peter Robert Heryet, 22 février 2001, dossier d'appel, volume VIII, pages 1744-1745). S'agissant de la renonciation de M. Dwyer à son privilège en ce qui concerne les documents détenus par son autre avocat, M. Dunn, M. Dwyer a témoigné que M. Dunn l'avait informé que les enquêteurs de Revenu Canada se trouvaient dans son bureau et qu'ils voulaient obtenir « les documents attestant les hypothèques dans lesquelles vous avez investi » , ce à quoi M. Dwyer avait répondu : « Donnez-leur les documents, je n'ai rien à cacher » (Procès-verbal du témoignage d'Arthur Dwyer, 19 février 2001, dossier d'appel, volume VIII, pages 1613-1615). Comme pour l'appel téléphonique de M. Clark, lorsque M. Dunn avait téléphoné à M. Dwyer, les perquisiteurs dirigés par M. Finkle se trouvaient au domicile de M. Dwyer pour exécuter le mandat.
[72] Durant sa déposition, M. Dwyer a indiqué que, lorsqu'il avait autorisé MM. Dunn et Clark à remettre à Revenu Canada les documents demandés par les enquêteurs, il ne comprenait pas ce qu'était le privilège du secret professionnel de l'avocat, étant donné que ni M. Clark ni M. Dunn ne lui avaient expliqué la nature de ce privilège. Dans ces conditions, s'appuyant sur l'arrêt Lavallée, précité, M. Dwyer soutient que les perquisitions menées dans les bureaux de ses avocats étaient illégales et que la preuve recueillie auprès d'eux n'aurait pas dû être utilisée. Plus précisément, il dit que ce qu'il est convenu d'appeler sa renonciation n'était pas valide, car ce n'était pas une renonciation réfléchie, ni volontaire, mais plutôt une renonciation donnée sous la contrainte puisque, au moment des appels téléphoniques effectués par ses avocats, M. Finkle et ses collègues se trouvaient au domicile des Dwyer pour exécuter un mandat.
[73] L'intimée dit que la renonciation donnée par M. Dwyer est valide. Selon elle, M. Dwyer a été informé de son droit de revendiquer le privilège du secret professionnel de l'avocat, et il a renoncé à ce droit. Par conséquent, de dire l'intimée, la question de la constitutionnalité de l'article 488.1 du Code criminel est hors de propos.
[74] Puisque je suis d'avis que la question peut être résolue selon le paragraphe 24(2) de la Charte, je présumerai, aux fins qui nous concernent, que M. Dwyer n'a pas renoncé au secret professionnel de l'avocat et que par conséquent les perquisitions menées dans les bureaux de MM. Clark et Dunn étaient abusives.
[75] Le juge McArthur a retenu que M. Dwyer avait renoncé au privilège du secret professionnel de l'avocat, mais il a néanmoins conclu ensuite que l'utilisation de la preuve recueillie dans les bureaux de MM. Clark et Dunn n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Pour conclure de la sorte, il a pris en compte les facteurs définis par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, et dans l'arrêt R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, c'est-à-dire les facteurs permettant de dire si une preuve recueillie illégalement devrait être écartée en application du paragraphe 24(2) de la Charte, une disposition que, par commodité, je reproduis ici de nouveau :
24. (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. |
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24. (2) Where, in proceedings under subsection (1), a Court concludes that evidence was obtained in a manner that infringed or denied any rights or freedoms guaranteed by this Charter, the evidence shall be excluded if it is established that having regard to all the circumstances, the admission of it in the proceedings would bring the administration of justice into disrepute. |
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[76] Au paragraphe 22 de ses motifs, le juge McArthur a relevé que les preuves contestées n'avaient pas eu pour effet de mobiliser l'appelant contre lui-même, en ce sens que le contribuable « ... n'a pas été contraint de fournir des éléments de preuve tels qu'un échantillon sanguin devant être analysé dans une enquête criminelle » . Il a aussi considéré que les preuves avaient été recueillies à la faveur de perquisitions menées de bonne foi, en application de ce que les agents enquêteurs croyaient être des mandats valides. Il a aussi tenu compte de ce que « le ministre avait de fortes raisons de croire que les perquisitions étaient nécessaires dans son processus de vérification » . Le juge McArthur est donc arrivé à la conclusion que l'utilisation de ces preuves n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice; au contraire, c'est leur exclusion qui aurait cet effet. J'ajouterais que, vu les circonstances de cette affaire, il est clair à mon avis que les agents de Revenu Canada qui ont procédé aux perquisitions dans les cabinets d'avocats avaient de bonnes raisons de croire que M. Dwyer avait renoncé à son privilège.
[77] Dans l'arrêt R. c. Collins, précité, la Cour suprême du Canada avait affaire au paragraphe 24(2) de la Charte. À la page 277, le juge Lamer (sa fonction à l'époque), écrivant pour les juges majoritaires, exprime l'avis que, lorsqu'un tribunal se demande s'il y a lieu d'écarter des éléments de preuve, il doit répondre à deux questions : la perquisition était-elle abusive et, dans l'affirmative, eu égard à l'ensemble des circonstances, l'utilisation de ces éléments de preuve est-elle susceptible de déconsidérer l'administration de la justice? À la page 280, le juge Lamer écrit, en des termes non équivoques, que le critère applicable est de savoir « si l'utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice » et que la charge de la preuve incombe à celui qui demande l'exclusion des éléments de preuve en question. Puis il affirme, à la page 281, que « le paragraphe 24(2) n'offre pas une réparation à l'égard de la conduite inacceptable de la police » . Il exprime plutôt l'avis que l'objet véritable du paragraphe 24(2) est d'éviter que l'administration de la justice ne soit davantage déconsidérée par l'utilisation des éléments de preuve dans la procédure. Le juge Lamer exprime son point de vue dans les termes suivants :
... mais le paragraphe 24(2) n'offre pas une réparation à l'égard de la conduite inacceptable de la police en imposant l'exclusion de la preuve si, à cause de cette conduite, l'administration de la justice était déconsidérée. Le paragraphe 24(2) aurait pu être rédigé en ces termes, mais ce n'est pas le cas. Les rédacteurs de la Charte ont par contre décidé de s'attaquer à l'utilisation de la preuve dans l'instance et le but du paragraphe 24(2) est d'empêcher que cette utilisation ne déconsidère encore plus l'administration de la justice. Cette déconsidération additionnelle découlera de l'utilisation des éléments de preuve qui priveraient l'accusé d'un procès équitable ou de l'absolution judiciaire d'une conduite inacceptable de la part des organismes enquêteurs ou de la poursuite. Il faudra également tenir compte de la déconsidération qui peut provenir de l'exclusion des éléments de preuve. Il serait incompatible avec l'objectif du paragraphe 24(2) d'écarter des éléments de preuve si leur exclusion déconsidère plus l'administration de la justice que ne le ferait leur utilisation. Enfin, il faut souligner que même si l'analyse en vertu du paragraphe 24(2) sera nécessairement axée sur le cas particulier, il faut considérer les conséquences à long terme de l'utilisation ou de l'exclusion régulière de ce genre de preuve sur la considération dont jouit l'administration de la justice...
[78] Le juge Lamer, aux pages 283 et 284, énumère ensuite les facteurs dont, selon lui, on devrait en général tenir compte pour savoir si l'utilisation d'éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice :
Le paragraphe 24(2) enjoint au juge qui détermine si l'utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice de tenir compte de « toutes les circonstances » . De nombreux tribunaux canadiens ont énuméré les facteurs à prendre en considération et à évaluer... Les facteurs les plus souvent retenus par les tribunaux sont les suivants :
- quel genre d'éléments de preuve a été obtenu?
- quel droit conféré par la Charte a été violé?
- la violation de la Charte était-elle grave ou s'agissait-il d'une simple irrégularité?
- la violation était-elle intentionnelle, volontaire ou flagrante, ou a-t-elle été commise par inadvertance ou de bonne foi?
- la violation a-t-elle eu lieu dans une situation d'urgence ou de nécessité?
- aurait-on pu avoir recours à d'autres méthodes d'enquête?
- les éléments de preuve auraient-ils été obtenus en tout état de cause?
- s'agit-il d'une infraction grave?
- les éléments de preuve recueillis sont-ils essentiels pour fonder l'accusation?
- existe-t-il d'autres recours? ...
[79] Le juge Lamer dit ensuite que les facteurs susmentionnés ne constituent pas une liste limitative et qu'ils peuvent être groupés en trois catégories, selon le tort causé à l'administration de la justice. Il énumère d'abord les facteurs permettant de mesurer l'effet de l'utilisation des éléments de preuve sur l'équité du procès, puis les facteurs se rapportant à la gravité de la transgression de la Charte et, finalement, les facteurs se rapportant aux conséquences de l'exclusion des éléments de preuve.
[80] S'agissant de la première catégorie, le juge McArthur a relevé, à juste titre, que les éléments de preuve en question n'avaient pas mobilisé l'appelant contre lui-même, ce qui est l'une des considérations majeures lorsqu'on se demande si l'utilisation d'éléments de preuve risque de nuire à l'équité du procès. Dans l'arrêt Collins, précité, à la page 284, le juge Lamer faisait observer que les preuves non auto-incriminantes, c'est-à-dire les preuves qui existent, abstraction faite d'une atteinte à la Charte, ne rendent pas le procès inéquitable. À la page 285, il retient la distinction faite par plusieurs cours d'appel entre une preuve matérielle préexistante et une preuve auto-incriminante recueillie à la faveur d'une atteinte à la Charte. Aux pages 284 et 285 de ses motifs, le juge Lamer donne une explication complète de la nature de la preuve qui mobilise l'intéressé contre lui-même :
Selon moi, il est clair que les facteurs pertinents à l'égard de cette détermination comprennent la nature de la preuve obtenue par suite de la violation et la nature du droit violé, plutôt que la façon dont ce droit a été violé. Une preuve matérielle obtenue d'une manière contraire à la Charte sera rarement de ce seul fait une cause d'injustice. La preuve matérielle existe indépendamment de la violation de laCharte et son utilisation ne rend pas le procès inéquitable. Il en va toutefois différemment des cas où, à la suite d'une violation de la Charte, l'accusé est conscrit contre lui-même au moyen d'une confession ou d'autres preuves émanant de lui. Puisque ces éléments de preuve n'existaient pas avant la violation, leur utilisation rendrait le procès inéquitable et constituerait une attaque contre l'un des principes fondamentaux d'un procès équitable, savoir le droit de ne pas avoir à témoigner contre soi-même. Ce genre de preuve se trouvera généralement dans le contexte d'une violation du droit à l'assistance d'un avocat. C'est ce qu'illustrent nos arrêts Therens, précité, et Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383. L'utilisation d'une preuve auto-incriminante obtenue dans le contexte de la négation du droit à l'assistance d'un avocat compromettra généralement le caractère équitable du procès même et elle doit en général être écartée. Plusieurs cours d'appel ont également souligné cette distinction entre des éléments de preuve réels préexistants et les éléments de preuve auto-incriminants découlant d'une violation de la Charte (voir R. c. Dumas (1985), 23 C.C.C. (3d) 366 (C.A. Alb.), R. c. Strachan (1986), 24 C.C.C. (3d) 205 (C.A.C.-B.) et R. c. Dairy Supplies Ltd. (C.A. Man., 13 janvier 1987, décision non publiée)). Dans certaines circonstances, il peut également être pertinent de savoir que les éléments de preuve auraient été obtenus de toute façon sans violation de la Charte.
[81] Dans la présente affaire, la plupart des documents trouvés dans les bureaux de MM. Clark et Dunn intéressaient les hypothèques de M. Dwyer et leur mainlevée : en d'autres termes, la preuve était matérielle et elle préexistait à la transgression de la Charte. La seule exception semble être un dossier trouvé dans les bureaux de Roger Clark, qui concernait le litige entre M. Dwyer et M. Hunter.
[82] S'agissant de la deuxième catégorie de facteurs, c'est-à-dire les facteurs qui concernent la gravité de l'atteinte à la Charte, le juge McArthur a considéré que les preuves avaient été recueillies à la faveur de perquisitions menées de bonne foi, conformément à ce que les fonctionnaires de Revenu Canada croyaient être des mandats valides, et il a relevé qu'il existait de bonnes raisons autorisant le ministre à croire que les perquisitions étaient nécessaires dans le processus de vérification. Également, comme je l'ai indiqué plus haut, il ne fait aucun doute, vu l'ensemble des circonstances, que les fonctionnaires de Revenu Canada croyaient véritablement que M. Dwyer avait renoncé à son privilège. Dans l'arrêt Collins, précité, le juge Lamer, à la page 285, s'est référé à l'arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, où le juge LeDain, à la page 652, expliquait ce dont les tribunaux devraient tenir compte pour juger de la gravité d'une violation de la Constitution :
La gravité relative d'une violation de la Constitution a été évaluée en fonction de la question de savoir si elle a été commise de bonne foi ou par inadvertance ou si elle est de pure forme, ou encore s'il s'agit d'une violation délibérée, volontaire ou flagrante. Un autre facteur pertinent consiste à déterminer si cette violation a été motivée par l'urgence de la situation ou par la nécessité d'empêcher la perte ou la destruction de la preuve.
[83] Finalement, s'agissant de la dernière catégorie, le juge McArthur a conclu que l'exclusion des éléments de preuve était susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il n'explique pas avec précision sa conclusion, mais il semble qu'elle repose, du moins en partie, sur le fait qu'il a jugé outrageante l'attitude de M. Dwyer, qui avait négligé de déclarer « des revenus très importants, tout en soutenant qu'il ignorait qu'il devait les déclarer » . Si je comprends bien ces propos, l'exclusion des éléments de preuve reviendrait, selon le juge McArthur, à fermer les yeux sur le comportement de M. Dwyer.
[84] Dans l'arrêt R. c. Law, [2002] 1 R.C.S. 227, la Cour suprême du Canada a examiné l'application du paragraphe 24(2) de la Charte aux éléments de preuve recueillis en violation de l'article 8, dans le contexte d'une procédure pour fraude fiscale introduite en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. Au paragraphe 32, le juge Bastarache, écrivant pour la Cour, est arrivé à la conclusion suivante en ce qui concerne la norme de contrôle devant être appliquée :
32. Les éléments de preuve obtenus en violation de l'article 8 de la Charte ne seront pas écartés à moins que, eu égard aux circonstances, leur utilisation ne soit susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Bien que la décision d'écarter un élément de preuve doive être raisonnable, la cour siégeant en révision ne modifiera pas les conclusions du juge de première instance concernant le paragraphe 24(2) en l'absence d'une « erreur manifeste quant aux principes ou aux règles de droit applicables » ou d'une « conclusion déraisonnable » : Stillman, précité, paragraphe 68; voir aussi R. c. Belnavis, [1997] 3 R.C.S. 341, au paragraphe 35. En l'espèce, je confirme la conclusion du juge de première instance quant au paragraphe 24(2) mais, pour les motifs que j'exposerai plus loin, j'estime qu'il est nécessaire d'effectuer une analyse distincte relativement à ce paragraphe.
[Non souligné dans l'original]
[85] Ainsi, à moins que le juge McArthur n'ait commis une erreur évidente en ce qui a trait aux principes applicables ou aux règles de droit applicables, ou à moins qu'il n'ait tiré une conclusion déraisonnable, la Cour doit s'abstenir de modifier sa conclusion sur le paragraphe 24(2).
[86] Dans l'arrêt Donovan c. La Reine, [2000] 4 C.F. 373, la Cour a eu l'occasion d'examiner si des éléments de preuve recueillis illégalement sous l'autorité de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, et modifications, devraient néanmoins être utilisés. Les points que devait décider la Cour étaient les suivants : la conduite inconstitutionnelle des fonctionnaires de l'État lorsqu'ils ont procédé à des perquisitions et des saisies dans les locaux et les documents de l'appelant devrait-elle conduire la Cour à annuler les nouvelles cotisations émises par le ministre? Et, advenant une insuffisance de motifs justifiant l'annulation des nouvelles cotisations, les éléments de preuve illégalement recueillis devraient-ils être écartés en application du paragraphe 24(2) de la Charte?
[87] Les plaintes déposées contre les fonctionnaires de Revenu Canada concernaient notamment l' « entremêlement » du personnel de la vérification et celui de la Section des enquêtes spéciales de Revenu Canada. Aux paragraphes 8 à 11 de ses motifs, le juge Linden, écrivant pour la Cour, a fait les observations suivantes à propos de ladite plainte :
[8] Cet « entremêlement » , aux dires de l'avocat de la Couronne, a de quoi inquiéter. Les représentants du gouvernement doivent prendre garde d'abuser de leur pouvoir d'enquêter à des fins civiles dans le but d'obtenir des renseignements qui seront utilisés dans des poursuites criminelles. Dans les cas où cela s'est produit, les cours se sont empressées d'écarter les éléments de preuve entachés d'un tel vice de toute poursuite criminelle fondée sur ces mêmes éléments de preuve. (Voir R. v. Norway Insulation Inc. (1995), 28 O.R. (3d) 432 (Div. gén.); R. v. Warawa (A.J.) (1997), 208 A.R. 81 (B.R.); R. v. Saplys (1999), 132 C.C.C. (3d) 515 (C. Ont., Div. gén)).
[9] Le sens du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés a été examiné longuement par la Cour suprême du Canada dans le cadre de poursuites criminelles. Dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, la Cour suprême du Canada a énoncé clairement le critère bien connu qui permet d'écarter des éléments de preuve. Les deux questions à se poser lorsqu'on envisage d'écarter des éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte sont les suivantes : 1) la fouille était-elle abusive; et 2) dans l'affirmative, eu égard à toutes les circonstances, l'utilisation de l'élément de preuve est-elle susceptible de déconsidérer l'administration de la justice (l'arrêt Collins, précité, aux pages 276 et 277)? La Cour suprême a statué qu' « une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive » (arrêt Collins, à la page 278). Pour ce qui est du deuxième volet du critère, la Cour suprême a expliqué (aux pages 283 et 284) :...
[10] Dans l'arrêt Collins, la Cour suprême a traité de la question d'écarter des éléments de preuve en matière criminelle. L'affaire qui nous occupe soulève la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire de la Cour d'écarter des éléments de preuve en application du paragraphe 24(2) devrait être exercé aussi libéralement dans les affaires civiles que dans les affaires criminelles. Le raisonnement de madame le juge Wilson dans l'arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, nous est utile pour cette question. Examinant le caractère raisonnable d'une saisie exécutée en application d'un article de la Loi de l'impôt sur le revenu, le juge Wilson a conclu qu'il est conforme à l'interprétation souple et fondée sur l'objectif visé de l'article 8 de la Charte de « faire une distinction entre, d'une part, les saisies en matière criminelle ou quasi criminelle auxquelles s'appliquent dans toute leur rigueur les critères énoncés dans l'arrêt Hunter et, d'autre part, les saisies en matière administrative et de réglementation, auxquelles peuvent s'appliquer des normes moins strictes selon le texte législatif examiné » (arrêt McKinlay, précité, à la page 647). Une telle distinction semble également indiquée pour juger si le fait d'admettre les éléments de preuve déconsidérerait l'administration de la justice.
[11] En l'occurrence, ce qui est demandé avec insistance, c'est que la « coopération » entre la direction de la vérification et l'UES, dans les premières phases de l'enquête, mène à l'annulation des nouvelles cotisations ou à l'exclusion des éléments de preuve dans une poursuite civile de la même façon qu'elle le ferait dans une poursuite criminelle. Je mets dans la catégorie des instances civiles les affaires où il est question d'une pénalité civile à payer pour une infraction à une loi fiscale. À mon avis, l'utilisation, dans une poursuite criminelle, d'éléments de preuve entachés d'un vice constitue une question beaucoup plus grave que s'il s'agissait d'une instance civile de sorte que le pouvoir discrétionnaire d'une cour devrait être exercé beaucoup plus libéralement dans une affaire criminelle, où la liberté de l'intéressé est en cause. Toutefois, un tel pouvoir discrétionnaire pourrait être utilisé avec plus de retenue dans les affaires civiles, où la liberté n'est pas menacée et où l'obligation de payer des impôts constitue le seul enjeu.
[C'est moi qui souligne]
[88] La troisième plainte déposée à l'encontre des fonctionnaires de Revenu Canada était le fait que les mandats de perquisition avaient été décernés en vertu de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, une disposition que la Cour suprême du Canada avait jugée inconstitutionnelle dans l'arrêt Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416. Après avoir conclu que cet « acte répréhensible » était grave, le juge Linden a estimé, au paragraphe 13, que l'utilisation des éléments de preuve recueillis à la faveur de la perquisition illégale n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, « à tout le moins dans une affaire civile comme celle-ci » .
[89] Dans l'arrêt Jurchison c. Canada, 2001 CAF 126, la Cour d'appel fédérale, saisie d'un appel découlant de requêtes préliminaires introduites en marge de l'appel d'un contribuable à l'encontre de ses nouvelles cotisations, devait examiner si des éléments de preuve recueillis au mépris de la Charte étaient recevables dans un procès civil. Au paragraphe 1 de ses motifs, le juge Sexton, s'exprimant pour la Cour, a indiqué que, pour répondre à cette question, il était nécessaire de se demander si les éléments de preuve allaient être utilisés dans un procès criminel ou un procès civil.
[90] Pour savoir si des preuves obtenues irrégulièrement devraient être écartées, la Cour a donc fait, dans les arrêts Donovan et Jurchison, une distinction très nette entre procès civil et procès criminel. Plus précisément, pour le juge Linden, dans l'arrêt Donovan, si la liberté individuelle n'est pas menacée et si la question concerne l'assujettissement à l'impôt, les tribunaux devraient user avec encore plus de circonspection de leur pouvoir d'écarter des éléments de preuve.
[91] Ces principes à l'esprit, je suis arrivé à la conclusion que le juge McArthur n'a pas commis d'erreur pouvant justifier notre intervention. D'abord, les éléments de preuve en question ne mobilisent pas l'intéressé contre lui-même et donc, leur utilisation ne rend pas le procès inéquitable. Deuxièmement, l'atteinte à la Charte n'a pas la gravité dont parle le juge LeDain dans l'arrêt Therens, précité, parce que cette atteinte a été commise de bonne foi, et qu'elle n'était pas délibérée ni volontaire. Troisièmement, l'exclusion des éléments de preuve pourrait priver le ministre de la preuve requise pour donner effet à d'importantes obligations fiscales. Par conséquent, dans ces conditions, je ne suis pas persuadé qu'il existe une quelconque raison de modifier la conclusion du juge McArthur selon laquelle l'utilisation des éléments de preuve n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
[92] Je suis arrivé à la même conclusion sur la question touchant le paragraphe 24(2), une question qui découle des éléments de preuve recueillis à la faveur de l'exécution du mandat au domicile des Dwyer. Comme je l'ai indiqué plus haut, les présumées atteintes sont de nature technique et je ne vois donc aucune raison de modifier la conclusion du juge McArthur selon laquelle l'utilisation de ces éléments de preuve n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.
[93] J'en arrive au dernier point. En juin et octobre 1992, d'autres directives avaient été émises en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi, directives qui portaient sur des renseignements en la possession du National Trust et des avocats qui avaient représenté plusieurs des clients de M. Dwyer. Ces directives avaient été émises après l'exécution des mandats au domicile des Dwyer et dans les bureaux de MM. Clark et Dunn. Selon M. Dwyer, ces directives ont été émises au mépris des articles 7 et 8 de la Charte.
[94] Dans l'arrêt Jarvis, précité, comme je l'ai déjà indiqué, la Cour suprême a jugé que, lorsque l'objet prédominant d'une enquête est l'établissement d'une responsabilité pénale, toutes les protections prévues par la Charte qui intéressent un contexte criminel sont applicables. Puisqu'il ne fait aucun doute que, au 31 mars 1992, l'objet prédominant de l'enquête était l'établissement d'une responsabilité pénale, je dois conclure que les droits fondamentaux de M. Dwyer ont été transgressés.
[95] Le fait que la preuve soit maintenant utilisée dans un procès civil, par opposition à un procès criminel, ne fait pas obstacle à cette conclusion. Cependant, vu les circonstances, et pour les motifs exposés au regard des éléments de preuve recueillis à la faveur des perquisitions menées dans les bureaux de MM. Clark et Dunn, je suis d'avis que le juge McArthur n'a pas commis d'erreur lorsqu'il est arrivé à la conclusion que l'utilisation de tels éléments de preuve n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Les éléments de preuve en question consistent en relevés bancaires confirmant des dépôts et des retraits, ainsi qu'en documents hypothécaires recueillis auprès des avocats qui représentaient des clients de M. Dwyer. Les preuves ne mobilisent pas l'intéressé contre lui-même et je ne vois pas comment l'on pourrait soutenir que leur utilisation rend le procès inéquitable. Eu égard aux faits établis, il ne semble pas que l'atteinte à la Charte était intentionnelle, puisqu'il n'était pas évident en 1992 que les dispositions touchant les directives ne pouvaient être utilisées par les enquêteurs. Également, comme je l'ai indiqué à propos des éléments de preuve trouvés dans les bureaux de MM. Clark et Dunn, l'exclusion des éléments de preuve pourrait priver le ministre de la preuve requise pour donner effet à d'importantes obligations fiscales prévues par la Loi.
CONCLUSION
[96] Pour ces motifs, je rejetterais l'appel de M. Dwyer, avec dépens.
_ M. Nadon _
Juge
« Je souscris aux présents motifs
B.S. Strayer, juge »
« Je souscris aux présents motifs
John M. Evans, juge »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-424-01
INTITULÉ : Arthur C. Dwyer c. Sa Majesté la reine
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 18 mars 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : le juge Nadon
ONT SOUSCRIT AUX MOTIFS : le juge Strayer
le juge Evans
DATE DES MOTIFS : le 26 août 2003
COMPARUTIONS :
M. Rocco Galati |
POUR L'APPELANT/ DEMANDEUR |
Mme Marie-Thérèse Boris Mme Nimanthika Kaneira |
POUR L'INTIMÉE/ DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Galati, Rodrigues, Azevedo et Associés |
POUR L'APPELANT/ DEMANDEUR |
Morris A. Rosenberg Sous-procureur général du Canada |
POUR L'INTIMÉE/ DÉFENDERESSE |