Vaughan c. Canada (C.A.) [2003] 3 C.F. 645
Date : 20030214
Dossier : A-695-01
Référence neutre : 2003 CAF 76
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
ENTRE :
WILLIAM THOMAS VAUGHAN
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2002.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 février 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE SEXTON
Y A SOUSCRIT : LE JUGE EN CHEF RICHARD
MOTIFS CONCOURANTS : LE JUGE EVANS
Date : 20030214
Dossier : A-695-01
Référence neutre : 2003 CAF 76
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
ENTRE :
WILLIAM THOMAS VAUGHAN
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
Introduction
[1] Il s'agit en l'espèce de savoir si l'appelant, un ancien employé de l'intimée qui cherche à obtenir des prestations de retraite anticipée (les PRA) en vertu d'une loi et d'un règlement fédéraux, est tenu de présenter sa demande au moyen de la procédure de règlement des griefs prévue à l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 [la LRTFP] ou s'il peut choisir de présenter sa demande au moyen d'une action intentée devant la Section de première instance de la Cour fédérale. À mon avis, au moyen de l'article 91 de la LRTFP, le législateur a écarté la compétence de la Cour sur le litige en question. Les décisions rendues par la Cour dans les affaires Johnson-Paquette c. Canada (2000), 253 N.R. 305 (C.A.F.) [Johnson-Paquette] et Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) [2001] A.C.F. no 858 (1re inst.); conf. par [2002] A.C.F. no 850 (C.A.) [AFPC] sont conformes à ce résultat.
[2] Les faits de la présente espèce et le contexte législatif pertinent sont clairement énoncés dans les motifs de Monsieur le juge Evans et ils n'ont donc pas à être ici réitérés.
Jurisprudence antérieure
[3] À mon avis, la Cour a statué, dans les décisions AFPC et Johnson-Paquette, que le régime législatif de la LRTFP écarte la compétence de la Cour. Il reste donc à examiner la nature du litige ici en cause, à savoir si le litige est visé par les dispositions du régime législatif de la LRTFP.
[4] Dans l'arrêt Johnson-Paquette, la Cour d'appel fédérale a appliqué au régime de la LRTFP le modèle de la compétence exclusive énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Weber c. Ontario, [1995] 2 R.C.S. 929 [Weber]. Selon ce modèle, la compétence de la Cour est écartée si le litige qui oppose les parties découle de la convention collective. Ce modèle s'applique à la procédure de règlement des griefs énoncée aux articles 91 et 92 de la LRTFP, telle que cette procédure a été adoptée par les parties dans l'affaire Johnson-Paquette, au moyen de la convention collective. Étant donné que le litige entre les parties découlait d'un rapport d'emploi, Monsieur le juge Noël a conclu que les tribunaux judiciaires n'avaient pas compétence pour instruire l'action, même si deux des demandes de la demanderesse n'étaient pas visées par l'article 92 de la LRTFP et, par conséquent, même si elles n'étaient pas assujetties à l'arbitrage indépendant devant un tiers. Voici ce que le juge a dit au paragraphe 10 :
L'intention du législateur d'exclure l'intervention des tribunaux dans les litiges en matière de relations de travail peut donc être formulée expressément ou ressortir implicitement. Lorsque, comme c'est le cas pour la LRTFP, le législateur a, au moyen d'une loi, adopté ce qui se veut manifestement un code complet applicable à la résolution des litiges en matière de relations de travail dans un secteur donné d'activité et a rendu l'issue des recours prévus dans la loi finale et obligatoire pour les personnes concernées, le fait de permettre le recours aux tribunaux ordinaires auxquels ces tâches n'ont pas été attribuées porterait atteinte au régime législatif. Pour donner effet à ces régimes, il faut considérer que le législateur a exclu le recours aux tribunaux ordinaires.
[5] La Cour fédérale a suivi l'arrêt Johnson-Paquette dans la décision AFPC, qui se rapportait à une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Commissaire de la Commission canadienne des grains. Le juge des demandes a examiné deux questions : (1) La demanderesse avait-elle qualité pour présenter la demande de contrôle judiciaire? (2) La demande de contrôle judiciaire devait-elle être radiée par suite de la procédure de règlement des griefs prévue dans la LRTFP [paragraphe 15]? En examinant cette dernière question, le juge des demandes a dit ce qui suit, au paragraphe 60 :
En l'espèce, j'estime que la LRTFP établit un code complet pour le règlement des conflits liés à l'emploi entre les employés de la fonction publique fédérale et leur employeur. Je suis parvenue à la même conclusion dans la décision Johnson-Paquette c. Canada (1999), 159 F.T.R. 42, aux paragraphes 20, 21 et 23.
Puis, en citant la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Johnson-Paquette, le juge des demandes a conclu, au paragraphe 62, que les différences entre le régime établi dans la LRTFP et le régime en cause dans l'affaire Weber n'avaient pas pour effet de soustraire la LRTFP au modèle de la compétence exclusive. La Cour n'avait donc pas compétence.
[6] Dans l'affaire AFPC, la Cour d'appel a confirmé la décision rendue par la Section de première instance pour ce qui est de la question de la compétence. Le juge en chef a dit ce qui suit :
Selon nous, c'est à raison que le juge des requêtes (2001 CFPI 568) a conclu que l'appelante ne pouvait contourner la procédure de grief prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) en présentant une demande de contrôle judiciaire de la décision du Commissaire de la Commission canadienne des grains en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. [...]
Comme l'a fait remarquer le juge des requêtes, l'exhaustivité des mécanismes prévus dans la LRTFP pour le règlement des différends liés à l'emploi entre les employés de la fonction publique fédérale et leur employeur a été confirmée par notre Cour dans l'arrêt Johnson-Paquette c. Canada, [2000] 253 N.R. 305, [2000] A.C.F. no 441 (C.A.).
À mon avis, la question de la qualité n'enlève rien à la clarté de cet énoncé du juge en chef, dans l'arrêt AFPC, qui fait autorité pour ce qui est de la compétence, parce que la Cour a clairement traité de la question de la compétence en confirmant la décision de première instance. Il est certain que le caractère exhaustif du régime prévu par la LRTFP était réputé écarter la compétence de la Cour.
[7] Pour déterminer si le régime de la LRTFP écarte en l'espèce sa compétence, la Cour doit se reporter aux critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Weber et Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360 [Regina Police Association]. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la Cour suprême du Canada a adopté comme critère le modèle de la compétence exclusive afin de déterminer si le législateur avait écarté la compétence de la Cour. Les critères se rapportant à l'application de ce modèle sont axés sur la nature centrale du litige et sur l'interprétation de la convention collective dans les cas où la convention collective s'applique ou, comme en l'espèce, sur l'interprétation du régime législatif.
[8] Dans l'arrêt Weber, la Cour interprétait une convention collective. Madame le juge McLachlin (tel était alors son titre), au nom de la majorité, a souligné ce qui suit :
Suivant ce modèle, la tâche qui consiste pour le juge ou l'arbitre à déterminer le tribunal approprié pour les procédures dépend de la question de savoir si le litige ou le différend qui oppose les parties résulte de la convention collective. Deux aspects doivent être considérés: le litige et le champ d'application de la convention collective.
Dans son examen du litige, l'instance décisionnelle doit tenter de définir l'[TRADUCTION] « essence » [...] Il s'agit, dans chaque cas, de savoir si le litige, dans son essence, relève de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution de la convention collective. [paragraphes 51 et 52]
Le juge McLachlin (tel était alors son titre) a également souligné ce qui suit, au paragraphe 57 :
Il se peut que l'arbitre n'ait pas le pouvoir d'accorder la réparation requise. Le cas échéant, les tribunaux de compétence inhérente de chaque province peuvent alors assumer cette compétence. [...] Il faut donc éviter [...] la « privation réelle du recours ultime » .
[9] La tâche, lorsqu'il s'agissait de déterminer quel était le tribunal approprié dans l'affaire Weber, consistait à savoir si le litige ou le différend opposant les parties découlait de la convention collective. Au paragraphe 51, le juge McLachlin a déclaré que « deux aspects doivent être considérés: le litige et le champ d'application de la convention collective » . Elle n'a pas dit que la question de savoir si la partie a accès à un arbitre indépendant constitue une considération importante lorsqu'il s'agit d'appliquer ce critère. Comme l'a correctement dit Madame le juge Heneghan en appliquant l'arrêt Weber, au paragraphe 28 de la décision rendue en première instance dans le cas qui nous occupe :
[...] lorsque le litige, considéré dans son essence, résulte de l'interprétation de la convention collective, l'arbitre a compétence exclusive à l'égard du différend, comme le prévoit le texte de loi. Les différends qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent donc aux tribunaux.
Par conséquent, les considérations pertinentes, selon l'arrêt Weber, sont la nature du litige et le champ d'application de la convention collective pertinente.
[10] Dans l'arrêt Regina Police Association, la Cour a examiné la question de l'interprétation d'un régime législatif. Monsieur le juge Bastarache a adopté le modèle de la compétence exclusive. Au paragraphe 25, il a dit qu'en déterminant si la Cour a compétence :
[...] [a]près en avoir examiné le contexte factuel, l'instance décisionnelle doit tout simplement déterminer si l'essence du litige concerne une matière visée par la convention collective. Après avoir établi l'essence du litige, l'instance décisionnelle doit examiner les dispositions de la convention collective afin de déterminer si elle prévoit des situations factuelles de ce genre. [...] Si l'essence du litige découle expressément ou implicitement de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution de la convention collective, l'arbitre a compétence exclusive pour statuer sur le litige. [...]
[11] Dans l'arrêt Regina Police Association, la Cour a étendu la portée du critère relatif à la compétence en l'appliquant non seulement à l'interprétation de conventions collectives, mais aussi à l'interprétation de régimes législatifs :
En résumé, le raisonnement qui sous-tend l'arrêt Weber, précité, est que les questions de compétence doivent être tranchées d'une manière qui soit conforme au régime législatif régissant les parties. Cette logique s'applique, qu'il s'agisse de choisir entre un tribunal et une instance décisionnelle créée par la loi ou entre deux organismes créés par la loi. La question clé dans chaque cas est de savoir si l'essence du litige, dans son contexte factuel, est expressément ou implicitement visée par un régime législatif. Pour statuer sur cette question, il convient de donner à la loi une interprétation libérale de façon à ce que l'attribution de compétence à une instance que n'avait pas envisagée le législateur ne porte pas atteinte au régime.
[paragraphe 39, non souligné dans l'original]
[12] Il importe de souligner que dans le cas qui nous occupe, M. Vaughan soutient qu'il a le droit de recevoir les PRA dans le cadre du programme d'encouragement à la retraite anticipée, qui découle d'un règlement et non de la convention collective. Par conséquent, le litige se rapporte à l'interprétation ou à l'application d'un règlement, le Règlement sur le régime compensatoire, no 2, DORS/95-169 (le Règlement no 2) pris en vertu de la Loi sur les régimes de retraite particuliers, 1992 L.C. ch. 46, ann. 1, et il tombe donc sous le coup du paragraphe 91(1) de la LRTFP.
[13] L'article 91 de la LRTFP est ainsi libellé :
91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :
a) par l'interprétation ou l'application à son égard :
(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement - administratif ou autre -, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,
[...]
[non souligné dans l'original]
[14] La question clé dans ce cas-ci est de savoir si l'essence du litige relatif aux PRA, dans son contexte factuel, est expressément ou implicitement visée par un régime législatif. Le caractère du litige est enraciné dans le rapport d'emploi tel qu'il se rapporte aux prestations de retraite. Le litige, dans le cas de M. Vaughan, porte sur l'interprétation d'un règlement visé au sous-alinéa 91(1)a)(i) et il découle donc du régime législatif prévu au sous-alinéa 91(1)a)(i) de la LRTFP. Dans les décisions AFPC et Johnson-Paquette, la Cour a déjà statué qu'une fois qu'il est jugé que la nature essentielle du litige découle du sous-alinéa 91(1)a)(i), la compétence de la Cour est écartée. La compétence de la Cour est donc écartée en l'espèce.
Arbitre indépendant
[15] L'avocat de l'appelant soutient que même si la demande relève du champ d'application du régime prévu à l'article 91, M. Vaughan peut choisir de porter sa demande devant les tribunaux judiciaires pour le motif que le régime législatif applicable dans ces circonstances ne prévoit pas de recours à un arbitre indépendant.
[16] Même si dans l'arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781 (C.S.C.), la question est quelque peu différente de celle qui nous occupe en l'espèce, les remarques que la Cour suprême a faites au sujet de l'arbitrage indépendant sont pertinentes. Dans l'arrêt Ocean Port, la Cour a confirmé le caractère approprié de tribunaux n'ayant pas d'arbitres indépendants lorsque le législateur a expressément légiféré sur la question ou qu'il a, par déduction nécessaire, autorisé la chose.
[17] Plus précisément, la Cour suprême a dit au paragraphe 19 qu'en l'absence de contestation constitutionnelle, le régime législatif prime sur les principes de justice naturelle de la common law. La Cour a statué qu'il ne faut pas ériger un principe de justice naturelle (le droit à un arbitre indépendant) au rang de principe constitutionnel. Par conséquent, comme il en a été fait mention dans l'arrêt Ocean Port :
[...] en l'absence de contraintes constitutionnelles, le degré d'indépendance requis d'un décideur ou d'un tribunal administratif est déterminé par sa loi habilitante. C'est la législature ou le Parlement qui détermine le degré d'indépendance requis des membres d'un tribunal administratif. Il faut interpréter la loi dans son ensemble pour déterminer le degré d'indépendance qu'a voulu assurer le législateur.
[...]
Il n'est pas loisible à un tribunal judiciaire d'appliquer une règle de common law alors qu'il est en présence d'une directive législative claire. [paragraphes 20 et 22]
Pour déterminer l'intention du législateur, il faut examiner la législation. L'examen de la législation elle-même ainsi que de la nature du litige lui-même sont les facteurs déterminants. Par conséquent, le choix, dans la LRTFP, de ne pas avoir d'arbitres indépendants en tant que partie intégrante du régime législatif doit être respecté. Toutefois, il importe de noter que, lorsque des arguments d'ordre constitutionnel ou des arguments fondés sur la Charte sont en cause, ce principe ne s'applique peut-être pas.
[18] Toutefois, les arguments d'ordre constitutionnel ou les arguments fondés sur la Charte ne sont pas ici en litige. L'article 91 de la LRTFP n'est pas contesté sur le plan constitutionnel. Aucun argument fondé sur la Charte n'a été avancé par l'appelant.
[19] L'intention du législateur est claire. Compte tenu du champ d'application du régime législatif et de la nature du litige (se rapportant directement à des questions d'emploi), l'article 91 de la LRTFP prévoit le recours exclusif. L'article 91 est en cause et l'appelant aurait pu y recourir, et il aurait été possible de se prévaloir du contrôle judiciaire prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée. Le régime législatif peut écarter la compétence des tribunaux judiciaires d'entendre la demande, mais il n'écarte pas la compétence de la Cour en matière de supervision dans le cadre d'un contrôle judiciaire. En particulier, les questions d'équité procédurale peuvent être examinées de plein droit dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision du décideur.
[20] La considération relative à l'arbitre indépendant semble tirer son origine des arrêts Pleau c. Canada (Attorney General), [1999] N.S.J. no 448 (C.A.) [Pleau] et Guenette c. Canada, [2002] O.J. no 3062 (C.A.) [Guenette]. Dans l'arrêt Pleau, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que l'affaire ne relevait pas du champ d'application du principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Weber. En d'autres termes, le régime prévu par la LRTFP n'avait pas écarté la compétence de la Cour. Pour déterminer si la compétence de la Cour avait été écartée par la LRTFP, la Cour d'appel a examiné trois considérations majeures qu'elle a synthétisées à partir de son interprétation de l'arrêt Weber : (1) la procédure de règlement du litige établie par la législation et par la convention collective; (2) la nature du litige; et (3) la capacité du régime d'assurer une réparation efficace. La Cour a conclu que, dans ce cas-là, [TRADUCTION] « aucune réparation adéquate n'était prévue » [paragraphe 96]. Cette conclusion était fondée sur le fait qu'il n'existait aucun mécanisme prévoyant l'arbitrage obligatoire par un tiers :
[TRADUCTION] La convention collective ne prévoit aucune norme d'appréciation des demandes et aucune procédure d'arbitrage des demandes au fond par un tiers. [...]
À mon avis, l'accès à la procédure de règlement des griefs sans que soit reconnu le droit de vérifier le résultat au moyen d'un arbitrage au fond par un tiers ne constitue pas une réparation efficace pour le présumé tort qui a été commis en l'espèce. [...]
Dans la présente affaire, comme dans l'affaire Danilov, ni la loi ni la convention collective ne prévoient, à l'égard du litige ici en cause, un mécanisme permettant l'arbitrage obligatoire par un tiers. [paragraphes 85, 95 et 101, non souligné dans l'original]
Par conséquent, en se fondant apparemment sur les remarques du juge McLachlin dans l'arrêt Weber, la Cour a affirmé qu'il ne pouvait y avoir aucune réparation efficace en l'absence d'arbitre indépendant. Toutefois, à mon avis, ce n'était pas ce dont le juge McLachlin faisait mention dans l'arrêt Weber. Le juge McLachlin a plutôt simplement examiné la question de l'existence d'une réparation, et si cette réparation pouvait réellement être accordée par l'arbitre :
Il se peut que l'arbitre n'ait pas le pouvoir d'accorder la réparation requise. [...] Il faut donc éviter... la « privation réelle du recours ultime » . [paragraphe 57 de l'arrêt Weber]
Par conséquent, il faut également examiner la question de savoir si le tribunal peut accorder une réparation efficace lorsque l'on détermine la compétence, mais uniquement en ce sens que le tribunal est de fait en mesure de le faire. Or, aucune question de ce genre ne se pose en l'espèce.
[21] De plus, fait intéressant, dans l'arrêt Pleau, la Cour a souligné que le degré de participation judiciaire qui existait dans ce cas-là était fort restreint, et elle a limité ses conclusions aux faits de l'affaire dont elle était saisie :
[TRADUCTION] Je tiens à souligner que le degré de participation judiciaire que j'ai constaté dans ce cas-ci est de fait fort restreint. Il s'agit d'un cas dans lequel le litige ne relève pas à vrai dire du champ d'application de la procédure d'adjudication et dans lequel l'employé n'a pas eu recours à la procédure de règlement des griefs. Dans ces motifs, je n'ai pas l'intention de traiter, et je ne traite pas, de la question de la possibilité d'intenter une action en justice lorsque l'un de ces éléments ou lorsque ces deux éléments ne sont pas présents. À mon avis, pour assurer une réparation efficace, il faut absolument limiter strictement la portée de l'action judiciaire à cette sphère et cela ne constitue pas indûment une atteinte intrusive aux relations de négociation collective. [paragraphe 102, non souligné dans l'original]
[22] Dans l'arrêt Guenette, la Cour d'appel de l'Ontario a adopté la notion d'arbitre indépendant en tant que considération aux fins de la détermination de la question de savoir si le législateur avait écarté la compétence de la Cour. Voici ce que la Cour a dit :
[TRADUCTION] En ce qui concerne la deuxième considération se rapportant aux types de litiges relevant de la procédure de règlement des litiges, le juge Cromwell a fait remarquer que la demande présentée par le demandeur ne mettait pas en cause les dispositions de la convention collective et que la demande ne pouvait donc pas être renvoyée à l'arbitrage devant un tiers. [paragraphe 45]
À partir de cette remarque, la Cour a ajouté, au paragraphe 50, en tant que quatrième considération pour ce qui est du critère permettant de déterminer l'intention du législateur d'écarter la compétence de la Cour, [TRADUCTION] l' « absence de recours à un organisme décisionnel spécialisé autonome en vertu de l'article 91 » . Il importe peut-être de noter que, dans l'arrêt Guenette, la Cour n'a pas examiné l'arrêt Ocean Port.
[23] L'avocat de l'appelant a invoqué les arrêts Pleau et Guenette à l'appui de sa position. Toutefois, ces arrêts peuvent faire l'objet de distinctions compte tenu de la nature du litige qui y était en cause. Dans l'affaire Pleau, il n'existait pas un tel rapport direct ou un tel lien intégral avec l'emploi : M. Pleau et sa famille avaient poursuivi le gouvernement afin d'obtenir des dommages-intérêts fondés sur un complot visant à causer un préjudice, ainsi que sur le manquement à une obligation fiduciaire et la souffrance morale. La conjointe et l'enfant n'étaient pas des employés de la fonction publique du Canada et la nature de leur action ne faisait donc pas partie intégrante de la procédure d'emploi. Par conséquent, le litige dans son ensemble n'aurait pas pu être soumis à la procédure de règlement des griefs. Il est donc compréhensible qu'on ait laissé toute l'action être instruite devant les tribunaux judiciaires.
[24] De même, dans l'affaire Guenette, les employés avaient intenté contre le gouvernement une action dans laquelle ils sollicitaient des dommages-intérêts ainsi qu'un montant de 35 millions de dollars au titre de dommages-intérêts punitifs, exemplaires et majorés en vue d'établir une organisation de défense des droits à but non lucratif chargée de représenter tous les employés de l'État et de protéger les droits de ceux-ci, en particulier en ce qui concerne les questions d'abus de pouvoir et de harcèlement et les principes d'intégrité [paragraphe 3]. Cette demande également se situait au-delà et en dehors de la procédure et du rapport d'emploi habituels. Dans les affaires Pleau et Guenette, les demandes en question n'étaient pas essentielles au rapport d'emploi et la réparation demandée allait au-delà de la réparation normalement demandée dans le cadre d'une procédure de règlement des griefs.
[25] En conclusion, je dirais que compte tenu de directives législatives claires, il n'est pas loisible à un tribunal judiciaire d'omettre de tenir compte du régime pour le motif qu'il ne prévoit aucun recours à un arbitre indépendant.
[26] Par conséquent, je rejetterais l'appel, sans adjuger les dépens.
« J. Edgar Sexton »
Juge
« Je souscris à cet avis.
J. Richard, juge en chef »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
LE JUGE EVANS (motifs concourants)
A. INTRODUCTION
[27] Il s'agit d'un appel interjeté par William Thomas Vaughan à l'encontre de la décision par laquelle le juge des requêtes avait radié la déclaration que M. Vaughan avait présentée à l'encontre de son employeur, Sa Majesté la Reine du chef du Canada. La décision est publiée à Vaughan c. Canada, (2001) 213 F.T.R. 144, 2001 CFPI 1233. Dans la déclaration, il est allégué que l'employeur a par négligence omis de prendre les mesures nécessaires afin de permettre à M. Vaughan de se prévaloir d'un programme d'encouragement à la retraite anticipée prévu par la loi (le PERA); des dommages-intérêts et un jugement déclaratoire portant que M. Vaughan a droit aux PRA sont en outre demandés.
[28] La question à trancher dans cet appel est de savoir si les fonctionnaires fédéraux peuvent décider de s'adresser aux tribunaux judiciaires en vue d'obtenir une réparation à l'égard de conflits de travail découlant de leur emploi plutôt que de recourir à une procédure de règlement des griefs établie par la loi qui ne prévoit pas un arbitrage devant un tiers neutre.
[29] L'avocat de M. Vaughan maintient que le régime établi par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (la LRTFP) ne peut pas être considéré comme excluant implicitement la compétence de la Cour sur les actions des fonctionnaires fédéraux contre leur employeur, la Couronne fédérale, lorsque l'action est fondée sur une conduite qui pourrait faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91 de la LRTFP et être réglée au moyen de la procédure interne de règlement des griefs. À l'appui de sa position, il se fonde sur des décisions récemment rendues par des cours d'appel provinciales ainsi que sur le caractère inadéquat de la procédure prévue par la loi aux fins du règlement des griefs se rapportant au lieu de travail qui ne peuvent pas être renvoyés à un arbitre neutre en vertu de l'article 92.
[30] En réponse, l'avocat du procureur général dit que le législateur voulait implicitement que les mécanismes de règlement des litiges établis par la LRTFP et par la convention collective cadre soient exhaustifs. Selon lui, les décisions rendues par la présente Cour sont déterminantes. Par conséquent, soutient-il, le juge des requêtes a eu raison de radier la déclaration de l'appelant pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable ou probable parce que la compétence de la Cour à cet égard a été implicitement exclue par la loi.
[31] L'appel ici en cause soulève encore une fois la question de la portée du principe établi dans l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, ainsi que la question des précisions qui y ont subséquemment été apportées : à savoir, le caractère exclusif de régimes exhaustifs visant le règlement extrajudiciaire des litiges découlant de la relation employeur-employé. La question à trancher dans cet appel est de savoir si le principe énoncé dans l'arrêt Weber s'applique lorsque le régime établi aux fins du règlement de litiges relatifs à un emploi n'est pas conforme à la norme d'équité procédurale existant en common law parce que le décideur est un employé d'une des parties, à savoir la Couronne.
[32] Les arrêts récents des cours d'appel provinciales, de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique, vont dans l'ensemble fortement à l'encontre du caractère exclusif du régime réparateur établi par l'article 91 de la LRTFP, même lorsque, comme c'est ici le cas, les dispositions législatives ont été reproduites et ont été précisées dans la convention collective applicable au fonctionnaire qui demande à la cour de régler le litige. Par contre, les arrêts de la Cour fédérale vont d'une façon presque aussi décisive dans le sens contraire.
B. HISTORIQUE
[33] Les faits énoncés dans la déclaration qui sont pertinents en l'espèce peuvent être brièvement énoncés. M. Vaughan a occupé un emploi d'ingénieur en mécanique au ministère des Travaux publics de 1975 à 1996, et il a alors été mis à pied. Au mois d'octobre 1994, M. Vaughan a été avisé qu'il était excédentaire et qu'il serait mis à pied le 12 avril 1995. En vertu de la Directive sur le réaménagement des effectifs de 1991 (la DRE), soit une entente s'appliquant dans l'ensemble de la fonction publique, le fonctionnaire embauché pour une période indéterminée dont les services ne sont plus nécessaires à cause du réaménagement des effectifs a le droit de recevoir une offre d'emploi raisonnable au sein de la fonction publique avant d'être mis à pied. À la suite de la consultation du Conseil national mixte (le CNM), la DRE était réputée faire partie de la convention collective que l'agent négociateur de M. Vaughan avait conclue avec la Couronne.
[34] Dans une lettre en date du 17 février 1995, M. Vaughan s'est vu offrir un autre poste au sein de la fonction publique; la date d'effet de sa nomination devait être fixée par la suite. Dans une lettre en date du 6 mars 1995, M. Vaughan a informé son employeur qu'il croyait comprendre qu'un programme d'encouragement à la retraite anticipée serait bientôt offert aux fonctionnaires qui avaient été déclarés excédentaires et que cela constituait une solution de rechange par rapport à l'acceptation ou au refus de l'offre d'emploi qui lui avait été faite.
[35] M. Vaughan a demandé que les PRA lui soient versées à compter du 1er avril 1995, date à laquelle le programme devait prendre effet.
[36] Au mois d'avril 1995, M. Vaughan a été informé que la date de mise à pied avait été prorogée au 12 juillet 1995. Il a reçu une trousse d'information au sujet du PERA au mois de mai, ce programme ayant, tel qu'il avait été prévu, pris effet le 1er avril 1995. Les prestations versées dans le cadre du programme n'ont pas été offertes aux fonctionnaires qui avaient reçu une offre d'emploi raisonnable avant de quitter la fonction publique fédérale.
[37] Dans une lettre en date du 24 mai 1995, M. Vaughan a encore une fois fait savoir qu'il voulait recevoir les PRA et qu'il avait l'intention de quitter la fonction publique le 1er avril 1995. Il a également dit que, selon lui, l'offre d'emploi qui lui avait été faite au mois de février n'était pas [TRADUCTION] « raisonnable » parce qu'elle était assortie de conditions. Néanmoins, l'intimée a informé M. Vaughan, au mois de juillet 1995, que la demande qu'il avait faite en vue d'obtenir des PRA avait été refusée pour le motif qu'il avait déjà reçu une offre d'emploi raisonnable. En outre, puisqu'il n'avait pas accepté cette offre, il serait mis à pied. Au mois de janvier 1996, M. Vaughan a été informé que la mise à pied prendrait effet le 23 février 1996, et que la période de priorité excédentaire serait prorogée jusqu'à cette date-là.
[38] Dans une lettre en date du 4 mars 1996, M. Vaughan a présenté un grief dans lequel il alléguait que la DRE n'avait pas été observée et, au mois de décembre 1996, le Comité exécutif du CNM a fait droit au grief, au deuxième palier de la procédure, le Comité ayant conclu que l'offre d'emploi n'était pas raisonnable et que la mise à pied n'était donc pas conforme à la DRE. Juste avant Noël, M. Vaughan s'est vu offrir un poste non assorti de conditions pour une période indéterminée qui équivalait au poste qu'il occupait précédemment.
[39] En recevant cette lettre, M. Vaughan a informé le directeur régional qu'étant donné l'emploi qu'il exerçait dans le secteur privé, il était peu probable qu'il puisse occuper son nouveau poste, et ce, pour plusieurs mois. On lui a néanmoins dit que la nomination devait prendre effet le 17 février 1997 et que l'omission de se présenter au travail ce jour-là serait considérée comme un refus de l'offre d'emploi. Dans une lettre en date du 13 février 1997, M. Vaughan a informé son employeur de son intention de passer au palier suivant de la procédure parce que l'intimée n'avait pas réglé au fond son grief du 4 mars 1996, à savoir sa demande de PRA. L'intimée a considéré cette lettre comme un refus de l'offre d'emploi.
[40] À la suite de la décision du Comité exécutif du CNM, le grief de M. Vaughan a été renvoyé à un arbitre indépendant en vertu de l'article 92 de la LRTFP. L'arbitre a confirmé la conclusion du Comité exécutif du CNM selon laquelle l'offre d'emploi qui avait été faite à M. Vaughan au mois de février 1995 n'était pas raisonnable, la mise à pied, le 23 février 1996, étant contraire à la DRA et n'étant donc pas valide. Par conséquent, la période de priorité excédentaire aurait dû être prorogée au 17 février 1997. L'arbitre a également conclu que la deuxième offre était raisonnable et que l'omission de M. Vaughan de se présenter au travail le 17 février 1997, comme on le lui avait demandé, constituait un refus de l'offre. L'arbitre a ordonné de verser à M. Vaughan l'indemnité de départ à laquelle il avait droit en vertu de la convention collective. Toutefois, il a également conclu qu'il n'avait pas compétence pour déterminer l'admissibilité de M. Vaughan aux PRA étant donné qu'elles étaient prévues par une loi plutôt que par la convention collective.
[41] Aucune autre instance n'a été engagée à la suite de la décision de l'arbitre. Toutefois, le 29 janvier 1999, M. Vaughan a déposé la déclaration qui a donné lieu à la présente instance.
C. LA DÉCISION DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
[42] La requête que la Couronne a présentée en vue de faire radier la déclaration de M. Vaughan a été accueillie par le protonotaire Aronovitch : Vaughan c. Canada (2000), 182 F.T.R. 199. Le protonotaire a conclu que la plainte de M. Vaughan, à savoir qu'on lui avait dénié son droit aux PRA, pourrait faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91 de la LRTFP. Le protonotaire a minutieusement examiné la jurisprudence de la présente Cour et des cours d'appels de l'Ontario et de la Nouvelle-Écosse en ce qui concerne la portée du principe d'exclusivité établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Weber.
[43] Compte tenu de la décision rendue dans l'affaire Johnson-Paquette c. Canada (2000), 253 N.R. 305 (C.A.F.), le protonotaire a conclu que la procédure de règlement des griefs établie à l'article 91 de la LRTFP, et reproduite dans la convention cadre conclue entre la Couronne et l'agent négociateur de M. Vaughan, excluait implicitement la compétence de la Cour à l'égard de la déclaration. La cause d'action de M. Vaughan était liée au lieu de travail et découlait du rapport d'emploi puisqu'elle était essentiellement fondée sur l'allégation selon laquelle M. Vaughan avait droit aux PRA et qu'un grief aurait donc pu être présenté en vertu de l'article 91.
[44] L'ordonnance du protonotaire a été confirmée en appel par Madame le juge Heneghan. Le juge a ajouté aux motifs énoncés par le protonotaire l'observation selon laquelle il n'incombait pas à la Cour de déterminer si le recours dont disposait M. Vaughan en vertu de l'article 91 était adéquat. En faisant remarquer qu'une décision défavorable rendue par un agent des griefs aurait pu faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire devant la Section de première instance en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, le juge Heneghan a dit ce qui suit (au paragraphe 32) :
Il n'est pas nécessaire et il ne convient pas non plus de formuler des hypothèses sur l'éventail de recours que l'appelant aurait pu exercer après le contrôle judiciaire, s'il avait choisi cette voie. Je soulignerai simplement qu'il n'y a aucun élément de preuve indiquant que l'intimée n'aurait pas respecté la décision du tribunal et les directives qui auraient été données au sujet de la procédure à suivre pour déterminer le droit à la prestation en litige.
D. LE CONTEXTE LÉGISLATIF
[45] Les dispositions législatives suivantes sont cruciales aux fins du règlement du présent appel.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35
91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé : a) par l'interprétation ou l'application à son égard : (i) soit d'une disposition législative, d'un règlement - administratif ou autre -, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi, (ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale; b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi. |
91. (1) Where any employee feels aggrieved (a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of (i) a provision of a statute, or of a regulation, by-law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or (ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award, or (b) as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, other than a provision described in subparagraph (a)(i) or (ii), in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act. |
[...] (3) Le fonctionnaire ne faisant pas partie d'une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée peut demander l'aide de n'importe quelle organisation syndicale et, s'il le désire, être représenté par celle-ci à l'occasion du dépôt d'un grief ou de son renvoi à l'arbitrage. |
... (3) An employee who is not included in a bargaining unit for which an employee organization has been certified as bargaining agent may seek the assistance of and, if the employee chooses, may be represented by any employee organization in the presentation or reference to adjudication of a grievance. |
(4) Le fonctionnaire faisant partie d'une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée ne peut être représenté par une autre organisation syndicale à l'occasion du dépôt d'un grief ou de son renvoi à l'arbitrage. |
(4) No employee who is included in a bargaining unit for which an employee organization has been certified as bargaining agent may be represented by any employee organization, other than the employee organization certified as bargaining agent, in the presentation or reference to adjudication of a grievance. |
92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur : a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale; b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques; c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire. |
92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to (a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award, (b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4), (i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or (ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or (c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty, and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication. |
(2) Pour pouvoir renvoyer à l'arbitrage un grief du type visé à l'alinéa (1)a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes réglementaires, l'approbation de son agent négociateur et son acceptation de le représenter dans la procédure d'arbitrage.
[...]
|
(2) Where a grievance that may be presented by an employee to adjudication is a grievance described in paragraph (1)(a), the employee is not entitled to refer the grievance to adjudication unless the bargaining agent for the bargaining unit, to which the collective agreement or arbitral award referred to in that paragraph applies, signifies in the prescribed manner its approval of the reference of the grievance to adjudication and its willingness to represent the employee in the adjudication proceedings.
...
|
96(3) Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l'arbitrage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché. |
96(3) Where a grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 92 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken thereon. |
100(4) Pour l'application des dispositions de la présente loi concernant les griefs, l'employeur désigne les personnes dont la décision en cette matière constitue un palier de la procédure applicable, y compris le dernier. En cas de doute, il communique par écrit les noms de ces personnes à quiconque voulant déposer un grief, ou à la Commission.
|
100(4) For the purposes of any provision of this Act respecting grievances, the employer shall designate the person whose decision on a grievance constitutes the final or any level in the grievance process and the employer shall, in any case of doubt, by notice in writing, advise any person wishing to present a grievance, or the Board, of the person whose decision thereon constitutes the final or any level in the process. |
E. POINTS LITIGIEUX ET ANALYSE
1. Questions préliminaires
a) Ce qui n'est pas en litige
[46] Il est utile de déterminer au départ ce dont les parties conviennent. Premièrement, même si la convention collective applicable à M. Vaughan reproduisait les procédures prévues aux articles 91 et 92 de la LRTFP, le droit aux prestations versées dans le cadre du PERA ne découlait pas de cette convention, mais du Règlement sur le régime compensatoire, no 2, DORS/95-169 (le Règlement), pris conformément à la Loi sur les régimes de retraite particuliers, 1992, L.C. ch. 46, ann. 1.
[47] Deuxièmement, étant donné que l'admissibilité au PERA ne découlait pas de la convention collective et que la plainte de M. Vaughan n'était pas par ailleurs visée à l'article 92, le refus de verser à M. Vaughan les PRA ne pouvait pas être renvoyé à un arbitrage indépendant.
[48] Troisièmement, l'allégation selon laquelle M. Vaughan était admissible au PERA aurait pu faire l'objet d'un grief en vertu du sous-alinéa 91(1)a)(i) puisque la question se rapportait à « l'interprétation ou l'application à son égard [...] d'un règlement » .
[49] Quatrièmement, M. Vaughan n'a jamais présenté son grief en se fondant sur la procédure établie en vertu de l'article 91 et dans la convention cadre. Dans les motifs qu'il a prononcés lorsqu'il a statué sur le grief concernant le caractère raisonnable de la première offre d'emploi, l'arbitre a dit qu'il n'avait pas compétence pour déterminer si M. Vaughan était admissible aux PRA. Cela donne à entendre que M. Vaughan aurait pu tenter de soulever la question devant l'arbitre. Néanmoins, même s'il l'avait fait, on ne peut pas dire que M. Vaughan aurait ainsi présenté son grief relatif aux PRA en se fondant sur des procédures prévues par la loi parce que l'arbitre n'avait pas compétence pour instruire cette demande.
[50] Cinquièmement, l'avocat de M. Vaughan a concédé que les faits sous-tendant le grief ne peuvent pas faire l'objet d'une déclaration devant les tribunaux judiciaires si le litige peut également faire l'objet d'un arbitrage indépendant en vertu de l'article 92 de la LRTFP. Voir Jadwani c. Canada (Attorney General) (2001), 52 O.R. (3d) 660 (C.A.).
b) La procédure de règlement des griefs
[51] Le paragraphe 91(1) de la LRTFP décrit toute la gamme des questions relatives à l'emploi à l'égard desquelles un employé peut présenter un grief, jusqu'au dernier palier de la procédure prévue à cette fin par la Loi. Cette procédure ne s'applique pas aux griefs pour lesquels un autre recours administratif de réparation est prévu sous le régime d'une loi fédérale. Ainsi, les plaintes de discrimination fondée sur la race ou sur le sexe au lieu de travail sont examinées selon la procédure établie en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.
[52] La seule disposition procédurale relative à la procédure de règlement des griefs figurant à l'article 91 qui est ici pertinente prévoit qu'un fonctionnaire peut se faire aider et être représenté par une organisation syndicale à l'occasion du dépôt d'un grief : paragraphes 91(3) et (4).
[53] La plupart des dispositions des articles 91 et 92 sont reproduites à l'article 35 de la convention cadre conclue entre le Conseil du Trésor et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada; cette convention s'applique à M. Vaughan. De plus, l'article en question de la convention cadre complémente les dispositions procédurales squelettiques de l'article 91.
[54] Ainsi, l'article 35.03 prévoit que l'employé remet le grief à son superviseur immédiat ou à son responsable local qui de son côté l'adresse au représentant de l'employeur autorisé à traiter des griefs au palier approprié. L'article 35.06 prévoit que la procédure de règlement des griefs comprend quatre paliers au maximum, à savoir le premier niveau de direction, suivi de deux paliers intermédiaires de direction, et enfin le quatrième palier mettant en cause le chef de la direction ou son représentant autorisé. Les articles 35.09 à 11 prescrivent les délais qui s'appliquent à la présentation d'un grief à chaque palier de la procédure et à la réponse de l'employeur.
[55] Seuls les griefs auxquels l'article 92 s'applique peuvent passer de la quatrième étape à un arbitrage devant un membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique : paragraphe 92(1) et article 93. Ces griefs comprennent les litiges découlant de la convention collective et de l'imposition de mesures disciplinaires sévères. Par ailleurs, le paragraphe 96(3) prévoit que « la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché » .
[56] Toutefois, cette disposition relative au caractère final de la décision ne protège pas la décision rendue au dernier palier, lorsqu'un grief a été présenté en vertu de l'article 91, contre une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Étant donné que le décideur est un « office fédéral » , la Cour fédérale a compétence exclusive pour ce qui est du contrôle judiciaire des décisions rendues à la dernière étape de la procédure prévue à l'article 91 : Loi sur la Cour fédérale, paragraphes 18(1) et (3).
[57] L'avocat de M. Vaughan a souligné la nature informelle de la procédure applicable aux griefs fondés sur l'article 91 et le fait que l'accent est mis sur le règlement. Toutefois, la convention collective mentionne le caractère informel uniquement comme moyen d'éviter la procédure de règlement des griefs plutôt que comme caractéristique de la procédure elle-même. Ainsi, à l'article 35.02, les parties reconnaissent « l'utilité d'une explication officieuse entre les employés et leurs superviseurs de façon à résoudre les problèmes sans avoir recours à un grief officiel » [non souligné dans l'original]. La mention d' « un grief formel » se rapporte au grief présenté en vertu de la procédure établie à l'article 91 et dans la convention collective.
[58] L'avocat a également affirmé que les griefs sont souvent réglés compte tenu d'observations écrites et de documents justificatifs, même si le fonctionnaire peut toujours demander la tenue d'une audience. De plus, les représentants de l'employeur qui agissent à titre d'agents des griefs ne possèdent pas les pouvoirs légaux qui sont conférés aux arbitres à l'égard de questions procédurales telles que la comparution des témoins, la production et l'admission de la preuve, et l'administration de serments et d'affirmations solennelles : articles 25 et 96.1 de la LRTFP.
[59] De plus, selon l'avocat, les décideurs, dans la procédure de règlement des griefs en quatre étapes, sont tous des représentants de l'employeur; il n'y a pas et il n'est pas réputé y avoir d'arbitrage indépendant. Seuls les griefs visés à l'article 92 peuvent être renvoyés devant un arbitre indépendant.
c) Les PRA
[60] Dans le cadre du PERA, certains fonctionnaires ont droit à une renonciation à la réduction de la pension à laquelle ils seraient assujettis en quittant la fonction publique avant d'être admissibles à une pleine pension. Tous les fonctionnaires excédentaires admissibles peuvent de plein droit se prévaloir de ce programme. Les conditions d'admissibilité sont énoncées à l'article 4 du Règlement, et les articles 7 et 8 définissent dans les moindres détails le montant de la prestation à laquelle les fonctionnaires admissibles ont droit. Le régime laisse peu de place à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire.
[61] Les litiges, pour ce qui est du droit aux PRA, doivent inévitablement être réglés compte tenu des conclusions de fait qui sont tirées au sujet des demandeurs et de leur situation, de l'interprétation des dispositions législatives et de leur application aux faits constatés par le décideur. Dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire présentée par un fonctionnaire, la Cour fédérale peut examiner une décision de refuser d'accorder les PRA pour déterminer, entre autres choses, s'il y a eu iniquité procédurale (y compris une crainte raisonnable de partialité), si une erreur de droit a été commise dans l'interprétation ou dans l'application des dispositions législatives pertinentes, ou si des conclusions de fait erronées ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont disposait le décideur. La Cour, si elle est convaincue que la décision comporte l'un ou l'autre de ces vices, peut notamment infirmer la décision et, le cas échéant, ordonner à l'agent des griefs de trancher l'affaire conformément aux instructions qu'elle donne : Loi sur la Cour fédérale, paragraphe 18.1(3).
2. Les points litigieux
[62] Les questions litigieuses à trancher dans cet appel sont ci-après énoncées :
(i) La LRTFP exclut-elle implicitement la compétence que possède la Cour en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale à l'égard des litiges découlant du rapport d'emploi qui peuvent faire l'objet d'un grief en vertu de la LRTFP, mais qui ne peuvent pas être renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92?
Dans l'affirmative, la déclaration a été correctement radiée et l'appel sera rejeté. Dans la négative, une deuxième question se pose :
(ii) Eu égard aux circonstances de la présente affaire, existe-t-il une raison pour laquelle la Cour devrait refuser d'exercer sa compétence à l'égard de la déclaration de l'appelant?
3. La jurisprudence
[63] Aucune décision de la Cour suprême du Canada ne règle expressément ces questions. Toutefois, compte tenu de leurs décisions antérieures, certaines cours d'appel provinciales concluraient que, si M. Vaughan avait déposé sa déclaration devant la cour supérieure provinciale, la LRTFP n'écarterait pas implicitement leur compétence à cet égard. Aussi intéressantes soient-elles, ces décisions ne lient pas la Cour.
[64] D'autre part, les remarques que la Cour d'appel fédérale a faites indiquent que le législateur a implicitement exclu toute compétence de la Cour sur les demandes pouvant faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91. Le juge Heneghan a rejeté l'appel parce que, à son avis, l'arrêt Johnson-Paquette était une décision obligatoire faisant autorité à l'appui de la thèse selon laquelle la LRTFP écartait la compétence de la Cour à l'égard de la demande de M. Vaughan.
[65] À moins de pouvoir faire l'objet d'une distinction, la décision Johnson-Paquette et les autres décisions de la présente cour dans le même sens devraient être suivies en l'absence de motifs impératifs, par exemple lorsque la jurisprudence subséquente en atténue l'effet : Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370. J'examinerai les décisions rendues par la Cour sur ce point avant de parler des arrêts pertinents de la Cour suprême du Canada et des cours d'appel provinciales.
a) La Cour d'appel fédérale
[66] La décision Johnson-Paquette est la principale décision faisant autorité à l'appui de la thèse selon laquelle les articles 91 et 92 forment un régime de réparation exhaustif qui exclut implicitement la compétence de la Cour à l'égard d'une instance qui est essentiellement fondée sur une conduite, au lieu de travail, susceptible de faire l'objet d'un grief. Le paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour fédérale une compétence concurrente sur les actions intentées contre la Couronne du chef du Canada, « [s]auf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale » .
[67] Parlant au nom de la Cour dans l'arrêt Johnson-Paquette, le juge Noël a dit ce qui suit (au paragraphe 10) :
L'intention du législateur d'exclure l'intervention des tribunaux dans les litiges en matière de relations de travail peut donc être formulée expressément ou ressortir implicitement. Lorsque, comme c'est le cas pour la LRTFP, le législateur a, au moyen d'une loi, adopté ce qui se veut manifestement un code complet applicable à la résolution des litiges en matière de relations de travail dans un secteur donné d'activité et a rendu l'issue des recours prévus dans la loi finale et obligatoire pour les personnes concernées, le fait de permettre le recours aux tribunaux ordinaires auxquels ces tâches n'ont pas été attribuées porterait atteinte au régime législatif. Pour donner effet à ces régimes, il faut considérer que le législateur a exclu le recours aux tribunaux ordinaires.
[68] L'avocat de M. Vaughan a soutenu que, malgré la portée de cet énoncé, l'arrêt Johnson-Paquette peut faire l'objet d'une distinction pour le motif que deux des quatre griefs interdépendants présentés par Mme Johnson-Paquette étaient régis par la convention collective et que contrairement au grief de M. Vaughan, ils pouvaient donc faire l'objet d'un arbitrage indépendant en vertu de l'article 92 : voir Johnson-Paquette, note de bas de page 5. Quant aux deux autres griefs, le juge Noël a uniquement dit qu'ils « sont visés par l'article 9 de la LRTFP » [non souligné dans l'original]. L'avocat a soutenu que, dans ces conditions, il est possible qu'en énonçant d'une façon générale le principe susmentionné, la Cour ne songeait pas au cas où le grief présenté par le fonctionnaire ne pouvait clairement pas être renvoyé à un arbitrage indépendant, mais où il était également clairement visé à l'article 91.
[69] Cet argument ne me convainc pas. Le juge des requêtes dont la décision de radier la déclaration avait été portée en appel dans l'affaire Johnson-Paquette avait expressément rejeté l'argument selon lequel Mme Johnson-Paquette avait le droit d'intenter une action devant la Section de première instance parce que la demande sur laquelle l'action était fondée n'était pas visée à l'article 92. Le juge des requêtes a donc statué que le régime législatif empêchait Mme Johnson-Paquette d'avoir accès à un arbitrage indépendant : Johnson-Paquette c. Canada (1998), 159 F.T.R. 42, aux paragraphes 21 et 22. Dans ces conditions, l'énoncé de la Cour d'appel devrait être considéré comme comprenant les griefs fondés sur l'article 91 qui ne peuvent pas être renvoyés à un arbitrage indépendant en vertu de l'article 92.
[70] L'avocat a également soutenu que l'arrêt Johnson-Paquette peut faire l'objet d'une autre distinction pour le motif que, contrairement à M. Vaughan, Mme Johnson-Paquette avait déjà présenté son grief au moyen de la procédure interne, mais qu'elle n'avait pas demandé le contrôle judiciaire de la décision rendue par l'agent des griefs au dernier palier. Comme le juge Noël l'a fait remarquer (au paragraphe 3) :
Peu importe ce dont elle est qualifiée, la cause d'action que la demanderesse allègue maintenant dans sa déclaration découle manifestement des faits à l'appui des quatre griefs qu'elle a déposés sous le régime de la LRTFP et qui ont tous été rejetés dans une décision exécutoire rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.
[71] En engageant des poursuites fondées sur la responsabilité délictuelle, Mme Johnson-Paquette tentait donc de plaider de nouveau une affaire qui avait déjà fait l'objet d'un recours administratif et, par conséquent, d'empêcher l'employeur de se prévaloir du délai de présentation de 30 jours qui s'applique normalement aux demandes de contrôle judiciaire de décisions ou d'ordonnances d'un office fédéral (Loi sur la Cour fédérale, paragraphe 18.1(2)).
[72] L'avocat a soutenu que la politique publique visant à assurer le caractère définitif des décisions et à éviter le chevauchement dans les prises de décisions légales militait donc en faveur de la radiation de la déclaration de Mme Johnson-Paquette pour le motif qu'elle excédait la compétence de la Cour. Toutefois, cette politique ne s'applique pas lorsque, comme c'est ici le cas, le demandeur n'a jamais eu recours à la procédure de règlement des griefs en vue de faire régler le litige qui forme l'essence de la déclaration. La règle selon laquelle le fonctionnaire qui s'est prévalu du recours prévu à l'article 91 est lié par son choix n'empêcherait pas nécessairement ce fonctionnaire de décider de s'adresser aux tribunaux judiciaires au lieu de recourir à la procédure de règlement des griefs prévue par la loi. Des distinctions peuvent être faites pour le même motif entre le présent appel et d'autres décisions de la Cour, y compris la décision récemment rendue dans l'affaire Cleroux c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 242.
[73] L'arrêt Johnson-Paquette a fait l'objet d'une distinction pour ce motif dans l'arrêt Pleau (Litigation Guardian of) c. Canada (Attorney General) (1999), 182 D.L.R. (4th) 373, au paragraphe 98 (C.A.N.-É.), où il a été statué qu'un fonctionnaire qui n'avait pas accès à un arbitrage indépendant en vertu de l'article 92 pouvait décider de poursuivre la Couronne au lieu de présenter un grief en vertu de l'article 91. En parlant de cette distinction, le juge Cromwell a dit ce qui suit (au paragraphe 74) :
[TRADUCTION] Il se peut que lorsque des fonctionnaires invoquent la procédure de règlement des griefs, comme ils peuvent à bon droit le faire sans y être tenus toutefois, ils soient liés par le résultat, sous réserve d'un contrôle judiciaire : voir le paragraphe 96(3) et l'article M-38.15.
[74] Toutefois, en parlant au nom de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Guenette c. Canada (Attorney General), (2002), 216 D.L.R. (4th) 410, le juge MacPherson a dit (au paragraphe 64) que le recours d'un fonctionnaire à la procédure de règlement des griefs prévue par la loi avait quelque chose à voir non pas avec la question de savoir si le législateur avait écarté la compétence des tribunaux judiciaires, mais uniquement avec la question de savoir si, dans ces conditions, ces tribunaux doivent refuser d'exercer leur compétence. À mon avis, telle est la meilleure façon d'envisager la question. Par conséquent, la conclusion que la Cour a tirée dans l'affaire Johnson-Paquette, à savoir que la LRTFP écartait la compétence de la Cour, s'applique même si le fonctionnaire n'a pas eu recours à la procédure de règlement des griefs.
[75] Parmi les autres affaires traitant de l'effet que la LRTFP a sur la compétence de la Cour fédérale qui ont été tranchées par la présente cour, l'arrêt Bouchard c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1999), 187 D.L.R. (4th) 314 (C.A.F.) semblerait être directement pertinent. Dans cette affaire-là, l'appelante semble avoir demandé le contrôle judiciaire du refus de la réintégrer dans ses fonctions sans avoir eu recours à la procédure de règlement des griefs prévue par la loi. La Cour a confirmé la décision du protonotaire de radier la demande pour le motif que les dispositions de la LRTFP portant sur les griefs écartaient implicitement la compétence conférée à la Cour par l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'il s'agissait d'examiner la décision de ne pas réintégrer la demanderesse.
[76] Toutefois, en prononçant les motifs du jugement de la Cour dans l'arrêt Bouchard, Monsieur le juge Létourneau a dit que l'appelante avait allégué qu'elle avait démissionné parce qu'elle était harcelée au travail. Cela a amené le juge à conclure ce qui suit (paragraphe 26) :
Il serait certes possible pour un arbitre de conclure légalement que le refus des intimés, dans les circonstances, de réintégrer l'appelante dans ses fonctions constitue un congédiement déguisé (constructive dismissal).
[non souligné dans l'original]
Étant donné que les plaintes portant sur une conduite ayant entraîné le licenciement peuvent être renvoyées à un arbitrage indépendant en vertu de l'alinéa 92(1)c), il n'est pas clair que la Cour ait mis l'accent sur la question qui nous occupe dans le présent appel, à savoir l'applicabilité du principe d'exclusivité énoncé dans l'arrêt Weber à un cas dans lequel le fonctionnaire n'a pas le droit de soumettre son grief à un arbitrage indépendant.
[77] L'arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), 2002 CAF 239 (AFPC) est également pertinent; dans de brefs motifs, la Cour a confirmé la décision du juge des requêtes ((2001), 205 F.T.R. 270, 2001 CFPI 568) de radier une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Commissaire de la Commission canadienne des grains avait temporairement mis certains employés en « situation d'inactivité » sans paie. Les employés en question auraient pu présenter un grief en vertu de l'article 91, mais ils ne l'ont apparemment pas fait. Leur syndicat, l'AFPC, a plutôt demandé le contrôle judiciaire de la décision de mettre les employés à pied.
[78] Toutefois, il peut être noté que même si, dans ses motifs, la Cour d'appel a réitéré le principe général d'exclusivité énoncé par le juge Noël dans l'arrêt Johnson-Paquette, les faits de l'affaire AFPC ne soulevaient pas d'une façon aussi claire qu'en l'espèce la question qui est ici en litige. En plus de l'exclusion implicite de la compétence de la Cour par application de la LRTFP, la demande a également été radiée pour le motif que le syndicat n'avait pas qualité pour agir : il avait uniquement qualité pour solliciter le contrôle judiciaire au nom de ses membres dans des circonstances restreintes, qui ne comprenaient pas le cas qui nous occupe.
[79] Le juge des requêtes a également conclu qu'en vertu du principe énoncé dans l'arrêt Weber, la compétence de la Cour sur toute demande de contrôle judiciaire présentée par les fonctionnaires mis à pied à la suite du refus de les réintégrer dans leurs fonctions était implicitement écartée par les dispositions de l'article 91 de la LRTFP applicables aux griefs. Toutefois, le juge a en outre dit (au paragraphe 64) que l'AFPC pouvait renvoyer à la Commission des relations de travail dans la fonction publique son grief relatif à la perte des cotisations syndicales résultant de la mise à pied des membres du syndicat. Contrairement à M. Vaughan, l'AFPC ne disposait d'aucun recours en vertu de l'article 91 de la LRTFP.
[80] D'autre part, au moins une décision rendue par la présente Cour après le prononcé du jugement dans l'affaire Weber, à savoir Banerd c. Canada (Sous-ministre du Revenu national - MRN), [1994] A.C.F. no 260 (C.A.), peut donner à entendre que les procédures prévues à l'article 91 ne sont pas exclusives. Dans cette affaire-là, la Cour a accueilli l'appel et a modifié l'ordonnance ((1994), 88 F.T.R. 14) par laquelle le juge des requêtes avait radié de la déclaration une allégation selon laquelle la mise à pied de l'appelant n'était pas valide, la réintégration étant demandée. Le juge des requêtes avait dit ce qui suit (au paragraphe 15) :
Il n'y a pas de contrat d'emploi proprement dit et il n'y a aucune obligation de préavis. [...] Les recours en matière d'emploi relèvent de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.
[81] Dans de brefs motifs de jugement par lesquels il a rétabli l'allégation contestée, Monsieur le juge Hugessen a examiné l'assertion du juge des requêtes selon laquelle l'appelant disposait d'un recours en vertu de la LRTFP; voici ce qu'il a dit (au paragraphe 6) :
Les parties conviennent aussi que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne prévoit aucun recours de quelque nature que ce soit pour une personne occupant un poste comme celui du demandeur qui a été mise en disponibilité. [non souligné dans l'original]
[82] À mon avis, cette décision n'est pas utile à l'appelant en l'espèce. Contrairement à la situation apparente dans l'affaire Banerd, il est reconnu que M. Vaughan aurait pu demander une réparation au moyen de la procédure de règlement des griefs établie à l'article 91 de la LRTFP à l'égard des PRA. J'ajouterais également que, dans l'arrêt Banerd, la Cour n'a pas mentionné l'affaire Weber, qui n'avait pas encore été tranchée lorsque le juge des requêtes avait rendu sa décision.
[83] De fait, avant qu'une décision soit rendue dans l'affaire Weber, il était généralement supposé que les tribunaux avaient compétence sur les actions que les fonctionnaires fédéraux intentaient contre la Couronne en vue d'obtenir des jugements déclaratoires portant sur des droits ainsi que des dommages-intérêts fondés sur la responsabilité délictuelle : voir par exemple Canada c. Kelso, [1981] 1 R.C.S. 199; Chander c. Canada (1984), 57 N.R. 54 (C.A.F.); Mudath c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1989] 3 C.F. 371 (C.A.). Les tribunaux judiciaires ont statué au fond sur les litiges relatifs à l'emploi qui étaient survenus dans ces affaires. Dans leurs motifs, il n'est pas expressément question de la compétence, même s'il semble que l'essence des demandes aurait pu faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91. D'autre part, dans certaines décisions rendues avant l'arrêt Weber, les tribunaux judiciaires ont refusé d'exercer leur compétence à l'égard de demandes qui auraient pu être renvoyées à un arbitre en vertu de l'article 92 : voir par exemple, Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) (1990), 36 F.T.R. 182.
[84] En conclusion, à l'exception de l'arrêt Banerd, les décisions rendues par les deux sections de la Cour à la suite de l'arrêt Weber étayent largement la thèse selon laquelle les dispositions relatives aux griefs de la LRTFP excluent implicitement la compétence de la Cour sur les conflits de travail susceptibles de faire l'objet d'un grief en vertu de la LRTFP. Et puisque l'existence de la compétence de la Cour ne dépend pas de la question de savoir si le fonctionnaire a eu recours à la procédure de règlement des griefs, l'arrêt Johnson-Paquette peut être considéré comme ayant dit que, d'une façon nécessairement implicite, la Cour n'a pas compétence sur une demande se rapportant, dans son essence, à un litige visé par le libellé général de l'article 91, indépendamment de la question de savoir si le fonctionnaire a présenté un grief en vertu de l'article 91.
[85] Néanmoins, dans des décisions pleinement motivées, les cours d'appel provinciales ont récemment conclu que la procédure interne de règlement des griefs prévue par la LRTFP n'est pas exclusive. Compte tenu de cette jurisprudence, qui n'est pas conforme à celle de la présente cour, il convient de déterminer de nouveau si le principe énoncé dans l'arrêt Weber s'applique à la LRTFP. Dans l'arrêt Miller c. Canada (Procureur général), la présente Cour a statué qu'elle devrait être prête à s'écarter de ses décisions antérieures lorsqu'elle est convaincue que la jurisprudence subséquente remet leur bien-fondé en question.
[86] En outre, aucune décision de la présente Cour n'est sans conteste identique à la présente espèce ou ne comporte un examen détaillé des considérations qui ont persuadé d'autres tribunaux judiciaires que leur compétence n'était pas implicitement écartée à l'égard d'un litige qui est régi par l'article 91, mais qui ne peut pas être renvoyé à l'arbitrage indépendant en vertu de l'article 92.
b) La Cour suprême du Canada
[87] La Cour suprême du Canada doit encore déterminer si l'équité procédurale, ou quelque autre élément, d'un régime législatif a quelque chose à voir avec la détermination de la question de savoir si la compétence en première instance des tribunaux judiciaires sur les litiges en matière d'emploi qui sont visés par ce régime est écartée. Toutefois, la Cour a refusé les autorisations d'en appeler de deux décisions rendues par des cours d'appel provinciales dans lesquelles il avait été statué que la procédure de règlement des griefs prévue à l'article 91 de la LRTFP n'exclut pas la compétence des tribunaux judiciaires sur les litiges susceptibles de faire l'objet d'un grief auxquels l'article 92 ne s'applique pas : Commission de contrôle de l'énergie atomique c. Danilov, [2000] 1 R.C.S. vi; Procureur général du Canada c. Pleau, [2000] 2 R.C.S. v. L'affaire Pleau est fort semblable à l'affaire qui nous occupe dans la mesure où, dans les deux cas, les demandeurs, qui étaient régis par une convention collective, n'avaient pas eu recours aux procédures prévues à l'article 91 et n'avaient pas accès à un arbitrage indépendant en vertu de l'article 92.
[88] On ne saurait assimiler le refus d'autorisation à une reconnaissance de la part de la Cour suprême du Canada du caractère correct de la décision en question, mais ce refus peut indiquer que la présente Cour devrait se pencher sérieusement sur le raisonnement d'une cour d'appel intermédiaire qui ne correspond pas à son propre raisonnement. Il faut donc examiner la jurisprudence de la Cour suprême du Canada relative au principe de l'exclusivité dans le contexte d'autres régimes en matière de relations de travail pour jeter la lumière sur le problème précis qui se pose en l'espèce.
[89] L'arrêt Weber c. Ontario Hydro est celui qui fait autorité pour ce qui est de l'exclusivité des procédures de réparation établies à l'égard des griefs liés au lieu de travail, mais il ne faudrait pas appliquer cet arrêt indépendamment de son contexte. La différence contextuelle la plus importante entre le régime de relations de travail dont il était question dans l'arrêt Weber et celui qui est créé par la LRTFP est la suivante : selon le régime provincial, la convention collective renferme la plupart des conditions d'emploi; or, étant donné que tous les griefs découlant d'une convention collective peuvent être renvoyés à l'arbitrage, presque tous les litiges relatifs à un emploi sont réglés par un décideur impartial.
[90] Par contre, en vertu du régime fédéral, seuls certains litiges relatifs à l'emploi sont réglés au moyen d'un arbitrage devant un tiers, ou au moyen d'un arbitrage tel qu'il existe en droit fédéral du travail. La plupart des litiges qui ne découlent pas d'une convention collective peuvent être renvoyés à un arbitrage extérieur uniquement lorsqu'ils comportent des conséquences particulièrement sérieuses pour le fonctionnaire : une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, la suspension, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire, et un licenciement ou une rétrogradation fondés sur des motifs d'ordre disciplinaire ou sur des motifs d'ordre non disciplinaire conformément aux alinéas 11(2)f) et g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11. De nombreux litiges n'appartiennent pas à ces catégories parce que les conditions régissant l'emploi au sein de la fonction publique fédérale sont habituellement énoncées non seulement dans la convention collective pertinente, mais aussi dans les lois, dans les règlements, dans les directives politiques du Conseil du Trésor et ainsi de suite.
[91] Selon un argument voulant que le principe énoncé dans l'arrêt Weber ne s'applique pas à la procédure interne de règlement des griefs prévue à l'article 91 de la LRTFP, ces différences contextuelles ont une importance sur le plan juridique. Cet argument a prévalu devant les cours d'appel provinciales. Toutefois, les motifs énoncés dans l'arrêt Weber ne sont pas expressément fondés sur l'indépendance de la procédure de règlement des griefs en tant que fondement de la conclusion selon laquelle la compétence de la cour, en ce qui concerne la cause d'action de l'appelant, avait implicitement été exclue par le régime législatif.
[92] Dans l'arrêt subséquent Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, des lignes directrices additionnelles ont été énoncées au sujet de la portée du principe établi dans l'arrêt Weber. Cet arrêt n'est pas non plus directement pertinent, parce que la question principale était de savoir si un grief découlant du refus d'un chef de police de permettre à un agent de retirer sa démission relevait de la compétence de l'arbitre ou de la Saskatchewan Police Commission, qui était un organisme d'origine législative. En outre, la procédure de règlement des griefs, qui a abouti à l'introduction d'un appel par un chef de la police municipale devant la Commission provinciale, était clairement une procédure plus indépendante et plus formelle que la procédure interne établie en vertu de l'article 91 de la LRTFP.
[93] Dans l'arrêt Regina Police Association, la Cour a également statué que l'analyse effectuée dans l'arrêt Weber était non seulement pertinente lorsqu'il s'agissait de déterminer si l'arbitre ou la Saskatchewan Police Commission avait compétence pour statuer sur un grief, mais aussi lorsqu'il s'agissait de déterminer si un arbitre ou un tribunal judiciaire avait compétence. La Cour a conclu que l'arbitre n'avait pas compétence à l'égard du grief puisque la Commission avait clairement compétence sur les questions de discipline et que, eu égard aux circonstances de l'affaire, le refus du chef de police d'accepter la démission de l'agent était de nature disciplinaire.
[94] Malgré les différences existant entre les questions de droit soulevées dans le présent appel et celles qui se posaient dans l'arrêt Regina Police Assn. ainsi qu'entre les dispositions législatives permettant le règlement des griefs, ce jugement est néanmoins instructif aux fins qui nous occupent.
[95] Premièrement, au nom de la Cour, Monsieur le juge Bastarache a noté (au paragraphe 34), aux fins de l'application de l'arrêt Weber, jusqu'à quel point le caractère complet du régime de réparation prévu par la loi était pertinent :
Le raisonnement qui sous-tend le modèle adopté dans l'arrêt Weber, précité, pour déterminer l'instance décisionnelle compétente, était fondé, en partie, sur la reconnaissance que le fait de permettre que des litiges soient entendus par un tribunal autre que celui que prévoit un régime législatif complet destiné à régir tous les aspects des rapports entre les parties dans le cadre des relations du travail porterait atteinte à ce régime [...]. [non souligné dans l'original]
Par conséquent, si un régime qui s'applique au règlement de litiges découlant du rapport d'emploi s'applique à tous les litiges de ce genre ou à presque tous les litiges de ce genre, on peut supposer que le législateur voulait exclure d'autres tribunaux aux fins du règlement de pareils litiges, et notamment les tribunaux judiciaires.
[96] Deuxièmement, dans l'arrêt Regina Police Assn., la Cour s'est principalement penchée sur l'application du principe énoncé dans l'arrêt Weber à deux décideurs administratifs, mais elle s'est également arrêtée à la question du caractère exclusif de la compétence de chacun de ces organismes par rapport aux tribunaux judiciaires. Le juge Bastarache a dit ce qui suit (au paragraphe 26) :
Il faut donc se demander si le législateur a voulu que le présent litige soit régi par la convention collective ou par The Police Act et le Règlement. Lorsque ni l'arbitre ni la Commission n'ont compétence pour entendre le litige, les tribunaux possèdent une compétence résiduelle pour régler le litige. [non souligné dans l'original]
Il est avec raison possible d'inférer à partir de la phrase qui a ci-dessus été soulignée que, de l'avis du juge Bastarache, un tribunal n'aurait pas compétence sur un litige relevant de la compétence de l'un ou l'autre des organismes d'origine législative. En d'autres termes, dans l'arrêt Regina Police Assn., la Cour semble avoir conclu, en se fondant sur l'arrêt Weber, que chaque décideur désigné par la loi avait compétence à l'exclusion de l'autre et que la compétence de chacun excluait la compétence des tribunaux judiciaires.
[97] Troisièmement, dans l'arrêt Regina Police Assn., la Cour a appliqué le principe énoncé dans l'arrêt Weber à un litige qui n'était pas fondé sur une convention collective et où le mécanisme exclusif de règlement n'était pas le recours à un arbitre. Il s'ensuit qu'un régime, en ce qui concerne les litiges relatifs à un emploi, peut constituer un régime de réparation exclusif pour l'application de l'arrêt Weber, même si le litige ne découle pas d'une convention collective et même s'il n'est pas réglé par arbitrage. Le principe énoncé dans l'arrêt Weber peut donc s'appliquer à un régime qui ne comporte pas l'élément consensuel tel que ceux qui ont été examinés dans l'arrêt de principe St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. Ltd. c. Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986] 1 R.C.S. 704, ainsi que dans l'arrêt Weber lui-même.
[98] Par conséquent, étant donné que l'arrêt Regina Police Assn. a élargi la portée du principe d'exclusivité, le fait que la demande que M. Vaughan a faite en vue d'obtenir les PRA était fondée sur une loi plutôt que sur une convention collective et que les procédures prévues à l'article 91 de la LRTFP, aux fins du dépôt d'un grief à la suite du refus d'accorder des prestations, sont essentiellement d'origine législative plutôt que d'être consensuelles ne porte pas un coup fatal à l'élimination implicite de la compétence de la Cour sur les litiges visés à l'article 91 de la LRTFP. Toutefois, à cause des différences d'ordre institutionnel et procédural qui existent entre la Saskatchewan Police Commission et la procédure de règlement des griefs prévue à l'article 91, l'arrêt Regina Police Assn. n'est pas déterminant en ce qui concerne la question soulevée dans le présent appel, à savoir si le principe énoncé dans l'arrêt Weber s'applique à une procédure de règlement des griefs qui ne peut pas être considérée comme impartiale parce qu'elle est administrée par l'employeur.
[99] L'avocat de M. Vaughan a soutenu que, sur le plan juridique, il ne faudrait pas accorder beaucoup d'importance au fait que la convention cadre régissant certains aspects du rapport d'emploi incorporait les principales dispositions du régime de règlement des griefs prévu par la loi et y ajoutait certains détails. L'avocat a soutenu qu'en fin de compte, les éléments essentiels du régime prévu par la LRTFP ne sont pas de nature consensuelle : dans l'ensemble, la procédure de règlement des griefs est imposée aux fonctionnaires et, à l'exception des griefs visés à l'article 92, elle relève de l'employeur. La convention collective peut étoffer et étoffe les dispositions plutôt squelettiques de la procédure établie à l'article 91, mais elle ne peut pas les modifier.
[100] Je souscris à ces arguments, pour ce qu'ils valent. Toutefois, j'ai deux observations à faire. Premièrement, à l'exception des questions qui ne peuvent pas être incluses dans une convention collective en vertu du paragraphe 57(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, il est loisible aux agents négociateurs de chercher à élargir la gamme de questions qui peuvent être renvoyées à un arbitrage indépendant en faisant en sorte qu'un plus grand nombre des conditions d'emploi auxquelles sont assujetties leurs membres soient réputées être incluses dans la convention collective. Ainsi, la DRE prévoyait que, sous réserve du droit de refus du syndicat, la directive était réputée faire partie de la convention collective et que chaque convention devait en faire mention. Deuxièmement, l'inclusion des articles 91 et 92 dans la convention cadre, ainsi que les précisions qui y sont données au sujet des procédures prévues à l'article 91, indiquent que les dispositions qui sont prises aux fins du règlement des griefs comportent un aspect consensuel.
c) Les cours d'appel provinciales
[101] Comme il en a déjà fait mention, l'application du principe énoncé dans l'arrêt Weber aux dispositions de la LRTFP relatives au règlement des litiges a donné lieu à des litiges devant plusieurs cours d'appel provinciales. Dans presque tous les cas, il a été décidé qu'en ce qui concerne les griefs auxquels l'article 92 ne s'applique pas, la LRTFP n'exclut pas la compétence de la cour provinciale à l'égard des poursuites engagées contre la Couronne du chef du Canada, compétence qui est depuis 1993 exercée de concert avec celle de la Cour fédérale : Loi sur la Cour fédérale, paragraphe 17(1). Voir Guenette c. Canada (Attorney General); Yearwood c. Canada (Attorney General), (2002), 216 D.L.R. (4th) 462, 2002 BCCA 427; Bell c. Canada (Transport), (2002), 210 D.L.R. (4th) 463, 2002 NFCA 5. Il importe également de noter deux décisions antérieures sur lesquelles reposent ces décisions plus récentes : Pleau c. Canada (Attorney General) et Danilov c. Canada (Atomic Energy Control Board) (1999), 125 O.A.C. 130 (C.A.). Voir également Phillips c. Harrison (2000), 196 D.L.R. (4th) 69 (Man.), où un résultat similaire a été obtenu à l'égard de la procédure de règlement des griefs établie en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-9.
[102] Il suffit aux fins qui nous occupent de nous arrêter à la décision la plus récente, Guenette c. Canada (Attorney General), dans laquelle le juge MacPherson fait la synthèse du raisonnement qui avait été fait dans les décisions antérieures et présente un argument convaincant au sujet de la non-application de l'arrêt Weber aux litiges qui peuvent faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91, mais qui ne peuvent pas être renvoyés à un arbitre en vertu de l'article 92.
[103] Les faits de l'affaire Guenette sont à certains égards semblables à ceux du présent appel. Premièrement, les fonctionnaires étaient régis par une convention collective. Deuxièmement, le litige découlait du rapport d'emploi et il était considéré comme susceptible d'être assujetti à la procédure de règlement des griefs prévue à l'article 91, même si en fait il ne l'a pas été. Troisièmement, le grief n'aurait pas pu être renvoyé à un arbitrage indépendant en vertu de l'article 92.
[104] Toutefois, comme le souligne mon collègue, Monsieur le juge Sexton, il existe de fait des différences entre le présent appel et l'arrêt Guenette, pour ce qui est de la nature du litige et de la réparation demandée. Dans l'affaire Guenette, les appelants s'étaient plaints pendant plusieurs années du gaspillage des fonds publics et d'autres formes de mauvaise gestion au sein du ministère où ils travaillaient. Les appelants alléguaient non seulement qu'il n'avait pas été tenu compte de leurs plaintes, mais aussi qu'ils avaient été harcelés au lieu de travail pour avoir exprimé leur point de vue au détriment de leur carrière et de leur santé. Afin de remédier à ces présumés torts, les appelants réclamaient chacun 3 millions de dollars au titre de dommages-intérêts généraux et de la perte de revenus de pension, et un montant total de 30 millions de dollars au titre de dommages-intérêts punitifs et majorés, en vue d'établir une organisation de défense des droits à but non lucratif pour protéger les droits des employés de l'État, en particulier sur des questions d'abus de pouvoir et de harcèlement.
[105] Les allégations de ce genre comportent normalement des conclusions de fait difficiles fondées sur de nombreux éléments de preuve contradictoires ainsi que l'appréciation de valeurs opposées dans l'interprétation et l'application d'une norme générale et l'exercice d'un jugement considérable aux fins de l'élaboration d'une réparation appropriée. En outre, les demandes n'étaient pas principalement axées sur le rapport d'emploi et la répartition sollicitée allait bien au-delà de ce qui est normalement demandé dans le cadre d'une procédure de règlement des griefs. En d'autres termes, compte tenu de l'objet des demandes qui étaient faites dans l'affaire Guenette et de la réparation sollicitée, l'article 91 peut avoir semblé ne fournir aux demandeurs aucune réparation réelle.
[106] Par contre, le litige dans le présent appel a une portée beaucoup plus étroite. Il porte sur l'admissibilité de M. Vaughan à un droit prévu par la loi minutieusement défini se rapportant à la retraite anticipée et il est donc clairement visé à l'article 91. Même si la demande de M. Vaughan n'est sans aucun doute pas parfaite, les faits nécessaires pour établir l'admissibilité aux PRA en vertu du Règlement sont relativement peu nombreux et ils ne sont pas trop complexes. Rien ne permet de croire qu'à part l'omission d'assurer l'accès à un arbitre impartial, la procédure prévue par la loi ne se prête pas au règlement du litige qui nous occupe. En outre, la demande fait partie intégrante du rapport d'emploi. La réparation sollicitée dans la déclaration de M. Vaughan (une déclaration portant sur le droit aux PRA ou un montant équivalent au titre des dommages-intérêts) indique que, dans son essence, le litige ne peut pas être réglé à l'aide des procédures prévues à l'article 91.
[107] Néanmoins, on ne saurait faire une distinction entre les différentes décisions en se fondant sur le fait que dans l'affaire Guenette, les demandeurs n'auraient pas pu présenter un grief sur le fond de leur plainte en vertu de l'article 91 de la LRTFP. Le juge Chadwick, de la Cour supérieure de justice ([2000] O.J. no 3604), a expressément statué (au paragraphe 51) que [TRADUCTION] « l'allégation relative au harcèlement découle clairement de la relation employeur-employé » et (au paragraphe 53) que [TRADUCTION] « la demande excessive ou nouvelle visant l'obtention de dommages-intérêts » des demandeurs [TRADUCTION] « ne soustra[yait] pas la demande au modèle de la compétence exclusive » . Il est inconcevable que le juge Chadwick eût radié la demande des demandeurs en se fondant sur l'arrêt Weber s'il avait cru qu'aucun grief ne pouvait être présenté en vertu de l'article 91.
[108] La Cour d'appel n'a pas expressément dit que les demandes des appelants étaient visées à l'article 91, mais les motifs prononcés par le juge MacPherson reposaient sur l'hypothèse selon laquelle le juge Chadwick avait raison de conclure que la demande des demandeurs, pour ce qui est de ses points essentiels, aurait pu faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91. Autrement, la Cour aurait certes annulé la décision pour le motif que la demande n'était pas visée par le libellé général de l'article 91, et elle n'aurait pas eu à déterminer si l'article 91 établissait un recours exclusif.
[109] Je tiens également à faire remarquer que dans l'affaire Pleau, les demandes des demandeurs comportaient un grand nombre des caractéristiques qui se présentaient dans l'affaire Guenette. Néanmoins, dans l'arrêt Pleau, la Cour a exprimé l'avis (au paragraphe 54) selon lequel les demandes des demandeurs, même si elles n'étaient pas assujetties à l'arbitrage en vertu de l'article 92, pouvaient faire l'objet d'un grief en vertu du libellé général de l'article 91. Les faits du présent appel sont précisément visés par ce que le juge Cromwell a décrit (au paragraphe 102) comme étant le faible degré de participation judiciaire aux demandes découlant d'une relation employeur-employé au sein de la fonction publique fédérale : M. Vaughan n'avait pas accès à l'arbitrage et il n'avait pas eu recours à la procédure de règlement des griefs.
[110] Étant donné que, dans l'arrêt Pleau, la Cour a conclu que la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP n'écartait pas implicitement sa compétence à l'égard de la demande de M. Pleau, qui était un fonctionnaire fédéral, il n'a pas été nécessaire d'examiner l'argument de la Couronne selon lequel les demandes de la conjointe et des enfants devaient être radiées pour le motif que, même si ceux-ci n'avaient pas accès à la procédure de règlement des griefs puisqu'ils n'étaient pas des employés de la Couronne fédérale, leurs demandes dérivaient de celle de M. Pleau et devaient subir le même sort que la demande de celui-ci.
[111] Il aurait peut-être été préférable de rendre les décisions Pleau et Guenette en se fondant sur le fait que, par leur nature, les allégations figurant dans les déclarations et la réparation sollicitée étaient si éloignées des litiges habituels opposant un employeur à son employé et que la procédure de règlement des griefs se prêtait de toute évidence si peu à leur résolution qu'elles devaient être considérées comme n'étant absolument pas visées à l'article 91. Toutefois, puisque ce n'est pas ce qui s'est produit, le raisonnement des tribunaux pour ce qui est de l'iniquité procédurale ne peut pas être rejeté pour le motif qu'il n'a rien à voir avec la question soulevée dans le présent appel. Néanmoins, je souscris à l'avis selon lequel la LRTFP, si elle doit être interprétée comme prévoyant un recours exclusif pour ce qui est des litiges visés à l'article 91, ne devrait pas être interprétée d'une façon si générale qu'elle s'appliquerait aux plaintes pour lesquelles la procédure interne de règlement des griefs ne peut pas assurer une réparation efficace. Comme Monsieur le juge Estey l'a dit, dans un contexte légèrement différent, dans la décision St. Anne Nackawic (à la page 723), un employé ne devrait pas subir une « privation réelle du recours ultime » .
[112] Une deuxième différence entre l'affaire qui nous occupe et l'affaire Guenette est que dans cette dernière affaire, le litige était également visé par une directive du Conseil du Trésor et par un décret autorisant les fonctionnaires qui alléguaient être harcelés au lieu de travail à déposer une plainte devant le directeur des enquêtes de la Commission de la fonction publique. L'existence de cette autre procédure peut bien avoir enlevé de la force à l'argument selon lequel l'article 91 prévoyait un mode exclusif de règlement des litiges survenus au lieu de travail qui étaient susceptibles de faire l'objet d'un grief au moyen de la procédure interne établie par la LRTFP. Par contre, M. Vaughan ne pouvait se prévaloir d'aucune autre procédure de ce genre.
[113] J'examinerai maintenant le raisonnement qui a été fait dans l'affaire Guenette. Le juge MacPherson a identifié (au paragraphe 50) quatre considérations dont le juge Cromwell avait tenu compte dans l'arrêt Pleau lorsqu'il avait conclu que la LRTFP n'écartait pas implicitement la compétence de la Cour et que le principe énoncé dans l'arrêt Weber ne s'appliquait pas. À mon avis, l'une de ces considérations seulement est importante : l'absence d'accès à un arbitre impartial aux fins de la détermination des droits légaux de l'employé. J'examinerai chacune de ces considérations à tour de rôle.
(i) Le libellé du paragraphe 91(1) n'est pas obligatoire
[114] Le paragraphe 91(1) prévoit que le fonctionnaire qui s'estime lésé pour l'un ou l'autre des motifs qui y sont énoncés « a le droit » de présenter un grief à chacun des paliers de la procédure prévue par la LRTFP. Dans les arrêts Pleau et Guenette, il a été dit que ces mots indiquent qu'il s'agit d'une procédure facultative : ils n'exigent pas que le fonctionnaire s'estimant lésé ait recours à la procédure établie par la loi.
[115] Par contre, le paragraphe 45(1) de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario, L.R.O. (1990), ch. L.2, soit la disposition qui était en cause dans l'arrêt Weber, dit ce qui suit :
Chaque convention collective contient une disposition sur le règlement, par voie de décision arbitrale définitive et sans interruption du travail, de tous les différends entre les parties que soulèvent l'interprétation, l'application, l'administration ou une prétendue inexécution de la convention collective, y compris la question de savoir s'il y a matière à arbitrage. [non souligné dans l'original]
Il est affirmé que le libellé de cette disposition est obligatoire et qu'il indique donc clairement que le régime de réparation prévu par la loi est exclusif.
[116] Toutefois, à mon avis, ces différences, dans le libellé de la loi, n'indiquent pas vraiment des intentions différentes de la part du législateur.
[117] Premièrement, étant donné que les deux dispositions ont des fonctions différentes, elles ne sont pas parallèles. Le paragraphe 91(1) de la LRTFP vise le fonctionnaire qui dispose d'un grief. Il ne prévoit pas que le fonctionnaire doit présenter un grief à chaque palier de la procédure qui y est établie; en effet, le fonctionnaire peut légitimement décider de ne pas demander de réparation. Par conséquent, le fait que le paragraphe 91(1) dit qu'un fonctionnaire a le droit de présenter un grief n'indique pas à mon avis si, dans le cas où une réparation est demandée, le fonctionnaire doit le faire au moyen des procédures prévues par la loi.
[118] Par contre, le paragraphe 45(1) de la loi de l'Ontario vise le contenu de la convention collective et précise que la convention doit prévoir l'arbitrage obligatoire à l'égard de tout différend entre les parties qui découle de la convention collective. Toutefois, cette disposition n'exige pas expressément que les fonctionnaires s'estimant lésés aient recours à la procédure d'arbitrage prévue par la convention collective plutôt qu'aux tribunaux judiciaires. De fait, la clause d'arbitrage énoncée au paragraphe 45(2) de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario, laquelle est incorporée dans les conventions collectives qui ne contiennent pas pareille clause, est fort semblable au libellé de l'article 91. Elle prévoit qu' « une partie peut, après avoir épuisé la procédure de grief établie par la présente convention, aviser l'autre partie par écrit de son intention de soumettre le différend ou l'allégation à l'arbitrage [...] » .
[119] À mon avis, si l'article 45 de la loi de l'Ontario est considéré comme établissant l'intention du législateur d'écarter la compétence des tribunaux judiciaires, le libellé de l'article 91 n'empêche pas de tirer une conclusion similaire. En outre, étant donné que la compétence peut être implicitement écartée, il ne peut pas être statué qu'afin d'exclure la compétence de la Cour, une loi doit expressément prévoir qu'un fonctionnaire peut uniquement solliciter une réparation, pour un grief lié à son lieu de travail, de la façon prévue par la législation. Comme le juge Cromwell l'a dit dans l'arrêt Pleau (au paragraphe 39), [TRADUCTION] « l'octroi exprès d'une compétence exclusive n'est pas nécessaire pour justifier la retenue judiciaire à l'égard de la procédure de règlement des litiges prévue par la loi » .
[120] Bref, les fonctions différentes des paragraphes 45(1) et 91(1) dans leurs régimes législatifs respectifs ainsi que les similarités entre le libellé du paragraphe 45(2) et celui du paragraphe 91(1) m'empêchent de faire, à partir de ces dispositions, les mêmes inférences que celles que les tribunaux ont faites dans les arrêts Guenette et Pleau.
[121] Deuxièmement, l'avocat de M. Vaughan a concédé que la LRTFP écartait implicitement la compétence de la Cour à l'égard des litiges qui auraient pu être renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92. Toutefois, le libellé de cette disposition n'est pas plus obligatoire que celui du paragraphe 91(1). Le paragraphe 92(1) prévoit que, dans des circonstances prescrites, « un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage [le] grief » . Par conséquent, si le libellé facultatif de l'article 92 n'est pas incompatible avec le principe de l'exclusivité, le libellé de l'article 91 ne l'est pas non plus.
(ii) Le paragraphe 91(1) prévoit expressément que la procédure de règlement des griefs n'est pas exclusive
[122] Le paragraphe 91(1) de la LRTFP prévoit que la procédure de règlement des griefs qui y est établie s'applique uniquement aux litiges pour lesquels « aucun [...] recours administratif de réparation [n']est ouvert sous le régime d'une loi fédérale » . Cette disposition est précisée à l'article 35.05 de la convention cadre, qui dit que toute autre procédure de ce genre « doit être suivie » . Par conséquent, dans l'arrêt Guenette (au paragraphe 52), il a été dit que, parce que le législateur fédéral a expressément prévu une autre façon de régler les plaintes qui étaient par ailleurs visées à l'article 91 (comme la procédure de règlement des plaintes établie en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne), il est peu probable que les dispositions de l'article 91 aient été destinées à exclure la compétence des tribunaux judiciaires.
[123] Toutefois, selon moi, il n'est pas clair que le fait que la procédure de règlement des griefs prévue à l'article 91 doit céder le pas à d'autres procédures administratives prévues par la loi aux fins du règlement de griefs liés à un emploi indique qu'en l'absence de pareilles procédures, l'article 91 n'exclut pas la compétence de la Cour.
[124] Comme il en a déjà fait mention, la Cour suprême du Canada semble avoir cru, dans l'arrêt Regina Police Assn., que la cour supérieure conservait sa compétence uniquement lorsqu'un litige ne relevait pas de la compétence de l'arbitre ou de la Saskatchewan Police Commission. Il n'y a rien dans les motifs du juge Bastarache qui donne à entendre que, parce que la législature avait partagé entre deux organismes administratifs la compétence à l'égard des conflits de travail, il était plus difficile de conclure que chaque organisme exerçait une compétence exclusive dans sa sphère de compétence.
(iii) La clause limitative restreinte figurant dans la LRTFP
[125] La clause relative à la décision « finale et obligatoire » protégeant habituellement les décisions des arbitres chargés de se prononcer sur des griefs qui sont désignés en vertu des lois provinciales en matière de relations de travail, y compris la législation qui a été examinée dans l'arrêt Weber, est beaucoup moins exhaustive que les clauses limitatives mettant à l'abri du contrôle judiciaire les décisions de la plupart des commissions de relations de travail, y compris le Conseil canadien des relations industrielles : voir le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, paragraphe 22(1).
[126] Néanmoins, une clause relative au caractère final d'une décision « n'a pas l'effet d'exclusion de la clause privative intégrale » (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 31), mais selon la Cour suprême du Canada, l'inclusion de pareille clause montrait que le législateur voulait que l'arbitrage soit le recours exclusif aux fins du règlement des litiges découlant de la convention collective qui surviennent au lieu de travail : voir, par exemple, St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. Ltd., à la page 710.
[127] Toutefois, la clause relative au caractère final d'une décision régissant la procédure de règlement des griefs prévue à l'article 91 a une portée plus restreinte que la clause relative à la décision « finale et obligatoire » habituelle qui protège les décisions arbitrales. Le paragraphe 96(3) de la LRTFP prévoit que la décision rendue au dernier palier, dans le cas d'un grief qui ne peut pas être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92, « est finale et obligatoire, et [qu']aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché » . L'article 35.13 de la convention cadre reprend le libellé du paragraphe 96(3) : « [L]a décision prise au dernier palier de la procédure de règlement est définitive et exécutoire et il ne peut pas être pris d'autres mesures en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique » .
[128] Il est possible de considérer qu'en limitant le caractère final des décisions pour l'application de la Loi, le législateur voulait que les décisions, au dernier palier de la procédure applicable en la matière, ne soient pas « finales et obligatoires » à d'autres fins, comme dans le cas d'une action en dommages-intérêts fondée sur la responsabilité délictuelle ou d'une action visant l'obtention d'un jugement déclaratoire portant sur un droit. Toutefois, à mon avis, les deux considérations suivantes ont pour effet d'atténuer la force de cet argument.
[129] Premièrement, l'importance de la clause limitative relativement faible figurant au paragraphe 96(3) devrait être appréciée par rapport aux autres dispositions de la LRTFP, plutôt que par rapport à la législation provinciale. Comme je l'ai déjà fait remarquer, l'avocat de M. Vaughan a concédé qu'un fonctionnaire dont le grief peut être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 peut uniquement solliciter une réparation judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale au moyen d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre : l'article 92 exclut la compétence en première instance des tribunaux judiciaires. Toutefois, les décisions rendues par les arbitres ne sont plus du tout protégées par une clause limitative. Considéré dans ce contexte, le paragraphe 96(3) semble passablement plus fort que dans le cas où on le compare à la simple clause de la décision « finale et obligatoire » qui figure habituellement dans la législation provinciale sur les relations de travail.
[130] Deuxièmement, lorsqu'ils définissent le rôle d'un organisme administratif et des cours de justice pour l'application de la norme de contrôle, les tribunaux judiciaires sont maintenant aptes à accorder moins d'importance qu'autrefois au libellé précis, ou à l'existence, d'une clause limitative. La présence d'une clause limitative partielle dans une loi habilitante constitue simplement l'un des facteurs contextuels à prendre en considération en tant que partie intégrante de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle : Pushpanathan, au paragraphe 31. Attribuer de nos jours, dans une procédure de contrôle judiciaire, beaucoup d'importance à la nature restreinte de la clause de la décision finale figurant au paragraphe 93(3) pour déterminer si la compétence en première instance de la Cour à l'égard d'un litige est implicitement écartée ne serait donc pas conforme à l'importance moins grande des clauses limitatives et à leur libellé particulier.
(iv) L'article 91 ne prévoit pas l'accès à un organisme décideur spécialisé indépendant
[131] L'aspect des procédures prévues à l'article 91 de la LRTFP, avec les précisions données à ce sujet dans la convention cadre, qui distinguent le plus ces procédures de celles dont il est question dans les causes où l'arrêt Weber a été appliqué est que l'article 91 ne prévoit pas l'accès des fonctionnaires à un décideur impartial indépendant de l'employeur, qui possède les pouvoirs légaux nécessaires pour exiger la production d'éléments de preuve et la comparution de témoins et qui peut se prononcer sur des questions de common law.
[132] La Loi, la convention cadre et le dossier d'appel ne donnent pas beaucoup de renseignements au sujet de l'application de la procédure de règlement des griefs à quatre paliers ou au sujet des compétences et de l'expérience des membres du personnel de direction qui agissent comme agents de griefs. Toutefois, il ne faut pas non plus omettre de tenir compte de l'importance de ce qui est connu au sujet de la procédure prévue à l'article 91 ou de ce qui peut être inféré à ce sujet ou omettre d'y accorder l'importance voulue.
[133] Premièrement, les fonctionnaires ont droit aux éléments essentiels de la procédure de participation qui existe dans de nombreux contextes de prises de décisions administratives relativement informelles. De plus, l'obligation d'équité, y compris la règle interdisant la partialité, s'applique, du moins au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et, dans certaines circonstances, peut exiger la divulgation au fonctionnaire de renseignements se rapportant à sa demande qui sont entre les mains des agents de griefs.
[134] Deuxièmement, ni la LRTFP ni la convention cadre ne précisent qui peut être désigné à titre d'agent de griefs, mais pour assurer de bonnes relations entre la direction et les fonctionnaires, les griefs devraient être traités d'une façon efficace et il faudrait avoir recours le moins souvent possible aux renvois fondés sur l'article 92, le cas échéant. Par conséquent, il existe de bonnes raisons de choisir parmi les membres du personnel de direction des agents de griefs qui ont les connaissances et les compétences pertinentes.
[135] Troisièmement, bien que la procédure de règlement des griefs soit une procédure interne, elle donne aux fonctionnaires une possibilité structurée de faire examiner leurs griefs par des personnes à des paliers de plus en plus élevés de la direction de l'employeur. Contrairement à la proposition détournée de l'avocat, il ne peut pas être supposé que les procédures prévues à l'article 91 n'entraînent jamais de décisions qui règlent un grief d'une façon favorable au fonctionnaire. De fait, l'allégation selon laquelle l'offre d'emploi qui a initialement été faite à M. Vaughan était déraisonnable a été maintenue au deuxième palier de la procédure interne de règlement des griefs prévue à l'article 91 avant que l'affaire soit renvoyée à l'arbitrage en vertu de l'article 92. En outre, étant donné que les dispositions législatives procédurales régissant la procédure interne de règlement des griefs sont peu détaillées, il est fortement possible d'effectuer des améliorations au moyen de la négociation collective.
[136] Quatrièmement, le fait qu'il est possible de présenter une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision défavorable rendue au dernier palier à l'égard d'un grief qui ne peut pas être renvoyé à un arbitre en vertu de l'article 92 assure la prise de mesures disciplinaires externes à l'égard des décideurs ainsi qu'un degré indépendant de contrôle de la qualité quant à la procédure et quant au résultat. Dans le cadre d'une demande de contrôle présentée devant la Section de première instance en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, on peut demander à la Cour d'examiner le caractère équitable de la procédure administrative ainsi que la rationalité des conclusions de fait importantes et la légitimité de la décision ou de la mesure en question.
[137] La Cour dispose d'une vaste gamme de réparations et de pouvoirs lorsqu'elle s'acquitte de sa fonction d'examen; elle possède notamment le pouvoir d'admettre une preuve par affidavit, d'ordonner au décideur de s'acquitter d'une obligation légale et de se prononcer sur les droits légaux d'un employé. De plus, le cas échéant, le juge peut, s'il l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action : paragraphe 18.4(2). Cette disposition a été insérée parce que l'on craignait que la nature sommaire d'une demande ne convienne peut-être pas dans certains cas lorsqu'un jugement déclaratoire était demandé : Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1992] 3 C.F. 611 (C.A.).
[138] Par conséquent, dans le contexte des faits du présent appel, si les agents de griefs omettaient de statuer sur la plainte selon laquelle M. Vaughan s'était illégalement vu refuser les PRA, ou selon laquelle on avait tardé d'une façon déraisonnable à rendre une décision, la Cour pourrait ordonner au décideur au dernier palier de statuer sur le grief conformément au droit : alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour pourrait également annuler la décision par laquelle le grief est rejeté si elle concluait que le décideur avait commis une erreur de droit en interprétant ou en appliquant les dispositions législatives définissant l'admissibilité aux PRA, et elle pourrait renvoyer l'affaire en ordonnant qu'une nouvelle décision soit rendue conformément aux motifs qu'elle a prononcés : alinéa 18.1(3)b). Enfin, s'il fallait engager des procédures en première instance pour régler les questions de fait cruciales, la demande pourrait être transformée en une action : paragraphe 18.4(2).
[139] Pour un examen récent d'une décision par laquelle, en se fondant sur le fait qu'une erreur de droit avait été commise, la Cour a annulé la décision d'un décideur au dernier palier de confirmer une réprimande, et a renvoyé l'affaire en donnant des directives, voir Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (1re inst.). Étant donné la nature informelle et non indépendante de la procédure de règlement des griefs, il semblerait peu probable que la Cour soit prête à s'en remettre au décideur au dernier palier quant à des questions qui ne sont pas de nature purement factuelle.
d) Résumé
[140] Je résumerais comme suit les principales conclusions que j'ai tirées en me fondant sur la jurisprudence qui a ci-dessus été examinée. Premièrement, bien qu'aucune décision antérieure de la Cour ne soulève d'une façon aussi claire la question précise qui est en litige dans le présent appel, les décisions rendues par les deux sections de la Cour fédérale après le prononcé du jugement Weber, sauf pour une exception possible, étayent d'une façon générale la thèse selon laquelle la procédure de règlement des griefs prévue par la loi est un recours exclusif aux fins du règlement des litiges visés à l'article 91.
[141] Deuxièmement, dans l'arrêt Regina Police Assn., la Cour suprême a élargi le fondement du principe énoncé dans l'arrêt Weber. Le caractère exhaustif des procédures de règlement des griefs mettant en cause le lieu de travail qui sont prévues par la loi fait partie du fondement du raisonnement selon lequel il est présumé que le législateur voulait exclure la compétence des tribunaux judiciaires lorsqu'il s'agissait de statuer sur un litige susceptible de faire l'objet d'un grief. Par conséquent, l'arrêt Weber n'est pas limité aux situations dans lesquelles le litige découle d'une convention collective et où l'arbitrage est le moyen désigné par la loi aux fins du règlement des différends.
[142] Troisièmement, à mon avis, les décisions des cours d'appel provinciales, dont les plus pertinentes sont les décisions rendues dans les affaires Pleau et Guenette, ont eu tendance à exagérer l'importance des différences entre le libellé de la LRTFP et celui de la législation de l'Ontario qui a été examinée dans l'arrêt Weber et à minimiser l'importance sur le plan juridique de la nature exhaustive du régime législatif créé par la LRTFP et du droit du fonctionnaire s'estimant lésé de demander à la Cour fédérale d'exercer un contrôle judiciaire.
[143] De plus, l'arrêt Pleau, sur lequel l'arrêt Guenette repose fortement, est en partie fondé sur l'idée selon laquelle le principe énoncé dans l'arrêt Weber est limité aux griefs qui découlent d'une convention collective et qui doivent être réglés par arbitrage. Toutefois, l'arrêt Regina Police Assn. indique que le principe de l'exclusivité a une application plus générale.
4. Conclusion
[144] Le présent appel se rapporte essentiellement à l'interprétation des dispositions pertinentes de la LRTFP compte tenu de deux considérations contradictoires. D'une part, le fait que M. Vaughan et d'autres fonctionnaires s'estimant lésés, à la suite d'un événement ou à l'égard d'une question touchant leurs conditions d'emploi auxquels l'article 92 ne s'applique pas, n'ont pas accès à l'arbitrage devant un tiers indique que les tribunaux judiciaires devraient conserver leur compétence à l'égard des demandes qui sont, dans leur essence, visées par le libellé général de l'article 91. Le législateur ne devrait normalement pas être réputé autoriser la détermination des droits légaux d'une personne sans que celle-ci ait la possibilité de bénéficier d'une audience équitable devant un décideur administratif impartial ou devant un tribunal judiciaire.
[145] D'autre part, on a depuis quelques années fortement tendance, en droit du travail, à réduire le rôle des tribunaux judiciaires et à ne rien ajouter aux mécanismes législatifs de règlement des litiges qui résultent, dans une mesure plus ou moins grande, de négociations collectives ou qui pourraient faire l'objet de négociations collectives. Les interventions passées des tribunaux judiciaires dans les régimes de négociation collective ont souvent été considérées comme allant à l'encontre des buts sous-tendant la législation en matière de relations de travail. De plus, conclure que la LRTFP n'écarte pas implicitement la compétence des tribunaux judiciaires à l'égard des demandes visées à l'article 91 aurait pour effet de fragmenter la compétence exclusive de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire des décisions rendues par les tribunaux administratifs fédéraux, y compris ceux qui réglementent les relations de travail dans la fonction publique fédérale.
[146] Bien qu'il n'ait pas examiné cette dernière considération, le juge MacPherson a dit, dans l'arrêt Guenette (au paragraphe 59), que la possibilité pour un fonctionnaire de demander à la Cour fédérale d'examiner une décision rendue au dernier palier n'avait rien à voir avec la question de savoir si le régime législatif créé par la LRTFP est exclusif. Toutefois, le fait que le droit d'un fonctionnaire s'estimant lésé qui n'a pas eu gain de cause de présenter une demande de contrôle judiciaire est reconnu par la Loi sur la Cour fédérale, plutôt que par la LRTFP elle-même, n'est pas déterminant lorsqu'il s'agit de savoir si le législateur a créé un régime législatif qui exclut implicitement la compétence de la Cour à l'égard des litiges qui peuvent être réglés au moyen de la procédure administrative. La compétence exclusive de la Cour fédérale, en matière de contrôle judiciaire des décisions de tribunaux administratifs fédéraux, constitue un aspect important du droit administratif fédéral et la Loi sur la Cour fédérale fait partie intégrante du contexte législatif dans lequel la LRTFP, comme les autres lois réglementaires fédérales, doit être interprétée.
[147] Il s'agit donc en fait de déterminer si les motifs qui permettent de supposer que le législateur voulait que le régime exhaustif qui était créé en vertu de la LRTFP aux fins du règlement de litiges survenus au lieu de travail soit exclusif viennent après le fait que le régime ne prévoit aucun arbitrage impartial. À mon avis, tel n'est pas le cas.
[148] À coup sûr, les articles 91 et 92 de la LRTFP, auxquels vient s'ajouter la convention cadre, constituent un régime exhaustif aux fins du règlement des litiges survenus au lieu de travail qui découlent d'un rapport d'emploi dans la fonction publique fédérale. L'hésitation des tribunaux judiciaires lorsqu'il s'agit d'assurer un autre ressort aux fins du règlement des litiges relatifs à un emploi, compte tenu de pareil régime exhaustif, est fondée sur l'idée selon laquelle l'intérêt public veut que le rôle judiciaire de supervision des relations de travail réglementées par la loi soit de nature résiduelle.
[149] Madame le juge McLachlin (tel était alors son titre) a défini l'étendue de ce rôle résiduel dans l'arrêt Fraternité des préposés à l'entretien des voies - Fédération du réseau Canadien Pacifique c. Canadien Pacifique Ltée, [1996] 2 R.C.S. 495, lorsqu'elle a dit ce qui suit (au paragraphe 8) :
Si détaillé que puisse être un régime établi par la loi pour le règlement des conflits, il reste toujours une possibilité que des événements entraînent un problème que le régime n'avait pas prévu. Il est alors important qu'il y ait un tribunal capable de résoudre ce problème, si l'on veut trouver une solution judiciaire plutôt qu'extrajudiciaire. C'est précisément pour cette raison que la common law a élaboré la notion de cours investies d'une compétence inhérente. Si l'on veut éviter que la primauté du droit ne soit réduite à un ensemble incohérent, appliqué au gré de la fantaisie, il faut qu'il y ait une entité à laquelle les parties à un conflit puissent s'en remettre lorsque les lois et les régimes établis par celles-ci ne prévoient aucun recours.
[150] À mon avis, la question liée à l'emploi qui a donné lieu à la déclaration de M. Vaughan était visée par le régime législatif, en ce sens qu'elle pouvait faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 91, et le recours prévu par les dispositions relatives au règlement interne des griefs, auquel vient s'ajouter le droit de demander le contrôle judiciaire, est loin d'être illusoire. L'avocat de M. Vaughan a soutenu que le Conseil du Trésor ne donnerait peut-être pas suite à une décision rendue au dernier palier qui est favorable à l'allégation selon laquelle M. Vaughan a droit aux PRA. Toutefois, l'avocat ne connaissait aucun cas dans lequel cela s'était produit et le dossier ne renfermait aucun élément de preuve justifiant cette préoccupation.
[151] Le fait qu'il n'est pas souhaitable de fragmenter le rôle judiciaire en matière de relations de travail dans la sphère fédérale est une autre indication montrant qu'en permettant à un fonctionnaire d'intenter une action contre la Couronne fédérale au lieu de présenter un grief en vertu de l'article 91, on irait à l'encontre de l'intention du législateur. En autorisant en pareil cas les fonctionnaires à intenter une action contre la Couronne fédérale, les cours d'appel provinciales semblent avoir omis de tenir compte d'un aspect important de l'intention du législateur fédéral en ce qui concerne les relations de travail réglementées au palier fédéral, notamment au sein de la fonction publique fédérale.
[152] Le législateur fédéral a conféré à la Cour fédérale une compétence exclusive en matière de contrôle judiciaire des procédures engagées devant les offices fédéraux, y compris ceux qui s'occupent de relations de travail, tels que les décideurs au sens de l'article 91, de sorte qu'il a conféré à un seul tribunal judiciaire national une responsabilité étendue en ce qui concerne cet aspect important du droit fédéral. Conclure que l'arrêt Weber ne s'applique pas, malgré la nature exhaustive de la procédure de règlement des griefs établie par la LRTFP et précisée dans la convention collective, a effectivement pour effet de fragmenter la fonction exclusive qui incombe à la Cour fédérale d'examiner les décisions administratives régissant les rapports d'emploi dans la sphère fédérale en permettant l'introduction de procédures contre la Couronne devant les cours provinciales. La chose pourrait entraîner le prononcé de décisions contradictoires par les cours provinciales pour ce qui est de l'interprétation et de l'application des dispositions législatives fédérales, ou même des directives du Conseil du Trésor, en ce qui concerne les conditions d'emploi dans la fonction publique fédérale.
[153] Cela m'amène à me demander si l'équité procédurale d'un régime exhaustif visant le règlement de litiges relatifs à l'emploi entre en ligne de compte lorsqu'il s'agit de déterminer si l'on va à l'encontre du régime en permettant aux fonctionnaires d'invoquer la compétence en première instance des tribunaux judiciaires dans le cadre du règlement des demandes susceptibles de faire l'objet d'un grief. Même s'il a été allégué qu'il serait inéquitable de refuser à un fonctionnaire l'accès aux tribunaux judiciaires à l'égard d'une demande non susceptible de faire l'objet d'un arbitrage devant un tiers, l'avocat de M. Vaughan a expressément nié avoir l'intention de contester la validité du régime législatif en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, ch. 11, ou de la Déclaration canadienne des droits, 1960, ch. 44.
[154] Si je comprends bien, le juge Sexton est d'avis que, par suite de cette concession de l'avocat, le fait que M. Vaughan n'a pas accès à un arbitrage impartial indépendant de son grief n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer s'il peut implicitement être conclu que le législateur voulait assurer l'exclusivité de la compétence en première instance des tribunaux judiciaires sur les actions en responsabilité délictuelle ou en responsabilité contractuelle intentées contre la Couronne fédérale qui découlent d'un rapport d'emploi. À son avis, le caractère exhaustif du régime de règlement des litiges survenus au lieu de travail constitue en soi une indication suffisante de l'intention du législateur d'écarter la compétence des tribunaux judiciaires sur les actions qui sont essentiellement visées par le régime. Le fait que le régime est inéquitable sur le plan de la procédure n'est pas pertinent.
[155] Je ne puis souscrire à cet avis. Le caractère exhaustif du régime n'est pas le seul facteur à prendre en considération lorsqu'on détermine si le législateur a implicitement créé un régime exclusif aux fins du règlement des conflits de travail. À mon avis, il est inconcevable que la présente Cour décide que sa compétence a été écartée par un régime qui est exhaustif mais qui, par exemple, refuserait au demandeur la possibilité de participer au processus décisionnel en faisant des observations ou en présentant des éléments de preuve. À mon avis, conclure que le législateur a implicitement exclu la compétence des tribunaux judiciaires de statuer sur des droits légaux n'est pas une bagatelle; c'est une décision qui devrait uniquement être prise après que le régime législatif dans son ensemble a été examiné, y compris la tendance à nier au demandeur le droit à une audience équitable. Le législateur n'est réputé ne pas exiger l'obligation d'équité que s'il l'a expressément prévu.
[156] Mon collègue dit (au paragraphe 9) que l'arrêt Weber étaye sa position parce que la Cour suprême n'a pas reconnu que la possibilité d'un arbitrage devant un tiers soit pertinente aux fins de la détermination du caractère exclusif d'un régime législatif, mais qu'elle a exclusivement mis l'accent sur le caractère exhaustif du régime et sur la question de savoir si, dans son essence, le litige est visé par ce régime.
[157] Cela est vrai, mais à mon avis cela n'est pas concluant. L'arrêt Weber traitait uniquement du caractère exclusif de l'arbitrage, une procédure qui, par définition, comporte l'arbitrage d'un litige devant un tiers. Dans l'arrêt Regina Police Assn., les deux procédures administratives qui pouvaient être pertinentes étaient indépendantes de l'employeur. Étant donné que le caractère équitable du processus décisionnel n'était en litige dans ni l'une ni l'autre cause, on ne saurait inférer quoi que ce soit du fait que la Cour ne l'a pas expressément identifié en tant que considération pertinente aux fins de la détermination du caractère exclusif des régimes en cause. En outre, dans l'arrêt Regina Police Assn., le juge Bastarache a uniquement dit (au paragraphe 34) que le caractère exhaustif d'un régime fait partie du raisonnement étayant l'application du principe énoncé dans l'arrêt Weber.
[158] Mon collègue se fonde également (au paragraphe 17) sur l'arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781, 2001 CSC 52, en tant qu'arrêt faisant autorité à l'appui de la thèse selon laquelle, en l'absence d'un droit reconnu par la Charte, une fois qu'il est clair que le législateur veut qu'un régime législatif exclue la compétence des tribunaux judiciaires, il importe peu que la personne en cause n'ait pas droit à une audience devant un décideur impartial. Toutefois, à mon avis, tel n'est pas ici le cas : la nature exhaustive du régime n'établit pas en soi une intention législative suffisamment claire, en ce qui concerne l'exclusivité, pour justifier l'omission de la Cour de tenir compte de l'équité de la procédure prévue par la loi.
[159] Je note également que mon collègue se fonde (au paragraphe 14) sur l'arrêt Johnson-Paquette pour démontrer que la LRTFP écarte la compétence de la Cour. Toutefois, puisque la question qui se pose dans le présent appel est de savoir si le raisonnement qui a été fait dans l'arrêt Johnson-Paquette est encore convaincant à la lumière des décisions d'autres cours d'appel, cet arrêt ne peut pas être invoqué comme faisant autorité en ce qui concerne le fait qu'il s'agit d'une décision correcte.
F. CONCLUSIONS
[160] Par conséquent, même si l'absence d'accès à l'arbitrage impartial est à mon avis une considération pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer si le législateur voulait que la procédure prévue à l'article 91 exclue la compétence conférée à la Cour en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, ce n'est pas suffisant à mon avis dans ce cas-ci pour qu'il soit possible de conclure que cette considération l'emporte sur les considérations contraires dont j'ai ci-dessus fait mention.
[161] Je conclus que même si M. Vaughan n'a pas accès à l'arbitrage devant un tiers, permettre à celui-ci d'intenter une action en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale à l'égard de son admissibilité au PERA irait à l'encontre du régime législatif. Je me fonde en particulier sur les facteurs ci-après énoncés à l'appui de ma conclusion : la tendance générale de la législation à limiter le plus possible l'intervention judiciaire dans les conflits de travail; le caractère exhaustif de la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP et le fait qu'une réparation peut être accordée en l'espèce, tant par les agents de griefs que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la Loi sur la Cour fédérale; la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et de la Cour fédérale; et la compétence exclusive de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire des décisions des tribunaux administratifs fédéraux.
[162] En outre, il est toujours loisible aux syndicats représentant les fonctionnaires fédéraux de demander, au moyen de la procédure de négociation, que la gamme des questions qui peuvent être renvoyées à un arbitrage indépendant soit élargie. Cela peut être accompli si les parties conviennent qu'une question liée aux conditions d'emploi, qui n'est pas exclue de la négociation collective par la loi, est réputée faire partie de la convention collective. La négociation collective est normalement plus satisfaisante qu'un litige comme méthode destinée à améliorer la procédure de règlement des litiges.
[163] Étant donné que j'ai décidé que la Cour n'a pas compétence à l'égard de la déclaration de M. Vaughan, il n'est pas nécessaire d'examiner la deuxième question, à savoir si la Cour doit refuser, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de trancher l'affaire.
[164] Pour ces motifs, je rejetterais l'appel; toutefois, compte tenu de l'importance de la question qui a été soulevée, aucuns dépens ne sont adjugés.
« John M. Evans »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-695-01
INTITULÉ : William Thomas Vaughan
c.
Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 11 septembre 2002
MOTIFS DU JUGEMENT : le juge Sexton
Y A SOUSCRIT : le juge en chef Richard
MOTIFS CONCOURANTS : le juge Evans
DATE DES MOTIFS : le 14 février 2003
COMPARUTIONS :
M. D. Brown POUR L'APPELANT
M. S. Welchner
M. H. A. Newman POUR L'INTIMÉE
M. R. Fader
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nelligan O'Brien Payne LLP POUR L'APPELANT
Ottawa (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR L'INTIMÉE
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
Date : 20030214
Dossier : A-695-01
OTTAWA (ONTARIO), LE 14 FÉVRIER 2003
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE SEXTON
LE JUGE EVANS
ENTRE :
WILLIAM THOMAS VAUGHAN
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
L'appel est rejeté; aucuns dépens ne sont adjugés.
« J. Richard »
Juge en chef
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.