Date : 20010628
Dossier : A-465-98
Référence neutre : 2001 CAF 205
CORAM : LE JUGE ISAAC
LE JUGE SEXTON
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA
représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES
ET DU NORD CANADIEN
appelante
(défenderesse)
- et -
MAURICE ST. MARTIN, LUCIE ST. MARTIN, ALINE BONSALL,
ALBERT E. LEGAULT, GARY MacKENZIE, SCOTT TAYLOR,
PETER MERCHART, SHIRLEY BERTRAND, DENNIS BERTRAND,
ROBERT DEACON, JEANNETTE DEACON, JOHN W. SMITH,
JAMES REID, LINDA REID, BRUCE JEWITT, JUDY JEWITT,
HARVEY CORMIER, LOLA CORMIER, JOYCE FARQUHAR,
JEAN FARQUHAR, GEORGE DESCHAMPS, VIOLA DESCHAMPS,
HOMER SAMMET, RICHARD GILBERT, MORLEY GILBERT,
WAYNE MINOR, DIANE MINOR, ROLAND SAVARIE, AGNES SAVARIE,
PETER MORRIS, SUSAN A. DESJARDINS, NICK MATASICH,
PIERRETTE MATASICH, ERIC HART, MARIE HART, EDWARD GRASSI,
PAULETTE GRASSI, DENNIS TORNOPOLSKY, DELMO P. BALDELLI,
JENNY BALDELLI, WILLIAM STEVENSON, MARY STEVENSON,
GRAHAM W. ROSS, CHARLES LARMONDIN, ELIZABETH LARMONDIN,
JACK A. LEPPINEN, DAWN LEPPINEN, NICK ZATEZALO,
CARMEN ZATEZALO, JAMES K. BROWN, TERRENCE MURPHY,
DOROTHY MURPHY, MARIA JACOBA HUFFELS, ALAIN PAQUETTE,
DIANE PAQUETTE, MARY ELEANOR SANCHIIONI, DAVID BENSON,
RICHARD LALONDE, JACQUELINE LALONDE, EDWARD J. GORC,
RICHARD PETER PROCEVIAT, NORMAN JAMES MILES,
LAURENT POULIN, CLAUDETTE DERANGERE MUSICO,
ROBERT RUSSELL, JAMES BULLOCK, CECIL ACE,
DONALD LACHANCE, CHRISTINE LACHANCE,
RICHARD O'BONSAWIN, DIANE O'BONSAWIN,
OLIMPIO MAZZA, ARCADIA MAZZA, ALDO ORASI,
RAYMOND MARION, AUDREY MARION, GILLES MAINVILLE,
JACQUELINE MAINVILLE, CLAUDE MALETTE,
GABRIEL FERNANDEZ, LORNE CHUIPKA, MARLENE CHUIPKA,
RENALD LAPLANTE, SYLVIA LAPLANTE, MAURICE M. BRABANT,
BARBARA BRABANT, SAMUEL ZATEZALO, RUBY ZATEZALO,
JERRY LOISELLE, MARLINE LOISELLE, HERMAN BOIVIN,
PAULINE BOIVIN, BRIAN MacKENZIE, SANDRA BOYUK,
JOSEPH KOSIOR, HARMON MALLOY, ANNETTE MALLOY,
ROBERT DIEBEL, GARY MERKLEY, ELMER C. MERKLEY,
GLORYANN DORE, GARRY MARKLEY, JANET MILLER,
JACQUELINE M. PETRILLI, JILL PACEY,
INNOCINZO COSTANZI, JOSEPH PURIFICATI,
ANNE MARIE PURIFICATI, DAVID GLOVER, JUDITH POGUE,
JOHN LANTEIGNE, DIANE LANTEIGNE, JACK LEONARD,
LYLE PERRY, CAROL PERRY et GEORGE GARDNER,
intimés
(demandeurs)
Audience tenue à Toronto (Ontario), le mercredi 4 avril 2001
JUGEMENT prononcé à Ottawa (Ontario), le jeudi 28 juin 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE ISAAC
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE SEXTON
LE JUGE SHARLOW
Date : 20010628
Dossier : A-465-98
Référence neutre : 2001 CAF 205
CORAM : LE JUGE ISAAC
LE JUGE SEXTON
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA
représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES
ET DU NORD CANADIEN
appelante
(défenderesse)
- et -
MAURICE ST. MARTIN, LUCIE ST. MARTIN, ALINE BONSALL,
ALBERT E. LEGAULT, GARY MacKENZIE, SCOTT TAYLOR,
PETER MERCHART, SHIRLEY BERTRAND, DENNIS BERTRAND,
ROBERT DEACON, JEANNETTE DEACON, JOHN W. SMITH,
JAMES REID, LINDA REID, BRUCE JEWITT, JUDY JEWITT,
HARVEY CORMIER, LOLA CORMIER, JOYCE FARQUHAR,
JEAN FARQUHAR, GEORGE DESCHAMPS, VIOLA DESCHAMPS,
HOMER SAMMET, RICHARD GILBERT, MORLEY GILBERT,
WAYNE MINOR, DIANE MINOR, ROLAND SAVARIE, AGNES SAVARIE,
PETER MORRIS, SUSAN A. DESJARDINS, NICK MATASICH,
PIERRETTE MATASICH, ERIC HART, MARIE HART, EDWARD GRASSI,
PAULETTE GRASSI, DENNIS TORNOPOLSKY, DELMO P. BALDELLI,
JENNY BALDELLI, WILLIAM STEVENSON, MARY STEVENSON,
GRAHAM W. ROSS, CHARLES LARMONDIN, ELIZABETH LARMONDIN,
JACK A. LEPPINEN, DAWN LEPPINEN, NICK ZATEZALO,
CARMEN ZATEZALO, JAMES K. BROWN, TERRENCE MURPHY,
DOROTHY MURPHY, MARIA JACOBA HUFFELS, ALAIN PAQUETTE,
DIANE PAQUETTE, MARY ELEANOR SANCHIIONI, DAVID BENSON,
RICHARD LALONDE, JACQUELINE LALONDE, EDWARD J. GORC,
RICHARD PETER PROCEVIAT, NORMAN JAMES MILES,
LAURENT POULIN, CLAUDETTE DERANGERE MUSICO,
ROBERT RUSSELL, JAMES BULLOCK, CECIL ACE,
DONALD LACHANCE, CHRISTINE LACHANCE,
RICHARD O'BONSAWIN, DIANE O'BONSAWIN,
OLIMPIO MAZZA, ARCADIA MAZZA, ALDO ORASI,
RAYMOND MARION, AUDREY MARION, GILLES MAINVILLE,
JACQUELINE MAINVILLE, CLAUDE MALETTE,
GABRIEL FERNANDEZ, LORNE CHUIPKA, MARLENE CHUIPKA,
RENALD LAPLANTE, SYLVIA LAPLANTE, MAURICE M. BRABANT,
BARBARA BRABANT, SAMUEL ZATEZALO, RUBY ZATEZALO,
JERRY LOISELLE, MARLINE LOISELLE, HERMAN BOIVIN,
PAULINE BOIVIN, BRIAN MacKENZIE, SANDRA BOYUK,
JOSEPH KOSIOR, HARMON MALLOY, ANNETTE MALLOY,
ROBERT DIEBEL, GARY MERKLEY, ELMER C. MERKLEY,
GLORYANN DORE, GARRY MARKLEY, JANET MILLER,
JACQUELINE M. PETRILLI, JILL PACEY,
INNOCINZO COSTANZI, JOSEPH PURIFICATI,
ANNE MARIE PURIFICATI, DAVID GLOVER, JUDITH POGUE,
JOHN LANTEIGNE, DIANE LANTEIGNE, JACK LEONARD,
LYLE PERRY, CAROL PERRY et GEORGE GARDNER,
intimés
(demandeurs)
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE ISAAC
[1] Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Section de première instance, rendu le 16 juillet 1998, déterminant le loyer annuel pour la période du 1er avril 1991 au 31 mars 1998, payable par 61 locataires de lots individuels situés dans la Réserve indienne de Whitefish River no 4 près de l'île Birch en Ontario.
[2] L'appelante ne conteste pas la conclusion du juge de première instance quant à la juste valeur marchande des terres cédées à bail, mais plutôt l'application d'un facteur d'escompte de 40 % à la juste valeur marchande des lopins de terre tel qu'il a été déterminé par le juge de première instance. L'appelante prétend qu'un escompte de 30 % est le facteur approprié à appliquer. Elle conteste également la décision du juge de première instance d'appliquer à la juste valeur marchande escomptée le taux préférentiel de la Banque du Canada en date du 31 mars 1991. L'appelante soutient que le taux publié 90 jours avant le début de la nouvelle période de location est plus approprié.
Contexte
[3] Les terres cédées à bail sont situées dans un lotissement de la région de la baie Georgienne du lac Huron à environ 60 milles au sud-ouest de Sudbury. Le lotissement consiste en 83 lots de chalet sur la rive de la baie McGregor. Les lots sont assujettis à des baux distincts mais pratiquement identiques conclus entre le locateur appelant et les locataires intimés. Le juge de première instance a donc fait référence à un « bail commun » applicable aux parties. La durée totale du bail est de 21 ans à compter du 1er avril 1977, avec possibilité de renouvellement pour chaque période consécutive de sept ans. Les parties s'appuient sur les clauses suivantes du bail :
[TRADUCTION]
Que le prix de location pour la période de sept ans commençant le 1er avril 1984 et pour chaque période consécutive de sept ans du bail et du renouvellement sera fixé avant le commencement de chaque période et sera fondé sur la juste valeur marchande du terrain à cette époque, sans tenir compte de la valeur des améliorations apportées par le locataire, mais en tenant compte de la valeur des autres terrains cédés à bail dans la région.
Le prix de location sera évalué par application du taux d'intérêt préférentiel courant de la Banque du Canada à ladite valeur marchande du terrain.
Si les parties ne peuvent s'entendre sur le loyer courant, le ministre le fixera. Le locataire aura le droit, s'il n'est pas d'accord avec le loyer fixé par le ministre, de renvoyer la question du prix de location à la Section de première instance de la Cour fédérale à ses propres dépens. Dans ce dernier cas, le locataire paie et continue de payer le prix de location annuel fixé par le ministre POURVU que, après la décision de la Cour fédérale, tout montant versé par le locataire relativement à la période de sept ans en question soit ajouté en conséquence du loyer fixé, au moyen d'une réduction ou d'une augmentation[1]. [Non souligné dans l'original.]
[4] En décembre 1990, les intimés ont été avisés par lettre que le loyer augmenterait à compter du 1er avril 1991. La lettre mentionnait le nouveau loyer accru, mais elle n'indiquait pas la base du calcul. Dans une lettre subséquente en date du 10 mai 1991, les intimés ont été avisés que le loyer avait été modifié. La lettre indiquait également la valeur marchande hypothétique sur laquelle le loyer était fondé. Les intimés ont formé un comité de propriétaires de chalets pour contester l'augmentation. Au bout du compte, les parties ne sont pas parvenues à une entente sur le loyer annuel applicable pour la période du 1er avril 1991 au 31 mars 1998. Par conséquent, la procédure énoncée dans les clauses précitées du bail a été invoquée et les intimés ont exercé leur droit de renvoyer la question du loyer à la Section de première instance de la Cour.
[5] Le juge de première instance a conclu que le loyer applicable devait être déterminé de la manière suivante :
1) ce prix doit être fondé sur la juste valeur marchande du terrain à cette époque,
a) sans tenir compte de la valeur des améliorations,
b) mais en tenant compte de la valeur des autres terrains cédés à bail dans la région;
2) il sera évalué par application du taux d'intérêt préférentiel courant de la Banque du Canada à ladite valeur marchande[2].
Il a également conclu que la juste valeur marchande du terrain devait être établie avant le début de chaque période de renouvellement de sept ans et que le taux préférentiel « courant » devait être déterminé immédiatement avant le commencement de la période de renouvellement commençant le 1er avril 1991. Par conséquent, il a conclu que le taux préférentiel courant de la Banque du Canada en date du 31 mars 1991 devait être appliqué à la juste valeur marchande du terrain.
[6] Le juge de première instance s'est ensuite attaqué à la détermination de la juste valeur marchande du terrain. Il a noté que le loyer devait être déterminé en tenant compte de la « valeur des autres terrains cédés à bail dans la région » , mots qui, à son avis, renvoyaient aux terrains loués et incluaient les terres indiennes louées à des fins semblables[3]. Toutefois, il a conclu que la référence dans le bail à la valeur des autres terrains cédés à bail dans la région n'empêchait pas l'évaluateur d'examiner les terrains possédés en fief simple pour fixer la juste valeur marchande des terrains loués[4].
[7] En première instance, chaque partie a fait témoigner son propre expert pour déterminer les loyers conformément à la méthode énoncée dans le bail. Les deux évaluateurs ont fondé leur appréciation de la juste valeur marchande du loyer sur le montant estimatif de la valeur marchande en fief simple des lots visés, moins un escompte reflétant la différence entre l'intérêt en fief simple et les intérêts inhérents aux terrains loués, multipliée par un taux d'intérêt. Les loyers à la juste valeur marchande ont également été établis au moyen d'une comparaison avec d'autres prix demandés par des Premières nations pour la location de lots destinés à la construction de chalets. Toutefois, les évaluations diffèrent grandement sur l'importance du facteur d'escompte devant être appliqué à la juste valeur marchande en fief simple de chaque lopin de terre. L'expert des intimés a appliqué un escompte de 50 % alors que l'expert de l'appelante a appliqué un escompte de 30 %. On peut voir un exemple de la disparité entre les rapports d'évaluation contradictoires dans les estimés ayant trait au lot 76 qui est loué par le président de l'Association des propriétaires de chalets, M. Jim Reid. Dans le rapport préparé par l'expert de l'appelante, la juste valeur marchande estimée pour le lot 76 est inscrite à 25 400 $, et après escompte de 30 %, cette valeur s'établit à 17 780 $[5]. Par comparaison, le rapport préparé par l'expert des intimés estime la juste valeur marchande du lot 76 à 22 600 $, et à 11 300 $ après l'application de l'escompte de 50 %[6].
[8] Le juge de première instance a préféré le rapport d'évaluation préparé par l'expert de l'appelante à celui de l'expert des intimés. Toutefois, il n'a pas accepté l'application d'un facteur d'escompte de 30 % utilisé par l'expert de l'appelante à la juste valeur marchande en fief simple des lots. Il a plutôt appliqué un escompte de 40 %. En arrivant à cette conclusion, le juge de première instance a déclaré ce qui suit :
¶ 86 À mon avis, le rapport rédigé par M. Bell (pièce P-8, onglet 17, déposé également comme pièce D-1) est plus logique et cohérent et moins arbitraire que le rapport supplémentaire de M. Love (pièce P-8, onglet 18).
¶ 87 M. Bell a calculé la valeur en capital et l'a comparée, comme le prévoit le bail, à des prix de location comparables.
¶ 88 Je ne suis pas d'accord toutefois avec son taux d'escompte de 30 % qui semble résulter d'une réduction de l'escompte de 40 % qu'il avait utilisé antérieurement pour tenir compte d'un avantage fiscal présumé en faveur des locataires.
¶ 89 Je suis d'avis de le remplacer par un escompte de 40 %.
LA CONCLUSION
¶ 90 Le loyer courant, pour la période allant du 1er avril 1991 au 31 mars 1998, est la valeur marchande estimative de chaque lot telle qu'elle a été calculée par M. Bell dans son rapport (pièce P-8, onglet 17) aux pages 82 à 83 et assortie d'un escompte de 40 % pour arriver à la valeur marchande escomptée, multipliée par le taux préférentiel de 9,92 % ou pour tout autre taux qui était en vigueur le 31 mars 1991.
Prétentions des parties
A - Le facteur d'escompte
[9] L'appelante conteste l'escompte de 40 % appliqué par le juge de première instance à la juste valeur marchande en fief simple des lots. À l'appui de sa position, l'appelante invoque la décision récente de la Cour suprême dans Bande indienne de Musqueam c. Glass[7] dans lequel la méthode pour déterminer la valeur des loyers à la juste valeur marchande, applicable aux terres des réserves, a été très largement discutée. L'appelante note que, dans Musqueam, la majorité a déterminé que l'escompte applicable pour refléter les restrictions légales et les conditions du marché prévalant pour les terres des réserves cédées à bail est une question de fait[8]. Toutefois, l'appelante prétend que le juge de première instance n'a pas justifié son estimation d'un escompte de 40 % sur une conclusion de fait. Au contraire, l'escompte de 40 % a été appliqué malgré que le juge de première instance ait accepté le rapport remis par l'expert de l'appelante comme étant « plus logique et cohérent et moins arbitraire » [9] que celui du témoin des intimés.
[10] L'appelante prétend de plus que le juge de première instance a mal compris la genèse du facteur d'escompte de 30 % auquel l'évaluateur de l'appelante en est arrivé dans son rapport d'évaluation de 1997 préparé pour l'appelante en vue du litige devant le juge de première instance[10]. L'appelante concède que son expert avait appliqué un escompte de 40 % au lieu d'un escompte de 30 % dans un rapport d'évaluation antérieur de 1990[11] préparé pour l'appelante au sujet de la Réserve de Whitefish et sur lequel l'appelante s'est appuyée pour évaluer les nouveaux loyers[12]. Toutefois, l'appelante soutient que son expert a expliqué cette différence en contre-interrogatoire et au cours du réinterrogatoire sans que son explication soit contestée.
[11] Voici son explication : quand il a antérieurement appliqué l'escompte de 40 % à la juste valeur marchande en fief simple des lots, il a par la suite ajouté à la juste valeur marchande en fief simple escomptée un montant qui reflétait la valeur de l'avantage conféré aux intimés qui n'ont pas à payer d'impôt sur les terres des réserves. L'expert de l'appelante a expliqué qu'il avait ensuite changé sa méthode en s'appuyant sur le fait qu'un facteur d'escompte de 30 % reflétait mieux l'avantage fiscal accordé aux intimés que le montant qu'il ajoutait antérieurement après avoir calculé un escompte de 40 %. Comme l'explication concernant l'application d'un escompte de 30 % à la juste valeur marchande en fief simple des lots n'a pas été contredite, l'appelante prétend que le juge de première instance a commis une erreur manifeste en substituant le facteur d'escompte de 40 % sans s'appuyer sur les faits. Cette erreur, de l'avis de l'appelante, justifie que sa décision soit infirmée.
[12] Les intimés répondent que la détermination du facteur d'escompte approprié s'appuie sur une méthode claire qui doit être laissée à la discrétion du juge de première instance. Ils font aussi valoir que sa détermination est appuyée par la preuve qui a démontré que l'expert de l'appelante avait appliqué un facteur d'escompte de 40 % jusqu'en 1997, soit bien après qu'il eut cessé d'ajouter la variable de l'impôt présumé en 1993. Dans les circonstances, les intimés soutiennent que la conclusion de fait du juge de première instance était appropriée et ne devrait donc pas être modifiée par la Cour.
B - Le taux d'intérêt applicable
[13] L'appelante conteste également la décision du juge de première instance d'appliquer le taux d'intérêt préférentiel en date du 31 mars 1991 à la juste valeur marchande en fief simple escomptée des lots. Plus précisément, l'appelante soutient qu'il a commis une erreur en n'incluant pas dans le bail une condition implicite selon laquelle le ministre doit donner aux intimés un avis suffisant du montant des nouveaux loyers avant le commencement de la nouvelle période de location. Dans ce contexte, l'appelante soutient que, par souci d'efficacité commerciale, les locataires d'un bail à aussi long terme doivent recevoir un avis suffisant de toute modification du loyer. Autrement, ils risqueraient de ne pouvoir faire face à leurs obligations. D'après ce raisonnement, l'appelante demande à la Cour d'appliquer le taux d'intérêt préférentiel publié 90 jours avant le commencement de la nouvelle période de location.
[14] Pour leur part, les intimés font valoir qu'une interprétation franche du bail ne permet pas de retenir l'argument de l'appelante. Ils soutiennent que l'interprétation du mot « courant » comme signifiant le jour avant le début de la nouvelle période de location, comme l'a statué le juge de première instance, est tout à fait compatible avec le libellé du bail. Par conséquent, les intimés demandent à la Cour de ne pas modifier la conclusion du juge de première instance selon laquelle le taux d'intérêt préférentiel applicable à la juste valeur marchande en fief simple escomptée des lots est le taux publié le 30 mars 1991.
Analyse
A - La portée de l'arrêt Bande indienne de Musqueam c. Glass, [2000] 2 R.C.S. 633
[15] Avant d'analyser les questions soulevées par les parties dans leurs actes de procédure, la Cour doit traiter d'une question préliminaire qui pourrait avoir des conséquences sur l'issue du présent appel.
[16] Après que le juge de première instance eut prononcé le jugement dont il est fait appel, la Cour d'appel et la Cour suprême du Canada ont décidé des appels dans l'affaire Bande indienne de Musqueam c. Glass. Dans Musqueam[13], la présente Cour a statué, dans un appel de la décision de la Section de première instance, que pour déterminer la juste valeur marchande des terres situées dans la réserve visée dans cet appel, on pouvait tenir compte de la juste valeur marchande des terres en fief simple dans la région, et en outre qu'il n'y avait pas de fondement légal pour escompter la valeur en fief simple des terres de la réserve en question pour refléter l'intérêt sui generis de la Bande dans ces terres. La Cour suprême du Canada, dans un jugement de cinq contre quatre, s'est dit d'un autre avis et a conclu qu'un escompte de 50 % était justifié d'après les faits de la cause. Trois membres de la Cour ont souscrit à l'opinion de M. le juge Gonthier selon laquelle un escompte était justifié d'après les faits parce que la valeur en fief simple des terres de la réserve est simplement hypothétique et, à ce titre, doit être déterminée « en ajustant la valeur de terrains hors réserve pour tenir compte des caractéristiques réelles des terrains et du marché » [14]. Monsieur le juge Bastarache a rédigé des motifs distincts en souscrivant au fait qu'un escompte de 50 % était applicable parce que la valeur du terrain « doit être calculée en considérant les terrains comme des propriétés à bail et en tenant compte du fait qu'ils sont situés dans une réserve » [15]. Madame le juge en chef McLachlin, s'exprimant en son propre nom et au nom de trois autres membres de la Cour, aurait confirmé la décision de la présente Cour.
[17] Malgré leur désaccord sur l'applicabilité d'un facteur d'escompte, toutefois, huit des neuf juges de la Cour suprême étaient d'accord pour dire que l'intérêt à évaluer était l'intérêt en fief simple sur les terres cédées à bail. Dans l'arrêt Musqueam, la Cour suprême a traité d'une évaluation du loyer de terres semblables aux terrains visés dans le présent appel, c'est-à-dire des terres d'une réserve indienne cédées en vue de leur location. Le juge Gonthier, s'exprimant au nom de la majorité, a exclu les conditions particulières du bail pour la détermination de la juste valeur marchande du terrain. Il explique cette exclusion de la façon suivante :
[par. 38] La valeur marchande est généralement la valeur d'échange du terrain plutôt que sa valeur au titre de l'usage pour le preneur à bail. Cette distinction a été exprimée dans l'affaire Bullock's, Inc. c. Security-First National Bank of Los Angeles, 325 P.2d 185 (Cal. Dist. Ct. App. 1958) à la p. 188, où le bail [TRADUCTION] « prévoit la détermination de la valeur du terrain, et non pas de la valeur de l'utilisation du terrain à une fin particulière » . Le terrain est évalué sans égard à l'intérêt du preneur à bail dans celui-ci, car sa valeur d'échange n'est pas réduite même si le preneur décide de ne pas en faire l'utilisation optimale. Cette décision a été mentionnée dans différentes affaires (p. ex. Revenue Properties, précitée), et ce principe fait partie du droit canadien. Il a été appliqué dans l'affaire Gulf Oil Canada Ltd. c. Conseil des ports nationaux, C.F. 1re inst., no T-1478-71, 15 septembre 1972, à la p. 19, qui a été suivie dans Burrard Dry Dock Co. c. Canada, [1974] A.C.F. no 417 (QL) (1re inst.), au par. 9. Plus récemment, dans No. 100 Sail View Ventures Ltd. c. Janwest Equities Ltd., (1993), 84 B.C.L.R. (2d) 273, autorisation de pourvoi refusée, [1994] 2 R.C.S. viii, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé, à la majorité, à la p. 281, que les conditions particulières d'un bail n'étaient pas pertinentes pour déterminer [TRADUCTION] « la juste valeur marchande des lieux loués comme terrain nu » (je souligne) aux fins de révision du loyer.
[par. 39] Tout comme les baux de Musqueam, le bail en cause dans l'affaire Bullock's, précitée, ne faisait état que de la valeur du terrain. La Cour a jugé que, si les parties [TRADUCTION] « avaient eu l'intention qu'une valeur différente de la valeur marchande soit utilisée, elles l'auraient dit expressément » (p. 189 (en italique dans l'original)). Il en va de même pour les baux de Musqueam. Les baux ne parlent pas de la « valeur courante de la propriété à bail » ni de la « valeur des terres louées selon les modalités du présent bail » comme le faisait le bail portant sur les terres de la réserve dans l'affaire Leighton, précitée. En l'absence d'indication selon laquelle la valeur du terrain comme propriété à bail doit être utilisée pour fixer le loyer, la « valeur courante du terrain » signifie sa valeur comme propriété franche. [Non souligné dans l'original.]
[18] Comme le bail dans Musqueam, le présent bail fait référence uniquement à la « valeur du terrain » et non pas à la valeur des terres louées. Pour faciliter la consultation, le paragraphe pertinent du bail est reproduit ci-dessous :
Que le prix de location pour la période de sept ans commençant le 1er avril 1984 et pour chaque période consécutive de sept ans du bail et du renouvellement sera fixé avant le commencement de chaque période et sera fondé sur la juste valeur marchande du terrain à cette époque, sans tenir compte de la valeur des améliorations apportées par le locataire, mais en tenant compte de la valeur des autres terrains cédés à bail dans la région. [Non souligné dans l'original]
[19] Comme le juge Gonthier l'a fait remarquer, le principe selon lequel, en l'absence d'une disposition contractuelle à l'effet contraire, les conditions du bail ne doivent pas être prises en compte pour déterminer la juste valeur marchande des terres cédées à bail, est appliqué de façon constante dans la jurisprudence canadienne et par la Section de première instance de la Cour. En fait, c'est la méthode qui avait été suivie par M. le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel) en première instance dans l'affaire Musqueam[16]. Bien que, dans cette affaire, le juge de première instance ait estimé que le droit qui était évalué pour les fins de la « valeur courante du terrain » était un droit de tenure à bail de 99 ans, qui était le bien le plus important que la Bande indienne de Musqueam pouvait aliéner - position qui a par la suite été rejetée en appel -, il a néanmoins reconnu que les conditions particulières du bail ne pouvaient être prises en compte dans l'évaluation des terres cédées à bail. Au paragraphe 39 de ses motifs, il explique pourquoi les conditions du bail ne sont pas pertinentes à l'analyse :
De plus, pour évaluer le droit accordé aux termes des baux actuellement en vigueur, il faudrait tenir compte des répercussions du taux annuel de 6 % sur la valeur du droit de tenure à bail (si ce taux était inférieur aux taux en vigueur en 1995, ce qui aurait pour effet d'augmenter la valeur du droit de tenure à bail) ainsi que de l'incertitude imputable à la révision des loyers et de la diminution de la période à écouler du bail (les deux derniers facteurs ayant pour effet d'abaisser la valeur du droit de tenure à bail). Il ne s'agit pas de facteurs pertinents pour déterminer la valeur courante du terrain, parce que l'objet de la réévaluation périodique est de traiter le terrain comme s'il n'avait pas été assujetti aux baux existants et pouvait être loué conformément à des conditions nouvellement négociées à la date de chaque révision de loyer[17].
[20] Malgré l'exclusion générale des conditions du bail pour l'évaluation de la juste valeur marchande en fief simple, le rapport d'évaluation préparé par l'expert de l'appelante a tenu compte des conditions du bail pour déterminer la juste valeur marchande des terres cédées à bail. Dans ce rapport, l'expert de l'appelante déclare que [TRADUCTION] « pour les fins de déterminer la valeur de location, nous devons maintenant examiner les conditions du bail » [18]. Le rapport poursuit en énonçant différentes conditions du bail utilisées pour déterminer le facteur d'escompte approprié devant être appliqué à la juste valeur marchande en fief simple des terres cédées à bail, notamment :
*la durée du bail et les options de renouvellement;
*le paiement du loyer à l'avance, sur une base annuelle;
*l'obligation d'enlever toutes les constructions érigées par les locataires dans les 180 jours de l'expiration ou de la résiliation du bail;
*le droit de la Couronne de faire des forages à la recherche de pétrole;
*l'obligation de garder la propriété en bon état;
*l'obligation pour les locataires de demander l'autorisation avant d'abattre des arbres[19].
[21] Dans l'arrêt Musqueam, le juge Gonthier a fait la distinction entre les restrictions légales touchant les terrains, qui sont à bon droit prises en compte pour déterminer sa juste valeur marchande, et les restrictions prévues par le bail, qui ne doivent pas être incluses dans l'évaluation de la juste valeur marchande. Il déclare ceci :
[par. 47] Les restrictions légales en matière d'utilisation du territoire, par opposition aux restrictions prévues par le bail, peuvent influencer la valeur marchande d'une propriété franche. Dans l'affaire Revenue Properties, précitée, à la p. 182, le tribunal a conclu que [TRADUCTION] « [t]outes les lois et autres règles de droit régissant l'utilisation du territoire, comme les règlements de zonage, doivent être prises en considération » dans la détermination de la valeur du terrain. En l'espèce, les trois évaluateurs ont tenu compte dans leurs rapports des restrictions légales en matière d'utilisation du territoire, principalement du zonage. Cette façon de faire est conforme à la pratique des évaluateurs professionnels au Canada. Pour déterminer la valeur d'un terrain, qu'il soit vacant ou amélioré, l'évaluateur (sauf stipulation contraire du bail) tient compte de l'utilisation optimale qui y est [TRADUCTION] « légalement autorisée, physiquement possible et financièrement réalisable, et qui permet une productivité maximale » . Parmi les empêchements d'ordre légal, mentionnons [TRADUCTION] « [l]es restrictions de nature privée, le zonage, les codes du bâtiment, les arrondissements historiques et les autres mesures de contrôle de l'utilisation du territoire non liées au zonage, ainsi que les règlements environnementaux » (Institut canadien des évaluateurs, The Appraisal of Real Estate (éd. canadienne 1999), à la p. 270).
[par. 48] Les restrictions imposées par une bande en matière d'utilisation de son territoire sont analogues à la réglementation en la matière établie par les administrations municipales. Comme a conclu la Cour fédérale d'appel dans La Reine c. Guerin, [1983] 2 C.F. 656, à la p. 719, qui concernait justement la Bande de Musqueam, la Loi sur les indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, « attribue au ministre, au gouverneur en conseil et au conseil de bande certains pouvoirs d'administration de la réserve qui participent de la nature d'un gouvernement local » . Sous réserve des dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens, les conseils de bande disposent de certains pouvoirs de réglementation. En vertu de l'art. 83, par exemple, la bande en cause a pris les règlements administratifs intitulés Musqueam Indian Band Assessment By-Law et Musqueam Indian Band Taxation By-Law. La décision de céder des terres faisant partie d'une réserve aux fins de vente ou de location doit être prise formellement par la bande concernée en application des articles 37 à 39 de la Loi sur les Indiens. Une telle décision découle de pouvoirs d'ordre législatif et n'est pas analogue aux restrictions en matière d'utilisation du territoire prévues par un bail, restrictions qui sont, elles, de nature contractuelle. Le contexte juridique d'une réserve doit donc être pris en considération dans l'évaluation de la valeur des terres qui en font partie. Évidemment, tout comme les règlements de zonage des municipalités, les restrictions imposées par une bande peuvent faire augmenter ou diminuer la valeur des terrains selon la réaction du marché à l'égard de ces restrictions. Dans l'affaire Devil's Gap Cottages, précitée, le juge Strayer (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) a souligné que le zonage favorable en vigueur dans cette réserve avait pour effet de faire augmenter considérablement sa valeur par rapport aux terrains non situés dans la réserve.
[...]
[par. 52] [...] Le fait de réduire la valeur du terrain parce qu'il possède les attributs d'un terrain à bail constitue une erreur de droit, car, comme je l'ai expliqué précédemment, la « valeur courante du terrain » signifie sa valeur en tant que propriété franche et non comme propriété à bail. [Non souligné dans l'original.]
[22] Il me semble tout à fait clair que l'évaluation acceptée par le juge de première instance a été faite en contravention de la démarche légale acceptée par les tribunaux du Canada depuis plusieurs décennies et récemment réaffirmée par la Cour suprême dans l'arrêt Musqueam. En acceptant le rapport de l'évaluateur de l'appelante et en agissant sur la foi de celui-ci, le juge de première instance a commis une erreur de droit.
[23] Au cours de l'argumentation du présent appel, j'ai demandé aux avocats des parties s'il n'y avait pas lieu de tenir un nouveau procès, compte tenu de la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Musqueam. Les avocats des parties étaient, on peut le comprendre, loin d'être enthousiastes à l'idée d'un nouveau procès, en raison du temps et des frais que cela suppose. Toutefois, ils ont tous deux convenu que la méthode formulée par le juge Gonthier dans l'arrêt Musqueam était à juste titre applicable à l'espèce. Dans les circonstances, je suis d'avis qu'il faut tenir un nouveau procès pour déterminer la juste valeur marchande des loyers conformément aux conditions du bail et aux principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Musqueam, particulièrement le principe selon lequel les conditions du bail ne sont pas pertinentes pour déterminer la juste valeur marchande des terres cédées à bail. Bien entendu, si les parties s'inquiètent du temps et des frais qu'il faudra engager pour la tenue d'un nouveau procès, elles peuvent toujours avoir recours à d'autres modalités de règlement que la Cour met à leur disposition.
B - Le facteur d'escompte
[24] L'appelante demande à la Cour de déterminer si le juge de première instance a commis une erreur en substituant le facteur d'escompte de 40 % à l'escompte de 30 % que son expert avait appliqué. Bien que l'application de l'arrêt Musqueam ait rendu cette question tout à fait théorique, la Cour est d'avis que certaines observations peuvent néanmoins être utiles aux parties.
[25] Le juge de première instance a substitué le facteur d'escompte de 40 % au facteur de 30 % que l'expert de l'appelante avait appliqué en s'appuyant sur le fait que ce facteur de 30 % semblait « résulter d'une réduction de l'escompte de 40 % qu'il avait utilisé antérieurement pour tenir compte d'un avantage fiscal présumé en faveur des locataires » [20]. En fait, il y a eu une certaine confusion concernant l'abandon par l'expert de l'appelante d'un facteur d'escompte de 40 % en faveur d'un escompte de 30 %. Toutefois, un examen méticuleux de la transcription de l'instruction révèle que cette transition s'est faite par suite d'un ajustement méthodologique ayant pour but de mieux refléter le fait que les terres cédées à bail sont exonérées d'impôt. En réinterrogatoire, l'expert de l'appelante a expliqué ce changement dans les termes suivants :
[TRADUCTION]
A. Dans le rapport de 1990, un escompte de 40 % avait été appliqué. Et ensuite, pour en arriver à la valeur de location, j'ai ajouté un montant qui tiendrait compte du fait que les locataires n'avaient pas à payer d'impôt sur la propriété.
L'Ontario n'impose pas les terres indiennes ni les locataires qui résident sur des terres indiennes louées à bail. Il n'y a pas d'impôt ni sur le terrain ni sur les immeubles. C'est l'une des rares provinces à agir de la sorte.
[...]
Donc, après avoir soustrait un escompte de 30 % ou de 40 %, j'ai ajouté un avantage fiscal. Dans le rapport de 1990, j'ai ajouté l'avantage fiscal uniquement pour ce qui avait trait au terrain, et non pas aux immeubles.
[...]
Ce qui fait que, par suite de [l'affaire Rogers], parce que je m'inspire des décisions judiciaires, j'ai décidé que, plutôt que d'utiliser un montant majoré précis comme avantage fiscal, je devrais déduire un escompte de 30 % ce qui inclurait une provision à cet effet, sans préciser l'avantage fiscal. Autrement dit, en utilisant l'escompte de 30 %, l'avantage fiscal est inclus dans le résultat final[21].
[26] L'explication est claire. Dans son interprétation du changement de méthodologie adoptée par l'expert de l'appelante, le juge de première instance soit a mal interprété la nature de ce changement, soit l'a considéré comme n'étant pas autorisé au motif qu'un avantage fiscal ne pouvait être pris en compte pour la détermination de l'escompte. Si le changement de méthodologie a soulevé des doutes dans l'esprit du juge de première instance, il a commis une erreur de fait susceptible de révision puisqu'il a accepté la preuve non contredite de l'expert de l'appelante. Le changement de méthodologie a été clairement expliqué par l'expert de l'appelante à l'instruction et ne peut, sans autre explication du juge de première instance, constituer un fondement pour justifier l'utilisation d'un facteur d'escompte différent.
[27] Par ailleurs, si le juge de première instance a rejeté la possibilité de calculer un avantage fiscal dans le facteur d'escompte, il peut avoir commis une erreur de droit susceptible de contrôle. L'expert de l'appelante a noté que l'Ontario est l'une des rares provinces qui ne perçoit pas d'impôt sur les terres indiennes ni des locataires qui résident sur ces terres. Il n'a cité aucune disposition législative pour appuyer cette observation. Toutefois, dans son rapport, l'expert de l'appelante fait référence aux économies d'impôt qui profitent aux locataires de la Réserve de Whitefish comme découlant de l'absence de [TRADUCTION] « taxes municipales et scolaires » , ou comme il l'indique plus loin dans son rapport, [TRADUCTION] « des taxes foncières et de services » [22]. S'il existe des lois provinciales qui exemptent les locataires des terres indiennes de l'impôt, comme l'expert de l'appelante le laisse entendre, la question demeure de savoir si ces lois sont correctement interprétées comme étant, selon les mots du juge Gonthier, « des restrictions légales en matière d'utilisation du territoire » qui peuvent être utilisées pour déterminer la juste valeur marchande en fief simple des terres cédées à bail.
[28] Si le statut d'exonération fiscale de la Réserve de Whitefish découle non pas d'une loi provinciale mais d'une pratique de longue date, l'avantage fiscal accordé aux locataires de la réserve peut toujours être pris en compte au motif qu'il découle d'une coutume. Comme le notait le juge Bastarache dans ses motifs distincts dans l'arrêt Musqueam, précité, l'Institut canadien des évaluateurs reconnaît que la valeur des terres peut dépendre « de la coutume, des charges et des conditions » , de même que des restrictions légales l'assujettissant[23].
[29] Quoi qu'il en soit, la qualification appropriée du traitement fiscal réservé par la province à la Réserve de Whitefish sera une question à trancher par le juge qui présidera le nouveau procès. Ces observations ont simplement pour but de souligner les considérations dont il faudra tenir compte pour choisir d'accepter ou de rejeter le statut d'exonération fiscale de la réserve comme facteur pertinent pour déterminer la juste valeur marchande des terres cédées à bail. Le juge de première instance n'a pas fait allusion à ces considérations dans ses motifs et, en fait, les parties devraient prendre note qu'une décision d'inclure ou d'exclure l'avantage fiscal en faveur des locataires d'une réserve pour la détermination de la juste valeur marchande en fief simple exige vraisemblablement plus de renseignements que ceux dont disposait le juge de première instance ou la présente Cour.
C - Le taux d'intérêt applicable
[30] Nous n'avons pas demandé à l'avocat des intimés de présenter ses observations sur cette question parce que nous sommes tous d'accord avec la conclusion du juge de première instance sur ce point et avec les motifs qu'il a donnés pour la justifier.
Dispositif
[31] Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel en partie et d'ordonner un nouveau procès sur la première question. Je suis d'avis de rejeter l'appel sur la deuxième question. Comme les parties ont eu chacune partiellement gain de cause, il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dépens.
« Julius A. Isaac »
Juge
« Je souscris à ces motifs,
J.E. Sexton, juge »
« Je souscris à ces motifs,
Karen R. Sharlow, juge »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.
Date : 20010628
Dossier : A-465-98
OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 28 JUIN 2001
CORAM : LE JUGE ISAAC
LE JUGE SEXTON
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA
représentée par LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES
ET DU NORD CANADIEN
appelante
(défenderesse)
- et -
MAURICE ST. MARTIN, LUCIE ST. MARTIN, ALINE BONSALL,
ALBERT E. LEGAULT, GARY MacKENZIE, SCOTT TAYLOR,
PETER MERCHART, SHIRLEY BERTRAND, DENNIS BERTRAND,
ROBERT DEACON, JEANNETTE DEACON, JOHN W. SMITH,
JAMES REID, LINDA REID, BRUCE JEWITT, JUDY JEWITT,
HARVEY CORMIER, LOLA CORMIER, JOYCE FARQUHAR,
JEAN FARQUHAR, GEORGE DESCHAMPS, VIOLA DESCHAMPS,
HOMER SAMMET, RICHARD GILBERT, MORLEY GILBERT,
WAYNE MINOR, DIANE MINOR, ROLAND SAVARIE, AGNES SAVARIE,
PETER MORRIS, SUSAN A. DESJARDINS, NICK MATASICH,
PIERRETTE MATASICH, ERIC HART, MARIE HART, EDWARD GRASSI,
PAULETTE GRASSI, DENNIS TORNOPOLSKY, DELMO P. BALDELLI,
JENNY BALDELLI, WILLIAM STEVENSON, MARY STEVENSON,
GRAHAM W. ROSS, CHARLES LARMONDIN, ELIZABETH LARMONDIN,
JACK A. LEPPINEN, DAWN LEPPINEN, NICK ZATEZALO,
CARMEN ZATEZALO, JAMES K. BROWN, TERRENCE MURPHY,
DOROTHY MURPHY, MARIA JACOBA HUFFELS, ALAIN PAQUETTE,
DIANE PAQUETTE, MARY ELEANOR SANCHIIONI, DAVID BENSON,
RICHARD LALONDE, JACQUELINE LALONDE, EDWARD J. GORC,
RICHARD PETER PROCEVIAT, NORMAN JAMES MILES,
LAURENT POULIN, CLAUDETTE DERANGERE MUSICO,
ROBERT RUSSELL, JAMES BULLOCK, CECIL ACE,
DONALD LACHANCE, CHRISTINE LACHANCE,
RICHARD O'BONSAWIN, DIANE O'BONSAWIN,
OLIMPIO MAZZA, ARCADIA MAZZA, ALDO ORASI,
RAYMOND MARION, AUDREY MARION, GILLES MAINVILLE,
JACQUELINE MAINVILLE, CLAUDE MALETTE,
GABRIEL FERNANDEZ, LORNE CHUIPKA, MARLENE CHUIPKA,
RENALD LAPLANTE, SYLVIA LAPLANTE, MAURICE M. BRABANT,
BARBARA BRABANT, SAMUEL ZATEZALO, RUBY ZATEZALO,
JERRY LOISELLE, MARLINE LOISELLE, HERMAN BOIVIN,
PAULINE BOIVIN, BRIAN MacKENZIE, SANDRA BOYUK,
JOSEPH KOSIOR, HARMON MALLOY, ANNETTE MALLOY,
ROBERT DIEBEL, GARY MERKLEY, ELMER C. MERKLEY,
GLORYANN DORE, GARRY MARKLEY, JANET MILLER,
JACQUELINE M. PETRILLI, JILL PACEY,
INNOCINZO COSTANZI, JOSEPH PURIFICATI,
ANNE MARIE PURIFICATI, DAVID GLOVER, JUDITH POGUE,
JOHN LANTEIGNE, DIANE LANTEIGNE, JACK LEONARD,
LYLE PERRY, CAROL PERRY et GEORGE GARDNER,
intimés
(demandeurs)
JUGEMENT
L'appel est accueilli en partie et un nouveau procès est ordonné sur la première question.
« Julius A. Isaac »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-465-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
- et -
MAURICE ST. MARTIN ET AUTRES
intimés
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 4 avril 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE ISAAC
Y ONT SOUSCRIT : le juge Sexton
le juge Sharlow
DATE DES MOTIFS : le 28 juin 2001
ONT COMPARU
Gary N. Penner POUR L'APPELANTE
Réjean Parisé POUR LES INTIMÉS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Morris Rosenberg POUR L'APPELANTE
Sous-procureur général du Canada
Réjean Parisé POUR LES INTIMÉS
Sudbury (Ontario)
[1] Bail entre le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et Fernand et Nellie Malette, en date du 1er avril 1981, dossier d'appel, volume II, onglet 3.
[2] St-Martin c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1998] A.C.F. no 1032 au paragraphe 45 [ci-après les « motifs du juge de première instance » ].
[3] Ibid, paragraphe 61.
[4] Ibid, paragraphe 62.
[5] Rapport d'évaluation de M. F. Bell en date du 10 décembre 1997, dossier d'appel, volume IV, onglet 17, page 81.
[6] Rapport d'évaluation de M. H. A. Love en date du 12 février 1998, dossier d'appel, volume IV, onglet 18, page 22.
[7] [2000] 2 R.C.S. 633, [2000] C.S.C. 52, [2000] A.C.F. no 54.
[8] Ibid, paragraphe 52.
[9] Motifs du juge de première instance, paragraphe 86.
[10] Voir le rapport d'évaluation de M. F. Bell en date du 10 décembre 1997, dossier d'appel, volume IV, onglet 17.
[11] Rapport d'évaluation de M. F. Bell en date du 3 octobre 1990, dossier d'appel, volume II, onglet 11, page 24.
[12] Voir la lettre de révision des loyers de M. Howard Fanjoy à M. Graham Ross en date du 13 mai 1991, dossier d'appel, vol. I, onglet J.
[13] Bande indienne de Musqueam c. Glass, [1999] 2 C.F. 138, [1998] A.C.F. no 1893.
[14] Bande indienne de Musqueam c. Glass, [2000] 2 R.C.S., paragraphe 49.
[15] Ibid, paragraphe 61.
[16] Bande indienne de Musqueam c. Glass (1997), 137 F.T.R. 1, [1997] A.C.F. no 1339.
[17] Renvois omis.
[18] Rapport d'évaluation de M. F. Bell en date du 10 décembre 1997, dossier d'appel, volume IV, onglet 17, page 75.
[19] Ibid, pages 75 à 79.
[20] Motifs du juge de première instance, précités, paragraphe 88.
[21] Transcription de l'instruction, volume III, pages 555 et 556.
[22] Rapport d'évaluation de M. F. Bell en date du 10 décembre 1997, dossier d'appel, volume IV, onglet 17, page 85.
[23] Musqueam, précité, paragraphe 65.