Date : 20031204
Dossier : A-578-02
Référence : 2003 CAF 463
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
JOE SCHEMBRI
défendeur
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 6 novembre 2003
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE EVANS
Y A SOUSCRIT : LE JUGE PELLETIER
MOTIFS CONCOURANTS : LE JUGE ROTHSTEIN
Date : 20031204
Dossier : A-578-02
Référence : 2003 CAF 463
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
JOE SCHEMBRI
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE EVANS
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire introduite par le procureur général en vue de faire annuler la décision d'un juge-arbitre, CUB 55608, qui a réduit la pénalité imposée par la Commission de l'assurance-emploi du Canada à Joe Schembri pour avoir sciemment fait de fausses déclarations au sujet de sa rémunération, en vue d'obtenir des prestations de chômage. Le juge-arbitre a accueilli un appel de la décision d'un conseil arbitral qui avait exonéré M. Schembri de toute pénalité parce qu'il avait de graves problèmes de dépendance au jeu et qu'il [TRADUCTION] _ n'aurait pas dû être pénalisé pour un comportement indépendant de sa volonté _.
[2] L'avocat du procureur général affirme que le juge-arbitre a eu raison en concluant que le conseil arbitral a commis une erreur de droit lorsqu'il a décidé que la dépendance de M. Schembri l'exonérait de toute pénalité, plutôt que de simplement diminuer le montant de la pénalité. Cependant, l'avocat prétend que le juge-arbitre lui-même a commis une erreur en réduisant la pénalité imposée par la Commission de 75 % à 10 % du montant excédentaire des prestations reçues par M. Schembri auxquelles il n'avait pas droit.
[3] M. Schembri n'a déposé aucun document en réponse à la demande de contrôle judiciaire introduite par le ministre et il n'a pas comparu.
[4] Les faits pertinents ne sont pas contestés. Du 20 août 2000 au 30 décembre 2000, M. Schembri n'a déclaré aucun revenu et il a obtenu des prestations de chômage, même s'il a travaillé pendant cette période et qu'il a gagné 18 741,02 $. La Commission a calculé que M. Schembri avait reçu un versement excédentaire de prestations de 4 130 $, qu'elle cherchait à récupérer. En outre, la Commission a imposé une pénalité de 3 097 $ en vertu de l'alinéa 38(1)c) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.R.C. 1996, ch. 23, parce que M. Schembri avait reçu des prestations de chômage en omettant sciemment de déclarer son revenu.
[5] M. Schembri a dit à un agent de la Commission qu'il n'avait pas déclaré sa rémunération à cause de la situation financière désespérée dans laquelle l'avait entraîné sa dépendance au jeu. Les notes de l'agent sur l'entrevue montrent que, parce que c'était la première infraction commise par M. Schembri, la pénalité aurait été normalement de 100 % du trop-perçu; cependant la pénalité a été réduite de 25 %, à 3 097 $, en raison : [TRADUCTION] _ des circonstances atténuantes dont la Commission a tenu compte en fixant la pénalité - du fait qu'il reconnaît qu'il y a eu fraude mais qu'il essaie d'obtenir des services de counseling pour sa dépendance au jeu. _
[6] Je conviens que le juge-arbitre a eu raison en concluant que le conseil arbitral a commis une erreur de droit lorsqu'il a décidé que les difficultés financières de M. Schembri l'exonéraient de toute pénalité pour avoir sciemment fait de fausses déclarations sur son revenu. Le critère de la responsabilité, aux termes de l'alinéa 38(1)c), est de savoir si un prestataire _ [a omis] sciemment de déclarer à la Commission tout ou partie de la rémunération reçue à l'égard de la période déterminée [...] pour laquelle il a demandé des prestations. _.
[7] Sauf circonstances exceptionnelles telles que la contrainte physique, les circonstances dans lesquelles un prestataire fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse peuvent tout au plus réduire le montant de la pénalité : Canada (Procureur général) c. Gauley, 2002 CAF 219 au paragraphe 11. Et, comme je l'ai déjà mentionné, la Commission a effectivement tenu compte de la dépendance de M. Schembri comme circonstance atténuante.
[8] La présente demande de contrôle judiciaire soulève à la fois une question de fond et une question de recours. La question de fond est de savoir si le juge-arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a fait une analogie avec le droit criminel et qu'il a réduit la pénalité que la Commission a imposée, en raison des difficultés financières que la pénalité causerait à M. Schembri. La question du recours concerne les rôles de la Commission, du conseil arbitral et du juge-arbitre dans la fixation de la pénalité appropriée pour les personnes qui font sciemment des déclarations fausses ou trompeuses en vue d'obtenir des prestations auxquelles elles n'ont pas droit.
La question de fond
[9] L'avocat du procureur général a soutenu que la Commission n'était pas tenue de prendre en considération la situation financière de M. Schembri lorsqu'elle a décidé de la pénalité qu'elle imposerait. En conséquence, a dit l'avocat, le juge-arbitre a commis une erreur en important du droit relatif à la détermination de la peine le principe selon lequel la Commission devrait tenir compte de la capacité de payer et des difficultés financières lorsqu'elle fixe le montant de la pénalité. En particulier, il a plaidé que, contrairement à une cour qui détermine la peine d'un accusé dans une procédure criminelle, en décidant d'une pénalité, la Commission n'est pas tenue de procéder, de sa propre initiative, à un examen de la situation financière d'un prestataire en vue se prononcer sur le fait de savoir s'il existe des circonstances atténuantes qui justifieraient sa réduction.
[10] L'avocat du procureur général a admis que, si elle est portée à la connaissance de la Commission, la situation financière du prestataire lors de la fixation de la pénalité est considérée comme pertinente pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'imposer une pénalité appropriée. Les directives ministérielles données aux agents de l'assurance-emploi mettent l'accent à la fois sur l'étendue du pouvoir discrétionnaire de la Commission en ce qui concerne le montant de la pénalité et sur l'importance de s'assurer qu'il est exercé en tenant compte de toutes les circonstances particulières à la personne : (Développement des ressources humaines Canada, Le Guide de la détermination de l'admissibilité, chapitre 18 _ Déclarations fausses ou trompeuses _ en ligne, < http://www.hrdc-drhc.gc.ca/ae-ei/loi-law/guide-digest/chp18_f.shtml > mis à jour : le 25 mars 2002). Par exemple, le paragraphe 18.5.2.1 prévoit :
Enfin, on ne saurait trop appuyer sur l'importance de verser au dossier des renseignements détaillés sur toutes les circonstances atténuantes. Ces renseignements sont essentiels lorsqu'il s'agit de fournir des explications au prestataire et particulièrement lorsqu'un appel est interjeté. En effet, la Commission a le pouvoir discrétionnaire d'infliger une pénalité, mais elle doit quand même démontrer qu'elle l'a exercé correctement, en tenant compte de tous les éléments pertinents.
[11] Après qu'une pénalité a été infligée, un prestataire peut demander à la Commission d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 41 de la Loi sur l'assurance-emploi, pour, entre autres :
[...] annuler la décision qui l'inflige si des faits nouveaux lui sont présentés ou si, à son avis, la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.
|
... reduce the penalty on the presentation of new facts or on being satisfied that the penalty was imposed without knowledge of ... some material fact. |
En conséquence, lors d'une demande de révision, un prestataire peut demander à la Commission de réduire la pénalité en tenant compte de ses difficultés financières.
[12] La lettre de la Commission informant M. Schembri du montant de la pénalité confirme que les difficultés financières sont considérées comme un facteur pertinent au stade de la révision : la lettre l'a informé que, si le paiement de la pénalité devait lui créer des difficultés financières, il devrait prendre contact avec la Commission pour voir quels arrangements sont possibles compte tenu de sa situation. Le dossier ne comporte pas de réponse de M. Schembri à cette invitation.
[13] Le sous-alinéa 56(1)f)(ii) du Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332, prévoit une troisième occasion pour un prestataire d'invoquer les difficultés financières. Cette disposition confère expressément à la Commission le pouvoir de défalquer une pénalité parce que le remboursement de la pénalité imposerait au débiteur un préjudice abusif.
[14] Je suis d'accord avec l'avocat du procureur général que la Commission n'est pas obligée de procéder, de sa propre initiative, à un examen de la situation financière d'une personne avant d'infliger une pénalité en vertu de l'article 38 de la Loi. Premièrement, les décisions antérieures de la Cour ont établi que les principes de droit criminel ne doivent pas être importés d'un bloc dans l'exercice du pouvoir de la Commission d'infliger des pénalités administratives : Canada (Procureur général) c. Lai (1998), 229 N.R. 42 (C.A.F.); Turcotte c. Canada (Commission de l'assurance-emploi), [1999] A.C.F. no 311. Deuxièmement, les prestataires ont amplement d'occasions de demander une réduction de la pénalité qui tienne compte de leurs difficultés financières et ce, à divers stades du processus : avant que la Commission n'inflige sa pénalité, dans une demande de révision, et en appel devant le conseil arbitral.
[15] Cependant, lorsqu'un prestataire invoque des difficultés financières devant la Commission à l'un ou l'autre de ces stades, le décideur administratif doit en tenir compte pour décider si, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, la prise en compte des difficultés financières justifie une réduction de la pénalité. Comme l'a dit le juge en chef Richard dans Canada (Procureur général) c. McLean, 2001 CAF 5, au paragraphe 14 :
Lorsque des circonstances atténuantes sont portées à son attention, la Commission est tenue d'examiner les circonstances particulières de l'intéressé. Il s'ensuit que toute pénalité qu'elle impose doit refléter ces circonstances. Or, la Commission peut remplir son obligation en ajustant le pourcentage.
[16] Bien évidemment, ce n'est pas dire que la Commission doive réduire une pénalité chaque fois qu'une personne affirme que le paiement du montant fixé lui créerait des difficultés financières. Fixer une pénalité appropriée est bel et bien une affaire qui relève de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission. Par exemple, la Commission peut ne pas accepter que le paiement créerait au prestataire de réelles difficultés ou elle peut conclure que, compte tenu de toutes les circonstances, une pénalité réduite serait une mesure de dissuasion insuffisante.
[17] En somme, je n'accepte pas la conclusion du juge-arbitre que la Commission a commis une erreur en omettant de procéder, de sa propre initiative, à un examen pour savoir si exiger de M. Schembri le paiement de la pénalité qu'elle se proposait d'imposer créerait à ce dernier des difficultés excessives. La question de savoir s'il était néanmoins loisible au juge-arbitre de réduire la pénalité imposée par la Commission est liée à l'étendue des pouvoirs conférés par la Loi aussi bien au conseil arbitral qu'au juge-arbitre, question que j'examine à présent.
La question du recours
[18] La question ici est de savoir si le juge-arbitre pouvait réduire de 75 % à 10 % du montant excédentaire la pénalité que la Commission a imposée, au motif que M. Schembri aurait des difficultés financières s'il devait payer un montant plus élevé vu qu'il devait aussi rembourser le montant excédentaire des prestations d'un montant de 4 130 $.
[19] L'administration du programme d'assurance-emploi est compliquée par l'existence de deux niveaux d'appel de portée différente : de la Commission au conseil arbitral et du conseil arbitral à un juge-arbitre. Cette structure administrative d'appel complique la tâche de la Cour lorsqu'elle contrôle la décision d'un juge-arbitre.
[20] Cependant, écrivant au nom de la Cour dans Canada (Procureur général) c. Dunham, [1997] 1 C.F. 462 (C.A.), le juge Marceau a clarifié avec force les principes juridiques qui régissent les rôles de la Commission, du conseil arbitral et du juge-arbitre dans la fixation du montant d'une pénalité. Ainsi, il a dit (au paragraphe 4) :
Le pouvoir de la Commission, comme tout pouvoir discrétionnaire, doit être exercé de bonne foi en tenant compte de tous les facteurs pertinents et sans se laisser influencer par des facteurs qui ne le sont pas, et il appartient au conseil arbitral comme au juge-arbitre d'intervenir et de rendre une décision conforme, si celle de la Commission n'a pas été rendue comme elle le devait.
[21] De ces principes, le juge Marceau a tiré deux propositions. Premièrement, l'exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire sur le montant d'une pénalité n'est pas à l'abri d'un appel devant le conseil arbitral : aux paragraphes 8 et 10. Deuxièmement, un conseil arbitral ne peut pas substituer son appréciation de ce qu'est une pénalité appropriée à celle de la Commission, à moins qu'il ne conclue que la Commission a omis de tenir compte d'une considération pertinente (au paragraphe 14) ou, vraisemblablement, qu'elle a commis, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, l'une ou l'autre des autres erreurs que le juge Marceau a mentionnées (au paragraphe 4) comme justifiant l'intervention d'un conseil arbitral ou d'un juge-arbitre.
[22] Cependant, le juge Marceau a également dit que, pour établir que la Commission avait imposé une pénalité sans tenir compte d'un facteur pertinent pour l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, un appelant devant le conseil arbitral pouvait se fonder à la fois sur les faits qui étaient devant la Commission et sur ceux dont le conseil arbitral a été saisi. Il en est ainsi parce qu'un appel d'une décision de la Commission devant le conseil arbitral a été jugé comme étant un appel de novo, dans ce sens que de nouveaux éléments de preuve peuvent être produits et que le conseil arbitral doit rendre sa propre décision en se fondant sur ces éléments de preuve.
[23] Ainsi, considérant la nature juridictionnelle de la procédure devant le conseil arbitral et le rôle central du conseil arbitral dans la protection des droits des personnes assurées, le juge Marceau a dit (au paragraphe 14) :
[...] je n'hésite pas à penser que ce n'est pas trahir l'intention du Parlement de dire que le conseil arbitral n'est pas limité aux faits qui étaient devant la Commission. Il peut, en vérifiant l'exercice de la discrétion, tenir compte des faits dont il prend lui-même connaissance. Il se doit de constater qu'une considération essentielle a été ignorée, car il ne lui revient pas de substituer purement et simplement sa discrétion à celle de la Commission [...] Mais cette considération essentielle ignorée, le conseil peut la voir dans ce qu'il a pu lui-même constater.
[24] En se fondant sur ces principes, le juge-arbitre dans la présente affaire aurait été justifié à réduire la pénalité en tenant compte de difficultés financières seulement si M. Schembri avait soulevé ce facteur soit devant la Commission, soit devant le conseil arbitral et qu'ils n'en avaient pas tenu compte.
[25] L'appel devant le juge-arbitre est de portée restreinte. Les moyens d'appel sont limités à ceux qui servent de fondement au contrôle judiciaire de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale sur les tribunaux administratifs, conformément aux alinéas 18.1(4)a) à d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F -7 : Loi sur l'assurance-emploi, paragraphe 115(2). Et, bien que l'appel d'une décision de la Commission devant le conseil arbitral soit un appel de novo, au sens précisé précédemment, l'appel d'une décision du conseil arbitral devant un juge-arbitre doit normalement se limiter au dossier dont disposait le conseil arbitral.
[26] Cependant, si un appelant convainc le juge-arbitre que le conseil arbitral a commis une erreur susceptible de révision, le redressement disponible pour le juge-arbitre inclut le pouvoir de _ rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre _ : Loi sur l'assurance-emploi, article 117. Ce pouvoir peut s'exercer même lorsque la décision du conseil arbitral est de nature discrétionnaire et il permet au juge-arbitre d'imposer la pénalité que la Commission ou le conseil arbitral aurait dû imposer : Morin c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (1996), 134 D.L.R. (4th) 724 (C.A.F.).
[27] En conséquence, la première question à trancher est de savoir si en décidant de la pénalité appropriée, la Commission ou le conseil arbitral a omis de se demander si le fait d'exiger de M. Schembri qu'il paie une pénalité de 3 097 $ causerait à M. Schembri des difficultés financières et, le cas échéant, compte tenu des circonstances, si une réduction de la pénalité était justifiée. Étant donné que ni la Commission, ni le conseil arbitral ne sont obligés d'invoquer des circonstances atténuantes de leur propre initiative, ils ne pouvaient avoir commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des difficultés financières que si M. Schembri avait porté cette question à leur connaissance.
[28] Ainsi, en vue d'établir que le juge-arbitre a commis une erreur de droit en réduisant la pénalité pour tenir compte des difficultés financières, l'avocat du procureur général doit convaincre la Cour que M. Schembri n'avait soulevé cette question ni devant la Commission, lorsqu'elle avait calculé la pénalité, ni devant le conseil arbitral. Subsidiairement, si M. Schembri avait soulevé cette question devant la Commission ou le conseil arbitral, le procureur général doit prouver qu'elle a été examinée comme cela se doit.
[29] Le dossier ne comporte aucune preuve que M. Schembri ait demandé à la Commission de tenir compte de son incapacité de payer la pénalité qu'elle lui imposait. L'agent affirme dans ses notes d'entrevue que M. Schembri n'a mentionné que les difficultés financières dans lesquelles sa dépendance au jeu l'avait entraîné pour expliquer pourquoi il avait sciemment fait de fausses déclarations sur sa rémunération lorsqu'il recevait ses prestations de chômage. Les notes ne disent rien de la situation financière de M. Schembri au moment de l'entrevue.
[30] Il serait déraisonnable d'exiger des prestataires, quelles que soient les circonstances, qu'ils demandent expressément à la Commission de tenir compte du fait que le paiement d'un montant élevé comme pénalité leur créerait des difficultés financières. Parfois, il devrait être évident pour la Commission, à partir de ce qu'a dit le prestataire, qu'il en est bien ainsi. En tout cas, un prestataire qui ne soulève pas la question des difficultés financières avant le calcul de la pénalité peut toujours demander à la Commission de la réviser sur ce fondement et il peut soulever cette question lors de l'appel devant le conseil arbitral.
[31] En l'espèce cependant, vu que le juge-arbitre a exprimé le point de vue que la Commission a l'obligation positive d'examiner la capacité d'un prestataire de payer une pénalité, il doit avoir déduit des faits que M. Schembri n'avait pas porté sa situation financière de façon adéquate devant la Commission et demandé une réduction de la pénalité à cause de son incapacité de payer. Vu le dossier qui m'est soumis, je ne peux conclure que le juge-arbitre a tiré sa conclusion de fait de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.
[32] De la même manière, il n'y a pas d'éléments de preuve au dossier établissant que M. Schembri a fait valoir devant le conseil arbitral que le paiement de la pénalité imposée par la Commission, en plus du remboursement des prestations excédentaires de 4 130 $, lui causerait des difficultés financières. Cette éventualité n'est soulevée ni dans les observations écrites de M. Schembri devant le conseil arbitral ni dans les motifs de décision du conseil arbitral.
[33] Bien évidemment, il se pourrait que M. Schembri ait soulevé la question des difficultés financières lors de ses observations orales devant le conseil arbitral, lesquelles ne figurent pas dans le dossier. Cependant, vu les éléments dont disposait le juge-arbitre et en l'absence de preuve contraire, le juge-arbitre pouvait seulement conclure que la question des difficultés financières n'avait été soulevée par M. Schembri ni devant la Commission ni devant le conseil arbitral comme facteur qu'ils auraient dû prendre en considération en calculant le montant de la pénalité, mais il ne l'a pas fait. En conséquence, le juge-arbitre aurait dû décider que le conseil arbitral n'avait aucun motif d'intervention dans le calcul du montant de la pénalité et il aurait dû ordonner que l'appel de M. Schembri devant le conseil arbitral soit rejeté.
[34] Parce que le dossier dont disposait le juge-arbitre ne montrait pas que la question des difficultés financières avait été soulevée soit devant la Commission, soit devant le conseil arbitral, il ne lui était pas loisible de réduire la pénalité en tenant compte des observations que M. Schembri a faites devant lui sur sa situation financière : Canada (Procureur général) c. Girard (1997), 221 N.R. 336, au paragraphe 2 (C.A.F.). L'appel devant le juge-arbitre est en principe limité à la question de savoir si le conseil arbitral a commis une erreur susceptible de révision en se fondant sur les éléments dont il disposait.
[35] Vu que le conseil arbitral n'avait pas le pouvoir de réduire la pénalité en se fondant sur les éléments dont il disposait, le juge-arbitre ne pouvait pas réduire la pénalité de la Commission en raison du pouvoir du juge-arbitre d'accorder le redressement que le conseil arbitral aurait dû accorder. Parce que le conseil arbitral aurait dû rejeter l'appel, dans les circonstances de l'espèce le juge-arbitre aurait dû ordonner que l'appel devant le conseil arbitral soit rejeté.
[36] Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, je rejetterais la décision du juge-arbitre et je renverrais l'affaire au juge-arbitre en chef ou à un juge-arbitre désigné par lui pour qu'il procède à un nouvel examen et tienne compte du fait que le juge-arbitre a commis une erreur de droit en réduisant la pénalité que la Commission avait imposée et que le conseil arbitral n'avait pas le pouvoir d'exonérer M. Schembri de la pénalité : Canada (Procureur général) c. Gauley, au paragraphe 12.
_ John M. Evans _
Juge
_ Je souscris aux présents motifs
J.D. Denis Pelletier, juge _
Traduction certifiée conforme
Jean Maurice Djossou, LL.D.
LE JUGE ROTHSTEIN (motifs concourants)
[37] J'ai lu les motifs du juge Evans et je conviens que la Commission n'est pas obligée de procéder, de sa propre initiative, à un examen de la situation financière d'une personne avant d'imposer une pénalité en vertu de l'article 38 de la Loi sur l'assurance-emploi. La question doit être soulevée par la personne elle-même. Une fois que cela est fait, la Commission doit l'examiner. Cependant, la Commission n'est pas obligée de réduire la pénalité simplement parce qu'une personne a soulevé la question des difficultés financières. La décision relève de l'exercice du pouvoir discrétionnaire et la preuve des difficultés financières peut ne pas être suffisante pour convaincre la Commission de réduire la pénalité. De même, il peut exister d'autres circonstances qui justifient le refus de réduire la pénalité.
[38] Ma compréhension des motifs du juge Evans est qu'il est d'avis qu'il n'existe aucun motif pour intervenir dans la conclusion de fait que le juge-arbitre a tirée que la question des difficultés financières n'avait pas été soulevée devant la Commission (ou le conseil arbitral). Cependant, comme il le souligne, il peut parfois être évident que la question des difficultés financières a été soulevée. À mon humble avis, c'est bien la situation en l'espèce.
DEVANT LA COMMISSION
[39] M. Schembri a informé la Commission de sa dépendance au jeu comme motif justificatif du fait qu'il avait sciemment fait de fausses déclarations en vue d'obtenir l'assurance-chômage. Les notes d'entrevue de la Commission, en date du 12 avril 2001 contiennent les affirmations suivantes :
[TRADUCTION] Il affirme que bien qu'il ait eu des emplois bien rémunérés, il a perdu tout l'argent qu'il avait gagné et qu'il a des dettes envers des établissements de prêts et des particuliers. Il soutient aussi qu'il était désespéré pendant cette période et qu'il s'est dit qu'il devait essayer de recouvrer une partie de l'argent parce qu'il était lourdement endetté.
Je ne peux interpréter cette preuve autrement que comme preuve de difficultés financières.
[40] Il est vrai que ces affirmations ont été faites pour justifier pourquoi M. Schembri avait fait de fausses déclarations à l'automne 2000. Cependant, je crois que la seule conclusion raisonnable que l'on puisse tirer de cet élément de preuve est que si, à l'automne 2000, M. Schembri a perdu tout ce qu'il avait gagné et qu'il avait des dettes envers des établissements de prêts et des particuliers, il était encore dans une situation financière difficile en avril 2001 lorsque la Commission l'a reçu en entrevue.
[41] Je ne pense pas qu'il soit nécessaire que la Commission ait utilisé l'expression _ difficultés financières _ dans ses notes d'entrevue ou dans sa décision pour que l'on puisse prouver qu'elle a examiné cette question. Lorsque, comme en l'espèce, il y a des notes d'entrevue qui montrent que la question a été soulevée, lorsqu'il est fait mention de dépendance au jeu et lorsque la Commission a réduit la pénalité à la suite de _ circonstances atténuantes _, la Commission doit avoir considéré ces affirmations comme étant des observations relatives à des difficultés financières et y avoir répondu.
DEVANT LE CONSEIL ARBITRAL
[42] Contrairement aux conclusions du juge Evans, je crois également que M. Schembri a effectivement soulevé la question des difficultés financières devant le conseil arbitral. Dans ses observations écrites du 4 juin 2001, il a écrit [TRADUCTION] _ Je me rends compte que je dois recommencer à zéro. Le plus dur pour moi actuellement est de me passer du jeu et de ne pas avoir d'argent. Je passe toute la journée au travail à y penser. Quel gâchis!! _. Dans le contexte de l'appel contre la pénalité de 75 % imposée par la Commission, le fait que M. Schembri dise au conseil arbitral qu'il doit recommencer à zéro et qu'il n'a pas d'argent doit avoir été un argument de difficultés financières.
[43] M. Schembri a soulevé la question de ses difficultés financières devant la Commission et la Commission a répondu à ces observations en réduisant la pénalité qu'elle avait auparavant imposée. Bien que M. Schembri ait soulevé la question des difficultés financières devant le conseil arbitral, la Commission avait déjà examiné cette question en évaluant le montant de la pénalité à imposer. Il est de jurisprudence constante qu'en l'absence d'une erreur de droit commise par la Commission ou la production d'une nouvelle preuve, le conseil arbitral ne peut pas substituer son appréciation de ce qu'est la pénalité appropriée à celle de la Commission.
[44] Il n'a pas été prouvé qu'une erreur de droit a été commise et aucune nouvelle preuve n'a été produite. En conséquence, le conseil arbitral a commis une erreur en intervenant dans l'évaluation du montant de la pénalité faite par la Commission. C'est à bon droit que le juge-arbitre a accueilli l'appel contre la décision du conseil arbitral. Cependant, le juge-arbitre a commis une erreur en réduisant la pénalité de 75 % imposée par la Commission à une pénalité de 10 %. Le juge-arbitre aurait dû au contraire rétablir la décision de la Commission.
CONCLUSION
[45] Je suis d'accord avec mes collègues que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. Cependant, je renverrais simplement l'affaire au juge-arbitre en chef pour qu'il procède à un nouvel examen et tienne compte du fait que l'appel contre la décision du conseil arbitral devrait être accueilli et la pénalité imposée par la Commission rétablie.
_ Marshall Rothstein _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean Maurice Djossou, LL.D.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-578-02
INTITULÉ : PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
c.
JOE SCHEMBRI
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 6 NOVEMBRE 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE EVANS
Y A SOUSCRIT : LE JUGE PELLETIER
MOTIFS CONCOURANTS : LE JUGE ROTHSTEIN
DATE DES MOTIFS : LE 4 DÉCEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Edwards POUR LE DEMANDEUR
Schembri POUR SON PROPRE COMPTE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg POUR LE DEMANDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
Schembri POUR SON PROPRE COMPTE
Windsor (Ontario)
Date : 20031204
Dossier : A-578-02
OTTAWA (ONTARIO), LE 4 DÉCEMBRE 2003
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE EVANS
LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
JOE SCHEMBRI
défendeur
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du juge-arbitre est annulée et l'affaire est renvoyée au juge-arbitre en chef ou à un juge-arbitre désigné par lui pour qu'il procède à un nouvel examen et tienne compte du fait que le juge-arbitre a commis une erreur de droit en réduisant la pénalité imposée par la Commission et que le conseil arbitral n'avait pas le pouvoir d'exonérer M. Schembri de la pénalité.
_ Marshall Rothstein _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean Maurice Djossou, LL.D.