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Date : 20010223

Dossier : A-739-99

Référence neutre : 2001 CAF 27

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                    FÉDÉRATION DES CAISSES POPULAIRES DESJARDINS

                              DE MONTRÉAL ET DE L'OUEST DU QUÉBEC

                                                                                                                               Appelante

                                                                    - et -

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                   Intimée

Audience tenue à Montréal, Québec, le mercredi 10 janvier 2001

Motifs du jugement rendus à Ottawa, Ontario, le vendredi 23 février 2001

MOTIFS DU JUGEMENT:                                                        LE JUGE DESJARDINS

Y A SOUSCRIT:                                                                                   LE JUGE DÉCARY

MOTIFS DISSIDENTS:                                                                           LE JUGE NOËL


Date : 20010223

Dossier : A-739-99

Référence neutre : 2001 CAF 27

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                    FÉDÉRATION DES CAISSES POPULAIRES DESJARDINS

                              DE MONTRÉAL ET DE L'OUEST DU QUÉBEC

                                                                                                                               Appelante

                                                                    - et -

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                   Intimée

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS


Cet appel est à l'encontre d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt ([1999] A.C.I. no 694, Lamarre, j.c.c.i.) laquelle a confirmé la décision du ministre du Revenu national (le "ministre") refusant à l'appelante le droit de déduire une somme de 752 640 $. Cette somme représente les contributions patronales afférentes aux indemnités de vacances gagnées par les employés de l'appelante au cours de l'année 1992, mais payables par elle dans une année subséquente. Les contributions patronales sont prélevées, pour une part, en vertu des lois suivantes qui les dénomment "cotisations": la Loi sur le régime de rentes du Québec, (L.R.Q. c. R-9), la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec, (L.R.Q. c. R-5), la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, (L.R.Q. c. A-3.001), et la Loi sur l'assurance-chômage, (L.R.C. 1985, c. U-1). Elles représentent également la partie des avantages sociaux que l'appelante doit payer en vertu d'un régime de pension créé par elle ainsi que d'un régime privé d'assurances collectives.

Le refus par le ministre d'accorder cette déduction pour l'année d'imposition 1992 affecte directement le report du crédit d'impôt à l'investissement réclamé par l'appelante pour l'année d'imposition 1989. L'appelante a donc fait également appel de la cotisation établie à l'égard de l'année 1989.


Il s'agit de déterminer en l'espèce si le montant de 752 640 $ représentant les cotisations patronales et les avantages sociaux que l'appelante est appelée à payer après le 31 décembre 1992, mais qui sont afférents aux indemnités de vacances accumulées par ses employés au cours de l'année 1992, constitue une dépense déductible selon les alinéas 18(1)a) et 18(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu (L.R.C. 1985 (5e supp.)), (la "Loi"). Tout au long de ces motifs, le terme "contributions patronales" désignera à la fois les cotisations patronales prélevées par les quatre lois en cause et les avantages sociaux prévus aux conventions collectives, sauf lorsque la structure législative des lois est en cause, auquel cas je n'utiliserai que le mot "cotisation" puisque, tel que dit plus haut, seul ce mot est utilisé.

1 - Les faits

Les faits ne sont pas contestés. Qu'il nous suffise d'en rappeler les éléments principaux que le premier juge a décrits aux paragraphes 3, 4, 5 et 6 de ses motifs.


Les employés techniques et professionnels de même que les employés de bureau de l'appelante sont régis par des conventions collectives. Aux termes de ces conventions collectives, les employés gagnent leurs vacances pendant la période de référence qui se situe entre le 1er mai et le 30 avril de chaque année. La période de référence doit être complétée avant que les employés puissent prendre leurs vacances et ces vacances doivent normalement être prises dans les 12 mois qui suivent la période de référence. Comme l'exercice financier de l'appelante se termine au 31 décembre de chaque année, les vacances gagnées au cours d'une période de référence peuvent être prises sur deux exercices financiers différents. Ainsi, les vacances accumulées entre le 1er mai 1992 et le 31 décembre 1992 doivent être prises entre le 1er mai 1993 et le 30 avril 1994. Les employés peuvent cependant conclure un arrangement avec leur supérieur immédiat pour reporter leurs vacances après la période normale de vacances. Ces mêmes règles s'appliquent pour les employés non syndiqués et les cadres tel qu'il est indiqué dans le guide des conditions de travail de ces employés.


Selon le témoignage de l'employeur, lorsque l'employé prend ses vacances, il reçoit pour chaque semaine de vacances un pourcentage (généralement 2 pour 100) de l'ensemble des gains de l'année de la période de référence. Ce pourcentage peut varier d'un employé à l'autre selon son degré d'ancienneté ou son niveau dans l'entreprise. Pour les vacances gagnées en 1992 par exemple, l'employé était rémunéré selon son salaire au moment où il prenait ses vacances en 1993 ou en 1994. Ainsi, au 31 décembre de chaque année, les employés ont accumulé des vacances qui n'ont pas été prises en cours d'année mais auxquelles ils ont droit. L'appelante évalue le montant des vacances à payer dans l'année subséquente à 8 pour 100 de la masse salariale de l'année courante, ce qui équivaut à environ quatre semaines de vacances annuelles pour chaque employé.

Au 31 décembre 1992, le montant de vacances à payer au cours de l'année subséquente a été établi à 3 010 560 $, soit 8 pour 100 de la masse salariale de 1992 qui s'élevait à 37 632 000 $. Ces indemnités pour les vacances gagnées qui n'avaient pas encore été payées en 1992 ont été enregistrées comme dépenses au cours de l'année 1992 et acceptées par le ministre. L'appelante, par ailleurs, a évalué le montant des contributions patronales afférentes à ces indemnités de vacances selon un taux pondéré pour l'année 1992 pour l'ensemble des régimes et des plans que l'appelante est tenue de payer. L'appelante a établi ce taux à 25 p.100 du montant des indemnités de vacances à payer au 31 décembre 1992 (25 % x 3 010 560 $), soit 752 640 $. Ce pourcentage se détaille comme suit selon la pièce A-4 déposée en preuve:

- Régime de pension                                                      8,10 %

- Assurance-chômage                                                    1,80 %

- Régime de rentes du Québec                           3,50 %

- Régime de santé du Québec                                        3,75 %

- Autres avantages

- Assurances collectives incluant:                        3,43 %

Vie de base

Vie de base MMA

Rente de survivant


Personne à charge

Frais hospitaliers

Soins dentaires

Soins visuels

Assurance longue durée

- C.S.S.T.                                                         0,44 %

- C.N.T.                                                            0,07 %

- Écart relatif aux assurances                  0,24 %    4,18 %

- - - - -     - - - - - -

- Taxe compensatoire incluant jetons

   de présence                                                                   2,67 %

- Jours de maladie et maternité               1,00 %     3,67 %          

- - - - -     - - - - - - -    

25,00%

L'intimée a refusé la déduction de ce montant de 752 640 $ dans le calcul du revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1992 parce que, selon elle, ce montant correspondait à une provision ou réserve pour obligation future ou éventuelle, et que l'appelante n'avait pas l'obligation de payer ce montant au 31 décembre 1992.


Selon ce raisonnement, la dépense de contributions patronales constitue une obligation conditionnelle parce qu'elle est conditionnelle au paiement des vacances elles-mêmes. L'intimée en déduit que la déduction de cette dépense est prohibée par l'alinéa 18(1)e) de la Loi. Elle a cependant reconnu l'obligation absolue et inconditionnelle de l'appelante de verser les salaires relatifs aux vacances à payer et, tel que mentionné précédemment, elle a accordé la déduction pour les vacances accumulées au cours de l'année d'imposition 1992.

2 - Le jugement frappé d'appel

Le raisonnement du premier juge se retrouve, pour l'essentiel, dans les paragraphes 55, 60 et 61 de ses motifs.

Le premier juge se déclare d'accord avec l'avocate de l'intimée pour dire que l'obligation de payer ces cotisations patronales ne prend naissance qu'au moment où les indemnités de vacances sont effectivement versées. Ce ne sont pas les services rendus par les employés qui donnent naissance à cette obligation. C'est le versement de leurs salaires qui, en vertu des différentes lois applicables, crée l'obligation pour l'employeur de verser les cotisations patronales qui s'y rattachent. On ne peut donc pas dire, toujours selon le premier juge, que l'obligation de payer ces cotisations est une obligation existante au cours de la période de référence.


Le premier juge affirme ensuite qu'une provision telle que définie par l'expert-comptable est une obligation potentielle évaluée à la date de l'arrêté des comptes, que des faits survenus ou en cours rendent probable. Cette obligation qui est nettement précise quant à sa nature, est incertaine quant à son montant et à la date où elle se réalisera. À la lumière de l'analyse faite plus haut, le premier juge se déclare d'avis que la somme de 752 640 $, qui a été estimée au 31 décembre 1992 en prévision des cotisations patronales à verser dans une année subséquente, constitue une provision au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi.


Par ailleurs, affirme le premier juge, l'obligation de payer ces cotisations patronales ne prenant pas naissance avant le versement des indemnités de vacances, il n'y a pas lieu de prétendre que l'appelante a engagé cette dépense au cours de l'année 1992. La somme de 752 640 $ n'est donc pas déductible non plus en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi au cours de l'année 1992. Le premier juge cite le juge Pratte dans l'affaire Newfoundland Light & Power Co. Ltd. c. The Queen (90 D.T.C. 6166 à la p. 6173) selon lequel, pour qu'une dépense puisse être engagée au sens de l'alinéa 18(1)a) pendant une année donnée, l'obligation de payer doit avoir pris naissance au cours de cette même année. Le juge Pratte, en rendant sa décision, déclare-t-elle, s'est appuyé entre autres sur la décision rendue dans l'affaire J.L. Guay Ltée c. M.N.R., confirmée par la Cour suprême du Canada, ([1971] C.F. 237 (C.F. 1re inst.) conf. 73 D.T.C. 5373 (C.A.F.) conf. 75 D.T.C. 5094 (C.S.C.)).

3 - Les dispositions législatives pertinentes

Les dispositions législatives sur lesquelles l'intimée s'appuie pour refuser la déduction sont l'article 9 et les alinéas 18(1)a) et 18(1)e) de la Loi, lesquelles se lisent ainsi:

9(1) Revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien - Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

18(1) Exceptions d'ordre général. Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles_:

a) Idem. - un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

...

e) Réserves, etc. - un montant au titre d'une provision, d'une éventualité ou d'un fonds d'amortissement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

                                                                      [Je souligne]

9(1) Income from business or property - Subject to this Part, a taxpayer's income for a taxation year from a business or property is his profit therefrom for the year.

18(1) General limitations. - In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of

(a) General limitation - an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property;

...

(e) [Reserves, etc.] - an amount as, or on account of, a reserve, a contingent liability or amount or a sinking fund except as expressly permitted by this Part;

                                                              [Emphasis added]

Il apparaît de ces textes que si l'appelante réussit à démontrer que les cotisations patronales en cause constituent un débours ou une dépense "fait ou engagé" par l'appelante en 1992, son droit à la déduction doit être retenu.


4 - Prétentions des parties

L'appelante s'appuie pour une part sur les principes commerciaux, mais surtout sur les énoncés de la Cour canadienne de l'impôt dans une décision rendue postérieurement à la décision frappée d'appel. Il s'agit de l'affaire Provigo Distributions Inc. c. Canada, ([2000] A.C.I. no 314), où la juge Lamarre Proulx , j.c.c.i., a retenu pour fins d'analyse, la distinction établie par la Cour suprême du Canada dans Canadien Pacifique Ltée c. P.G. (Can.), ([1986] 1 R.C.S. 678 aux pp. 682-83), entre l'imposition d'une cotisation et le paiement de cette cotisation. Cette distinction, soumet l'appelante, doit être retenue en l'espèce pour donner le même résultat que celui auquel en est arrivée la juge Lamarre Proulx dans l'affaire Provigo, soit un jugement en faveur de l'employeur.


L'intimée plaide essentiellement que la somme en litige n'est pas "engagée" durant l'année d'imposition 1992, tel que l'exige l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Elle prétend, comme l'a d'ailleurs reconnu le premier juge, que l'obligation de payer les cotisations patronales en cause ne prend naissance qu'au moment où les indemnités de vacances sont effectivement payées. Les cotisations patronales représentent une obligation conditionnelle suspensive. La somme à payer est une estimation, dit-elle, ce qui renforce l'idée qu'il s'agit d'un montant au titre d'une provision, tombant sur le coup de l'alinéa 18(1)e) de la Loi.

5 - Analyse

Selon la jurisprudence constante de notre Cour, une dépense n'est "engagée" au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi que lorsqu'il y a une obligation de payer une somme d'argent. Dans R. c. Burnco Industries Ltd. et al. (84 D.T.C. 6348 (C.A.F.)), le juge Pratte, au nom de la Cour, s'exprimait ainsi (version française de la Cour non rapportée):

   À notre avis, une dépense, au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu est une obligation de payer une somme d'argent. Une dépense ne peut être engagée par un contribuable qui n'est pas obligé de verser une somme d'argent à quelqu'un d'autre. Contrairement à ce qui a été décidé par la Division de première instance, l'obligation de faire quelque chose qui peut dans l'avenir entraîner la nécessité de verser une somme d'argent ne constitue pas une dépense. [Je souligne]


L'affaire Burnco fut reprise dans Northern and Control Gas Corporation Ltd. c. R. (85 D.T.C. 5144 (C.F. 1re inst.)) pp. 5149 -50) et dans Northwood Pulp and Timber Ltd. c. R. (98 D.T.C. 4640 (C.A.F.)). Par contre, dans Newfoundland Light and Power Co. Ltd. c. R. (90 D.T.C. 6166 (C.A.F.)), le juge Pratte, s'exprimant cette fois en son nom, précisait (version française de notre Cour non rapportée aux pp. 21-22):

En fait, pour qu'une dépense puisse être engagée pendant une certaine année, l'obligation de payer doit avoir pris naissance au cours de cette même année; de la même façon, il n'existe, pour un contribuable, aucun coût relié à un bien, tant que l'obligation de payer ce coût n'a pas pris naissance.               [Je souligne]

Il importe donc de déterminer à quel moment a pris naissance l'obligation de l'employeur à l'égard des contributions en cause puisqu'il faut déterminer à quel moment ces dépenses ont été "engagées" sur le plan fiscal. Il me faut donc vérifier le libellé des quatre lois en vertu desquelles les contributions patronales ("cotisations") en cause doivent être versées. Le premier juge n'avait pas devant elle les contrats établissant les obligations de l'appelante en vertu des régimes privés sur les fonds de pension ou les assurances collectives si bien qu'elle a dû les traiter comme si elles étaient régies par les lois, ce qu'elle déclare au paragraphe 54 de ses motifs. Je devrai donc en faire de même.

Avant de ce faire, il me faut cependant commenter l'affaire Canadien Pacifique Ltée c. P.G. (Can.), ([1986] 1 R.C.S. 678) citée par la juge Lamarre Proulx dans l'affaire Provigo Distributions Inc. c. Canada.


Il s'agissait pour la Cour suprême du Canada de déterminer si les pourboires perçus par Canadien Pacifique Ltée pour le compte de ses employés, et qui leur étaient par la suite remis par l'employeur, constituaient une rémunération au sens de la Loi sur l'assurance-chômage dans sa version alors applicable. Le ministre avait répondu par l'affirmative et avait pris ces montants en considération pour calculer les cotisations que devait payer l'employeur pour l'année 1978.

La Cour suprême du Canada s'appliqua d'abord à déterminer quels étaient les articles de la loi qui imposaient la cotisation et qui en fixaient les montants et quels étaient ceux qui en prescrivaient le mode de perceptions. Le juge-arbitre avait décidé que l'article 68 de la loi était celui qui définissait le montant des cotisations que devait payer l'employeur alors que la Cour d'appel fédérale était plutôt d'avis que la disposition applicable était l'article 66 de la loi. Le juge La Forest confirma la position de la Cour d'appel fédérale.


S'exprimant au nom de la majorité, le juge La Forest prit soin de noter que les titres, contrairement aux notes marginales, forment partie intégrante de la loi. Dans la Partie III de la loi intitulée "Cotisations" et ayant comme sous-titre "Détermination des cotisations", se trouvait l'article 62 qui donnait à la Commission d'assurance-chômage le pouvoir de fixer annuellement les taux de cotisation exprimés en pourcentages des "rémunérations assurables". Venait par la suite l'article 66 d'alors (devenu l'article 51) qui se retrouvait également dans la Partie III de la loi. Cet article, déclara le juge La Forest, était celui qui imposait les cotisations ouvrière et patronale et fixait le montant à payer. Le paragraphe 66(1), en effet, obligeait tout employé à payer la cotisation ouvrière. Le paragraphe 66(2) prévoyait en parallèle que tout employeur devait verser, à titre de cotisation patronale, une somme égale au pourcentage de la "rémunération assurable" de l'employé que fixait la Commission et précisait que la perception devait se faire "de la manière prévue à la Partie IV". Dans la Partie IV intitulée "Perception des cotisations", se trouvait, par contre, le paragraphe 68(1) qui prescrivait que l'employeur devait retenir sur la rémunération de ses employés les cotisations payables par ces derniers et devait les verser au receveur général avec la cotisation patronale au moment et de la manière que prescrivaient les Règlements.


Le juge La Forest s'appliqua par la suite à préciser le sens de l'expression "rémunération assurable" du paragraphe 66(2) de la loi. La "rémunération assurable" couvrait, selon lui, non seulement le salaire versé par l'employeur mais également les pourboires, bien que ceux-ci provenaient des clients de l'employeur et non de l'employeur lui-même. L'employeur devait donc calculer ses cotisations en fonction non seulement de la partie de la rémunération qui venait de l'employeur mais également de tous les pourboires perçus d'abord par l'employeur et remis par la suite à ses employés.

L'analyse du texte législatif de la Loi sur l'assurance-chômage, faite par le juge La Forest au nom de la majorité, et la distinction qui y fut établie entre un article qui impose une cotisation et un autre qui traite de la perception et de la remise de cette cotisation, furent retenues, comme je l'ai dit plus haut, par la juge Lamarre Proulx dans l'affaire Provigo.


Il s'agissait dans l'affaire Provigo de décider si le montant des cotisations patronales afférentes aux salaires était déductible dans le calcul du revenu de l'employeur pour l'année d'imposition où les salaires étaient gagnés ou pour celle où les salaires étaient versés. Les cotisations patronales en cause étaient celles prévues en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage, de la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec et de la Loi sur le régime de rentes du Québec. L'affaire ne portait pas sur les avantages sociaux dûs en vertu de régimes privés. De plus, le terme "cotisations patronales", qu'elle utilise, n'était pas limité, comme en l'espèce, aux contributions patronales afférentes aux indemnités de vacances.

Ayant noté la distinction faite par le juge La Forest, la juge Lamarre Proulx conclut au paragraphe 21 de ses motifs:

    Les lois en vertu desquelles les contributions patronales sont dues suivent le même plan, soit imposition de la cotisation et perception et remise de la cotisation. À l'instar de la Loi sur l'assurance-chômage, la Loi sur le régime de rentes du Québec et la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec expriment clairement que l'obligation de l'employeur relativement aux cotisations prend naissance en contrepartie de la prestation de travail d'un employé au cours d'une période de temps et en fonction de sa rémunération et non pas en fonction du versement du salaire. Les cotisations patronales peuvent donc être déduites dans l'année en cause en conformité avec les principes énoncés dans l'arrêt Burns (supra) et l'arrêt Canderel (supra). [Je souligne]

Cette décision fut portée en appel, mais l'intimée, qui était l'appelante, se désista par la suite de son appel.

En l'espèce, la structure législative décrite par les juges La Forest et Lamarre Proulx, et ayant trait à la cotisation patronale, se retrouve dans chacune des lois en cause, telles qu'elles se lisaient durant les années fiscales pertinentes 1992 et 1993. Ces articles sont d'abord reproduits.

Les articles 50, 52, 59 et 63 de la Loi sur le régime de rentes du Québec, et leurs titres, se lisaient comme suit:


                                  SECTION IV

                   CALCUL DES COTISATIONS

                             Cotisation du salarié

50. Le salarié doit, par déduction à la source, payer une contribution égale au produit de la moitié du taux de contribution pour l'année par le moindre des deux montants suivants:

a) le montant, pour l'année, de son salaire admissible que son employeur lui paie et de celui qu'il est réputé lui verser en vertu du deuxième alinéa de l'article 979.3 et de l'article 1015.2 de la Loi sur les impôts (L.R.Q., chapitre I-3), moins le montant prescrit de son exemption personnelle;

b) le maximum de ses gains cotisables pour l'année, moins le montant déterminé de la manière prescrite de son salaire payé par l'employeur et sur lequel une contribution a été versée pour l'année par ce salarié en vertu d'un régime équivalent.

                                 

                         Cotisation de l'employeur

52. L'employeur doit payer une contribution égale à celle que chacun de ses salariés est tenu de payer en vertu de l'article 50.

                                  DIVISION IV

           CALCULATION OF CONTRIBUTIONS

                         Contribution of Employee

50. Every employee shall, by deduction at source, make a contribution equal to the product of one-half of the rate of contribution for the year and the lesser of the two following amounts:

(a) his pensionable salary and wages for the year paid by his employer and the amount he is deemed to be paid by him under the second paragraph of section 979.3 and section 1015.2 of the Taxation Act (R.S.Q., chapter I-3), minus the prescribed amount of his personal exemption;

(b) his maximum contributory earnings for the year, minus such amount as is determined in prescribed manner to be his salary and wages paid by such employer on which a contribution has been made for the year by the employee under a similar plan.

                         Contribution of Employer

52. The employer must make a contribution equal to the contribution which each of his employees is required to make under section 50.

                          SECTION VI

               PERCEPTION DES COTISATIONS

                            SUR LES SALAIRES

                            Déduction à la source

59. L'employeur doit déduire de la rémunération qu'il paie à son salarié pour un travail visé le montant prescrit à titre de contribution du salarié. Il doit également effectuer cette déduction lorsque le paiement de la rémunération résulte d'un jugement.

                            Remise des cotisations

63. Tout employeur doit payer au ministre, aux dates, pour les périodes et suivant les modalités prévues à l'article 1015 de la Loi sur les impôts (L.R.Q., chapitre I-3), un montant égal au plus élevé du montant qu'il a déduit ou de celui qu'il était tenu de déduire ainsi que le montant prescrit qu'il est lui-même tenu de verser à l'égard de chaque salarié.

                                  DIVISION VI

             COLLECTION OF CONTRIBUTIONS

                      ON SALARY AND WAGES

                             Deduction at Source

59. An employer shall deduct from the remuneration paid to his employee for pensionable employment such amount as is prescribed on account of the employee's contribution. He shall also make such a deduction where the payment of remuneration results from a judgment.

                         Payment of Contributions

63. On the dates, for the periods and according to the terms and conditions prescribed in section 1015 of the Taxation Act (R.S.Q., chapter I-3), every employer shall pay to the Minister an amount equal to the higher of the amount he has deducted and the amount he was required to deduct together with the prescribed amount required to be paid by him with respect to each employee.

L'article 34 de la Loi sur l'assurance-maladie du Québec n'était, à l'époque, coiffé d'aucun titre, et se lisait comme suit:

34. Tout employeur doit, aux dates, pour les périodes et suivant les modalités prévues à l'article 1015 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), payer au ministre du Revenu une contribution égale à 3,75% du salaire qu'il verse et de celui qu'il est réputé verser en vertu du deuxième alinéa de l'article 979.3 et de l'article 1015.2 de cette loi à son employé qui se présente au travail à son établissement au Québec ou à qui ce salaire, si l'employé n'est pas requis de se présenter au travail à un établissement de son employeur, est versé ou réputé versé d'un tel établissement au Québec.        

34. On the dates, for the periods and according to the terms and conditions prescribed in section 1015 of the Taxation Act, (R.S.Q., chapter I-3), every employer shall pay to the Minister of Revenue a contribution equal to 3.75% of the wages that he pays and that he is deemed to pay under the second paragraph of section 979.3 and section 1015.2 of the said Act to his employee who reports for work at his establishment in Québec or to whom those wages, if the employee is not required to report for work at an establishment in Québec, are paid or deemed paid from such an establishment in Québec.


L'article 48, les paragraphes 50(1), 51(2), 51(3), 53(1) et 2(1) de la Loi sur l'assurance-chômage, et leurs titres, se lisaient comme suit:

                                    PARTIE II

                                COTISATIONS

                      Détermination des cotisations

48(1) Pour chaque année, la Commission fixe, sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil, les taux de cotisation que les personnes exerçant un emploi assurable et leurs employeurs devront verser au cours de l'année pour couvrir le coût de base réajusté des prestations de la présente loi au cours de l'année, déterminé en vertu de l'article 49.

(2) Les taux de cotisation d'une année sont exprimés en pourcentages des rémunérations assurables de l'année et le pourcentage des cotisations ouvrières de l'année est le même pour tous les assurés.

(3) Le pourcentage des rémunérations assurables d'une année représentant les cotisations patronales de l'année est déterminé conformément à l'article 50.

50(1) La cotisation patronale que doit verser au cours d'une année un employeur d'un assuré est égale à 1,4 fois la cotisation ouvrière pour cette année, à moins qu'un autre taux de cotisation ne soit prévu pour une année en application du présent article.

51(2) Tout employeur doit, pour toute semaine au cours de laquelle une personne exerce à son service un emploi assurable, payer pour cette personne et de la manière prévue à la partie III une somme égale au pourcentage de sa rémunération assurable que fixe la Commission à titre de cotisation patronale payable, selon le cas, par les employeurs ou par une catégorie d'employeurs dont cet employeur fait partie pour l'année dans laquelle est comprise cette semaine.

                                      PART II

                  CONTRIBUTORY PREMIUMS

                           Determining Premiums

48(1)In respect of each year, the Commission shall, subject to approval by the Governor in Council, fix the rates of premium that persons employed in insurable employment and the employers of those persons will be required to pay in that year to raise an amount equal to the adjusted basic cost of benefit under this Act in that year as that cost is determined under section 49.

(2) The rates of premium for a year shall be calculated in terms of a percentage of the insurable earnings in that year and the employees' premiums for that year shall be a like percentage for all insured persons.

(3) The percentage of insurable earnings for a year that will constitute the employers' premiums for that year shall be determined in accordance with section 50.

50(1) Unless another rate of premium is provided for a year pursuant to this section, the employer's premuim to be paid in a year by an employer of an insured person shall be 1.4 times the employee's premium for that year.

51(2) Every employer shall, for every week during which a person is employed by him in insurable employment, pay, in respect of that person and in the manner provided in part III, an amount equal to such percentage of that person's insurable earnings as fixed by the Commission as the employer's premium payable by employers or a class of employers of which the employer is a member, as the case may be, for the year in which that week occurs.

51(3) Nonobstant les paragraphes (1) et (2), lorsqu'une rémunération assurable est versée à une personne au cours d'une année qui suit celle où elle a exercé son emploi assurable, tout l'emploi assurable est réputé, pour le calcul de la rémunération assurable et des cotisations payables à cet égard, avoir eu lieu dans l'année de versement de la rémunération assurable.

51(3) Notwithstanding subsections (1) and (2), where insurable earnings are paid to a person in a year following the year in which his insurable employment occurred, all that insurable employment shall, for the purposes of calculating insurable earnings and premiums payable in respect thereof, be deemed to have occurred in the year in which the insurable earnings are paid.


                                    PARTIE III

               PERCEPTION DES COTISATIONS

53(1) Tout employeur qui paie une rétribution à une personne exerçant à son service un emploi assurable est tenu de retenir sur cette rétribution la cotisation ouvrière payable par cet assuré en vertu de l'article 51 pour la ou les semaines pour lesquelles cette rétribution est payée et est tenu de la verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de cet article, au moment et de la manière prescrits.

                                      PART III

                  COLLECTION OF PREMIUMS

53(1) Every employer paying remuneration to a person employed by him in insurable employment shall deduct from that remuneration an amount equal to the employee's premium payable by that insured person under section 51 for any week or weeks in respect of which that remuneration is paid and remit it together with the employer's premium payable by the employer under that section for such week or weeks to the Receiver General, at such time and in such manner as is prescribed.

DÉFINITIONS ET INTERPRÉTATION

2(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« année » Année civile.

« rémunération assurable » Relativement à une période quelconque, soit le total de la rémunération d'un assuré provenant de tout emploi assurable pour cette période, soit le maximum de la rémunération assurable pour cette période tel que prescrit en vertu de la présente loi, si ce maximum est inférieur au total.

INTERPRETATION

2(1) In this Act,

"year" means calendar year

"insurable earnings" means, in relation to any period, the total amount of the earnings from insurable employment for that period of an insured person or the maximum insurable earnings for that period as prescribed by or under this Act, whichever is the lesser;

Les articles 281, 290, 292, 305, 306, 315, de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, et leurs titres, se lisaient comme suit:

                                           CHAPITRE IX

                                                       FINANCEMENT

                                                           SECTION 1

                                        DISPOSITIONS GÉNÉRALES

281. La Commission perçoit des employeurs les sommes requises pour l'application de la présente loi.

                                                         CHAPTER IX

                                                          FINANCING

                                                           DIVISION 1

                                                GENERAL PROVISIONS

281. The Commission shall collect from employers the sums required for the administration of this Act.


                                   SECTION II

             DÉCLARATION DES EMPLOYEURS

                                 ET REGISTRE

290. L'employeur transmet à la Commission un avis écrit de son identité et des nom et adresse de chacun de ses établissements dans les 14 jours du début de ses activités.

   Dans les 60 jours du début de ses activités, il lui transmet notamment, pour chacun de ses établissements, les renseignements suivants:

     1o la nature de ses activités;

   2o une estimation des salaires bruts qu'il prévoit payer à ses travailleurs jusqu'au 31 décembre suivant.

                                   DIVISION II

              STATEMENTS TO BE FURNISHED

               BY EMPLOYERS, AND REGISTER

290. An employer shall forward to the Commission a written notice of his identity and the name and address of each of his establishments within 14 days after the beginning of his activities.

   Within sixty days after the beginning of his activities, he shall forward to the Commission, for each of his establishments, the following information:

     (1) the nature of his activities;

     (2) an estimate of the gross wages that he expects to pay to his workers until the following 31 December.

292. L'employeur transmet chaque année à la Commission, avant le 1er mars, un état qui indique, notamment, pour chacun de ses établissements::

    1o le montant des salaires bruts gagnés par ses travailleurs au cours de l'année civile précédente; et

     2o une estimation des salaires bruts qu'il prévoit payer à ses travailleurs pendant l'année civile en cours.

L'exactitude de cet état est attestée par une déclaration signée par l'employeur ou son représentant qui a une connaissance personnelle des matières qui y sont mentionnées.

  

292. An employer shall transmit to the Commission every year, before 1 March, a statement indicating the following particulars for each of his establishments:

   (1) the amount of the gross wages earned by his workers during the preceding calendar year, and

     (2) an estimate of the gross wages he expects to pay to his workers during the current calendar year.

The correctness of the statement is attested by a declaration signed by the employer or his representative who has personal knowledge of the matters mentioned therein.

                                                          SECTION IV

                                 FIXATION DE LA COTISATION

305. La Commission cotise annuellement l'employeur au taux applicable à l'unité dans laquelle il est classé ou, le cas échéant, au taux personnalisé qui lui est applicable et lui indique le montant de sa cotisation pour chacun de ses établissement.

   Cependant, elle peut prendre entente avec un employeur à l'effet de le cotiser plus d'une fois par année et de prévoir à cette fin des modalités d'application relatives à la transmission des déclarations et au paiement de la cotisation autres que celles qui sont prévues par les sections II et V du présent chapitre.

                                                          DIVISION IV

                                            FIXING OF ASSESSMENT

305. The Commission shall assess every employer annually at the rate applicable to the unit under which he is classified or, as the case may be, at the personalized rate applicable to him, and indicate to him the amount of his assessment for each of his establishments.

   Notwithstanding the first paragraph, the Commission may make an agreement with an employer to assess him more than once a year and set down for that purpose modalities of application respecting the transmission of statements and the payment of the assessment other than those prescribed in Divisions II and V of ths chapter.


306. La Commission calcule le montant d'une cotisation à partir de l'estimation faite par l'employeur des salaires qu'il prévoit devoir payer pendant l'année en cours et ajuste le montant de la cotisation de l'année précédente à partir de la déclaration faite par l'employeur du montant des salaires qu'il a payés pendant cette année.

306. The Commission shall compute the amount of an assessment on the basis of the amount that the employer estimates he will expend for wages during the current year and adjust the amount of the assessment for the preceding year on the basis of the statement made by the employer of the amount of wages that he paid during that year.

                                                           SECTION V

                               PAIEMENT DE LA COTISATION

315. L'employeur doit payer à la Commission le montant de sa cotisation dans les 30 jours qui suivent la mise à la poste de l'avis de cotisation.

   Cependant, la Commission peut permettre le paiement de la partie de la cotisation dont elle calcule le montant à partir de l'estimation que l'employeur lui a transmise conformément au paragraphe 2o de l'article 292 en un maximum de six versements mensuels, incluant le montant des intérêts dûs pour cet échelonnement.

   L'employeur qui n'acquitte pas à l'échéance la partie de la cotisation due pour l'année précédente ne peut se prévaloir du deuxième alinéa..

                                                           DIVISION V

                             PAYMENT OF THE ASSESSMENT

315. The employer shall pay the amount of his assessment to the Commission within thirty days after the mailing of the notice of assessment.

   Notwithstanding the first paragraph, the Commission may allow that part of the assessment that it computes on the basis of the estimate which the employer transmits to it in accordance with subparagraph 2 of section 292 to be paid in a maximum of 6 monthly payments, including the amount of interest due for the staggering of payments.

   If an employer fails to pay the part of the assessment due for the previous year on the due date, he is not entitled to avail himself of the second paragraph.


Reprenant la description que donnait le juge La Forest, les articles 50 et 52 de la Loi sur le régime de rentes du Québec traitent de l'imposition de la cotisation alors que les articles 59 et 63 de cette même loi traitent de sa perception et de sa remise. Le renvoi à l'article 1050 de la Loi sur les impôts, (L.R.Q. c. I-3) et au règlement applicable, que l'on retrouve à l'article 63, fait en sorte qu'en général le versement à l'égard d'une rémunération versée au cours d'un mois doit se faire au plus tard le quinzième jour du mois suivant (Règlement sur les impôts, no 1015 R 14.1 et s.). L'article 34 de la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec traite à la fois de l'imposition et de la remise de la cotisation patronale. Dans la Loi sur l'assurance-chômage, les articles 48, 50 et 51, qui imposent et fixent les cotisations, se retrouvent dans la Partie II de la Loi intitulée "Cotisations", alors que l'article 53, qui traite de la perception" se retrouve dans la Partie III intitulée "Perception des cotisations". Enfin, les articles 305 et 315 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles traitent de la fixation et du paiement de la cotisation patronale, mais l'employeur inscrit au registre en vertu des articles 281, 290 et 292 est déjà engagé envers la Commission de la santé et de la sécurité au travail aux paiements des sommes fixées.


Il ressort clairement de ces textes - et c'est là, à mon avis, l'opinion établie par le juge La Forest - qu'il faut faire une distinction entre le moment où l'obligation de l'employeur de contribuer au régime prend naissance et le moment où l'employeur doit exécuter cette obligation. L'obligation de contribuer prend naissance dès lors qu'il y a une prestation suffisante de services. Les lois pertinentes en l'espèce ont une portée sociale dont le but est d'assurer qu'un employé, en échange du travail accompli, reçoive des avantages et des indemnités proportionnels au travail accompli. Les régimes mis en place par le législateur, fut-il fédéral ou provincial, s'appuient sur le principe d'une contribution qui est imposée conjointement à l'employeur et à l'employé dès qu'une prestation suffisante de services est fournie. Elle n'est cependant exigible ou payable qu'à une date subséquente, celle qui suit le versement du salaire, par exemple, ou celle qui suit le moment où l'employé prend ses vacances, ou encore dans les jours qui suivent la réception d'un avis de cotisation. Les variations d'une loi à l'autre, dans les modalités et le moment des paiements, n'importent pas cependant puisque les parties, en l'espèce, sont convenues que la solution retenue sera la même quelle que soit la loi en cause. Mais ce que ces lois indiquent clairement, à mon sens, c'est que l'engagement de l'employeur à payer sa contribution, prend naissance bien avant le versement de l'indemnité de vacances.


C'est pourquoi je n'interprète pas le paragraphe 51(3) de la Loi sur l'assurance-chômage comme ayant la portée que lui donne mon collègue le juge Noël aux paragraphes 41, 42 et 43 de ses motifs. Tel qu'en fait foi son libellé, le paragraphe 51(3) écarte l'application des paragraphes (1) et (2), "pour le calcul de la rémunération assurable et des cotisations payables à cet égard". L'exercice de l'emploi assurable est donc, pour fin de calcul seulement, réputé avoir eu lieu dans l'année (civile : voir paragraphe 2(1)) des versements de la rémunération assurable. Les cotisations ouvrière et patronale n'en prennent pas moins naissance au moment où l'exercice de cet emploi assurable a donné lieu à l'acquisition de l'indemnité de vacances, même si la rémunération assurable et les cotisations payables sont calculées comme si l'exercice de cet emploi assurable avait eu lieu dans l'année civile de versement de la rémunération assurable.

Cette fiction légale établie par le paragraphe 51(3) est clairement délimitée par le texte. Elle n'efface pas la réalité. Elle n'empêche pas la création de la dette ou de la rémunération assurable, laquelle est juridiquement née lors de l'acquisition de l'indemnité de vacances en 1992. La méthode de calcul permet cependant de tenir compte des changements et des augmentations de salaire qui peuvent survenir d'une année civile à l'autre. Ainsi, tel que relaté au paragraphe 6 de mes motifs, pour les vacances gagnées en 1992, l'employé était rémunéré selon son salaire au moment où il prenait ses vacances en 1993 ou en 1994.


Les conventions collectives qui régissent les employés en cause indiquent d'ailleurs clairement le moment où l'indemnité de vacances s'acquiert.    En l'espèce, elles régissent les employés techniques et professionnels de même que les employés de bureau. Les mêmes règles s'appliquent, cependant, pour les employés non syndiqués et pour les cadres, selon le guide des conditions de travail de ces employés. Les principes qui sous-entendent ces conventions collectives se retrouvent d'ailleurs dans les lois du travail, qu'elles soient provinciales (Loi sur les normes du travail, L.R.Q. c. N-1.1 art. 66 et s.) ou fédérale (Code canadien du travail L.R.C. 1985, c. L-2, art. 183 et s.).

Le paragraphe 15.01(2) de la convention collective des employés techniques et professionnels, lequel fait partie de l'article 15 intitulé "Vacances annuelles" (dossier d'appel, vol. I aux pp. 93-94), déclare qu'un employé a droit aux jours de vacances payés selon certaines normes. Il se lit comme suit:

15.01 RÉGIME

[...]

2. Tout employé couvert par la convention collective a droit aux jours de vacances payés selon les normes ci-après:

a) Un employé ayant moins d'un (1) an de durée de service a droit à un jour et quart (1 1/4) pour chaque mois de service, avec un maximum de quinze (15) jours ouvrables rémunérés à raison de 6% des gains au 30 avril de l'année courante.

   Tout employé n'ayant pas complété un (1) an de durée de service pourra compléter ses vacances par un congé sans solde. La période avec ou sans solde ne pourra excéder trois (3) semaines.

b) Un employé ayant complété un (1) an de durée de service mais moins de cinq (5) a droit à quinze (15) jours ouvrables de congés rémunérés au salaire hebdomadaire régulier.

c) Un employé ayant complété cinq (5) ans de durée de service mais moins de seize (16) ans a droit à vingt (20) jours ouvrables de congés rémunérés au salaire hebdomadaire régulier.

d) Un employé ayant complété:

- seize (16) ans de durée de service a droit à 21 jours ouvrables de congés rémunérés au salaire hebdomadaire régulier;

- dix-sept (17) ans de durée de service a droit à 22 jours ouvrables de congés rémunérés au salaire hebdomadaire régulier;

- dix-huit (18) ans de durée de service a droit à 23 jours ouvrables de congés rémunérés au salaire hebdomadaire régulier;

- dix-neuf (19) ans de durée de service a droit à 24 jours ouvrables de congés rémunérés au salaire hebdomadaire régulier;

- vingt (20) ans de durée de service a droit à 25 jours ouvrables de congés rémunérés au salaire hebdomadaire régulier.

[...]

Les autres paragraphes de cet article contiennent des modalités d'application de ce régime. Vient ensuite le paragraphe 15.07 qui a trait au versement de l'indemnité de vacances et qui se lit comme suit:

15.07 VERSEMENT DE L'INDEMNITÉ

Avant le départ pour ses vacances, l'employé reçoit l'ensemble de la rémunération qui lui est due.


Le paragraphe 15.08 traite du versement de l'indemnité de vacances en cas de départ volontaire, de congédiement ou de décès de l'employé, et se lit comme suit:

15.08 CESSATION D'EMPLOI-INDEMNITÉ POUR VACANCES

En cas de départ volontaire, de congédiement ou de décès d'un employé, tous ses crédits de vacances accumulés seront payés en entier à l'employé ou à sa succession, suivant le calcul prévu à la clause 15.01 de la convention collective.

L'employé ayant moins d'un an de durée de service, par exemple, a acquis un jour et quart de vacances payées pour chaque mois de service. Dès que ce premier mois de service est complété, l'appelante lui doit un jour et quart d'indemnité de vacances. S'il arrive par la suite que l'employé quitte volontairement son travail, qu'il soit congédié ou qu'il décède, tous ses crédits de vacances sont payables à lui ou à sa succession.

Il s'ensuit que dès que les indemnités de vacances sont gagnées, l'obligation de verser les contributions patronales prend naissance. Les indemnités de vacances seront versées plus tard et la remise des contributions patronales se fera dans les quinze jours qui suivront. La dette de l'employeur, cependant, envers la Commission de l'assurance-chômage et les diverses régies provinciales, est "engagée" depuis le jour où l'indemnité de vacances a été acquise.


Mon interprétation rejoint celle qu'adopte l'intimée elle-même eu égard aux indemnités de vacances. L'intimée accepte, en effet, qu'en l'espèce, les indemnités de vacances qui ont toutes été accumulées par les employés de l'appelante au cours de l'année 1992 constituaient, en 1992, une dette envers ces employés même si cette dette n'est pas encore liquidée. Le premier juge endossait également cette proposition puisqu'elle affirme au paragraphe 53 de ses motifs:

[...] C'est pourquoi ces indemnités de vacances, même si elles sont estimées, ne constituent pas une provision au sens de l'alinéa 18(1)(e). Elles ne constituent pas une obligation potentielle de l'employeur. Il s'agit d'une obligation juridique réelle qui existe au cours de l'année de référence mais qui sera payée dans une année future. On peut donc dire que la dépense reliée à ces indemnités de vacances a été engagée au cours de l'année de référence et est donc déductible dans le calcul du bénéfice pour l'année aux termes de l'article 9 et de l'alinéa 18(1)a) de la Loi.     [Je souligne]

L'intimée et le premier juge, à mon sens, ne tiennent pas compte, cependant, du rattachement qui existe entre l'indemnité de vacances et les contributions patronales. Dès que l'obligation juridique relative aux vacances futures devient réelle, l'obligation relative aux contributions patronales le devient aussi. L'une ne va pas sans l'autre.

Avec égard, je ne puis partager la conclusion à laquelle en est arrivé le premier juge au paragraphe 55 de ses motifs, lorsqu'elle affirme que:


[...] l'obligation de payer ces contributions patronales ne prend naissance qu'au moment où les indemnités de vacances seront effectivement versées. Ce ne sont pas les services rendus par les employés qui donnent naissance à cette obligation. C'est le versement de leurs salaires qui, en vertu des différentes lois applicables, créent l'obligation pour l'employeur de verser les contributions patronales qui s'y rattachent. On ne peut donc pas dire, comme le prétend l'avocat de l'appelante, que l'obligation de payer ces contributions est une obligation existante au cours de la période de référence.                         [Je souligne]

ou encore lorsqu'elle dit aux paragraphes 59, 60 et 61 de ses motifs que "l'obligation de payer les contributions patronales à l'égard des indemnités de vacances à payer après la période de référence constitue une obligation potentielle future, telle que définie en droit" et qu'il s'agit non pas d'une dépense "engagée" en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, mais plutôt d'une provision au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi.

Selon les lois pertinentes, l'obligation pour l'employeur de payer ces cotisations est imposée au moment où l'indemnité de vacances est gagnée. Ce sont les services rendus par les employés qui donnent naissance à l'indemnité de vacances (qu'on pourrait aussi appeler le salaire de vacances) laquelle était entièrement gagnée en 1992. Le versement de l'indemnité lors de la prise des vacances par l'employé, en 1993, donnera simplement lieu à la remise de la cotisation patronale. Mais la "dépense" est déjà engagée au terme de l'alinéa 18(1)a) de la Loi.


Les contributions patronales constituent une obligation réelle, une obligation existante et non une obligation potentielle. Cette obligation est à ce point existante et réelle que si l'employé, au lieu de prendre ses vacances au moment voulu, démissionne ou est congédié, ou qu'il décède, l'indemnité (gagnée) devient payable parce que la dette est juridiquement née. Sans doute la somme n'est pas toujours liquidée, mais elle ne l'est pas non plus dans le cas de l'indemnité de vacances, ce qui n'a pas empêché l'intimée de l'admettre à titre de dépense déductible.

La contribution patronale est une obligation à terme en ce qu'elle ne deviendra payable qu'au moment de la prise de vacances, ou au moment de la démission, du congédiement ou du décès de l'employé. Mais elle n'est pas une obligation conditionnelle suspensive.

Jean-Louis Baudouin, maintenant juge de la Cour d'appel du Québec, explique ainsi la différence entre le terme et la condition dans son livre intitulé Théorie générale des obligations (5e éd., Montréal, Yvon Blais, 1998, p. 452, par. 573):

Toute comme la condition, le terme est un événement futur mais, à la différence de celle-ci, c'est un événement qui est de réalisation certaine. Le terme peut être fixe ou non selon que, dès le moment de la conclusion de l'obligation, la date d'échéance est connue et déterminée ou qu'elle ne l'est pas. Payer dans un an est donc un terme fixe ou déterminé, alors que payer au décès d'une personne ne l'est pas puisque, même s'il est sûr que cette personne décédera, la date exacte de sa mort reste indéterminée. La jurisprudence, sous le régime du Code civil du Bas-Canada, a éprouvé parfois certaines difficultés à distinguer le terme de la condition, le premier étant parfois stipulé à la façon d'une condition.                                    [Je souligne]


Dans le cas de l'appelante, son obligation de payer les contributions patronales est réelle, mais à terme indéterminé. Ainsi, l'obligation de payer est suspendue jusqu'au paiement des vacances. À cet égard, le juge Baudouin explique, dans son même livre (p. 454, par. 575):

Le terme suspensif n'affecte en rien la création de l'obligation, il ne fait qu'en différer l'exigibilité. Contrairement à l'obligation sous condition suspensive, et tout comme l'obligation sous condition résolutoire, l'obligation à terme prend donc naissance immédiatement, de la même façon que l'obligation pure et simple, et a donc une vie juridique véritable pendant toute la période allant de sa création à l'échéance.                           [Je souligne]

(et à la p. 458, par. 584):

À la différence du terme, la condition est un événement extrinsèque futur, mais incertain, dont dépend la naissance (condition suspensive) ou l'extinction (condition résolutoire) d'une obligation (art. 1497 C.c.).                                     [Je souligne]

Le professeur M. Tancelin, dans son traité Des obligations: actes et responsabilités, (6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1997, p. 233, par. 462) indique ceci:

[...] La condition a un trait commun avec le terme; c'est un événement futur. Mais l'analogie s'arrête là car la condition est un événement futur dont la réalisation est incertaine. En outre cet événement commande l'existence même de l'obligation soit qu'il en suspende la formation (condition suspensive), soit qu'il en résilie les effets (condition résolutoire).                                                                              [Je souligne]

Nous sommes loin d'une "provision" au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi. Dans un document de l'Ordre des comptables agréés du Québec (vol. 2, no 4) intitulé Terminologie comptable, on retrouve la définition suivante:

En comptabilité, on entend par provision la constatation comptable de la diminution de valeur d'un élément d'actif (par exemple, la provision pour dépréciation des valeurs mobilières) ou de l'augmentation du passif exigible à plus ou moins long terme (par exemple, la provision pour risques et charges), précise quant à sa nature mais incertaine quant à sa réalisation, et que des événements survenus ou en cours rendent prévisible à la date de l'établissement du bilan.            [Je souligne]


Une provision n'existe que si la réalisation de la dépense est incertaine, ce qui n'est pas le cas pour la contribution patronale.

La contribution patronale afférente à une indemnité de vacances gagnée en 1992 n'est pas assimilable à la contribution patronale afférente à une période de salaire gagnée en 1993.

L'appelante a aussi plaidé qu'elle utilise la comptabilité d'exercice qui permet à une entreprise de déduire, de son revenu de l'année, les dépenses encourues (mas non payées) dans l'année afin de produire le revenu. Il devient alors important, soumet-elle, de pouvoir déduire chacune des dépenses encourues pendant l'année afin de dresser un portrait exact de sa situation financière. Bien que le versement des contributions patronales est effectué au moment du paiement de l'indemnité de vacances, affirme-t-elle, les règles liées à la comptabilité d'exercice prescrivent qu'une telle dépense doit être déduite dans l'année pendant laquelle la dépense est encourue, soit durant l'année d'imposition 1992, au moment où les vacances ont été gagnées.


La conclusion de droit à laquelle j'en arrive permet à l'appelante de calculer son revenu conformément aux principes commerciaux reconnus donnant ainsi une image fidèle de son bénéfice pour l'année. Le droit en l'espèce est compatible avec les principes commerciaux reconnus (Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, par. 29-42).

6 - Conclusion

J'accueillerais cet appel avec dépens devant nous et devant la Cour canadienne de l'impôt, et j'annulerais le jugement rendu par la Cour canadienne de l'impôt. Conformément à l'alinéa 170(1)a) de la Loi, j'admettrais l'appel de l'appelante à l'encontre des cotisations du ministre du Revenu national et je déférerais les cotisations à ce dernier afin qu'il émette de nouveaux avis de cotisation accordant à l'appelante une déduction de 752 640 $ pour ses contributions patronales lors de son année d'imposition 1992 et en ajustant en conséquence son crédit d'impôt à l'investissement pour son année d'imposition 1989.

                                                                                "Alice Desjardins"            

                                                                                                     j.c.a.

"Je suis d'accord.

Robert Décary, j.c.a."


Date : 20010223

Dossier : A-739-99

Référence neutre : 2001 CAF 27

Coram :            LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

Entre :

FÉDÉRATION DES CAISSES POPULAIRES DESJARDINS

            DE MONTRÉAL ET DE L'OUEST DU QUÉBEC

                                                                                             Appelante

                                                  - et -

                                SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                 Intimée

                               MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

Il s'agit d'un appel de la décision de Madame le juge Lamarre de la Cour canadienne de l'impôt, publiée à 99 D.T.C. 1275, par laquelle elle rejeta l'appel de l'appelante et maintint les cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu [la « Loi » ] [S.C. 1970-71-72, ch. 63 telle qu'applicable à l'année d'imposition 1992 de l'appelante] pour les années d'imposition 1989 et 1992.


La cotisation pour l'année d'imposition 1992 avait comme effet le refus de la déduction d'un montant de 752 640 $ représentant les contributions patronales et la portion des avantages sociaux afférentes aux indemnités de vacances gagnées par ses employés au cours de l'année 1992, mais payées après le 31 décembre de cette année soit après la clôture de son année d'imposition laquelle coïncide avec l'année civile. L'ajustement pour l'année d'imposition 1989 est fonction du bien fondé de la cotisation pour l'année d'imposition 1992.

La question en litige est celle de déterminer si la première juge était en droit de conclure que la déduction du montant de 752 640 $ dans le calcul du revenu de l'appelante pour son année d'imposition 1992 était prohibée par les alinéas 18(1)a) et 18(1)e) de la Loi.

Les faits


Les employés de l'appelante sont régis par une politique selon laquelle ceux-ci accumulent leurs vacances pendant une période de référence se situant entre le 1er mai et le 30 avril de chaque année. Les employés doivent ensuite prendre leurs vacances dans les 12 mois qui suivent la période de référence. Au moment où les employés de l'appelante prennent leurs vacances, ceux-ci reçoivent pour chaque semaine de vacances un montant équivalant à 2% de l'ensemble de leurs gains de l'année de la période de référence.

Pour son exercice financier se terminant le 31 décembre 1992, l'appelante a enregistré comme une dépense la somme de 3 010 560 $ à titre de montant de vacances à payer au cours de l'année 1993. Ce montant de 3 010 560 $ représente 8% de la masse salariale de 1992 qui s'élevait à 37 632 000 $, ce qui représente environ 4 semaines de vacances annuelles par employé. L'appelante a déduit, pour son année d'imposition 1992, ce montant de 3 010 560 $ pour les vacances accumulées mais non encore payées en 1992. Cette déduction fut acceptée par l'intimée.    En effet, comme l'a expliqué la première juge au paragraphe 53 de ses motifs:

Les employés acquièrent leurs vacances au cours de l'année de référence. Ils ne pourront par contre prendre ces vacances qu'après l'expiration de cette période de référence. C'est au cours de cette même année de référence toutefois que l'obligation de payer les indemnités de vacances prend naissance pour l'appelante vis-à-vis de ses employés et cette obligation subsiste jusqu'à ce que ces montants soient acquittés dans l'année qui suit la période de référence. C'est pourquoi ces indemnités de vacances, même si elles sont estimées, ne constituent pas une provision au sens de l'alinéa 18(1)e). Elles ne constituent pas une obligation potentielle de l'employeur. Il s'agit d'une obligation juridique réelle qui existe au cours de l'année de référence mais qui sera payée dans une année future. On peut donc dire que la dépense reliée à ces indemnités de vacances a été engagée au cours de l'année de référence et est donc déductible dans le calcul du bénéfice pour l'année aux termes de l'article 9 et de l'alinéa 18(1)a) de la Loi.


L'appelante a par ailleurs estimé à 752 640 $ le montant des contributions patronales afférentes aux indemnités de vacances selon un taux pondéré de 25% du montant des indemnités de vacances payables après le 31 décembre 1992, soit 25% de      3 010 560 $. Les contributions patronales se répartissent ainsi:

Régime de pension

Assurance-chômage

Régime de rentes du Québec

Régime de santé du Québec

Autres:

* Assurances collectives

* C.S.S.T.

* C.N.T.

* Écart relatif aux assurances

Taxe compensatoire

Jours de maladie et maternité

8,10%

1,80%

3,50%

3,75%

3, 43%

0,44%

0,07%

0,24%

2,67%

1,00%

25,00%

L'appelante déduisit cette somme de 752 640 $ du calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1992, et la déduction fut refusée par l'intimée au motif que le montant constitue un montant au titre d'une provision au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi, et que, par ailleurs, l'obligation de payer cette dépense ne fut pas engagée au cours de l'année 1992 comme l'exige l'alinéa 18(1)a).

Le jugement sous appel


La première juge conclut que les contributions patronales se rattachant aux indemnités de vacances n'étaient pas déductibles dans le calcul du bénéfice pour l'année 1992 aux termes de l'article 9 et des alinéas 18(1)a) et 18(1)e) de la Loi. Selon la première juge, l'obligation de payer les contributions patronales ne prend naissance qu'au moment où sont versées les indemnités de vacances aux employés. Cette obligation n'existait donc pas au cours de l'année d'imposition 1992 de l'appelante.

La première juge a par ailleurs noté que les parties avaient abordé la question des contributions patronales comme un tout, sans présenter d'éléments de preuve lui permettant de distinguer entre les contributions patronales résultant de l'application d'une loi et celles établies en vertu d'un régime privé. La question des contributions patronales fut donc abordée comme si elles formaient un tout uniforme. [L'expression                      « contribution patronale » est ci-après utilisée pour identifier ce tout uniforme et l'expression « cotisation patronale » est utilisée pour identifier celles de ces contributions qui sont imposées par une loi.]


En réponse à l'argument de l'appelante qui avait plaidé que l'alinéa 18(1)e) de la Loi n'empêchait que la déduction d'une provision pour une éventualité, la première juge conclut que le mot "provision"avait son sens propre qui ne devait pas être restreint par l'adjonction du mot "éventualité". La première juge conclut que la somme de 752 640 $ constituait une provision au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi et n'était en conséquence pas déductible au cours de l'année fiscale 1992 de l'appelante.

La première juge considéra que la déduction des contributions patronales devait aussi être refusée au motif que l'obligation de payer ces contributions, contrairement aux indemnités de vacance, n'avait pas pris naissance au cours de l'année fiscale 1992 de l'appelante au sens de l'alinéa 18(1)a) :

[61]      Par ailleurs, l'obligation de payer ces contributions patronales ne prenant pas naissance avant le versement des indemnités de vacances, on ne peut prétendre que l'appelante a, dans la situation qui nous concerne, engagé cette dépense au cours de l'année 1992. La somme de 752 640 $ n'est donc pas déductible non plus en vertu de l'alinéa 18)(1)a) de la Loi au cours de l'année 1992.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 9(1) et les alinéas 18(1)a) et 18(1)e) de la Loi se lisent ainsi:

9(1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

9(1) Subject to this Part, a taxpayer's income for a taxation year from a business or property is his profit therefrom for the year.


18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:

a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

[...]

e) un montant au titre d'une provision, d'une éventualité ou d'un fonds d'amortissement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

18(1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of

(a) an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property;

...

(e) an amount as, or on account of, a reserve, a contingent liability or amount or a sinking fund except as expressly permitted by this Part;

Articles 50, 52, 59 et 63 de la Loi sur le régime de rentes du Québec

50. Le salarié doit, par déduction à la source, payer une contribution égale au produit de la moitié du taux de contribution pour l'année par le moindre des deux montants suivants:

a) le montant, pour l'année, de son salaire admissible que son employeur lui paie et de celui qu'il est réputé lui verser en vertu du deuxième alinéa de l'article 979.3 et de l'article 1015.2 de la Loi sur les impôts (L.R.Q., chapitre I-3), moins le montant prescrit de son exemption personnelle;

b) le maximum de ses gains cotisables pour l'année, moins le montant déterminé de la manière prescrite de son salaire payé par l'employeur et sur lequel une contribution a été versée pour l'année par ce salarié en vertu d'un régime équivalent.

50. Every employee shall, by deduction at source, make a contribution equal to the product of one-half of the rate of contribution for the year and the lesser of the two following amounts:

(a) his pensionable salary and wages for the year paid by his employer and the amount he is deemed to be paid by him under the second paragraph of section 979.3 and section 1015.2 of the Taxation Act (R.S.Q., chapter I-3), minus the prescribed amount of his personal exemption;

(b) his maximum contributory earnings for the year, minus such amount as is determined in prescribed manner to be his salary and wages paid by such employer on which a contribution has been made for the year by the employee under a similar plan.

52. L'employeur doit payer une contribution égale à celle que chacun de ses salariés est tenu de payer en vertu de l'article 50.

52. The employer must make a contribution equal to the contribution which each of his employees is required to make under section 50.


59. L'employeur doit déduire de la rémunération qu'il paie à son salarié pour un travail visé le montant prescrit à titre de contribution du salarié. Il doit également effectuer cette déduction lorsque le paiement de la rémunération résulte d'un jugement.

63. Tout employeur doit payer au ministre, aux dates, pour les périodes et suivant les modalités prévues à l'article 1015 de la Loi sur les impôts (L.R.Q., chapitre I-3), un montant égal au plus élevé du montant qu'il a déduit ou de celui qu'il était tenu de déduire ainsi que le montant prescrit qu'il est lui-même tenu de verser à l'égard de chaque salarie.

59. An employer shall deduct from the remuneration paid to his employee for pensionable employment such amount as is prescribed on account of the employee's contribution. He shall also make such a deduction where the payment of remuneration results from a judgment.

63. On the dates, for the periods and according to the terms and conditions prescribed in section 1015 of the Taxation Act (R.S.Q., chapter I-3), every employer shall pay to the Minister an amount equal to the higher of the amount he has deducted and the amount he was required to deduct together with the prescribed amount required to be paid by him with respect to each employee.

Articles 33 et 34 de la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec

33. Dans la présente section, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

[...]

« employeur » : une personne, y compris un gouvernement, qui verse un salaire;

34. Tout employeur doit, aux dates, pour les périodes et suivant les modalités prévues à l'article 1015 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), payer au ministre du Revenu une contribution égale à 3,75% du salaire qu'il verse et de celui qu'il est réputé verser en vertu du deuxième alinéa de l'article 979.3 et de l'article 1015.2 de cette loi à son employé qui se présente au travail à son établissement au Québec ou à qui ce salaire, si l'employé n'est pas requis de se présenter au travail à un établissement de son employeur, est versé ou réputé versé d'un tel établissement au Québec.

33. In this division, unless the context indicates a different meaning,

...

"employer" means a person, including a government, who pays wages;

34. On the dates, for the periods and according to the terms and conditions prescribed in section 1015 of the Taxation Act, (R.S.Q., chapter I-3), every employer shall pay to the Minister of Revenue a contribution equal to 3.75% of the wages that he pays and that he is deemed to pay under the second paragraph of section 979.3 and section 1015.2 of the said Act to his employee who reports for work at his establishment in Québec or to whom those wages, if the employee is not required to report for work at an establishment in Québec, are paid or deemed paid from such an establishment in Québec.

Article 304, 305, 306 et 315 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles


304. La Commission fixe annuellement par règlement, en fonction du mode de financement qu'elle a choisi et après expertise actuarielle, le taux de cotisation applicable à chaque unité d'activités.

305. La Commission cotise annuellement l'employeur au taux applicable à l'unité dans laquelle il est classé ou, le cas échéant, au taux personnalisé qui lui est applicable et lui indique le montant de sa cotisation pour chacun de ses établissements.

Cependant, elle peut prendre entente avec un employeur à l'effet de le cotiser plus d'une fois par année et de prévoir à cette fin des modalités d'application relatives à la transmission ainsi des déclarations et au paiement de la cotisation autres que celles qui sont prévues par les sections II et V du présent chapitre

306. La Commission calcule le montant d'une cotisation à partir de l'estimation faite par l'employeur des salaires qu'il prévoit devoir payer pendant l'année en cours et ajuste le montant de la cotisation de l'année précédente à partir de la déclaration faite par l'employeur du montant des salaires qu'il a payés pendant cette année.

304. The Commission shall fix annually, by regulation, according to the manner of financing that it has elected and after actuarial valuation, the rate of assessment applicable to each unit of activity.

305. The Commission shall assess every employer annually at the rate applicable to the unit under which he is classified or, as the case may be, at the personalized rate applicable to him, and indicate to him the amount of his assessment for each of his establishments.

Notwithstanding the first paragraph, the Commission may make an agreement with an employer to assess him more than once a year and set down for that purpose modalities of application respecting the transmission of statements and the payment of the assessment other than those prescribed in Divisions II and V of this chapter.

306. The Commission shall compute the amount of an assessment on the basis of the amount that the employer estimates he will expend for wages during the current year and adjust the amount of the assessment for the preceding year on the basis of the statement made by the employer of the amount of wages that he paid during that year.

315. L'employeur doit payer à la Commission le montant de sa cotisation dans les 30 jours qui suivent la mise à la poste de l'avis de cotisation.

Cependant, la Commission peut permettre le paiement de la partie de la cotisation dont elle calcule le montant à partir de l'estimation que l'employeur lui a transmise conformément au paragraphe 2e de l'article 292 en un maximum de six versements mensuels, incluant le montant des intérêts dus pour cet échelonnement.

315. The employer shall pay the amount of his assessment to the Commission within thirty days after the mailing of the notice of assessment.

Notwithstanding the first paragraph, the Commission may allow that part of the assessment that it computes on the basis of the estimate which the employer transmits to it in accordance with subparagraph 2 of section 292 to be paid in a maximum of 6 monthly payments, including the amount of interest due for the staggering of payments.

Article 1015 de la Loi sur les impôts

1015. Toute personne qui verse à une époque quelconque au cours d'une année d'imposition,

a) un traitement, salaire ou autre rémunération, ;

1015. Every person paying at any time during a taxation year,

(a) salary or wages or other remuneration,


[...]

doit, même si ce versement résulte d'un jugement, en déduire ou en retenir le montant prescrit et payer au ministre, aux dates, pour les périodes et suivant les modalités prescrites, un montant égal à celui ainsi déduit ou retenu, à valoir sur l'impôt à payer par le bénéficiaire soit pour la même année d'imposition, soit, s'il s'agit d'un montant visé au paragraphe p et versé à un bénéficiaire qui exerce une entreprise à titre de mainteneur de marché, pour l'année d'imposition dans laquelle se termine l'exercice financier de cette entreprise au cours duquel le versement est effectué ou avec laquelle cet exercice financier coïncide.

...

shall, even if such payment results from a judgment, deduct or withhold therefrom the prescribed amount and pay to the Minister, on the dates, for the periods and according to the terms and conditions prescribed, an amount equal to the deducted or withheld amount on account of the tax payable by the payee for the same taxation year or, in the case of an amount contemplated in paragraph (p) and paid to a payee who carries on a business as market-maker, for the taxation year in which the fiscal period of his business during which the payment is made and the year with which the fiscal period coincides, end.

Articles 1015R14, 1015R14.1, 1015R14.2 et 1015R.3 du Règlement sur les impôts.

1015R14 Tout montant qui doit être payé au ministre par un employeur en vertu de l'article 1015 de la Loi, à l'égard d'une rémunération qu'il verse au cours d'une année civile, doit l'être par les employeurs, pour les périodes et selon les modalités prévues aux articles 1015R14.1, 1015R14.2 et 1015R14.3, selon le cas.

1015R14.1 L'employeur dont la retenue mensuelle moyenne est inférieure à 15 000 $ doit payer au ministre tout montant requis en vertu de l'article 1015 de la Loi, à l'égard d'une rémunération qu'il verse au cours d'un mois, au plus tard le quinzième jour du mois suivant.

1015R14.2 L'employeur dont la retenue mensuelle moyenne est de 15 000 $ ou plus mais inférieure à 50 000 $ doit payer au ministre tout montant requis l'article 1015 de la Loi:

     a) à l'égard d'une rémunération qu'il verse avant le seizième jour d'un mois, au plus tard le vingt-cinquième jour de ce mois;

     b) à l'égard d'une rémunération qu'il verse après le quinzième jour d'un mois et avant le premier jour du mois suivant, au plus tard le dixième jour du mois suivant

1015R14. Any amount that is required to be paid to the Minister by an employer under section 1015 of the Act, in respect of a remuneration that he pays during a calendar year, shall be so paid by employers, for the periods and according to the terms prescribed in section 1015R14.1, 1015R14.2 or 1015R14.3, as the case may be.

1015R14.1 An employer whose average monthly withholding is less that $15,000 shall pay to the Minister any amount required under section 1015 of the Act, in respect of a remuneration that he pays during a month, not later than the fifteenth day of the following month.

1015R14.2 An employer whose average monthly withholding is $15,000 or more but less than $50,000 shall pay to the Minister any amount required by section 1015 of the Act:

     (a) in respect of a remuneration that he pays before the sixteenth day of a month, not later than the twenty-fifth day of that month;

     (b) in respect of a remuneration that he pays after the fifteenth day of a month and before the first day of the following month, not later than the tenth day of the following month.


1015R14.3 L'employeur dont la retenue mensuelle moyenne est de 50 000 $ ou plus doit payer au ministre tout montant requis par l'article 1015 de la Loi, à l'égard d'une rémunération qu'il verse au cours d'une des périodes suivantes, au plus tard le troisième jour qui suit la fin de cette période:

     a) du premier au septième jour du mois;

     b) du huitième au quatorzième jour du mois;

     c) du quinzième au vingt et unième jour du mois;

     d) du vingt-deuxième au dernier jour du mois.

     Aux fins du présent article, le samedi est assimilé à un jour férié.

1015R14.3 an employer whose average monthly withholding is $50,000 or more shall pay to the Minister any amount required by section 1015 of the Act, in respect of a remuneration that he pays during one of the following periods, not later than the third day, excluding any holiday, following the end of that period:

     (a)         from the first to the seventh day of the month;

     (b)         from the eighth to the fourteenth day of the month;

     (c)         from the fifteenth to the twenty-first day of the month;

     (d)         from the twenty-second to the last day of the month.

For the purposes of this section, Saturday is deemed to be a statutory holiday.

Article 48, paragraphes 50(1), 51(1), 51(2), 51(3) et 53(1) de la Loi sur l'assurance-chômage

48(1) Pour chaque année, la Commission fixe, sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil, les taux de cotisation que les personnes exerçant un emploi assurable et leurs employeurs devront verser au cours de l'année pour couvrir le coût de base réajusté des prestations de la présente loi au cours de l'année, déterminé en vertu de l'article 49.

(2) Les taux de cotisation d'une année sont exprimés en pourcentages des rémunérations assurables de l'année et le pourcentage des cotisations ouvrières de l'année est le même pour tous les assurés.

(3) Le pourcentage des rémunérations assurables d'une année représentant les cotisations patronales de l'année est déterminé conformément à l'article 50.

50(1) La cotisation patronale que doit verser au cours d'une année un employeur d'un assuré est égale à 1,4 fois la cotisation ouvrière pour cette année, à moins qu'un autre taux de cotisation ne soit prévu pour une année en application du présent article.

48(1)In respect of each year, the Commission shall, subject to approval by the Governor in Council, fix the rates of premium that persons employed in insurable employment and the employers of those persons will be required to pay in that year to raise an amount equal to the adjusted basic cost of benefit under this Act in that year as that cost is determined under section 49.

(2) The rates of premium for a year shall be calculated in terms of a percentage of the insurable earnings in that year and the employees' premiums for that year shall be a like percentage for all insured persons.

(3) The percentage of insurable earnings for a year that will constitute the employers' premiums for that year shall be determined in accordance with section 50.

50(1) Unless another rate of premium is provided for a year pursuant to this section, the employer's premium to be paid in a year by an employer of an insured person shall be 1.4 times the employee's premium for that year.


51(1) Toute personne doit, pour toute semaine au cours de laquelle elle exerce un emploi assurable, payer par voie de retenue prévue à la partie III une somme égale au pourcentage de sa rémunération assurable que fixe la Commission à titre de cotisation ouvrière pour l'année dans laquelle est comprise cette semaine.

51(2) Tout employeur doit, pour toute semaine au cours de laquelle une personne exerce à son service un emploi assurable, payer pour cette personne et de la manière prévue à la partie III une somme égale au pourcentage de sa rémunération assurable que fixe la Commission à titre de cotisation patronale payable, selon le cas, par les employeurs ou par une catégorie d'employeurs dont cet employeur fait partie pour l'année dans laquelle est comprise cette semaine.

51(3) Nonobstant les paragraphes (1) et (2), lorsqu'une rémunération assurable est versée à une personne au cours d'une année qui suit celle où elle a exercé son emploi assurable, tout l'emploi assurable est réputé, pour le calcul de la rémunération assurable et des cotisations payables à cet égard, avoir eu lieu dans l'année de versement de la rémunération assurable.

51(1) Every person shall, for every week during which he is employed in insurable employment, pay, by deduction as provided in Part III, an amount equal to such percentage of his insurable earnings as is fixed by the Commission as the employee's premium for the year in which that week occurs.

51(2) Every employer shall, for every week during which a person is employed by him in insurable employment, pay, in respect of that person and in the manner provided in part III, an amount equal to such percentage of that person's insurable earnings as fixed by the Commission as the employer's premium payable by employers or a class of employers of which the employer is a member, as the case may be, for the year in which that week occurs.

51(3) Notwithstanding subsections (1) and (2), where insurable earnings are paid to a person in a year following the year in which his insurable employment occurred, all that insurable employment shall, for the purposes of calculating insurable earnings and premiums payable in respect thereof, be deemed to have occurred in the year in which the insurable earnings are paid.

53(1) Tout employeur qui paie une rétribution à une personne exerçant à son service un emploi assurable est tenu de retenir sur cette rétribution la cotisation ouvrière payable par cet assuré en vertu de l'article 51pour la ou les semaines pour lesquelles cette rétribution est payée et est tenu de la verser au receveur général avec la cotisation patronale correspondante payable en vertu de cet article, au moment et de la manière prescrits.

53(1) Every employer paying remuneration to a person employed by him in insurable employment shall deduct from that remuneration an amount equal to the employee's premium payable by that insured person under section 51 for any week or weeks in respect of which that remuneration is paid and remit it together with the employer's premium payable by the employer under that section for such week or weeks to the Receiver General, at such time and in such manner as is prescribed.

2(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« année » Année civile.

« rémunération assurable » Relativement à une période quelconque, soit le total de la rémunération d'un assuré provenant de tout emploi assurable pour cette période, soit le maximum de la rémunération assurable pour cette période tel que prescrit en vertu de la présente loi, si ce maximum est inférieur au total.

2(1) In this Act,

"year" means calendar year

"insurable earnings" means, in relation to any period, the total amount of the earnings from insurable employment for that period of an insured person or the maximum insurable earnings for that period as prescribed by or under this Act, whichever is the lesser;

Paragraphe 3(1) et 4(3) du Règlement sur l'assurance-chômage [perception des cotisations] (C.R.C., ch. 1575)


3.(1) Aux fins de la présente partie, la rémunération d'une personne provenant d'un emploi assurable correspond à toute rétribution, entièrement ou partiellement en espèces, qu'elle reçoit ou dont elle bénéficie et qui lui est versée par son employeur relativement à cet emploi, [...]

4.(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (3.11) et (4), tout employeur doit remettre au receveur général les cotisations ouvrières et les cotisations patronales payables aux termes de la Loi et du présent règlement au plus tard le 15e jour du mois qui suit celui au cours duquel il a versé à l'assuré une rétribution ou autre rémunération assurable à l'égard de laquelle des cotisations devaient être retenues ou versées.

3.(1) For the purposes of this Part, a person's earnings from insurable employment means any remuneration, whether wholly or partly pecuniary, received or enjoyed by him, paid by to him by his employer in respect of insurable employment ...

4.(3) Subject to subsections (3.1), (3.11) and (4), every employer shall remit the employees' premiums and the employer's premiums payable under the Act and these Regulations to the Receiver General on or before the 15th day of the month following the month in which the employer paid to the insured person remuneration or other insurable earnings in respect of which premiums were required to be deducted or paid thereunder.

Arguments des parties


L'appelante soumet que suivant les principes dégagés de la jurisprudence, son engagement envers ses employés était certain et absolu et la somme de 752 640 $ ne constitue dès lors pas une provision au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi. L'appelante fait valoir que dès que l'obligation de l'appelante envers ses employés de payer les vacances impayées naît, les contributions patronales se rattachant à ces vacances forment une obligation absolue. Les contributions patronales sont directement rattachées au paiement des vacances impayées des employés de l'appelante et leur traitement fiscal devrait aller de pair celui des vacances impayées. L'appelante prétend que l'alinéa 18(1)e) ne s'applique que dans les cas où la provision revêt un caractère incertain, en se basant sur l'utilisation des mots "provision" et "éventualité" dans l'alinéa. L'alinéa 18(1)e) ne s'applique selon l'appelante que dans les cas où la dépense revêt un caractère conditionnel.

L'intimée soumet quant à elle que la règle de droit gouvernant l'alinéa 18(1)a) veut qu'il ne puisse y avoir de dépense engagée en l'absence d'une obligation de payer le montant en question, et qu'une dépense n'est engagée que dans l'année d'imposition où l'obligation de payer cette dépense prend naissance. L'alinéa 18(1)e) interdit par ailleurs la déduction de tout montant provisionnel ou conditionnel dans le calcul du revenu d'une entreprise. Selon l'intimée, le mot "provision" signifie en comptabilité une obligation potentielle qui est incertaine quant à son montant et à la date de sa réalisation. Les contributions patronales en cause sont, quant à l'intimée, incertaines quant à leur montant et leur date de réalisation.

Analyse


L'avocat de l'appelante s'appuie essentiellement sur le paragraphe 9(1) de la Loi et sur le traitement comptable suivi par l'appelante, basé sur le principe comptable d'appariement des revenus et des dépenses (appelé aussi principe du rattachement), pour soutenir que les contributions patronales sur des indemnités de vacance gagnées pendant l'année d'imposition 1992 de l'appelante mais à payer à ses employés l'année subséquente, seraient déductibles dans le calcul du revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1992. Ni l'alinéa 18(1)a) ou 18(1)e) ne ferait obstacle au traitement comptable adopté et suivi par l'appelante.

À mon avis la première juge a eu raison de conclure que l'obligation de payer les contributions patronales n'a pas pris naissance pendant l'année d'imposition 1992 de l'appelante et que partant, ces montants ne sont pas déductibles dans le calcul de son revenu pour ladite année en vertu du paragraphe 18(1)a) de la Loi.

Comme la première juge le souligne au paragraphe 50 de ses motifs, même si le contribuable est libre de calculer son revenu conformément aux principes comptables reconnus et d'adopter ceux qui conviennent dans les circonstances particulières pour donner une image fidèle de son bénéfice pour l'année, le traitement comptable n'a application que dans la mesure où une règle précise établie par la Loi ne vient pas le contrer [Canderel Ltée c. Sa Majestéla Reine, [1998] 1 R.C.S. 147, para. 32, 33, 34 et 44. Voir aussi Friesen v. Canada, [1995] 3 S.C.R. 103, para. 41]. Or, l'alinéa 18(1)a) de la Loi édicte une règle de droit précise qui écarte le traitement comptable en l'espèce.


Le paragraphe 9(1) prévoit que le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour l'année. L'alinéa 18(1)a), lorsque lu avec le paragraphe 9(1), édicte par ailleurs qu'une dépense peut être prise en compte dans ce calcul que dans la mesure où elle a été engagée ou effectuée dans l'année [voir par exemple Newfoundland Light and Power Co. Ltd. c. Sa Majestéla Reine, 90 D.T.C. 6166 (C.A.F.) p. 6173, le juge Pratte]. La dépense qui nous occupe n'a pas été effectuée dans l'année. La question qui se pose est donc celle à savoir si cette dépense a été engagée dans l'année au sens de l'alinéa 18(1)a).


La jurisprudence a établi, en rapport avec l'alinéa 18(1)a), qu'une dépense n'est pas engagée dans l'année en l'absence de l'obligation légale de payer un montant. C'est donc, à titre d'exemple, que même si un contribuable peut raisonnablement anticiper au cours de son année d'imposition 1992 devoir payer un montant prédéterminé dans une année subséquente, il ne peut le déduire dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1992 à moins qu'il puisse établir que l'obligation de payer ce montant a pris naissance au cours de ladite année [voir J.L. Guay c. M.R.N. [1971] C.F. 237 (Section de première instance, conf. par 73 D.T.C. 5373 (C.A.F.), conf. [1975] C.T.C. 97 (C.S.C.); Sa Majestéla Reine c. Burnco Industries Ltd., 84 D.T.C. 6348 (C.A.F.); Northern and Central Gas Corporation Ltd. c. Sa Majestéla Reine, 85 D.T.C. 5144 (C.F. Section de première instance) conf. par 87 D.T.C. 5439; Co-Operators General Insurance Company c. M.N.R., 93 D.T.C. 303 (C.C.I.)]. Le corollaire de cette règle est aussi bien établi; un montant n'a pas à être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année donnée en l'absence de l'existence du droit au paiement en question dans l'année [Voir par exemple, John Colford Contracting Co. c. M.N.R., [1960] R.C.E. 433, conf. par [1962] C.T.C. 546 C.S.C.].

En l'occurrence, l'obligation de payer les cotisations patronales que l'appelante a déduites pour son année d'imposition 1992 naît de la Loi et c'est donc à même les textes législatifs pertinents que l'appelante doit démontrer qu'elle a encouru au cours de son année d'imposition 1992 l'obligation de payer les dites cotisations. J'ai relevé dans la première partie de mes motifs les dispositions législatives pertinentes et il me semble évident, du moins quant à la Loi sur le régime de rentes du Québec, la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, que l'obligation de l'employeur de verser les cotisations patronales, comme d'ailleurs celle de l'employé de verser les cotisations ouvrières, prend naissance que lorsque les salaires sont payés.


Quant à la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec, l'obligation de l'employeur [seul l'employeur devait contribuer à ce régime au moment qui nous occupe] est créée par l'article 34 qui édicte que « [t]out employeur doit, aux dates, pour les périodes et suivant les modalités prévues à l'article 1015 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), payer au ministre du Revenu une cotisation égale à 3.75% du salaire qu'il verse [...] etc. » L'article 1015 de la Loi sur les impôts renvoie par ailleurs au Règlement sur les impôts qui prescrit les périodes et modalités de paiement. Ces modalités dans leurs aspects pertinents sont les suivantes : « 1015 R14.1 [...] l'employeur [...] doit payer au ministre tout montant requis [...], à lgard d'une rémunération qu'il verse au cours d'un mois, au plus tard le quinzième jour du mois suivant. » C'est donc que l'obligation de l'employeur en vertu de l'article 34 prend naissance lorsque le salaire est versé et qu'un terme est prévu par le Règlement à compter de ce moment afin de permettre à l'employeur d'effectuer les paiements requis.


Quant à la Loi sur le régime de rentes du Québec, l'obligation de l'employeur est créée par l'article 52 qui édicte que « [l]'employeur doit payer une cotisation égale à celle que chacun de ses salariés est tenu de payer en vertu de l'article 50 » . L'article 50 par ailleurs prévoit que « le salarié doit, par déduction à la source payer une cotisation [...]     etc. » Puisqu'il ne peut y avoir de déduction à la source sans le versement d'un salaire, et que sans déduction à la source il n'y a pas de cotisation ouvrière, il va de soi que tant l'obligation de l'employé sous l'article 50 que celle de l'employeur sous l'article 52 prend naissance lorsque le salaire est versé. Quant au terme prévu pour effectuer le paiement, l'article 63 renvoie à l'article 1015 de la Loi sur les impôts et, en conséquence, à l'article 1015R14 du Règlement sur les impôts, dont les effets sont ceux décrits au paragraphe qui précède.

Finalement, la Loi sur les accidents de travail opère selon un modèle différent mais qui va dans le même sens. L'article 305 stipule que l'employeur est cotiséannuellement et l'article 315 affirme d'une part que « L'employeur doit payer le montant de sa cotisation [...] » dans le délai qui y est prescrit, et l'article 306 établit le montant de cette cotisation selon le moindre de « [...] l'estimation faite par l'employeur des salaires qu'il prévoit devoir payer pendant l'année en cours [...] » et du « [...] montant des salaires qu'il a payés pendant l'année. » C'est donc encore une fois que l'obligation de l'employeur est fonction des salaires effectivement payés durant l'année et qu'en l'absence du paiement de salaires, l'employeur n'est assujetti à aucune obligation.


Je constate qu'en vertu de l'une ou l'autre de ces lois, la prestation de service par un employé ne crée aucune obligation tant pour l'employeur que pour l'employé. Ce n'est que lorsque le salaire afférent à ces services est payé que l'obligation de verser les cotisations patronales et ouvrières prend naissance. Il me semble qu'il en est de même pour les cotisations prélevées en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage mais avant d'en traiter, je dois ouvrir une parenthèse.

L'avocat de l'appelante a porté à notre attention une décision récente de la Cour canadienne de l'impôt [Provigo Distributions Inc. c. La Reine, 2000 D.T.C. 2112] où la Cour en est arrivée à la conclusion contraire. L'appel qu'avait logé la Couronne à l'encontre de cette décision a depuis été retiré.


Il s'agissait dans cette affaire de déterminer si les cotisations patronales payées par Provigo au cours de son année d'imposition 1993 en vertu des lois précitées pouvaient être déduites dans le calcul de son revenu pour l'année précédente pendant laquelle les salaires afférents à ces cotisations avaient été gagnés. La Couronne soutenait, comme elle le fait dans la présente affaire, que l'obligation de payer ces montants n'avait pas pris naissance pendant l'année d'imposition 1992 de Provigo et que donc l'alinéa 18(1)a) en prohibait la déduction dans le calcul du revenu pour la dite année.

La Cour canadienne de l'impôt rejeta cette prétention. Le texte complet des motifs à cet égard se lit comme suit :

[14] Il me semble qu'il n'est pas juridiquement soutenable de prétendre que l'obligation de l'employeur concernant les cotisations patronales ne prend naissance que si la rémunération est versée, indépendamment du fait juridique que la prestation de travail a étéexécutée et le salaire effectivement gagné. Ce n'est pas à mon avis ce que le juge dit dans son jugement concernant Fédération (supra) [soit la présente affaire]. Ce que le juge dit en substance c'est que les cotisations patronales ne deviennent dues que lorsque le montant de rémunération a étédéterminéet est payable. C'est à ce moment qu'elles peuvent être prises en compte dans le calcul du revenu du contribuable. Pas avant. En ce sens cette décision est en accord avec l'analyse faite par les auteurs sur le droit du travail sur le sens à donner au terme "rémunération"qui se trouve aux articles 2085 et 2087 du Code civil du Québec.

[15] Ces articles se lisent comme suit :

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limitéet moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

2087. L'employeur, outre qu'il est tenu de permettre l'exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécuritéet la dignitédu salarié.

[16] Dans Le droit du travail du Québec, pratiques et théories, 3e édition, Les éditions Yvon Blais Inc., l'auteur, Me Robert P. Gagnon, s'exprime ainsi à la page 70:

La notion de rémunération couvre une très large réalité. Elle désigne en fait toute considération ou tout avantage ayant une valeur pécuniaire, que l'employeur est tenu de fournir au salariéen retour de sa prestation de travail. Outre le salaire ou traitement, au sens le plus étroit, payéen fonction du rendement ou de la durée du travail, la rémunération comprend ainsi, le cas échéant, des avantages tels l'allocation de vacances, le paiement de jours chômés, la participation de l'employeur au coût de certains régimes d'assurance ou de retraite etc.

[17] On peut lire dans Le contrat d'emploi, deuxième édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., Aust et Charette, à la page 86 :

I. Régimes de retraite, polices d'assurance-vie et maladie et autres avantages Les avantages dont bénéficie un employécomme conditions d'emploi, qu'il s'agisse d'un régime de retraite, d'assurance-médicale, d'assurance-santéou d'assurance-invalidité, sont généralement considérées comme une obligation que l'employeur se doit de remplir pendant toute la durée du contrat d'emploi. Comme nous l'avons vu, de tels avantages font partie de la rémunération s'ils ont une valeur pécuniaire. Par conséquent, comme c'est le cas pour tous les autres éléments de la rémunération, l'employeur ne peut unilatéralement diminuer ces avantages.

[18] Il semble bien qu'il faille comprendre que les cotisations patronales sont comprises dans le sens à donner à la rémunération. Il me semble en tout cas bien clair que les obligations de l'employeur concernant les cotisations patronales découlent de la prestation de travail de l'employé et non du versement de son salaire et qu'il y a eu confusion entre l'imposition de la cotisation et la remise ou la perception de la cotisation.

[19] La Cour suprême du Canada dans Canadien Pacifique Ltée c. P.G. (Can.), [1986] 1 R.C.S. 678, aux pages 682 et 683 a eu à établir cette distinction entre la l'imposition de la cotisation et le paiement de cette cotisation en regard des dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage. Les articles 66 et 68 mentionnés au jugement sont, en l'année 1992, respectivement les articles 51 et 53. Je cite d'abord une partie du résumé de cette décision à la page 678 :

[...] C'est l'art. 66 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et non l'art. 68, qui impose le paiement des cotisations ouvrières et patronales et qui fixe les montants. Ces montants sont fixés à un pourcentage de la "rémunération assurable"de l'assuré. L'article 68 ne vise que le mode de perception de ces cotisations. [...]

[20] Voici maintenant ce que dit le juge La Forest aux pages 682 et 683 :

Ma première observation se rapporte à la structure de la Loi. L'article 66 se trouve dans la Partie III qui est intitulée "Cotisations". L'article 68, lui, se trouve dans la Partie IV qui est intitulée "Perceptions des cotisations". J'ajoute que les titres, contrairement aux notes marginales, forment partie intégrante de la Loi; voir Elmer Driedger, The Composition of Legislation (1957), à la p. 103. Comme on pourrait s'y attendre, la Partie III traite du fond de la Loi en matière de cotisations. En effet, on y trouve une série d'articles qui ont pour objet, selon le titre applicable, la "détermination des cotisations", dont l'art. 62 précité. Cet article, nous l'avons vu, prévoit que la Commission doit fixer le montant des cotisations expriméen pourcentages des rémunérations assurables des employés. On y trouve également, comme je viens de le signaler, l'art. 66.


Même sans s'appuyer sur la structure de la Loi, la simple lecture de l'art. 66, comme le dit le juge Pratte, indique clairement que c'est lui qui impose le paiement des cotisations et fixe leurs montants. En plus, il nous amène à la partie de la Loi qui en prescrit le mode de perception. Le paragraphe 66(1) traite des cotisations des employés tandis que le par. 66(2) traite de celles perçues des employeurs. Ce sont des dispositions parallèles et je me limite à une discussion du par. 66(2) qui est celui spécifiquement en jeu dans cette affaire.

Cette disposition ordonne d'abord que tout employeur retienne et verse au receveur général une somme égale au pourcentage de la "rémunération assurable"de l'employéque fixe la Commission à titre de cotisation patronale. Elle précise aussi la façon de percevoir ces cotisations, soit "de la manière prévue à la Partie IV"où, on s'en souviendra, se trouve l'art. 68.

[21] Les lois en vertu desquelles les contributions patronales sont dues suivent le même plan, soit imposition de la cotisation et perception et remise de la cotisation. À l'instar de la Loi sur l'assurance-chômage, la Loi sur le régime de rentes du Québec et la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec expriment clairement que l'obligation de l'employeur relativement aux cotisations prend naissance en contrepartie de la prestation de travail d'un employé au cours d'une période de temps et en fonction de sa rémunération et non pas en fonction du versement du salaire. Les cotisations patronales peuvent donc être déduites dans l'année en cause en conformité avec les principes énoncés dans l'arrêt Burns (supra) et l'arrêt Canderel (supra).

Tout d'abord je souligne le fait que les deux lois provinciales mentionnées dans ce dernier paragraphe n'opèrent pas selon le même plan que la Loi sur l'assurance-chômage en ce qu'elles ne comportent pas de disposition comparable à l'article 51 de la Loi sur l'assurance-chômage [auparavant l'article 66] susceptible de laisser croire que l'obligation de payer les cotisations patronales prend naissance au moment où l'employé rend ses services plutôt qu'au moment où la rémunération est versée. Les seules dispositions pertinentes que partagent ces lois sont celles qui obligent l'employeur qui verse une rémunération à retenir et remettre la cotisation ouvrière et à payer la cotisation patronale [voir les articles 52 et 34 de la Loi sur le régime de rentes du Québec et de la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec respectivement d'une part, et l'article 53 de la Loi sur l'assurance-chômage d'autre part].


Deuxièmement, il est inexact de dire que la cotisation patronale payée en vertu de l'une ou l'autre de ces lois fait partie de la rémunération qu'un employeur verse à son employé [paragraphe 18 des motifs de la Cour canadienne de l'impôt]. Contrairement à la cotisation ouvrière, la cotisation patronale est une taxe imposée sur l'employeur en sa qualité d'employeur, laquelle est calculée en fonction des salaires qu'il paye, afin de prélever sa propre contribution au financement des régimes qui sous-tendent ces lois. Autant il est vrai que ces contributions font partie des coûts qu'un employeur doit assumer à l'égard de ses employés, autant il est inexact de dire qu'elles font partie de la rémunération que l'employeur verse à ses employés.

Troisièmement, il est évident comme l'affirme la Cour canadienne de l'impôt [paragraphe 14 de ses motifs] que la cotisation patronale exigible en vertu de l'une ou l'autre de ces lois [comme la cotisation ouvrière] n'est pas versée indépendamment du fait juridique que constitue la prestation de travail; un salaire n'est pas un salaire à moins qu'il ne soit payé en considération de services rendus dans le cadre d'un emploi. Mais là n'est pas la question.

La seule question qui nous occupe porte sur le moment auquel prend naissance l'obligation de l'employeur de payer les cotisations patronales en vertu de ces lois. La Cour suprême du Canada, dans l'affaire Canadien Pacifique Ltée c. P.G. (Can.), [1986] 1 R.C.S. 678, n'avait pas à trancher cette question.


La question qui se posait dans cette affaire portait sur le traitement de pourboires en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage :

Plus précisément, comme l'exprime le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale, [1984] 1 C.F. 859 à la p. 860, « faut-il, dans le calcul de ces cotisations, prendre en considération les sommes qu'un employeur a versées à ses employés après les avoir reçues de ses clients qui les lui avaient payées volontairement pour qu'il en fasse la distribution à titre de pourboires? » (Motifs de la majorité exprimés par le juge La Forest à la page 681).

La majorité des juges de la Cour suprême a décidé à l'instar de la Cour d'appel que c'est l'article 66 de la Loi sur l'assurance-chômage [maintenant l'article 51] qui crée l'obligation de l'employeur de verser les cotisations patronales [p. 683]. Selon la Cour suprême, l'expression « rémunération assurable » que l'on retrouve à cet article avait une portée plus large que le terme « salaire » et englobait les pourboires que l'employeur avait distribués à ses employés [pp. 683, 684 et 685]. Quant à l'exigence que cette rémunération soit payée par l'employeur à l'employé conformément à l'article 3 du Règlement sur l'assurance-chômage [perception des cotisations], la Cour a conclu que le mot « payer » tout comme le mot « rémunération » devait recevoir une interprétation large capable de comprendre la situation où un pourboire est versé à l'employeur pour distribution aux employés [p. 689].


Les deux conditions susceptibles de donner naissance à l'obligation de verser les cotisations patronales étaient donc réunies et la Cour ne s'est pas attardée sur la question qui nous occupe. Autant la première partie du jugement portant sur l'article 51 et la notion de « rémunération assurable » laisse entendre que l'exercice de l'emploi assurable par les employés est suffisante pour donner naissance à l'obligation de payer les cotisations patronales, autant la conclusion à l'effet que les pourboires avaient été « payés » au sens du Règlement suggère qu'il s'agissait là d'une deuxième condition sans laquelle le Canadien Pacifique n'était pas redevable. En effet, les juges majoritaires n'avaient pas à tirer cette conclusion s'ils étaient d'avis que l'obligation du Canadien Pacifique découlait du seul exercice de l'emploi assurable.

Mais même si j'adoptais la thèse selon laquelle l'obligation de payer les cotisations prend naissance en vertu de l'article 51 lors de l'exercice de l'emploi assurable, sans plus, le paragraphe (3) de cet article fait en sorte que l'obligation de l'appelante ne peut avoir pris naissance pendant son année d'imposition 1992. Le paragraphe (3) de l'article 51 écarte l'application des paragraphes (1) et (2) lorsque l'exercice de l' « emploi assurable » a lieu dans une année [l'année en question étant l'année civile, para. 2(1)] et le versement de la « rémunération assurable » qui en découle a lieu dans une autre année. Dans ces circonstances, l' « emploi assurable » est réputé avoir eu lieu dans cette autre année « [...] pour le calcul de la rémunération assurable et des cotisations payables à cet égard, [...] » .


Cette disposition est à mon humble avis incontournable. Si l'on accepte que le seul exercice de l'emploi assurable crée l'obligation de l'employeur au sens du paragraphe 51(2) (et de l'employé au sens du paragraphe 51(1)), encore faut-il que cet emploi donne droit à une « rémunération assurable » . En effet, l'obligation ainsi créée est de payer une cotisation « égale au pourcentage » de la « rémunération assurable » que fixe la Commission. L'on doit donc être en mesure de calculer une « rémunération assurable » pour que l'obligation de « payer » prenne naissance. Or, le paragraphe 51(3) fait en sorte qu'une « rémunération assurable » ne peut être calculée lorsqu'il y a décalage entre l'année de l'exercice de l'emploi assurable et l'année du versement de la rémunération qui en découle.

Le paragraphe 51(3) a comme but évident de faire coïncider l'obligation de l'employeur [et de l'employé] avec le versement de la rémunération assurable dans ces circonstances. Il n'a aucune autre raison d'être. En l'occurrence, le droit aux indemnités de vacances étant issue de l'exercice de l'emploi assurable des employés de l'appelante au cours de son exercice financier se terminant le 31 décembre 1992 et les indemnités de vacances devant être payés au cours de la ou des années subséquentes, l'emploi assurable est réputé ne pas avoir eu lieu pendant l'année d'imposition 1992 de l'appelante aux fins du calcul de la rémunération assurable qui découle de l'exercice de cet emploi. Il s'en suit que l'appelante n'a pas encouru l'obligation de payer les cotisations patronales au cours de la dite année.


C'est donc à bon droit selon moi que la première juge a conclu au paragraphe 55 de ses motifs :

[...] l'obligation de payer ces contributions patronales ne prend naissance qu'au moment où les indemnités de vacances seront effectivement versées [à savoir, selon le cas, en 1993 ou 1994]. Ce ne sont pas les services rendus par les employés qui donnent naissance à cette obligation. C'est le versement de leurs salaires qui, en vertu des différentes lois applicables, créent l'obligation pour l'employeur de verser les contributions patronales qui s'y rattachent.

Même si l'avocat de l'appelante nous demande de traiter l'obligation de payer les cotisations patronales comme si elle était issue de l'obligation de payer les indemnités de vacances, force est de constater que ces obligations découlent de sources différentes. L'obligation de payer les indemnités de vacances aux employés [comme celle de verser les salaires] découle du contrat d'emploi et prend naissance à compter du moment où les employés fournissent leur travail alors que l'obligation de payer les cotisations patronales a comme source la loi et prend naissance à compter de l'avènement du fait juridique que constitue le versement par l'employeur de la rémunération. Ces sources d'obligation distinctes sont celles dont fait état l'article 1372 du Code civil du Québec [art. 983 du Code civil du Bas-Canada] « L'obligation naît du contrat et de tout acte ou fait auquel la loi attache d'autorité les effets d'une obligation » .


L'avocat de l'appelante a fait valoir en fin d'audition que le refus de la déduction des cotisations patronales au motif que l'obligation de payer ces cotisations n'avait pas pris naissance pendant son année d'imposition 1992 est issue d'un raisonnement axé sur la Loi qui fait fi de la pratique comptable. J'en conviens mais notre Cour a déjà eu l'occasion d'écarter un argument identique à au moins deux reprises [Voir Newfoundland Light and Power (supra) à la p. 6173 et Northwood Pulp and Timber v. The Queen, 98 D.T.C. 6640 aux para. 6 à 10.]

L'alinéa 18(1)a) édicte une règle de droit fondamentale que les tribunaux ont toujours interprétée de même façon; une dépense doit être engagée dans l'année pour être déduite dans l'année, et une dépense n'est pas engagée en l'absence de l'existence de l'obligation légale de la payer. Cette règle, comme le démontre les faits ici en cause peut à l'occasion nous éloigner des principes comptables, mais elle demeure incontournable. Comme la Cour suprême l'a réaffirmé dans l'affaire Canderel (supra), la règle de droit, dans la mesure où elle fait échec aux principes comptables, doit primer.

Finalement, la première juge a aussi refusé cette partie de la dépense constituée par les contributions de l'appelante à un régime privé :


[54]     [...], aucun contrat établissant les obligations de l'appelante en vertu de régimes privés sur les fonds de pension ou les assurances collectives n'a été déposé. Il n'appartient pas au tribunal de compenser la preuve insuffisante présentée et deviner des éléments de preuve qui paraîtraient essentiels à la solution satisfaisante du litige mais dont la preuve n'a jamais été faite. Pour le dire autrement, je ne peux rendre une décision qu'en fonction de la preuve qui a été faite et non de celle qui aurait pu être faite. Pour le dire autrement, je ne peux rendre une décision qu'en fonction de la preuve qui a été faite et non de celle qui aurait pu être faite. Dans le cas échéant, l'appelante avait le fardeau de prouver les distinctions à faire, s'il y en avait, entre les contributions patronales exigées par voie législative et celles résultant de l'application de régimes privés. Cette preuve n'étant pas devant moi, et les parties s'étant référé uniquement au cours de leur argumentation aux contributions patronales régies par voie législative, j'aborderai donc la question des contributions patronales comme si elles étaient toutes régies de la même façon.

Il est possible de croire que les contributions patronales aux régimes privés auraient pu être traitées différemment des cotisations régies par voie législative [au motif que l'obligation de les payer aurait pris naissance dans l'année 1992], mais il appartenait à l'appelante d'en faire la démonstration. Faute de preuve, la première juge a eu raison d'écarter cette autre partie de la dépense réclamée.

À mon avis, c'est à bon droit que la première juge a conclu que la déduction de la dépense de 752 640 $ dans le calcul du revenu de l'appelante pour son année d'imposition 1992 est prohibée par l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Ceci suffit pour disposer de l'appel mais il est peut être utile d'ajouter qu'en principe, une dépense qui n'a pas été engagée dans l'année au sens de l'alinéa 18(1)a) et qui au surplus doit être estimée ne saurait non plus échapper à l'alinéa 18(1)e) de la Loi.

Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

                "Marc Noël"                 

j.c.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D' APPEL

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER: A-739-99

INTILULÉ:             FÉDÉRATION DES CAISSES POPULAIRES DESJARDINS DE MONTREAL ET DE L'OUEST DU QUÉBEC

ET

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L' AUDIENCE: MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE: LE 10 JANVIER 2001

MOTIFS DU JUGEMENT:            LE JUGE DESJARDINS

Y A SOUSCRIT:                            LE JUGE DÉCARY

MOTIFS DISSIDENTS:                 LE JUGE NOËL

EN DATE DU:                                23 FEVRIER, 2001

COMPARUTIONS:

Me Mario Ménard                                           POUR L' APPELANTE

Me Chantal Jacquier                                              POUR L' INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Spiegel Sohmer

Montréal A.                                                    POUR L' APPELANTE

Morris A. Rosenberg

Sous - Procureur Général du Canada

(Ottawa Ontario                                                    POUR L' INTIMÉE


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