Date : 20030116
Dossier : A-115-02
Référence neutre : 2003 CAF 19
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE SEXTON
ENTRE :
SHEILA LYNN MATTE
demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 janvier 2003
Jugement rendu à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 janvier 2003
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE STRAYER
Date : 20030116
Dossier : A-115-02
Référence neutre : 2003 CAF 19
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE SEXTON
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
SHEILA LYNN MATTE
demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
MOTIFS DU JUGEMENT
(Rendus à l'audience, à Vancouver (Colombie-Britannique)
le 16 janvier 2003)
LE JUGE STRAYER
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt confirmait une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national selon laquelle la demanderesse devait rembourser une somme de 391,75 $ qui était censément un paiement en trop qui lui avait été versé au titre du crédit d'impôt pour enfants pour le mois d'août 1998.
[2] Le crédit d'impôt pour enfants que la demanderesse avait reçu se rapportait à trois de ses enfants, le père étant son ex-conjoint de fait, dont elle était séparée. Une ordonnance de garde rendue au mois de juillet 1998 accordait au père la garde de ces enfants. La mère demanderesse avait un droit de visite à certains moments et elle s'occupait des enfants chaque été pendant un mois.
[3] La demanderesse a demandé la prestation fiscale pour enfants pour le mois d'août 1998 en disant que, le 16 juillet 1998, elle était devenue la principale fournisseuse de soins. Le ministre du Revenu national a versé la prestation fiscale pour enfants à la demanderesse pour le mois d'août 1998, mais il a par la suite conclu que celle-ci n'y avait pas droit parce qu'elle n'était pas un « particulier admissible » au sens de l'article 122.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Devant la Cour de l'impôt et devant nous, le ministre a pris la position selon laquelle le père qui avait, par ordonnance, la garde des enfants était le « particulier admissible » qui « assumait principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation » de l'enfant et que le juge de la Cour de l'impôt n'avait tiré aucune conclusion contraire pour le mois d'août 1998.
[4] Le juge de la Cour de l'impôt a confirmé la nouvelle cotisation établie par le ministre. Il estimait être lié par une décision rendue par la présente Cour dans l'affaire R. c. Marshall [1996] 2 C.T.C. 92, où il a été dit ce qui suit, à la page 94, au sujet de l'article 122.6 :
Cet article de la Loi prévoit qu'un seul des deux parents est un « particulier admissible » aux fins d'admissibilité aux avantages. L'article ne prévoit aucun partage proportionnel entre deux parents qui prétendent être des parents admissibles.
Le juge de la Cour de l'impôt a néanmoins été invité à suivre la décision subséquente rendue par Monsieur le juge Bowman, de la Cour de l'impôt, dans l'affaire Armstrong c. R. [1999] 4 C.T.C. 2719, où il a été conclu que le parent qui n'avait pas la garde et avec qui les enfants avaient résidé pendant deux mois avait le droit d'être le « particulier admissible » pour cette période. Le juge de la Cour de l'impôt a fait une distinction à l'égard de la décision Armstrong eu égard aux faits et il a statué que, par suite de la décision Marshall, il ne pouvait pas reconnaître la demanderesse comme étant le « particulier admissible » pour le mois d'août 1998.
[5] À notre avis, il est possible de faire une distinction à l'égard de la décision Marshall et rien n'empêche en droit un parent qui n'a pas la garde d'être considéré comme le « particulier admissible » , ne serait-ce que pendant un mois comme c'est ici le cas.
[6] L'article 122.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu définit en partie l'expression « particulier admissible » comme suit :
« particulier admissible » S'agissant, à un moment donné, du particulier admissible à l'égard d'une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :
a) elle réside avec la personne à charge;
b) elle est la personne -- père ou mère de la personne à charge -- qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de cette dernière; [...]
(Dans le C.R.C. 1978, ch. 945, art. 6302, il y a un règlement qui prescrit les facteurs permettant de déterminer ce qui constitue « le soin et l'éducation » d'une personne à charge admissible. Aux fins qui nous occupent, il n'est pas nécessaire de faire des remarques au sujet de ces facteurs.)
[7] Il importe de noter que cette définition envisage clairement que le « particulier admissible » peut de temps en temps changer, dans la mesure où, au moment pertinent, il est le principal responsable en sa qualité de fournisseur de soins. C'est ce qu'indiquent les mots « à un moment donné, [...] personne qui [...] à ce moment [...] » figurant au début de la définition.
[8] La formule qui s'applique au calcul du montant des prestations payables se trouve à l'article 122.61 de la Loi. Elle est fondée sur le présumé remboursement d'un paiement en trop fictif d'impôt, et ce paiement en trop, selon le paragraphe 122.61(1) :
[...] est réputé se produire au cours d'un mois [...] [lorsque la personne [...] à qui doit être versée la prestation] [...] est, au début du mois, un particulier admissible [...]
Selon la formule, la personne qui est un particulier admissible au début du mois doit recevoir le douzième du taux annuel des prestations prescrites par la disposition. L'avocate de la défenderesse a convenu de cette interprétation.
[9] Selon nous, cela veut dire que la période minimale, aux fins du paiement de prestations, est d'un mois et qu'un mois de prestations doit être versé à quiconque était le particulier admissible au début du mois, c'est-à-dire à la personne qui était principalement responsable du soin et l'éducation de l'enfant ou des enfants à ce moment-là. Ce n'est que pour plus de commodité au point de vue administratif que l'on verse toute la prestation du mois à la personne qui agissait comme fournisseur de soins le premier jour du mois en question. Cela étant, il n'est pas nécessaire d'effectuer des calculs quotidiens simplement parce qu'il y a un changement de fournisseur de soins au cours du mois. Il n'est pas non plus nécessaire que le changement de fournisseur de soins corresponde strictement aux mois civils. En effet, dans un cas comme celui-ci, ni l'un ni l'autre parent n'aurait pu faire une demande pour le mois d'août puisque la mère avait apparemment assuré le soin des enfants pendant la moitié de ce mois civil seulement, de sorte qu'elle ne pouvait pas demander la prestation, le père ne pouvant pas non plus demander cette prestation parce qu'il n'était pas le fournisseur de soins le 1er août, comme l'exigent les dispositions du paragraphe 122.61(1).
[10] Nous sommes convaincus que ce résultat ne va pas à l'encontre de la décision Marshall. Selon nous, cette décision est limitée à la thèse selon laquelle il ne peut y avoir qu'un seul particulier admissible à un moment donné ou pendant un mois donné. Dans ce cas-ci, les enfants vivaient chaque mois avec leur mère pendant 18 jours et avec leur père pendant 12 jours, et chaque parent agissait comme fournisseur de soins comme l'exigeait la Loi. Il semble que le juge de la Cour de l'impôt ait conclu que les deux parents étaient des particuliers admissibles et qu'ils avaient tous deux droit à la prestation au cours du même mois. (Voir l'explication que le juge de la Cour de l'impôt a donnée au sujet de sa décision initiale : R. c. Marshall [2002] Carswell Tax Partner Cases, communiqué 7, pages 3 et 4). La décision de la Cour d'appel se rapportait à cette conclusion. Or, telle n'est pas la question qui se pose en l'espère.
[11] Nous croyons également comprendre que la décision subséquente rendue par le juge Bowman, dans l'affaire Armstrong, précitée, n'était pas incompatible avec la décision Marshall. Premièrement, le juge a conclu qu'une ordonnance de garde rendue en droit familial en faveur d'un parent n'empêchait pas l'autre parent de satisfaire aux exigences de l'article 122.6 de la Loi sur l'assurance-emploi lorsque l'autre parent s'occupait en fait des enfants. L'affaire dont le juge était saisi ne concernait qu'un fournisseur de soins à la fois. Deuxièmement, le juge a conclu qu'une décision relative à la question de savoir qui est le fournisseur de soins doit être rendue au moins sur une base mensuelle. Compte tenu de la preuve, le juge a pu conclure qu'étant donné que le parent qui n'avait pas la garde avait en fait principalement assumé la responsabilité pour le soin des enfants aux mois de juillet et d'août 1996, ce parent avait droit à la prestation pour cette période.
[12] Nous sommes donc d'avis que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en concluant en droit que la mère demanderesse, soit le parent qui n'avait pas la garde, ne pouvait pas être admissible à la prestation fiscale pour enfants pour le mois d'août 1998 comme elle l'avait demandé, parce qu'à d'autres moments de l'année son ex-conjoint était le « particulier admissible » .
[13] Malheureusement, par suite de cette conclusion de droit, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas tiré de conclusion au sujet de la question de savoir si la demanderesse était de fait le « particulier admissible » le 1er août 1998. À notre avis, nous pouvons tirer pareille conclusion en droit en nous fondant sur une présomption législative en ce sens. Il n'est pas contesté que les enfants résidaient avec la demanderesse le 1er août 1998. La définition de l'expression « particulier admissible » figurant à l'article 122.6 est ainsi libellée :
f) si la personne à charge réside avec sa mère, la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de la personne à charge est présumée être la mère;
g) la présomption visée à l'alinéa f) ne s'applique pas dans les circonstances prévues dans des règlements [...]
L'avocate de la défenderesse a soutenu que cette présomption ne s'appliquerait pas, à cause d'une exception prévue à l'alinéa 6301(1)d) du Règlement, mais il n'y avait rien dans le dossier qui permette d'établir que les conditions qui auraient pour effet de déclencher cette exception existaient de fait en l'espèce. Il nous est donc loisible d'appliquer cette présomption en droit.
[14] Nous concluons donc que le juge de première instance a commis une erreur de droit en interprétant la définition de l'expression « particulier admissible » et nous infirmerons la décision par laquelle le juge a confirmé la cotisation établie par le ministre. Nous appliquons la présomption selon laquelle, étant donné que les enfants étaient des personnes à charge admissibles (comme on en a convenu) et qu'ils résidaient avec la demanderesse le 1er août 1998, cette dernière est réputée avoir été le « particulier admissible » ce jour-là et avait droit à la prestation fiscale pour enfants pour le mois d'août 1998. L'affaire sera renvoyée au ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisation en conséquence.
[15] Les dépens seront adjugés à la demanderesse.
« B.L. Strayer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-115-02
INTITULÉ : Sheila Lynn Matte
c.
Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : le 16 janvier 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : Monsieur le juge STRAYER
DATE DES MOTIFS : le 16 janvier 2003
COMPARUTIONS :
M. David Mossop, c.r. POUR LA DEMANDERESSE
Mme Susan Wong POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Community Legal Assistance Society POUR LA DEMANDERESSE
Vancouver (Colombie-Britannique)
M. Morris Rosenberg POUR LA DÉFENDERESSE
Ministère de la Justice
Bureau régional de Vancouver