Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Saini (C.A.) [2002] 1 C.F. 200
Date : 20011019
Dossier : A-121-00
Référence neutre : 2001 CAF 311
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
appelant
et
PARMINDER SINGH SAINI
intimé
Audience tenue à Toronto (Ontario) le lundi 17 septembre 2001.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le vendredi 19 octobre 2001.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE LINDEN
LE JUGE SHARLOW
LE JUGE MALONE
Date : 20011019
Dossier : A-121-00
Référence neutre : 2001 CAF 311
CORAM : LE JUGE LINDEN
ENTRE :
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
appelant
et
PARMINDER SINGH SAINI
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
LA COUR :
[1] La principale question en litige en l'espèce est celle de savoir si l'intimé, Parminder Singh Saini, qui a été déclaré coupable, au Pakistan, du détournement d'un avion de ligne et qui a par la suite été gracié par le président du Pakistan, peut être expulsé du Canada en vertu du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration, lequel a pour effet d'exclure les personnes qui ont été déclarées coupables d'un délit grave à l'extérieur du Canada. Voici le libellé de ce sous-alinéa :
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible_ : c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger : (i) soit été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans [...] |
19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes : (c.1) persons who there are reasonable grounds to believe (i) have been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence that may be punishable under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of ten years or more. |
Le juge des requêtes, qui prétendait suivre l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Burgon, [1991] 3 C.F. 44, [1991] F.C.J. No. 149 (C.A.F.), a statué que la mesure d'expulsion prise contre l'intimé le 27 octobre 1995 ne pouvait pas être exécutée. En toute déférence, il ne nous paraît pas possible de nous rallier à son opinion.
A. Les faits
[2] L'intimé est un citoyen de l'Inde qui a été déclaré coupable en 1984, au Pakistan, du détournement d'un avion de ligne indien qui effectuait la liaison entre l'Inde et le Pakistan. Il a d'abord été condamné à mort, mais sa peine a été commuée en peine d'emprisonnement à perpétuité. Après avoir été incarcéré pendant une dizaine d'années, l'intimé a été mis en liberté conditionnelle pour des raisons d'ordre médical en 1994, a obtenu une libération conditionnelle totale en 1995 et a finalement reçu l'ordre de quitter le Pakistan. Il a quitté le Pakistan pour le Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié. Bien que ce fait ne soit pas consigné au dossier, il a été révélé à l'audience que l'intimé avait d'abord menti aux autorités canadiennes, qui ont par la suite été informées des détails de la situation de l'intimé par des fonctionnaires de l'Inde. Après avoir été mises au courant de ces faits, les autorités canadiennes ont pris des mesures pour obtenir une mesure d'expulsion contre l'intimé. L'intimé a été détenu par les autorités de l'immigration pendant un certain temps, mais il a par la suite été élargi. Il vit présentement à Toronto où il étudierait les relations internationales à l'université York.
[3] Alors que l'intimé était détenu au Canada et qu'il exerçait ses droits d'appel, des membres de sa famille ont demandé en son nom au gouvernement pakistanais de le réhabiliter. Au Pakistan, le président peut gracier un condamné en vertu de l'article 45 de la Constitution de la République islamique du Pakistan, qui, à l'époque où l'intimé a obtenu sa réhabilitation, était ainsi libellé :
[TRADUCTION]
45. Le président a le pouvoir de gracier un coupable ou de lui accorder une commutation ou une remise de peine et de remettre, suspendre ou commuer toute peine infligée par toute autorité, notamment par un tribunal.
[4] En avril 1998, le président du Pakistan de l'époque a gracié l'intimé. Voici le texte du document par lequel l'intimé a été gracié et qu'il a versé au dossier :
[TRADUCTION]
OBJET+ GRÂCE DE PARMINDER SINGH SAINI, FILS D'ARJAN SINGH SAINI
J'ai reçu pour instructions de répondre au recours en grâce que vous avez adressé au président du Pakistan pour lui demander de gracier M. Parminder Singh Saini et de réhabiliter ce dernier à l'égard de la condamnation / peine d'emprisonnement qu'il a déjà purgée et qui a été prononcée par le tribunal spécial de Lahore, relativement à l'accusation d'avoir détourné un avion de l'Indian Airline qui effectuait la liaison entre Sringar et le Pakistan.
2. L'affaire a été examinée par le gouvernement du Pakistan et le président du Pakistan a décidé, en vertu des pouvoirs que lui confère l'article 45 de la Constitution de la République islamique du Pakistan, de gracier M. Parminder Singh Saini, fils d'Arjan Singh Saini, et de lui accorder une réhabilitation à l'égard de la condamnation / peine d'emprisonnement déjà purgée par lui et prononcée par le tribunal spécial de Lahore, relativement à l'accusation d'avoir détourné un avion de l'Indian Airline qui effectuait la liaison entre Sringar et le Pakistan.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments distingués.
(Muhammad Zafeer Abbasi) Secrétaire adjoint
[5] Fort de cette réhabilitation, l'intimé a déposé une demande de contrôle judiciaire de la mesure d'expulsion prise contre lui en faisant valoir qu'on ne pouvait plus dire qu'il avait été « déclaré coupable » d'une infraction au sens de l'arrêt Burgon, parce que la grâce qu'il avait obtenue avait effacé la déclaration de culpabilité. En conséquence, soutenait-il, la mesure d'expulsion ne pouvait pas être exécutée.
B. Décision du juge des requêtes
[6] Le ministre n'a pas contesté la validité de la réhabilitation obtenue par l'intimé lors de l'instruction de la demande de contrôle judiciaire. Les deux parties ont fait témoigner des experts au sujet des conséquences juridiques d'une grâce présidentielle en droit pakistanais. L'analyse du témoignage des experts du juge des requêtes et les conclusions de droit qu'il a tirées sont résumées plus loin.
[7] L'expert du ministre, Me Akhtar, se fondant sur l'arrêt anglais Foster, [1984] 2 All E.R. 679, a témoigné que, comme la grâce présidentielle ne peut être considérée comme un acquittement, la déclaration de culpabilité de l'intimé demeurait. Le juge des requêtes a écarté ce témoignage pour la raison suivante :
L'opinion de Me Akhtar s'appuie en grande partie sur la décision britannique rendue dans l'affaire Foster, qui n'a pas force exécutoire au Pakistan parce que la Constitution pakistanaise a été promulguée longtemps avant le prononcé de la décision Foster et n'y est donc pas assujettie.
[8] Le juge des requêtes a préféré le témoignage de l'expert de l'intimé, Me Zafar, qui était appuyé par une lettre du cabinet d'avocats Khwaja Law Associates. Cette lettre n'était pas faite sous serment. Dans les motifs de son ordonnance, le juge a cité l'opinion manuscrite du cabinet Khwaja dont voici le texte intégral :
[TRADUCTION]
À QUI DE DROIT :
Le président du Pakistan a gracié M. Parminder Singh Saini, ce qui emporte la suppression de toutes les conséquences juridiques de sa condamnation.
Khwaja Sultan Ahman
Avocat principal
[9] Le présent appel a été débattu devant notre Cour comme si le juge des requêtes avait conclu que l'expert de l'intimé, Me Zafar, avait affirmé que la condamnation était effacée. Or, le juge des requêtes s'est dit d'avis que, suivant la jurisprudence canadienne exprimée par notre Cour dans l'arrêtBurgon, précité, et par la Section de première instance dans les jugements Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 144 (C.F. 1re inst.), Lui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] F.C.J. No 1029 (C.F. 1re inst.) et Barnett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] F.C.J. No. 363, (C.F. 1re inst.), « une réhabilitation lave une personne de toute souillure causée par la déclaration de culpabilité » . Le juge des requêtes a fait droit à la demande de contrôle judiciaire et a ordonné que la mesure d'expulsion ne soit pas exécutée. Le juge des requêtes a statué que, parce que l'intimé avait été gracié au Pakistan, il avait été « lavé de cette déclaration de culpabilité et ne [devait] pas être expulsé pour cette raison » . Il a fondé cette conclusion sur les éléments suivants :
Personne ne peut faire fi d'une réhabilitation valide accordée dans un autre pays dont le système de justice est semblable au nôtre, et cela vaut plus particulièrement, en l'occurrence, pour un responsable de l'immigration.
[...]
Le système judiciaire pakistanais est assez semblable au nôtre et, pour reprendre les termes employés par le juge Linden dans l'arrêt Burgon, on « porterait gravement atteinte au sens canadien de la justice » si le ministère canadien de l'immigration présumait qu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction alors qu'elle est réputée ne pas avoir été déclarée coupable de cette même infraction dans le territoire où l'infraction aurait été commise.
Le juge des requêtes a certifié trois questions graves de portée générale sur lesquelles nous reviendrons plus loin.
C. L'arrêt Burgon et la jurisprudence subséquente
[10] À notre humble avis, le juge des requêtes a mal interprété le principe posé dans l'arrêt Burgon. Dans cet arrêt, notre Cour n'a pas statué que les tribunaux canadiens sont liés par toute réhabilitation accordée dans un pays étranger dont le système judiciaire est « assez semblable » au nôtre. Avant d'aller plus loin, il nous semble nécessaire d'examiner l'arrêt Burgon.
[11] Mme Burgon était une citoyenne britannique qui avait été condamnée à deux ans de probation après s'être reconnue coupable de complot en vue de fournir des drogues contrôlées. Malgré le fait qu'elle avait elle-même trempé jusqu'à un certain point dans ce complot en raison de l'influence exercée sur elle par son ex-mari et les complices de ce dernier, elle a collaboré avec la police et a contribué à faire condamner une bande de trafiquants de drogues. Peu de temps après, elle a épousé un citoyen canadien, est par la suite venue au Canada et a finalement demandé l'admission au Canada à titre de résidente permanente. Les autorités de l'immigration ont déclaré que Mme Burgon faisait partie des personnes non admissibles au Canada au sens de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration, dont l'effet était semblable à celui de son successeur, le sous-alinéa 19(1)c.1)(i), étant donné qu'il refusait l'admission aux personnes déclarées coupables d'une infraction grave à l'extérieur du Canada.
[12] Or, aux termes du paragraphe 13(1) de la Powers of Criminal Courts Act du Royaume-Uni, 1973, U.K., 1973, ch. 62, la personne qui fait l'objet d'une ordonnance de probation est expressément réputée ne pas avoir été déclarée coupable :
[TRADUCTION]
13.(1) [...] le contrevenant qui a été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle il fait l'objet d'une ordonnance de probation ou d'une ordonnance d'absolution inconditionnelle ou sous condition prononcée en vertu de la présente partie de la présente loi est réputé n'avoir été déclaré coupable que dans le cadre de l'instance au cours de laquelle l'ordonnance a été prononcée et dans celui de toute poursuite ultérieure qui pourrait être intentée contre lui en vertu des dispositions précédentes de la présente loi. [Renvois omis.]
[13] Dans les passages de l'arrêt Burgon qui nous intéressent, notre Cour a commencé son analyse en reconnaissant que les personnes qui ont commis des crimes ne sont pas nécessairement toutes exclues à jamais du Canada. Aux pages 58 et 59, la Cour déclare ce qui suit :
Le droit de l'immigration peut, à l'instar de la société en général, pardonner à ceux qui commettent des crimes. Peuvent être admises les personnes qui « peuvent justifier auprès du gouverneur en conseil [...] de leur réadaptation [et] du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de leur peine » [...] Il ressort de cette disposition qu'une personne qui commet un crime grave peut se voir accorder la chance de refaire s vie au Canada, du moins à certaines conditions. [Renvois omis.]
[14] La Cour a poursuivi en examinant les circonstances dans lesquelles une déclaration de culpabilité peut être effacée en droit canadien. À l'époque, la réhabilitation accordée au Canada en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47, avait pour effet d'annuler la condamnation et de supprimer toute incapacité découlant de cette condamnation. La Cour a également fait remarquer, dans l'arrêt Burgon, que le Code criminel permettait aux juges d'octroyer une absolution inconditionnelle ou une absolution conditionnelle qui avait pour effet de réputer que l'accusé n'avait pas été déclaré coupable, sous réserve de certaines exceptions.
[15] La Cour a expliqué son raisonnement dans le passage suivant de l'arrêt Burgon :
[L]orsqu'il a adopté de nouveau la Loi sur l'immigration en 1976, le législateur fédéral connaissait ses propres textes de loi pénale antérieurs, qui permettaient d'effacer les déclarations de culpabilité criminelles du casier des personnes méritantes. En employant les termes « déclarées coupables » à l'alinéa 19(1)c), le législateur visait donc une déclaration de culpabilité qui n'avait pas été effacée en vertu de toute autre loi édictée par lui. Si une « déclaration de culpabilité » était effacée par application des dispositions d'une autre loi du législateur fédéral, ce dernier ne voulait pas qu'elle soit traitée de la même manière qu'une déclaration de culpabilité qui n'avait pas été supprimée du casier judiciaire d'une personne. S'il avait voulu que les termes « déclarées coupables » que l'on trouve dans la Loi sur l'immigration soient interprétés autrement, il aurait pu et aurait dû l'exprimer. Lorsqu'on interprète de cette manière l'alinéa 19(1)c), on réussit à concilier -- et non à mettre en conflit -- la Loi sur l'immigration et la législation canadienne. Les principes généraux du droit criminel sont intégrés dans la Loi sur l'immigration. [Paragraphe 37.]
[16] Au terme de son analyse de la loi étrangère, la Cour a conclu que « [m]ême s'il n'est pas identique à celui du Canada, ce texte de loi du Royaume-Uni y est certainement semblable de par son contenu et de par ses effets » (paragraphe 36). En procédant à un examen de la loi canadienne et de celle du Royaume-Uni, la Cour a démontré qu'elles avaient un objet, un contenu et des effets semblables. La principale question en litige dans l'affaire Burgon était celle de savoir si le texte de loi du Royaume-Uni devait par conséquent être reconnu et être traité de la même façon que le texte de loi canadien correspondant aurait été traité.
[17] Dans l'arrêt Burgon, la Cour a décidé qu'on pouvait reconnaître en droit canadien de l'immigration l'effet du texte de loi étranger parce que les dispositions législatives précises en question et le système juridique dans son ensemble étaient semblables aux lois et au système juridique canadiens et étaient compatibles avec eux. En outre, dans cette affaire, il n'y avait aucune raison valable de ne pas respecter le texte de loi du Royaume-Uni. Ainsi que la Cour l'a déclaré :
Il n'existe aucune raison valable pour que le droit canadien de l'immigration contrecarre l'objectif de ce texte de loi britannique, qui est compatible avec le droit canadien. Nos deux systèmes juridiques reposent sur des fondements analogues et partagent des valeurs semblables [...] À moins qu'il existe un motif valable de rendre une autre décision, j'estime donc qu'il y a lieu de respecter les lois des pays qui sont semblables aux nôtres, surtout lorsque leurs buts sont identiques [...] [N]ous devons reconnaître les lois d'autres pays qui reposent sur les mêmes fondements que les nôtres, à moins qu'il existe une raison solide de s'en écarter [paragraphes 39 et 40].
[18] Il y a quelques points importants à souligner ici. Premièrement, dans l'arrêt Burgon, notre Cour a déclaré de façon non équivoque qu'elle n'était pas « tenue d'aller jusqu'à "reconnaître" les lois de tous les ressorts étrangers » (paragraphe 40). La Cour a expressément cité et approuvé les propos tenus par le juge Bora Laskin dans l'arrêt Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, à la page 863, où le juge Laskin déclarait que le droit d'un autre pays « n'est pas déterminant en ce qui concerne une question relative aux condamnations criminelles posée aux fins de déterminer si l'immigration au Canada devrait être permise » . Il est donc acquis que c'est le droit canadien de l'immigration, et non le droit étranger, qui s'applique pour décider si une absolution ou une réhabilitation accordée à l'étranger doit être reconnue au Canada.
[19] Le juge Mahoney a bien expliqué ce point dans les motifs dissidents qu'il a rédigés dans l'arrêt Burgon. Nous partageons son avis à ce sujet :
Le législateur fédéral a bien précisé que c'est la norme canadienne, et non la norme étrangère, de la gravité des crimes, mesurée en fonction de la durée possible de la peine, qui régit l'admissibilité au Canada [...] Le fondement logique de l'exclusion prévue à l'alinéa 19(1)c) doit certainement être la gravité relative -- envisagée d'un point de vue canadien -- de l'infraction dont la personne en cause a été déclarée coupable et non les conséquences réelles de cette conclusion en droit étranger [paragraphe 8].
Au sous-alinéa 19(1)c.1)(i), le législateur parle en effet expressément des infractions commises à l'étranger « qui, si elle[s] étai[en]t commise[s] au Canada, constituerai[en]t une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale » d'un emprisonnement égal ou supérieur à dix ans. Il en ressort que le droit de l'immigration canadien n'exclut pas nécessairement toutes les personnes qui ont été déclarées coupables d'un crime jugé grave dans un pays étranger. Le crime doit également être considéré comme grave au Canada pour que son auteur se voit refuser l'admission au Canada pour cette raison. Dans le même ordre d'idées, une infraction qui est considérée banale à l'étranger pourrait être considérée comme grave selon les normes canadiennes et emporter l'exclusion du contrevenant.
[20] On constate donc que, dans l'arrêt Burgon, notre Cour n'a pas décidé que le droit étranger l'emportait sur le droit canadien en matière d'immigration. Les autorités canadiennes ne sont pas tenues de reconnaître les lois et les politiques des autres pays pour décider si une personne a été « déclarée coupable » au sens de la Loi sur l'immigration. Aucun principe général de reconnaissance absolue des réhabilitations accordées à l'étranger n'a été établi dans l'arrêt Burgon, qui ne portait d'ailleurs pas sur une réhabilitation, mais bien sur une absolution et sur une ordonnance de probation. Toutefois, pour décider si une personne qui a été déclarée coupable à l'étranger mais qui a par la suite obtenu sa réhabilitation devrait être jugée non admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)c.1)(i), nos tribunaux peuvent tenir compte de l'effet des lois étrangères lorsqu'ils l'estiment justifié dans les circonstances.
[21] Qui plus est, il n'y a rien dans la jurisprudence postérieure à l'arrêt Burgon qui appuie la thèse défendue par l'intimé, en l'occurrence que la réhabilitation accordée à l'étranger lie les tribunaux canadiens dès lors qu'il existe une certaine similitude entre notre système judiciaire et nos lois et le système judiciaire et les lois d'un pays étranger.
[22] Les décisions rendues par la Section de première instance dans les affaires Lui, précitée, et Kan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] F.C.J. No. 1886, appuient toutes les deux la proposition que les tribunaux canadiens ne sont pas automatiquement liés par les lois étrangères pour l'application du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration. Dans ces deux affaires, la Cour a examiné les répercussions de l'Ordonnance de Hong Kong relative à la réhabilitation des contrevenants (l'O.R.C.), qui ressemble vaguement à notre Loi sur le casier judiciaire. Dans le jugement Lui, le juge Rothstein (qui siégeait alors à la Section de première instance et qui fait maintenant partie de notre Cour) s'est dit « convaincu que, de façon générale, l'objet de l'Ordonnance de Hong Kong relative à réhabilitation des contrevenants est similaire à celui de la Loi sur le casier judiciaire, c'est-à-dire qu'il vise à donner une deuxième chance aux personnes reconnues coupables d'une infraction en "passant l'éponge" » (paragraphe 5). Le juge Rothstein a cependant expliqué que cela ne suffisait pas. Il a correctement appliqué l'arrêt Burgon en affirmant qu'il fallait également démontrer que « le droit étranger doit avoir un a) objet, un b) contenu et des c) effets similaires [...] (paragraphe 3). Comme l'O.R.C. avait une portée beaucoup plus étroite que celle de la Loi sur le casier judiciaire et qu'elle était soumise à de nombreuses exceptions précises, la Cour a considéré à bon droit le requérant comme ayant été « déclaré coupable » et comme n'étant pas admissible au Canada. La décision Kan va dans le même sens. Dans ces deux décisions, la Cour a correctement appliqué le principe énoncé dans l'arrêt Burgon, en l'occurrence que les lois du pays étranger ne sont pas déterminantes lorsqu'il s'agit de décider s'il y a eu déclaration de culpabilité au sens de la Loi sur l'immigration canadienne, bien qu'on puisse en tenir compte lorsque les circonstances s'y prêtent.
[23] Dans l'affaire Barnett, la Section de première instance de notre Cour a statué qu'un requérant qui avait été reconnu coupable de vol avec effraction au Royaume-Uni et qui avait par la suite été réhabilité pouvait, suivant le principe posé dans l'arrêt Burgon, être considéré comme n'ayant pas été déclaré coupable. Saisie d'une requête ultérieure, la Section de première instance a refusé à bon droit de certifier une question au motif que notre Cour avait déjà tranché la question dans l'arrêt Burgon (voir le jugement Barnett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] F.C.J. No. 1058 (C.F. 1re inst.)). La première décision est cependant très éclairante pour ce qui est de la demande dont nous sommes saisis. Dans l'affaire Burgon, il était clair que la Powers of Criminal Courts Act du Royaume-Uni présumait expressément qu'il n'existait aucune déclaration de culpabilité, alors que dans l'affaire Barnett, la Cour n'a pas analysé en profondeur les conséquences juridiques d'une réhabilitation accordée en vertu de la Rehabilitation of Offenders Act du Royaume-Uni. Bien que la loi en vertu de laquelle la réhabilitation avait été obtenue n'était pas identique à celle dont il était question dans l'affaire Burgon, la Cour a estimé que « l'ultime effet est le même selon les deux lois » (paragraphe 10). La Cour a toutefois justifié cette conclusion en invoquant des raisons dont la portée était plus large que nécessaire :
La question n'est pas de savoir si le Canada possède une législation semblable, mais si le principe qui sous-tend la loi étrangère est conforme à un principe fondamental de justice respecté au sein de notre propre société.
Ainsi que le juge Rothstein l'a à juste titre fait observer dans le jugement Lui, la portée des conclusions tirées dans l'arrêt Burgon était beaucoup plus étroite que ce que cette citation laisse croire.
[24] Pour résumer, notre jurisprudence exige que l'on établisse l'existence des trois éléments suivants pour pouvoir reconnaître une absolution ou une réhabilitation accordées à l'étranger : (1) le système juridique du pays étranger doit dans son ensemble être semblable à celui du Canada ; (2) l'objet, le contenu et les effets du texte de loi étranger en cause doivent être similaires à ceux de la loi canadienne ; (3) il ne doit exister aucune raison valable de ne pas reconnaître l'effet du droit étranger.
[25] Nous allons maintenant examiner les faits de la présente affaire pour déterminer les conséquences d'une réhabilitation accordée à l'étranger dans le pays où elle est accordée. Nous déciderons ensuite, conformément aux principes dégagés dans l'arrêt Burgon, si une telle réhabilitation a un effet quelconque au Canada.
D. Conséquences d'une réhabilitation accordée à l'étranger dans le pays où elle est accordée
[26] Le premier point à examiner est celui des conséquences d'une réhabilitation accordée à l'étranger dans le pays où elle est accordée. Le droit étranger est une question de fait qui doit être prouvée à la satisfaction du tribunal. Les conclusions judiciaires au sujet du droit étranger ont donc toujours été considérées en appel comme des questions de fait (Castel, Canadian Conflict of Laws 4e éd. 1997, à la page 155). De plus, il est de jurisprudence constante que notre Cour ne modifiera une conclusion de fait, y compris une conclusion de fait portant sur un témoignage d'expert, que si une erreur manifeste et dominante a été commise (voir, par exemple les arrêts N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247 et Stein c. Le « Kathy K » , [1976] 2 R.C.S. 802).
[27] La Cour ne peut conclure qu'en tirant une conclusion de fait au sujet du droit étranger, le juge des requêtes a commis une erreur manifeste et dominante. Il a tenu pour avéré qu'en droit pakistanais, la réhabilitation a pour effet d'effacer la déclaration de culpabilité prononcée au Pakistan ou du moins ses conséquences négatives. Notre Cour se refuse de revenir sur le fait que le juge des requêtes a considéré l'opinion manuscrite de Kwaja comme une opinion d' « expert » , même s'il ne s'agissait pas à proprement parler d'une opinion d'expert et qu'elle n'était même pas donnée sous serment, ou encore à contester la façon dont le juge a abordé la question du possible parti pris de l'expert de l'intimé qui avait déjà agi pour son compte dans l'affaire du détournement d'avion ou à contester le fait que le juge a finalement préféré l'opinion de l'expert de l'intimé à celle de l'expert de l'appelant. La conclusion de fait demeure, mais le débat n'est pas vidé pour autant.
E. Conséquences au Canada d'une réhabilitation accordée à l'étranger
[28] La question suivante plus complexe à examiner est celle de savoir si nous devons ou non réserver à une réhabilitation accordée au Pakistan le même traitement que celui que nous appliquerions à une réhabilitation octroyée au Canada. Comme nous l'avons déjà signalé, la Cour a précisé, dans l'arrêt Burgon, que la personne qui a été reconnue coupable doit établir que les trois conditions suivantes sont réunies : (1) le système juridique du pays étranger doit, dans son ensemble, être essentiellement similaire à celui du Canada ; (2) l'objet, le contenu et les effets du texte de loi étranger en question doivent être similaires au droit canadien et être compatibles avec lui ; (3) il ne doit exister aucune raison valable de ne pas reconnaître l'effet du droit étranger. Examinons à tour de rôle chacun de ces éléments.
(1) Similitude des systèmes juridiques
[29] La première condition est que le système juridique de deux pays soit similaire. C'est le cas si « les deux systèmes juridiques reposent sur des fondements analogues et partagent des valeurs semblables » (arrêt Burgon, au paragraphe 39). Le juge des requêtes n'a pas appliqué le bon critère. Il a cru qu'il suffisait que les deux systèmes soient « assez semblables » . Or, cela ne suffit pas. Les systèmes doivent être « similaires » , pas seulement « assez semblables » . Il y a une différence marquée entre ces deux critères. Il ne s'agit pas d'une distinction banale. Évidemment, cela ne veut pas dire que les deux systèmes doivent être identiques, car aucun système juridique n'est identique à un autre. Il doit toutefois exister une forte ressemblance entre les deux systèmes sur le plan de leur structure, de leur histoire, de leur philosophie et de leur application avant que la loi étrangère soit reconnue dans ce contexte.
[30] De plus, la similitude entre les deux systèmes doit normalement être prouvée au moyen d'éléments de preuve en ce sens, sauf peut-être dans les rares cas où elle est évidente. En l'espèce, il n'existait pas le moindre élément de preuve pour appuyer la présomption du juge des requêtes suivant laquelle le système juridique du Pakistan est assez semblable à celui du Canada. En toute déférence, nous estimons qu'il ne suffit pas de présumer, sans preuve à l'appui, comme le juge des requêtes l'a fait, que le système de droit d'un autre pays est « assez semblable » au nôtre. Le juge des requêtes a commis une erreur en tirant une telle conclusion.
(2) La similitude des dispositions législatives précises en cause
[31] Même si le système juridique pakistanais pouvait être considéré comme semblable au nôtre -- ce qui n'a d'ailleurs pas été démontré --, il faut d'abord déterminer si l'objet, le contenu et l'effet des dispositions législatives précises en question sont compatibles avec le droit canadien et, plus précisément, avec le droit de l'immigration canadien (voir les propos du juge Rothstein (alors juge à la Section de première instance) dans le jugement Lui, au paragraphe 3). Nous devons d'abord examiner si l'objet et la philosophie de la loi canadienne sont semblables à ceux de la loi étrangère en matière de réhabilitation. Il semble clair que les lois canadiennes ont pour objet de supprimer les conséquences futures éventuelles d'une déclaration de culpabilité (voir R.P. Nadin-Davis, « Canada's Criminal Records Act : Notes on How Not to Expunge Criminal Convictions » , (1980-81), 45 Sask. L. Rev. 221). Bien qu'il soit possible que les objectifs et la philosophie des dispositions en matière de réhabilitation soient semblables partout dans le monde, il faut présenter des éléments de preuve pour le démontrer. Le juge des requêtes a par conséquent commis une erreur en ne se demandant pas si l'objet et la philosophie de la loi pakistanaise étaient semblables à ceux de la loi canadienne.
[32] Deuxièmement, nous devons examiner le contenu des lois canadiennes en les comparant aux dispositions du texte de loi étranger concernant la réhabilitation, en nous interrogeant notamment sur la procédure de même que sur le fondement factuel sur lequel la réhabilitation peut être accordée. Au Canada, la réhabilitation, lorsqu'elle est accordée, est presque invariablement régie par la Loi sur le casier judiciaire, précitée, un régime législatif qui a été formulé par le législateur fédéral et qui renferme des dispositions concernant les lignes directrices, la procédure et les conséquences d'une réhabilitation. Le Code criminel renferme des dispositions qui autorisent le gouverneur en conseil à accorder un pardon absolu ou conditionnel (voir L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 748, 748.1, 749). Bien qu'au Canada, le Souverain puisse également gracier un coupable au moyen de l'exercice unilatéral et discrétionnaire de sa prérogative royale de clémence, ce pouvoir est rarement exercé, sinon jamais (voir « Mercy for Murderers? A Historical Perspective on the Royal Prerogative of Mercy » (2001), 64 Sask. L. Rev. 559). Même dans les cas extrêmement rares où la prérogative royale est invoquée, une procédure formelle bien établie doit être suivie pour évaluer les requérants et pour formuler des recommandations à Sa Majesté, qui peut accorder ou refuser la grâce sollicitée.
[33] Il est significatif que, pour toute réhabilitation accordée au Canada, qu'elle soit octroyée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, du Code criminel ou de la prérogative royale de clémence, une procédure minutieuse et détaillée doive être suivie pour décider si une personne peut ou non obtenir la réhabilitation qu'elle sollicite. Dans presque chaque cas, la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) est habilitée à appliquer la procédure qui doit être suivie en matière d'octroi ou de révocation des réhabilitations (voir la Loi sur le casier judiciaire, précitée, art. 2.1 et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C., 1992, ch. 20, art. 110). Aux termes de la Loi sur le casier judiciaire, par exemple, celui qui demande la réhabilitation doit établir qu'il a (1) purgé toutes les peines auxquelles il a été condamné et (2) attendu un certain laps de temps après avoir fini de purger toutes les peines auxquelles il a été condamné. Il existe par ailleurs un mécanisme permettant de procéder à des enquêtes et de présenter des observations (voir les art. 4, 4.01, 4.1, 4.2 et 4.3).
[34] Aucun élément de preuve n'a été soumis au juge des requêtes au sujet du contenu du droit pakistanais ou de la procédure à suivre pour accorder une réhabilitation au Pakistan. En l'espèce, la grâce que l'intimé a obtenue lui a été octroyée par le président du Pakistan en vertu de l'article 45 de la Constitution du Pakistan. Le pouvoir du président de gracier quelqu'un au Pakistan semble absolu et inconditionnel. De fait, le paragraphe 48(2) de l'ancienne Constitution du Pakistan précisait que [TRADUCTION] « la validité de tout acte accompli par le Président dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation ne peut être remise en question pour quelque motif que ce soit » . La réhabilitation que l'intimé a obtenue lui a peut-être été accordée en vertu d'une procédure semblable à celle de la CNLC. Il l'a peut-être obtenue à titre de faveur personnelle. Elle a peut-être été achetée ou lui a été accordée pour des raisons d'ordre politique ou pour d'autres motifs étrangers. Faute de preuve, notre Cour n'est pas en mesure de conclure que le contenu des règles de droit et de la procédure régissant les réhabilitations en droit pakistanais sont semblables aux nôtres, et le juge des requêtes a commis une erreur en tirant des conclusions à ce sujet.
[35] Troisièmement, nous devons examiner les effets d'une réhabilitation au Canada en comparaison avec ceux d'une réhabilitation accordée à l'étranger. La Cour suprême du Canada a discuté du sens et de la portée d'une réhabilitation au Canada dans l'arrêt Therrien, [2001] S.C.J. No 36, [2001] R.C.S. 35. Cette affaire portait sur la contestation de la nomination d'un juge qui avait refusé de divulguer le fait qu'il avait déjà été reconnu coupable d'une infraction pour laquelle il avait par la suite obtenu une réhabilitation. La Cour a traité de la réhabilitation en common law et de la prérogative royale de clémence, ainsi que des diverses manières d'exercer cette prérogative, par exemple par le biais du Code criminel et de la Loi sur le casier judiciaire (paragraphe 113), mais elle s'est surtout attardée aux conséquences d'une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Elle a expliqué que la réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire « efface les conséquences de la condamnation et fait cesser les incapacités qu'elle pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale ou de ses règlements » (paragraphe 116). Aspect le plus important, la Cour a cependant statué que la personne reconnue coupable d'une infraction ne peut nier avoir été condamnée et que la réhabilitation n'anéantit pas la condamnation elle-même ; elle en limite seulement les effets négatifs.
[36] L'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985) ch. C-47, mod. par L.C. 2000, ch. 1, art. 4, précise dans les termes suivants les effets de la réhabilitation :
5. La réhabilitation a les effets suivants : a) d'une part, elle sert de preuve des faits suivants : ... (ii) dans le cas de toute réhabilitation, la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur ; b) d'autre part, sauf cas de révocation ultérieure ou de nullité, elle entraîne le classement du dossier ou du relevé de la condamnation à part des autres dossiers judiciaries et fait cesser toute incapacité [...] que la condamnation pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale [...] |
5. The pardon (a) is evidence of the fact ... (ii) that, in the case of any pardon, the conviction in respect of which the pardon is granted or issued should no longer reflect adversely on the applicant's character; and (b) unless the pardon is subsequently revoked or ceases to have effect, vacates the conviction in respect of it is granted and, without restricting the generality of the foregoing, removes any disqualification to which the person so convicted is, by reason of the conviction, subject by virtue of the provisions of any Act of Parliament. |
[37] Dans l'affaire Smith, précitée, la Section de première instance de la Cour fédérale s'est penchée sur une réhabilitation octroyée en vertu de l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire dans le contexte de la Loi sur l'immigration. Fait important à signaler, l'affaire Smith portait sur une réhabilitation accordée au Canada, et non à l'étranger. Voici ce que le juge MacKay a déclaré, au paragraphe 20 au sujet des réhabilitations canadiennes :
[o]n ne saurait affirmer que la Loi efface la condamnation, en ce sens que la condamnation est censée ne pas avoir existé. Bien que l'objet de la Loi sur le casier judiciaire soit d'empêcher tout autre désavantage d'origine législative qu'entraîne une condamnation visée par une réhabilitation en lavant la personne visée de la souillure causée par la condamnation et en limitant les utilisations qui peuvent être faites de la condamnation, on ne saurait affirmer que la condamnation n'a pas existé en raison de la réhabilitation.
[38] Le juge MacKay a également traité de la Loi sur l'immigration et en particulier des dispositions relatives aux personnes non admissibles. En ce qui concerne l'alinéa 19(1)c), qui est l'équivalent de sous-alinéa 19(1)c.1)(i), à ceci près qu'il porte sur les condamnations au Canada, il a conclu ce qui suit :
À mon avis, cette non-admissibilité et la mesure d'expulsion qui en résulte constituent une « incapacité » ou une « disqualification » , soit la perte du droit de demeurer au Canada, entraînée par la condamnation aux termes des dispositions d'une loi fédérale, soit la Loi sur l'immigration.
[39] Combinant son analyse de ces deux lois, le juge MacKay a décidé que l'exécution de la mesure d'expulsion sur le fondement de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration porterait atteinte à l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire. L'incapacité était supprimée grâce à la réhabilitation octroyée au Canada. La Cour n'a pas poussé son analyse plus loin dans le jugement Smith. L'autre question peut-être plus épineuse à laquelle notre Cour doit répondre en l'espèce est celle de savoir si l'incapacité découlant de l'application du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) devrait être suspendue, non pas en raison d'une réhabilitation octroyée au Canada, mais par suite d'une réhabilitation accordée en vertu d'une loi étrangère. Il s'agit là d'une question entièrement différente.
[40] Il a été jugé sans l'ombre d'un doute dans le jugement Smith et dans l'arrêt Therrien que la réhabilitation accordée au Canada ne fait cesser que l'incapacité découlant d'une condamnation et qu'elle n'a pas pour effet d'effacer la condamnation elle-même. Nous tenons à signaler qu'un pardon absolu peut être accordé au Canada et que, suivant le Code criminel, ce type de réhabilitation est réputé effacer la condamnation comme si elle n'avait jamais existé (par. 748(2)). Il importe toutefois de souligner que le gouverneur en conseil ne peut accorder un pardon absolu que lorsqu'une personne a été condamnée à tort et que, même alors, une procédure bien précise doit être suivie. On constate donc qu'il importe peu de savoir si la réhabilitation accordée au Pakistan efface véritablement la condamnation elle-même ou uniquement ses conséquences. L'appelant et l'intimé conviennent tous les deux que la réhabilitation pakistanaise efface les conséquences d'une condamnation prononcée au Pakistan. Il s'ensuit que les conséquences d'une réhabilitation en droit pakistanais ne sont pas dissemblables de celles d'une réhabilitation en droit canadien. Le juge des requêtes a eu raison sur cet aspect de sa brève analyse, mais, comme la discussion qui précède le démontre bien, cela ne suffit pas. Il n'y a pas eu le moindre élément de preuve ou même de débat au sujet des similitudes ou absence de similitude entre l'objet et le contenu du droit canadien, d'une part, et ceux du droit pakistanais, d'autre part en ce qui concerne la réhabilitation, et il s'ensuit que nous ne pouvons confirmer la décision du juge des requêtes en ce qui concerne ce deuxième volet du critère posé dans l'arrêt Burgon.
(3) Raison valable de ne pas tenir compte de la réhabilitation accordée à l'étranger
[41] Même si un pays étranger possède un système juridique semblable au nôtre et des lois similaires aux nôtres, il faut pousser l'analyse plus loin. Ainsi que la Cour suprême l'a fait remarquer dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, les non-citoyens n'ont pas un droit absolu d'entrer au Canada ou d'y demeurer. Je tiens à souligner que le droit de l'immigration canadien ne saurait être assujetti aux lois d'un autre pays, même lorsque les lois de ce pays étranger sont analogues aux nôtres. Il existe malgré tout des situations dans lesquelles, en droit canadien de l'immigration, il faut refuser de reconnaître les lois d'un pays étranger qui ressemblent fortement aux nôtres.
[42] Nous devons donc évaluer la troisième condition posée dans l'arrêt Burgon, en l'occurrence qu'il n'existe « aucune raison valable pour que le droit canadien de l'immigration contrecarre l'objectif [du] texte de loi britannique » . Notre Cour a expressément déclaré dans l'arrêt Burgon qu'il y a lieu de respecter les lois des pays qui sont semblables aux nôtres, « à moins qu'il existe un motif valable de rendre une autre décision » ou « une raison solide » de ne pas les respecter. L'appelant affirme qu'en l'espèce, il existe des « motifs valables » et des « raisons solides » de refuser de donner effet à la réhabilitation accordé au Pakistan, indépendamment de son éventuelle compatibilité avec le droit canadien. À l'appui de cet argument, l'appelant signale que certaines des dispositions de la Loi sur l'immigration reconnaissent expressément que le statut d'immigrant d'une personne peut être influencé par la gravité de l'infraction en cause en droit canadien. L'appelant fait également valoir que le texte de loi précise bien que la gravité de la peine infligée à l'étranger doit correspondre à celle prévue par notre droit (voir, par exemple le sous-alinéa 19(1)c.1)(i)). L'intimé, en revanche, insiste pour dire qu'on ne saurait logiquement invoquer la gravité de l'infraction comme facteur dans le cadre de cette analyse.
[43] À notre avis, on peut effectivement tenir compte de la gravité de l'infraction lors de l'examen de cette troisième condition. Dans l'affaire Burgon, l'infraction avait trait au trafic de stupéfiants. Dans l'affaire Barnett, la condamnation concernait un vol avec effraction. Dans les deux cas, il s'agissait de délits graves, mais la présente affaire concerne un crime beaucoup plus abominable. La gravité du crime de détournement d'avion est évidente : cet acte est universellement condamné et sévèrement puni. Bien qu'il n'y ait aucun élément de preuve au sujet des circonstances précises entourant la perpétration de ce délit, le détournement d'avion constitue un une infraction qui est toujours très grave. L'article 76 du Code criminel en fait une infraction punissable d'emprisonnement à perpétuité. Le Canada a ratifié des traités internationaux, comme la Convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, 16 décembre 1970, R.T.N.U. 12325 et laConvention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile, 23 septembre 1971, R.T.N.U. 14118, qui reconnaissent que la piraterie aérienne compromet la sécurité des personnes et des biens, gêne sérieusement l'exploitation des services aériens et mine la confiance des peuples du monde dans la sécurité de l'aviation civile. Ces instruments juridiques internationaux n'obligent pas le Canada à refuser l'admission à toute personne reconnue coupable de détournement d'avion, mais insiste fortement sur la gravité de ce crime et encourage les signataires à réprimer de peines sévères la piraterie aérienne, à prendre des mesures pour en décourager la perpétration et, de façon générale, à collaborer entre eux pour condamner ce crime sur le plan international. Il est évident que la piraterie aérienne est considérée comme une des infractions pénales les plus graves. Un détournement d'avion est susceptible de combiner en un seul acte de nombreuses infractions, dont la prise d'otages, la séquestration, le vol, les voies de fait, l'extorsion et même le meurtre. Il comporte la violation de droits de la personne individuels tels que le droit à la vie, à la sécurité de sa personne et à la liberté de circulation. Il nuit économiquement aux compagnies aériennes, aux industries connexes et à l'économie en général. Le détournement d'avion ne se résume pas à la simple capture d'un avion en tant que fin en soi ; il s'agit de la prise de contrôle d'un aéronef en vue de s'en servir [TRADUCTION] « comme un outil de coercition et d'extorsion psychologiques contre des États » (P. Wilkinson, Terrorism and The Liberal State, (London, MacMillan Press, 1977) à la page 207). Qui plus est, les victimes de ce crime ne se limitent pas aux personnes qui ont la malchance d'être physiquement touchées, et ces effets ne se bornent pas à un seul État. La piraterie aérienne terrorise tous les États et la société dans son ensemble.
[44] À notre avis, on peut et on doit tenir compte de la gravité de l'infraction lorsqu'on décide s'il y a lieu ou non de donner effet à une réhabilitation octroyée à l'étranger. Même si le système juridique pakistanais était semblable au nôtre, et même si la réhabilitation avait été accordée en vertu d'une loi semblable à une loi canadienne, la condamnation qui a été prononcée en l'espèce concernait une infraction qui est tellement odieuse aux yeux des Canadiens et dont on peut à juste titre penser qu'elle est terrifiante pour le reste du monde civilisé pour que notre Cour ne soit pas tenue de respecter la réhabilitation accordée à l'étranger à l'égard d'une telle infraction.
[45] Contrairement à ce que l'intimé prétend, on ne retrouverait pas devant le chaos si la Cour décidait que les réhabilitations accordées à l'étranger ne sont pas automatiquement reconnues au Canada. Il ne s'ensuivrait pas que les autorités de l'immigration seraient contraintes, en pareil cas, d'établir la validité de toute condamnation prononcée à l'étranger. Il n'est pas illogique d'accepter la validité d'une condamnation prononcée à l'étranger tout en ne reconnaissant pas la validité d'une réhabilitation accordée par le même pays étranger. Le texte du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) parle de personnes déclarées coupables. Le législateur n'y fait aucune allusion aux conséquences d'une réhabilitation accordée à l'étranger. Si la personne qui a été déclarée coupable à l'étranger désire contester l'applicabilité de sa condamnation à la Loi sur l'immigration, soit en prouvant qu'elle a par la suite été réhabilitée ou a obtenu une absolution, soit en établissant que sa condamnation a été infirmée en appel ou a été annulée pour un autre motif, c'est alors à elle qu'incombe la charge de cette preuve. La Loi sur l'immigration précise bien qu'il n'est pas nécessaire d'établir la validité d'une déclaration de culpabilité selon la prépondérance des probabilités : la Loi rend une personne inadmissible lorsqu'il « existe des motifs raisonnables de croire » que cette personne a été déclarée coupable d'une infraction grave à l'extérieur du Canada. Ainsi, la preuve d'une condamnation à l'étranger constitue à elle seule un « motif raisonnable de croire » qu'il y a eu déclaration de culpabilité. Or, il n'existe aucune disposition de ce genre dans la Loi ou de déclaration en ce sens dans la jurisprudence relative aux réhabilitations.
[46] Dans les motifs de sa décision, le juge des requêtes cite l'extrait suivant de l'arrêt Burgon :
On porterait gravement atteinte au sens canadien de la justice si le ministère canadien de l'immigration ou le système judiciaire canadien s'autorisait lui-même à présumer qu'une personne est déclarée coupable d'une infraction alors que cette personne est réputée ne pas avoir été déclarée coupable de la même infraction dans le territoire où l'infraction aurait été commise.
Premièrement, le juge des requêtes s'est mépris en attribuant ces propos au juge Linden. En fait, le juge Linden citait la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui avait entendu en premier la cause de Mme Burgon (voir l'arrêt Burgon, au paragraphe 40). Quoi qu'il en soit, cette affirmation demeure exacte, sous réserve toutefois de quelques précisions. On ne pourrait porter « gravement atteinte au sens canadien de la justice » que si le ministère canadien de l'immigration refusait de reconnaître une réhabilitation qui satisfait aux exigences énumérées dans cette décision. Si le système juridique est différent, si les dispositions applicables ne sont pas similaires ou s'il existe une raison valable d'agir autrement, on ne commettrait aucune injustice en refusant de reconnaître une réhabilitation accordée à l'étranger.
[47] Les réhabilitations accordées à l'étranger ne devraient être reconnues que dans de rares cas, comme dans l'affaire Burgon, où il serait injuste de ne pas donner effet aux lois semblables d'un pays semblable qui accordent un pardon absolu aux individus pour les crimes qu'ils ont commis. Le dernier volet du critère garantit que, s'il existe une raison valable de refuser de reconnaître une réhabilitation accordée à l'étranger, le candidat à l'immigration peut et doit toujours être considéré comme ayant été « reconnu coupable » au sens du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration.
F. Conclusion
[48] Pour répondre positivement à la question de savoir s'il faut donner effet à une réhabilitation accordée à l'étranger comme on le ferait pour une réhabilitation octroyée au Canada, de sorte que la personne qui a obtenue une réhabilitation ne peut pas être considérée comme ayant été déclarée coupable ou comme étant assujettie aux incapacités découlant d'une déclaration de culpabilité, il faut que les trois conditions suivantes soient réunies. Dans un premier temps, on vérifie la similitude du système juridique étranger dans son ensemble avec le nôtre. On se demande ensuite si l'objet, le contenu et l'effet de la loi en cause sont semblables à ceux de la loi canadienne correspondante. Finalement, on vérifie s'il existe ou non une raison valable de ne pas respecter la réhabilitation accordée par le pays étranger. Ces trois conditions doivent toutes être réunies pour que nos tribunaux reconnaissent une réhabilitation ou une absolution accordées à l'étranger.
[49] L'intimé n'a pas réussi à démontrer que le système juridique du Pakistan et les dispositions de la Constitution pakistanaise relatives aux réhabilitations sont semblables à celles que prévoient notre système juridique ou nos dispositions législatives pertinentes. Malgré tout, compte tenu de la gravité du crime de piraterie aérienne, notre Cour refuse de modifier une décision qui ne donne pas effet à une réhabilitation accordée à l'étranger à l'égard de ce crime.
[50] Voici les questions graves de portée générale que le juge des requêtes a certifiées :
1. Un tribunal canadien est-il lié par la réhabilitation accordée par un État étranger en l'absence d'éléments de preuve concernant les facteurs qui ont motivé l'octroi de cette réhabilitation ?
2. Une réhabilitation accordée « à l'égard de la condamnation/peine d'emprisonnement déjà purgée » doit-elle être tenue pour effacer à la fois la condamnation et ses conséquences ?
3. La nature de l'infraction de détournement d'avion constitue-t-elle une raison solide de s'écarter du principe voulant qu'une réhabilitation accordée par un État étranger, dont les lois reposent sur des fondements analogues à ceux des lois canadiennes, soit reconnue au Canada ?
[51] La Cour répond par la négative à la première question et par l'affirmative à la troisième. La Cour refuse de répondre à la seconde question, étant donné qu'il ne s'agit pas d'une question de portée générale, mais plutôt d'une question qui se limite aux faits de l'espèce, malgré le fait qu'elle soit libellée en des termes généraux.
[52] L'appel sera accueilli, la décision du juge des requêtes sera annulée et la mesure d'expulsion demeurera exécutoire. La Cour répondra aux questions de la façon suivante : Première question : Non ; Deuxième question : Pas de réponse ; Troisième question : Oui.
« A.M. Linden »
Juge
« K. Sharlow »
Juge
« B. Malone »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.
Date : 20011019
Dossier : A-121-00
OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 19 OCTOBRE 2001
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE SHARLOW
LE JUGE MALONE
ENTRE :
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
appelant
et
PARMINDER SINGH SAINI
intimé
JUGEMENT
L'appel est accueilli, la décision du juge des requêtes est annulée et la mesure d'expulsion demeure exécutoire. La Cour répond aux questions de la façon suivante : Première question : Non ; Deuxième question : Pas de réponse ; Troisième question : Oui.
« A.M. Linden »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-121-00
INTITULÉ : MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
c.
PARMINDER SINGH SAINI
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 17 septembre 2001
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE LINDEN
LE JUGE SHARLOW
LE JUGE MALONE
DATE DES MOTIFS : le 19 octobre 2001
COMPARUTIONS :
Me David Tyndale POUR L'APPELANT
Me Lorne Waldman POUR L'INTIMÉ
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Morris Rosenberg POUR L'APPELANT
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
Jackman, Waldman & Associates POUR L'INTIMÉ
Toronto (Ontario)