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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.) [2001] 3 C.F. 3

Date : 20010307

Dossier : A-850-99

Référence neutre : 2001 CAF 49

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                  appelant

                                                                       et

                                                  SUNIL BHAGWANDASS

                                                                                                                                      intimé

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 12 février 2001.

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2001.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                                                          LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                         LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                LE JUGE MALONE


Date : 20010307

Dossier : A-850-99

Référence neutre : 2001 CAF 49

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                  appelant

                                                                       et

                                                  SUNIL BHAGWANDASS

                                                                                                                                      intimé

                                                 Motifs du jugement

Le juge Sharlow

[1]         L'intimé Sunil Bhagwandass est un résident permanent du Canada au sens de la


Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Il a un casier judiciaire suffisamment chargé pour l'empêcher de revendiquer le statut de réfugié ou d'interjeter appel de toute mesure d'expulsion susceptible d'être prise contre lui si le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ou son délégué émet l'avis que M. Bhagwandass constitue un danger pour le public au Canada (paragraphe 70(5) et sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2). Un tel avis a été émis le 2 décembre 1998, mais il a été annulé le 12 décembre 1999 par l'ordonnance rendue par le juge Gibson suivant un contrôle judiciaire (Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 619, (1999) 176 F.T.R. 204, (1999) 5 Imm. L.R. (3d) 189). La Couronne a interjeté appel contre cette décision.

[2]         La question de principe en litige dont était saisi le juge Gibson avait trait à la

portée de l'obligation d'équité du ministre dans le contexte des avis de danger. Relativement à cette question, le juge Gibson a certifié une question aux termes de l'article 83 de la Loi sur l'immigration, que j'ai reformulée ainsi à des fins de concision :

Y a-t-il violation de l'obligation d'équité du ministre lorsqu'une [traduction] « Demande de l'avis du ministre » dûment remplie et qu'un [traduction] « Rapport sur l'avis du ministre » portant la signature de l'agent de réexamen et de l'analyste principal, ou des documents équivalents, font partie des documents examinés par le ministre pour la délivrance d'un avis fondé sur le paragraphe 70(5) ou sur le sous-alinéa 46.01(1)e)(iv), selon lequel la personne qui fait l'objet des rapports constitue un danger pour le public, et que cette personne n'a pas eu la possibilité de les lire et d'y répondre avant que cet avis ne soit formulé?

[3]         Après la décision du juge Gibson, un certain nombre de décisions portant sur la même question ont été rendues par la Section de première instance. Certaines suivent la décision rendue par le juge Gibson en l'espèce tandis que d'autres ne le font pas.


[4]        Les faits de l'affaire ne sont pas contestés. M. Bhagwandass est venu au Canada en

provenance de la Guyane en 1989, quelques mois avant son douzième anniversaire de naissance, et il est devenu résident permanent à la même date. Entre 1992 et 1997, il a été déclaré coupable d'un certain nombre de crimes, notamment pour trafic de drogue et vol qualifié. Un fonctionnaire du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a pris connaissance de son casier judiciaire. Le 19 juin 1998, le directeur du bureau de Calgary du ministère a envoyé une lettre à M. Bhagwandass. L'avocat de la Couronne a qualifié cette lettre de « lettre d'intention » . Celle-ci énonçait en partie ce qui suit :

[traduction] Vous êtes par la présente informé du fait que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) détient des éléments de preuve indiquant que vous êtes une personne constituant un danger pour le public au Canada. Nous avons l'intention de demander un avis en ce sens au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

[5]        La lettre résumait ensuite les conséquences juridiques de cet avis, si celui-ci était

donné. La lettre ajoutait que le ministre tiendrait compte de certains documents relatifs au casier judiciaire de M. Bhagwandass, dont les copies étaient jointes. En outre, la lettre expliquait que le ministre ferait référence à certains documents disponibles au public se rapportant au ou aux pays vers lesquels M. Bhagwandass pourrait être renvoyé (vraisemblablement la Guyane). Enfin, M. Bhagwandass a été informé de son droit de présenter des observations écrites et des éléments de preuve documentaire. La lettre se termine ainsi :


[traduction] Ces observations, arguments et éléments de preuve seront examinés par le ministre, mais ils doivent être reçus par CIC à l'adresse susmentionnée au plus tard 15 jours après la réception de la présente lettre. Les éléments de preuve, les arguments et les autres observations écrites que vous présenterez doivent porter sur les questions de savoir si vous constituez un danger pour le public ou s'il existe des raisons d'ordre humanitaire dans votre cas, ou sur la mesure dans laquelle votre vie ou vos libertés sont menacées par votre renvoi du Canada.

[6]        Plusieurs observations peuvent être faites au sujet de cette lettre. Premièrement,

elle établit un délai de 15 jours pour la présentation d'arguments. On n'a pas prétendu que ce délai était déraisonnable. Deuxièmement, elle communique tous les renseignements dont disposaient alors les fonctionnaires du ministère et que ces derniers voulaient soumettre au ministre. Troisièmement, elle indique qu'en décidant s'il émettrait un avis de danger, le ministre déterminerait si M. Bhagwandass serait en danger en cas de renvoi en Guyane et il tiendrait compte des raisons d'ordre humanitaire. La pertinence des dangers découlant du renvoi et des considérations d'ordre humanitaire quant à l'avis de danger n'est pas indiquée, mais je déduis que M. Bhagwandass devait comprendre que, s'ils étaient suffisamment convaincants, ces facteurs étaient susceptibles d'amener le ministre à décider de ne pas émettre un avis de danger ou, subsidiairement, de ne pas le renvoyer en Guyane.

[7]        Il découle de cela que la décision d'émettre ou non un avis de danger a été


présentée à M. Bhagwandass comme étant davantage que la simple détermination de la question de savoir s'il était dangereux. Elle lui a été présentée comme une décision discrétionnaire sur la question de savoir si on lui permettrait de conserver son statut de résident permanent malgré son casier judiciaire. Si j'ai bien compris les arguments de l'avocat de la Couronne dans la présente affaire, c'est exactement la manière dont le ministre et ses délégués considèrent les avis de danger.

[8]        Le 17 août 1998, l'avocat de M. Bhagwandass a présenté des arguments au nom

de ce dernier. Ces arguments comportaient une analyse des raisons d'ordre humanitaire applicables à M. Bhagwandass ainsi que des éléments de preuve de l'appui de la famille et de la collectivité.

[9]        Un autre fonctionnaire du ministère à Calgary, apparemment un agent

d'immigration, a préparé en date du 7 octobre 1998 un rapport fondé sur tous les documents mentionnés dans la lettre d'intention et dans les arguments présentés au nom de M. Bhagwandass. Le rapport s'intitule [traduction] « Rapport sur l'avis du ministre » et consiste en un formulaire rempli, auquel est ajouté une seconde feuille contenant des renseignements supplémentaires, qui résume les [traduction] « renseignements relatifs au danger et aux antécédents judiciaires » , les [traduction] « renseignements sur la signification et les arguments » et les [traduction] « autres facteurs » (qui comprendraient les raisons d'ordre humanitaire, l'ordre public et les facteurs relatifs aux risques d'un renvoi pour l'intéressé). Le rapport se termine par cette recommandation :


[traduction] À la lumière des renseignements susmentionnés et après examen de tous les facteurs pertinents, je recommande qu'aux termes [du paragraphe 70(5)] de la Loi sur l'immigration, l'avis du ministre selon lequel [M. Bhagwandass] constitue un danger pour le public soit demandé.

[10]      Cette recommandation est signée par l'agent d'immigration. Dans la partie du

formulaire intitulée [traduction] « Commentaires du gestionnaire » se trouvent les mots écrits à la main [traduction] « Je suis d'accord » , suivis par la signature du directeur en date du 7 octobre 1998.

[11]      Le Rapport sur l'avis du ministre a été envoyé aux bureaux du ministère à Ottawa.

M. Bhagwandass n'en a pas reçu copie avant son envoi. Il n'a pas eu non plus la possibilité d'y répondre.

[12]      À Ottawa, un second rapport, appelé [traduction] « Demande de l'avis du

ministre » , a été préparé par une agente de réexamen. La première partie du rapport, intitulée [traduction] « Profil du danger » , résume les antécédents judiciaires de M. Bhagwandass. La deuxième partie, intitulée [traduction] « Risques du renvoi » , analyse la situation en Guyane. On n'y mentionne aucunement les questions soulevées dans les arguments présentés au nom de M. Bhagwandass, sauf peut-être dans la troisième partie du rapport, qui s'intitule [traduction] « Remarques et recommandations de l'agent de réexamen » , laquelle est rédigée comme suit :


[traduction] J'ai examiné attentivement la lettre d'avis, les documents à l'appui mentionnés dans cet avis et le Rapport sur l'avis du ministre préparé par CIC de même que les arguments présentés par le client [M. Bhagwandass]. Les documents susmentionnés constituent l'ensemble des documents fournis au délégué du ministre au soutien de la demande d'émission d'un avis selon lequel [M. Bhagwandass] constitue un danger pour le public aux termes du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration.

[13]      La « Demande de l'avis du ministre » a été signée par l'agente de réexamen

le 25 novembre 1998. La signature de cette dernière est suivie par les mots en lettres moulées [traduction] « Je suis d'accord » et par la signature apposée par un analyste principal le 27 novembre 1998. Le dossier n'indique pas si la recommandation d'un fonctionnaire du ministère est requise avant que le ministre ou son délégué détermine si un avis de danger devrait être émis dans un cas particulier. Quoi qu'il en soit, quatre fonctionnaires du ministère ont fait une recommandation en ce sens en l'espèce.

[14]      Il ressort que la Demande de l'avis du ministre, portant les signatures de l'agente

de réexamen et de l'analyste principal, a été remise au délégué du ministre pour qu'il l'examine avec le Rapport sur l'avis du ministre, les documents relatifs au casier judiciaire de M. Bhagwandass et les arguments présentés en son nom. M. Bhagwandass n'a pas reçu copie du Rapport sur l'avis du ministre ni de la Demande de l'avis du ministre avant que ceux-ci soient remis au délégué du ministre. Il n'a pas eu non plus la possibilité d'y répondre.


[15]      La dernière partie de la « Demande de l'avis du ministre » consiste en une section

intitulée [traduction] « Décision » , dans laquelle le délégué du ministre a indiqué au moyen de sa signature du 2 décembre 1998 qu'il était d'avis que M. Bhagwandass constituait un danger pour le public.

[16]      M. Bhagwandass a été informé de l'avis peu après sa délivrance. Le Rapport sur

l'avis du ministre et la Demande de l'avis du ministre ne lui ont pas été communiqués à ce moment-là. Ils ne lui ont été communiqués que lorsqu'il a présenté sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, ayant été inclus dans les documents demandés par M. Bhagwandass pour les fins de sa demande d'autorisation.

[17]      La Loi sur l'immigration et le Règlement ne mentionnent rien quant à la procédure

à suivre en matière de délivrance d'avis de danger. Il est admis que la procédure suivie en l'espèce était la procédure habituelle, mais on n'a fourni aucun élément de preuve documentaire pour expliquer la procédure habituelle en matière d'avis de danger ou les principes qui la sous-tendent.

[18]      Devant le juge Gibson et devant notre Cour, la Couronne a prétendu que forcer la


communication à l'avance du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande de l'avis du ministre serait incompatible avec la décision rendue par la Cour dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F.). Le juge Gibson a rejeté cet argument au motif que l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, avait écarté l'arrêt Williams et qu'elle faisait maintenant autorité.

[19]      Les arrêts Williams et Baker ne traitent ni l'un ni l'autre de la portée de

l'obligation du décideur de communiquer à la personne touchée par la décision les documents sur lesquels il se fondera, de manière à ce que cette personne ait la possibilité de réagir. Cela était toutefois la question dont était saisie la Cour dans l'arrêt récemment rendu dans l'affaire Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2000] 4 C.F. 407, (2000) 257 N.R. 139 (C.A.).

[20]      Dans Haghighi, un citoyen iranien s'était appuyé sur le paragraphe 114(2) pour


demander une dispense de l'exigence de faire une demande d'établissement de l'extérieur du Canada. Le délégué du ministre avait refusé d'accorder la dispense en se fondant en partie sur un rapport préparé par un agent de révision des revendications refusées (ARRR) relativement à la situation en Iran. L'ARRR avait conclu que le demandeur ne ferait pas face à un risque indu de torture ou d'autres formes de persécution s'il retournait en Iran. Le rapport de l'ARRR n'a pas été communiqué au demandeur avant l'examen de sa demande fondée sur le paragraphe 114(2), quoique celui-ci connaissait tous les documents sur lesquels il était fondé. Appliquant l'analyse de l'arrêt Baker, la Cour a estimé que l'obligation d'équité exigeait la communication du rapport au demandeur, de manière à ce qu'il puisse y répondre avant qu'il soit statué sur la demande fondée sur le paragraphe 114(2).

[21]      Je tire de la décision Haghighi l'assertion suivant laquelle après l'arrêt Baker, il

faut considérer comme étant plus que minime la teneur de l'obligation d'équité rattachée aux décisions prises aux termes du paragraphe 114(2). Sur cette question, l'arrêt Baker écarte l'arrêt rendu par la Cour dans Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 170 N.R. 238, 29 Imm. L.R. (2d) 82. Toutefois, en raison de la nature discrétionnaire d'une décision prise aux termes du paragraphe 114(2) et du cadre non contradictoire et institutionnel dans lequel elle est rendue, l'obligation d'équité procédurale applicable à cette décision est moindre que celle qui s'applique aux décisions d'un tribunal indépendant exerçant une fonction juridictionnelle qui se prononce sur les droits reconnus aux individus par la loi.

[22]      L'arrêt Haghighi établit également que lorsqu'on cherche à déterminer si


l'obligation d'équité exige la communication à l'avance d'un rapport interne du ministère sur lequel le décideur s'appuiera pour rendre une décision discrétionnaire, la question ne consiste pas à savoir si le rapport constitue ou contient la preuve de faits inconnus de la personne touchée par la décision, mais bien à savoir si la communication du rapport est requise pour que cette personne ait une possibilité raisonnable de participer d'une manière significative au processus de prise de décision. Les facteurs qui peuvent être pris en considération à cet égard sont notamment : (i) la nature et l'effet de la décision dans le cadre du régime législatif; (ii) la question de savoir si, en raison de l'expertise de l'auteur du rapport ou d'autres circonstances, le rapport aura probablement une influence telle sur le décideur que la communication à l'avance est requise pour « équilibrer les chances » ; (iii) le préjudice qui pourrait vraisemblablement découler d'une décision fondée sur une mauvaise compréhension ou sur un examen erroné des faits pertinents; (iv) la mesure dans laquelle la communication à l'avance du rapport permettrait d'éviter le risque qu'une décision mal fondée soit rendue; (v) les coûts que la communication à l'avance pourrait entraîner, dont ceux liés aux retards dans le processus de prise de décision.

[23]      L'examen de ces facteurs a amené la Cour à conclure, dans Haghighi, que

l'obligation d'équité exigeait la communication à l'avance du rapport de l'ARRR en cause dans cette affaire. J'estime que le raisonnement suivi dans Haghighi est convaincant et qu'il doit déterminer l'issue de la présente affaire à moins que celle-ci puisse faire l'objet d'une distinction fondée sur la différence entre une décision discrétionnaire prise aux termes du paragraphe 114(2) et un avis de danger émis aux termes du paragraphe 70(5) ou du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv). C'est dans ce contexte qu'il est utile d'examiner l'arrêt Williams.


[24]      Il y avait plusieurs questions en litige dans Williams, mais pour les fins de la

présente affaire, il est nécessaire d'en aborder seulement deux. La première consistait à savoir si le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, l'une des deux dispositions relatives à l'avis de danger, était invalide au motif qu'il contrevenait à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a été dit dans cet arrêt que les résidents permanents ayant commis des crimes d'une certaine gravité étaient expulsés pour la raison d'ordre public que ceux-ci avaient délibérément contrevenu à une condition essentielle à laquelle il leur avait été permis de demeurer au Canada (référence à l'arrêt Chiarelli c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1992] 1 R.C.S. 711). Une telle personne n'a plus le droit de demeurer au Canada. L'exécution légale d'une mesure d'expulsion ne porte pas atteinte aux droits que lui garantit la Charte. De la même manière, il n'y a pas atteinte à la Charte du simple fait que la mesure d'expulsion ne peut pas faire l'objet d'un appel à la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

[25]      La deuxième question en litige de l'arrêt Williams qui doit être examinée en

l'espèce consiste à savoir si un avis de danger doit être motivé. La Cour a dit que même s'il était toujours préférable que le décideur fournisse les motifs de sa décision, l'omission de donner les motifs au soutien d'un avis de danger ne constituait pas une violation des principes de justice fondamentale et de l'obligation d'équité.


[26]      Ces deux assertions tirées de l'arrêt Williams sont fondées sur le rejet de

l'argument voulant que l'effet juridique d'un avis de danger émis en vertu du paragraphe 70(5) soit l'expulsion. De toute évidence, un avis de danger émis aux termes du paragraphe 70(5) n'est pas une mesure d'expulsion ni une mesure de renvoi. Il ne fait qu'empêcher qu'il y ait appel d'une mesure d'expulsion auprès de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ce qui signifie concrètement que la Section d'appel ne peut pas prendre en considération les raisons d'ordre humanitaire pour ne pas exécuter la mesure d'expulsion. Il a été dit dans Williams que le ministre pouvait tenir compte de ces raisons pour accorder la même réparation discrétionnaire en vertu du paragraphe 114(2). Il a été dit qu'en conséquence, l'avis de danger avait simplement remplacé une forme possible de réparation discrétionnaire par une autre.

[27]      La Couronne a présenté un argument semblable en l'espèce. On a fait valoir que


lorsque la décision visée par le paragraphe 114(2) était défavorable, le demandeur avait perdu la dernière chance d'obtenir une dispense des exigences de la Loi sur l'immigration pour des raisons d'ordre humanitaire et que cela constituait un facteur pouvant justifier des protections procédurales supplémentaires. Par opposition, une personne faisant l'objet d'un avis de danger conserve le droit de demander que, pour des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2), une mesure d'expulsion ou de renvoi ne soit pas exécutée. On a prétendu que, pour ces motifs, l'effet d'un avis de danger n'était pas aussi grave que celui d'une décision défavorable rendue aux termes du paragraphe 114(2) et que les protections procédurales devaient être corrélativement moins grandes.

[28]      Je ne peux pas faire une distinction d'avec Haghighi de la manière proposée par

la Couronne. Je ne conteste pas la conclusion de l'arrêt Williams selon laquelle la délivrance d'un avis de danger ne fait pas intervenir l'article 7 de la Charte, mais je n'interprète pas cet arrêt comme exigeant la conclusion que l'effet juridique et concret de l'avis de danger est moins important qu'une décision défavorable rendue aux termes du paragraphe 114(2). Comme il a été souligné dans l'arrêt Baker, une décision défavorable prise en vertu du paragraphe 114(2) peut avoir comme effet d'ouvrir la voie à l'expulsion parce qu'une demande fondée sur ce paragraphe constitue la dernière chance d'éviter le renvoi du Canada. De la même manière, l'avis de danger doit mener au renvoi. Cela est compatible avec ce que je considère être l'objet du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(i), qui consiste à éliminer un obstacle potentiel au renvoi rapide des criminels dangereux du Canada.

[29]      Hormis cela, il vaut la peine de répéter que lorsqu'on a informé M. Bhagwandass


qu'on étudiait la possibilité d'émettre un avis de danger, on lui a demandé de présenter des arguments relatifs aux raisons d'ordre humanitaire applicables dans son cas. Il a été amené à croire, ce qui correspond à la pratique, que ces raisons étaient prises en considération dans l'examen de la question de savoir si l'avis de danger devait être émis. Même s'il serait possible pour M. Bhagwandass, une fois l'avis de danger émis, de demander la dispense prévue au paragraphe 114(2) relativement à l'expulsion ou au renvoi, il est difficile d'imaginer comment on pourrait raisonnablement s'attendre à ce qu'une décision fondée sur ce paragraphe soit favorable si les mêmes raisons n'ont pas empêché la délivrance de l'avis de danger. Il est possible qu'après la délivrance de l'avis de danger et avant le renvoi, les circonstances changent de manière à motiver une décision favorable fondée sur le paragraphe 114(2), mais il me semble que dans la plupart des cas, le délai écoulé entre les deux événements sera relativement court et que la probabilité d'un changement de situation sera corrélativement faible. Invoquer la possibilité théorique d'une décision favorable de dernière minute aux termes du paragraphe 114(2) comme motif raisonnable d'imposition d'une norme d'équité procédurale moins exigeante en matière d'avis de danger revient à préférer la forme à la réalité.

[30]      La Couronne prétend également que le niveau de protection procédurale devrait


être relativement bas en matière d'avis de danger parce que la personne visée, ayant un casier judiciaire de la gravité requise, a déjà contrevenu à l'une des conditions auxquelles son droit d'établissement est assujetti, de sorte qu'elle ne mérite pas la protection procédurale supplémentaire sollicitée en l'espèce. Je n'accepte pas cet argument. Le public a un intérêt véritable à ce que les criminels susceptibles d'être dangereux soient renvoyés rapidement, mais le législateur a par ailleurs implicitement reconnu que les criminels ne sont pas tous dangereux et a conféré au ministre le pouvoir discrétionnaire le plus large possible pour que celui-ci détermine quels criminels sont dangereux au point où ils doivent être privés du droit de revendiquer le statut de réfugié et d'interjeter appel contre une mesure d'expulsion. La communication en temps opportun des documents en cause en l'espèce vise seulement à rehausser l'équité de la procédure de l'avis de danger.

[31]      Enfin, la Couronne soutient que la procédure de l'avis de danger n'est pas


contradictoire et que, pour ce motif, l'obligation d'équité du ministre n'existe qu'à un faible degré. Je ne peux pas accepter cet argument. Il me semble au contraire que la procédure de l'avis de danger adoptée par le ministre laisse voir la nécessité d'une norme d'équité plus exigeante que la norme applicable aux décisions prises aux termes du paragraphe 114(2). Cela est dû au fait que la procédure est contradictoire dès ses débuts et qu'elle le demeure jusqu'à la fin. Dans la présente affaire, la procédure a commencé par la lettre d'intention du 19 juin 1998 informant M. Bhagwandass qu'un fonctionnaire du ministère croyait qu'un avis de danger s'imposait. Cette lettre mentionne les observations, les arguments et la preuve qui sont pris en considération par le ministre, lesquels constituent manifestement les attributs d'un processus contradictoire. La dernière étape de la procédure, avant la prise de la décision, a été la présentation au délégué du ministre du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande de l'avis du ministre. Étant donné le contenu et l'objet apparent de ces documents, ceux-ci peuvent à juste titre être qualifiés d'outils de plaidoirie par lesquels les fonctionnaires du ministère recommandent la délivrance d'un avis de danger et énoncent les faits pour lesquels ils croient que cette recommandation est justifiée. Il ressort, on ne peut plus clairement, des documents que les fonctionnaires du ministère s'étaient ligués contre M. Bhagwandass. Il ne faut pas les critiquer pour cela. Ils se sont manifestement fait demander leur avis et ils avaient le droit de l'exprimer. Mais le fait de qualifier la procédure de non contradictoire n'est tout simplement pas compatible avec la preuve.

[32]      J'ai aussi conclu que la communication du Rapport sur l'avis du ministre et de la

Demande de l'avis du ministre ne retarderait pas l'expulsion des personnes dangereuses au point où l'objet de la loi ne serait pas respecté. Il n'est pas nécessaire que le délai supplémentaire soit long. Il serait loisible au ministre d'imposer un délai relatif aux observations finales sur les rapports, de restreindre ces observations aux questions soulevées ou qui auraient dû être soulevées dans les rapports en raison des éléments de preuve présentés antérieurement et de refuser d'accepter tout nouvel élément de preuve sauf dans des circonstances spéciales. De plus, si elle est bien faite, la communication des rapports et des observations y répondant pourrait permettre d'écarter l'argument possible que le ministre ou son délégué n'a pas tenu compte de certains renseignements importants, ce qui est susceptible d'éliminer un motif à l'appui de nombreuses demandes de contrôle judiciaire d'avis de danger. Cela pourrait donner lieu à une réduction globale du délai de renvoi des criminels dangereux.


[33]      La Couronne a également soutenu que, conformément à l'arrêt Baker, le Rapport

sur l'avis du ministre et la Demande de l'avis du ministre constituaient des « motifs » , de sorte qu'il était illogique d'exiger leur communication avant que la décision ne soit rendue. Cet argument ne tient plus lorsque l'arrêt Baker est bien compris. Avant cet arrêt, il était généralement estimé que l'obligation d'équité n'exigeait pas que des motifs soient fournis pour les décisions rendues aux termes du paragraphe 114(2). L'arrêt Baker a établi que ces décisions devaient être motivées. Toutefois, dans les circonstances particulières de cette affaire, il a été conclu que les notes du décideur suffisaient pour constituer des motifs. Le fondement de cette conclusion est l'inférence factuelle selon laquelle les motifs de la décision sont énoncés dans les notes du décideur, même si ces notes n'ont pas été écrites en tant que motifs.

[34]      Ce qu'on sollicite en l'espèce, c'est la communication du Rapport sur l'avis du


ministre et de la Demande de l'avis du ministre, après leur signature par l'agente de réexamen et l'analyste principal et avant leur présentation au ministre. À ce moment-là, ils ne constituaient pas et ne pouvaient pas constituer les motifs de l'avis de danger puisqu'aucun avis n'avait été émis. Le ministre ou son délégué a accepté la recommandation des fonctionnaires du ministère énoncée dans les deux rapports, il a émis l'avis de danger et il aurait pu adopter les rapports comme motifs de cet avis. La question de savoir si les rapports ont été adoptés de la sorte en l'espèce est une question factuelle qu'il n'y a pas lieu de trancher parce que le bien-fondé de l'avis de danger lui-même n'est pas en cause.

[35]      Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le ministre a contrevenu à son

obligation d'équité envers M. Bhagwandass en faisant défaut de lui communiquer le Rapport sur l'avis du ministre et la Demande de l'avis du ministre, dans la forme où ceux-ci ont été présentés au ministre ou à son délégué, et de lui fournir ainsi une possibilité raisonnable d'y répondre. Je suis d'accord avec le juge Gibson que la question certifiée doit recevoir une réponse affirmative, et je suis d'avis de rejeter le présent appel.

Karen R. Sharlow

J.C.A.

« Je souscris aux présents motifs

Marshall Rothstein, J.C.A. »

« Je souscris aux présents motifs

Brian Malone J.C.A. »

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


Date : 20010307

Dossier : A-850-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 MARS 2001

EN PRÉSENCE DE :             MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

MADAME LE JUGE SHARLOW

MONSIEUR LE JUGE MALONE

ENTRE :

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                  appelant

                                                                       et

                                                  SUNIL BHAGWANDASS

                                                                                                                                      intimé

                                                             JUGEMENT

La question certifiée reçoit une réponse affirmative et le présent appel est rejeté.

Marshall Rothstein

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                               A-850-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et

SUNIL BHAGWANDASS

LIEU DE L'AUDIENCE :                  CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 FÉVRIER 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :    LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :              LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

EN DATE DU :                                   7 MARS 2001

ONT COMPARU

M. Brad Hardstaff                                 POUR L'APPELANT

M. Melvin L. Crowson              POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Morris Rosenberg                            POUR L'APPELANT

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Margat & Company                              POUR L'INTIMÉ

Calgary (Alberta)

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