A-285-96
OTTAWA, le jeudi 26 septembre 1996.
CORAM : LE JUGE HUGESSEN
LE JUGE STRAYER
LE JUGE DESJARDINS
E n t r e :
SYNDICAT INTERNATIONAL DES DÉBARDEURS
ET MAGASINIERS, SECTION LOCALE 502,
requérant,
et
RODNEY McLEAN,
intimé.
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« James K. Hugessen »
J.C.A.
Traduction certifiée conforme
C. Delon, LL.L.
A-285-96
CORAM : LE JUGE HUGESSEN
LE JUGE STRAYER
LE JUGE DESJARDINS
E n t r e :
SYNDICAT INTERNATIONAL DES DÉBARDEURS
ET MAGASINIERS, SECTION LOCALE 502,
requérant,
et
RODNEY McLEAN,
intimé.
Audience tenue à Vancouver le vendredi 20 septembre 1996.
Jugement rendu à Ottawa le jeudi 26 septembre 1996.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE HUGESSEN
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE STRAYER
LE JUGE DESJARDINS
A-285-96
CORAM : LE JUGE HUGESSEN
LE JUGE STRAYER
LE JUGE DESJARDINS
E n t r e :
SYNDICAT INTERNATIONAL DES DÉBARDEURS
ET MAGASINIERS, SECTION LOCALE 502,
requérant,
et
RODNEY McLEAN,
intimé.
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE HUGESSEN
La Cour est saisie d'une demande visant à obtenir le contrôle et l'annulation d'une décision rendue le 7 mars 1996 par le Conseil canadien des relations du travail. Par cette décision, le Conseil a accueilli une plainte déposée par l'intimé en vertu de l'article 69 du Code[1] et a ordonné que le Conseil reprenne l'audition de l'affaire sur la question des réparations appropriées.
Le requérant est un syndicat qui a signé une convention collective en vue de fournir des services de débardage dans le port de New Westminster. Aux termes de ce contrat, il affecte au besoin des travailleurs « occasionnels » à des tâches de débardage.
Le requérant n'a soulevé que deux questions de fond.
La première concerne l'application du délai de prescription prévu au paragraphe 97(2) du Code :
97. ...
(2) Subject to subsections (3) to (5), a complaint pursuant to subsection (1) shall be made to the Board not later than ninety days after the date on which the complainant knew, or in the opinion of the Board ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint. |
97. ...
(2) Sous réserve des paragraphes (3) à (5), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date où le plaignant a eu - ou, selon le Conseil, aurait dû avoir - connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte. |
Comme il a déjà été précis, la plainte de l'intimé était fondée sur une présumée contravention à l'article 69. Cet article est ainsi libellé :
69. (1) In this section, "referral" includes assignment, designation, dispatching, scheduling and selection.
(2) Where, pursuant to a collective agreement, a trade union is engaged in the referral of persons to employment, it shall establish rules for the purpose of making such referrals and apply those rules fairly and without discrimination.
(3) Rules applied by a trade union pursuant to subsection (2) shall be kept posted in a conspicuous place in every area of premises occupied by the trade union in which persons seeking referral normally gather. |
69. (1) Pour l'application du présent article, sont compris dans le placement l'affectation, la désignation, la sélection, la répartition du travail et l'établissement des horaires.
(2) Le syndicat qui, aux termes d'une convention collective, s'occupe du placement de demandeurs d'emploi pour l'employeur est tenu d'établir des règles à cette fin et de les appliquer de façon juste et non discriminatoire.
(3) Les règles visées au paragraphe (2) doivent être affichées bien en vue dans tout local du syndicat où se réunissent habituellement des personnes qui se présentent en vue du placement.
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Le Conseil a estimé que, dans sa plainte, l'intimé reprochait au requérant d'avoir contrevenu à la fois au paragraphe 69(2) et au paragraphe 69(3). Suivant le Conseil, le syndicat avait contrevenu au paragraphe 69(2) en raison du fait qu'il appliquait, jusqu'à une date indéterminée de l'année 1994, une politique qui était discriminatoire et injuste parce qu'elle accordait un traitement favorable aux débardeurs occasionnels qui étaient proches parents de membres du syndicat. Le Conseil a conclu que le syndicat avait également contrevenu au paragraphe 69(3) parce que cette politique ne s'appliquait pas en réalité et qu'aucune autre politique n'avait été affichée, en contravention de cette disposition.
Si j'ai bien compris, le requérant soutient essentiellement que le Conseil a outrepassé sa compétence et qu'il a tiré une conclusion manifestement déraisonnable en statuant que la plainte déposée par le requérant le 5 mai 1994 avait pas présentée dans les 90 jours suivant la date où il avait eu — ou aurait dû avoir — connaissance des circonstances ayant donné lieu à la plainte. Comme il ressortait de la preuve que le poste de l'intimé affiché au « tableau des occasionnels » (une liste classant les employés occasionnels éventuels par ordre d'ancienneté) avait été établi au plus tard en 1988, et comme il avait déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en 1991 au motif qu'il était victime de discrimination, la conclusion du Conseil selon laquelle la plainte de 1994 avait été déposée dans les délais impartis était nécessairement abusive. Je ne suis pas de cet avis.
Les conclusions de fait du Conseil étaient très précises :
[TRADUCTION]
Le déplacement des membres du syndicat du tableau « G » au tableau « A » est crucial du point de vue de la sécurité d'emploi des occasionnels et de leurs aspirations à devenir membres du syndicat. Plus vite un membre gravit les échelons pour arriver au sommet du tableau « A », plus vite il peut adhérer au syndicat et se voir garantir un emploi à temps plein. Il importe donc de s'assurer que la méthode utilisée pour inscrire les employés sur les tableaux des occasionnels et leur faire gravir les échelons soit équitable et exempte de discrimination.
Le 3 octobre 1991, le syndicat a promulgué une formule régissant les déplacements, qui établit les modalités selon lesquelles les membres se déplacent vers le haut ou vers le bas sur les tableaux des occasionnels.
(Motifs de la décision, dossier du requérant, à la page 72.)
La « formule », qui est énoncée à la pièce 18 du dossier du Conseil était censée exiger que l'ordre de priorité des travailleurs occasionnels soit déterminé exclusivement en fonction de l'ancienneté et de la moyenne d'heures effectuées. Le Conseil a toutefois poursuivi en faisant ressortir d'autres éléments de preuve :
[TRADUCTION]
Wilfred Bélanger, qui était secrétaire-trésorier de la section locale 502 de 1984 à 1994, affirme dans son témoignage que, avant le 3 octobre 1991 et malgré les modalités exposées dans la pièce 18, pendant qu'il était secrétaire-trésorier, le déplacement des occasionnels d'un tableau à l'autre se faisait essentiellement de façon ponctuelle, qui à notre avis dépendait du caprice du Comité chargé des griefs et des demandes de placement ou de l'assemblée générale des membres. M. Bélanger reconnaît que, malgré les dispositions des paragraphes 69(2) et 69(3), aucune politique officielle de placement n'a été établie, adoptée ou instaurée avant 1994, c'est-à-dire après que M. McLean eut présenté sa plainte.
[Passage non souligné dans l'original.]
(Motifs de la décision, dossier du requérant, à la page 73.)
Et plus loin :
[TRADUCTION]
Le témoignage de Kurt Penner révèle que le syndicat n'a pas mis fin à ses manquements en 1988. M. Penner affirme qu'il a obtenu le statut de membre du syndicat en mars 1988. À la fin de cette année-là, il était passé au tableau « E ». Comme le montre la pièce 14, en mars 1989, M. Penner devançait un certain C. Andersen (no 35642) sur le tableau « E ». Selon M. Bélanger, le système de numérotation du syndicat, qui a été instauré en mai 1988, garantissait que les membres qui en précédaient d'autres sur les tableaux des occasionnels — et qui maintenaient le nombre d'heures minimales — conservaient leur ancienneté au moment de tous les déplacements subséquents sur les tableaux. Toutefois, dans son témoignage non contredit, M. Penner a déclaré au Conseil que, même s'il précédait M. Andersen du point de vue de l'ancienneté sur les tableaux des occasionnels en mars 1989 et qu'il répondait aux exigences du syndicat en matière de travail et d'heures accomplies par année pour pouvoir conserver sa place, M. Andersen se trouvait, à la date de son témoignage, sur le tableau « B » tandis que lui se trouvait toujours sur le tableau « C ». Selon M. Penner, M. Andersen est parent d'un membre du syndicat. Il affirme également que M. R. Kimmerly (no 35696) qui, selon la pièce 10, n'a pas travaillé en 1988, le précède également. Ce dernier, de dire M. Penner, est également parent d'un membre du syndicat.
Le syndicat n'a pas fourni d'explication au sujet des questions soulevées par M. Penner.
Comme nous l'avons indiqué, après le dépôt de la présente plainte, le syndicat a adopté ses règles de placement en 1994 (pièce 16). M. Bélanger affirme que ces règles sont fondées sur la politique mise en oeuvre par le syndicat en matière de placement entre 1984 et 1994 et qu'elles reflétaient celle-ci. Dans ces conditions, il est évident que même les règles de placement de 1994 sont fondées sur le système de numéros de dossier instauré en 1988.
[...]
Nous concluons donc que le syndicat, en établissant et en appliquant un système de placement pendant la période à l'étude, a manqué de façon flagrante aux obligations que lui impose l'article 69 du Code. Il ne s'est pas conformé au paragraphe 69(2), qui l'oblige à établir et à appliquer des règles de placement justes et non discriminatoires, et au paragraphe 69(3), qui l'oblige à les afficher bien en vue dans le local du syndicat affecté au placement.
[Passage non souligné dans l'original.]
(Motifs de la décision, dossier du requérant, aux pages 94 et 95).
À mon avis, ces conclusions, qui sont carrément fondées sur les éléments de preuve portés à la connaissance du Conseil, sont inattaquables et établissent de façon concluante le mal-fondé de la thèse du requérant. La plainte que l'intimé a déposée devant la Commission des droits de la personne et qui a été déposée en preuve devant le Conseil, ne portait pas et ne pouvait pas porter sur la présumée politique de placement du syndicat, étant donné que le Conseil a conclu que cette politique n'avait pas été promulguée ou affichée avant 1994. Qui plus est, on peut à tout le moins soutenir à la lecture de la plainte portée devant la Commission des droits de la personne que, même s'il estimait qu'il avait fait l'objet d'un traitement défavorable de la part du syndicat et qu'il était victime de favoritisme, l'intimé croyait que cette situation s'expliquait par le défaut du syndicat de suivre sa politique établie plutôt que par le caractère discriminatoire de la politique elle-même :
[TRADUCTION]
J'ai porté plainte au sujet du retrait de mon nom du tableau « E »; ma plainte du 8 février 1988 a contribué au déblocage des tableaux. Toutefois, à l'époque, il était écrit que ma date d'ancienneté prenait effet le 8 février 1988 alors que d'autres personnes qui travaillaient depuis moins longtemps que moi ont obtenu comme date de calcul de leur ancienneté la date à laquelle ils s'étaient inscrits pour la première fois auprès du S.I.D.M. La plupart de ces personnes ont des liens de parenté avec des membres du S.I.D.M.
J'estime qu'on a injustement supprimé mon nom du tableau « E » en raison de mon incapacité et que lorsqu'on m'a réintégré, on ne m'a pas accordé la date d'ancienneté antérieure parce que je ne suis parent avec aucun des membres du S.I.D.M. Comme mon nom a été enlevé du tableau « E », j'ai continué à me plaindre de cette suppression. Mon dernier grief a été présenté le 5 avril 1991; malgré tout, le S.I.D.M. persiste à refuser de corriger la situation.
(Dossier de la demande du requérant, à la page 55.)
Il semble acquis aux débats que le syndicat requérant n'a affiché sa politique de placement qu'en 1994. Dans ces conditions, il est difficile de voir comment on pourrait prétendre qu'une plainte qui porte sur le contenu de cette politique et qui a été déposée par une personne qui n'en avait pas reçu copie avait été présentée après l'expiration des délais prescrits avant que cette politique ne soit affichée.
Le second moyen qu'invoque le requérant concerne un présumé manquement aux principes de justice naturelle. À cet égard, le requérant est appuyé par les intervenants, un groupe d'occasionnels qui seraient lésés par la décision du Conseil. En bref, le moyen que fait valoir le requérant est que le Conseil n'a pas envoyé d'avis séparés à toutes les personnes qui avaient obtenu leur inscription sur les tableaux d'affichage des occasionnels avant la date de la décision contestée et qui risquaient de voir leur poste modifié à leur détriment par suite de cette décision. Le requérant affirme que les tribunaux ont consacré le principe qu'un avis spécifique doit être envoyé aux employés visés, notamment dans les décisions Hoogendoorn v. Greening Metal Products and Screening Equipment Company et al[2], Bradley and Ottawa Professional Firefighters Association[3], Appleton c. Eastern Provincial Airways Ltd.[4] et Okanagan Helicopters c. Association canadienne des pilotes d'hélicoptères[5].
La réponse brève à ce moyen est qu'il est tout à fait prématuré. Dans sa décision du 7 mars — qui est la seule décision qui soit contestée en l'espèce — le Conseil s'est prononcé uniquement sur la plainte portée contre le syndicat. Seul le syndicat était partie à cette instance en tant qu'intimé et lui seul était mis en péril par elle. En concluant qu'il y avait eu contravention à l'article 69, le Conseil n'était nullement tenu d'accorder une réparation déterminée ou de se prononcer sur les droits des intervenants. De fait, comme je l'ai déjà précisé, le Conseil n'a accordé aucune réparation dans sa décision et a ajourné son audience à une date ultérieure de manière à pouvoir recevoir des observations au sujet de la décision appropriée à rendre. Il ressort du dossier qui nous a été soumis que le Conseil a tenu une telle audience le 2 avril 1996 et qu'il a rendu une ordonnance réparatrice détaillée le 26 avril 1996. On nous a informés que ni le syndicat requérant ni les intervenants qui auraient été lésés n'ont contesté cette dernière décision et que le délai prescrit pour le faire est depuis longtemps expiré.
Mais il y a plus. La thèse défendue par le requérant et les intervenants est fondamentalement erronée. Les décisions qu'ils invoquent portent toutes sur des affaires dans lesquelles le syndicat en cause avait adopté un point de vue qui était essentiellement hostile à celui de certains employés ou groupes d'employés touchés et dans lesquelles ceux-ci n'avaient pas été avisés de l'instance. Dans l'arrêt Okanagan Helicopters, précité, nous avons dit :
Fondamentalement, le litige porte sur le rôle représentatif d'un syndicat en tant qu'agent négociateur accrédité représentant les membres de l'unité de négociation. En règle générale, le syndicat représente et lie les employés, lesquels n'ont pas, individuellement, qualité pour agir dans les relations avec leur employeur en matière de négociation collective. Sans l'appui et la participation du syndicat, un employé ne peut engager des procédures de grief ou même intenter une action devant les tribunaux pour faire respecter les droits qui sont siens en vertu de la convention collective.
Les tribunaux ont toutefois statué que, exceptionnellement, lorsqu'un employé possède un droit patrimonial qui, dans les faits, est opposé à celui du syndicat ou à ceux d'autres membres que le syndicat a choisi de défendre, cet employé a qualité pour agir et doit nécessairement être partie aux procédures dont est saisi, par arbitrage ou autrement, le tribunal approprié.
[Passage non souligné dans l'original.]
[à la page 65]
Il n'y a rien de tel en l'espèce. L'intérêt qu'a le syndicat à contester la plainte portée contre lui est identique à celui des employés qui ont bénéficié de la politique discriminatoire contestée. Le syndicat avait à la fois le droit et le devoir de représenter les employés en question et, de fait, en défendant ses propres intérêts devant le Conseil, il défendait également les leurs. Il n'y a pas eu de manquement aux principes de justice naturelle.
Je suis d'avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.
« James K. Hugessen »
J.C.A.
« Je souscris à ces motifs. »
Le juge B.L. Strayer.
« Je souscris à ces motifs. »
Le juge Alice Desjardins.
Traduction certifiée conforme
C. Delon, LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
A-285-96
E n t r e :
SYNDICAT INTERNATIONAL DES DÉBARDEURS ET MAGASINIERS,
SECTION LOCALE 502,
requérant,
et
RODNEY McLEAN,
intimé.
MOTIFS DU JUGEMENT
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE :A-285-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502
c. Rodney McLean
LIEU DE L'AUDIENCE :Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :le vendredi 20 septembre 1996
MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Hugessen
en date du jeudi 26 septembre 1996,
auxquels ont souscrit les juges Strayer et Desjardins.
ONT COMPARU :
Me Bruce Laughtonpour le requérant
Me David Lunnypour l'intimé
Me Joe Spears
Me Adam Albrightpour les intervenants
Me Maryse Tremblaypour le Conseil canadien des relations du travail
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Laughton & Companypour le requérant
Vancouver (Colombie-Britannique)
Devlin Jensenpour l'intimé
Vancouver (Colombie-Britannique)
Harris & Companypour les intervenants
Vancouver (Colombie-Britannique)
Services juridiques
Conseil canadien des relations du travail
Ottawa (Ontario)pour le Conseil canadien des relations du travail