Date : 20010316
Dossier : A-464-00
Référence : 2001 CAF 71
CORAM : LE JUGE STRAYER
ENTRE :
FÉDÉRATION DES CONTRIBUABLES CANADIENS
appelante
- et -
CHARLES JOHN GORDON BENOIT,
JOAN ELIZABETH BENOIT,
GORDON JAMES ALFRED BENOIT,
LA SOCIÉTÉ TRIBALE DE L'ATHABASCA,
LA SOCIÉTÉ TRIBALE DU TRAITÉ No 8 DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST,
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L'ALBERTA
intimés
(Prononcés à l'audience tenue à Vancouver (C.-B.),
le jeudi 15 mars 2001)
[1] Dans le cadre de la présente action, les demandeurs, qui sont des Indiens au sens de la Loi sur les Indiens, prétendent qu'en vertu d'un traité (le traité no 8), Sa Majesté la Reine du chef du Canada (la Reine) ne peut pas leur imposer quelque taxe ou impôt que ce soit. En défense, la Reine nie que le traité l'empêche d'imposer des taxes et des impôts aux demandeurs et dit subsidiairement que s'il y a déjà eu une exemption de taxes et d'impôt, celle-ci est éteinte. La Reine ajoute ce qui suit : [traduction] « une limite à la présumée exemption des demandeurs se justifie par l'objectif législatif valide de fournir des fonds publics nécessaires pour répondre aux besoins nombreux et variés de la population canadienne, dont les demandeurs, et par des objectifs d'intérêt public comme l'équité économique et régionale » .
[2] L'appelante a été incorporée au niveau fédéral en 1991 en tant qu'instrument des Canadiens préoccupés par tous les types de taxation au pays. Elle a des bureaux à Ottawa, en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, et elle a environ 40 000 membres payants au Canada. L'appelante n'est alignée à aucun parti politique et n'accepte aucune subvention ou aide financière de la part des gouvernements.
[3] L'objectif fondamental que poursuit l'appelante dans ses activités publiques et dans la présente action consiste à faire valoir le principe que la loi doit s'appliquer également à tous les contribuables canadiens en matière fiscale et que ceux-ci ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur ou la religion.
[4] L'appelante et ses membres craignent que si la Cour fédérale accepte la prétention des demandeurs selon laquelle ils sont exonérés de toute taxe et de tout impôt levés par le Canada et par la province d'Alberta, un jugement confirmant cette prétention ait pour effet de modifier par déduction nécessaire les lois fédérales et albertaines portant sur les taxes, les impôts et les charges semblables de manière à exonérer en raison de la race une catégorie particulière de personnes et à imposer en raison de la race ces taxes, impôts et charges sur les autres catégories de personnes.
[5] L'appelante désire intervenir dans la présente action pour soulever cette question car la Reine ne l'a pas fait. L'appelante dit que ses membres seront touchés par l'issue de la présente affaire, de sorte qu'elle a un véritable intérêt public. Elle affirme que cette question ne sera pas soulevée à moins qu'on lui permette d'intervenir et qu'une importante question d'intérêt public est en cause.
[6] L'appelante a demandé au juge des requêtes de la joindre en qualité de défenderesse ou, subsidiairement, de l'autoriser à intervenir. Le juge des requêtes a rejeté l'ensemble de la requête de l'appelante. Il a dit que pour que l'appelante soit jointe en qualité que défenderesse, elle devait démontrer qu'il existait entre les demandeurs et elle une cause d'action qui relevait de la compétence de la Cour. Il a conclu qu'aucune cause d'action n'existait.
[7] Relativement à la demande d'intervention fondée sur la règle 109, il a conclu que l'appelante n'avait pas démontré que la Reine était assujettie à des contraintes dans sa défense contre la présente action. L'appelante avait prétendu devant lui que la Reine était liée par de nombreuses responsabilités juridiques, notamment d'ordre constitutionnel et légal, et par des obligations de fiduciaires envers les Indiens, de sorte qu'elle était nécessairement assujettie à des contraintes qui l'empêchaient de présenter des observations ou des arguments perçus comme contraires aux intérêts des demandeurs. L'appelante a aussi affirmé ne pas être assujettie à de telles contraintes.
[8] Les intimées la Société tribale de l'Athabaska et la Société tribale du traité no 8 des Territoires du Nord-Ouest ont reçu à une étape antérieure de l'instance l'autorisation d'intervenir et ont été jointes par la suite en qualité de demanderesses dans l'action. Sa Majesté la Reine et le procureur général de l'Alberta n'ont pas contesté la demande d'intervention lors de la présentation de la requête de l'appelante devant le juge des requêtes, et ils n'ont adopté aucune position dans le présent appel.
[9] L'appelante a interjeté appel seulement contre la décision du juge des requêtes portant sur sa requête pour autorisation d'intervenir.
[10] Les Règles de la Cour fédérale prévoient l'intervention à la règle 109 :
109.(1) La Cour peut, sur requête, autoriser toute personne à intervenir dans une instance.
(2) L'avis d'une requête présentée pour obtenir l'autorisation d'intervenir :
a) précise les nom et adresse de la personne qui désire intervenir et ceux de son avocat, le cas échéant;
b) explique de quelle manière la personne désire participer à l'instance et en quoi sa participation aidera à la prise d'une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l'instance.
(3) La Cour assortit l'autorisation d'intervenir de directives concernant :
a) la signification de documents;
b) le rôle de l'intervenant, notamment en ce qui concerne les dépens, les droits d'appel et toute autre question relative à la procédure à suivre.
[11] Dans le présent appel, l'appelante prétend que la question de l'égalité devant la loi qu'elle cherche à soulever n'est pas visée par la défense modifiée de la Reine, que cette question revêt une telle importance sur le plan constitutionnel et légal qu'elle devrait être examinée par la Cour dans le cadre de la présente action et que l'omission de la Couronne de la soulever exige une ordonnance accordant l'autorisation d'intervenir à l'appelante.
[12] L'appelante invoque au soutien de sa position la Loi constitutionnelle de 1867, la Charte des Nations Unies, à laquelle le Canada est partie, la Déclaration universelle des droits de l'homme, à laquelle le Canada est partie, la Déclaration des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, à laquelle le Canada a adhéré, la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965, à laquelle le Canada a adhéré, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques - décembre 1966, auquel le Canada est devenu partie, la Loi sur la citoyenneté, la Charte et la Loi sur le multiculturalisme canadien.
[13] L'ordonnance du juge des requêtes est de nature discrétionnaire, et le critère applicable au contrôle de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire consiste à savoir si le juge a accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes.[1]
[14] Le seul motif donné par le juge des requêtes au soutien du refus de la demande d'intervention de l'appelante est qu'il n'a trouvé aucun élément de preuve à l'appui de l'affirmation de l'appelante selon laquelle la Reine était assujettie à des contraintes dans sa défense, ce qui l'a amené à conclure que la participation de l'appelante n'aiderait pas à la prise d'une décision sur une question de fait ou de droit se rapportant à l'action.
[15] Dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée[2], la Cour a énoncé les facteurs susceptibles d'être pris en considération dans le cadre d'une requête en intervention. Il s'agit des facteurs suivants :
1) La personne qui se propose d'intervenir est-elle directement touchée par l'issue du litige?
2) Y a-t-il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu'un véritable intérêt public?
3) S'agit-il d'un cas où il semble n'y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?
4) La position de la personne qui se propose d'intervenir est-elle défendue adéquatement par l'une des parties au litige?
5) L'intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l'intervention demandée est autorisée?
6) La Cour peut-elle entendre l'affaire et statuer sur le fond sans autoriser l'intervention?
[16] Dans ses motifs, le juge des requêtes n'a mentionné aucun de ces facteurs et n'a apparemment pas considéré que la question de savoir si tous les Canadiens devraient être traités également en matière fiscale serait examinée même sans l'intervention de l'appelante. Nous estimons donc qu'il a commis une erreur en n'accordant pas suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes. L'appelante a établi que :
1) ses membres seront touchés par l'issue du litige;
2) il y a une question d'intérêt public relevant de la compétence des tribunaux;
3) si on ne lui permet pas d'intervenir, cette question ne sera pas soulevée;
4) l'intérêt de la justice serait mieux servi si on lui permettait d'intervenir.
[17] Dans l'arrêt R. c. Finta, [1993] 150 N.R. 370, la Cour suprême du Canada a dit que le fait que l'intervenant présente des arguments utiles et différents de ceux des autres parties constituait l'un des critères en vertu desquels l'intervention était permise. Cela semble être le cas en l'espèce.
[18] Nous sommes d'avis que si dans une affaire où d'importantes questions d'intérêt public sont soulevées, un intervenant désire soulever une question d'intérêt public liée qui découle naturellement du litige existant entre les parties et qu'aucune autre partie n'a soulevée, il convient de permettre l'intervention.
[19] Nous sommes donc d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance du juge des requêtes et d'accorder à l'appelante l'autorisation d'intervenir à l'action selon les modalités suivantes :
1) L'appelante recevra signification de tous les documents des autres parties.
2) L'appelante ne produira aucun élément de preuve et s'appuiera sur la preuve produite par les parties, sur les documents mentionnés dans les présents motifs de même que sur tout autre document dont la Cour prendra connaissance d'office.
3) L'appelante pourra être présente au procès et présenter par écrit ou oralement toute observation que le juge de première instance permet.
4) L'appelante ne sollicitera pas les dépens.
5) L'appelante n'interjettera pas appel contre quelque jugement que ce soit mais pourra prendre part à tout appel.
« J.E. Sexton »
J.C.A.
Le 16 mars 2001
Vancouver (Colombie-Britannique)
Traduction certifiée conforme
Pierre St-Laurent, LL.M., trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : A-464-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : Fédération des contribuables canadiens c. Charles John
Gordon Benoit et al.
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 15 mars 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR Le juge Sexton
EN DATE DU : 16 mars 2001
ONT COMPARU :
Norman Mullins POUR L'APPELANTE
Elizabeth Johnson POUR L'INTIMÉ BENOIT
ET AL.
Everett Bunnell POUR L'INTIMÉ
PROCUREUR GÉNÉRAL DE L'ALB.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Norman Mullins POUR L'APPELANTE
Vancouver (C.-B.)
Ackroyd, Piasta, Roth & Day POUR L'INTIMÉ BENOIT
Vancouver (C.-B.) ET AL.
Parlee McLaws POUR L'INTIMÉ
Calgary (ALB.) PROCUREUR GÉNÉRAL DE L'ALB.
[1] Voir Reza c. Canada, [1994] A.C.S. no 49, au paragraphe 20.
[2] [2000] A.C.F. no 220, no du greffe A-346-99 (C.A.F.).