Date : 20011120
Dossier : A-436-01
Toronto (Ontario), le mardi 20 novembre 2001
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
ENTRE :
PROFAC FACILITIES MANAGEMENT SERVICES INC.
demanderesse
- et -
FM ONE ALLIANCE CORP.
défenderesse
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
Demande selon l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et modifications
JUGEMENT
La demande est rejetée, et les dépens, regroupés avec ceux du dossier A-440-01 pour former un seul ensemble de dépens, sont accordés à l'intimée FM One Alliance Services Inc.
« A. J. Stone »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
Date : 20011120
Dossier : A-440-01
Toronto (Ontario), le mardi 20 novembre 2001
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
ENTRE:
BROOKFIELD LEPAGE JOHNSON CONTROLS
FACILITY MANAGEMENT SERVICES
demanderesse
- et -
FM ONE ALLIANCE CORP. et
SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesses
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
Demande selon l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
JUGEMENT
La demande est rejetée, et les dépens, regroupés avec ceux du dossier A-436-01 pour former un seul ensemble de dépens, sont accordés à l'intimée FM One Alliance Services Inc.
« A. J. Stone »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
Date : 20011120
Dossier : A-436-01
Référence neutre : 2001 CAF 352
CORAM : LE JUGE STONE
ENTRE:
PROFAC FACILITIES MANAGEMENT SERVICES INC.
demanderesse
- et -
FM ONE ALLIANCE CORP. et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesses
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
Dossier : A-440-01
ENTRE:
BROOKFIELD LEPAGE JOHNSON CONTROLS
FACILITY MANAGEMENT SERVICES
demanderesse
-et-
FM ONE ALLIANCE CORP. et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesses
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 19 novembre 2001.
Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 20 novembre 2001.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE EVANS
Date : 20011120
Dossier : A-436-01
Référence neutre : 2001 CAF 352
CORAM : LE JUGE STONE
ENTRE:
PROFAC FACILITIES MANAGEMENT SERVICES INC.
demanderesse
- et -
FM ONE ALLIANCE CORP. et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesses
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
Dossier : A-440-01
ENTRE:
BROOKFIELD LEPAGE JOHNSON CONTROLS
FACILITY MANAGEMENT SERVICES
demanderesse
-et-
FM ONE ALLIANCE CORP. et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesses
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(prononcés à l'audience à Toronto
(Ontario), le 20 novembre 2001)
A. INTRODUCTION
[1] En règle générale, lorsqu'un organisme public conclut un contrat d'approvisionnement dont la valeur dépasse un montant précisé, le procédure de passation du marché doit être conforme aux règles établies par l'ALÉNA. Les parties au présent litige s'accordent pour dire que cette conformité n'est pas requise pour le renouvellement d'un contrat existant.
[2] À la suite d'une plainte de FM One Alliance Corp., la défenderesse dans la présente instance, le Tribunal canadien du commerce extérieur a jugé que des contrats de gestion de biens conclus par la Société canadienne des postes d'une part et les demanderesses d'autre part étaient de nouveaux contrats auxquels s'appliquaient les règles de l'ALÉNA, non des renouvellements de contrats antérieurs. La raison principale de cette décision était que Postes Canada n'avait pas donné avis de son intention d'exercer son droit de reconduction dans le délai prévu par le contrat initial.
[3] Pour savoir si la Cour peut, sur demande de contrôle judiciaire, annuler cette décision pour erreur de droit, il faut d'abord répondre à deux questions. D'abord, le Tribunal a-t-il fondé sa décision sur une question relevant du droit général des contrats, la soustrayant ainsi à la norme de contrôle appliquée habituellement par la Cour aux décisions du Tribunal en matière de passation de marchés, une norme marquée par un niveau élevé de retenue à l'égard des décisions du Tribunal? Deuxièmement, selon la norme de contrôle à appliquer, la conclusion du Tribunal était-elle soit manifestement déraisonnable, soit incorrecte?
[4] Ces questions résultent de deux demandes de contrôle judiciaire. Dans le dossier A-436-01, la demanderesse est ProFac Facilities Management Services Inc. (ProFac) et, dans le dossier A-440-01, la demanderesse est Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services (Brookfield). Les deux demandes sollicitent le contrôle d'une seule décision du Tribunal et d'un ensemble unique de motifs, elles soulèvent précisément les mêmes questions de droit et concernent des contrats conclus avec la Société canadienne des postes, et identiques à tous égards importants. Le Tribunal a été autorisé à intervenir dans les deux demandes. Bien que désignée comme défenderesse, Postes Canada n'a pris aucune part à la présente instance. Les demandes ont été instruites ensemble, et les présents motifs se rapportent aux deux. Ils seront versés dans chaque dossier.
B. LES FAITS
[5] C'est en 1994 que Postes Canada a conclu les premiers contrats de services de gestion de biens avec les demanderesses, contrats en vertu desquels ProFac gérait des biens de Postes Canada situés dans la région centrale et la région de l'Est du Canada, et Brookfield des biens situés dans la région centrale et la région de l'Ouest. Sous réserve d'une clause de renouvellement, les contrats devaient durer cinq ans et sept mois, pour prendre fin le 31 mars 2000. La clause de renouvellement, soit l'article 3.4 des accords, prévoyait ce qui suit :
[TRADUCTION] Sous réserve d'un avis signifié au moins six mois avant le 31 mars 2000, Postes Canada aura le droit de renouveler [ces] accord(s) pour une autre période de cinq ans, aux conditions qui seront arrêtées au préalable par Postes Canada et [ProFac ou Brookfield].
[6] Il est admis qu'aucun avis de renouvellement n'a été donné par Postes Canada six mois avant le 31 mars 2000. Postes Canada a plutôt indiqué aux demanderesses en 1999 qu'elle songeait à élargir l'éventail des services visés par les contrats et qu'elle voulait traiter avec un seul fournisseur de services.
[7] En conséquence, en février 2000, Postes Canada a décidé de lancer un appel d'offres et, pour s'assurer que ses édifices continuaient entre-temps d'être gérés, Postes Canada s'entendit avec les demanderesses le 30 mars 2000 pour proroger les accords de 1994 jusqu'en février 2001. L'entente mentionnait que Postes Canada avait décidé de ne pas renouveler les contrats de 1994, qui, hormis l'entente du 30 mars, devaient expirer le jour suivant, le 31 mars 2000. L'entente mentionnait aussi que Postes Canada lancerait un appel d'offres, ce qu'elle a fait. FM One prépara une soumission en réponse à cet appel d'offres.
[8] Un peu plus tard en 2000, Postes Canada changea d'idée à propos de ses engagements contractuels en cours et entra en pourparlers avec ProFac et Brookfield en vue du maintien des accords de 1994. Les parties convinrent donc en janvier 2001 de conclure un deuxième contrat de cinq ans renfermant essentiellement les mêmes modalités que le premier, mais à un prix un peu inférieur.
[9] Postes Canada retira donc l'appel d'offres, déterminant ainsi FM One à déposer une plainte auprès du Tribunal, où elle affirmait que, en ne mettant pas en adjudication ces contrats de services de gestion de biens, Postes Canada contrevenait à ses obligations selon l'ALÉNA relatives à la procédure de passation des marchés. Le Tribunal ordonna à Postes Canada de ne pas conclure les contrats jusqu'à ce qu'il ait statué sur la plainte de FM One.
[10] Dans des lettres en date du 23 mars 2001, Postes Canada confirma auprès de ProFac et Brookfield que, afin d'assurer la continuité du service jusqu'à ce que le Tribunal dispose de la plainte, les accords initiaux de 1994 avaient été prorogés de nouveau en janvier 2001. La lettre était aussi accompagnée d'une copie de l'entente prévoyant un renouvellement d'une durée de cinq ans, aux mêmes conditions que les contrats de 1994, à l'exception du prix. Après mention du droit de renouvellement de Postes Canada dont faisaient état les contrats de 1994, l'entente de renouvellement prévoyait qu'elle serait réputée avoir pris effet le 1er avril 2001, même si sa réelle prise d'effet devait être différée jusqu'à l'issue de la plainte déposée au Tribunal.
C. LA DÉCISION DU TRIBUNAL
[11] Le 9 juillet 2001, le Tribunal rendait publique sa décision concernant la plainte. Dans leurs conclusions écrites, les parties s'étaient surtout demandé si la clause de renouvellement figurant dans les accords de 1994 était suffisamment précise pour que Postes Canada puisse l'invoquer dans le dessein de soustraire l'entente du 23 mars 2001 aux règles de l'ALENA relatives à la procédure de passation des marchés. Cependant, le Tribunal n'a pas décidé ce point, faisant plutôt droit à la plainte en circonscrivant plus étroitement la question.
[12] Ainsi, selon le Tribunal, les deuxièmes contrats de cinq ans que les parties étaient convenues de conclure n'étaient pas un exercice valide de la clause de renouvellement, parce que Postes Canada n'avait pas exercé le droit de renouvellement au moins six mois avant l'expiration des contrats de 1994, comme le stipulait la clause de renouvellement, et parce qu'elle avait déclaré dans l'entente du 30 mars 2000 prorogeant les contrats de 1994 qu'elle avait décidé de ne pas renouveler lesdits contrats.
[13] Puis le Tribunal a fait observer que, même si Postes Canada n'avait pas signifié l'avis en temps opportun, elle aurait pu, eût-elle été une société privée, renouveler les contrats de 1994 avec le consentement des autres parties contractantes. Cependant, puisque Postes Canada est un organisme public et que les contrats en question sont des « contrats spécifiques » aux fins de l'ALÉNA, « les nouveaux contrats à passer devraient faire l'objet d'une procédure d'appel d'offres conforme à l'ALÉNA » . En conséquence, le Tribunal a recommandé à Postes Canada de ne pas donner effet à l'entente du 23 mars, mais plutôt de lancer un appel d'offres portant sur des services de gestion de biens, en conformité avec les règles de l'ALÉNA.
D. QUESTIONS ET ANALYSE
Question 1 : La norme de contrôle
[14] Les demanderesses accordent que, selon la jurisprudence de la Cour, les points de fait et de droit décidés par le Tribunal lorsqu'il statue sur une affaire de passation de marchés sont sujets à révision selon la norme de droit administratif la plus circonspecte, celle de l'erreur manifestement déraisonnable. Cependant, affirment-elles, la Cour a aussi reconnu que, si une question est soulevée qui ne fait pas appel aux connaissances spécialisées du Tribunal en matière de droit commercial, alors une norme moins circonspecte devrait être appliquée.
[15] Les demanderesses tirent ces propositions de l'arrêt Siemens Westinghouse Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2001 CAF 241, au par. 15, dans lequel la Cour réitérait la position qu'elle avait prise entre autres dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Symtron Systems Inc., [1999] 2 C.F. 514 (C.A.). Lorsque la Cour examine une décision rendue par le Tribunal dans une affaire de passation de marchés, alors, selon l'approche pragmatique ou fonctionnelle, le Tribunal commande, de la part des cours de justice, le niveau élevé de retenue qui distingue la norme de l'erreur manifestement déraisonnable.
[16] Cependant, la Cour a aussi reconnu que, selon la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., 2001 C.S.C. 36; (2001), 199 D.L.R. (4th) 598, un litige douanier tranché par le Tribunal, la même norme de contrôle ne s'applique pas nécessairement à tous les points de droit décidés par un organisme administratif donné. Cela dépendait largement si les connaissances spécialisées du Tribunal s'étendaient ou non au point considéré. Néanmoins, dans l'arrêt Siemens, au par. 20, la Cour a exprimé l'avis qu'un point décidé par le Tribunal ne serait que rarement sujet à révision selon la norme de la décision correcte parce que ce point échappait à son champ de spécialisation.
[17] Selon les demanderesses, le point sur lequel le Tribunal avait fondé sa décision en l'espèce n'entrait pas dans sa spécialisation et devenait donc exceptionnellement sujet à révision selon la norme de la décision correcte. L'argument était le suivant : la conclusion du Tribunal selon laquelle l'entente du 23 mars 2001 n'était pas une simple continuation des contrats de 1994 dépendait, en totalité ou essentiellement, de l'interprétation des documents contractuels considérés, ainsi que de l'attribution, à ces documents et à la conduite des parties, surtout celle de Postes Canada, de conséquences juridiques participant du droit général des contrats.
[18] Ainsi, d'affirmer les avocats des demanderesses, le Tribunal soit avait passé outre au droit des demanderesses de ne pas invoquer le retard de Postes Canada à donner l'avis de six mois, soit avait méconnu que la reconduction des contrats de 1994 avait prorogé toutes leurs dispositions, y compris la clause de renouvellement, laquelle, pour continuer d'avoir effet, avait dû nécessairement aussi reporter la date à laquelle Postes Canada devait donner avis de son intention de renouveler les contrats. D'ailleurs, nulle part dans ses motifs le Tribunal ne s'en était rapporté à une disposition de l'ALÉNA qui empêchait les parties de renoncer à faire valoir un délai contractuel ou de s'entendre implicitement pour proroger ce délai.
[19] Malgré l'ingéniosité avec laquelle les avocats des demanderesses ont exposé leurs arguments, nous ne sommes pas convaincus qu'une analyse pragmatique ou fonctionnelle permette de faire entrer la présente affaire dans les rares cas où il serait légitime de s'écarter de la norme de la décision manifestement déraisonnable, habituellement réservée aux points de droit décidés par le Tribunal lorsqu'il tranche des différends en matière de passation de marchés.
[20] D'abord, lorsqu'il statue sur l'équité et la régularité de la procédure de passation d'un marché afin de s'assurer que les institutions gouvernementales se conforment au régime commercial applicable, le Tribunal s'acquitte d'une tâche extrêmement complexe sur les plans du droit, des faits et du commerce, une tâche dont il a une connaissance intime. Entre autres fonctions, il examine et interprète les documents contractuels, afin par exemple de juger de la valeur d'un marché, notamment les dispositions facultatives en matière d'achat, ce qui lui permet de décider de l'applicabilité des règles de l'ALÉNA relatives aux marchés (article 1002), et afin de juger si des soumissions sont valables au regard des conditions de participation (article 1015). Le champ de spécialisation du Tribunal est révélé par le vaste mandat que lui assigne la loi et qui consiste à enquêter sur les plaintes « concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique » : Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.), paragraphe 30.11(1).
[21] Deuxièmement, il est impossible de dissocier du contexte de l'affaire dont est saisi le Tribunal la conclusion de celui-ci selon laquelle, au vu des faits, il n'était pas loisible à Postes Canada d'exercer l'option de renouvellement le 23 mars 2001, date à laquelle Postes Canada a décidé de conclure avec les demanderesses un deuxième contrat de cinq ans. Le Tribunal statuait sur la plainte d'un éventuel soumissionnaire, FM One, pour qui le prétendu renouvellement des accords de 1994 était une tentative des parties de se soustraire aux règles de l'ALÉNA relatives à la procédure des marchés publics. Autrement dit, le Tribunal a simplement décidé que l'entente du 23 mars 2001 n'était pas la continuation d'un contrat préexistant et n'était pas soustraite aux exigences de l'ALÉNA prescrivant ladite procédure.
[22] Comme le Tribunal lui-même l'a fait observer, l'ALÉNA circonscrit la liberté de contracter des institutions gouvernementales en ce qui a trait aux contrats spécifiques. Par conséquent, l'effet, aux fins de l'ALÉNA, du non-exercice par Postes Canada de son option de renouvellement à la date stipulée dans les premiers contrats n'est pas nécessairement assimilable aux droits de parties privées dont la relation juridique est régie uniquement par le droit général des contrats.
[23] Les demanderesses soutiennent que, puisqu'aucune disposition de l'ALÉNA ne parle de reconduction de marchés, les connaissances spécialisées du Tribunal en matière de droit commercial sont étrangères au fondement sur lequel le Tribunal a disposé de la plainte de FM One. Sans doute, mais cela ne nous convainc pas. Le chapitre 10 de l'ALÉNA, qui traite des marchés publics, vise à préserver le régime réglementaire qu'il établit en conseillant aux parties de ne pas « préparer, élaborer ou autrement structurer un projet d'achat dans le but de se soustraire aux obligations du présent chapitre » (article 1001(4)), et il prévoit expressément que « les clauses optionnelles ne pourront être utilisées de façon à contourner le présent chapitre » (article 1015(4)e)). Nous observons aussi en passant que, vu la valeur très élevée de ces contrats, la conformité à l'ALÉNA prend ici une importance particulière.
[24] La nécessité de préserver l'intégrité du régime établi par le chapitre 10, nécessité que confirment les dispositions antiévitement susmentionnées, était un aspect si important du contexte juridique dans lequel le Tribunal a jugé que le renouvellement ne s'était pas fait dans l'exercice du droit de Postes Canada de renouveler les contrats qu'il est tout simplement irréaliste d'affirmer que le Tribunal examinait surtout une question relevant du droit général des contrats et officiait donc en dehors de son champ de spécialisation. D'ailleurs, une lecture objective des motifs de la décision du Tribunal montre que le Tribunal a fait reposer sa conclusion sur la nécessité pour Postes Canada de se conformer aux obligations énoncées dans l'ALÉNA.
[25] Partant, la Cour ne peut examiner que sous l'angle du critère de la décision manifestement déraisonnable la conclusion du Tribunal selon laquelle les ententes du 23 mars 2001 étaient subordonnées à l'ALÉNA parce qu'il s'agissait d'ententes nouvelles qui n'émanaient pas de la clause de renouvellement insérée dans les contrats de 1994.
Question 2 : La conclusion du Tribunal était-elle manifestement déraisonnable?
[26] Que l'on doive ou non aller aussi loin que l'a fait le juge Beetz dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations de travail, [1984] 2 R.C.S. 412, à la page 420, lorsqu'il a assimilé une décision manifestement déraisonnable à « une fraude à la loi ou à un refus délibéré d'y obéir » , il est clair que cette norme commande aux cours de justice de se montrer très circonspectes devant les déductions et conclusions d'un tribunal administratif auxquelles elle s'applique. Qui plus est, une juridiction de contrôle doit s'abstenir d'assujettir la décision administrative à l' « examen assez poussé » applicable aux décisions qui sont susceptibles de révision selon la norme de la décision déraisonnable (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au par. 56). Il suffit que la décision de l'organisme administratif présente un fondement rationnel, eu égard au contexte factuel, légal et réglementaire dans lequel elle a été rendue.
[27] À notre avis, la décision du Tribunal dont il s'agit ici atteint sans peine cette norme peu exigeante. Vu les objectifs du chapitre 10, il n'était pas manifestement déraisonnable en l'espèce pour le Tribunal de décider que Postes Canada devait observer rigoureusement la clause de renouvellement énoncée dans son contrat initial afin de limiter les avantages contractuels que souvent les entrepreneurs existants détiennent sur leurs concurrents.
[28] Les faits les plus notables ont été que, à la veille de l'expiration des premiers contrats, et six mois moins un jour après la date prévue pour l'exercice de l'option, Postes Canada a reconnu qu'elle avait plus tôt choisi de ne pas renouveler les contrats, et déclaré qu'elle lancerait un appel d'offres, ce qu'elle a fait. Plus tard, les parties se sont entendues pour conclure les deuxièmes contrats de cinq ans, près de 18 mois après l'expiration du délai d'exercice de l'option. Il est difficile ici d'admettre que le « renouvellement » , pour cinq autres années, de contrats de haute valeur, longtemps après l'expiration du délai imparti à l'origine pour exercer l'option, soit le genre d'ajustement mineur que des parties peuvent, sans déclencher les obligations prévues par l'ALÉNA, apporter pendant la durée d'un contrat afin de répondre à des nécessités.
[29] Dans ces conditions, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le Tribunal d'écarter l'application du principe de common law de la renonciation au bénéfice d'un droit, ni d'exclure de la prorogation temporaire les modifications contractuelles de dernière minute apportées à l'exercice de l'option de renouvellement afin de lui conserver son effet.
E. CONCLUSIONS
[30] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, et un seul ensemble de dépens sera payable par les demanderesse à l'intimée, FM One.
« John M. Evans »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : A-436-01
INTITULÉ : PROFAC FACILITIES MANAGEMENT SERVICES INC.
demanderesse
- et -
FM ONE ALLIANCE CORP. et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesses
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
DOSSIER : A-440-01
INTITULÉ : BROOKFIELD LEPAGE JOHNSON CONTROLS
FACILITY MANAGEMENT SERVICES
demanderesse
-et-
FM ONE ALLIANCE CORP. et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesses
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
DATE DE L'AUDIENCE : LE LUNDI 19 NOVEMBRE 2001
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE EVANS
PRONONCÉS À L'AUDIENCE À TORONTO (ONTARIO), LE MARDI 20 NOVEMBRE 2001.
ONT COMPARU : M. Joel Richler, et
M. Bradberg
pour la demanderesse, Profac Facilities Management Services Inc.
M. Brian Radnoff et
M. Milosbarutciski
pour la défenderesse, FM One Alliance Corp.
Aucune comparution
pour la défenderesse, la Société canadienne des postes
Mme Michèle Hurteau et
M. Philippe Cellard
pour l'intervenant, le Tribunal canadien du commerce extérieur
M. Gordon Cameron
pour la demanderesse, Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Blake, Cassels & Graydon LLP
Avocats
Casier 25, Commerce Court West
Toronto (Ontario)
M5L 1A9
pour la demanderesse, Profac Facilities Management Services Inc.
Davies Ward Phillips & Vineberg LLP
Avocats
4400-1 First Canadian Place
Toronto (Ontario)
M5X 1B1
pour la défenderesse, FM One Alliance Corp.
Fraser Milner Casgrain LLP
Avocats
Bureau 4100 - 1 First Canadian Place
Toronto (Ontario)
M5X 1B2
pour la défenderesse, la Société canadienne des postes
Tribunal canadien du commerce extérieur
333, avenue Laurier ouest
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7
pour l'intervenant, le Tribunal canadien du commerce extérieur
Blake, Cassels & Graydon LLP
Avocats
45, rue O'Connor, 20e étage
Ottawa (Ontario)
K1P 1A4
pour la demanderesse, Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
Date : 20011120
Dossier : A-436-01
ENTRE:
PROFAC FACILITIES MANAGEMENT SERVICES INC.
demanderesse
- et -
FM ONE ALLIANCE CORP. et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesses
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
Dossier : A-440-01
ENTRE :
BROOKFIELD LEPAGE JOHNSON CONTROLS FACILITY MANAGEMENT SERVICES
demanderesse
-et-
FM ONE ALLIANCE CORP. et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
défenderesses
-et-
TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR
intervenant
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR