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Date : 20030220

Dossier : A-415-02

Toronto (Ontario), le jeudi 20 février 2003

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE EVANS

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

demandeur

                                                                            et

KATHERINE QUESNELLE

défenderesse

JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est accueillie sans qu'aucuns dépens soient adjugés, la décision de la Commission d'appel des pensions est infirmée et l'affaire est renvoyée pour qu'une formation différemment constituée de la Commission rende une nouvelle décision.

« Alice Desjardins »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20030220

Dossier : A-415-02

Référence neutre : 2003 CAF 92

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE EVANS

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

demandeur

                                                                            et

KATHERINE QUESNELLE

défenderesse

Audience tenue à Toronto (Ontario), le lundi 17 février 2003.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le jeudi 20 février 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                            LE JUGE DESJARDINS

                                                                                                               LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20030220

Dossier : A-415-02

Référence neutre : 2003 CAF 92

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE EVANS

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

demandeur

                                                                            et

KATHERINE QUESNELLE

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS


        Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire que le ministre du Développement des ressources humaines a présentée en vue de faire infirmer la décision par laquelle la Commission d'appel des pensions a conclu, le 21 mai 2002, que Katherine Quesnelle avait droit à une pension d'invalidité pour le motif que, à compter au moins du dernier jour de la période minimum d'admissibilité, soit le 31 décembre 1997, cette dernière était atteinte d'une invalidité grave et prolongée au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8. La Commission annulait ainsi la décision du tribunal de révision selon laquelle l'invalidité de Mme Quesnelle n'était pas « grave » parce qu'elle ne rendait pas celle-ci « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » .

        Mme Quesnelle a fait l'objet d'un diagnostic de fibromyalgie, apparemment par suite de blessures aux tissus mous qu'elle avait subies dans un accident de voiture, au mois de décembre 1990. Elle éprouvait notamment des douleurs et de la raideur au cou, dans le dos, au bras, à la hanche et au genou, des maux de tête, des étourdissements, de la fatigue et de la dépression. Le ministre ne conteste pas le diagnostic relatif à l'état de santé de Mme Quesnelle.

        Au moment de l'accident, Mme Quesnelle travaillait comme dessinatrice subalterne chargée de dessiner des pièces pour véhicules automobiles à l'aide d'un logiciel de conception assistée par ordinateur. Mme Quesnelle est retournée travailler après l'accident, mais au mois de juillet 1993, elle s'est finalement vue obligée de quitter son emploi pour des raisons de santé. Elle a demandé des prestations d'invalidité en 1995. Elle avait alors 33 ans.


        La Commission disposait d'un dossier volumineux, comprenant plus de trente rapports rédigés par une douzaine de médecins exerçant leur profession dans diverses spécialités ainsi que par des spécialistes en réadaptation qui avait évalué la capacité fonctionnelle de Mme Quesnelle. Un grand nombre de ces rapports avaient été obtenus aux fins de l'action fondée sur des lésions corporelles que Mme Quesnelle avait intentée par suite de l'accident, lesquels avaient été établis avant le 31 décembre 1997.

        Selon la prépondérance de la preuve contenue dans ces rapports, l'invalidité de Mme Quesnelle n'empêchait pas celle-ci de travailler, mais il est concédé que Mme Quesnelle ne pouvait pas reprendre son ancien emploi. Sept médecins (notamment un orthopédiste, des physiatres, un interniste et un psychiatre) ont déclaré qu'à leur avis, Mme Quesnelle pouvait encore travailler. Un rapport établi par une clinique de réadaptation indiquait neuf emplois qu'une personne de l'âge de Mme Quesnelle, ayant le même niveau de scolarité, les mêmes compétences et le même état de santé que celle-ci était d'une façon réaliste en mesure d'exercer. Certains rapports donnaient à entendre que Mme Quesnelle pouvait obtenir un emploi à temps partiel ou travailler chez elle. L'ancien employeur a offert de réembaucher Mme Quesnelle et de lui confier du travail qui tiendrait compte de ses problèmes physiques.


        D'autre part, le docteur Leung, une rhumatologue, et le docteur McTavish, le médecin de famille de Mme Quesnelle, étaient d'avis que l'invalidité était grave et que Mme Quesnelle ne pouvait accomplir aucun travail, quel qu'il soit. Un autre médecin croyait que Mme Quesnelle pouvait uniquement travailler au plus deux heures par jour. D'autres témoins n'ont exprimé aucun avis au sujet de la gravité de l'invalidité sur le plan fonctionnel.

        Dans ses motifs, la Commission a brièvement décrit les conclusions de six médecins qui avaient soumis des rapports ou qui avaient exprimé divers avis dans leur témoignage oral. La Commission s'est également reportée au témoignage que Mme Quesnelle avait présenté au sujet des tentatives qu'elle avait faites pour retourner au travail, de ses symptômes et des stratégies auxquelles elle avait recours pour atténuer la douleur. La Commission a noté que les deux parties avaient fourni de forts éléments de preuve et que les cas de fibromyalgie présentent des problèmes pour la Commission, même s'il revenait à cette dernière « de décider si l'appelante [était] atteinte d'une fibromyalgie débilitante au point d'empêcher l'appelante d'exercer un emploi qui puisse lui offrir un moyen de subsistance convenable » . Après avoir dit qu'elle avait tenu compte de la preuve dans son ensemble, la Commission a accueilli l'appel, parce qu'elle « juge[ait] que les témoignages de l'appelante et de la Dre Leung [étaient] dignes de foi » . Telle est la seule explication que la Commission a donnée pour justifier sa décision.


        La Commission a une obligation d'origine législative de donner aux parties les motifs de sa décision : paragraphe 83(11) du Régime de pensions du Canada. À mon avis, en omettant d'expliquer pourquoi elle rejetait la masse fort considérable d'éléments de preuve apparemment dignes de foi indiquant que l'invalidité de Mme Quesnelle n'était pas « grave » , la Commission a omis de s'acquitter de l'obligation élémentaire qui lui incombait de prononcer des motifs suffisants à l'appui de sa décision. La grosseur et la complexité du dossier dont la Commission disposait exigeaient une analyse de la preuve qui permettrait aux parties et, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, à la Cour, de comprendre pourquoi la Commission était arrivée à sa décision malgré la multitude d'éléments de preuve apparemment dignes de foi allant en sens contraire.

        Cela ne veut pas pour autant dire qu'il n'était pas loisible à la Commission de conclure, en se fondant sur la preuve dont elle disposait, que Mme Quesnelle était atteinte d'une invalidité grave au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i); une analyse minutieuse de la preuve aurait pu amener la Commission à tirer la même conclusion que celle à laquelle elle était arrivée. Toutefois, en l'absence d'indications, dans les motifs de la Commission, montrant que la preuve avait été analysée d'une façon valable, la décision de la Commission ne peut pas être maintenue.

      L'avocate de Mme Quesnelle a soutenu que la Commission n'est pas tenue de fournir des motifs complets lorsqu'elle tranche un appel en faveur d'un demandeur. Étant donné que le contenu de l'obligation de fournir des motifs dépend du point jusqu'auquel une décision défavorable touchera une partie, la Commission doit, lorsqu'elle se prononce à l'encontre d'un demandeur, donner des motifs plus détaillés que lorsqu'elle se prononce à l'encontre du ministre.


      L'importance des intérêts en jeu, et la gravité de l'effet préjudiciable qu'a pour une partie une décision négative, peuvent être pertinentes lorsqu'il s'agit de déterminer le contenu de l'obligation d'équité et le caractère adéquat des motifs d'un tribunal, mais cela ne justifie pas l'application d'une double mesure à la question de savoir si les motifs du tribunal sont suffisants, selon la façon dont ce dernier tranche un litige. En l'espèce, le ministre représente l'intérêt public, qui exige que l'intégrité financière du Régime de pensions du Canada soit assurée et que ce régime soit bien administré conformément au droit; l'intérêt public exige également que l'on veille à ce que les demandeurs ne touchent pas de prestations auxquelles ils n'ont pas droit. Les deux parties ont droit à une audience équitable devant la Commission et, en l'absence de motifs expliquant d'une façon suffisante le fondement d'une décision, ni l'une ni l'autre partie ne peut être certaine que, lorsqu'une décision est rendue à son encontre, les arguments et la preuve qu'elle a présentés aient été examinés de la façon appropriée. En outre, en l'absence de motifs suffisants, la partie perdante peut être effectivement privée du droit de demander le contrôle judiciaire.

      Quoi qu'il en soit, la seule justification donnée par la Commission à l'appui de sa décision était qu'elle avait conclu que les témoignages présentés par Mme Quesnelle et par le docteur Leung étaient dignes de foi. Cela ne saurait tenir lieu de « motifs » , et ce, quelle que soit la norme qui s'applique pour ce qui est de la question de la suffisance.


      L'avocate a également soutenu que l'on imposerait une charge trop lourde à la Commission si l'on exigeait qu'elle fournisse des motifs plus détaillés que ceux qu'elle a prononcés en l'espèce. Je ne suis pas d'accord. Tout d'abord, l'avocate a concédé que, si la décision de la Commission était défavorable à sa cliente, la charge de travail qu'aurait exigé le prononcé de motifs plus détaillés ne justifierait pas pour autant leur insuffisance. De plus, comme je l'ai déjà dit, lorsqu'il s'agit de déterminer si les motifs du tribunal sont suffisants, ce qui est bon pour l'un l'est également pour l'autre.

      De plus, le fait que la Commission d'appel des pensions se compose de juges en fonction et d'anciens juges nommés par le gouvernement fédéral (paragraphes 83(5) à (5.5)) indique que le législateur s'attendait à ce que des motifs plus détaillés que ceux que la Commission a prononcés en l'espèce soient donnés. Contrairement à un grand nombre de personnes siégeant à titre de membres de tribunaux administratifs, les membres, temporaires et autres, de la Commission d'appel des pensions s'y connaissent bien en matière de rédaction de motifs de décision dans les affaires qui exigent une analyse minutieuse du droit et d'éléments de preuve contradictoires. Je reconnais que les membres de la Commission peuvent avoir à entendre un nombre relativement élevé d'appels. Néanmoins, un grand nombre d'affaires sont relativement simples et la charge de travail peut être partagée entre les trois membres dont une formation de la Commission se compose.


      Cela suffit pour régler la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, je tiens à faire remarquer que l'avocat du ministre a également soutenu que la Commission avait commis une erreur de droit en disant que la question qu'elle avait à trancher était de savoir si « l'appelante [était] atteinte d'une fibromyalgie débilitante au point d'empêcher l'appelante d'exercer un emploi qui puisse lui offrir un moyen de subsistance convenable » (non souligné dans l'original). L'avocat a déclaré qu'étant donné que le critère légal pertinent est de savoir si le demandeur est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » , la Commission s'était attardée à la mauvaise question en parlant de la capacité de Mme Quesnelle d'avoir un « moyen de subsistance convenable » , soit un concept beaucoup plus subjectif.

      Dans l'arrêt Vilanni c. Canada (Procureur général), [2002] 1 C.F. 130 (C.A.), la Cour a mis l'accent (au paragraphe 38) sur le fait qu'il est important de s'attacher au sens de chaque mot de la définition relative à l'admissibilité figurant au sous-alinéa 42(2)a)(i), mais je ne suis pas convaincu que la Commission ait commis une erreur de droit en faisant une telle paraphrase, étant donné en particulier qu'elle avait déjà correctement énoncé le critère juridique applicable dans ses motifs. Néanmoins, à mon avis, il est généralement peu sage pour la Commission de formuler le critère juridique qu'elle applique en des termes autres que ceux qui figurent dans la loi.


      Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire sans adjuger de dépens, j'infirmerais la décision de la Commission d'appel des pensions et je renverrais l'affaire pour qu'une formation différemment constituée de la Commission rende une nouvelle décision.

« John M. Evans »

Juge

« Je souscris à cet avis

Alice Desjardins, juge »

« Je souscris à cet avis

Gilles Létourneau, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            A-415-02

INTITULÉ :                                           LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT

DES RESSOURCES HUMAINES

c.

KATHERINE QUESNELLE

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE LUNDI 17 FÉVRIER 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                           LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                        LE JEUDI 20 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS:

M. Stephen Latté                                                         POUR LE DEMANDEUR

Mme Lisa Belcourt                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Mme Kristen Douglas

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Morris Rosenberg                                                 POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

FERGUSON & BOECKLE                                     POUR LA DÉFENDERESSE

531, rue King

Midland (Ontario)

L4R 3N6

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