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Date : 20031218

Dossier : A-444-02

Référence : 2003 CAF 485

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL

                                                                   DU CANADA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                           GARTH GRANSTROM

                                                                                                                                             défendeur

                     Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 18 décembre 2003

            Jugement rendu à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique) le 18 décembre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20031218

Dossier : A-444-02

Référence : 2003 CAF 485

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL

                                                                   DU CANADA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                           GARTH GRANSTROM

                                                                                                                                             défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

              (Prononcés à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique) le 18 décembre 2003)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par le juge-arbitre Haddad dans le cadre de laquelle il devait décider si le défendeur avait perdu son emploi en raison de son inconduite au sens de l'article 30 de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi).


Faits et procédure

[2]                Le défendeur travaillait comme opérateur de pompe. La pompe était montée sur un camion qu'il devait conduire d'un chantier à l'autre. Le défendeur savait que le poste était assorti de l'obligation de détenir un permis de conduire. Il a été accusé en Alberta de conduite avec facultés affaiblies et son permis de conduire lui a été retiré pour trois mois en attendant la fin du procès.

[3]                La Commission de l'assurance-emploi du Canada (la Commission) a rejeté la demande de prestations du défendeur au motif qu'il était exclu du bénéfice des prestations en raison de son inconduite. Le défendeur en a appelé de cette décision. Le conseil arbitral a tiré les conclusions de fait suivantes :

a)         le permis de conduire du défendeur a été suspendu pour une période de trois mois;

b)         le défendeur a admis avoir bu, mais le degré d'alcoolémie n'a pas été établi;

c)         le défendeur a perdu son poste parce qu'il n'avait pas de permis de conduire pour trois mois.


[4]                Le conseil arbitral a conclu que l'inconduite n'avait pas été prouvée parce que l'acte fautif n'avait pas encore été prouvé. Le juge-arbitre a rejeté l'appel. De là la demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre de cette décision par le procureur général du Canada.

La décision du juge-arbitre

[5]                En gros, le juge-arbitre a conclu que l'acte d'inconduite invoqué par la Commission n'avait pas été déterminé. Il était également d'avis que la preuve de cette inconduite était manquante, incomplète ou qu'elle portait à confusion. À cet égard, nous reproduisons les paragraphes suivants tirés de sa décision :

On remarquera que la preuve présentée au conseil fait état de la suspension du permis du prestataire en vertu d'une exigence des autorités provinciales de l'Alberta. L' « exigence » en vertu de laquelle la suspension a été effectuée n'a pas été présentée ni citée. Dans son argumentation devant le juge-arbitre à l'appui de son appel, la Commission a déclaré que la suspension avait été effectuée en vertu des British Columbia Administrative Driving Prohibitions, sans citer les dispositions pertinentes de cet instrument. Il n'y a aucune preuve dans la documentation qui indique la province dans laquelle le prestataire aurait commis l'infraction consistant à conduire avec facultés affaiblies. L'affirmation du conseil suivant laquelle aucun verdict n'a été rendu en vertu de la loi albertaine donne à penser que le prestataire a été accusé de cet acte tandis qu'il conduisait en Alberta, mais cela n'est pas confirmé dans la documentation présentée.

Les dispositions de la loi provinciale en vertu de laquelle la suspension a été effectuée n'ont pas été présentées pour permettre au conseil arbitral ou au juge-arbitre d'examiner la raison de la suspension en vue de déterminer si le prestataire a commis un acte qui peut être considéré comme de l'inconduite.

La Commission a agi en se fondant sur la prémisse que l'accusation de conduite avec facultés affaiblies, sans plus, constitue un acte d'inconduite. Je suis d'accord avec le point de vue adopté par le conseil arbitral suivant lequel, tant que nulle déclaration de culpabilité n'a été enregistrée suite à une accusation, l'acte fautif n'a pas été prouvé.


Le prestataire a admis avoir bu de l'alcool mais il n'y a aucune indication parmi les éléments de preuve de la quantité qu'il aurait consommée. Le fait de consommer de l'alcool ne constitue pas un acte d'inconduite à moins qu'il puisse être démontré que la consommation était excessive.

L'acte d'inconduite sur lequel la Commission s'est appuyée n'a pas été déterminé. L'affirmation de la Commission suivant laquelle le conseil arbitral a erré en droit n'a pas été établie.

Analyse de la décision

a) Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur dans sa façon d'interpréter le mot « inconduite » ?

[6]                Pour ce qui est de la signification du mot inconduite, le demandeur fait valoir que le juge-arbitre a commis une erreur de droit en déclarant que « [l]e fait de consommer de l'alcool ne constitue pas un acte d'inconduite à moins qu'il puisse être démontré que la consommation était excessive » . Selon le demandeur, la consommation d'alcool peut constituer une inconduite même si la quantité d'alcool consommé n'est pas excessive. Tout dépend, soutient-il, d'autres facteurs ainsi que des circonstances entourant l'incident, par exemple, dans la présente affaire, la suspension du permis de conduire du demandeur.


[7]                Le demandeur s'appuie également sur une conclusion tirée par le juge-arbitre dans la décision CUB 53260 (Speckling). Dans cette affaire, le juge-arbitre a conclu à la page 3 que, dans l'arrêt Procureure générale du Canada c. Brissette, A-1342-92, du 8 décembre 1993, la Cour d'appel fédérale avait décidé que le comportement de Brissette, condamné pour avoir échoué un alcootest, constituait une _ inconduite, non en raison de sa déclaration de culpabilité, mais en raison de son incapacité, découlant de sa condamnation, à remplir une condition d'emploi _.

[8]                En toute déférence, nous croyons que dans l'affaire Speckling, le juge-arbitre a dénaturé la conclusion à laquelle nous sommes arrivés dans l'arrêt Brissette. Il a défini l'inconduite du demandeur par son incapacité de satisfaire à une condition d'emploi. Ce faisant, il a confondu l'effet d'une inconduite avec la cause de cette inconduite. Selon ce critère, il y aurait inconduite chaque fois qu'une personne est incapable de satisfaire à une condition de son poste. Ce ne saurait être le cas. Dans la décision Brissette, notre Cour a statué que c'était la perpétration d'une infraction qui avait débouché sur une déclaration de culpabilité en vertu du Code criminel qui constituait l'inconduite au sens de la Loi. L'incapacité de respecter une condition à l'emploi était le résultat de l'inconduite et elle a eu pour conséquence la perte de l'emploi. La perte de l'emploi était donc attribuable à l'inconduite.


[9]                Cela dit, nous convenons avec le demandeur que la consommation d'alcool, même si ce n'est pas en quantité excessive, peut constituer une inconduite, selon les faits et les circonstances. En toute équité à l'égard du juge-arbitre, sa déclaration contestée voulant que _ [l]e fait de consommer de l'alcool ne constitue pas un acte d'inconduite à moins qu'il puisse être démontré que la consommation était excessive _ doit être interprétée dans le contexte des faits de l'espèce, où une accusation de conduite avec facultés affaiblies avait été portée, mais n'avait pas encore été prouvée en vertu du Code criminel. En effet, aux termes du Code, le fait de boire et de conduire un véhicule n'est illégal que si la quantité d'alcool ingurgitée dépasse le niveau qui y est autorisé. Si la déclaration contestée est lue dans ce contexte et conjointement avec cette autre déclaration que le juge-arbitre a faite au paragraphe précédent voulant que _ [l]a Commission a agi en se fondant sur la prémisse que l'accusation de conduite avec facultés affaiblies, sans plus, constitue un acte d'inconduite _, à notre avis, sa déclaration n'a pas la signification ou le poids que le demandeur lui accorde.


[10]            Il nous semble plutôt que la décision du juge-arbitre de rejeter l'appel résulte d'un manque total de preuve quant à la cause et à la légalité de la suspension du permis de conduire du défendeur. D'une part, il n'y avait aucune déclaration de culpabilité fondée sur le Code criminel et donc toujours pas d'inconduite vérifiable à cet égard qui aurait pu entraîner la perte d'emploi. En fait, l'interdiction de conduire aurait été faite en même temps que la déclaration de culpabilité et elle aurait pris effet à ce moment-là, entraînant du coup la perte d'emploi. D'autre part, même si la suspension elle-même était prouvée, le dossier ne contenait aucun élément de preuve prima facie concernant l'exigence légale de suspendre le permis de conduire. Nous croyons comprendre de la décision qu'il a rendue que, si le juge-arbitre avait disposé des éléments de preuve susmentionnés et si les critères avaient été respectés, sa conclusion aurait été différente, à moins bien sûr que le défendeur eût pu réfuter ces éléments de preuve prima facie selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, si le juge-arbitre avait disposé d'éléments de preuve adéquats quant au fondement légal de la suspension, il aurait été en position de décider si les conditions ou les exigences applicables à la suspension avaient été remplies. Nous avons toutes les raisons de croire que, s'il avait eu la preuve que les conditions avaient été remplies, il aurait conclu que la suspension était causée par l'inconduite du défendeur et donc que la perte d'emploi était due à cette inconduite.

[11]            Cependant, compte tenu du dossier dont il était saisi, nous ne pouvons affirmer qu'il a commis une erreur en concluant comme il l'a fait.

b)         Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur en concluant que pour qu'il y ait inconduite, il devait y avoir une déclaration de culpabilité?


[12]            Le demandeur prétend également que le juge-arbitre a commis une erreur de droit en concluant qu'il devait y avoir une déclaration de culpabilité relative au chef d'accusation pour prouver une inconduite. Si le juge-arbitre avait agi ainsi, nous partagerions l'avis du demandeur. Une inconduite peut s'extérioriser autrement que par une violation de la loi, d'un règlement ou d'une règle de déontologie : voir l'affaire Speckling précitée. Cependant, le juge-arbitre n'a pas limité son analyse de ce qui constitue une inconduite au chef d'accusation et au fait qu'aucune déclaration de culpabilité n'avait été enregistrée à cet égard. Au contraire, il a montré qu'il était disposé à _ examiner la raison de la suspension en vue de déterminer si le prestataire a[vait] commis un acte qui [pouvait] être considéré comme de l'inconduite _ (extrait de la décision du juge-arbitre). Cependant, comme le juge-arbitre l'a affirmé, aucune disposition d'une loi provinciale n'a été déposée qui aurait pu lui permettre d'entreprendre cet examen. Il ne peut pas être blâmé parce que le dossier contenait des irrégularités ou qu'il était incomplet et pour l'avoir pris tel quel.

[13]            La présente conclusion ne crée pas de difficulté pour la Commission étant donné que l'article 48 de la Loi prévoit qu'aucune période de prestations ne peut être établie à moins que le prestataire n'ait fourni à la Commission des précisions sur « la raison de tout arrêt de rémunération, ainsi que tout autre renseignement que peut exiger la Commission » . Par conséquent, la Commission peut s'acquitter de sa tâche en obtenant du prestataire les renseignements appropriés.

[14]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

       « Gilles Létourneau »     

        Juge

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Trad.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                   A-444-02

INTITULÉ :                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

GARTH GRANSTROM

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :            VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 18 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :        LE JUGE LÉTOURNEAU

COMPARUTIONS :

Ward Bansley

POUR LE DEMANDEUR

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Garth Grandstrom

(défendeur se représentant lui-même)

Kelowna (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR


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