Date : 20010625
Dossier : A-830-00
Référence neutre : 2001 CAF 222
LE JUGE EVANS
LE JUGE SEXTON
ENTRE :
CHEONG SING LAI et
MING NA TSANG
appelants
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
intimé
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 25 juin 2001
Jugement rendu à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 25 juin 2001
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR : LE JUGE ROTHSTEIN
Date : 20010625
Dossier : A-830-00
Référence neutre : 2001 CAF 222
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE EVANS
LE JUGE SEXTON
ENTRE :
CHEONG SING LAI et
MING NA TSANG
appelants
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
(prononcés à l'audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique),
le lundi 25 juin 2001)
LE JUGE ROTHSTEIN
[1] Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision du 18 décembre 2000 par laquelle le juge Campbell a rejeté la demande de contrôle judiciaire relative à une ordonnance de détention en date du 5 décembre 2000 qu'a rendue l'arbitre Daphne Shaw Dyck en application de l'article 103 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Le juge Campbell a certifié la question suivante aux fins de l'appel :
Une personne frappée d'une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle ou d'une mesure d'interdiction de séjour exécutoire peut-elle être détenue aux fins d'un renvoi du Canada?
[2] Étant donné que l'ordonnance de détention du 5 décembre 2000 a été remplacée par des ordonnances subséquentes, sa validité est devenue théorique. Toutefois, les parties ont convenu que la Cour devrait entendre et trancher l'appel.
[3] En vertu du paragraphe 103(6), les ordonnances de détention doivent être révisées fréquemment, soit au moins tous les 30 jours. Par conséquent, il s'agit d'ordonnances qui peuvent être renouvelées, mais qui sont de courte durée. Si la validité d'une ordonnance de détention rendue à l'encontre d'un individu qui est frappé d'une mesure d'interdiction de séjour doit être vérifiée, cette vérification se fera presque inévitablement dans une affaire qui est théorique (voir Borowski c. Canada (procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 360.). Par conséquent, il s'agit d'une affaire où il conviendrait que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire afin d'entendre et de trancher l'appel.
[4] Les appelants soutiennent d'abord que le ministre ne peut renvoyer une personne du Canada en vertu d'une mesure d'interdiction de séjour, qu'elle soit conditionnelle ou non, et se fondent sur les paragraphes 52(1) et (2), qui portent sur le renvoi de personnes frappées d'une mesure d'exclusion ou d'expulsion, mais ne s'appliquent pas aux personnes frappées d'une mesure d'interdiction de séjour. Les paragraphes 52(1) et (2) sont ainsi libellés :
52. (1) Sauf instruction contraire du ministre, quiconque est frappé d'une mesure d'exclusion ou d'une mesure d'expulsion peut être autorisé à quitter le Canada avant l'exécution forcée de celle-ci et à choisir son pays de destination. |
52. (1) Unless otherwise directed by the Minister, a person against whom an exclusion order or a deportation order is made may be allowed to leave Canada voluntarily and to select the country for which that person wishes to depart. |
(2) Dans tous les autres cas, l'individu est, sous réserve du paragraphe (3), renvoyé_: a) soit dans le pays d'où il est arrivé; b) soit dans le pays où il avait sa résidence permanente avant de venir au Canada; c) soit dans le pays dont il est le ressortissant; d) soit dans son pays natal. |
(2) Where a person is not allowed to leave Canada voluntarily and to select the country for which he wishes to depart pursuant to subsection (1), that person shall, subject to subsection (3), be removed from Canada to (a) the country from which that person came to Canada; (b) the country in which that person last permanently resided before he came to Canada; (c) the country of which that person is a national or citizen; or (d) the country of that person's birth. |
[5] En conséquence, les appelants soutiennent que les personnes frappées d'une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle, ce qui est leur cas en l'espèce, ne peuvent être renvoyées et que, étant donné que la détention est liée au renvoi, il n'y a aucune raison de les détenir en vertu de l'article 103. En d'autres termes, il n'y a pas lieu de détenir des personnes par crainte que celles-ci ne comparaissent pas ou n'obtempèrent pas à la mesure de renvoi, parce que le ministre ne peut les renvoyer en se fondant sur une mesure d'interdiction de séjour.
[6] Il nous apparaît douteux que le ministre ne puisse renvoyer des personnes en se fondant sur une mesure d'interdiction de séjour. Cependant, aux fins des présents motifs seulement, nous présumerons, sans conclure en ce sens, que le ministre ne peut renvoyer les personnes qui sont frappées d'une mesure d'interdiction de séjour.
[7] Néanmoins, le régime législatif permet la détention de ces personnes en vertu de l'article 103, dont le paragraphe (1) prévoit ce qui suit :
103. (1) Le sous-ministre ou l'agent principal peut lancer un mandat d'arrestation contre toute personne qui doit faire l'objet d'un interrogatoire, d'une enquête ou d'une décision de l'agent principal aux termes du paragraphe 27(4), ou qui est frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, lorsqu'il croit, pour des motifs raisonnables, qu'elle constitue une menace pour la sécurité publique ou qu'elle ne comparaîtra pas, ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi. |
103. (1) The Deputy Minister or a senior immigration officer may issue a warrant for the arrest and detention of any person where (a) an examination or inquiry is to be held, a decision is to be made pursuant to subsection 27(4) or a removal order or conditional removal order has been made with respect to the person; and (b) in the opinion of the Deputy Minister or that officer, there are reasonable grounds to believe that the person poses a danger to the public or would not appear for the examination, inquiry or proceeding in relation to the decision or for removal from Canada. |
[8] Une mesure de renvoi est définie à l'article 2 comme « une mesure d'interdiction de séjour, d'exclusion ou d'expulsion » . Par conséquent, le paragraphe 103(1) énonce à sa face même qu'un mandat d'arrestation peut être lancé contre toute personne qui est frappée par une mesure d'interdiction de séjour lorsque le sous-ministre de l'Immigration ou un agent principal croit, pour des motifs raisonnables, que cette personne ne comparaîtra pas ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi. Effectivement, les appelants admettent cette possibilité. Cependant, ils ajoutent que, selon le paragraphe 103(6), il n'y a aucun motif justifiant une prolongation de leur garde, parce que le ministre ne peut renvoyer les personnes frappées d'une mesure d'interdiction de séjour. Voici le libellé du paragraphe 103(6) :
(6) Si l'interrogatoire, l'enquête ou le renvoi aux fins desquels il est gardé n'ont pas lieu dans les quarante-huit heures, ou si la décision n'est pas prise aux termes du paragraphe 27(4) dans ce délai, l'intéressé est amené, dès l'expiration de ce délai, devant un arbitre pour examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de sa garde; par la suite, il comparaît devant un arbitre aux mêmes fins au moins une fois_: |
(6) Where any person is detained pursuant to this Act for an examination, inquiry or removal and the examination, inquiry or removal does not take place within forty-eight hours after that person is first placed in detention, or where a decision has not been made pursuant to subsection 27(4) within that period, that person shall be brought before an adjudicator forthwith and the reasons for the continued detention shall be reviewed, and thereafter |
a) dans la période de sept jours qui suit l'expiration de ce délai; b) tous les trente jours après l'examen effectué pendant cette période. |
that person shall be brought before an adjudicator at least once during the seven days immediately following the expiration of the forty-eight hour period and thereafter at least once during each thirty day period following each previous review, at which times the reasons for continued detention shall be reviewed. |
[9] Si les appelants ont raison, un mandat d'arrestation pourra être lancé contre eux et ils pourront être arrêtés et détenus, mais ils devront être remis en liberté dans les 48 heures qui suivent, parce qu'aucun motif ne justifie une prolongation de leur garde. C'est là une interprétation forcée de l'article 103 qui mène à une conclusion absurde. Il n'existe aucune explication rationnelle qui permettrait de comprendre pourquoi la Loi autoriserait l'arrestation et la détention d'une personne frappée d'une mesure d'interdiction de séjour, mais non la prolongation de cette garde.
[10] Il y a d'autres raisons pour lesquelles l'interprétation que les appelants proposent au sujet du paragraphe 103(6) n'est pas acceptable. D'abord, selon le paragraphe 32.02(1), si une attestation de départ n'est pas délivrée au cours de la période réglementaire applicable (actuellement 30 jours), la mesure d'interdiction de séjour devient une mesure d'expulsion. Même s'il était admis que le ministre ne peut renvoyer une personne en se fondant sur une mesure d'interdiction de séjour, en raison de la présomption susmentionnée et de la possibilité de renvoyer une personne frappée d'une mesure d'expulsion en vertu du paragraphe 52(2), la mesure d'interdiction de séjour peut aboutir à une mesure de renvoi de la part du ministre.
[11] En deuxième lieu, selon le raisonnement des appelants, tant et aussi longtemps que le ministre ne peut prendre une mesure de renvoi, l'article 103 ne peut s'appliquer de façon à permettre la détention de personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles constituent une menace pour la sécurité publique ou qu'elles ne comparaîtront pas ou n'obtempéreront pas à la mesure de renvoi. Cela signifierait qu'aucun demandeur du statut de réfugié frappé d'une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle ou même d'une mesure d'expulsion conditionnelle ne pourrait être détenu avant l'audition de sa revendication sous le régime de l'article 103, même s'il existait des motifs raisonnables de croire que ledit demandeur constituerait une menace pour la sécurité publique ou qu'il ne comparaîtrait pas ou n'obtempérerait pas à la mesure de renvoi si sa revendication était rejetée. Ce résultat affaiblirait la portée de l'article 103.
[12] En troisième lieu, les appelants font valoir que le ministre devrait prendre des mesures d'expulsion plutôt que des mesures d'interdiction de séjour s'il souhaite invoquer l'article 103. Cet argument soulève encore la question de savoir comment l'article 103 pourrait s'appliquer de manière efficace dans le cas d'une mesure d'expulsion conditionnelle prise avant l'audition d'une revendication du statut de réfugié, dans des circonstances où le ministre ne pourrait procéder à l'exécution de la mesure de renvoi tant que la mesure d'expulsion demeurerait conditionnelle. De plus, cet argument signifierait que, au lieu de permettre aux demandeurs du statut de réfugié dont la revendication a été rejetée et à d'autres personnes de quitter le pays volontairement en vertu d'une attestation de départ, il faudrait les expulser. Les mesures d'expulsion sont lourdes de conséquences pour les individus concernés. À notre avis, l'article 103 n'exige pas qu'une mesure de renvoi, qui est une mesure très grave soit prise, pour que le ministre puisse invoquer cette disposition. Le raisonnement des appelants équivaut en réalité à confondre la question de savoir s'il y a lieu de prendre une mesure d'expulsion avec celle de savoir si une personne devrait être détenue. Il s'agit de deux questions distinctes et la Loi n'indique pas qu'elles peuvent être traitées comme si elles n'en formaient qu'une seule.
[13] L'appel sera rejeté avec dépens.
« Marshall Rothstein »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
Dossier : A-830-00
VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), LE 25 JUIN 2001
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE EVANS
LE JUGE SEXTON
ENTRE :
CHEONG SING LAI et
MING NA TSANG
appelants
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L' IMMIGRATION
intimé
JUGEMENT
(prononcé à l'audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique),
le lundi 25 juin 2001)
L'appel est rejeté avec dépens.
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : A-830-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : Cheong Sing Lai et al.
- et -
Le ministre de la Citoyenneté et
de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : le 25 juin 2001
MOTIFS DU JUGEMENT
DE LA COUR PRONONCÉS
À L'AUDIENCE PAR : le juge Rothstein
ONT COMPARU :
M. Darryl W. Larson POUR LES APPELANTS
Mme Sandra Weafer POUR L'INTIMÉ
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Larson Boulton Sohn Stockholder POUR LES APPELANTS
Vancouver (Colombie-Britannique)
M. Morris Rosenberg POUR L'INTIMÉ
Sous-procureur général du Canada