Date : 20011029
Dossier : A-744-99
Référence neutre : 2001 CAF 320
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE DÉCARY
AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l'impôt sur le revenu
L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications
ENTRE :
JEAN-PIERRE HUDON
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Dossier : A-767-99
ENTRE :
JACQUES HAMEL, liquidateur de la succession
de feu GEORGE SCANLAN
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Dossier : A-768-99
ENTRE :
GÉRALD M. HARQUAIL
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Dossier : A-125-00
ENTRE :
BERNARD GIRARD
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Dossier : A-126-00
ENTRE :
DENYSE FRANK GIRARD
appelante
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Audience tenue à Montréal (Québec), le mercredi 10 octobre 2001.
Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le lundi 29 octobre 2001.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE DESJARDINS
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DÉCARY
Date : 20011029
Dossier : A-744-99
Référence neutre : 2001 CAF 320
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l'impôt sur le revenu
L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications
ENTRE :
JEAN-PIERRE HUDON
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Dossier : A-767-99
ENTRE :
JACQUES HAMEL, liquidateur de la succession
de feu GEORGE SCANLAN
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Dossier : A-768-99
ENTRE :
GÉRALD M. HARQUAIL
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Dossier : A-125-00
ENTRE :
BERNARD GIRARD
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Dossier : A-126-00
ENTRE :
DENYSE FRANK GIRARD
appelante
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE DESJARDINS
[1] Il s'agit d'appels d'un jugement de la Cour canadienne de l'impôt (Harquail c. Canada, [1999] A.C.I. n ° 715 (Q.L.)) qui a rejeté les appels des appelants concernant les cotisations établies pour les années d'imposition suivantes : 1989, 1990 et 1991 pour MM. Scanlan et Girard et pour Mme Girard, 1989 et 1990 pour M. Harquail, 1990 et 1991 pour M. Hudon. Pour les fins du présent appel, il sera simplement dit que les cotisations ont été établies pour les années 1989, 1990 et 1991.
[2] Dans les cotisations établies pour l'année d'imposition 1989, le ministre du Revenu national refusait aux appelants la déduction pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6 (2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) par suite de la disposition « d'action[s] admissible[s] de petite entreprise » au sens du paragraphe 110.6(1) de la Loi. Les cotisations pour les années d'imposition 1990 et 1991 se rattachent essentiellement aux cotisations établies pour 1989.
[3] Puisque les appels ont été entendus ensemble, une seule série de motifs sera rendue et des copies seront versées dans chacun des dossiers de la Cour.
La question en litige
[4] La seule question contestée dans les présents appels porte sur la question de savoir si l'une ou l'autre des sociétés Les Immeubles Arnaud (Les Immeubles Arnaud) ou la Compagnie d'électricité de la Rivière Hall (Rivière Hall) répond au critère permettant de conclure qu'elle « exploitait activement une entreprise » au sens donné à cette expression dans la définition d' « action admissible de petite entreprise » au paragraphe 110.6(1) de la Loi, tout au long des vingt-quatre mois qui ont précédé la vente des actions du capital-actions de la société Les Immeubles Arnaud, c'est-à-dire le 24 février 1989.
[5] Au sens du paragraphe 248(1) l'expression « entreprise exploitée activement » désigne « toute entreprise exploitée par un contribuable autre qu'une entreprise de placement désignée ou une entreprise de prestation de services personnels » . L'intimée reconnaît que ni Les Immeubles Arnaud ni Rivière Hall n'était une entreprise de placement désignée ni une entreprise de prestation de services personnels. Par conséquent, la question est de savoir si Les Immeubles Arnaud ou Rivière Hall exploitait une entreprise au cours de la période pertinente.
Les dispositions législatives pertinentes
[6] Le paragraphe 110.6(2.1) de la Loi autorise un particulier, qui réside au Canada et qui dispose d'une action d'une entreprise qui était une « action admissible de petite entreprise » , à faire une déduction pour gain en capital. Cette expression est définie au paragraphe 110.6(1) de la Loi dans les termes suivants :
Loi de l'impôt sur le revenu 110.6(1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article. « action admissible de petite entreprise » - « action admissible de petite entreprise » S'agissant d'une action admissible de petite entreprise d'un particulier (à l'exception d'une fiducie qui n'est pas une fiducie personnelle) à un moment donné, action du capital-actions d'une corporation: a) qui, à ce moment donné, est une action du capital-actions d'une corporation exploitant une petite entreprise, dont le particulier, son conjoint ou une société liée au particulier est propriétaire; b) qui, tout au long de la période de 24 mois qui précède le moment donné, n'est la propriété de nul autre que le particulier ou une personne ou société qui lui est liée; et c) qui, tout au long de la partie de la période de 24 mois qui précède le moment donné, où l'action est la propriété du particulier ou d'une personne ou société qui lui est liée, est une action du capital-actions d'une corporation privée dont le contrôle est canadien et dont plus de 50% de la juste valeur marchande de l'actif est attribuable à des éléments visés aux sous-alinéas (i) ou (ii) : (i) des éléments utilisés dans une entreprise que la corporation ou une corporation qui lui est liée exploite activement, principalement au Canada, [Je souligne] |
Income Tax Act 110.6(1) For the purposes of this section, "qualified small business corporation share". - "qualified small business corporation share" of an individual (other than a trust that is not a personal trust) at any time (in this definition referred to as the "determination time") means a share of the capital stock of a corporation that, (a) at the determination time, is a share of the capital stock of a small business corporation owned by the individual, the individual's spouse or a partnership related to the individual, (b) throughout the 24 months immediately preceding the determination time, was not owned by anyone other than the individual or a person or partnership related to the individual, and (c) throughout that part of the 24 months immediately preceding the determination time while it was owned by the individual or a person or partnership related to the individual, was a share of the capital stock of a Canadian-controlled private corporation more than 50% of the fair market value of the assets of which was attributable to (i) assets used in an active business carried on primarily in Canada by the corporation or by a corporation related toit, [My emphasis] |
[7] Les expressions « corporation exploitant une petite entreprise » , « entreprise exploitée activement » et « entreprise » ou « affaire » , sont à leur tour définies de la manière suivante au paragraphe 248(1) de la Loi :
248(1) de la Loi : « corporation exploitant une petite entreprise » - « corporation exploitant une petite entreprise » s'entend d'une corporation privée dont le contrôle est canadien et dont la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d'actif est attribuable, à la date donnée, à des éléments qui sont: a) soit utilisés dans une entreprise que la corporation ou une corporation liée à celle-ci exploite activement principalement au Canada, [...] « entreprise exploitée activement » . - « entreprise exploitée activement » , relativement à toute entreprise exploitée par un contribuable résidant au Canada, désigne toute entreprise exploitée par le contribuable autre qu'une entreprise de placement désignée ou une entreprise de prestation de services personnels. « entreprise » ou « affaire » . - « entreprise » ou « affaires » comprend une profession, un métier, un commerce, une industrie ou une activité de quelque genre que ce soit et, sauf pour l'application de l'alinéa 18(2)c), de l'article 54.2 et de l'alinéa 110.6(14)f), un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, mais ne comprend pas une charge ou un emploi. [Je souligne] |
248(1) of the Act: "Small business corporation". - "small business corporation" at any particular time means a particular corporation that is a Canadian-controlled private corporation all or substantially all of the fair market value of the assets of which at that time was attributable to assets that were (a) used in an active business carried on primarily in Canada by the particular corporation or by a corporation related to it, [...] "Active business". - "active business", in relation to any business carried on by a taxpayer resident in Canada, means any business carried on by the taxpayer other than a specified investment business or a personal services business. "Business". - "business" includes a profession, calling, trade, manufacture or undertaking of any kind whatever and, except for the purposes of paragraph 18(2)(c), section 54.2 and paragraph 110.6(14)(f), an adventure or concern in the nature of trade but does not include an office or employment. [My emphasis] |
Les faits
[8] En 1969, une société connue sous le nom de Gulf Pulp and Paper Inc., qui exploitait une usine de pâtes et possédait des concessions forestières et des droits d'exploitation du potentiel hydro-électrique sur la rivère Sainte-Marguerite près de Clarke City (Québec), a transféré son actif composé de terrains et d'immeubles à la société Les Immeubles Arnaud. L'actif hydro-électrique et les droits d'exploitation du potentiel hydro-électrique sur la rivière Sainte-Marguerite ont été cédés, à cause de certaines exigences légales, à la société Rivière Hall, une filiale en toute propriété de la société Les Immeubles Arnaud. Les parties ont admis que l'actif hydro-électrique appartenant à la société Rivière Hall représentait durant la période en cause 100 % de son actif et 90 % ou plus de l'actif de la société Les Immeubles Arnaud.
[9] En 1973, les actionnaires de la société Les Immeubles Arnaud ont conçu un plan d'affaires pour celle-ci. À l'origine, le plan comportait la vente de lots et particulièrement de lots à bâtir. Une quarantaine de terrains ont été vendus entre 1973 et 1975 et quelques ventes ont eu lieu par la suite.
[10] La société Les Immeubles Arnaud ne faisait que vendre des terrains. Cependant, elle croyait qu'elle pouvait plus facilement le faire si elle fournissait de l'électricité à bas prix aux résidents. Il fallait toutefois avoir des clients pour que soit rentable l'aménagement de la chute 1 sur la rivière Sainte-Marguerite. Un des clients potentiels était Hydro-Québec. Toutefois, cette dernière société avait comme politique de ne pas acheter d'électricité de producteurs indépendants. Iron Ore était un autre client potentiel.
[11] De nombreux efforts ont été faits à l'époque et dans les années subséquentes par les sociétés Les Immeubles Arnaud et Rivière Hall pour promouvoir la mise en valeur du potentiel hydro-électrique de la rivière Sainte-Marguerite.
[12] En octobre 1978, Rivière Hall a commandé une étude afin de déterminer si elle pouvait procéder à l'aménagement de la chute 1. L'étude, faite par la firme Montreal Engineering Company Limited, pour un prix de 10 000 $, a conclu que la mise en valeur de la chute 1 était techniquement possible, mais que cette opération ne serait pas rentable compte tenu de l'inefficacité des génératrices existantes. Le coût de l'aménagement était estimé à 7 000 000 $. Le rapport faisait état en particulier de trois problèmes : la technologie de certaines installations était désuète; la chute produisait un courant irrégulier; et la politique d'Hydro-Québec qui exigeait que toute électricité produite par un producteur indépendant soit utilisée par celui-ci pour ses propres fins et ne puisse être revendue à des tiers.
[13] Le 10 novembre 1979, la société Les Immeubles Arnaud a donné à M. Harquail le mandat d'étudier trois options :
(1) l'expropriation de cet aménagement par Hydro-Québec;
(2) la vente à Iron Ore de droits et biens relatifs à ce projet hydro-électrique; et
(3) une exploitation en coentreprise avec Iron Ore et Hydro-Québec.
[14] Une somme de 15 000 $ a été mise à la disposition de M. Harquail pour s'acquitter de son mandat.
[15] La troisième option aurait permis à la société Les Immeubles Arnaud de contourner la politique d'Hydro-Québec puisque la société pourrait revendre, pour ainsi dire, l'électricité à l'un des partenaires qui étaient proposés, soit Iron Ore ou Hydro-Québec.
[16] En avril 1980, M. Harquail, en sa qualité de mandataire de la société Les Immeubles Arnaud, a participé à une réunion avec des représentants d'Iron Ore et d'Hydro-Québec pour discuter des travaux et des coûts associés à ce projet hydro-électrique. À la suite d'une autre réunion en juin 1980, Hydro-Québec a entrepris une étude portant sur la régularisation provisoire de la rivière Sainte-Marguerite à la suite d'une demande faite par les sociétés Rivière Hall et Gulf Power, une filiale de la société Iron Ore. L'étude recommandait à Hydro-Québec d'entreprendre ce projet. En dépit des conclusions de cette étude, Hydro-Québec a décidé de ne pas poursuivre ce projet, mais plutôt de procéder à l'aménagement du projet de Grande-Baleine.
[17] Puisqu'une exploitation en coentreprise avec Hydro-Québec n'était plus possible, la société Les Immeubles Arnaud s'est tournée vers Iron Ore qui venait de construire une nouvelle usine à Sept-Îles. Des discussions à ce sujet ont eu lieu en 1981 et 1982 entre les représentants des sociétés Les Immeubles Arnaud et Rivière Hall et ceux d'Iron Ore.
[18] En 1986, il y a eu un changement de gouvernement au niveau provincial. La société Rivière Hall a immédiatement communiqué avec le nouveau gouvernement et lui a exposé les possibilités et les problèmes passés concernant la mise en valeur de la chute 1. D'après le témoignage de M. Harquail, [Traduction] « les ministres de l'époque lui ont réservé un accueil favorable » (transcription volume 3, onglet 55, pages 615 et 616).
[19] Le 18 février 1987, Hydro-Québec a adopté une nouvelle « politique d'achat » selon laquelle elle autorisait l'achat d'électricité de petits producteurs provinciaux, sous réserve de négociations au sujet du prix. À ce moment, le coût du projet de mise en valeur de la chute 1 était estimé à 17 000 000 $ mais, selon M. Harquail, il n'envisageait aucun problème pour obtenir le financement nécessaire.
[20] Le 2 juillet 1987, une assemblée des administrateurs de Rivière Hall a eu lieu. Au cours de cette réunion, il a été décidé que MM. Harquail et Girard représenteraient la société Rivière Hall dans ses négociations avec Hydro-Québec. M. Harquail a expliqué qu'après juillet 1987, les choses se sont mises à bouger rapidement. Les participants éventuels, à la fois pour la construction et le financement, manifestaient beaucoup d'intérêt, et il était important que M. Girard et lui-même soient investis de pouvoirs suffisants pour aller de l'avant et rencontrer les parties intéressées avec toute l'autorité voulue (transcription, volume 3, onglet 55, page 620).
[21] Le 7 juillet 1987, M. Harquail, en sa qualité de vice-président de Rivière Hall, a expédié une lettre à un vice-président d'Hydro-Québec. La lettre indique son intérêt à rencontrer des représentants pour discuter des modalités et des conditions en vue de la conclusion d'un accord global éventuel concernant la vente d'électricité. Cet accord, disait la lettre, [Traduction] « permettrait à la société d'aller de l'avant [...] dans la planification, la mise en valeur et la construction » de la chute 1. En retour, le 20 août 1987, Hydro-Québec a communiqué à M. Harquail, à titre de vice-président de Rivière Hall, une copie de sa nouvelle politique d'achat d'électricité produite par des petites centrales appartenant à des tiers au Québec, établie le 18 février 1987, à la suite de l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement. Hydro-Québec était disposée à acheter de l'électricité à 2,86 cents le kilowatt/heure, alors que la société Rivière Hall voulait la vendre à 4,2 cents le kilowatt/heure.
[22] Le 24 août 1987, Mr. Harquail a écrit au ministre de l'Énergie et des Ressources du Québec pour l'informer que Rivière Hall était intéressée à aménager un site hydraulique et lui demander les permis nécessaires afin de conclure un accord avec Hydro-Québec pour l'achat d'énergie.
[23] Cette lettre a été suivie d'une autre lettre en date du14 septembre 1987, également adressée au ministre de l'Énergie et des Ressources du Québec par M. Harquail, dans laquelle on suggérait d'augmenter la capacité de production des ressources hydro-électriques.
[24] Le 13 novembre 1987, le vice-président de SNC Hydro Inc. (aujourd'hui SNC Lavalin) a communiqué avec le commissaire industriel de la ville de Sept-Îles pour lui indiquer que, dans l'hypothèse où des négociations avec Hydro-Québec permettraient d'établir un tarif acceptable pour la vente d'électricité, SNC serait en mesure de mettre en place le financement, de construire et d'opérer le projet de concert avec la Compagnie d'électricité de la Rivière Hall.
[25] Toutefois, le prix de vente de l'électricité demeurait difficile à établir.
[26] Un « Avis de projet » a été envoyé au ministre de l'Environnement du Québec le 22 janvier 1988 par M. Harquail au nom de Rivière Hall. Cet « Avis de projet » incluait une demande de permis environnementaux.
[27] Dans une lettre adressée au ministre de l'Énergie et des Ressources du Québec en date du 29 janvier 1988, M. Harquail, au nom de Rivière Hall, demandait l'annulation de trois baux détenus par la société Gulf Power étant donné que Iron Ore, propriétaire de Gulf Power, avait informé Rivière Hall de son intention de renoncer à la mise en valeur du potentiel hydro-électrique des première et deuxième chutes de la rivière Sainte-Marguerite. Rivière Hall demandait aussi que des baux lui soient consentis par le ministère pour les huit lacs désignés dans cette même lettre. Rivière Hall voulait obtenir le bénéfice de ces baux afin de pouvoir régulariser le débit du cours d'eau en attendant l'achèvement du projet Mille 56 par Hydro-Québec.
[28] Le 22 février 1988, le directeur des évaluations environnementales du ministère de l'Environnement du Québec a répondu à l' « Avis de projet » , en indiquant que la société Rivière Hall recevrait bientôt la directive du ministre indiquant la nature, la portée et l'étendue de l'étude d'impact environnemental que la société Rivière Hall aurait à préparer.
[29] Le 29 février 1988, au cours d'une réunion avec M. Girard, le sous-ministre associé de l'Énergie et des Ressources du Québec a expliqué que la modification du prix proposé par Hydro-Québec pour la fourniture de l'électricité était un processus très compliqué.
[30] Le 19 octobre 1988, le ministère de l'Environnement du Québec a fait tenir à M. Harquail une révision de ce « projet de directive » et invitait le consultant en matière environnementale de Rivière Hall à fournir des commentaires à la direction concernée du ministère. M. Harquail a reconnu que Rivière Hall n'avait pas retenu les services d'un consultant en matière environnementale, mais il a insisté pour dire qu'il faisait valoir ses observations au Cabinet (gouvernement du Québec) afin d'être dispensé de l'obligation de faire une étude environnementale. Il pensait que cette démarche était valable puisque les installations existaient déjà et qu'il n'y aurait ni inondation, ni déplacement de personnes.
[31] À l'automne de 1988, M. Girard a été informé que la société Hydroméga était intéressée à exploiter l'actif hydro-électrique de Rivière Hall. Il a rencontré les représentants de cette société pour discuter de la stratégie et de la possibilité d'exploiter le potentiel hydro-électrique en coentreprise. Au cours de cette réunion, les représentants d'Hydroméga ont indiqué à M. Girard qu'ils voulaient acheter la société Les Immeubles Arnaud.
[32] Une entente de principe est intervenue le 23 octobre 1988 entre Hydroméga et les actionnaires de la société Les Immeubles Arnaud, qui incluait tous les appelants à l'exception de M. Harquail. Hydroméga s'engageait à acquérir les actions, avances et droits des actionnaires de la société Les Immeubles Arnaud pour la somme de 2 000 000 $.
[33] Le 24 février 1989, tous les actionnaires de la société Les Immeubles Arnaud vendaient à Hydroméga leurs actions du capital-actions de cette société pour un prix de 2 000 000 $.
[34] M. Girard a déclaré que le projet aurait exigé beaucoup d'argent de la part des actionnaires. Il a estimé à 5 000 000 $ le montant en question. Il a déclaré que le projet n'était pas réalisable, considérant la nécessité d'emprunter cette somme et le prix très bas offert par Hydro-Québec pour la vente d'électricité.
[35] Après la vente du 24 février 1989, Hydroméga a entrepris l'aménagement des installations hydro-électriques qui avaient été envisagées par Les Immeubles Arnaud et Rivière Hall. M. Harquail a indiqué dans son témoignage qu'Hydroméga a pu vendre l'électricité à 4,5 cents le kilowatt/heure en 1990 ou 1991.
La décision du juge de la Cour de l'impôt
[36] Pour déterminer si les sociétés Les Immeubles Arnaud ou Rivière Hall étaient « exploitées activement » au cours de la période pertinente, ou si elles ont exploité une entreprise au cours de cette période (voir la définition de l'expression « entreprise exploitée activement » au paragraphe 248(1) de la Loi), le juge de la Cour de l'impôt a fait les observations suivantes aux paragraphes 98 et 99 de ses motifs :
[98] À la suite de cet examen des principales activités et initiatives des dirigeants des sociétés Les Immeubles Arnaud et Rivière Hall, que faut-il conclure?
[99] Tout d'abord, il semble clair, d'après la jurisprudence, que l'absence de revenu durant une année donnée ou durant une période plus longue ne permet pas de conclure qu'une personne ou une société par actions n'exploite pas une entreprise. En outre, en raison de nombreuses démarches et initiatives faites par les dirigeants de ces deux sociétés en particulier durant les années 1987 et 1988, il est incontestable que ces deux sociétés n'étaient pas des sociétés inactives durant cette période de 24 mois. Ces sociétés ont fait plus que tenir des assemblées annuelles et produire les rapports nécessaires pour éviter leur dissolution.
Toutefois, il a conclu qu'il y avait lieu d'établir une distinction entre cette affaire et la décision de la présente Cour dans M.R.N. c. M.P. Drilling Ltd., (76 D.T.C. 6028). Il a cité un passage de l'arrêt M.P. Drilling Ltd., sur lequel je reviendrai plus tard, en disant ceci au paragraphe 102 de ses motifs :
[102] Les faits mentionnés dans le passage qui vient d'être cité contrastent avec ceux de la présente affaire. En effet, les dirigeants des deux sociétés en question n'avaient pas réussi à conclure avec Hydro-Québec des arrangements satisfaisants relatifs au prix de vente d'énergie. De fait, Hydroméga n'a pu conclure un tel accord au sujet du prix de vente d'énergie qu'un ou deux ans après l'acquisition des actions de la société Les Immeubles Arnaud. La négociation d'un prix adéquat pour la vente d'énergie était, d'après la preuve et dans l'esprit des administrateurs de la société Rivière Hall, une condition sine qua non à la rentabilité du projet envisagé en 1987 et 1988 par les dirigeants des sociétés Les Immeubles Arnaud et Rivière Hall. Sans cet accord sur le prix de vente d'énergie, Rivière Hall n'entendait pas procéder au projet de mise en valeur des ressources hydrauliques qu'elle possédait à la chute 1 de la rivière Sainte-Marguerite. C'est pourquoi les dirigeants de ces deux sociétés, en dépit des réticences de l'appelant Harquail, ont décidé de vendre en février 1989 toutes les actions qu'ils détenaient dans le capital-actions de la société Les Immeubles Arnaud.
Il a conclu au paragraphe 103 que la société Les Immeubles Arnaud n'avait pas poursuivi son entreprise après 1975 puisqu'elle n'avait pas procédé à la vente de terrains après cette date. Quant à la société Rivière Hall, il a de nouveau déclaré ceci au paragraphe 103 :
[...] il n'a pas été établi qu'elle avait commencé l'exploitation d'une entreprise qui aurait consisté dans la vente d'énergie électrique. Cette société avait fait un grand nombre de démarches préparatoires à l'exploitation du potentiel hydro-électrique de la chute 1 de la rivière Sainte-Marguerite. Elle n'avait toutefois pas commencé réellement l'exploitation d'une telle entreprise. De fait, il ressort de la preuve que l'exploitation par Rivière Hall d'une entreprise de vente d'énergie n'aurait jamais vu le jour en l'absence d'un accord avec Hydro-Québec sur un prix acceptable pour la vente d'énergie.
À son avis, puisque la société Rivière Hall avait été incapable de conclure un accord avec Hydro-Québec, elle n'avait jamais exploité une entreprise. Il a donc rejeté les appels des appelants concernant les cotisations établies par le ministre.
Les moyens des parties
[37] Les appelants soutiennent essentiellement que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en refusant d'appliquer les principes énoncés dans l'arrêt M.R.N. c. M.P. Drilling Ltd. aux faits de l'espèce, puisqu'il n'y a pas de différence importante entre les faits des deux situations.
[38] L'intimée est d'avis que le juge de la Cour de l'impôt a à bon droit refusé d'appliquer l'arrêt M.P. Drilling au vu de sa conclusion au paragraphe 102 de ses motifs selon laquelle, sans un accord sur le prix de vente de l'énergie, il ne pouvait y avoir de mise en valeur des ressources hydro-électriques de la chute 1 sur la rivière Sainte-Marguerite et, par conséquent, la société Rivière Hall ne pouvait exploiter une entreprise. Quoi qu'il en soit, prétend l'intimée, la société Rivière Hall n'exploitait pas une entreprise tout au long des vingt-quatre mois qui ont précédé la vente des actions. Ce n'est approximativement qu'après le 7 juillet 1987 que les choses ont commencé à bouger. La période en question ne serait donc que d'une durée d'environ dix-neuf mois.
Analyse
[39] Une lecture attentive de la définition de l'expression « action admissible de petite entreprise » que l'on retrouve à l'alinéa 110.6(1)c) de la Loi fait ressortir ce qui suit : pour qu'une déduction pour gain en capital puisse être demandée, l'actif d'une société privée sous contrôle canadien doit être investi dans une « entreprise exploitée activement » « tout au long de la partie de la période de vingt-quatre mois qui précède le moment donné, où l'action est la propriété du particulier [...] » . Il n'est pas contesté que ce moment est la date de la vente des actions de la société Les Immeubles Arnaud le 24 février 1989.
[40] La question est donc de savoir si la société Les Immeubles Arnaud, la société de portefeuille, ou la société Rivière Hall, la filiale en toute propriété, était une « entreprise exploitée activement » tout au long de la période de vingt-quatre mois précédant le 24 février 1989. Mais puisque les activités concernant l'électricité relevaient uniquement de la société Rivière Hall, l'accent est placé sur cette dernière société et sur la question de savoir si celle-ci exploitait activement une entreprise au cours de cette période.
[41] S'agit-il d'une question de fait ou d'une question de droit?
[42] L'intimée soutient qu'il s'agit d'une question de fait et que la conclusion du juge de la Cour de l'impôt ne devrait pas être modifiée, en l'absence d'une erreur manifeste et dominante. Elle invoque en sa faveur la décision de notre Cour dans Sa Majesté la Reine c. Rockmore Investments Ltd. (76 D.T.C. 6156, à la page 6157).
[43] Dans l'arrêt Ludco Enterprises Ltd. c. Canada (2001 C.S.C. 62), toutefois, la Cour suprême du Canada a déclaré au paragraphe 34 que la détermination et l'application du critère approprié relativement au sous-alinéa 20.1c)(i) de la Loi, qui était en cause dans cette affaire, était une question de droit. La Cour suprême du Canada a également statué que la question de savoir si la fin poursuivie par un contribuable en faisant un investissement est visée au sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi est à bon droit considérée comme une question mixte de fait et de droit. Cela signifie, en l'espèce, que la détermination et l'application du critère approprié concernant l'expression « entreprise exploitée activement » qui se trouve au paragraphe 110.6(1) de la Loi est une question de droit. La question de savoir si la société Rivière Hall était « exploitée activement » dans le sens d'exploitation d'une entreprise est une question mixte de fait et de droit.
[44] Il est donc possible que Ludco Enterprises Ltd. jette une lumière nouvelle sur l'interprétation des causes dans lesquelles l'arrêt Rockmore Investments Ltd. a été suivi, par exemple, dans l'arrêt King George Hotel Limited c. La Reine (81 D.T.C. 5082 (C.A.F.)) dans lequel le juge Urie, au nom de la Cour, soulignait à la page 5084 que « la question de savoir si une entreprise est activement exploitée ou non est [...] une question de fait qui varie selon le cas d'espèce » .
[45] À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt a adopté une définition très restrictive de l'expression « entreprise exploitée activement » quand il a conclu aux paragraphes 102 et 103 de ses motifs que, malgré les nombreux efforts et initiatives entrepris par les dirigeants des deux sociétés, en particulier au cours de 1987 et 1988, et bien que les sociétés n'aient pas été inactives, il n'en restait pas moins que, puisqu'aucun accord sur le prix de vente de l'énergie n'avait été conclu, la société Rivière Hall n'exploitait pas activement une entreprise pendant la période pertinente.
[46] Pour l'interprétation du paragraphe 110.6(1) de la Loi, je commencerai par les principes d'interprétation législative auxquels fait référence la Cour suprême du Canada dans Ludco Enterprises Ltd., aux paragraphes 36 à 40 de ses motifs. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci nous rappelle la règle moderne en matière d'interprétation législative énoncée succinctement par E.A. Driedger, dans son ouvrage Construction of Statutes, 2e éd. 1983 à la page 87:
[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.
[47] La Cour suprême du Canada dans Ludco Enterprises Ltd. déclare qu' « en l'absence d'un texte législatif clair, il n'est pas souhaitable que les tribunaux innovent » (paragraphe 38 de cet arrêt) et que « les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur, à l'égard d'une disposition claire de la Loi, une intention non explicite » (le juge McLachlin, maintenant juge en chef, dans l'arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au paragraphe 43, cité au paragraphe 38 des motifs du jugement dans Ludco Enterprises Ltd.).
[48] Une « entreprise exploitée activement » définie au paragraphe 248(1) de la Loi comme signifiant « toute entreprise exploitée [...] » est un autre concept non défini de la Loi comme les mots « revenu » ou « bénéfice » notés par la Cour suprême du Canada dans Ludco Enterprises Ltd., et dont l'interprétation est laissée à la compétence des tribunaux.
[49] Je conclus qu'il faut donner à l'expression « entreprise exploitée activement » son sens ordinaire et grammatical et l'interpréter d'une façon qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.
[50] Les termes utilisés par le législateur sont en fait très imprécis. L'expression « entreprise exploitée activement » désigne l'exploitation d'une entreprise. À son tour, le mot « entreprise » comprend « une activité de quelque genre que ce soit » .
[51] L'affaire M.R.N. c. M.P. Drilling Ltd. (76 D.T.C. 6028), sur laquelle s'appuie l'appelant, n'est pas tout à fait semblable à l'espèce comme le notait le juge de la Cour de l'impôt, puisqu'une question différente se posait dans cette affaire, savoir si certaines dépenses étaient des dépenses à compte de capital et si elles pouvaient être déduites même si elles n'avaient pas produit de revenu. Dans l'examen de ces questions, le juge Urie, s'exprimant au nom de la Cour, a toutefois prononcé une importante opinion incidente sur la question de savoir à quel moment une société commence à exploiter une entreprise.
[52] M.P. Drilling Ltd. avait été constituée en société le 30 septembre 1963, dans le but de commercialiser des gaz de pétrole liquéfiés dans le nord-ouest du Pacifique et l'Extrême-Orient. Elle avait entamé des négociations concernant les marchés et les approvisionnements et fait des études techniques par l'entremise de ses consultants jusqu'en juin 1964, date à laquelle elle avait ouvert son propre bureau et engagé ses premiers employés. Toutefois, elle avait enregistré des pertes en 1964, 1965 et 1966. Finalement, en 1966, elle a jugé que son projet de commercialisation des gaz n'était pas réalisable et elle a entrepris de faire du forage à contrat, opération qui s'est avérée très rentable. Mais, la question était de savoir si les dépenses ayant entraîné des pertes pouvaient être déduites? L'avocat du ministre se disait d'avis que ces dépenses avaient pour but de vérifier la faisabilité d'une entreprise ayant pour objet l'achat et la vente de gaz naturel liquéfié, mais qu'elles ne se rattachaient pas à la recherche d'un profit par une entreprise existante; il a prétendu qu'elles se rattachaient au contraire à la formation de la structure nécessaire à cette recherche.
[53] Le juge Urie, s'exprimant au nom de la Cour, a rejeté ces considérations. Il a fait l'observation suivante (à la page 6030 de la décision publiée) que le juge de la Cour de l'impôt a reproduite au paragraphe 101 de ses motifs (96-4115(IT)G). Le juge Urie a dit ceci :
À mon sens cette argumentation ne résiste pas à l'examen parce qu'elle méconnaît le fait que la structure commerciale de l'entreprise, en tant que telle, prit forme entre la fin de septembre, époque à laquelle l'intimée commença ses opérations par la continuation de ses négociations visant les marchés et les approvisionnements, pendant que ses experts conduisaient leurs études techniques, et juin 1964, époque à laquelle elle ouvrit son propre bureau, engagea ses premiers employés, utilisant à cet effet les fonds fournis pour son directeur, M. Bawden, ou par des entreprises sous son contrôle.
[54] Le juge Urie poursuit dans ses termes à la page 6031 :
Elle méconnaît également le fait qu'au début de l'été 1964 M. Van Wielingen entra dans l'entreprise en qualité de directeur général à temps complet et agent d'exécution principal. Selon son témoignage, ses fonctions consistaient alors, premièrement, à développer un marché pour les produits de l'entreprise, deuxièmement, à conduire des négociations avec des fournisseurs actuels ou éventuels de gaz de pétrole liquéfié, troisièmement, à étudier les aspects techniques de la production, de l'entreposage, du transport, etc.
En bref la compagnie existait déjà et faisait ce que toute entreprise nouvelle doit normalement faire pour commercialiser sa marchandise, en espérant en tirer profit. Selon moi, cette activité commerciale entre dans la définition donnée par le juge en chef Jackett dans l'arrêt Canada Starch (supra). Ne pas rattacher les activités de la compagnie à cette définition serait fermer les yeux sur les réalités commerciales de l'espèce, à savoir les efforts incessants de l'intimée en vue de mettre à la disposition de clients qu'elle espérait intéresser par sa campagne promotionnelle les produits qu'elle espérait obtenir de ses fournisseurs par voie de négociation. Elle entama à cette fin des pourparlers avec quelque douze fournisseurs et une douzaine de clients étrangers éventuels, pourparlers qui aboutirent à l'expression d'intentions formelles par certains. Il y avait donc dès lors une structure, un marché et des produits, et les efforts de l'intimée visaient à réunir ces éléments en vue d'en tirer profit. Les résultats espérés ne se produisirent pas et l'intimée dût abandonner cette partie de son activité. Elle se limita alors au forage, activité qu'elle sut rendre profitable. Mais cet abandon n'eut pas pour effet de convertir les dépenses engagées en vue de rendre l'entreprise profitable en des dépenses à compte de capital.
[55] Le juge Urie a noté que les négociations entreprises avaient donné lieu à l'expression d'intentions formelles par certains clients potentiels intéressés à acheter du gaz et par quelques fournisseurs prêts à en vendre. Il a conclu que M.P. Drilling Ltd. avait en fait exploité une entreprise et non pas simplement lancé cette entreprise. Il dit ceci aux pages 6031 et 6032 :
L'avocat est parti du principe qu'en substance toutes les dépenses avaient la même fin, à savoir vérifier la faisabilité d'une entreprise ayant pour objet l'achat et la revente de gaz liquéfié à certains pays de la région du Pacifique, et qu'il était indifférent que le travail consacré à ces études prospectives ait été exécuté par le personnel de l'intimée ou par des experts étrangers à l'entreprise. Il a soutenu qu'aucune de ces dépenses ne se rattachaient à la recherche de profit par une entreprise existante, que celles-ci se rattachaient au contraire à la formation de la structure nécessaire à cette recherche.
À mon avis, cette argumentation ne trouve aucun point d'appui dans les preuves apportées; en fait certaines de celles-ci tendent à prouver le contraire. Il n'est pas de la moindre importance, entre autres, que les négociations entreprises par les dirigeants de l'intimée aient abouti à certaines déclarations d'intention d'acheteurs éventuels disposés à acheter le gaz comme de fournisseurs éventuels, prêts à vendre le gaz à l'intimée pour la revente. Il est tout à fait évident, dès lors, que l'intimée avait une entreprise en marche et non seulement en gestation. [...]
L'appelant a également soutenu qu'on ne pouvait, en l'absence de revenu, opérer une déduction pour des dépenses qui seraient déductibles en d'autres circonstances en tant que dépenses faites en vue de gagner un revenu. Je ne puis suivre ce raisonnement qui voudrait que, faute d'avoir pu produire un revenu (et encore moins un profit), l'intimée ne se serait pas trouvée « dans le cadre de l'exploitation d'une entité commerciale » .
[56] Dans l'arrêt M.P. Drilling Ltd., bien que les négociations entreprises aient donné lieu à certaines expressions d'intention de clients éventuels disposés à acheter le gaz comme de fournisseurs éventuels prêts à vendre le gaz à M.P. Drilling Ltd., aucun contrat n'avait été signé pendant la période pertinente. Toutefois, le juge de la Cour de l'impôt a établi une distinction avec M.P. Drilling Ltd. en s'appuyant sur le fait qu'en l'espèce, il n'y avait eu aucun accord sur le prix de vente de l'énergie et que, sans cet accord, la société Rivière Hall n'avait aucune intention de poursuivre la mise en valeur de la chute 1 et que ses actionnaires avaient choisi de vendre leurs actions.
[57] Cette distinction règle-t-elle la question? Cela signifie-t-il que la société Rivière Hall n'a jamais exploité une entreprise?
[58] Le récit détaillé des faits de cette affaire fait ressortir que la société Les Immeubles Arnaud en est très tôt venue à la conclusion que les terrains se vendraient plus facilement si on pouvait fournir de l'électricité à bas prix aux résidents. À compter de 1978, date à laquelle la firme Montreal Engineering Company Limited a eu pour mandat d'effectuer sa première étude jusqu'à la vente des actions de la société Les Immeubles Arnaud le 24 février 1989, la société Rivière Hall ne s'est jamais écartée de son objectif de mettre en valeur les ressources hydro-électriques de la chute 1. La principale pierre d'achoppement était la politique suivie par Hydro-Québec à l'époque selon laquelle toute électricité produite par un producteur indépendant devait être utilisée par celui-ci pour ses propres fins et ne pouvait être revendue à des tiers.
[59] La société Rivière Hall a essayé, en 1979 et par la suite, de contourner la politique d'Hydro-Québec en offrant de participer à une coentreprise avec Iron Ore et Hydro-Québec, mais ce projet ne s'est pas matérialisé. En 1980, Hydro-Québec a décidé d'aller de l'avant avec le projet de Grande-Baleine.
[60] Ensuite, il y a eu un changement de gouvernement en 1986. La société Rivière Hall a réagi rapidement. Elle a communiqué avec le gouvernement du Québec et Hydro-Québec et elle a obtenu une copie de la nouvelle politique d'Hydro-Québec.
[61] Il n'y a jamais eu d'accord sur le prix qui aurait permis de rentabiliser le projet aux yeux de la société Rivière Hall. Finalement, les actionnaires ont vendu les actions qu'ils détenaient dans la société Les Immeubles Arnaud le 28 février 1989. Toutefois, dire que la société Rivière Hall n'a jamais exploité une entreprise pendant toute la période au cours de laquelle elle a consacré argent et énergie à la réalisation des objectifs qui sont énoncés dans ses lettres patentes de juillet 1969, et qui consistaient à [Traduction] « produire et fabriquer par quelque moyen que ce soit et fournir et vendre de l'électricité [...] » serait une analyse trop restrictive à la fois pour l'interprétation de la loi et l'appréciation des faits.
[62] Il n'est pas facile de circonscrire la teneur du concept d'exploitation d'une entreprise. On peut dégager deux paramètres extrinsèques qui permettent de conclure qu'il n'y a pas d'exploitation : d'une part, lorsqu'une société dûment constituée n'a pas réellement commencé son exploitation et, d'autre part, lorsqu'une société a été mise en veilleuse et se limite à tenir des assemblées annuelles et à produire des déclarations de revenus pour éviter sa dissolution. Il y a cependant, entre ces deux extrêmes, certaines activités qui sont les signes d'une société en exploitation et qui devraient être placées dans le spectre du concept de l'exploitation d'une entreprise même si, par exemple, ces activités ont pour but de conclure un accord qui au bout du compte ne l'est pas, ou même si elles n'entraînent pas la production d'un revenu.
[63] Dans la poursuite de ce raisonnement, je trouve utile les commentaires faits par le juge Jackett dans l'arrêt Canada Starch Company Limited c. Le Ministre du Revenu national (68 D.T.C. 5320, aux pages 5324 et 5325). Bien que cette affaire ait porté sur la notion de dépenses commerciales ou de mise de fonds déductibles, les observations suivantes apportent un peu de lumière sur la question de l'exploitation d'une entreprise :
[Traduction][...] De même, à mon avis, les dépenses ou d'autres mesures prises par un homme d'affaire en vue de mettre certains produits sur le marché - par exemple des études de marché et des études de dessins industriels - sont également des dépenses courantes. Elles sont de plus des dépenses engagées dans le cours de l'exploitation de l'entreprise afin d'inciter le public à acheter les biens qui sont vendus.
[Non souligné dans l'original.]
[64] De même, dans l'arrêt Bowater Power Company Limited c. Le Ministre du Revenu national (71 D.T.C. 5469, à la page 5481), une affaire traitant également des dépenses commerciales et des mises de fonds déductibles, le juge en chef adjoint Noël a déclaré ce qui suit :
[Traduction] [...] Bien que la mise en valeur des ressources hydro-électriques, une fois qu'elle devient une entreprise ou une réalité commerciale, soit une immobilisation de l'entreprise à laquelle elle se rattache, les moyens raisonnables qui ont été mis en oeuvre pour déterminer si l'entreprise devrait être créée ou non peuvent quand même résulter de l'exploitation courante de l'entreprise et faire partie des activités quotidiennes des cadres qui dirigent les opérations d'une façon commerciale. Je ne peux cependant voir aucune différence de principe entre toutes ces affaires.
[Non souligné dans l'original.]
[65] À mon avis, la société Rivière Hall a exploité son entreprise sans interruption depuis 1978. Elle était constamment à la recherche d'un marché pour mettre en valeur son potentiel hydro-électrique. Par conséquent, la société Rivière Hall respecte la condition du paragraphe 110.6(1) de la Loi, tant du point de vue de « l'entreprise exploitée activement » que du point de vue de la période pertinente, c'est-à-dire « tout au long de la partie de la période de vingt-quatre mois qui précède le moment donné, où l'action est la propriété du particulier » .
[66] Exiger l'existence d'un accord sur le prix de l'électricité avant que la société Rivière Hall puisse être considérée comme une « entreprise exploitée activement » ajoute un élément qui ne se trouve pas dans la Loi. L'exemption d'impôt prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi a pour objet de fournir un incitatif économique en vue de favoriser les prises de participation au Canada et la création d'entreprises commerciales canadiennes (V. Krishna, Income Tax Law, (Concord: Irwin Law, 1997), à la page 190). M. Michael Wilson a fait les observations suivantes quand cette mesure a été présentée à la Chambre des communes (voir Débats de la Chambre des communes, 23 mai 1985, à la page 5014) :
Cette mesure encouragera un plus grand nombre de Canadiens à investir dans les petites et grandes entreprises. Elle aidera les sociétés canadiennes à redresser plus rapidement leur situation financière en attirant de nouveaux capitaux propres. Elle permettra aux petites entreprises d'obtenir plus aisément les fonds dont elles ont besoin pour mettre en oeuvre des idées et des activités nouvelles. Elle favorisera le financement de la recherche et du développement.
Mais cette mesure constitue avant tout un encouragement général qui permet aux Canadiens de choisir leurs placements et les moyens de créer des richesses, des activités économiques et des emplois. Cet aspect est au coeur de notre philosophie. Les décisions seront prises, comme elles doivent l'être, par les Canadiens, et non par des politiciens ou des fonctionnaires ici à Ottawa.Cette mesure vise à donner libre cours à l'esprit d'entreprise et au dynamisme des Canadiens
[Non souligné dans l'original.]
Conclusion
[67] Je suis d'avis d'accueillir ces appels avec dépens devant la présente Cour et devant la Cour canadienne de l'impôt, d'infirmer la décision du juge de la Cour d'impôt et de renvoyer les cotisations au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations au motif que les appelants ont droit à la déduction pour gain en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi.
« Alice Desjardins »
Juge
« Je souscris à ces motifs,
J. Richard, juge en chef »
« Je souscris à ces motifs,
Robert Décary, juge »
Traduction certifiée conforme :
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.
Date : 20011029
Dossier : A-125-00
Ottawa (Ontario), le lundi 29 octobre 2001
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE DÉCARY
AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l'impôt sur le revenu
L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications
ENTRE :
BERNARD GIRARD
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
Le présent appel est accueilli avec dépens devant la présente Cour et devant la Cour canadienne de l'impôt. La décision du juge de la Cour de l'impôt est infirmée et la cotisation est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant a droit à la déduction pour gain en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Juge en chef
Traduction certifiée conforme :
Suzanne M. Gauthier LL.L., trad. a.
Date : 20011029
Dossier : A-126-00
Ottawa (Ontario), le lundi 29 octobre 2001
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE DÉCARY
AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l'impôt sur le revenu
L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications
ENTRE :
DENYSE FRANK GIRARD
appelante
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
Le présent appel est accueilli avec dépens devant la présente Cour et devant la Cour canadienne de l'impôt. La décision du juge de la Cour de l'impôt est infirmée et la cotisation est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelante a droit à la déduction pour gain en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Juge en chef
Traduction certifiée conforme :
Suzanne M. Gauthier LL.L., trad. a.
Date : 20011029
Dossier : A-744-99
Ottawa (Ontario), le lundi 29 octobre 2001
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE DÉCARY
AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l'impôt sur le revenu
L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications
ENTRE :
JEAN-PIERRE HUDON
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
Le présent appel est accueilli avec dépens devant la présente Cour et devant la Cour canadienne de l'impôt. La décision du juge de la Cour de l'impôt est infirmée et la cotisation est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant a droit à la déduction pour gain en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Juge en chef
Traduction certifiée conforme :
Suzanne M. Gauthier LL.L., trad. a.
Date: 20011029
Dossier : A-767-99
Ottawa (Ontario), le lundi 29 octobre 2001
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE DÉCARY
AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l'impôt sur le revenu
L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications
ENTRE :
JACQUES HAMEL, liquidateur de la succession
de feu GEORGE SCANLAN
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
Le présent appel est accueilli avec dépens devant la présente Cour et devant la Cour canadienne de l'impôt. La décision du juge de la Cour de l'impôt est infirmée et la cotisation est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant a droit à la déduction pour gain en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Juge en chef
Traduction certifiée conforme :
Suzanne M. Gauthier LL.L., trad. a.
Date : 20011029
Dossier : A-768-99
Ottawa (Ontario), le lundi 29 octobre 2001
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE DÉCARY
AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l'impôt sur le revenu
L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), et ses modifications
ENTRE :
GÉRALD M. HARQUAIL
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
Le présent appel est accueilli avec dépens devant la présente Cour et devant la Cour canadienne de l'impôt. La décision du juge de la Cour de l'impôt est infirmée et la cotisation est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant a droit à la déduction pour gain en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Juge en chef
Traduction certifiée conforme :
Suzanne M. Gauthier LL.L., trad. a.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-744-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : JEAN-PIERRE HUDON ET LA REINE
DOSSIER : A-767-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : JACQUES HAMEL ET AL. ET LA REINE
DOSSIER : A-768-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : GÉRALD M. HARQUAIL ET LA REINE
DOSSIER : A-125-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : BERNARD GIRARD ET LA REINE
DOSSIER : A-126-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : DENYSE FRANK GIRARD ET LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 10 OCTOBRE 2001
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE DESJARDINS
SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DÉCARY
DATE : LE 29 OCTOBRE 2001
COMPARUTIONS:
PIERRE BARSALOU POUR L'APPELANT
SÉBASTIEN RHEAULT
VALÉRIE TARDIF POUR L'INTIMÉE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
BARSALOU AUGER POUR L'APPELANT
MONTRÉAL (QUÉBEC)
MORRIS ROSENBERG POUR L'INTIMÉE
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA