Date : 20010326
Dossier : A-154-00
OTTAWA (ONTARIO), LE 26 MARS 2001
CORAM : LE JUGE NOËL
LE JUGE EVANS
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
GORDON E. SMITH
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens. La décision du juge de la Cour de l'impôt est annulée et la question est renvoyée à la Cour de l'impôt, avec la directive d'accueillir l'appel de M. Smith et d'annuler les cotisations.
« Marc Noël »
J.C.A.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
Date : 20010326
Dossier : A-154-00
Référence neutre : 2001 CAF 84
CORAM : LE JUGE NOËL
LE JUGE EVANS
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
GORDON E. SMITH
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Audience tenue à Vancouver (C.-B.), le 6 février 2001
JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le 26 mars 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE SHARLOW
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL
LE JUGE EVANS
Date : 20010326
Dossier : A-154-00
Référence neutre : 2001 CAF 84
CORAM : LE JUGE NOËL
LE JUGE EVANS
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
GORDON E. SMITH
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE SHARLOW
[1] Gordon E. Smith a fait l'objet de cotisations en vertu des paragraphes 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), et 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15. Ces cotisations portent sur des sommes dues par une société dont il était l'un des administrateurs. Il a fait appel de ces cotisations à la Cour canadienne de l'impôt, en utilisant la procédure informelle, se fondant sur divers motifs dont la défense de diligence raisonnable. Son appel a été rejeté le 9 février 2000 (publié sous l'intitulé Smith c. Sa Majestéla Reine, 2000 D.T.C. 1888, [2000] 2 C.T.C. 2494, 2000 G.T.C. 758, [2000] G.S.T.C. 12, 16 C.B.R. (4th) 289). M. Smith sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Cour de l'impôt.
[2] M. Smith n'a pas inclus la transcription des audiences devant la Cour de l'impôt dans son dossier de demande. Il a déclaré que cette transcription « n'était pas disponible » . Il semble qu'il a demandé une transcription et qu'un fonctionnaire de la Cour de l'impôt lui a déclaré que la Cour de l'impôt n'en avait pas. M. Smith n'a pas d'avocat et il se représente lui-même; il semblait donc ne pas savoir que, dans la mesure où les audiences ont été enregistrées, comme elles l'ont été en l'instance, il aurait pu commander lui-même la transcription et prendre les mesures appropriées pour qu'elle soit intégrée au dossier de demande. À la place, M. Smith a déposé, dans son dossier de demande, un affidavit dans lequel il fait certaines affirmations quant aux témoignages à l'audience.
[3] L'avocate de la Couronne n'a pas contre-interrogé M. Smith sur son affidavit. Elle n'a pas non plus déposé de transcription des audiences ou placé dans le dossier de l'intimée un affidavit qui serait venu contredire la version des faits présentée par M. Smith. Dans ces circonstances, je suis encline à accepter les affirmations de M. Smith au sujet des témoignages présentés au juge de la Cour de l'impôt. Je constate aussi que plusieurs des affirmations qui se trouvent dans l'affidavit de M. Smith sont des arguments juridiques qui auraient dû être dans son mémoire et je les traite donc en conséquence.
[4] Je vais maintenant examiner le fond de la présente demande. Les cotisations contestées par M. Smith ont été délivrées en vertu des paragraphes 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise, qui sont rédigés comme suit :
Loi de l'impôt sur le revenu L.R.C. (1985) ch. 1 (5e suppl.) 227.1(1) Lorsqu'une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme ou a omis de payer un montant d'impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d'imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant. |
Income Tax Act R.S.C. 1985 c. 1 (5th Supp.) 227.1(1) Where a corporation has failed to deduct or withhold an amount as required by subsection 135(3) or section 153 or 215, has failed to remit such an amount or has failed to pay an amount of tax for a taxation year as required under Part VII or VIII, the directors of the corporation at the time the corporation was required to deduct, withhold, remit or pay the amount are jointly and severally liable, together with the corporation, to pay that amount and any interest or penalties relating thereto. |
|
Loi sur la taxe d'accise L.R.C. (1985), ch. E-15 323(1) Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents. |
Excise Tax Act R.S.C. 1985, c. E-15 323(1) Where a corporation fails to remit an amount of net tax as required under subsection 228(2) or (2.3), the directors of the corporation at the time the corporation was required to remit the amount are jointly and severally liable, together with the corporation, to pay that amount and any interest thereon or penalties relating thereto. |
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[5] M. Smith a soulevé plusieurs questions, mais une seule suffit à trancher la présente affaire. Il s'agit de savoir s'il a satisfait au critère de diligence raisonnable énoncé aux paragraphes 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise. Ces dispositions sont rédigées comme suit :
Loi de l'impôt sur le revenu L.R.C. (1985) ch. 1 (5e suppl.) 227.1(3) Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. |
Income Tax Act R.S.C. 1985 c. 1 (5th Supp.) 227.1(3) A director is not liable for a failure under subsection (1) where the director exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances. |
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Loi sur la taxe d'accise L.R.C. (1985), ch. E-15 323(3) L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. |
Excise Tax Act R.S.C. 1985, c. E-15 323(3) A director of a corporation is not liable for a failure under subsection (1) where the director exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances. |
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[6] Les dispositions portant sur la responsabilité des administrateurs ont été adoptées pour permettre à la Couronne de mieux faire respecter l'obligation que la loi impose à certains contribuables de verser les impôts payables par des tiers, comme l'impôt sur le revenu retenu à la source sur le salaire d'employés et la TPS nette perçue des clients. Normalement, les recours de la Couronne contre une société qui ne verse pas les impôts des tiers se limiteraient aux avoirs de la société. Ceci découle nécessairement de l'existence d'une personne morale distincte. On a toutefois constaté qu'une société, surtout lorsqu'elle faisait face à des difficultés financières, pourrait préférer ne pas satisfaire son obligation de verser les impôts afin de payer des créanciers dont les réclamations semblent plus pressantes. On a donc cru qu'il était nécessaire d'adopter une législation qui empêcherait les sociétés de faire un tel choix.
[7] En conséquence, on a adopté les paragraphes 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise, qui permettent, sous réserve de certaines conditions, d'imposer une responsabilité aux administrateurs d'une société qui n'a pas versé les impôts perçus de tiers : Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, 215 N.R. 372, 149 D.L.R. (4th) 297, [1997] 3 C.T.C. 242, 97 D.T.C. 5407 (C.A.F.). Ceci présuppose que ce sont les administrateurs qui prennent la décision faisant que la société ne respecte pas ses obligations de verser les sommes en cause : Kalef c. Canada (1996), 194 N.R. 39, 39 C.B.R. (3d) 1, [1996] 2 C.T.C. 1, 96 D.T.C. 6132 (C.A.F.).
[8] Les obligations des administrateurs de société en vertu de ces dispositions sont soumises à certaines conditions énoncées dans la loi (paragraphes 227.1(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu et 323(2) de la Loi sur la taxe d'accise), qui ne sont pas en cause ici. De plus, les paragraphes 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et 323(2) de la Loi sur la taxe d'accise autorisent un administrateur à présenter une défense de diligence raisonnable.
[9] L'arrêt Soper, précité, a établi que la norme de prudence décrite dans la défense de diligence raisonnable au sens de la loi est essentiellement la même que la norme de prudence en common law, établie dans l'arrêt City Equitable Fire Insurance Commission., In re, [1925] ch. 407 (C.A.). Il s'ensuit que ce à quoi on peut raisonnablement s'attendre d'un administrateur aux fins des paragraphes 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise dépendra des faits de l'affaire, avec un élément objectif et un élément subjectif.
[10] L'élément subjectif de la norme de prudence applicable à un administrateur donné dépendra de ses qualités personnelles, y compris ses connaissances et son expérience. En général, une personne expérimentée en affaires ou en questions financières sera tenue à une norme plus élevée qu'une personne qui n'a pas de connaissances ou d'expérience en affaires et dont le statut d'administrateur reflète, par exemple, un simple lien familial. Toutefois, la défense de diligence raisonnable ne sera d'aucune aide à un administrateur qui n'a pas tenu compte des obligations imposées aux administrateurs par la loi, ou qui n'a fait aucun cas d'un problème dont il connaissait l'existence, ou dont il aurait dû connaître l'existence comme toute personne prudente en pareilles circonstances (Hanson c. Canada (2000) 260 N.R. 79, [2000] 4 C.T.C. 215, 2000 D.T.C. 6564 (C.A.F.)).
[11] En évaluant objectivement l'aspect raisonnable de la conduite d'un administrateur, il y a lieu de tenir compte de facteurs comme le volume, la nature et la complexité des affaires de la société, ainsi que de ses coutumes et pratiques. Plus une entreprise est importante et complexe, plus il sera raisonnable que les administrateurs se partagent les responsabilités, ou qu'ils délèguent le règlement de certaines questions au personnel de la société et à des conseillers extérieurs auxquels ils accordent leur confiance.
[12] La souplesse inhérente à la défense de diligence raisonnable peut créer des situations où une norme de prudence plus élevée s'impose à certains administrateurs d'une société par rapport à d'autres. Par exemple, il peut être approprié d'imposer une norme plus élevée à un « administrateur interne » (par exemple, un directeur ayant l'habitude de la gestion au jour le jour) qu'à un « administrateur externe » (comme un directeur qui connaît assez peu les affaires de la société et n'est impliqué que de façon superficielle).
[13] Ceci s'applique plus particulièrement s'il est démontré que l'administrateur externe a donné foi de façon raisonnable aux assurances données par les administrateurs internes que les remises d'impôts correspondant aux obligations de la société étaient effectivement versées. Voir notamment Cadrin c. Canada (1998), 240 N.R. 354, [1999] 3 C.T.C. 366, 99 D.T.C. 5079 (C.A.F.).
[14] Dans certaines circonstances, le fait qu'une société soit en difficultés financières et donc à risque plus élevé que d'autres sociétés de ne pas verser ses remises d'impôts peut être un facteur qui milite pour une norme de prudence plus élevée. Par exemple, un administrateur qui connaît les difficultés financières de la société et qui décide sciemment de financer les opérations de la société avec les sommes prélevées à la source et non remises pourrait ne pas pouvoir invoquer la défense de diligence raisonnable (Ruffo c. Canada, 2000 D.T.C. 6317 (C.A.F.)). Toutefois, il est important de se rappeler que dans tous les cas la norme est celle du raisonnable et non celle de la perfection.
[15] Ayant fait ce survol de la législation, il faut maintenant résumer les faits de la présente affaire et examiner comment le juge de la Cour de l'impôt a appliqué les principes pertinents.
[16] M. Smith a agi comme administrateur de ECO Superwood (B.C.) Ltd. (ECO) de février 1993 jusqu'au 31 octobre 1995, au moins. On ne sait pas exactement quand il a cessé d'être un administrateur, mais cette date n'est pas importante pour le règlement de l'affaire en l'instance.
[17] La Couronne soutient qu'entre le 1er novembre 1993 et le 31 octobre 1995, ECO est devenue responsable de retenues à la source non remises, ainsi que de la TPS nette non remise. C'est sur cette base que M. Smith a été cotisé en vertu des paragraphes 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise, pour une somme totale de 27 385,12 $, qui se décompose de la façon suivante : au titre des retenues à la source non remises pour octobre 1995, la somme de 7 036,15 $, plus 6,00 $ d'intérêts, et, pour la période du 1er novembre 1993 au 31 octobre 1995, au titre de la TPS nette non remise, la somme de 17 569,05 $, plus des intérêts de 1 434,14 $ et des pénalités de 1 339,78 $.
[18] Lorsque M. Smith est devenu un administrateur de ECO, en février 1993, il était un professeur d'école secondaire possédant une maîtrise ès arts. En juin 1995, il a pris sa retraite de l'enseignement. Il n'avait aucune formation ou expérience en affaires avant les événements qui ont donné lieu à cet appel. M. Smith était un actionnaire minoritaire de ECO, qui avait investi approximativement 10 000 $. Il a fait cet investissement parce qu'il considérait que le produit commercialisé par ECO était un bon produit et qu'il était utile.
[19] En 1993, ECO avait fait face à certaines difficultés dans ses affaires, qui ont mené à un désaccord entre les actionnaires majoritaires et minoritaires. M. Smith était au courant de cette situation et il savait aussi que ECO avait des difficultés financières. Il a été élu au conseil d'administration dans le but d'assurer la liaison entre les deux groupes et d'essayer de les réconcilier. On ne s'attendait pas de lui en tant qu'administrateur qu'il participe aux activités quotidiennes de ECO, non plus qu'il comprenne en détail ses affaires financières.
[20] Dès le début, M. Smith s'est informé auprès d'un avocat au sujet des responsabilités juridiques des administrateurs et il savait de façon générale qu'il était tenu d'exercer un degré raisonnable de soin et d'habileté. Il a aussi été informé qu'il devait s'assurer que ECO respectait ses obligations de remettre les retenues à la source. À la première réunion du conseil d'administration suite à sa nomination, soit le 6 avril 1993, il a présenté une résolution pour qu'on accorde la priorité au paiement des sommes dues à Revenu Canada. Cette résolution a été adoptée.
[21] La preuve indique que les administrateurs recevaient des rapports à chaque réunion, qui ont convaincu M. Smith que les sommes dues à Revenu Canada lui étaient effectivement versées. Il semble que la Couronne a accepté ce fait, du moins en ce qui concerne les obligations de ECO de verser la TPS nette avant juin 1995. Dans son résumé des arguments de la Couronne, le juge de la Cour de l'impôt déclare ceci, au paragraphe 59 :
L'appelant [M. Smith] savait dès le début que la compagnie éprouvait des difficultés et que les retenues à la source n'avaient pas étéversées. Peut-être n'a-t-il appris qu'en juin 1995 que la compagnie n'avait pas effectué ses remises au titre de la TPS.
[22] M. Smith n'a pas été cotisé pour les retenues à la source non remises avant juin 1995, mais il a été cotisé pour la TPS non remise, nonobstant le fait qu'il n'était pas au courant que ECO ne l'avait pas remise.
[23] Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que M. Smith était un « administrateur interne » au moment de son élection. Ma lecture de ses motifs de décision m'indique qu'il fonde cette conclusion sur les faits suivants (paragraphes 123 et 124) :
Il [M. Smith] était instruit et il détenait une maîtrise, même s'il n'était pas dans les affaires et en dépit du fait que, jusqu'à ce qu'il soit lié à la compagnie, il ne connaissait rien à ce genre d'activités commerciales. Il ne s'agit pas d'un cas où l'appelant n'occupait pas le poste en question en connaissance de cause, ni s'agit-il d'un cas où il est devenu administrateur à son corps défendant (bien qu'il ait indiqué que des pressions avaient peut-être été exercées pour qu'il accepte le poste) et les mesures qu'il a prises pour être nommé administrateur montrent qu'il a agi de son plein gré.
Avant de devenir administrateur, l'appelant s'est renseigné sur les obligations légales d'un administrateur auprès d'un avocat. Il a vérifié les dispositions relatives à la responsabilité d'un administrateur dans la loi. Il a lui-même admis que, lorsqu'il est devenu administrateur au mois de février 1993, il était au courant des difficultés financières qu'éprouvait la compagnie. Lorsqu'il a assisté à la première réunion du conseil d'administration, il s'est renseigné sur les obligations et responsabilités d'un administrateur et il a été autorisé à consulter l'avocat de la compagnie à ce sujet. Il savait qu'un administrateur devait au moins « agir en tout temps avec autant de soin, de diligence et de compétence que l'aurait fait une personne compétente dans les circonstances » .
[24] En toute déférence, il m'apparaît que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur lorsqu'il a conclu que M. Smith était un « administrateur interne » dès sa nomination, compte tenu de son niveau d'études, du fait qu'il avait accepté d'être administrateur et qu'il avait fait des efforts pour comprendre quelles étaient ses obligations. En général, aux fins de la défense de diligence raisonnable, les « administrateurs internes » sont ceux qui « s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires » (Soper, précité, paragraphe 43). Ces mots ne décrivent aucunement le rôle de M. Smith au moment où il est devenu un administrateur. Les faits qui sont pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si une personne est un « administrateur interne » sont les tâches dont cette personne est chargée en tant qu'administrateur et son degré d'implication dans les affaires de la société.
[25] Cette erreur dans la description du rôle initial de M. Smith en tant qu'administrateur semble avoir mené le juge de la Cour de l'impôt à une erreur additionnelle, savoir l'imposition d'une norme de prudence trop élevée. Contrairement à la conclusion à laquelle le juge de la Cour de l'impôt est arrivé, je suis d'avis qu'en tant qu'administrateur externe, la conduite de M. Smith était tout à fait raisonnable, savoir qu'il a d'abord présenté une résolution visant à s'assurer que les comptes de Revenu Canada étaient payés et qu'il s'est ensuite appuyé sur les administrateurs internes et les responsables de la société qui devaient assurer que ces directives étaient mises en oeuvre.
[26] Le juge de la Cour de l'impôt a déclaré que M. Smith aurait dû faire plus. Il aurait dû demander plus de rapports des dirigeants de la compagnie, poser plus de questions au sujet des montants payés et des soldes dus, ou même obtenir un pouvoir de signature et vérifier lui-même les paiements. Selon moi, il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que M. Smith ait pris de telles dispositions, étant donné son rôle limité en tant qu'administrateur et les circonstances dans lesquelles il a assumé ce rôle. Je conclus donc qu'il a établi sa défense de diligence raisonnable pour la période se terminant en juin 1995.
[27] La situation a changé en juin 1995, alors que le rôle de M. Smith dans les affaires de ECO s'est transformé : d'administrateur externe, il est devenu un administrateur interne. À cette époque, ECO avait de graves difficultés financières et M. Smith a essayé d'apporter son aide à diverses tentatives de maintenir la société en activité. C'est à cette fin qu'il est devenu plus actif dans les affaires de ECO. Cette implication plus grande dans les affaires financières de la société a fait qu'après juin 1995, il était devenu un administrateur interne. Il l'est demeuré au moins jusqu'à la fin d'octobre 1995, au moment où les affaires de ECO ont été confiées à un syndic. Il n'a pas été cotisé pour des obligations qui auraient pris naissance après cette date.
[28] La preuve fait ressortir clairement que dès juin 1995 les ressources financières de la société étaient tellement épuisées qu'on ne pouvait presque rien faire pour assurer la remise des sommes dues. Malgré ces difficultés, M. Smith n'a pas baissé les bras. En fait, les obligations de la compagnie de remettre les retenues perçues à la source de ses employés ont été satisfaites, sauf pour le mois d'octobre. Il y avait aussi de la TPS non remise pour la période allant de juin à octobre 1995.
[29] Durant cette période, M. Smith a fait des efforts considérables pour essayer de déterminer quelles étaient les créances de la compagnie. Il a cru y être arrivé, en s'appuyant sur les dirigeants de la compagnie ainsi que sur les renseignements fournis par Revenu Canada. Il s'est avéré par la suite que ces renseignements n'étaient pas exacts, mais on ne pouvait s'attendre à ce que M. Smith soit au courant de cette situation. Il était raisonnable qu'il accepte les renseignements qu'on lui donnait comme étant valables, étant donné son expérience limitée en affaires et dans le domaine fiscal.
[30] Il a été informé que la compagnie devait recevoir une subvention de recherche du gouvernement fédéral, subvention qui aurait, selon les renseignements dont il disposait, suffi à satisfaire aux obligations de la société. Il a fait beaucoup de démarches pour essayer de s'assurer que la subvention serait utilisée pour satisfaire aux obligations de la société. Ce n'est pas ce qui s'est produit, mais rien au dossier n'indique que M. Smith était à blâmer pour cette situation. S'il y avait des difficultés au sein des divers ministères gouvernementaux qui rendaient difficile ou impossible qu'on réponde à la demande de M. Smith d'utiliser la subvention pour payer les dettes de la société, on n'en trouve pas trace au dossier.
[31] Le juge de la Cour de l'impôt semble avoir reconnu que M. Smith a fait des efforts en juin 1995 et après cette date, mais il fait remarquer ceci, au paragraphe 138 :
Aucune des mesures qu'il a prises n'a permis à Revenu Canada de recevoir les montants en cause.
et, au paragraphe 142 :
La Cour est convaincue que les mesures prises par l'appelant n'ont nullement permis de prévenir le manquement.
[32] Il me semble que ces commentaires font ressortir une autre erreur du juge de la Cour de l'impôt dans son analyse de la défense de diligence raisonnable. La seule obligation d'un administrateur est celle d'agir raisonnablement dans les circonstances. Le fait que ses efforts n'ont pas donné de résultats ne vient pas démontrer qu'il n'a pas agi de façon raisonnable.
[33] Pour les motifs précités, j'accueille la demande de contrôle judiciaire, avec dépens. La décision du juge de la Cour de l'impôt est annulée et la question est renvoyée à la Cour de l'impôt, avec la directive d'accueillir l'appel de M. Smith et d'annuler les cotisations.
« Karen R. Sharlow »
J.C.A.
« Je souscris à ces motifs
Marc Noël, J.C.A. »
« Je souscris à ces motifs
John M. Evans, J.C.A. »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : A-154-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : GORDON E. SMITH
et
SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE : le 6 février 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE SHARLOW
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL
LE JUGE EVANS
DATE DES MOTIFS : le 26 mars 2001
ONT COMPARU :
M. Gordon E. Smith EN SON PROPRE NOM
Mme Patricia A. Babcock POUR L'INTIMÉE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Gordon E. Smith
Burnaby (C.-B.) EN SON PROPRE NOM
M. Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario) POUR L'INTIMÉE