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Date : 20031203

Dossier : A-399-02

Référence : 2003 CAF 465

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

CANADA (CHAMBRE DES COMMUNES) et

CANADA (BUREAU DE RÉGIE INTERNE)

                                                                                                                                                       appelants

                                                                                   et

LOUIS QUIGLEY et

LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

                                                                                                                                                           intimés

                                                                                   et

                                                              MAURIL BÉLANGER

                                                                                                                                                    intervenant

                                     Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2003.

                          Jugement rendu à l'audience à Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                        LE JUGE DÉCARY


Date : 20031203

Dossier : A-399-02

Référence : 2003 CAF 465

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

CANADA (CHAMBRE DES COMMUNES) et

CANADA (BUREAU DE RÉGIE INTERNE)

                                                                                                                                                       appelants

                                                                                   et

LOUIS QUIGLEY et

LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

                                                                                                                                                           intimés

                                                                                   et

                                                              MAURIL BÉLANGER

                                                                                                                                                    intervenant

                                              MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                          (Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2003)

LE JUGE DÉCARY

[1]    Le 27 décembre 2000, l'intimé Louis Quigley sollicitait :

1.     Une déclaration selon laquelle la méthode utilisée par la Chambre des communes pour assurer la télédiffusion publique des débats parlementaires contrevient à la partie I, à l'article 22, à l'article 25 et à l'esprit de la Loi sur les langues officielles; et


2.     Une ordonnance enjoignant à la Chambre des communes de se conformer à la partie I, à l'article 22, à l'article 25 et à l'esprit de la Loi, dans sa manière de télédiffuser les débats parlementaires.

[2]                 Par une ordonnance datée du 5 juin 2002, publiée à [2003] 1 C.F. 132, monsieur le juge O'Keefe définissait trois points litigieux.

[3]                 Le premier point était celui de savoir si la Cour avait compétence pour appliquer la Loi sur les langues officielles (la Loi) à la Chambre ou si la Chambre pouvait faire valoir son privilège constitutionnel intrinsèque. Le juge est arrivé à la conclusion que la question ne se posait pas en l'espèce, puisque la Chambre avait déjà décidé de mettre ses travaux et débats à la disposition de la Chaîne d'affaires publiques par câble (la CPAC), en anglais, en français et en son original.

[4]                 Le deuxième point était celui de savoir si la Chambre contrevenait à ses obligations linguistiques selon la Loi. Le juge est arrivé à la conclusion que la Chambre contrevenait à ses obligations linguistiques, « parce qu'elle n'a pas veillé, dans les ententes qu'elle a conclues avec la CPAC, à ce que ses débats soient offerts dans les deux langues officielles » (au paragraphe 58).

[5]                 Le troisième point était celui de savoir quelle était la réparation adéquate au vu des circonstances de cette affaire. Le juge est arrivé à la conclusion suivante, au paragraphe 59 :

La réparation convenable en l'espèce consiste, à mon avis, à ordonner que la Chambre et le Bureau prennent les mesures nécessaires pour se conformer à l'article 25 de la Loi dans l'année qui suit la date de la présente décision. Compte tenu de la complexité de l'affaire, je ne me propose pas de décrire en détail les mesures devant être prises.


[6]                 Le juge a donc rendu l'ordonnance suivante :

1.      Une déclaration portant que la méthode qu'utilisent actuellement les défendeurs, Canada (Chambre des communes) et Canada (Bureau de régie interne), pour assurer la télédiffusion publique des débats parlementaires va à l'encontre de l'article 25 de la Loi est prononcée;

2.     Les défendeurs indiqués ci-dessus doivent, dans l'année qui suit la date de la présente décision, prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'article 25 de la Loi.

[7]                 Il semble donc que les allégations avancées, les preuves produites et l'ordonnance rendue portaient essentiellement sur les circonstances qui avaient cours au moment de l'ordonnance.

[8]                 Avant l'instruction de l'appel, le juge en chef de la Cour d'appel fédérale a donné les directives suivantes aux parties :

[traduction]

Les faits suivants apparaissent dans le dossier de la Cour :

1)      il semble que M. Quigley reçoit maintenant la télédiffusion des débats et travaux parlementaires dans les deux langues officielles (mémoire de l'appelant, paragraphe 20);

2)     l'ordonnance contestée de la Section de première instance est « une déclaration selon laquelle la méthode qu'utilisent actuellement les défendeurs, Canada (Chambre des communes) et Canada (Bureau de régie interne), pour assurer la télédiffusion publique des débats parlementaires va à l'encontre de l'article 25 de la Loi » ; et

3)     ni le CRTC ni la CPAC n'étaient parties à la procédure introduite devant la Section de première instance, bien que l'ordonnance contestée les concerne. Les parties devraient se préparer à se poser la question suivante : pour le cas où la Cour d'appel fédérale déciderait de juger l'appel et pour le cas où elle prononcerait en faveur de M. Quigley, ne risque-t-elle pas de se trouver en position de rendre un jugement déclaratoire pouvant préjudicier considérablement à des tiers sans que ces tiers aient eu la possibilité, devant la Section de première instance, de produire des éléments de preuve et d'exprimer leurs points de vue?


La Cour invite les avocats à examiner les questions suivantes :

1)     cet appel est peut-être dépourvu d'intérêt pratique; ou

2)     en tout état de cause, la Cour n'est peut-être pas en état de décider adéquatement les points soulevés.

[9]                 Les appelants ont admis, dans leurs conclusions écrites, que l'appel était dépourvu d'intérêt pratique. Les intimés ainsi que l'intervenant ont tous fait valoir qu'il existe encore un litige réel entre les parties, car le fond de ce litige intéresse le présumé inaccomplissement, par la Chambre, des obligations que lui impose la Loi.


[10]            Nous sommes malheureusement d'avis que l'appel est dépourvu d'intérêt pratique. La déclaration demandée et la preuve produite lors de l'instruction de la demande concernaient la « méthode utilisée actuellement » pour assurer la télédiffusion publique des débats parlementaires. L'ordonnance contestée se réfère, d'une part, à la méthode qu'utilisent actuellement les défendeurs, et permet, d'autre part, aux défendeurs de prendre les mesures nécessaires « dans l'année qui suit la date de la présente décision » . Une année s'est écoulée; la méthode employée par les défendeurs au moment de l'audience (le 5 décembre 2001) et au moment de l'ordonnance (le 5 juin 2002) n'est plus la même; le 1er septembre 2002, le CRTC a pris un nouveau règlement qui oblige les câblodistributeurs, comme condition de leurs licences, à distribuer les signaux, en anglais et en français, des travaux de la Chambre des communes (DORS/02-322); et M. Quigley reçoit maintenant les émissions télévisées dans la langue officielle de son choix. S'il existe encore un litige réel entre les parties, il ne concerne pas les faits qui avaient cours au moment de l'audience et de l'ordonnance, ni l'observation effective de l'ordonnance contestée. Il concerne plutôt les motifs de l'ordonnance rendue par le juge. Pour reprendre les propos des juges Iacobucci et Arbour, qui s'étaient exprimés pour les juges de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), 2003 CSC 62, au paragraphe 17, « l'effet recherché a été obtenu » , et la confirmation ou l'infirmation de l'ordonnance du juge saisi de la demande « n'entraînerait en l'espèce aucun effet pratique pour les parties » .

[11]            Évidemment, le caractère théorique d'un litige n'empêche pas absolument une juridiction d'appel de juger un appel. La cour doit quand même user de son pouvoir d'appréciation et peut décider de statuer sur un point théorique si les circonstances le justifient (voir l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, aux paragraphes 15 et 16; et l'arrêt Doucet-Boudreau, précité, aux paragraphes 16 et 22).


[12]            Un contexte contradictoire imprègne encore la présente affaire puisque toutes les parties ont énergiquement pressé la Cour de juger l'appel. Le souci pour l'économie des ressources judiciaires milite cependant contre l'instruction de cette affaire. Il nous paraît improbable que la Cour puisse adéquatement trancher la question de la méthode propre à diffuser dans le public les débats de la Chambre des communes sans l'intervention du CRTC, l'organe de régulation de la radiodiffusion et sans l'intervention de la CPAC, l'organisme qui assure l'interface entre les câblodistributeurs et la Chambre des communes. Une décision rendue en l'absence de ces parties ne pourrait s'imposer à elles, de telle sorte que le même point pourrait ultérieurement être l'objet d'un nouveau litige. Finalement, dans la mesure où la Cour doit se garder de s'aventurer dans la chasse gardée du législateur, elle doit à plus forte raison se garder d'intervenir dans les droits et privilèges du Parlement lui-même. Le Parlement n'est pas au-dessus de la loi, mais la Cour doit s'abstenir de s'ingérer dans ses opérations internes sauf si cela est manifestement nécessaire. En l'espèce, ce n'est pas nécessaire.

[13]            Aucune ordonnance utile ne peut être rendue par la Cour dans un domaine où la technologie est omniprésente, si ce n'est avec la participation du CRTC et des entreprises de radiodiffusion. Il suffit pour s'en convaincre de lire l'extrait suivant du Rapport d'enquête concernant la diffusion et la disponibilité des débats et travaux de la Chambre des communes dans les deux langues officielles, un rapport publié par la Commissaire aux langues officielles du Canada en octobre 2000 :

Malgré l'avènement, dans quelques années, de l'ère numérique où l'accessibilité du public au système multi-audio de télévision mentionné ci-haut permettra probablement d'assurer au public le plein accès aux débats parlementaires télédiffusés dans la langue officielle de son choix, la Chambre des communes doit, entre-temps, prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif. Nous croyons notamment qu'il incombe à la Chambre des communes de porter cette question à l'attention du CRTC et d'examiner avec toutes les parties intéressées, y compris l'Association canadienne de télévision par câble, toute solution à court terme qui permettrait au public canadien d'avoir accès aux débats parlementaires à la télévision dans sa langue officielle préférée.

                                                                                                                              [A.B., page 139]


[14]            L'appel sera par conséquent rejeté en raison de son caractère théorique, et les dépens de l'intimé Quigley seront supportés par les appelants.

                                                                                                                                         « Robert Décary »                       

                                                                                                                                                                 Juge                                  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                                       

DOSSIER :                                                                                  A-399-02

APPEL D'UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA DU 5 JUIN 2002, No DU DOSSIER T-2395-00

INTITULÉ :                                                                                  Canada (Chambre des Communes) et

al c. Louis Quigley et al

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                        Le 3 décembre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                        Le juge en chef Richard

Le juge Décary

Le juge Pelletier

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :                                  Le juge Décary

COMPARUTIONS:

Me John C. MacPherson, c.r.

POUR LES APPELANTS

Me J. Kevin Quigley                             

POUR L'INTIMÉ

LOUIS QUIGLEY

Me Pascale Giguère

POUR L'INTIMÉE LA                          COMMISSAIRE AUX LANGUES     OFFICIELLES DU CANADA

Me Ronald F. Caza

Me Rodrigue Escayola

POUR L'INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                                                                                 


Patterson Palmer Hunt Murphy

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LES APPELANTS

Burchell Green Hayman Parish

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR L'INTIMÉ

LOUIS QUIGLEY

Bureau du Commissaire aux langues officielles

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉE LA                          COMMISSAIRE AUX LANGUES     OFFICIELLES DU CANADA

Nelligan O'Brien Payne

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTERVENANT


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