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Date : 20030714

Dossier : A-395-02

Référence : 2003 CAF 297

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                           KIRKBI AG et LEGO CANADA INC.

                                                                                                        appelantes (demanderesses)

                                                                            et

                             GESTIONS RITVIK INC./RITVIK HOLDINGS INC.

         (exploitant maintenant son entreprise sous le nom de MEGA BLOKS INC.)

                                                                                                                  intimée (défenderesse)

                                  Audience tenue à Toronto (Ontario), le 5 mars 2003.

                                 Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LE JUGE SEXTON

Y A SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE ROTHSTEIN

MOTIFS DISSIDENTS :                                                                           LE JUGE PELLETIER


Date : 20030714

Dossier : A-395-02

Référence : 2003 CAF 297

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                           KIRKBI AG et LEGO CANADA INC.

                                                                                                        appelantes (demanderesses)

                                                                            et

                             GESTIONS RITVIK INC./RITVIK HOLDINGS INC.

         (exploitant maintenant son entreprise sous le nom de MEGA BLOKS INC.)

                                                                                                                  intimée (défenderesse)

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Sexton


[1]                 Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle Monsieur le juge Gibson a rejeté l'action en violation de marque de commerce (fondée sur la commercialisation trompeuse) intentée par les appelantes conformément à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985) ch. T-13, dans sa forme modifiée, (la Loi) parce que la « marque figurative LEGO » en litige n'était pas une marque de commerce valide, et ce, à cause de la doctrine de la fonctionnalité. Cette décision est publiée à (2002), 20 C.P.R. (4th) 224; [2002] A.C.F. no 793.

[2]                 Il s'agit donc de savoir si une marque de commerce qui est principalement fonctionnelle par sa nature peut justifier une action en commercialisation trompeuse fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi.

Les faits

[3]                 L'appelante KIRKBI AG est une société suisse dont le siège social est situé en Suisse. Il s'agit d'une société de portefeuille qui s'occupe de la gestion des biens, y compris les marques de commerce. Dans l'action intentée en première instance, KIRKBI AG était l'une des demanderesses.

[4]                 L'appelante LEGO Canada Inc. a été constituée en vertu des lois de l'Ontario au mois de mai 1988; son siège social est situé à Richmond Hill (Ontario). LEGO Canada Inc. était également une demanderesse dans l'action principale.


[5]                 Les deux appelantes sont membres du groupe de sociétés LEGO, un groupe d'envergure mondiale dont KIRKBI AG et LEGO Canada Inc. ne sont que deux membres parmi d'autres. Le groupe LEGO comprend également INTERLEGO A.G., INTER LEGO A/S et LEGO Systems Inc. KIRKIB AG appartient à M. Kjeld Kirk Kristiansen et à sa soeur et LEGO Canada Inc. appartient à INTERLEGO A.G., qui appartient en propriété exclusive à M. Kjeld Kirk Kristiansen.

[6]                 L'intimée Gestions Ritvik Inc. est une société constituée en vertu des lois du Canada; son siège social est situé à Saint-Laurent (Québec). Jouets Ritvik Inc., dont le nom figurait à un moment donné dans l'intitulé de la cause, ce nom ayant depuis lors été radié et l'action ayant été abandonnée à son égard, fabriquait et vendait la série MICRO de jeux MEGA BLOKS au Canada jusqu'à ce qu'elle soit dissoute, en 1998. Depuis la dissolution de Jouets Ritvik Inc., c'est Gestions Ritvik Inc. qui fabrique et vend la série MICRO de jeux MEGA BLOKS au Canada. L'ensemble des actifs et passifs de Jouets Ritvik Inc., y compris toute responsabilité découlant de la présente action, a été pris en charge par Gestions Ritvik Inc. (Ritvik).


[7]                 La première génération de briques LEGO s'inspirait de jeux de construction à saillies cylindriques, lesquels étaient conçus, fabriqués et vendus par M. Henry Page sous le nom de marque KIDDICRAFT. M. Page a fait breveter ses briques emboîtables au Royaume-Uni, au Canada et en France. Il convient de procéder à un examen de l'historique de la protection accordée par ces brevets étant donné que cet examen démontre la mesure dans laquelle les appelantes LEGO ont réussi, au fil des ans, à prolonger la durée du monopole lié à leurs brevets. LEGO a conservé un monopole sur les fonctions ou sur le système d'emboîtement des briques pendant une cinquantaine d'années - soit entre les années 1940 et 1988, année au cours de laquelle son dernier brevet a expiré. Un brevet portant sur une amélioration ne protégeait le breveté, sur le plan juridique, que pour l'amélioration effectuée et non pour l'invention originale, mais en pratique, la distinction est peut-être difficile à faire. Le brevet britannique Page no 529 580 a été délivré le 25 novembre 1940. Ce brevet se rapporte [traduction] « à des briques pour jeux de construction et à des éléments de construction similaires et a pour objet d'améliorer l'emboîtement des briques assemblées et la stabilité de la structure construite » . Le brevet britannique Page no 587 206 a été délivré le 17 avril 1947; il a été en vigueur pendant 16 ans. Ce brevet se rapportait [traduction] « à des briques pour jeux de construction et il [était] composé d'une amélioration ou d'une modification apportée à l'invention revendiquée dans le mémoire descriptif du brevet antérieur no 529 580 » . Le brevet canadien Page no 443 019 a été délivré le 22 juillet 1947; à un moment donné, les revendications du brevet y étaient décrites comme suit :

[traduction] Brique pour jeux de construction composée d'un corps creux à minces parois parallèles dont la cavité s'ouvre sur la face de la brique, de protubérances espacées symétriquement disposées sur la face opposée à la face ouverte, lesdites protubérances étant disposées en paires dans un sens, ainsi que d'au moins deux protubérances dans chaque rangée, la dimension générale du bossage dans chaque sens étant à peu près identique à la dimension de la cavité dans ce sens.


Le brevet britannique Page no 633 055 a été délivré le 12 décembre 1949; une [traduction] « forme améliorée de brique » comportant des fenêtres et des portes était revendiquée. Le brevet britannique Page no 673 857 a été délivré le 11 juin 1952; il modifiait l'invention en ajoutant une plaque ou un support assurant la rigidité de la rangée inférieure de briques. Ces brevets Page ont été acquis par LEGO. En fait, les jeux LEGO étaient vendus au Canada pendant la durée du brevet canadien Page no 443 019. Le brevet canadien Christiansen no 629 732 se rapportant à LEGO a été délivré le 24 octobre 1961 et le brevet canadien Christiansen no 880 418 a été délivré le 7 septembre 1971. Ce brevet de 1971 vise [traduction] « des éléments de construction ayant la forme d'un parallélépipède, dont chacun est muni, sur la face supérieure, de tenons servant à accorder, par engagement, l'élément à un élément correspondant entre les parois latérales de ce dernier élément » . Ces tenons présentaient « le même espacement » et avaient « les mêmes dimensions » . Selon le paragraphe 45(1) de la Loi sur les brevets, L.C.R. (1985), ch. P-4, la durée du brevet délivré sur une demande déposée le 1er octobre 1989 ou auparavant était limitée à « dix-sept ans à compter de la date à laquelle il [était] délivré » . Le dernier brevet LEGO, délivré en 1971, a donc expiré en 1988.

[8]                 Comme nous le verrons plus loin, lorsque ce brevet a expiré, LEGO a cherché à acquérir un autre genre de protection au moyen de la législation relative aux marques de commerce. Cette protection est désignée comme se rapportant à la « marque figurative LEGO » .

[9]                 En 1991, Ritvik a commencé à fabriquer et à vendre sa série MICRO de jeux de construction MEGA BLOKS. Il s'agit de jeux composés de briques extra-grandes destinées spécialement aux enfants en bas âge, chaque brique comportant, sur une de ses faces, des protubérances ou saillies cylindriques qui s'adaptent à la face opposée d'une autre brique sans effet de fixation. L'action ici en cause porte sur cette série MICRO, qui représente maintenant environ la moitié des ventes conclues par Ritvik à l'échelle mondiale; en 2001 Ritvik était le plus gros fabricant de jouets au Canada.


[10]            Il faut noter que les jeux de construction de marque LEGO et les jeux de construction de marque MEGA BLOKS sont vendus dans les mêmes circuits commerciaux. Les grands détaillants présentent habituellement ensemble tous les jeux de construction, de sorte que les deux marques se trouvent habituellement dans les mêmes rayons d'un magasin.

[11]            La « marque figurative LEGO » est habituellement décrite comme se rapportant à la face supérieure de la brique LEGO, munie de huit (8) protubérances ou tenons. Les saillies ou tenons d'une pièce LEGO peuvent s'adapter en totalité ou en partie à tout ou partie de la face inférieure d'une autre pièce LEGO. L' « effet de fixation » liant les pièces emboîtées est obtenu par le frottement entre les saillies de l'une et les cylindres creux ou les parois de la face inférieure de l'autre.

[12]            Les tenons apparaissant sur la face supérieure de la brique LEGO sont restés une caractéristique inchangée et dominante de l'ensemble des briques LEGO depuis 1949. Depuis au moins 1958, l'inscription « LEGO » apparaît sur le dessus de chaque tenon. On retrouve souvent ces tenons et leur configuration dans le matériel promotionnel de LEGO Canada au Canada, notamment dans les annonces télévisées, dans le matériel aux points de vente et sur les emballages.

[13]            Les appelantes affirment que ce façonnage de la configuration de saillies des produits LEGO constitue un « signe distinctif » et qu'il s'agit donc d'une marque de commerce au sens de la Loi. La marque de commerce n'est pas déposée.


La décision de première instance

[14]            Le juge de première instance a conclu que KIRKBI AG avait un intérêt propriétal dans la marque figurative LEGO. Il a également conclu que KIRKBI AG et LEGO Canada Inc. ont chacune, quant à la « propriété » , un intérêt suffisant au Canada à l'égard de la marque figurative LEGO pour être admissibles à titre de demanderesses dans l'action ici en cause et que, si la marque figurative LEGO est une marque de commerce, l'alinéa 7b) de la Loi est une disposition législative valide conférant à la Cour la compétence voulue pour instruire l'action ici en cause.

[15]            Le juge de première instance a en outre conclu que la marque figurative LEGO est principalement fonctionnelle et qu'il ne s'agit donc pas d'une marque de commerce valide en vertu de la Loi. Il est arrivé à cette conclusion de la façon suivante. La marque figurative LEGO est un élément fonctionnel des briques LEGO contribuant à l' « effet de fixation » qui pourrait être considéré comme constituant l'essence du système de jeux de construction LEGO. Toutes les particularités de la marque figurative LEGO sont dictées par la fonction, et la forme de la face supérieure de la brique de base LEGO est purement utilitaire.


[16]            En donnant des explications au sujet de l'arrêt Remington Rand Corp. c. Philips Electronics N.V. (1995), 64 C.P.R. (3d) 467 (C.A.F.); autorisation de pourvoi refusée (1996), 67 C.P.R. (3d) VI (C.S.C.), le juge de première instance a ajouté que l'essence d'une marque de commerce est de distinguer les marchandises d'un propriétaire de celles qui sont vendues par d'autres. Toutes les formes de marque de commerce, y compris un signe distinctif, sur lequel la prétendue marque figurative LEGO est fondée, sont caractérisées par leur caractère distinctif. Le juge de première instance convenait qu'un signe distinctif peut posséder un élément ou un constituant fonctionnel, mais que dans la mesure où ce caractère fonctionnel se rapporte principalement ou essentiellement aux marchandises elles-mêmes, il invalide la marque de commerce. L'énoncé suivant, tiré de l'arrêt Remington Rand, a été approuvé : « Une marque qui ne se borne pas à distinguer les marchandises de son titulaire, mais se rapporte à la structure fonctionnelle des marchandises mêmes, outrepasse les limites légitimes d'une marque de commerce. »

[17]            Le juge de première instance a rejeté les arguments invoqués par les appelantes LEGO, à savoir que la fonctionnalité, selon le régime de la Loi, touche uniquement les questions d'enregistrabilité et de radiation visées à l'article 13, et que les modifications apportées à la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, S.C. 1932, ch. 38 (qui s'appliquait avant la Loi actuelle) démontre que le législateur voulait éliminer la fonctionnalité en tant qu'obstacle à une marque constituant un « signe distinctif » . Voici ce que le juge a dit aux paragraphes 58 et 59 :

Autrement dit, l'avocat des demanderesses m'a invité à rejeter le raisonnement suivi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Remington Rand, en dépit de la longue tradition jurisprudentielle qui fonde ce raisonnement et malgré le fait que cet arrêt ait été rendu alors qu'était en vigueur la Loi sur les marques de commerce dans sa forme actuelle.

Je ne puis souscrire à la thèse de l'avocat des demanderesses.


[18]            Le juge de première instance a ensuite fait remarquer, au paragraphe 59, que l'alinéa 7b) de la Loi ne fait pas expressément mention de la « marque de commerce » ou du « signe distinctif » , expressions définies à l'article 2, et qu'il n'a donc rien à voir avec le régime global des marques de commerce prévu par la Loi. Par conséquent, il croyait pouvoir examiner le sens donné en common law à l'expression « signe distinctif » plutôt que la définition légale. Au paragraphe 122 de son jugement, il a dit ce qui suit : « [...] nous n'avons pas affaire ici [...] à une marque de commerce au sens de la Loi [...]. »

[19]            Le juge de première instance a conclu que la marque figurative LEGO est fonctionnelle à tous les égards, sauf en ce qui concerne l'inscription de la marque « LEGO » sur chaque tenon. Cette fonctionnalité se rapporte principalement ou essentiellement aux marchandises mêmes. Il a donc dit que « la marque figurative LEGO ne peut être un signe distinctif au sens de la common law, par opposition au sens de l'article 2 de la Loi » .

[20]            Compte tenu du caractère fonctionnel, le juge de première instance a donc conclu que, dans la mesure où elle avait adopté et employé la marque figurative LEGO, Ritvik n'avait pas contrevenu à l'alinéa 7b) de la Loi et que l'action devait être rejetée.


[21]            En prévision d'un appel, le juge de première instance a ensuite examiné les autres questions en litige, même s'il rejetait l'action sur la base de la fonctionnalité. Le reste du jugement est donc en théorie constitué de remarques incidentes et traite principalement de l'application des faits au critère applicable à la commercialisation trompeuse. À mon avis, étant donné que l'affaire qui nous occupe se rapporte à la question de l'applicabilité et de la validité de la doctrine de la fonctionnalité, il est inutile de faire des remarques au sujet des parties des motifs du juge de première instance qui portent sur d'autres questions.

Le point litigieux

[22]            L'appel ici en cause soulève deux questions :

1. Le juge de première instance a-t-il commis une erreur manifeste et dominante en concluant que la marque figurative LEGO était principalement fonctionnelle?

2. Une marque qui est principalement fonctionnelle peut-elle être une marque de commerce au sens de la Loi sur les marques de commerce?

Les dispositions législatives pertinentes

[23]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur les marques de commerce sont ainsi libellées :

2. « signe distinctif » Selon le cas :

a) façonnement de marchandises ou de leurs contenants;

b) mode d'envelopper ou empaqueter des marchandises, dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres.

2. "distinguishing guise" means

(a) a shaping of wares or their containers, or

(b) a mode of wrapping or packaging wares the appearance of which is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others;

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres;

b) marque de certification;

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

"trade-mark" means

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

(b) a certification mark,

(c) a distinguishing guise, or

(d) a proposed trade-mark;

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

6. (1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

(3) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l'emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque et les marchandises liées à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l'entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

(3) The use of a trade-mark causes confusion with a trade-name if the use of both the trade-mark and trade-name in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with the trade-mark and those associated with the business carried on under the trade-name are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

7. Nul ne peut :

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

7. No person shall

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

13. (1) Un signe distinctif n'est enregistrable que si, à la fois :

a) le signe a été employé au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenu distinctif à la date de la production d'une demande d'enregistrement le concernant;

b) l'emploi exclusif, par le requérant, de ce signe distinctif en liaison avec les marchandises ou services avec lesquels il a été employé n'a pas vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie.

13. (1) A distinguishing guise is registrable only if

(a) it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration; and

(b) the exclusive use by the applicant of the distinguishing guise in association with the wares or services with which it has been used is not likely unreasonably to limit the development of any art or industry.

(2) Aucun enregistrement d'un signe distinctif ne gêne l'emploi de toute particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif.

(2) No registration of a distinguishing guise interferes with the use of any utilitarian feature embodied in the distinguishing guise.

(3) L'enregistrement d'un signe distinctif peut être radié par la Cour fédérale, sur demande de toute personne intéressée, si le tribunal décide que l'enregistrement est vraisemblablement devenu de nature à restreindre d'une façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie.

(3) The registration of a distinguishing guise may be expunged by the Federal Court on the application of any interested person if the Court decides that the registration has become likely unreasonably to limit the development of any art or industry.

53.2 Lorsqu'il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu'il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d'injonction ou par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, pour l'imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.

53.2 Where a court is satisfied, on application of any interested person, that any act has been done contrary to this Act, the court may make any order that it considers appropriate in the circumstances, including an order providing for relief by way of injunction and the recovery of damages or profits and for the destruction, exportation or other disposition of any offending wares, packages, labels and advertising material and of any dies used in connection therewith.

La norme de contrôle


[24]            À mon avis, la question de savoir si la marque figurative LEGO est principalement fonctionnelle donne clairement lieu à une conclusion de fait et, par conséquent, selon l'arrêt Housen c. Nikolaisen 2002 CSC 33 [maintenant publié à 211 D.L.R. (4th) 577], la norme de contrôle de l'erreur manifeste et dominante doit s'appliquer. Un tribunal d'appel n'interviendra que s'il est convaincu que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante qui a influé sur l'appréciation des faits. Une conclusion donne lieu à une erreur manifeste et dominante ou est clairement erronée uniquement s'il n'existe aucun élément de preuve à l'appui de l'inférence ou si l'inférence est contraire au poids accablant de la preuve.

[25]            Au paragraphe 23 de l'arrêt Housen, la cour a dit ce qui suit :

[...] il n'appartient pas aux cours d'appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve.[...] La cour d'appel n'est pas habilitée à modifier une conclusion factuelle avec laquelle elle n'est pas d'accord, lorsque ce désaccord résulte d'une divergence d'opinion sur le poids à attribuer aux faits à la base de la conclusion.

[26]            Il est utile de reproduire d'autres remarques qui ont été faites dans l'arrêt Housen pour décrire la norme stricte de contrôle qui devrait s'appliquer à la décision que le juge de première instance a rendue au sujet du fait que la marque figurative LEGO est principalement fonctionnelle. Au paragraphe 25 de l'arrêt Housen, la cour a dit ce qui suit :


Bien que le juge de première instance soit toujours dans une position privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins, ce n'est pas là le seul domaine où il bénéficie d'un avantage sur les juges des cours d'appel. Parmi les avantages dont jouit le juge de première instance sur le plan des inférences factuelles, mentionnons son expertise relative en matière d'appréciation et d'évaluation de la preuve, de même que la connaissance unique qu'il possède de la preuve souvent abondante produite par les parties. Cette familiarité avec toute la trame factuelle lui est d'une grande utilité lorsque vient le moment de tirer des conclusions de fait. En outre, les considérations relatives au coût, au nombre et à la durée des appels sont tout aussi pertinentes pour ce qui est des inférences de fait que pour ce qui est des conclusions de fait, et justifient l'application aux unes comme aux autres d'une norme empreinte de retenue. En conséquence, nous ne partageons pas l'opinion de notre collègue selon laquelle la raison principale justifiant de faire montre de retenue à l'égard des conclusions de fait est la possibilité qu'a le juge de première instance d'observer les témoins directement. Nous sommes d'avis que le juge de première instance jouit, par rapport aux juges d'appel, de nombreux avantages qui influent sur toutes les conclusions de fait et que, même si ces avantages n'existaient pas, d'autres considérations impérieuses justifient de faire montre de retenue à l'égard des inférences de fait. Par conséquent, nous concluons en soulignant qu'il n'y a qu'une seule et unique norme de contrôle applicable à toutes les conclusions factuelles tirées par le juge de première instance, soit celle de l'erreur manifeste et dominante.

Par conséquent, il faut faire preuve d'énormément de retenue en ce qui concerne les conclusions de fait qui ont été tirées et les inférences factuelles qui ont été faites par le juge de première instance dans sa décision sur ce point - c'est lui qui bénéficiait des avantages susmentionnés.

[27]            Dans un jugement récent, Canwell Enviro-Industries Ltd. et al. c. Baker Petrolite Corp. et al. (2002), 17 C.P.R. (4th) 478 (C.A.F.), Monsieur le juge Rothstein décrit succinctement le raisonnement qui a été fait dans l'arrêt Housen. Voici ce qu'il a dit aux paragraphes 47 à 49 :

Dans le récent arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 [maintenant publié 211 D.L.R. (4th) 577], la Cour suprême du Canada présente une analyse approfondie de la norme de contrôle que les cours d'appel doivent appliquer aux décisions des juges de première instance. Voici un résumé des principes qui, à mon avis, sont pertinents en l'espèce.

La norme de contrôle relative à une question de droit est celle de la décision correcte. Au paragraphe 9, les juges Iacobucci et Major, qui ont rendu la décision majoritaire, s'expriment comme suit :

Ainsi, alors que le rôle premier des tribunaux de première instance consiste à résoudre des litiges sur la base des faits dont ils disposent et du droit établi, celui des cours d'appel est de préciser et de raffiner les règles de droit et de veiller à leur application universelle. Pour s'acquitter de ces rôles, les cours d'appel ont besoin d'un large pouvoir de contrôle à l'égard des questions de droit.

La cour d'appel ne peut modifier les conclusions de fait, y compris les inférences de fait, que dans les cas d'une erreur manifeste et dominante.


[28]            La conclusion du juge de première instance selon laquelle la marque figurative LEGO est principalement fonctionnelle est une question de fait et peut donc faire l'objet d'un examen compte tenu de la question de savoir s'il existe une erreur manifeste et dominante, mais la question de savoir si une marque de commerce est valide lorsqu'elle est principalement fonctionnelle est une question de droit et la norme de contrôle qui s'applique sur ce point devrait donc être celle de la décision correcte. Comme il en est fait mention dans l'arrêt Housen, la cour d'appel est habilitée à remplacer l'avis juridique exprimé par le juge de première instance par le sien. La façon dont le juge de première instance a appliqué la doctrine de la fonctionnalité doit donc être appréciée selon la norme de la décision correcte.

Arguments des appelants

[29]            Les appelantes ont affirmé que la marque figurative LEGO constitue un « signe distinctif » et qu'il s'agit donc d'une « marque de commerce » au sens de l'article 2 de la Loi. Selon les appelantes, un « signe distinctif » peut comporter des particularités utilitaires puisque le libellé de l'article 2 de la Loi ne limite pas expressément ou implicitement les définitions des expressions « marque de commerce » ou « signe distinctif » par rapport à la fonctionnalité.

[30]            Plus précisément, les appelantes ont soutenu que la Loi démontre que le caractère ou la qualité intrinsèque d'une marque ou d'un signe ne limite pas les définitions fondamentales des expressions « marque de commerce » ou « signe distinctif » . Les questions de caractère et de qualité sont plutôt uniquement soulevées dans les dispositions relatives à l'enregistrement ou à l'application, en particulier à l'article 13 de la Loi.


[31]            En outre, les appelantes ont soutenu qu'une comparaison des définitions figurant actuellement dans la Loi et celles qui figuraient dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, étaye cette interprétation de l'importance du caractère fonctionnel. Les appelantes ont soutenu que, dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, la définition de l'expression « signe distinctif » était expressément limitée par la fonction en raison des mots « indépendamment de tout élément d'utilité ou de convenance qu'elle peut avoir » . Selon la Loi actuelle, il n'est pas expressément nécessaire qu'un « signe distinctif » soit indépendant de quelque élément d'utilité ou de convenance. Les appelantes ont donc soutenu que, dans la Loi actuelle, la restriction relative à la fonctionnalité a été éliminée des définitions des expressions « signe distinctif » et « marque de commerce » et ne s'applique qu'aux dispositions de l'article 13.

[32]            Selon les appelantes, le législateur a supprimé les termes se rapportant à la fonctionnalité (utilité ou convenance) de la définition de l'expression « signe distinctif » et a adopté une stratégie différente en édictant la procédure d'enregistrement spéciale prévue à l'article 13. L'article 13 ne fait pas obstacle à l'enregistrement compte tenu de la simple existence du caractère fonctionnel dans un signe; même après l'enregistrement, le public peut utiliser toute particularité utilitaire incorporée dans un signe distinctif. Par conséquent, un « signe distinctif » peut comporter des particularités utilitaires.


[33]            Les appelantes ont tenté de faire une distinction à l'égard de l'arrêt Remington Rand, précité, suivi par le juge de première instance. Elles ont soutenu que l'arrêt Remington Rand ne fait pas autorité à l'appui de la thèse selon laquelle la fonctionnalité est pertinente pour ce qui est de la définition de l'expression « signe distinctif » figurant dans la Loi actuelle. Je résume ci-dessous les arguments invoqués par les appelantes :

[traduction] (1) L'arrêt Remington Rand se rapporte aux marques de commerce déposées et à l'effet de l'emploi exclusif sur la concurrence; or, la marque figurative LEGO n'est pas une marque de commerce déposée. Les questions de principe ne se posent pas dans la même mesure.

(2) Dans l'arrêt Remington Rand, la Cour a commis une erreur en statuant que l'invalidité de l'enregistrement d'une marque de commerce visant un élément fonctionnel était dépourvue de fondement légal. Les appelantes LEGO affirment que l'article 13 peut servir de fondement légal.

(3) Dans l'arrêt Remington, la Cour s'est fondée sur la décision Imperial Tobacco Co. c. Registrar of Trade-Marks, [1939] 2 D.L.R. 65 (C. de l'É.) comme jugement faisant autorité à l'appui de cette présumée politique publique non législative relative à la fonctionnalité, mais le jugement Imperial Oil a été rendu en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 et non en vertu de la Loi sur les marques de commerce actuelle. À ce moment-là, l'article 13 n'avait pas été édicté, de sorte qu'il n'existait aucun critère applicable lors de l'enregistrement permettant d'empêcher la concurrence. Le raisonnement qui a été fait dans le jugement Imperial Oil était donc fondé sur les définitions figurant dans la Loi sur la concurrence déloyale et sur la politique sous-jacente.

(4) Dans l'arrêt Remington Rand, les différences existant entre les définitions figurant dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 et dans la Loi sur les marques de commerce actuelle n'ont pas été examinées.

(5) Dans l'arrêt Remington Rand, la Cour a suivi l'arrêt Parke Davis & Co. Ltd. c. Empire Laboratories Ltd. (1964), 43 C.P.R. 1 (C.S.C.), soit un jugement qui, selon les appelantes, a été rendu en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932. Dans l'arrêt Parke, Davis la Cour a statué que le caractère fonctionnel invalidait les enregistrements - c'est-à-dire que les marques de commerce n'étaient pas des marques de commerce valides « au sens de la Loi » , à savoir la Loi sur la concurrence déloyale. Les appelantes soutiennent donc que l'arrêt Parke, Davis étaye l'argument selon lequel le caractère fonctionnel peut avoir vicié une marque de commerce en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, mais que cela n'empêche plus une marque d'être considérée comme une « marque de commerce » en vertu da la Loi sur les marques de commerce.


[34]            Les appelantes ont donc soutenu que si la fonctionnalité n'est pas une limitation, la marque figurative LEGO constitue de fait une marque de commerce et que l'alinéa 7b) de la Loi s'applique. Cependant, les appelantes affirment que, si la fonctionnalité est une limitation, la marque figurative LEGO n'est pas invalidée en tant que marque de commerce par suite du raisonnement que la présente cour a fait dans l'arrêt Samann c. Canada's Royal Gold Pine Tree Mfg. Co. (1986), 9 C.P.R. (3d) 223 (C.A.F).

Analyse

[35]            Il importe de noter les conclusions de fait importantes ci-après énoncées que le juge de première instance a tirées, aux paragraphes 61 et 163, au sujet de la fonctionnalité :

Je conclus donc, vu l'ensemble de la preuve, que la marque figurative LEGO est fonctionnelle à tous égards, sauf pour ce qui concerne l'inscription de la marque LEGO sur chaque tenon. Cette fonctionnalité, pour reprendre les termes précités du juge MacGuigan dans l'arrêt Remington Rand, « se rapporte principalement ou essentiellement aux marchandises mêmes » . Du fait de cette conclusion, et du seul fait de celle-ci, la marque figurative LEGO ne peut être un signe distinctif au sens de la common law, par opposition au sens de l'article 2 de la Loi. Par conséquent, Ritvik n'a pas enfreint l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce en adoptant et en utilisant la marque figurative LEGO, pour autant qu'elle l'ait fait.

[...]

La marque figurative LEGO n'est pas une marque de commerce valide, avant tout parce qu'elle est purement fonctionnelle, exception faite de l'inscription « LEGO » apparaissant sur la face supérieure de chaque tenon.

[36]            La conclusion du juge de première instance selon laquelle la marque figurative LEGO est purement fonctionnelle est une conclusion de fait qui n'est pas contestée par les appelantes. Quoi qu'il en soit, cette conclusion ne comporte aucune erreur manifeste et dominante.


[37]            Avant d'entreprendre l'analyse relative à la validité de la doctrine de la fonctionnalité, je dois faire certaines remarques au sujet de la façon dont le juge de première instance a interprété les définitions des expressions « signe distinctif » et « marque de commerce » figurant à l'alinéa 7b) de la Loi, tel qu'il se rapporte au reste du régime des marques de commerce. Voici ce que le juge a dit au paragraphe 59 :

Comme je le disais plus haut, les expressions « signe distinctif » et « marque de commerce » sont définies à l'article 2 de la Loi pour l'application de celle-ci. Par conséquent, où qu'elles soient employées dans la Loi, il faut leur attribuer les significations conformes à ces définitions. Or, ni l'une ni l'autre de ces expressions ne figure à l'alinéa 7b) de la Loi, où il n'aurait pas outrepassé les capacités intellectuelles de rédacteurs compétents et des membres du Parlement d'incorporer l'une ou l'autre ou les deux afin de faire en sorte que, en tant qu'élément d'un régime global ou complet des marques de commerce, l'alinéa 7b) s'appliquât au fait d'appeler l'attention du public sur des marchandises, des services ou une entreprise dans le seul cas où cet acte serait accompli par le moyen d'un signe distinctif, au sens de l'article 2 de la Loi.

Par conséquent, au paragraphe 61, le juge a adopté la définition de l'expression « signe distinctif » donnée par la common law plutôt que la définition légale figurant dans la Loi : « [...] la marque figurative LEGO ne peut être un signe distinctif au sens de la common law, par opposition au sens de l'article 2 de la Loi. »


[38]            À mon avis, séparer l'alinéa 7b) du reste du régime légal des marques de commerce, c'est donner à la loi une interprétation inexacte. Dans l'arrêt Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.F.), la présente cour a conclu que l'alinéa 7b) restait dans les limites de la compétence conférée au législateur parce qu'il s'inscrivait dans le régime global applicable aux marques de commerce, soit un domaine relevant de la compétence du législateur fédéral. Voici ce que la Cour a dit au paragraphe 28 :

Le Parlement, à l'alinéa 7b), entend protéger le renom associé aux marques de commerce. De la sorte, comme l'a dit le juge Laskin, cet alinéa est un « complément » du système de protection de toutes les marques de commerce [...] Il a, en somme, un lien rationnel et fonctionnel avec le système visant les marques de commerce envisagé par le Parlement, en vertu duquel même les marques non enregistrées seraient protégées contre la fraude.

Je ne puis donc accepter de séparer l'alinéa 7b) de la définition des expressions « marque de commerce » et « signe distinctif » figurant à l'article 2 de la Loi. L'alinéa 7b) est l'expression légale correspondant au délit de commercialisation trompeuse existant en common law, à une exception près : afin de pouvoir se prévaloir de l'alinéa 7b), il faut prouver que l'on possède une marque de commerce valide opposable, déposée ou non. L'élément qui distingue l'action en commercialisation trompeuse existant en common law et l'action en commercialisation trompeuse prévue à l'alinéa 7b) de la Loi, c'est que, dans l'action existant en common law, le plaideur n'a pas à s'appuyer sur une marque de commerce pour se prévaloir de l'action. Afin d'intenter une action en commercialisation trompeuse fondée sur la Loi, il faut posséder une marque de commerce valide au sens de la Loi. Les définitions figurant à l'article 2 de la Loi font partie intégrante de toute action en commercialisation trompeuse relative à une marque de commerce qui est fondée sur l'alinéa 7b), comme c'est le cas pour l'action intentée par les appelantes.


[39]            Toutefois, comme nous le verrons, cette erreur de droit, pour ce qui est de l'interprétation de l'alinéa 7b), n'influe pas sur le résultat de l'affaire et ne peut donc pas constituer un motif permettant d'accueillir l'appel. L'action des appelantes repose sur l'alinéa 7b); pour avoir gain de cause, les appelantes doivent donc établir qu'elles possèdent une marque de commerce au sens de la Loi. Si la doctrine de la fonctionnalité empêche une marque d'être une marque de commerce au sens de la Loi, les appelantes ne peuvent pas avoir gain de cause.

[40]            Quant à l'analyse de la fonctionnalité, je conclus que, pour constituer une marque de commerce valide au sens de la Loi, la marque de commerce ne peut pas être principalement fonctionnelle. Le tribunal doit déterminer si une marque de commerce est principalement fonctionnelle et par conséquent invalide.


[41]            Le but ou la politique sous-tendant l'application de la doctrine de la fonctionnalité vise à assurer que personne ne se voie reconnaître indirectement la qualité de titulaire d'un brevet sous la forme d'une marque de commerce. Si la marque comporte une utilisation principalement fonctionnelle et se voit accorder la protection qu'offre une marque de commerce, protection qui peut être perpétuelle, elle confère quelque chose qu'un brevet se rapportant au même produit ne pourrait pas conférer puisque la protection accordée par un brevet ne peut pas être perpétuelle. Les brevets visent à protéger la fonction et la conception. Il serait abusif et inéquitable pour le public et pour les concurrents de permettre à une personne de bénéficier des avantages qu'offrent un brevet et un monopole lorsqu'elle est simplement titulaire d'une marque de commerce, en particulier si la personne en cause ne peut par ailleurs obtenir un brevet ou si elle est simplement titulaire d'un brevet qui a expiré. Une personne pourrait obtenir ce monopole semblable à un brevet parce qu'une marque de commerce confère à son titulaire le droit à l'emploi exclusif en liaison avec les marchandises afin d'indiquer la source de ces marchandises. Je me dois d'expliquer ce que j'entends par « emploi exclusif » - le titulaire d'une marque de commerce peut employer exclusivement la marque afin de distinguer ses marchandises. Toutefois, cet « emploi exclusif » ne veut pas dire que le titulaire de la marque de commerce peut employer la marque afin d'empêcher d'autres d'employer la marque à d'autres fins que celle qui vise à indiquer la source des marchandises. D'autres personnes peuvent encore employer la marque, par exemple dans leur publicité, afin de comparer leurs marchandises à celles du titulaire de la marque.

[42]            Dans l'arrêt Canadian Shredded Wheat Co., Ltd. c. Kellogg Co. of Canada, Ltd., [1938] 1 All. E.R. 618 (C.P.); [1938] 2 D.L.R. 145, le Conseil privé a adopté cette politique visant à empêcher l'application du monopole accordé par un brevet dans le contexte de la commercialisation trompeuse lorsqu'il s'est agi d'enregistrer le nom descriptif « shredded wheat » comme marque de commerce. Voici ce que lord Russel of Killoween a dit à la page 626 :

[traduction] Il est certain que si, à l'expiration du brevet, la société demanderesse avait tenté de faire enregistrer les mots « shredded wheat » comme marque de commerce à l'égard de la vente de biscuits et de craquelins, la demande aurait été vite réglée. Il serait tentant, en faisant enregistrer le nom du produit breveté, de prolonger le monopole conféré par le brevet; or, on ne peut pas le faire. [non souligné dans l'original].

Dans l'arrêt Parke, Davis & Co. c. Empire Laboratories Ltd., [1964] R.C.S. 351 à la page 356, Monsieur le juge Hall, de la Cour suprême du Canada, a repris cette citation exacte en l'approuvant.


[43]            Dans l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, la Cour suprême du Canada a reconnu la procédure de prolongation du monopole accordé par un brevet en tant que concept de « renouvellement à perpétuité » . Cette affaire-là portait sur la mise au point brevetée par Whirlpool d'un agitateur ingénieux à double effet pour laveuse. Aux pages 1086 et 1087, Monsieur le juge Binnie a dit ce qui suit au nom de la Cour :

Il est reconnu que le marché conclu entre le breveté et le public est dans l'intérêt des deux parties seulement si le titulaire du brevet acquiert une protection réelle en échange de la divulgation de son invention et que, de son côté, le public ne lui accorde pas un monopole excédant la période légale de 17 ans à partir de la date de délivrance du brevet (qui est désormais de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet). Un breveté qui peut « renouveler à perpétuité » une seule invention, grâce à des brevets successifs obtenus pour des ajouts évidents ou non inventifs, prolonge son monopole au-delà de ce qui a été convenu par le public. [non souligné dans l'original]

Le juge Binnie parlait d'un « ajout évident ou non inventif » visant à prolonger le monopole accordé par un brevet, mais selon moi les mêmes principes directeurs s'appliquent pour empêcher le renouvellement à perpétuité d'un brevet au moyen d'une marque de commerce, comme on l'a soutenu dans l'arrêt Shredded Wheat, précité.

[44]            L'existence de cette politique a été reconnue dans d'autres cas. Ainsi, l'affaire Consumers Distributing Company Limited c. Seiko Time Canada Ltd., [1984] 1 R.C.S. 583 (C.S.C.) se rapportait à une allégation de Seiko Time Canada Ltd., distributrice agréée des montres Seiko au Canada, qui affirmait que Consumers Distributing Co., une distributrice non agréée, avait commis le délit de commercialisation trompeuse en violation de l'alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce, lequel est ainsi libellé :

7. Nul ne peut :

c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

7. No person shall

(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;


L'argument fondé sur l'alinéa 7c) était qu'en commercialisant simplement la montre sans le guide de l'usager, sans la garantie et sans le service après vente, Consumers Distributing Limited créait de la confusion sur le marché et nuisait à l'achalandage de Seiko Time Canada Ltd. Or, la marque « Seiko » était une marque de commerce déposée appartenant au fabriquant japonais K. Hattori & Compagny Limited, qui n'était pas partie à l'instance. Seiko Time Canada Ltd. était une distributrice agréée, que le fabricant japonais indemnisait des frais entraînés par les réparations. La société mère de Seiko Time Canada Ltd. était Seiko Time Corporation, qui avait le même rôle dans le réseau de distribution de Seiko aux États-Unis. Seiko Time Corporation était de son côté une filiale appartenant en propriété exclusive à Hattori. Consumers Distributing achetait de véritables montres Seiko à un distributeur agréé à l'extérieur du Canada et elle importait et revendait ensuite les montres sans obtenir l'approbation de Seiko Time Canada Ltd. La Cour suprême du Canada avait refusé d'accorder l'injonction sollicitée par Seiko Time Canada Ltd. en se fondant sur le fait que Consumers Distributing n'avait commis aucun tort à son endroit. Au nom de la cour, qui avait rendu le jugement à l'unanimité, Monsieur le juge Estey a dit ce qui suit aux pages 599 et 600 :


Il est difficile, au premier abord, de voir en quoi la conduite de l'appelante peut constituer du passing off. L'appelante vend précisément la même montre que l'intimée et la source en est exactement la même. La montre est protégée par une garantie non pas au nom de l'intimée, mais au nom du fabricant, Hattori. La qualité du produit doit être pour quelque chose dans la réussite de l'intimée, et partant, dans l'accroissement de son chiffre d'affaires et de son achalandage dans l'industrie. Dans chaque cas, les montres vendues étaient toujours et sans exception celles de Hattori. L'intimée [Seiko] essaie, en attribuant à la montre des caractéristiques propres à la méthode de vente employée par elle, d'établir que la théorie classique du passing off s'applique. Suivant l'argument de l'intimée, elle peut faire ce rapprochement à cause de son contrat avec Hattori, le fournisseur des montres Seiko, qui l'autorise à limiter la garantie du fabricant aux montres vendues par des concessionnaires agrées par l'intimée. Il va sans dire que l'appelante et les entités (comme Woolco et K-Mart) qui, d'après la preuve, exploitent le même genre d'entreprise, ne peuvent pas commercialiser les montres de cette façon [en un tout complet avec la garantie], puisqu'elles ne sont pas des concessionnaire agréés. La faille dans l'argument de l'intimée [Seiko] est que, poussé à son aboutissement logique, il accorde à tout vendeur qui se trouve dans la situation de l'intimée le même type de monopole à l'égard de la vente au Canada d'un produit quelconque qu'aurait ce vendeur si le produit en question faisait l'objet d'un brevet d'invention délivré en vertu de la Loi sur les brevets du Canada. [non souligné dans l'original]

[45]            La présente cour a reconnu ces considérations d'ordre public dans l'arrêt Thomas & Betts, Ltd. c. Panduit Corp. et al., (2000), 4 C.P.R. (4th) 498 (C.A.F.), où Monsieur le juge Décary a dit ce qui suit aux paragraphes 23 et 24 :

En revanche, il serait injuste pour le public que le titulaire d'un brevet puisse, une fois son brevet expiré, utiliser la Loi sur les marques de commerce pour s'attribuer un monopole à l'égard de la forme de son invention alors que cette forme est si étroitement liée à l'invention qu'à toutes fins utiles elle constitue un élément essentiel à l'utilisation complète de l'invention.

C'est précisément pour résoudre ce dilemme que la Loi sur les marques de commerce entre en ligne de compte et c'est précisément pourquoi la présente Cour, en interprétant cette Loi, a veillé à ce qu'elle ne soit pas utilisée de façon à perpétuer un monopole à l'égard d'un brevet qui serait par ailleurs expiré. La solution qu'elle a retenue est la doctrine de la fonctionnalité. [non souligné dans l'original]

À mon avis, les appelantes ont contrevenu à cette politique qui sous-tend la doctrine de la fonctionnalité et le juge de première instance a eu raison de conclure que la marque figurative LEGO était invalide à cette fin.


[46]            Une analyse de l'historique de la jurisprudence pertinente étaye les propositions dont il a ci-dessus été fait mention au sujet de l'application de la doctrine de la fonctionnalité aux marques de commerce et de la politique sous-tendant cette doctrine. Dans la décision Imperial Tobacco Co. c. Registrar of Trade Marks, [1939] 2 D.L.R. 65 (C. de l'É.), la Cour de l'Échiquier du Canada a examiné la définition de l'expression « signe distinctif » et la question de l'enregistrabilité d'une marque en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932. Dans cette affaire, les particularités principales du dessin de marque soumis aux fins de l'enregistrement consistaient en [traduction] « un emballage extérieur transparent comportant une bande de couleur entourant le paquet » . Le registraire avait refusé d'enregistrer la marque pour le motif que la bande de couleur servait à indiquer l'emplacement du ruban de déchirage et facilitait ainsi l'ouverture de l'emballage extérieur. À la page 67, la Cour a dit ce qui suit au sujet des brevets en question : [traduction] « On ne saurait lire le mémoire descriptif de ces deux brevets sans conclure qu'il décrit précisément les particularités principales de la marque de commerce que l'appelante cherche maintenant à faire enregistrer. » La Cour a conclu que le caractère fonctionnel de l'emballage invalidait celui-ci en tant que marque de commerce; voici ce qu'elle a dit à la page 67 :

[traduction] On peut dire en toute sécurité que la bande était principalement conçue et a principalement été adoptée afin de permettre d'ouvrir l'emballage extérieur; or, si l'emballage extérieur n'était pas imperméable et si la bande ne servait pas à ouvrir le paquet, on ne les revendiquerait probablement pas ensemble comme marque de commerce. Il me semble que la marque de commerce visée par la demande était destinée à remplacer les brevets en question, s'il était conclu à leur invalidité, comme il a été conclu. À mon avis, une combinaison d'éléments qui sont essentiellement destinés à remplir une fonction, soit dans ce cas-ci un emballage transparent à l'épreuve de l'humidité et une bande permettant d'ouvrir l'emballage, ne saurait faire l'objet d'une marque de commerce, et permettre le contraire donnerait lieu à de graves abus. [non souligné dans l'original]


De même, dans l'affaire qui nous occupe, le juge de première instance a conclu que la marque figurative LEGO était principalement fonctionnelle et ne pouvait faire l'objet d'une marque de commerce. De fait, comme il en a été fait mention dans la section de ces motifs se rapportant aux faits, les brevets LEGO expirés décrivent les particularités principales de la prétendue marque de commerce en question. Ils ressemblent énormément à la marque figurative LEGO qui, comme les appelantes tentent de le soutenir, est une marque de commerce. Voici ce que le juge de première instance a dit à ce sujet au paragraphe 67 :

La question du « renouvellement à perpétuité » n'est essentiellement rien de plus qu'un aspect particulier de la question de l'adoption d'un élément fonctionnel. Il ne fait aucun doute que la marque figurative LEGO est revendiquée ou divulguée dans un brevet expiré, à savoir le brevet canadien Page. Étant donné ma conclusion que la marque figurative LEGO est fonctionnelle à tous égards sauf pour ce qui concerne l'inscription de la marque LEGO sur chaque tenon, je n'ai pas besoin de pousser l'analyse plus loin.

Par conséquent, à mon avis, en obtenant une marque de commerce pour la marque figurative LEGO, les appelantes obtiendraient un monopole semblable à un brevet, et ce, même si le brevet était expiré.


[47]            Dans la décision Parke, Davis & Co. c. Empire Laboratories Ltd. (1963), 41 C.P.R. 121 (C. de l'É.); confirmé à [1964] R.C.S. 351 (C.S.C.), la demanderesse avait fait enregistrer des marques de commerce pour des bandes en gélatine de couleur qu'elle utilisait afin de sceller les moitiés de capsules de gélatine renfermant une préparation pharmaceutique. La défenderesse utilisait des bandes similaires; la demanderesse avait intenté une action en violation et avait présenté une demande fondée sur la commercialisation trompeuse. Il s'agissait de savoir si l'enregistrement de la marque de commerce était valide. À ce moment-là, l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, 1952-1953 S.C. ch. 49, prévoyait que les enregistrements étaient invalides si les marques n'étaient pas enregistrables à la date de l'enregistrement, cet enregistrement devant être demandé, dans l'affaire Parke, Davis, en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 (soit la Loi qui s'appliquait au moment pertinent). En première instance, Monsieur le juge Noël a conclu que l'argument de la défenderesse - à savoir que les marques de commerce de la demanderesse remplissaient des fonctions et qu'elles ne pouvaient donc pas constituer des marques de commerce valides - devait l'emporter. Le juge Noël a fait les remarques suivantes aux pages 140 et 141 :

[traduction] Toutefois, un commerçant peut obtenir une marque de commerce valide pour une forme distinctive de la partie ou des parties fonctionnelles comme cela s'est produit dans l'affaire Haig à condition que, ce faisant, il ne détienne pas de monopole à l'égard de toutes les formes de la partie ou des parties fonctionnelles.

[...]

Toutefois, cette application étendue des diverses couleurs et teintes en combinaison avec l'emploi utilitaire des bandes de couleur entourant le milieu des capsules [...] m'amène à conclure qu'en employant ses marques de commerce comme elle le fait, [...] la demanderesse monopolise indubitablement [...] toutes les formes des parties fonctionnelles des capsules scellées comportant une bande de couleur; cela étant, je me vois obligé de conclure que les marques de commerce de la demanderesse sont invalides.

[48]            La Cour suprême du Canada a confirmé la décision du juge Noël; aux pages 354 et 355, elle a dit ce qui suit :

[traduction] Il est à mon avis possible de statuer sur la validité des marques de commerce pour le motif que les bandes de couleur ont une utilisation ou caractéristique fonctionnelle et ne peuvent donc pas faire l'objet d'une marque de commerce.

Il semble bien établi en droit que si ce que l'on cherche à faire enregistrer comme marque de commerce comporte une utilisation ou caractéristique fonctionnelle, cette chose ne peut pas faire l'objet d'une marque de commerce. Avec égards, je souscris à l'avis exprimé par le juge Maclean lorsqu'il a dit ce qui suit dans la décision Imperial Tobacco Company of Canada, Limited c. The Registrar of Trade Marks :

À mon avis, une combinaison d'éléments qui sont essentiellement destinés à remplir une fonction, soit dans ce cas-ci un emballage transparent à l'épreuve de l'humidité et une bande permettant d'ouvrir l'emballage, ne saurait faire l'objet d'une marque de commerce, et permettre le contraire donnerait lieu à de graves abus.

Le juge Noël a conclu qu'en fait, le bande de gélatine remplissait une fonction. Il existait bon nombre d'éléments de preuve à l'appui de cette conclusion. [non souligné dans l'original]


La Cour suprême a convenu que le juge Noël disposait d'un nombre suffisant d'éléments de preuve justifiant l'avis qu'il avait exprimé au sujet de la fonctionnalité; de plus, elle a conclu à l'existence d'autres éléments de preuve relatifs à la fonctionnalité parce qu'à un moment donné, l'appelante était titulaire d'un brevet américain relatif à des capsules scellées comportant des bandes similaires, de 1932 jusqu'à l'expiration du brevet, en 1949. Une fois le brevet expiré, l'appelante avait fait enregistrer ses marques de commerce au Canada. Voici ce que la Cour a dit au sujet de ce que l'appelante avait fait (page 355) :

[traduction] Elle cherchait ainsi à perpétuer le monopole lié au brevet en demandant l'enregistrement des marques de commerce, qui, s'il était régulièrement renouvelé, pourrait se perpétuer.

Par conséquent, dans l'arrêt Parke, Davis, la Cour suprême du Canada a établi un lien, sur le plan de la preuve, entre un brevet antérieur et une demande de marque de commerce. Aux pages 355 et 356, la Cour a dit qu'un brevet antérieur pour la chose revendiquée en tant que marque constitue [traduction] « à coup sûr un élément de preuve » de la fonctionnalité :

[traduction] En l'espèce, le brevet de l'appelante n'était pas un brevet canadien, mais un brevet américain; le juge de première instance a conclu que le fait que l'appelante avait obtenu le brevet américain n'avait rien à voir avec la question relative aux droits conférés par une marque de commerce canadienne et il a refusé d'accorder de l'importance au fait que l'appelante avait détenu le brevet américain de 1932 à 1949. Dans ces conditions, il me semble que la preuve était pertinente. Nous sommes ici essentiellement saisis d'une question de fait, à savoir si ces bandes de couleur comportent une utilisation ou caractéristique fonctionnelle. La preuve selon laquelle les appelantes estimaient qu'il en était ainsi lorsqu'elles ont demandé le brevet américain en 1932 constitue à coup sûr un élément de preuve montrant que les bandes ont en fait une utilisation fonctionnelle. [non souligné dans l'original]


[49]            La jurisprudence américaine dans ce domaine a peut-être peu d'importance. Toutefois, il est intéressant de noter que, dans la décision TrafFix Devices, Inc. c. Marketing Displays, Inc. (2001), 532 U.S. 23; 121 S. Ct. 1255, la Cour suprême américaine a dit qu'un brevet d'utilité constitue un [traduction] « fort élément de preuve » de la fonctionnalité. Dans l'affaire TrafFix, l'inventeur avait obtenu deux brevets d'utilité pour un mécanisme à deux ressorts destiné à garder des enseignes extérieures en position verticale même lorsqu'il y avait du vent. Le litige avait pris naissance une fois les brevets expirés; TrafFix, un concurrent, vendait des supports à enseigne comportant un mécanisme à ressort visible qui ressemblait à ceux de Marketing Displays, Inc. La Cour a conclu que Marketing Displays Inc. ne pouvait pas faire valoir sa demande fondée sur la contrefaçon de la présentation parce que les revendications du brevet et un litige antérieur portant sur la contrefaçon du brevet concernant la conception du support à enseigne à double ressort indiquaient que la conception était fonctionnelle. De fait, la Cour est même allée jusqu'à proposer une situation dans laquelle la charge était inversée : la personne alléguant la contrefaçon de la présentation avait la charge de démontrer, dans le cas d'un brevet expiré, que les particularités relatives à la présentation n'étaient pas fonctionnelles. Le juge Kennedy a dit ce qui suit aux pages 29 et 30 :

[traduction] En l'espèce, il s'agit principalement de savoir quel est l'effet d'un brevet expiré sur une demande fondée sur la contrefaçon de la présentation. Nous concluons qu'un brevet antérieur a une importance cruciale aux fins du règlement de la demande relative à la présentation. Un brevet d'utilité constitue un fort élément de preuve montrant que les particularités alléguées sont fonctionnelles. Si la protection de la présentation est revendiquée pour ces particularités, la forte preuve de fonctionnalité fondée sur le brevet antérieur renforce de beaucoup la présomption législative voulant que les particularités soient réputées fonctionnelles tant que le contraire n'est pas établi par la partie qui cherche à revendiquer une protection à l'égard de la présentation. Lorsque les particularités en question étaient revendiquées dans le brevet expiré, celui qui cherche à établir la protection de la présentation doit s'acquitter de la lourde obligation qui lui incombe de démontrer que la particularité n'est pas fonctionnelle, par exemple en démontrant qu'il s'agit simplement d'un aspect ornemental, accessoire ou arbitraire du dispositif. [non souligné dans l'original]


[50]            Dans la décision Elgin Handles Ltd. c. Welland Vale Manufacturing Co. Ltd. (1964), 43 C.P.R. 20 (C. de l'É), la demanderesse cherchait à faire radier l'enregistrement d'une marque de commerce. La marque inscrite au registre consistait en une [traduction] « accentuation par une couleur plus foncée du grain du bois de manches d'outils, obtenue par un durcissement à la chaleur » . À ce moment-là, la Cour de l'Échiquier du Canada avait compétence pour radier une marque de commerce déposée si cette marque ne correspondait pas à la définition de la marque de commerce figurant à l'alinéa 2t) de la Loi sur les marques de commerce, 1952-1953 S.C. ch. 49. La Cour a appliqué d'une façon générale la décision rendue dans l'affaire Parke, Davis, précitée, et a interprété cette décision comme étayant la thèse suivante : [traduction] « Cette décision établit que ce qui a "une utilisation ou caractéristique fonctionnelle" ne peut pas faire l'objet d'une marque de commerce [page 23]. » La Cour a conclu que le durcissement à la chaleur est principalement destiné à améliorer les manches en bois en tant qu'objets de commerce et qu'il comporte donc une utilisation ou caractéristique fonctionnelle : [traduction] « [...] lorsqu'un changement d'apparence des marchandises à l'égard desquelles la présumée marque de commerce doit être employée est le résultat normal d'un procédé qui comporte une utilisation ou caractéristique fonctionnelle, ce changement ne peut pas faire l'objet d'une marque de commerce [pages 23 et 24]. »


[51]            Dans l'arrêt Samann, précité, la présente cour examinait des marques de commerce déposées consistant en un purificateur d'air pour voitures ayant la forme d'un conifère sur lequel était apposé du texte imprimé. La première marque de commerce avait été déposée en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 et la deuxième marque de commerce avait été déposée conformément aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce de 1952-1953. Dans la décision Samann, le juge de première instance a cité les jugements Imperial Tobacco, Parke, Davis et Elgin Handles, précités; il a conclu que les marques de commerce n'étaient pas des marques de commerce valides au sens de la Loi sur les marques de commerce de 1952-1953 ou au sens de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 parce que les marques déposées étaient principalement employées à l'égard de marchandises à des fins utilitaires, en partie ornementales et en partie fonctionnelles. La présente cour a accueilli l'appel. Voici ce qu'elle a dit aux pages 229 et 230 :

Bien qu'il soit manifeste, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, que les trois décisions invoquées principalement par l'intimée se rapportaient toutes à des affaires où la ou les marques de commerce en litige contenaient des éléments fonctionnels, il est clair également que les marques contestées en l'espèce n'en contiennent pas. Cela semble ressortir de la conclusion du juge de première instance (Dossier d'appel vol. 9, p. 1101) [p. 319 C.P.R.] selon lequel c'étaient les produits de l'appelante qui, avec la forme d'un conifère et une base rectangulaire « quand ils étaient utilisés en liaison avec les emballages [...] » (non souligné dans l'original) (qu'il avait décrits précédemment comme des enveloppes de plastique scellées ayant les caractéristiques que j'ai exposées sommairement ci-dessus), avaient les différentes fonctions mentionnées par lui. [...]

Pour ces raisons, je suis d'avis que les trois décisions invoquées ci-dessus par l'avocat de l'intimée ne s'appliquent pas en l'espèce. Il s'ensuit à mon avis, pour les raisons exprimées ci-dessus, que l'intimée ne pouvait pas obtenir un jugement déclarant les marques de commerce invalides à cause de leur utilité matérielle.

Les appelantes ont soutenu que l'arrêt Samann étaye leur position. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, il est possible de faire une distinction entre la décision Samann et la présente espèce parce que, dans l'affaire Samann, si l'on coupait les branches du conifère, le dispositif fonctionnait encore comme purificateur d'air. En autres termes, l'aspect fonctionnel n'était pas le conifère en soi. C'était le purificateur qui était fonctionnel. Or, ce dispositif aurait pu avoir n'importe quelle forme. Par contre, dans le cas qui nous occupe, si l'on enlevait les saillies des briques LEGO, ces briques ne fonctionneraient pas - elles ne s'emboîteraient pas.


[52]            La décision rendue par la présente Cour dans l'affaire Pizza Pizza Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1989), 26 C.P.R. (3d) 355 (C.A.F.) résultait d'un appel interjeté à la suite du refus du registraire d'inscrire comme marque de commerce le numéro de téléphone de Pizza Pizza (soit la combinaison numérique 967-1111), ce numéro étant utilisé sur tous les produits et dans toute la publicité. La Cour a conclu que malgré l'aspect fonctionnel du numéro de téléphone, la marque était enregistrable comme marque de commerce. Monsieur le juge Pratte a dit ce qui suit aux pages 356 et 357 :

L'avocate de l'intimé a tenté d'étayer la décision de la Section de première instance [7 C.P.R. (3d) 428, 6 C.I.P.R. 229] en invoquant un seul motif, savoir qu'un numéro de téléphone n'est pas enregistrable à titre de marque de commerce parce que, selon la jurisprudence, une marque qui est principalement conçue pour remplir une fonction ne peut faire l'objet d'une marque de commerce. Ce point de vue dénote, à mon avis, une interprétation totalement erronée de cette jurisprudence. Dans ces affaires, les marques qui ont été jugées fonctionnelles faisaient, en fait, partie des marchandises à l'égard desquelles l'enregistrement a été demandé, de sorte que l'enregistrement de ces marques aurait conféré aux requérantes un monopole sur les éléments ou caractéristiques fonctionnelles de leurs marchandises; les requérantes auraient en fait obtenu des brevets sous forme de marques de commerce. La situation est tout à fait différente en l'espèce. La marque de commerce dont l'appelante a demandé l'enregistrement n'est pas fonctionnelle dans ce sens; pour cette raison, son caractère fonctionnel ne la rend pas « non enregistrable » . [non souligné dans l'original]


À mon avis, le juge Pratte a fait une distinction entre l'affaire dont il était saisi et la série de jugements susmentionnés dans ces motifs parce que le numéro de téléphone ne constituait pas un élément ou une partie des marchandises. Les marchandises étaient constituées de pizzas. Le numéro de téléphone était une marque qui était destinée à distinguer ou à appeler l'attention du public sur l'existence des marchandises. Par contre, dans la jurisprudence traitant de la fonctionnalité dont il a ci-dessus été fait mention, les marques étaient des éléments fonctionnels des marchandises, comme c'est le cas pour la marque figurative LEGO. En d'autres termes, les marques faisaient partie intégrante du fonctionnement des marchandises. En l'absence des saillies figurant sur la marque figurative LEGO, les briques ne s'emboîtent pas. Et dans l'affaire Imperial Tobacco, en l'absence de l'emballage, le paquet ne s'ouvrait pas facilement. Dans l'affaire Parke, Davis, en l'absence de la bande de gélatine, les capsules n'étaient pas scellées. En l'espèce, la Cour a donné des explications au sujet du critère de la fonctionnalité. Pour qu'une marque de commerce soit invalidée, la marque doit être principalement fonctionnelle, et non simplement fonctionnelle à certains égards. Si ce caractère fonctionnel est simplement accessoire, cela ne suffit pas pour invalider la marque de commerce.

[53]            Dans l'arrêt Pizza Pizza, précité, Monsieur le juge Urie souscrivait à l'avis du juge Pratte; à la page 361, il a conclu que les décisions Parke, Davis et Elgin Handles, précitées, « p[ouvaient] facilement faire l'objet d'une distinction » .

J'estime que toutes ces quatre décisions peuvent facilement faire l'objet d'une distinction. En premier lieu, il n'a pas été allégué en l'espèce que la combinaison numérique était destinée à une fin d'ornementation. En deuxième lieu, on ne saurait dire non plus, comme l'avocate l'a indiqué, qu'elle est uniquement fonctionnelle. [...] À mon avis, bien qu'il existe certainement un élément fonctionnel dans son utilisation par l'appelante, c'est-à-dire que pour passer une commande par téléphone pour l'un quelconque des produits de l'appelante, la combinaison numérique qui est le numéro de téléphone attribué par le service téléphonique à l'appelante doit être utilisée, telle n'est pas son unique fonction. Plutôt, elle est complètement sans rapport avec les marchandises elles-mêmes, ce qui ne serait pas le cas, par exemple, de la partie numérotée d'un produit correspondant simplement à un usage fonctionnel. [non souligné dans l'original]

Par conséquent, l'arrêt Pizza Pizza étaye la thèse selon laquelle le fait qu'un article comporte un aspect fonctionnel n'est pas suffisant pour rendre une marque de commerce invalide; pour avoir cet effet, l'article, tel qu'il se rapporte aux marchandises elles-mêmes, doit être principalement fonctionnel.


[54]            Dans l'affaire Remington Rand, précitée, les appelantes voulaient commercialiser un rasoir électrique Remington qui était composé de trois têtes rotatives disposées en triangle équilatéral, soit la même configuration que le rasoir à coupe rotative Philips. Il s'agissait de savoir si une description visuelle d'un article fabriqué et de certaines de ses pièces mobiles pouvait être enregistrée comme marque de commerce. La Cour a rejeté la conclusion de validité et de violation tirée par le juge de première instance et a radié la marque de commerce, même si le juge avait conclu qu'il était presque impossible de faire une distinction entre les rasoirs parce qu'ils comportaient un bloc d'assemblage identique. À la page 474, Monsieur le juge MacGuigan a examiné la décision rendue dans l'affaire Pizza Pizza, précitée :

Selon moi, l'affaire Pizza Pizza Limited c. Registraire des marques de commerce, [1989] 3 C.F. 379, qui adopte la même conception, donne une meilleure idée du genre de caractère fonctionnel qui est acceptable. [...]

Les motifs de jugement les plus explicites sont les motifs concordants du juge Pratte J.C.A., qui a déclaré que le seul genre de caractère fonctionnel qui est incompatible avec l'enregistrement d'une marque de commerce est celui qui fait en sorte qu'une marque fait partie des marchandises.

Le juge MacGuigan a donc également interprété le jugement rendu par le juge Pratte dans l'affaire Pizza Pizza comme éclaircissant encore plus le critère applicable à la fonctionnalité, le caractère fonctionnel accessoire qui permet à une marque de continuer à être distincte du fonctionnement des marchandises n'étant pas suffisant pour invalider une marque de commerce. Dans l'arrêt Remington Rand, le juge MacGuigan a ensuite rejeté, à la page 475, l'allégation de l'intimée, à savoir que le jugement rendu par le juge Urie dans l'affaire Pizza Pizza étaye l'idée selon laquelle la fonctionnalité n'est pas pertinente dans le cas d'une marque de commerce par ailleurs valide :


Ce n'est pas ainsi que je comprends les remarques du juge Urie, J.C.A. [...] À mon avis, les deux séries de motifs rendus dans l'affaire Pizza Pizza souscrivent plutôt au point de vue selon lequel c'est le genre de caractère fonctionnel qui constitue le facteur déterminant. Si le caractère fonctionnel se rapporte soit à la marque de commerce même (Imperial Tobacco, et Parke, Davis), soit aux marchandises (Elgin Handles), alors il est essentiellement ou principalement incompatible avec un enregistrement. Toutefois, s'il est simplement secondaire ou accessoire, comme un numéro de téléphone n'ayant aucun lien essentiel avec les marchandises, alors il ne fait pas obstacle à l'enregistrement.

À la page 476, le juge MacGuigan a expliqué que, si une marque était principalement fonctionnelle en tant que « partie des marchandises » , l'enregistrement aurait pour effet de créer un brevet ou dessin industriel plutôt qu'une marque de commerce : « [L]es requérantes auraient en fait obtenu des brevets sous forme de marques de commerce. » À la page 476, le juge MacGuigan a conclu que « [p]uisqu'il représente des éléments fonctionnels, le dessin-marque est essentiellement fonctionnel » :

Le juge de première instance a peut-être eu raison de déclarer qu'un signe distinctif possède nécessairement un élément ou constituant fonctionnel [...], mais dans la mesure où ce caractère fonctionnel se rapporte principalement ou essentiellement aux marchandises mêmes, il invalidera la marque de commerce.

Le signe distinctif dans la présente espèce est invalide, selon moi, parce qu'il se rapporte aux aspects fonctionnels du rasoir Philips. Une marque qui ne se borne pas à distinguer les marchandises de son titulaire, mais se rapporte à la structure fonctionnelle des marchandises mêmes outrepasse les limites légitimes d'une marque de commerce. (page 478)


[55]            Dans l'affaire Thomas & Betts, précitée, les appelantes avaient interjeté avec succès appel contre la décision du juge des requêtes, qui avait accordé un jugement sommaire. Les faits de l'affaireThomas & Betts sont fort semblables à ceux de la présente espèce. Thomas & Betts avait mis au point un collier de serrage visé par un brevet qui avait expiré en 1984. En 1994, Panduit Corp. avait introduit un collier de serrage presque identique à celui de Thomas & Betts, et dont la tête avait notamment la même forme ovale. Thomas & Betts avait intenté une action dans laquelle elle alléguait la violation de sa marque de commerce non déposée consistant en une forme ovale distincte pour la tête d'un collier de serrage. Le juge Décary a conclu qu'il faut tenir compte de la doctrine de la fonctionnalité en examinant une action en violation se rapportant à une marque de commerce non déposée; il a expliqué le raisonnement sur lequel était fondée l'idée selon laquelle la doctrine de la fonctionnalité peut résoudre le dilemme que pose la marque de commerce. Le juge Décary a cité les remarques que le juge MacGuigan avait faites dans l'arrêt Remington Rand, précité, aux pages 506 et 507 :

[traduction] À mon avis, une combinaison d'éléments qui sont essentiellement destinés à remplir une fonction [...] ne saurait faire l'objet d'une marque de commerce, et permettre le contraire donnerait lieu à de graves abus.

Une marque qui ne se borne pas à distinguer les marchandises de son titulaire, mais se rapporte à la structure fonctionnelle des marchandises mêmes outrepasse les limites légitimes d'une marque de commerce.

À la page 507, le juge Décary a ensuite expliqué qu'il fallait examiner la doctrine de la fonctionnalité en déterminant si une chose est visée par la définition du signe distinctif :

La question qui se pose en l'espèce est de savoir si la tête ovale était un signe distinctif au sens de la Loi sur les marques de commerce. En examinant cette question, qui est en partie et peut-être essentiellement une question de fait, le juge des requêtes aurait eu à examiner les faits mêmes de l'affaire à la lumière des principes applicables aux marques de commerce, y compris la doctrine de la fonctionnalité. Il se peut qu'à la fin de l'instruction, le juge conclue, en ce qui concerne la question précise de la fonctionnalité, que la description de la tête ovale en tant que réalisation privilégiée de l'invention prouve sa fonctionnalité, peut-être d'une façon concluante, mais pareille conclusion serait prématurée en l'espèce au stade d'une requête en jugement sommaire.


[56]            En l'espèce, les appelantes LEGO ont soutenu que les modifications légales apportées, dans la Loi sur les marques de commerce actuelle, à la définition de l'expression « signe distinctif » donnée dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 démontrent que le législateur voulait éliminer la doctrine de la fonctionnalité; si ce n'était pas le cas, le paragraphe 13(2) de la Loi sur les marques de commerce serait redondant. L'alinéa 2d) de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 définissait comme suit l'expression « signe distinctif » :

« signe distinctif » signifie une manière de conformer, mouler, envelopper ou empaqueter des produits entrant dans l'industrie ou le commerce, laquelle, par suite seulement de l'impression sensorielle qu'elle donne et indépendamment de tout élément d'utilité ou de convenance qu'elle peut avoir, est adoptée pour distinguer les produits ainsi traités d'autres produits similaires et est employée par une personne à l'égard de ses produits de manière à indiquer aux marchands et/ou usagers de produits similaires, que les produits ainsi traités ont été fabriqués ou vendus par elle; [non souligné dans l'original]

La définition de l'expression « signe distinctif » figurant à l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce actuelle est la suivante :

« signe distinctif » Selon le cas :

a) façonnement de marchandises ou de leurs contenants;

b) mode d'envelopper ou empaqueter des marchandises,

dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres.

Les deux définitions disent essentiellement la même chose - que la forme ou le mode d'emballage des marchandises sert à distinguer les marchandises de celles des autres - sauf que dans la Loi actuelle, on a supprimé les mots « indépendamment de tout élément d'utilité ou de convenance qu'elle peut avoir » . Ces mots en tant que tels ne donnent pas à entendre qu'une marque est invalide parce qu'elle est principalement fonctionnelle. Ils donnent simplement à entendre qu'en appréciant le caractère distinctif, on ne doit pas tenir compte de la fonctionnalité. Cette situation continue à s'appliquer à l'article 13 de la loi actuelle - c'est-à-dire qu'il faut examiner le signe distinctif pour déterminer s'il distingue les marchandises elles-mêmes.


[57]            De toute évidence, la doctrine selon laquelle une marque de commerce est invalide si elle est principalement fonctionnelle ne découlait pas du libellé de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932. Elle découlait nécessairement du droit sur les marques de commerce tel qu'il a été interprété par les tribunaux au cours des soixante dernières années. Cette doctrine visait à empêcher un abus évident, à savoir de permettre à une personne d'obtenir en fait au moyen d'une marque de commerce la protection perpétuelle conférée par un brevet.

[58]            Les appelantes se sont fondées sur la mention expresse de la fonctionnalité, au paragraphe 13(2) de la Loi sur les marques de commerce (disposition qui ne figurait pas dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932) à l'appui de l'argument selon lequel la fonctionnalité, en tant que facteur, a été éliminée de l'analyse de la validité de la marque de commerce et de la définition de la marque de commerce donnée à l'article 2 de la Loi :

13. (2) Aucun enregistrement d'un signe distinctif ne gêne l'emploi de toute particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif.

13. (2) No registration of a distinguishing guise interferes with the use of any utilitarian feature embodied in the distinguishing guise.

Selon les appelantes, la considération de la fonctionnalité a maintenant été remplacée par l'analyse relative à l'enregistrement et à la radiation fondée sur l'article 13 et n'est importante qu'à ce stade-là. Le Rapport de la Commission de révision de la Loi sur les marques de commerce au Secrétaire d'État du Canada (Edmond Cloutier, C.M.G., O.A., D.S., Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1953) en date du 20 janvier 1953 jette la lumière sur la raison pour laquelle le paragraphe 13(2) a été édicté :


[traduction] Nous joignons au rapport le projet de loi dont nous recommandons l'examen et, s'il est approuvé, la présentation au Parlement. Les remarques qui suivent sont destinées à expliquer les raisons qui nous ont amenés à proposer les modifications qui devraient selon nous être apportées à la législation qui régit actuellement les marques de commerce, les pratiques commerciales loyales et la concurrence déloyale. (page 5)

Selon ce rapport, l'article 13 a été édicté en vue de montrer clairement qu'un signe distinctif peut devenir enregistrable uniquement sur preuve du caractère distinctif découlant de l'usage. La fonctionnalité en question se rapportait expressément au fait que d'autres peuvent encore utiliser les particularités utilitaires d'un signe distinctif.

[traduction] Toutefois, nous sommes arrivés à la conclusion selon laquelle, contrairement à ce qui est le cas en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, un signe distinctif ne devrait pas pouvoir être enregistré de la même façon qu'une marque de commerce ordinaire, mais devrait uniquement être enregistré si son caractère distinctif a été établi par son emploi au Canada et, de plus, uniquement si le registraire est convaincu que l'emploi exclusif qui en est fait après l'enregistrement n'a pas vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie. Nous avons également veillé à nous assurer que l'enregistrement d'un signe distinctif ne confère pas à l'inscrivant le droit d'empêcher d'autres personnes de se prévaloir de ses particularités utilitaires. [non souligné dans l'original]

À coup sûr l'article 13 n'était pas destiné à supprimer la notion juridique établie de la fonctionnalité, qui peut invalider une marque de commerce.


[59]            De fait, à mon avis, le paragraphe 13(2) renforce l'idée selon laquelle la doctrine de la fonctionnalité invalide une marque qui est principalement fonctionnelle. Il montre clairement qu'il n'est pas interdit au public d'employer une particularité utilitaire d'un signe distinctif. Il s'ensuit que, si un signe distinctif est entièrement ou principalement fonctionnel, il n'est pas interdit au public d'utiliser le signe distinctif au complet. Par conséquent, un signe distinctif qui est principalement fonctionnel ne confère aucun droit à un emploi exclusif et il n'accorde donc pas la protection qu'offre une marque de commerce. En d'autres termes, le fait que le signe distinctif est principalement fonctionnel veut dire qu'il ne peut pas constituer une marque de commerce. Les appelantes ont simplement interprété le paragraphe 13(2) d'une façon erronée.

[60]            Les appelantes ont soutenu qu'étant donné qu'il n'est pas expressément fait mention de la fonctionnalité dans la définition de l'expression « signe distinctif » figurant à l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce, la fonctionnalité ne fait pas partie de la définition. Toutefois, le simple fait que la définition existante de l'expression « signe distinctif » ne dit expressément rien qui donne à entendre que la fonctionnalité est importante ne tire pas à conséquence. Ce silence ne constitue pas une indication suffisamment claire justifiant le rejet de la doctrine bien établie de la fonctionnalité pour ce qui est de l'analyse de la marque de commerce.


[61]            Toutefois, les appelantes ont en outre soutenu que la doctrine de la fonctionnalité s'applique uniquement aux marques de commerce déposées plutôt qu'aux marques de commerce non déposées comme la marque figurative LEGO. Toutefois, je ne comprends pas la logique de cet argument étant donné que la Loi sur les marques de commerce n'énonce pas de critères différents pour définir les marques de commerce, déposées ou non déposées. Comme il a expressément été dit dans l'arrêt Asbjorn, précité, les articles 1 à 11 de la Loi - dans lesquels il n'est pas fait mention de la procédure d'enregistrement - visent tant les marques de commerces déposées que les marques de commerce non déposées. L'alinéa 7b) fait partie du régime global de la Loi et se rapporte donc tant aux marques de commerce déposées qu'aux marques de commerce non déposées. Dans l'arrêt Asbjorn, à la page 328, le juge MacGuigan a dit ce qui suit :

Comme l'a démontré l'historique du juge en chef Laskin dans l'arrêt MacDonald, précité, la Loi canadienne a traditionnellement visé la protection des marques non déposées aussi bien que celle des marques déposées, ce en quoi elle se compare à la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970 ch. C-30] dont le champ d'application dépasse le droit d'auteur enregistré. Dans les deux lois, le rôle de l'enregistrement est d'offrir des avantages en sus de ceux que fournit la common law.

En traçant un aperçu de l'économie de la Loi dans l'arrêt Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy's Ltée, [[1986] 1 C.F. 357, à la page 374; (1984) 1 C.P.R. (3d) 214 (1re inst.) à la page 228], le juge Strayer a dit que « la Loi sur les marques de commerce, aux articles 1 à 11, définit et prescrit plusieurs règles relatives aux marques de commerce et à leur adoption, sans mentionner les règles relatives à l'enregistrement. Par la suite, la Loi porte uniquement sur les marques de commerce enregistrées » . Il ajoute plus loin : « le Parlement, par les articles 1 à 11 de la Loi sur les marques de commerce, a prescrit les règles relatives à ce qui constitue une marque de commerce et son adoption, que cette marque soit enregistrée ou non » . [non souligné dans l'original]

On n'a pas expliqué pourquoi la doctrine de la fonctionnalité devrait s'appliquer aux marques de commerce déposées, mais non aux marques de commerce non déposées, dans les actions en commercialisation trompeuse fondées sur l'alinéa 7b).


[62]            J'ai examiné le projet de motifs de mon collègue, Monsieur le juge Pelletier. Au paragraphe 5, le juge dit que les appelantes soutiennent ce qui suit : « [L]e propriétaire d'une marque de commerce non déposée n'a pas droit à l'emploi exclusif de cette marque. Les appelantes affirment qu'étant donné que l'emploi exclusif peut uniquement être obtenu par enregistrement, elles ne peuvent pas insister pour que l'intimée cesse d'employer la marque figurative LEGO; elles peuvent uniquement insister pour que l'intimée prenne des mesures afin de s'assurer que son emploi de la marque figurative LEGO n'amène pas les consommateurs à croire que ses marchandises sont celles des appelantes [non souligné dans l'original]. » Compte tenu des paragraphes subséquents de ses motifs, le juge Pelletier semble souscrire à cet argument, en particulier lorsqu'il dit, au paragraphe 27, qu' « [é]tant donné qu'une personne acquiert des droits liés à un monopole uniquement par enregistrement, il n'est pas nécessaire d'appliquer aux marques de commerce non déposées le principe [de la fonctionnalité] interdisant les monopoles » . Avec égards, je ne suis pas d'accord.

[63]            En outre, en rejetant l'idée selon laquelle la doctrine de la fonctionnalité s'applique aux marques de commerce non déposées, le juge Pelletier dit ce qui suit aux paragraphe 74 : « La jurisprudence portant sur les marques de commerce déposées n'est pas utile aux fins de l'examen du cas des marques de commerce non déposées puisque l'enregistrement confère des droits dont les propriétaires de marques de commerce non déposées ne peuvent pas se prévaloir. » Dans ses motifs, le juge Pelletier explique que les marques de commerce non déposées ne peuvent pas conférer de droits liés à un monopole parce que seule une marque de commerce déposée peut avoir pour effet d'interdire d'une façon absolue l'emploi de la marque par un autre pour indiquer l'origine. Le propriétaire d'une marque de commerce non déposée possède uniquement un droit restreint d'interdire l'emploi de sa marque par un autre parce que le défendeur peut éviter toute responsabilité en montrant qu'il a utilisé des éléments additionnels pour distinguer ses marchandises et pour indiquer la source véritable des marchandises.


[64]            Encore une fois, je ne suis pas d'accord. À mon avis, le droit à l'emploi exclusif d'une marque de commerce n'est pas limité en ce sens aux marques de commerce déposées. Il s'applique également aux marques de commerce non déposées.

[65]            Le juge Pelletier s'appuie sur l'arrêt anglais Singer Manufacturing Company c. Loog (1880), 18 Ch. D. 395 (C.A.); confirmé (1882-1883), 8 App. Cas. 15 (C.L.) [Singer], pour tenter d'illustrer qu'une marque de commerce non déposée comporte simplement un emploi exclusif restreint comparativement à une marque de commerce déposée. Avec égards, à mon avis, l'arrêt Singer n'étaye pas cette thèse.


[66]            Les faits de l'affaire Singer n'étaient en général pas contestés et les questions juridiques avaient déjà en bonne partie été réglées avant que la Chambre des lords soit saisie de l'affaire. Une plaque ou une étiquette en cuivre sur laquelle figurait le mot « Singer » , semblable quant à la forme, à la taille et à l'emplacement, aux plaques ou étiquettes en cuivre sur lesquelles était gravée la marque de commerce de la demanderesse avait été apposée sur certaines des machines fabriquées par le défendeur (lesquelles étaient également identiques, quant à la forme, au modèle et à la construction, à certaines des machines de la demanderesse). Il n'a pas été contesté que certaines gens pouvaient prendre cette plaque ou étiquette pour la marque de commerce de la demanderesse Singer et qu'elles pouvaient croire que les machines vendues par Loog étaient en fait celles de la demanderesse. Comme l'a expliqué lord Selborne, de la Chambre des lords, à la page 18 du jugement, la demanderesse Singer avait déjà obtenu, devant le tribunal d'instance inférieure, [traduction] « une injonction, dans la mesure nécessaire, pour protéger sa marque de commerce » . Cette partie de l'injonction n'a pas été portée en appel et Loog s'est engagé à s'y conformer. Par conséquent, il n'était pas contesté devant la Chambre des lords que le défendeur Loog avait violé la marque de commerce non déposée de Singer et que Singer pouvait empêcher Loog d'employer la marque de commerce sur les machines à coudre en liaison avec les marchandises. Toutefois, le litige dont était saisi la Chambre des lords était fondé sur l'idée selon laquelle Singer pouvait empêcher le défendeur Loog d'employer de quelque façon que ce soit le mot « Singer » . La Cour d'appel avait statué que le juge de première instance [traduction] « ne s'était pas contenté » d'accorder l'injonction au complet en interdisant également [traduction] « au défendeur (en fait) d'employer de quelque façon que ce soit le mot « Singer » à l'égard de toute machine non fabriquée par la société de la demanderesse » (page 18) et avait infirmé le jugement de première instance sur ce point. La Chambre des lords a confirmé cette décision.

[67]            Lord Selborne, au nom de la Chambre des lords, a expliqué que Singer avait contesté l'emploi par Loog du mot « Singer » dans quatre documents, soit une annonce (dépliant grand format), une liste de prix dans laquelle les machines des deux parties étaient comparées, une page titre d'instructions et une facture. Il souscrivait à l'avis de la Cour d'appel, à savoir que le défendeur Loog pouvait à juste titre employer le nom « Singer » dans ce sens et il a conclu que [traduction] « cela ne port[ait] atteinte à aucun droit des demanderesses » (page 22). C'est dans ce contexte de la publicité comparative que lord Selborne a tiré cette conclusion.


[68]            Avec égards, je ne puis souscrire à l'avis du juge Pelletier, lorsqu'il utilise ce jugement pour étayer l'idée selon laquelle une marque de commerce non déposée permet uniquement un emploi exclusif restreint par rapport à une marque de commerce déposée. Lord Selborne voulait simplement dire que Singer ne pouvait exercer aucun contrôle sur l'emploi de son nom si ce n'est pour distinguer ses marchandises et qu'un concurrent pouvait employer ce nom dans la publicité comparative. Aux pages 26 et 27, voici ce qu'il a dit :

[traduction] L'avocat des appelantes a en dernier lieu soutenu que les demanderesses, en exploitant leur entreprise sous le nom de M. Singer et en employant la marque de commerce de celui-ci, avaient acquis sur ce nom un droit de propriété leur permettant d'empêcher un concurrent de l'introduire dans ses listes de prix, dans ses circulaires ou dans ses annonces, même d'une façon qui pourrait exclure toute possibilité que l'on croie qu'il déclare, directement ou indirectement, que les marchandises qu'il vend étaient fabriquées par les demanderesses ou que son commerce ou son entreprise est identique ou relié au commerce ou à l'entreprise des demanderesses. Aucun jugement faisant autorité n'a été mentionné à l'appui de cet argument; de plus, à mon avis, cet argument ne peut absolument pas être maintenu. La réputation acquise par des machines d'une forme ou construction particulière est une chose; la réputation des demanderesses, en leur qualité de fabricants, est autre chose. Si le défendeur n'a pas le droit, sous le couvert de l'une de se prévaloir de l'autre, les demanderesses n'ont pas non plus le droit sous le couvert de leur réputation de revendiquer (en fait) un monopole à l'égard de la réputation de leurs machines. Si le défendeur a le droit (et il n'est pas nié qu'il l'a) de fabriquer et de vendre, en concurrence avec les demanderesses, des articles semblables quant à la forme et à la construction à ceux qui sont fabriqués et vendus par les demanderesses, il doit également avoir le droit de dire qu'il le fait et d'employer à cette fin la terminologie commune à ce genre de commerce, à condition toutefois qu'il le fasse d'une façon équitable, distincte et non équivoque. [non souligné dans l'original]


Par cette remarque, lord Selborne voulait simplement dire qu'il ne pouvait trouver aucun jugement faisant autorité à l'appui du principe voulant que les demanderesses puissent empêcher quelqu'un d'employer le nom Singer dans ses listes de prix, dans ses circulaires et dans ses annonces. Une personne peu à bon droit fabriquer et vendre des articles semblables quant à la forme et à la construction à ceux du propriétaire d'une marque de commerce et peut à bon droit informer le public de ce qu'elle fait. Elle a le droit d'employer la terminologie commune à ce genre de commerce, ce qui comprendrait souvent le nom de l'autre produit, afin de faciliter une comparaison entre les concurrents. Cela est tout à fait approprié.

[69]            Lord Blackburn souscrivait à l'avis exprimé par lord Selborne; il a rejeté l'appel interjeté par Singer. Il a cité le jugement Millington c. Fox et a dit ce qui suit à la page 31 :

[traduction] Bref, il ne me semble pas y avoir d'intention frauduleuse dans l'emploi des marques [de la demanderesse]. Toutefois, cela ne prive pas pour autant les demanderesses de leur droit à l'emploi exclusif de ces noms et j'ai donc dit que la preuve présentée permet aux demanderesses d'obtenir une injonction à perpétuité. [non souligné dans l'original]

Lord Blackwell a ajouté ce qui suit à la page 37 :

[traduction] Cependant, il a été soutenu que les demanderesses avaient droit à une injonction visant à empêcher de quelque façon que ce soit l'utilisation de leur nom à l'égard d'articles tels que ceux qu'elles vendent. Il n'a pas été nié que quelqu'un peut en toute liberté fabriquer et vendre des machines sur tous les points identiques à celles qui sont fabriquées par les demanderesses, qu'il peut dire que les marchandises qu'il a fabriquées et vendues sont identiques quant à la forme et à la construction à celles qui sont fabriquées par les demanderesses, et qu'il peut alléguer que les matériaux employés sont meilleurs que ceux qui sont utilisés par les demanderesses, qu'ils sont assemblés d'une façon plus habile et qu'ils coûtent moins cher, et ce, dans le but de faire concurrence aux demanderesses. Cependant, il a été affirmé que le nom de famille des demanderesses ne doit pas du tout être employé à pareilles fins. Or, aucun jugement faisant autorité n'a été mentionné à l'appui de cette thèse générale et je ne crois pas qu'elle soit fondée sur de bons principes. [non souligné dans l'original]

Lord Watson était d'accord; il a conclu ce qui suit à la page 38 :

[traduction] L'effet juridique est que la société appelante a le droit - un droit exclusif - d'employer le nom « Singer » pour désigner les machines à coudre qu'elle fabrique et que personne n'a le droit d'employer ce mot afin de faire passer ses marchandises pour celles de l'appelante, ou même s'il le fait innocemment, d'employer ce mot dans l'intention de tromper ou de contribuer à tromper le public. Aucun des nombreux jugements qui ont été mentionnés par l'avocat des appelantes ne reconnaît le droit exclusif d'un commerçant d'employer un nom particulier au-delà de cette limite. Il n'existe aucun jugement faisant autorité et, à mon avis, aucun principe permettant de conférer au commerçant un droit plus étendu [...]


Lord Watson parlait de la mesure dans laquelle on peut empêcher d'autres personnes d'employer une marque à des fins quelconques, y compris la publicité, lorsqu'il parlait de limiter l'emploi exclusif d'une marque de commerce. Il est possible de constater le contexte dans lequel s'inscrivent les remarques de lord Watson dans la conclusion qu'il a tirée à la page 40 : [traduction] « Selon ces principes, les actes de l'intimé [Loog] qui sont ici en cause ne portent aucunement atteinte au droit exclusif des appelantes [non souligné dans l'original] » . Encore une fois, étant donné que la Chambre des lords s'intéressait uniquement à l'emploi du nom Singer dans les quatre documents publicitaires en question, le raisonnement qui a été fait dans cette affaire doit être limité à cette idée.

[70]            Par conséquent, l'arrêt Singer étaye simplement la proposition selon laquelle l'emploi exclusif d'une marque de commerce est limité, en ce sens que le propriétaire de la marque de commerce ne peut pas empêcher une autre personne d'employer la marque dans sa publicité comparative. Toutefois, les marques de commerce déposées sont limitées de la même façon. Dans la décision Eye Masters Ltd. c. Ross King Holdings Ltd. (1re inst.), [1992] 3 C.F. 625 (C.F. 1re inst.), qui se rapportait à une demande d'injonction interlocutoire dans une action en violation d'une marque de commerce déposée mettant en cause deux opticiens détaillants qui se faisaient concurrence, Madame le juge Reed a dit, au paragraphe 6, qu' « [i]l est clair que les marques de commerce et les noms commerciaux en liaison avec des marchandises peuvent être employés dans une publicité comparative, et qu'un tel emploi n'est pas considéré comme étant une contrefaçon de la marque de commerce » .


[71]            Dans la décision Future Shop Ltd. c. A. & B. Sound Ltd., [1994] B.C.J. no 851 (C.S.C.-B.), la cour était également saisie d'une demande d'injonction interlocutoire visant à empêcher la publication de certaines annonces. Dans cette affaire, les deux parties s'occupaient de la vente au détail de produits électroniques commerciaux; la défenderesse avait publié des annonces comparatives dans lesquelles elle soulignait les différences existant entre ses prix et ceux de la demanderesse, qui était titulaire d'une marque de commerce déposée. Le juge MacKenzie n'avait rien à reprocher à ces annonces; au paragraphe 10, il a dit ce qui suit : [traduction] « Une annonce comparative qui, d'une façon qui est de toute évidence et raisonnablement implicite, signale les différences entre le produit de l'annonceur et celui des concurrents ne se rattache pas de la même façon à l'achalandage du concurrent. Elle vise plutôt à se distancer de cet achalandage en soulignant les différences. » Au paragraphe 16, le juge MacKenzie a conclu ce qui suit : [traduction] « Je ne crois pas que la mention d'une marque de commerce visant à distinguer la marchandise ou le service visé par la marque de commerce viole le droit exclusif à l'emploi de la marque de commerce qui est confirmé à l'article 19. » En fait, le juge MacKenzie était d'avis que le public a un intérêt dans la publicité comparative, dans la mesure où les renseignements comparatifs figurant dans ces annonces aident les consommateurs à faire de meilleurs choix. Par conséquent, les marques de commerce déposées sont limitées de la même façon que les marques de commerce non déposées, comme il en est fait mention dans le jugement Singer. Le jugement Singer fait donc encore autorité à l'appui de la thèse voulant que le droit à l'emploi exclusif puisse être obtenu au moyen d'une marque de commerce non déposée.


[72]            Les marques de commerce non déposées étaient considérées comme conférant un droit de propriété ayant pour effet d'accorder un monopole au propriétaire et, par conséquent, le droit d'empêcher d'autres personnes d'employer la marque. Dans l'ouvrage intitulé A Treatise on the Law of Trade-marks de Frank Mantell Adams, rédigé en 1874 (Londres : George Bell & Sons), l'auteur confirme, à la première page, que les droits afférents à une marque de commerce non déposée englobent [traduction] « le droit exclusif de vendre la marchandise ainsi décrite, en déclarant que l'on est à l'origine des marchandises » . Encore une fois, à la page 11, Adams a déclaré que [traduction] « [l]e droit que possède un fabricant d'employer une marque de commerce est le droit exclusif d'employer cette marque afin d'indiquer où, par qui ou dans quelle usine, l'article sur lequel la marque est apposée a été fabriqué » [non souligné dans l'original].

[73]            Les marques de commerce non déposées posaient un problème lorsqu'il s'agissait pour le propriétaire de tenter d'établir son droit en prouvant qu'il avait au fil des ans employé la marque en public. Il se posait un autre problème lorsqu'il s'agissait d'établir la région géographique dans laquelle la marque non déposée était protégée. La chose a été reconnue dans le jugement Re Courtaulds, The Times 14 février 1994, (Transcription : Marten Walsh Cherer), Division de la chancellerie (Brevets) à la page 4 (lexis); approuvé [1995] E.W.L. no 4681 (Cour d'appel, Division civile). Comme le juge Aldous l'a dit à la page 4 (lexis), dans le jugement Re Courtaulds :


[traduction] Étant donné que le propriétaire d'une marque de commerce avait uniquement le droit d'empêcher son emploi par d'autres personnes, la réparation initiale visant à protéger son droit était une injonction empêchant la violation. Cette réparation a continué à être la principale réparation accordée, mais au milieu du dix-neuvième siècle, il était également possible d'obtenir des dommages-intérêts fondés sur la violation, du moins lorsque la violation était intentionnelle et trompeuse en common law. [...]

Un droit de propriété de ce genre exige que l'on concilie les intérêts contradictoires du propriétaire du monopole, des membres du grand public en leur qualité d'acheteurs des marchandises sur lesquelles est apposée la marque de commerce, et d'autres commerçants. [...] [non souligné dans l'original]

Dans le jugement Re Courtaulds, la cour a expliqué, aux pages 4 et 5 (lexis), que l'adoption d'un système d'enregistrement visait à remédier en pratique aux lacunes de la common law en matière de marques de commerce; on n'avait pas l'intention de modifier les caractéristiques principales des marques de commerce en common law :

[traduction] Les principales lacunes dans le droit des marques de commerce tel qu'il existait en 1875 étaient les suivantes : premièrement, dans toute action qu'il intentait par suite de la violation de sa marque de commerce, le propriétaire devait à nouveau prouver le titre qu'il possédait à l'égard de la marque en établissant qu'il l'employait en public; deuxièmement, un commerçant qui voulait adopter une marque particulière pour distinguer ses propres produits ne pouvait pas facilement découvrir si son emploi portait atteinte aux droits propriétaux afférents à cette marque déjà conférés à un autre commerçant par suite de l'emploi qu'il en faisait en public. Le but évident de la Loi de 1875 était de remédier d'une façon pratique à ces lacunes sans modifier les caractéristiques principales des marques de commerce en common law. [...]

La Loi de 1875 ne créait pas en soi un droit de propriété sur les marques de commerce. Comme son titre lui-même le montre et comme ses dispositions le confirment, la Loi prévoyait simplement l'enregistrement des marques de commerce et énonçait en toutes lettres les conséquences de l'enregistrement et du non-enregistrement sur les droits propriétaux du propriétaire de la marque de commerce ainsi que les réparations dont celui-ci pouvait se prévaloir en vue de protéger ces droits propriétaux.

[74]            Au Canada, le même avis existait au sujet des droits des propriétaires de marques de commerce non déposées. Dans l'ouvrage intitulé The Canadian Law of Trade Marks, 3e édition (1972), M. Fox, en parlant des marques de commerce non déposées, a dit ce qui suit à la première page :


[traduction] En 1838, le jugement Millington c. Fox a établi le principe selon lequel une injonction pouvait être obtenue en vue d'empêcher la violation d'une marque de commerce, et ce, même si la violation était attribuable à l'ignorance et même en l'absence d'une intention frauduleuse. Le corollaire naturel de cette conclusion était la reconnaissance de l'idée selon laquelle une marque de commerce était un bien susceptible de faire l'objet d'un droit de propriété. La protection des marques de commerce en equity a subséquemment été fondée sur ce droit. C'est ce qui a clairement été dit dans le jugement Edelsten c. Edelsten où, en suivant la règle établie dans le jugement Millington c. Fox, lord Westbury a fait remarquer ce qui suit : « Il est donc clair que le demandeur possède un plein droit de propriété sur la marque de commerce qu'il revendique » .

[75]            Monsieur Fox a également signalé, aux pages 1 et 2, les lacunes du régime de common law :

[traduction] Il a été jugé que les actions visant à empêcher l'emploi illégitime de marques de commerce étaient coûteuses, qu'elles s'éternisaient et qu'elles n'étaient pas satisfaisantes. Le demandeur se trouvait généralement dans une situation fort désavantageuse. Son action était fondée sur l'association réputée entre sa marque de commerce et ses marchandises. Le défendeur niait généralement l'association et il fallait prouver la chose à l'aide de témoins, le demandeur devant engager des frais parfois énormes, lesquels il avait bien souvent peu d'espoir de récupérer puisque le défendeur était souvent une personne sans ressources. En outre, même si le propriétaire de la marque de commerce obtenait un jugement favorable, cela ne le dispensait pas de l'obligation d'établir encore une fois le droit qu'il possédait sur la marque à l'encontre de toute personne subséquente qui décidait de contester ce droit.

[76]            Par conséquent, en common law, le propriétaire d'une marque de commerce non déposée détenait un monopole et possédait le droit d'employer exclusivement sa marque. L'adoption de la législation en matière de marques de commerce prévoyant l'enregistrement n'avait pas pour effet de supprimer le droit reconnu en common law à l'égard des marques non déposées. Cela facilitait simplement la preuve pour le propriétaire. De plus, dans Fox on Trade-marks (édition 2002), l'auteur confirme la chose à la page 3-10 :

[traduction] Pour qu'une personne puisse protéger sa marque de commerce, il n'est pas essentiel qu'elle procède à l'enregistrement prévu par la Loi, même s'il est souhaitable qu'elle le fasse. Les lois successives en matière de marques de commerce n'ont pas modifié la common law et n'ont pas supprimé les droits qui existaient avant leur adoption. Si une loi est destinée à modifier des droits reconnus en common law, elle doit le faire expressément, de sorte que les tribunaux ne lui donneront effet que si elle le fait en des termes clairs et non ambigus.


[77]            Dans l'édition de 1972 (précitée), M. Fox dit également clairement, à la page 49, que l'enregistrement visait à confirmer les droits afférents à la marque de commerce qui existaient déjà :

[traduction] Il sera donc constaté que le droit à une marque de commerce est créé par l'usage, au Canada ou dans un pays de l'Union, plutôt que par l'enregistrement; il en est également ainsi pour les marques de commerce projetées en vertu de la Loi de 1953; en effet, pour être inscrites au registre, elles doivent avoir été employées. L'enregistrement sert simplement à confirmer le titre qui a déjà été établi par l'usage. Cette théorie de la confirmation du titre par enregistrement a succinctement été énoncée par Monsieur le juge en chef Ritchie dans l'arrêt Partlo c. Todd [(1888), 17 R.C.S. 196 à la page 200] : « Ce n'est pas l'enregistrement qui fait de la personne en cause le propriétaire d'une marque de commerce; pour être en mesure de faire enregistrer la marque, cette personne doit déjà en être propriétaire » .

Cet énoncé a été repris dans l'édition de 2002 à la page 5-4 : [traduction] « [L'] enregistrement sert simplement à confirmer le titre qui a déjà été établi par l'usage. »

[78]            De même, dans l'ouvrage Hughes on Trade-marks, à la page 371, l'auteur dit la même chose : l'enregistrement confirme un droit propriétal qui existait déjà à l'égard de la marque de commerce avant l'enregistrement :

[traduction] Ce n'est pas l'enregistrement qui fait de la personne en cause le propriétaire d'une marque de commerce; pour être en mesure de faire enregistrer la marque, cette personne doit déjà en être propriétaire.


[79]            Je ne puis donc pas comprendre la logique de l'argument des appelantes lorsqu'elles affirment que la politique sous-tendant la doctrine de la fonctionnalité (soit éviter les monopoles et obtenir la protection accordée par un brevet sous forme d'une marque de commerce) ne s'applique pas aux marques de commerce non déposées telles que la marque figurative LEGO. La chose aurait pour effet de conférer un avantage à la personne qui cherche à faire prolonger la durée du monopole lié à son brevet en refusant de faire enregistrer sa marque de commerce. Or, l'enregistrement vise à conférer au titulaire d'une marque de commerce déposée des avantages plutôt que des désavantages.

[80]            Dans l'ouvrage Hughes on Trade Marks (Markham : Butterworths, édition 53, février 2003), l'auteur précise, dans la section 17, page 371, qu'il n'est pas essentiel de faire enregistrer une marque de commerce et indique les avantages que comporte une marque de commerce déposée par rapport à une marque de commerce non déposée :

[traduction] Il n'est pas essentiel de procéder à l'enregistrement afin d'acquérir des droits sur une marque de commerce en vue d'empêcher d'autres personnes d'employer la même marque de commerce ou une marque de commerce créant de la confusion. La personne qui emploie une marque, indépendamment de l'enregistrement, a le droit d'empêcher l'emploi subséquent d'une marque de commerce créant de la confusion par une autre personne, mais uniquement dans la même zone commerciale.

Toutefois, l'enregistrement confère certains avantages en plus de ceux qui existent en common law tout en reconnaissant les droits qui existent déjà en common law. Lorsqu'une marque de commerce est déposée, il existe une présomption au sujet de sa validité, la personne qui demande la radiation ayant la charge de démontrer l'invalidité. Ces droits comportent le droit d'employer la marque partout au Canada et d'empêcher l'emploi d'une marque créant de la confusion partout au Canada, au moyen d'une action en violation, le droit de faire enregistrer la marque dans des pays étrangers qui ont adhéré à la Convention. et la preuve prima facie de ces droits et du droit de propriété y afférent. L'enregistrement peut également éviter au propriétaire de la marque de commerce de perdre par la suite son droit en raison de l'adoption d'une « marque officielle » similaire par une « autorité publique » ou par un organisme gouvernemental. Il y a un manque d'uniformité dans les décisions pour ce qui est de la question de savoir si l'enregistrement peut faciliter l'obtention d'une injonction interlocutoire. L'enregistrement peut être avantageux en ce sens qu'il accroît les chances d'obtenir une injonction interlocutoire lorsqu'une preuve raisonnable de confusion a été présentée. En pratique, l'enregistrement est souvent nécessaire pour que le titulaire d'une licence entretienne des rapports contractuels avec le propriétaire d'une marque de commerce. [non souligné dans l'original]


Par conséquent, les avantages pertinents de l'enregistrement dans ce contexte consistent en une charge de preuve moins lourde lorsqu'il s'agit de démontrer la validité et de prouver la violation. Une marque de commerce déposée constitue une preuve prima facie des droits afférents à une marque de commerce et du droit de propriété afférent à une marque de commerce. Ces avantages ne donnent nullement à entendre qu'une politique de protection différente s'applique aux marques de commerce déposées. En fait, comme Hughes on Trade-marks le soutient aux pages 371 et 372 : [traduction] « [L]e but fondamental de la loi ou du droit existant en common law en matière de commercialisation trompeuse est de protéger les droits acquis, et ce, qu'ils soient acquis par l'usage ou par enregistrement. » Il n'existe aucun jugement faisant autorité à l'appui de l'assertion des appelantes selon laquelle la doctrine de la fonctionnalité ne s'applique pas aux marques de commerce non déposées et cette assertion n'est fondée sur aucune logique.

[81]            Il est donc possible d'obtenir des droits liés à un monopole au moyen d'une marque de commerce non déposée, comme il est possible d'en obtenir au moyen d'une marque de commerce déposée. Les problèmes de preuve que posent les marques de commerce non déposées amènent les gens à faire enregistrer leur marque et il se peut bien qu'en ce qui concerne les marques de commerce non déposées, le demandeur constate qu'il est difficile d'établir l'existence de droits liés à un monopole. Cela ne veut toutefois pas dire qu'il ne lui est pas possible de le faire. Étant donné que le propriétaire d'une marque de commerce non déposée peut obtenir des droits liés à un monopole, le raisonnement qui permet d'appliquer la doctrine de la fonctionnalité aux marques de commerce non déposées est logique. Le cas de LEGO en constitue un bon exemple.


[82]            Compte tenu de l'analyse susmentionnée relative à l'emploi exclusif, si LEGO se voyait accorder une déclaration portant qu'elle est propriétaire de la marque figurative LEGO en tant que marque de commerce non déposée, elle obtiendrait un monopole sur cette marque figurative, qui est composée d'une brique LEGO fonctionnelle. Les faits particuliers de l'affaire justifient le recours à cette considération de principe compte tenu de la conclusion de fait que le juge de première instance a tirée au paragraphe 144 :

Je conclus en outre que, dans une large mesure, le Groupe LEGO est la cause de son propre malheur sur le marché canadien pour ce qui concerne la marque figurative LEGO. En effet, ses stratégies et ses pratiques de commercialisation se sont révélées si efficaces qu'elles ont laissé peu de place, voire aucune, à un concurrent qui, come Ritvik, adoptait les caractéristiques purement utilitaires ou fonctionnelles de la brique LEGO, et en particulier la marque figurative LEGO -- caractéristique qui peut être considérée comme « allant de soi » pour reprendre l'expression de M. Larry Light, pour distinguer ses propres jeux de construction, en l'occurrence les MICRO MEGA BLOKS, de ceux de LEGO, en dépit du fait que Ritvik a systématiquement marqué sa série MICRO MEGA BLOKS de la désignation MEGA BLOKS.

Cela veut dire que si LEGO se voyait accorder une déclaration portant qu'elle est propriétaire d'une marque de commerce non déposée et si elle avait gain de cause dans son action en commercialisation trompeuse, aucun concurrent ne serait en mesure de distinguer effectivement ses marchandises de celles de LEGO et que LEGO aurait en fait droit à un emploi exclusif et obtiendrait un monopole sur les marchandises portant cette marque de commerce, de sorte que le monopole lié au brevet se perpétuerait.


[83]            Au paragraphe 21 de ses motifs, mon collègue le juge Pelletier dit ce qui suit : « Cette interdiction n'a pas été reprise dans la Loi actuelle, mais il reste que l'on estime qu'une action en violation est par définition limitée aux marques de commerce déposées. » Je ne suis pas d'accord. La jurisprudence canadienne établit le contraire. Je crois qu'elle confirme la possibilité pour le propriétaire d'une marque de commerce non déposée d'employer sa marque de commerce d'une façon exclusive. Les propriétaires de marques de commerce non déposées ont le droit d'intenter une action en commercialisation trompeuse en se fondant sur la common law ou sur la Loi sur les marques de commerce; ils ont en outre le droit d'empêcher l'enregistrement d'une marque ou de faire invalider l'enregistrement obtenu pour une marque. Comme il en est fait mention dans le document intitulé Trade-marks : I came, I saw, I registered de Colleen Spring Zimmerman (Department of Continuing Legal Education, Barreau du Haut Canada, 1999) : [traduction] « Selon le droit qui s'applique ici en matière de marques de commerce, des droits sont conférés à la personne qui emploie une marque de commerce, et ce, peu importe qu'elle l'ait fait enregistrer. «


[84]            On trouve un excellent exemple de la chose dans le jugement Royal Doulton Tableware Limited, Paragon China Limited and Doulton Canada Inc. c. Cassidy's Ltd., [1986] 1 C.F. 357 (C.F. 1re inst.). Monsieur le juge Strayer (tel était alors son titre) a autorisé le titulaire d'une marque de commerce non déposée (Royal Doulton) à faire radier du registre la marque de commerce déposée de Cassidy et a accordé une injonction permanente au titulaire de la marque de commerce non déposée. Par conséquent, une marque de commerce non déposée l'a emporté sur une marque de commerce déposée à cause de son emploi exclusif antérieur. Royal Doulton a demandé à la Cour de lui accorder une déclaration selon laquelle Paragon [traduction] « [était] le titulaire de la marque de commerce "Victoriana Rose" pour son emploi en liaison avec de la vaisselle de porcelaine » . Au paragraphe 23, le juge Strayer a dit que « la [...] Cour p[ourrait] faire une telle déclaration si on lui a[vait] soumis toute la preuve nécessaire » , mais il a décidé qu'il ne pouvait pas le faire parce qu'il n'existait aucun élément de preuve indiquant qui était vraiment propriétaire de la marque, à savoir Paragon ou Royal Doulton. Toutefois, il faut souligner que le juge Strayer estimait qu'il était possible d'accorder une déclaration reconnaissant le droit de propriété du titulaire d'une marque de commerce non déposée et, par conséquent, de reconnaître l'emploi exclusif d'une marque de commerce déposée. Voici ce que le juge a dit paragraphe 24 :

Même s'il me semble juridiquement possible de faire une déclaration relative à la propriété d'une marque de commerce non enregistrée, je crois qu'il faut, en l'espèce, me limiter à la preuve soumise et qui se rapporte à l'emploi de la marque de commerce "Victoriana Rose". [...] [Je déclare] que Paragon a employé cette marque de commerce et que Cassidy's ne l'a pas fait. [...] Bien qu'à toutes fins pratiques, cela peut équivaloir à une déclaration de propriété, il est possible, au moins en théorie, que d'autres obstacles au droit de propriété de Paragon - des obstacles qui n'ont pas été examinés en l'espèce - puissent empêcher de reconnaître finalement ce droit de propriété. Je pense qu'il est inutile d'aller plus loin en ce qui concerne une déclaration, mais cette attitude de ma part ne doit pas s'interpréter de quelque façon comme une conclusion à l'existence d'un obstacle à la reconnaissance pleine et entière du droit de propriété de la demanderesse Paragon à la marque de commerce non enregistrée.

Les remarques du juge Strayer ont été approuvées dans la décision Copperhead Brewing Co. c. John Labatt Ltée, [1995] A.C.F. no 668 (C.F. 1re inst.).


[85]            Dans la décision Aluminium du Canada Ltée c. Tisco Home Building Products (Ontario) Ltd., [1977] A.C.F. no 112 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Walsh a accueilli une action en violation d'une marque de commerce non déposée et a accordé une injonction à titre de réparation. Dans cette affaire, la demanderesse Tru-Seal Mfg. Inc., une filiale appartenant en propriété exclusive à la demanderesse Aluminium du Canada Ltée, avait intenté une action en violation d'une marque de commerce non déposée Tisco employée par les demanderesses en liaison avec la vente de fenêtres, de portes et de revêtements en aluminium en Ontario et dans certaines régions du Québec. Le juge Walsh a tiré la conclusion suivante au paragraphe 29 :

Ici, les demanderesses avaient une marque de commerce non déposée « Tisco » et un nom commercial où apparaissait ce mot qui avait pris, entre 1969 et avril 1974, une signification spéciale en liaison avec leurs marchandises. En avril 1974, les défendeurs se sont sans aucun doute approprié cette marque et ce nom pour en tirer un avantage commercial [y compris la désignation sociale enregistrée] et bien que les demanderesses n'aient pas employé le nom après cette appropriation, elles n'ont pas perdu pour autant leur droit de le faire et elles ont demandé le dépôt de Tisco comme marque de commerce. Si elles avaient continué à l'employer, le public aurait certainement été encore plus trompé et, malgré leur abstention, il a cru que les marchandises vendues par les défendeurs sous le nom de « Tisco » étaient les mêmes que celles qu'elles vendaient autrefois sous ce même nom. La définition de « marque de commerce » qui figure dans l'article 2 de la Loi, ne fait aucune distinction entre une marque de commerce déposée ou non déposée et inclut même une marque de commerce projetée.

Au paragraphe 31, le juge Walsh a ensuite conclu que les demanderesses avaient droit à une injonction « interdisant aux défendeurs d'employer le nom commercial Tisco Home Building Products (Ontario) Ltd. en liaison avec la vente de gros et de détail de fenêtres, de portes et de revêtements en aluminium dans les provinces de Québec et de l'Ontario, [les défendeurs ne pouvant] plus vendre ces produits en employant la marque de commerce « Tisco » ou tout nom commercial comportant ce mot » . Il s'agit d'une injonction fort générale accordée au propriétaire d'une marque de commerce non déposée dans une action en violation à l'encontre du nom commercial d'une autre partie.

[86]            Monsieur le juge en chef adjoint Jerome souscrivait au même avis au paragraphe 5 du jugement Floyd M. Baslow c. Fabri Trak Canada Limited, Avron Isadore Shore et Gauvreau, Beaudry Ltd., [1980] 2 C.F. 238 (C.F. 1re inst.) :


Qu'elles soient déposées ou non, les marques de commerce confèrent des droits. Et bien que l'utilisation du mot « violation » quant il s'agit de demander redressement à l'égard d'une marque de commerce non déposée puisse créer une certaine confusion entre les deux types de recours, je ne connais rien qui interdise à un demandeur de décrire son grief comme une violation de ses droits à l'égard d'une marque de commerce ou d'employer cette terminologie dans sa demande de redressement.

Le juge en chef adjoint Jerome a refusé d'ordonner que les mots « violation » ou « porter atteinte » soient supprimés de la déclaration, dans la demande de redressement, simplement parce que la marque de commerce n'était pas déposée.

[87]            De plus, dans d'autres décisions canadiennes, on a laissé des marques de commerce non déposées l'emporter sur des marques de commerce déposées. Les actions avaient été intentées avec succès par des propriétaires de marques de commerce non déposées aux fins de la radiation du registre de marques de commerce déposées. Si le propriétaire d'une marque de commerce non déposée n'avait pas un droit exclusif sur sa marque, la Cour aurait difficilement consenti à la réparation radicale qui consistait à radier la marque de commerce déposée d'une autre partie. Uniwell Corp. c. Uniwell North America Inc., [1996] A.C.F. no 336 (C.F. 1re inst.), Wilhelm Layher GmbH c. Anthes Industries Inc., [1986] A.C.F. no 60 (C.F. 1re inst.).


[88]            L'affaire Thomas & Betts se rapportait à une marque de commerce non déposée; le juge Décary a conclu que la doctrine de la fonctionnalité doit être prise en considération avant qu'une décision puisse être rendue dans une affaire de violation et de commercialisation trompeuse. Les faits de l'affaire Thomas & Betts sont fort semblables à ceux de la présente espèce : la prétendue marque de commerce en question n'avait pas été déposée; un brevet expiré était en cause; de plus, c'était la définition actuelle de l'expression « signe distinctif » qui était en cause plutôt que celle qui figurait dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932. Les appelantes soutiennent que le jugement rendu dans l'affaire Thomas & Betts était erroné. Je ne suis absolument pas d'accord. La décision est conforme à la jurisprudence antérieure; de plus, elle explique la politique sous-tendant la doctrine de la fonctionnalité. À mon avis, cette décision est déterminante aux fins qui nous occupent pour ce qui est de la question de savoir si la doctrine de la fonctionnalité s'applique aux marques de commerce non déposées.

[89]            Le juge Décary a clairement statué que la doctrine de la fonctionnalité - « la solution du dilemme » en question dans cette affaire-là - s'appliquait aux marques de commerce non déposées. Le seul point que le juge n'a pas tranché était de savoir si la tête du collier de serrage en question était principalement fonctionnelle. Il s'agit d'une question de fait et, bien sûr, le juge devait laisser la question à l'appréciation du juge de première instance. Au paragraphe 73 de ses motifs, le juge Pelletier soutient que le juge Décary « n'a pas décidé que la fonctionnalité portait un coup fatal à une action en commercialisation trompeuse fondée sur un signe distinctif non déposé » . Toutefois, le juge Décary ne pouvait pas conclure que l'application de la doctrine de la fonctionnalité portait un coup fatal à la cause tant que le juge de première instance ne concluait pas que le signe distinctif était en fait principalement fonctionnel. À mon avis, cela ne change rien à la conclusion selon laquelle la doctrine de la fonctionnalité doit s'appliquer en l'espèce. De fait, le juge Décary a exigé que le juge de première instance examine la question de la fonctionnalité afin de déterminer si la tête de forme ovale du collier de serrage était en fait principalement fonctionnelle. Voici ce qu'il a dit au paragraphe 26 :


La question qui se pose en l'espèce est de savoir si la tête ovale était un signe distinctif au sens de la Loi sur les marques de commerce. En examinant cette question, qui est en partie et peut-être essentiellement une question de fait, le juge des requêtes aurait eu à examiner les faits mêmes de l'affaire à la lumière des principes applicables aux marques de commerce, y compris la doctrine de la fonctionnalité. Il se peut qu'à la fin de l'instruction, le juge conclue, en ce qui concerne la question précise de la fonctionnalité, que la description de la tête ovale en tant que réalisation privilégiée de l'invention prouve sa fonctionnalité, peut-être d'une façon concluante, mais pareille conclusion serait prématurée en l'espèce au stade d'une requête en jugement sommaire. [non souligné dans l'original]

Par conséquent, la présente cour a déjà exigé que la doctrine de la fonctionnalité s'applique à une marque de commerce non déposée. Au paragraphe 70 de ses motifs, le juge Pelletier dit également que le juge Décary « a ensuite examiné les divers jugements faisant autorité susmentionnés, mais [qu']il n'a pas tenu compte du fait que l'affaire dont il était saisi se rapportait à une marque de commerce non déposée » . Cela équivaut à dire que le juge Décary a été négligent en omettant de tenir compte du fait que la marque de commerce en cause dans l'affaire dont il était saisi n'était pas déposée. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, le juge Décary était parfaitement au courant de la question dont il était saisi et du fait qu'une marque de commerce non déposée était en cause. Je ne puis croire que les termes prudents qu'il a employés dans ses motifs puissent être interprétés comme indiquant qu'il a ignoré le fait qu'il examinait le cas d'une marque de commerce non déposée.


[90]            Il me semble que les appelantes tentent de perpétuer le monopole qu'elles ont à un moment donné détenu à l'égard de ces briques et des saillies sous forme d'une marque de commerce. D'autres décisions mettant en cause LEGO indiquent qu'il ne s'agissait pas d'une première tentative de la part des appelantes. Dans l'affaire Tyco Indus. c. Lego Systems, Inc., 5 U.S.P.Q. 2d 1023, à la page 1039 (D.N.J. 1987), confirmé, 853 F.2d 921 (3d Cir.), cert. refusé, 488 U.S. 955 (1988), en rejetant la demande fondée sur la présentation que LEGO avait faite à l'encontre de Tyco plus de dix ans auparavant, le juge Brown de la Cour de district du New Jersey a tiré une conclusion de fonctionnalité similaire et a refusé d'empêcher Tyco de faire concurrence aux appelantes :

[traduction] En appliquant ces principes à la preuve soumise en l'espèce, la présente cour conclut que la brique LEGO est entièrement fonctionnelle. Le système de tenons et de cylindres creux susmentionné permet d'assurer la fonction d'emboîtement comme l'allègue LEGO; de plus, ce système « contribue à l'efficacité et au fonctionnement de la brique » [...] Le système de cylindres creux et de tenons constituait la solution évidente sur le plan technique. [Tyco Indus. c. Lego Systems, Inc., 5 U.S.P.Q. 2d 1023, à la page 1039 (D.N.J. 1987), confirmé, 853 F. 2d 921 (3d Cir.), cert. refusé, 488 US 955 (1988)]

De plus, dans l'affaire Interlego AG c. Tyco Industries Inc., [1989] 1 A.C. 217, aux pages 255 et 256 (C.P.), LEGO fabriquait et vendait les jeux de construction à briques emboîtantes à Hong Kong et élaborait des dessins industriels à l'aide de ces briques. Les défenderesses avaient copié les principaux éléments de l'ancienne conception des briques LEGO et avaient ainsi copié indirectement les dessins à l'aide desquels les briques de LEGO étaient fabriquées. LEGO avait intenté une action dans laquelle elle sollicitait une injonction en vue d'empêcher les défenderesses de violer le droit d'auteur qu'elle possédait sur les dessins industriels. Lord Oliver of Aylmerton, du Conseil privé, a fait les remarques suivantes, aux pages 255 et 256, au sujet de la tentative de LEGO d'étendre la portée de ses droits de propriété intellectuelle au-delà de leur portée légitime :


[traduction] Quant à l'appel incident interjeté par Tyco, nous ferons observer au départ que l'invention simple mais ingénieuse de M. Page relative à l'emboîtement de briques de jeux de construction avait été fort adéquatement récompensée par les brevets qui ont expiré en 1954 et en 1959. Malheureusement, LEGO a bénéficié d'une autre protection pour ce qui était fondamentalement la même invention au moyen des brevets et dessins qui ont expiré en 1975. Par conséquent, LEGO a obtenu un monopole prolongé à l'égard de l'invention, de sorte que les autres fabricants de jouets ne peuvent maintenant faire effectivement concurrence à Lego qu'en fabricant des briques qui s'emboîtent avec les produits de Lego et qui doivent donc être conformes aux formes et dimensions de base de ces produits. Lego s'est jusqu'à maintenant opposée avec succès à pareille concurrence en affirmant que les briques des concurrents qui sont compatibles avec ses propres briques portent atteinte à ses droits de propriété intellectuelle. Dans la présente instance, Lego fonde son monopole sur le droit d'auteur revendiqué non pour les briques, mais pour des dessins techniques banals manquant d'originalité. En protégeant les droits d'auteur pour de nouvelles périodes à l'égard de chaque modification mineure de la forme d'une brique qui figure dans pareil dessin, Lego cherche effectivement a obtenir un monopole perpétuel. Dans le jugement Re Coca-Cola Co., [1986] 1 W.L.R. 659, 697, la Chambre des lords a attiré l'attention sur la pratique peu souhaitable qui consiste à chercher à étendre les limites des droits de propriété intellectuelle au-delà des fins auxquelles ils ont été créés afin d'obtenir un monopole non intentionnel injustifié. La présente instance constitue un autre exemple de cette pratique déplorable.

De même, l'affaire Interlego AG's Trade Mark Applications, [1998] R.P.C. 69, à la page 110, se rapportait à une demande qu'Interlego AG avait présentée en vertu de la Trade Marks Act, 1938 en vue de faire enregistrer quatre marques de commerce concernant l'agencement de saillies et de cylindres creux se trouvant sur des briques de jeux de construction. Le registraire avait rejeté les demandes; Monsieur le juge Neuberger, de la Haute cour de justice, Division de la chancellerie, avait rejeté l'appel en concluant que les briques étaient fonctionnelles, qu'elles avaient bénéficié de la protection fournie par un brevet entre 1959 et 1975 et que, depuis, 1975, LEGO avait pour ainsi dire détenu un monopole de fait jusqu'au moment où elle avait demandé l'enregistrement des marques de commerce. Voici ce que le juge a dit à la page 110 :

[traduction] Eu égard aux circonstances dans leur ensemble, il me semble [...] qu'Interlego ne cherche pas tant à protéger une marque à l'égard d'un article de commerce, qu'à protéger l'article de commerce en tant que tel. En d'autres termes, elle ne cherche pas tant à obtenir un monopole permanent à l'égard de sa marque qu'à obtenir un monopole permanent à l'égard de ses briques. Cela est, en général du moins, contraire aux principes; de plus, il s'agit d'une pratique déplorable. Somme toute, une marque de commerce est une marque qui vise à permettre au public de désigner la source ou l'origine de l'article sur lequel la marque est apposée. La législation en matière de marques de commerce ne vise pas à permettre au fabricant de l'article de détenir un monopole sur l'article lui-même. En l'espèce, aucune raison spéciale ne permet de conclure que l'approche générale ne devrait pas s'appliquer. Au contraire, l'aspect fonctionnel des saillies et des cylindres creux et l'étendue du monopole en ce qui concerne les briques de jeux de construction qu'Interlego pourrait établir si l'appel était accueilli constituent des facteurs convaincants justifiant la décision du registraire.


[91]            Dans l'affaire Interlego A.G. c. Alex Folley (VIC) Pty Ltd., [1987] F.S.R. 283, la demanderesse LEGO affirmait être titulaire du droit d'auteur afférent à divers dessins de briques. Auparavant, LEGO avait obtenu un brevet (depuis lors expiré) à l'égard de la façon dont les briques s'emboîtaient. Le brevet protégeait LEGO pour une période de 20 ans. Lorsque le brevet a expiré, afin de continuer à posséder les droits liés au monopole, LEGO a fait enregistrer des dessins en vertu de la Registered Design Act, 1949. Pour faire enregistrer un dessin, LEGO devait alléguer, comme elle l'a fait, que son dessin n'était pas uniquement fonctionnel. Ce dessin enregistré conférait à LEGO une protection additionnelle pour une période de 15 ans. Une fois la période supplémentaire de 15 ans expirée, LEGO avait voulu prolonger la durée de son monopole. Pour ce faire, elle a tenté de faire enregistrer un droit d'auteur sur ses dessins, ce qui l'aurait protégée pour une période additionnelle de 50 ans, de sorte qu'elle aurait bénéficié d'une protection pendant 85 ans en tout. Or, la Copyright Act britannique de l'époque prévoyait que si un dessin était enregistré en vertu de la Registered Design Act, le droit d'auteur afférent à l'ouvrage en cause ne pouvait pas être violé. La solution adoptée par LEGO consistait à soutenir que son dessin enregistré, à l'égard duquel elle avait déjà obtenu une protection pour une période de 15 ans, avait toujours été invalide, de sorte qu'elle avait le droit d'être protégée au moyen d'un droit d'auteur. Comme on peut s'y attendre, cet argument n'a pas impressionné le juge du procès. Pendant l'instruction, le juge a fait les remarques suivantes :

[traduction] Je dois dire qu'à mon avis votre preuve laisse énormément à désirer. Telle est votre situation. Au départ, vous bénéficiez d'un bon monopole grâce à votre brevet; or, ce monopole ayant pris fin, vous avez ensuite protégé vos intérêts en faisant enregistrer des dessins; à l'expiration de la durée de protection offerte pour ces dessins, vous vous êtes dit : « Nous avons une idée brillante, cela n'avait pas de sens et nous pouvons maintenant bénéficier d'une autre période de 50 ans. » Je dois dire qu'à mon avis, cette approche est loin de me plaire.

Dans son jugement, le juge a dit ce qui suit à la page 287 :


[traduction] En l'espèce, il s'agit en réalité de savoir si les dessins se rapportant aux éléments pouvaient en totalité ou en partie être enregistrés. Étant donné que les dessins (dont certains sont maintenant expirés) se rapportant à certains des articles en cause étaient enregistrés, il est compréhensible que le fait que les demanderesses affirment maintenant qu'en ce qui concerne ces dessins, elles n'ont jamais eu le droit d'être protégées au moyen de l'enregistrement et qu'elles ont donc droit à la pleine protection offerte par les droits d'auteur prévus par la Copyright Act 1956, telle qu'elle a été modifiée en 1968 mécontente légèrement les défenderesses. [non souligné dans l'original]

[92]            Il importe de noter les remarques que J. Philips a faites dans An Empire Built of Brick : A Brief Appraisal, [1987] 12 E.I.P.R. 363, à la page 366 :

[traduction] Maintenant que les brevets initiaux de Lego sont expirés et que, dans un certain nombre de ressorts, la protection accordée par le dessin ou le droit d'auteur est inexistante ou ne peut pas être utilisée, Lego constatera qu'il est de plus en plus difficile, et en fin de compte impossible, d'empêcher des concurrents de fabriquer des briques similaires comportant des systèmes d'emboîtement similaires [...] les droits afférents aux briques elles-mêmes sont tous trop éphémères.


[93]            Par conséquent, les appelantes n'ont d'une façon générale pas réussi à présenter une preuve à l'appui de leur position, à savoir que la doctrine que la fonctionnalité ne s'applique pas aux marques de commerce non déposées ou que la fonctionnalité a été abolie par l'article 13 de la Loi sur les marques de commerce. Je dois donc conclure que la doctrine de la fonctionnalité s'applique en l'espèce et que la marque figurative LEGO en question est invalide en tant que « marque de commerce » parce qu'elle est principalement fonctionnelle. Le fait que les brevets des appelantes ressemblent énormément à la marque figurative LEGO étaye l'idée selon laquelle la marque qui est revendiquée est fonctionnelle et qu'elle est peut-être simplement revendiquée afin de prolonger la durée du monopole lié au brevet que les appelantes détenaient à un moment donné. Les appelantes ont détenu ce monopole pendant plus de 50 ans et, à mon avis, la présente action ne constituait qu'une autre tentative visant à étendre la protection accordée par le brevet sous la forme d'une marque de commerce. Par conséquent, s'il doit exister des faits pour justifier l'application de la politique sous-tendant la doctrine de la fonctionnalité, ces faits sont certes présents en l'espèce.

[94]            Puisque la question de la doctrine de la fonctionnalité est déterminante, je n'ai pas à faire de remarques au sujet du reste de la décision rendue en première instance.

[95]            L'appel devrait être rejeté avec dépens.

                                                                                                « J. Edgar Sexton »             

                                                                                                                          Juge                           

« Je souscris aux présents motifs.

    Marshall Rothstein, juge »

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

                          MOTIFS DISSIDENTS DE JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER


[96]            J'ai eu l'avantage de lire les minutieux motifs de mon collègue, Monsieur le juge Sexton, auxquels, avec égards, je ne souscris pas. Je me rends bien compte que la législation en matière de marques de commerce est utilisée en vue de prolonger la durée des monopoles accordés par les brevets, mais cet appel soulève un problème également important. Les appelantes ont intenté une action en commercialisation trompeuse, c'est-à-dire qu'elles ont allégué que l'intimée trompe le public en employant leur signe distinctif. Le juge de première instance a conclu qu'il existait de la confusion dans l'esprit du public et que la confusion découlait de l'emploi de la marque figurative LEGO. Il s'agit ici de savoir si les questions se rapportant à la prolongation des droits liés à un monopole au moyen de la législation en matière de marques de commerce justifient le refus d'accorder une réparation lorsque le vendeur emploie le signe distinctif d'une autre personne, signe qui comporte des éléments fonctionnels, en vue de faire passer ses marchandises pour celles de l'autre personne.

[97]            Je ne puis souscrire à l'avis selon lequel le signe distinctif des appelantes, qui est principalement fonctionnel, ne peut pas constituer une marque de commerce susceptible d'étayer une action en commercialisation trompeuse fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi).

[98]            La présence d'une marque de commerce est essentielle dans une action fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi; en effet, le Parlement peut légiférer à l'égard de la commercialisation trompeuse uniquement dans le cadre de la compétence qui lui est dévolue en matière de marques de commerce (voir Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd. (1987), 14 C.P.R. (3rd) 314, aux pages 327 et 328). Par conséquent, dans une action en commercialisation trompeuse fondée sur l'alinéa 7b), le demandeur doit être en mesure de démontrer que la fausse déclaration qui est au coeur de la commercialisation trompeuse comporte l'emploi de sa marque de commerce.


[99]            Ni l'une ni l'autre partie ne conteste la chose. La principale question sur laquelle les parties ne s'entendent pas est de savoir si la marque figurative Lego qui, selon les appelantes, constitue un signe distinctif, peut constituer une marque de commerce étant donné ses particularités fonctionnelles. Aux fins de mon analyse, je conviens que la marque figurative Lego est fonctionnelle, et de fait principalement fonctionnelle. Toutefois, je ne souscris pas à l'avis selon lequel, pour cette seule raison, elle ne peut pas constituer une marque de commerce.

[100]        Le principal argument des appelantes, à savoir que la marque figurative Lego constitue une marque de commerce même si elle est fonctionnelle, est intimement lié à un autre argument : le propriétaire d'une marque de commerce non déposée n'a pas droit à l'emploi exclusif de cette marque. Les appelantes affirment qu'étant donné que l'emploi exclusif peut uniquement être obtenu par enregistrement, elles ne peuvent pas insister pour que l'intimée cesse d'employer la marque figurative Lego; elles peuvent uniquement insister pour que l'intimée prenne des mesures afin de s'assurer que son emploi de la marque figurative Lego n'amène pas les consommateurs à croire que ses marchandises sont celles des appelantes. Étant donné que la force de cet argument relatif à l'inapplicabilité de la doctrine de la fonctionnalité aux marques de commerce non déposées découle en bonne partie de cette proposition, il vaut la peine de l'examiner dès le début.

[101]        L'article 19 de la Loi confère au propriétaire d'une marque de commerce déposée le droit exclusif d'employer cette marque :



19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.


[102]        La nature du droit d'emploi exclusif conféré par l'enregistrement est énoncée dans le passage suivant de Harold G. Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd. (Toronto : Carswell, 1972), aux pages 323 et 324 :

[traduction] L'action en violation doit donc être distinguée de l'action en commercialisation trompeuse. Une action en violation est fondée sur le droit exclusif d'employer une marque de commerce accordé par la loi au propriétaire inscrit et afin d'avoir gain de cause, le demandeur doit démontrer que le défendeur emploie cette marque ou une marque de commerce créant de la confusion. Le droit législatif se rapportant à la violation diffère à certains égards du droit applicable à la commercialisation trompeuse : en premier lieu, il se rapporte uniquement à une méthode de commercialisation trompeuse, à savoir l'emploi d'une marque de commerce déposée; deuxièmement, la protection accordée par la loi est absolue en ce sens qu'une fois qu'il est clairement démontré qu'une marque viole la loi, celui qui l'emploie ne saurait y échapper en établissant qu'il a distingué ses marchandises de celles du propriétaire inscrit au moyen d'une chose autre que la marque elle-même.


[103]        Le fait que l'article 19 de la Loi confère au propriétaire d'une marque de commerce déposée le droit à l'emploi exclusif de cette marque ne veut pas nécessairement dire que le titulaire d'une marque de commerce non déposée ne dispose d'aucun recours à l'égard de l'emploi de sa marque de commerce par une autre personne. Je souscris à la position prise par le juge Sexton, à savoir que même le propriétaire d'une marque de commerce non déposée pourrait empêcher une autre personne d'employer sa marque, mais je ferais certaines réserves. Une action visant l'exercice de droits se rapportant à une marque de commerce non déposée était essentiellement une action en commercialisation trompeuse. Par conséquent, un défendeur pouvait éviter toute responsabilité en démontrant que, même s'il avait employé la marque des demandeurs, il avait joint à la marque d'autres éléments permettant aux consommateurs de savoir que les marchandises ne provenaient pas du propriétaire de la marque. Si cette plaidoirie était retenue, le propriétaire de la marque non déposée ne disposait d'aucun recours et ne pouvait pas empêcher l'autre personne d'employer sa marque puisque cela équivalait à prouver l'absence de confusion. La modification effectuée par la Loi était que le propriétaire de la marque déposée pouvait empêcher l'emploi de sa marque par une autre personne, et ce, malgré l'utilisation d'éléments additionnels visant à indiquer la provenance véritable des marchandises. Ce droit absolu d'empêcher l'emploi de la marque par une autre personne en tant qu'indication de l'origine est ce que l'on entend par le monopole accordé par l'enregistrement. Ce droit s'oppose au droit restreint du propriétaire d'une marque non déposée d'empêcher l'emploi de sa marque par une autre personne.


[104]        Un arrêt anglais, Singer Manufacturing Company c. Loog (1881), 18 Ch. D. 395 (C.A.) confirmé (1882), 8 App. Cas. 15 (C.L.) illustre la chose. Singer, un fabricant américain de machines à coudre, avait intenté une action en commercialisation trompeuse contre Loog, un agent qui vendait en gros des machines à coudre. Dans une circulaire, Loog décrivait son stock comme étant constitué des [traduction] « systèmes améliorés Wheeler-Wilson et Singer, fabriqués par la Sewing Machine Manufacturing Company, autrefois Frister & Rossman, Berlin » (les italiques figuraient dans l'original). La circulaire renfermait d'autres mentions des systèmes Wheeler-Wilson et Singer. Loog remettait également aux détaillants qui en faisaient la demande une liste de prix de la Sewing Machine Manufacturing Company (autrefois Frister & Rossman Limited, 128 London Wall, London E.C.). Dans cette liste de prix, il était fait mention du « système amélioré Wheeler-Wilson » et du « système amélioré Singer » . Les machines Singer elles-mêmes étaient accompagnées d'un document dont la page titre se lisait comme suit : [traduction] « Instructions relatives à l'utilisation de la machine à coudre à navette Frister & Rossman dans le système amélioré de Singer. » Dans les instructions elles-mêmes, il n'était pas fait mention de Singer, mais ces instructions étaient intitulées [traduction] « Instructions relatives à l'utilisation de la machine à navette familiale dans le système Singer » . Enfin, selon la preuve, un détective qui avait acheté une machine du « système Singer » pour le compte de la demanderesse avait reçu une facture intitulée [traduction] « Herman Loog, pour le compte de Sewing Machine Manufacturing Company, autrefois Frister & Rossman, Limited » . La facture particulière indiquait la vente d'une machine désignée comme étant [traduction] « la machine à pédale Singer » .


[105]        Loog avait également apposé sur certaines de ses machines une plaque en cuivre [traduction] « sur laquelle figuraient, au centre, les mots "F. & R. 128 London Wall, London" qui étaient les mots bien mis en évidence, et autour de ces mots, en caractères plus petits, les mots "Frister & Rossman's Singer Machine" en caractères d'une taille uniforme reliés ensemble par les mots "German" et « manufacturer » en caractères plus petits » (C.L., à la page 35). Au début du litige, Loog s'était engagé à cesser de faire mention du mot « Singer » sur ces plaques et avait consenti à une injonction lui interdisant d'employer ce mot dans l'avenir. Par conséquent, le seul point litigieux se rapportait à l'emploi du nom de Singer dans sa documentation. Devant la Division de la chancellerie, le vice-chancelier Bacon a accordé à Singer une injonction interdisant l'utilisation de la plaque en cuivre ainsi que l'emploi du mot « Singer » dans les documents du défendeur. Loog a interjeté appel devant la Cour d'appel, où il a eu gain de cause, et Singer a ensuite poursuivi l'affaire devant la Chambre des lords.

[106]        En Cour d'appel, lord James a brièvement énoncé son avis au sujet du droit, tel qu'il s'appliquait à ce moment-là :

[traduction] [...] J'ai souvent tenté de dire ce que je vais maintenant dire (et j'ai probablement employé les mêmes mots, étant donné qu'il est fort difficile de trouver d'autres mots pour le dire) - à savoir qu'il est interdit à quiconque de faire passer ses marchandises pour celles d'une autre personne et qu'il est interdit à quiconque d'utiliser une marque, un signe ou un symbole, un dispositif ou un autre moyen qui, sans constituer une fausse déclaration faite directement à un acheteur, permet à ce dernier de mentir ou de faire une fausse déclaration à quelqu'un d'autre qui est le client ultime. Cela étant, puisqu'il s'agit selon moi d'un énoncé exhaustif du droit pour ce qui est de la question de la marque de commerce ou de la désignation commerciale, j'estime qu'il n'existe rien qui constitue un monopole ou un bien de la nature d'un droit d'auteur, ou de la nature d'un brevet, dans l'emploi d'un nom. Quel que soit le nom qui est employé pour désigner les marchandises, ce nom peut être employé par n'importe qui pour désigner les marchandises, à condition que, comme je l'ai affirmé, une personne ne déclare pas faussement, directement ou par l'intermédiaire d'autrui, que ses marchandises sont celles d'une autre personne. Tel est selon moi le droit. [non souligné dans l'original]

(Singer Manufacturing Company, précité, (C.A.), aux pages 412 et 413)

[107]        Lord James a ensuite examiné la documentation de Loog et a conclu que les clients ne seraient pas amenés à croire, par suite de l'emploi du mot « Singer » , qu'ils achetaient une machine fabriquée par cette société. Lord Cotton et lord Lush souscrivaient à l'avis de lord James et l'appel a donc été accueilli. Singer a interjeté appel devant la Chambre des lords.

[108]        Lord Selborne a minutieusement examiné la preuve; il a conclu qu'à part la plaque en cuivre, les clients n'étaient pas induits en erreur par l'emploi par Loog du mot « Singer » à l'égard de ses machines. Il a ensuite examiné l'argument qui est ici plus pertinent :


[traduction] L'avocat des appelantes a en dernier soutenu que les demanderesses, en exploitant leur entreprise sous le nom de M. Singer et en employant la marque de commerce de celui-ci, avaient acquis sur ce nom un droit de propriété leur permettant d'empêcher un concurrent de l'introduire dans ses listes de prix, dans ses circulaires ou dans ses annonces, même d'une façon qui pourrait exclure toute possibilité que l'on croie qu'il déclare, directement ou indirectement, que les marchandises qu'il vend ont été fabriquées par les demanderesses ou que son commerce ou son entreprise est identique ou relié au commerce ou à l'entreprise des demanderesses. Aucun jugement faisant autorité n'a été mentionné à l'appui de cet argument; à mon avis, cet argument ne peut absolument pas être maintenu. La réputation acquise par des machines d'une forme ou construction particulière est une chose; la réputation des demanderesses, en leur qualité de fabricants, est autre chose. Si le défendeur n'a pas le droit, sous le couvert de l'une de se prévaloir de l'autre, les demanderesses n'ont pas non plus le droit, sous le couvert de leur réputation, de revendiquer (en fait) un monopole à l'égard de la réputation de leurs machines. Si le défendeur a le droit (et il n'est pas nié qu'il l'a) de fabriquer et de vendre, en concurrence avec les demanderesses, des articles semblables quant à la forme et à la construction à ceux qui sont fabriqués et vendus par les demanderesses, il doit également avoir le droit de dire qu'il le fait et d'employer à cette fin la terminologie commune à ce genre de commerce, à condition toutefois qu'il le fasse d'une façon équitable, distincte et non équivoque.

(Singer Manufacturing Company, précité, (C.L.), aux pages 26 et 27).

[109]        Aux pages 29 et 30, lord Blackburn a également exprimé son avis au sujet du droit applicable aux marques de commerce :

[traduction] Le fondement initial du droit dans son ensemble est le suivant : lorsqu'une personne qui sait que des marchandises ne sont pas fabriquées par un commerçant particulier vend ces marchandises comme étant celles de ce commerçant ou en faisant passer ces marchandises pour les marchandises de ce commerçant, elle cause préjudice à ce commerçant. [...]

Il est possible de faire passer des marchandises pour celles de la demanderesse de diverses façons. La façon la plus habituelle consiste à apposer une marque particulière sur les marchandises ou sur les emballages dans lesquels ces marchandises sont vendues pour indiquer que les marchandises sont fabriquées par une entreprise particulière au point que l'on croit, sur le marché, qu'il en est ainsi. Le droit applicable à ces marques de commerce est maintenant réglementé par des lois, mais avant que des dispositions législatives aient été édictées en la matière, il était bien établi que lorsqu'une personne adoptait un marque qui ressemblait tellement à la marque de commerce de la demanderesse qu'elle serait probablement prise pour cette marque, et qu'elle apposait cette marque sur ses marchandises et vendait ses marchandises en sachant que, même si les personnes à qui elle vendait les marchandises savaient fort bien que les marchandises en question n'étaient pas fabriquées par la demanderesse, mais que les marchandises étaient destinées à être vendues à d'autres personnes qui ne verraient que la marque de commerce et qui seraient probablement induites en erreur du fait que ces marchandises ressemblent à celle de la demanderesse, il pourrait à juste titre être conclu qu'elle a sciemment et frauduleusement vendu les marchandises comme étant celles de la demanderesse et en les faisant passer pour celles de la demanderesse : (renvoi omis)


[110]        Plus loin dans ses motifs, aux pages 37 et 38, lord Blackburn a fait les remarques suivantes au sujet de l'emploi par un commerçant du nom d'un autre :

[traduction] Cependant, il a été soutenu que les demanderesses avaient droit à une injonction visant à empêcher de quelque façon que ce soit l'utilisation de leur nom à l'égard d'articles tels que ceux qu'elles vendent. Il n'a pas été nié que quelqu'un peut en toute liberté fabriquer et vendre des machines sur tous points identiques à celles qui sont fabriquées par les demanderesses, qu'il peut dire que les marchandises qu'il a fabriquées et vendues sont identiques quant à la forme et à la construction à celles qui sont fabriquées par les demanderesses, et qu'il peut alléguer que les matériaux employés sont meilleurs que ceux qui sont utilisés par les demanderesses, qu'ils sont assemblés d'une façon plus habile et qu'ils coûtent moins cher, et ce, dans le but de faire concurrence aux demanderesses. Cependant, il a été affirmé que le nom de famille des demanderesses ne doit pas du tout être employé à pareilles fins. Or, aucun jugement faisant autorité n'a été mentionné à l'appui de cette thèse générale, et je ne crois pas qu'elle soit fondée sur de bons principes.

[111]        Aux pages 38 et 39 du recueil dans lequel figure le jugement rendu par la Chambre des lords, lord Watson a énoncé son avis au sujet du droit applicable :

[traduction] La conséquence, sur le plan juridique, est que la société appelante possède un droit, un droit exclusif, d'employer le nom « Singer » pour désigner les machines à coudre qu'elle fabrique et que personne n'a le droit d'employer le nom en question afin de faire passer ses marchandises pour les siennes ou, même si elle fait innocemment, d'employer de quelque façon le nom en question dans l'intention de tromper ou d'aider à tromper le public. Aucun des nombreux jugements faisant autorité que l'avocat de l'appelante a mentionnés ne reconnaît le droit exclusif d'un commerçant à un nom particulier au-delà de cette limite. Il n'existe aucun jugement faisant autorité et, à mon avis, aucun principe permettant de conférer au commerçant un droit plus étendu. S'il ne peut pas alléguer et prouver que le public est induit en erreur ou qu'il existe une probabilité raisonnable que le public soit induit en erreur, le commerçant n'a pas le droit d'intervenir lorsque d'autres personnes emploient le nom en question.


[112]        Le propriétaire d'une marque de commerce non déposée avait le droit de s'adresser aux tribunaux s'il pouvait démontrer que l'emploi par une autre personne de sa marque de commerce ou d'une marque similaire au point de créer de la confusion avait pour effet d'amener les membres du public à croire qu'ils achetaient ses marchandises. Le droit exclusif de la demanderesse ne visait pas l'emploi du nom, mais l'emploi du nom visant à démontrer que les marchandises provenaient d'elle. Si, comme lord Watson le dit, la demanderesse ne pouvait pas démontrer qu'il y avait tromperie ou qu'il existait une probabilité de tromperie, les tribunaux n'empêcheraient pas l'emploi du nom par une autre personne. Conformément à cette position, il était interdit à Loog d'employer le nom Singer sur la plaque en cuivre, ce qui selon les tribunaux était trompeur. Cependant, la Chambre des lords a refusé d'intervenir à l'égard des autres emplois du nom « Singer » qui, à son avis, n'étaient pas trompeurs ou ne créaient pas de confusion.

[113]        Étant donné que l'affaire Singer porte sur une marque de commerce, il faut lire avec prudence les remarques qui sont faites au sujet de la fabrication et de la vente d'une machine à coudre identique à celle de Singer lorsqu'il s'agit d'appliquer ce jugement à une affaire de signe distinctif. Le jugement Singer fait autorité en ce qui concerne les droits reconnus aux propriétaires de marques de commerce en common law. Ce jugement ne fait pas autorité à l'égard des signes distinctifs.

[114]        L'emploi du mot « violation » peut jeter de la confusion dans cette analyse. Les actions fondées sur la common law visant à protéger les droits du propriétaire d'une marque de commerce non déposée étaient souvent désignées comme étant des actions en violation. Ainsi :

[traduction] L'ancienne action en violation d'une marque de commerce en common law était uniquement fondée sur le fait que les tribunaux étaient tenus d'empêcher la fraude et la tromperie et la perte du caractère distinctif portait donc un coup fatal à cette action.

(In re Gramophone Company's Application, [1910] 2 Ch. 423, aux pages 436 et 437)


[115]        Au Canada, la Loi des marques de commerce et dessins de fabrique, S.R.C. 1906, ch. 71, interdisait l'introduction d'une action en violation sauf dans le cas de marques de commerce déposées :

20. Nul ne peut instituer des procédures pour empêcher les contraventions à une marque de commerce, à moins que cette marque de commerce ne soit enregistrée conformément à la présente loi.

[116]        Cette interdiction n'a pas été reprise dans la Loi actuelle, mais il reste que l'on estime qu'une action en violation est par définition limitée aux marques de commerce déposées :

[traduction] La violation constitue l'emploi non autorisé d'une marque de commerce déposée sur des marchandises du genre de celles à l'égard desquelles la marque est déposée. Ces droits sont ceux qui sont conférés par l'enregistrement de la marque de commerce, à savoir le droit exclusif à l'emploi de la marque de commerce partout au Canada à l'égard des marchandises ou services mentionnés dans l'enregistrement, sous réserve d'une décision.

(Hughes on Trade-Marks (Butterworths, Toronto), version électronique, communiqué 18, mars 2003, article 58)

[117]        Cela n'est important que dans la mesure où une action en violation est considérée comme une action visant à reconnaître un droit à l'emploi exclusif d'une marque de commerce, comme le prévoit l'article 20 de la Loi. Il y a encore des cas dans lesquels les parties allèguent la violation d'une marque de commerce non déposée (voir par exemple Thomas & Betts c. Panduit Corp. (1999), 4 C.P.R. (4th) 498). Cependant, même si l'on décrit une action relative à une marque de commerce non déposée comme étant une action en violation, cela ne change rien aux droits des parties quant au fond. Il est préférable de considérer ces affaires comme des affaires de commercialisation trompeuse (ainsi, dans l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, la Cour suprême a considéré l'affaire Singer, précitée, comme une affaire de commercialisation trompeuse).


[118]        Le rapport existant entre l'action en commercialisation trompeuse et les droits liés à un monopole est résumé dans Wadlow C., The Law of Passing-Off, 2e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1995), à la page 181 : [traduction] « L'action en commercialisation trompeuse ne confère pas de droits liés à un monopole. » Le professeur Wadlow mentionne les jugements Burberrys c. J.C. Cording & Co. Ltd. (1909), 26 RPC 693 et Payton & Co. c. Snelling, Lampard & Co., [1901] A.C. 308, à l'appui de la thèse selon laquelle [traduction] « la commercialisation trompeuse ne reconnaît aucun "droit exclusif" à un nom, à une marque ou à une présentation » (ibid., à la page 181).


[119]        Cette digression relative aux droits des propriétaires de marques de commerce non déposées résulte de l'allégation des appelantes selon laquelle le succès remporté dans l'action ne leur permettrait pas de revendiquer le droit exclusif à l'emploi de la marque figurative Lego. Elles auraient uniquement le droit de faire en sorte que la marque figurative Lego ne soit pas employée de façon à induire le public en erreur au sujet de l'origine des marchandises. Ce droit restreint des appelantes ne constitue pas un _ monopole perpétuel _ (la prolongation d'un monopole conféré par un brevet au moyen d'enregistrements successifs d'améliorations mineures ou, dans le présent contexte, la prolongation de droits liés à un brevet au moyen du recours au droit en matière de marques de commerce) comme il en est fait mention dans les motifs de mon collègue, le juge Sexton. Les droits des appelantes, qui sont loin d'être un droit à l'emploi exclusif, existent uniquement sur preuve que les consommateurs sont induits en erreur par l'emploi de la marque figurative Lego, les appelantes pouvant uniquement insister pour que la possibilité de confusion, en ce qui concerne l'origine des marchandises, soit éliminée par l'emploi d'autres éléments.

[120]        Le juge de première instance disposait de certains éléments de preuve montrant que la marque figurative Lego était employée de façon à ne pas créer de confusion au sujet de la source des marchandises. Selon la preuve présentée par M. Fred Goyer, Rokenbok, un concurrent de Lego, employait la marque figurative Lego dans son produit, mais il le faisait d'une façon qui n'amenait pas les consommateurs à croire qu'ils achetaient des produits Lego. Le juge de première instance a préféré la preuve présentée par d'autres témoins au sujet de la question de la confusion, mais, il a mentionné, sans faire de remarques défavorables, la preuve que M. Goyer avait soumise au sujet de l'emploi par Rokenbok de la marque figurative Lego (voir les paragraphes 141 et 142 de la décision du juge de première instance). Par conséquent, je suis convaincu que le titulaire d'une marque de commerce non déposée ne peut faire valoir aucun droit en vue d'empêcher d'autres personnes d'employer sa marque de commerce d'une façon qui ne crée pas de confusion, même si une protection lui est accordée à l'égard d'un emploi de sa marque de commerce ou de marques similaires qui crée de la confusion.


[121]        Cette conclusion n'est pas incompatible avec d'autres droits que les propriétaires de marques de commerce non déposées pourraient posséder. Ainsi, selon l'une des conditions d'invalidité de l'enregistrement d'une marque de commerce, l'auteur de la demande ne doit pas être la personne ayant droit à l'enregistrement de la marque de commerce (voir l'article 18 de la Loi). De même, une marque de commerce n'est pas enregistrable si, à la date du premier emploi par le demandeur, elle crée de la confusion avec « une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne » (voir l'article 16 de la Loi). En outre, une marque de commerce non déposée est néanmoins un bien à l'égard duquel il est possible de détenir des droits de propriété. Ces droits peuvent aller jusqu'à empêcher des enregistrements qui porteraient atteinte aux droits du propriétaire initial ou jusqu'à entraîner la radiation de pareils enregistrements.

[122]        J'examinerai maintenant l'argument relatif à la fonctionnalité, qui peut être résumé comme suit : ni la définition légale de la marque de commerce ni la définition existant en common law ne font obstacle aux marques de commerce qui sont principalement fonctionnelles. La doctrine de la fonctionnalité découle de la jurisprudence. Les décisions qui interdisent les marques de commerce fonctionnelles ont été rendues dans le contexte des marques de commerce déposées et visent à empêcher une personne de se prévaloir du droit en matière de marques de commerce en vue d'acquérir des droits liés au monopole à l'égard d'éléments fonctionnels. Étant donné qu'une personne acquiert des droits liés à un monopole uniquement par enregistrement, il n'est pas nécessaire d'appliquer aux marques de commerce non déposées le principe interdisant les monopoles. À mon avis, il n'y a rien dans la jurisprudence qui nous obligerait à tirer une conclusion contraire.

[123]        Les dispositions pertinentes de la Loi sont ci-après énoncées :



2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

« signe distinctif » Selon le cas :

2. In this Act,

"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

"distinguishing guise" means

a) façonnement de marchandises ou de leurs contenants;

b) mode d'envelopper ou empaqueter des marchandises, dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres.

(a) a shaping of wares or their containers, or

(b) a mode of wrapping or packaging wares the appearance of which is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others;

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres;

b) marque de certification;

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

[...]

"trade-mark" means

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

(b) a certification mark,

(c) a distinguishing guise, or

(d) a proposed trade-mark;

...


7. Nul ne peut :

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

c) [...]

[...]

7. No person shall

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

c) ...

...

13. (1) Un signe distinctif n'est enregistrable que si, à la fois :

a) le signe a été employé au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenu distinctif à la date de la production d'une demande d'enregistrement le concernant;

13. (1) A distinguishing guise is registrable only if

(a) it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration; and

b) l'emploi exclusif, par le requérant, de ce signe distinctif en liaison avec les marchandises ou services avec lesquels il a été employé n'a pas vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie.

(b) the exclusive use by the applicant of the distinguishing guise in association with the wares or services with which it has been used is not likely unreasonably to limit the development of any art or industry.

(2) Aucun enregistrement d'un signe distinctif ne gêne l'emploi de toute particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif.

[...]

(2) No registration of a distinguishing guise interferes with the use of any utilitarian feature embodied in the distinguishing guise.

...

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.



[124]        En vertu de la Loi, une marque de commerce est définie par l'intention de l'usager. Une marque de commerce est une marque employée « pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises [...] ou les services » d'un commerçant « des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres » ou qui a cet effet. Cette définition trouve son origine dans le Rapport de la Commission de révision de la Loi sur les marques de commerce au Secrétaire d'État du Canada (Edmond Cloutier, C.M.G., O.A., D.S., Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1953) (le rapport Fox ). Au début de ce rapport, il est fait mention de la définition de la marque de commerce qui était donnée dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, soit la loi qui s'appliquait avant la Loi actuelle :

[traduction] Les personnes qui ont rédigé l'alinéa 2c) de la Loi sur le commerce déloyale, 1932 voulaient sans aucun doute que, pour constituer une marque de commerce, un symbole soit distinctif et voulaient en outre que cette exigence ne présente pas vraiment de problème sérieux.

(Rapport Fox, précité, à la page 7)

[125]        La Commission a ensuite mentionné la jurisprudence portant sur le sens de la marque de commerce en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, et a résumé l'état du droit comme suit :

[traduction] [...] il a été décidé qu'au Canada, il faut refuser l'enregistrement d'un symbole qui n'est pas adapté à distinguer des produits en ce sens qu'il est en fait distinctif en plus d'être intrinsèquement adapté à distinguer des produits, ce symbole ne pouvant même pas être considéré comme une marque de commerce, et ce, à quelque fin que ce soit.

(Rapport Fox, précité, à la page 8)

[126]        Après avoir examiné la définition de la marque de commerce figurant dans le projet de loi, la Commission a fait les remarques suivantes :

[traduction] Cette définition éliminait les mots « adapté pour distinguer » , qui étaient contestables, mais selon la définition, il était essentiel que la marque distingue réellement les marchandises ou services de ceux des autres appartenant à la même catégorie générale; d'où un manque de souplesse qui, tout bien considéré, a été jugé peu souhaitable étant donné la grande variété de contextes dans lesquels il faut employer l'expression « marque de commerce » dans les diverses dispositions du projet de loi.

(Rapport Fox, précité, à la page 9)


[127]        Compte tenu de ces considérations, une définition différente de la marque de commerce a été proposée :

[traduction] Il a donc été décidé de ne pas assortir la définition de l'expression « marque de commerce » , dans la mesure du possible, d'exigences procédurales et de tenir avant tout compte de l'intention dans laquelle la marque est employée.

La définition suivante est proposée à l'alinéa 2t) du projet de la loi actuel :

« marque de commerce » signifie

(i) une marque qui est employée par une personne aux fins ou en vue de distinguer des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par elle, de marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par d'autres;

(ii) une marque de certification;

(iii) un signe distinctif;

(Rapport Fox, précité, à la page 10)

[128]        La recommandation de la Commission a été bien accueillie par le législateur; elle a été édictée et est encore de nos jours la définition de la marque de commerce. La Commission a décrit la portée de la définition comme suit :

[traduction] Il importe en particulier de noter qu'une marque est une marque de commerce si elle est employée aux fins ou en vue de distinguer des marchandises ou services. En général, il faut vérifier la chose en tenant compte de l'intention dans laquelle la marque est employée, mais les mots « ou en vue de distinguer » ont été insérés en vue de tenir compte des cas relativement rares dans lesquels un mot ou un dessin, qui a initialement été adopté à des fins ornementales ou à d'autres fins similaires, est par la suite considéré come un élément servant de signe d'identification.

(Rapport Fox, précité, à la page 10)

[129]        L'absence de toute restriction formelle dans la définition de la marque de commerce exigeait donc que la notion de caractère distinctif soit définie séparément :


[traduction]Puisque la définition de l'expression « marque de commerce » en question a été assouplie et élargie de la façon dont il en a ci-dessus été fait mention, il faut s'assurer que les droits et privilèges découlant de l'enregistrement visent uniquement des marques de commerce « distinctives » . D'où la nécessité de définir le mot « distinctive » tel qu'il figure à l'alinéa 2f) du projet de loi :

f) « distinctive » , par rapport à une marque de commerce, désigne une marque de commerce qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi

(Rapport Fox, précité, à la page 12)

[130]        Dans ce passage, on souligne que le caractère distinctif est maintenant une question à prendre en considération au moment de l'enregistrement. L'article 12 de la Loi, qui porte sur l'enregistrement, traite implicitement du caractère distinctif en faisant mention de la confusion, alors que l'article 18 de la Loi fait de l'absence de caractère distinctif un motif de radiation d'une marque de commerce. En l'espèce, la question qui se pose est celle de la fonctionnalité plutôt que celle du caractère distinctif, mais il reste que la définition de la marque de commerce est destinée à ne pas être assortie de conditions formelles, de sorte que la question de savoir si une chose est une marque de commerce dépend uniquement de la question de savoir si elle est employée pour distinguer les marchandises d'un commerçant de celles des autres, ou de la question de savoir si elle a pour effet de les distinguer.


[131]        La définition de la marque de commerce comprend un signe distinctif qui, de son côté, comprend un « façonnement de marchandises [...] dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer [...] _ les marchandises et services de cette personne de ceux des autres. Le signe distinctif n'a pas à être indépendant des marchandises, mais il peut se rapporter à l'apparence des marchandises elles-mêmes. Dans la définition actuelle du signe distinctif, il n'est pas fait mention de la fonctionnalité, mais la définition qui figurait dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, en faisait mention :

« signe distinctif » signifie une manière de conformer, mouler, envelopper ou empaqueter des produits entrant dans l'industrie ou le commerce, laquelle, par suite seulement de l'impression sensorielle qu'elle donne et indépendamment de tout élément d'utilité ou de convenance qu'elle peut avoir, est adoptée pour distinguer les produits ainsi traités d'autres produits similaires et est employée par une personne à l'égard de ses produits de manière à indiquer aux marchands et/ou usagers de produits similaires, que les produits ainsi traités ont été fabriqués ou vendus par elle.

[132]        Il est fait mention de la fonctionnalité (de l'utilité) dans cette définition, mais il n'en est pas ainsi dans la définition figurant dans la Loi. Le fondement de cette modification est examiné dans le rapport Fox. Après avoir conclu que les signes distinctifs devraient continuer à être admissibles à l'enregistrement, la Commission a proposé d'apporter des modifications aux modalités d'enregistrement :

[traduction] Toutefois, nous sommes arrivés à la conclusion selon laquelle, contrairement à ce qui est le cas en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, un signe distinctif ne devrait pas pouvoir être enregistré de la même façon qu'une marque de commerce ordinaire, mais devrait uniquement être enregistré si son caractère distinctif a été établi par son emploi au Canada et, de plus, uniquement si le registraire est convaincu que l'emploi exclusif qui en est fait après l'enregistrement n'a pas vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie. Nous avons également veillé à nous assurer que l'enregistrement d'un signe distinctif ne confère pas à l'inscrivant le droit d'empêcher d'autres personnes de se prévaloir de ses particularités utilitaires (paragraphe 13(2)) et que cet enregistrement soit radié par la Cour de l'Échiquier du Canada s'il risque de limiter d'une façon injustifiée le développement d'un art ou d'une industrie (paragraphe 13(3)).


[133]        Comme le caractère distinctif, la question de la fonctionnalité s'est posée à l'enregistrement. À mon avis, par suite de cette modification, il est difficile d'imaginer que la fonctionnalité empêche un signe distinctif d'avoir la qualité d'une marque de commerce, et ce, même si, à cause des dispositions relatives à l'enregistrement qui figurent à l'article 13 de la Loi, il est peut-être plus difficile d'en faire une marque de commerce déposée. Cependant, le paragraphe 13(2) de la Loi prévoit qu'aucun enregistrement d'un signe distinctif comportant des particularités utilitaires (fonctionnelles) ne gêne l'emploi d'une particularité utilitaire par d'autres personnes. Si la fonctionnalité avait nécessairement pour effet de rendre un signe distinctif non admissible à titre de marque de commerce, il est difficile de voir ce sur quoi pourrait porter le paragraphe 13(2) de la Loi.

[134]        Avant d'examiner la jurisprudence, j'aimerais parler du sens d'une expression qui revient souvent dans les décisions portant sur la fonctionnalité, à savoir la marque de commerce « valide _. Il y a une distinction à faire entre l'existence d'une marque de commerce, l'opposabilité de cette marque de commerce et son enregistrabilité. On trouve les remarques suivantes dans le document intitulé « On Trade-marks becoming Invalid » de David E. Clarke dans Trade-marks Law of Canada, Gordon F. Henderson, rédacteur en chef (Carswell, Toronto, 1993), aux pages 296 et 297 :

[traduction] Une marque de commerce « valide » au sens le plus large de ce terme est une marque de commerce qui a une force ou un effet légal et qui est « valide » , et ce, peu importe qu'elle soit déposée en vertu de la Loi ou qu'elle ne le soit pas, ou si elle n'est pas déposée, peu importe qu'elle existe simplement en common law. En d'autres termes, l'enregistrement d'une marque de commerce confirme et accroît simplement les droits légaux que possède le propriétaire sur la marque, mais il ne crée pas la marque de commerce; afin de pouvoir être déposée, une marque de commerce valide doit exister. Par conséquent, si l'on considère le sens du mot « invalide » tel qu'il est employé dans la Loi, il faut se rappeler qu'il s'agit de savoir si l'enregistrement est « invalide » .


[135]        Il est possible de constater, dans ce passage, la distinction entre l'existence d'une marque de commerce et son enregistrement. Cependant, l'auteur estime qu'une marque de commerce doit être opposable. Or, l'opposabilité est fonction du caractère distinctif : une marque de commerce peut à bon droit être protégée si son emploi par un autre a pour effet d'induire le public en erreur au sujet de la source des marchandises auxquelles elle est associée. Cependant, si une marque de commerce est définie par l'intention de la personne qui l'emploie, on pourrait avoir une marque de commerce qui est destinée à distinguer les marchandises d'un commerçant, mais qui en fait ne les distingue pas. Cela donnerait lieu à une marque de commerce non opposable. Lorsque l'auteur dit qu'une marque de commerce valide doit exister avant l'enregistrement, il parle d'une marque de commerce distinctive, étant donné que seule une marque de commerce distinctive est admissible à l'enregistrement. Par conséquent, la mention, dans les décisions, d'une marque de commerce « valide » doit être considérée avec prudence. Dans la plupart des cas, la question se rapporte à l'enregistrement de la marque de commerce plutôt qu'à son existence en tant que marque de commerce.

[136]        Cette distinction se trouve également dans le passage suivant, qui figure aux pages 3 à 16 de Fox, The Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, précité :

[traduction] En examinant la définition d'une marque de commerce, il faut faire une distinction claire entre une marque de commerce et une marque de commerce susceptible d'être protégée ou déposée. En common law, les tribunaux voulaient non pas définir ce qui constituait une marque de commerce simpliciter mais ce qui constituait le type de marque de commerce qui pourrait à bon droit être protégé par les tribunaux. En vertu des lois, les tribunaux voulaient déterminer si un mot ou dispositif donné était visé par la définition de l'expression « marque de commerce » donnée par la loi pertinente. Toute les lois dont il est ici question traitaient de l'enregistrement et il s'agissait donc de déterminer ce qui était conforme à la définition légale des marques de commerce qui étaient enregistrables et pouvaient donc être protégées. C'est pourquoi un grand nombre de décisions renferment des énoncés généraux selon lesquels une marque ne peut pas constituer une marque de commerce à moins d'être distinctive. Ces énoncés étaient clairement erronés dans la mesure où ils s'appliquaient aux marques de commerce indépendamment de l'enregistrement ou de la possibilité d'être protégées.


[137]        Ceci dit, j'examinerai maintenant les jugements faisant autorité. Le jugement qui a fait jurisprudence au Canada est le jugement Imperial Tobacco Co. c. Registrar of Trade-Marks, [1939] 2 D.L.R. 65 (C. de l'É.). Dans cette affaire-là, Imperial Tobacco tentait de faire enregistrer comme marque de commerce [traduction] « un emballage extérieur transparent comportant une bande de couleur entourant le paquet » à l'égard de paquets de cigarettes. La bande de couleur servait à enlever l'emballage. Ce dispositif, un emballage et un ruban de déchirage, avait fait l'objet de deux brevets qui avaient été jugés invalides. Le registraire a refusé l'enregistrement pour les motifs suivants :

[traduction] Le registraire a refusé l'enregistrement de la marque pour le motif que la bande de couleur servait à indiquer l'emplacement du ruban de déchirage, facilitant ainsi l'ouverture de l'emballage, et qu'un tel emballage comportant un ruban ou une bande de couleur utilisé par d'autres fabricants ne désignerait pas les marchandises emballées comme étant celles de la requérante.

[non souligné dans l'original]

(Imperial Tobacco, précité, à la page 66)

[138]        Le juge Maclean, qui avait entendu l'appel interjeté contre la décision du registraire, a décrit les deux brevets qui avaient été jugés invalides et a ensuite fait les remarques suivantes au sujet de la demande visant l'octroi d'une marque de commerce :

[traduction] [...] Il me semble que la marque de commerce visée par la demande était destinée à remplacer les brevets mentionnés s'il était conclu qu'ils étaient invalides, comme il l'a été. À mon avis, une combinaison d'éléments qui sont essentiellement destinés à remplir une fonction, soit dans ce cas-ci un emballage transparent à l'épreuve de l'humidité et une bande permettant d'ouvrir l'emballage, ne saurait faire l'objet d'une marque de commerce, et permettre le contraire donnerait lieu à de graves abus.

(Imperial Tobacco, précité, à la page 67)


[139]        Il faut interpréter cette remarque à la lumière de la preuve dont disposait le juge, à savoir qu'il y avait à ce moment-là [traduction] « de nombreuses marques de cigarettes ayant un emballage en cellophane comportant une bande de couleur » (Imperial Tobacco, précité, à la page 68). Selon la preuve, les acheteurs de cigarettes [traduction] « demand[aient] toujours une marque précise et ne f[aisaient] jamais mention de l'emballage extérieur du paquet » (ibid, à la page 68). Il a déjà été noté que l'emballage en cellophane comportant le ruban de couleur ne distinguait pas les marchandises de l'appelante de celles des autres. L'enregistrement aurait eu pour effet de permettre à Imperial Tobacco d'intenter des actions en violation contre tous les autres fabricants de tabac en vue de les empêcher d'employer des emballages en cellophane comportant un ruban de déchirage de couleur, soit quelque chose qu'ils faisaient déjà légalement. Tel est l'abus auquel songeait le juge Maclean. Par conséquent, les remarques que le juge a faites au sujet de l' « objet d'une marque de commerce » doivent être interprétées dans le contexte de l'enregistrement d'une prétendue marque qui ne distinguait pas les marchandises d'un commerçant de celles d'un autre et dont l'enregistrement permettrait à un fabricant de revendiquer un monopole à l'égard d'une particularité utilitaire largement utilisée à ce moment-là.

[140]        La question s'est ensuite posée dans l'affaire Parke Davis & Co. c. Empire Laboratories Ltd. (1963), 41 C.P.R. 121 (C. de l'É.) confirmé [1964] R.C.S. 351 (Parke Davis). Parke Davis avait obtenu l'enregistrement de dix marques de commerce dont chacune était décrite comme suit, la seule variante se rapportant à la couleur de la bande :

[traduction] La marque dont l'enregistrement est demandé est un dessin de marque, dont cinq représentations exactes et complètes sont jointes, les principales particularités devant être enregistrées, étant de l'avis de la demanderesse, une bande blanche appliquée à peu près au milieu de la capsule et entourant cette capsule.

(Parke Davis, précité, à la page 125)


[141]        Parke Davis avait engagé des poursuites en violation et en commercialisation trompeuse contre la défenderesse, qui vendait un médicament dans une capsule dont le centre était entouré d'une bande verte. La preuve dont disposait la Cour de l'Échiquier était que Parke Davis n'associait pas d'une façon uniforme une bande de couleur particulière à un produit particulier. Tous ses produits portaient des noms sous lesquels ils étaient commercialisés et qui étaient enregistrés en tant que marques de commerce à l'égard d'un médicament précis. En outre, selon la preuve, le ruban était une bande en gélatine de couleur qui scellait en fait la capsule renfermant le médicament qui était vendu. Parke Davis avait également fait enregistrer la marque de commerce « Kapseals » à l'égard de capsules entourées d'une bande de couleur (et scellées). Cet emploi d'une bande de gélatine pour sceller des médicaments en capsules faisait l'objet d'un brevet expiré.

[142]        Le juge Noël a résumé comme suit la contestation par la défenderesse des marques de commerce de la demanderesse :

[traduction] Le reste de la contestation de la défenderesse se rapporte à la validité des marques de commerce de la demanderesse; quatre arguments, qui peuvent être résumés comme suit, sont invoqués : (1) les marques de commerce de la demanderesse sont des signes distinctifs qui ne peuvent constituer une marque de commerce et sont uniquement définis par la couleur; (2) elles remplissent des fonctions et ne peuvent donc pas faire l'objet d'une distinction; (3) elles font en réalité l'objet d'un brevet américain expiré; et (4) l'enregistrement de dix couleurs différentes constitue un monopole.

(Parke Davis, précité, à la page 132)


[143]        Le juge a statué sur la première objection en disant que la marque de commerce n'était pas uniquement composée de couleurs, mais d'une bande ou d'un ruban de couleur qui, grâce à l'usage, était peut-être désormais reconnu comme étant la marque de la demanderesse. Il a ensuite examiné la question de la fonctionnalité à la lumière de la fonction de scellement des bandes et a conclu que les marques de commerce déposées de la demanderesse avaient pour effet de constituer un monopole sur les capsules scellées par des bandes de couleur, ce qui l'a amené à conclure que les marques de commerce étaient invalides. En arrivant à cette conclusion, le juge Noël a mentionné la décision qui avait été rendue dans l'affaire Imperial Tobacco, précitée, et les remarques incidentes selon lesquelles les marques en question ne [traduction] « sauraient faire l'objet d'une marque de commerce » , soit un point sur lequel je reviendrai bientôt ci-dessous.

[144]        Le juge a ensuite examiné l'action en commercialisation trompeuse. En se fondant sur la preuve, il a conclu que les marques de commerce de la demanderesse n'avaient pas pour effet de distinguer ses marchandises de celles des autres commerçants :

[traduction] J'en suis venu à la conclusion que la demanderesse n'a pas réussi à s'acquitter de l'obligation d'établir que ces marques de commerce distinguent ses marchandises ou indiquent leur origine commune. Je suis également d'avis que la demanderesse n'a pas établi que la présentation même de ses produits est maintenant associée avec elle dans l'esprit du consommateur ou de l'acheteur, et la preuve n'établit pas que les pharmaciens, les médecins ou le public qui consomme ses produits considéraient que ces marques les distinguaient de tous les autres.

(Parke Davis, précité, à la page 148)

[145]        Vient ensuite le paragraphe suivant sur lequel l'intimée se fonde :

[traduction] J'ai conclu que les dix marques de commerce déposées de la demanderesse telles qu'elle les utilise dans son commerce et telles qu'elles sont illustrées par les produits de la demanderesse qui ont été soumis en preuve ne sont pas, à vrai dire, des marques de commerce au sens de la loi et qu'elles n'étaient pas des marques de commerce au moment de l'enregistrement.


Ces marques ont donc été déposées sans cause suffisante et l'enregistrement devrait être radié.

[non souligné dans l'original]

(Parke Davis, précité, à la page 148)

[146]        La remarque selon laquelle les marques de la demanderesse ne sont pas, à vrai dire, des marques de commerce au sens de la Loi doit être interprétée dans le contexte d'une demande visant à faire valoir une marque de commerce déposée lorsque la validité de l'enregistrement est remise en question. Quant à la mention du moment de l'enregistrement, il faut se reporter à la conclusion tirée par le juge Noël à la page 133, à savoir que la question de l'enregistrabilité des marques de commerce devait être tranchée en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, étant donné qu'il faut trancher les questions de validité de l'enregistrement en se référant à la date de l'enregistrement. Il importe de se rappeler que la définition de l'expression « marque de commerce » figurant dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 exigeait que la marque de commerce soit distinctive. Par conséquent, lorsque le juge Noël a conclu que les marques de commerce de la demanderesse n'étaient pas distinctives, il ne pouvait s'agir de marques de commerce au sens de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932. Ce passage ne fait pas autorité lorsqu'il s'agit de dire qu'une marque de commerce comportant des particularités fonctionnelles ne peut pas être une marque de commerce.


[147]        La décision du juge Noël a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada, qui l'a confirmée à [1964] R.C.S. 351. La Cour suprême a statué sur l'action en violation en se fondant sur la fonctionnalité :

[traduction] Il est à mon avis possible de statuer sur la validité des marques de commerce pour le motif que les bandes de couleur ont une utilisation ou caractéristique fonctionnelle et ne peuvent donc pas faire l'objet d'une marque de commerce.

Il semble être bien établi en droit que si ce que l'on veut faire enregistrer comme marque de commerce a une utilisation ou caractéristique fonctionnelle, cette chose ne peut pas faire l'objet d'une marque de commerce. Avec égards, je souscris à l'avis exprimé par le juge Maclean lorsqu'il a dit ce qui suit dans la décision Imperial Tobacco Co. of Canada, Ltd. c. Registrar of Trade Marks, [1939] 2 D.L.R. 65, à la page 67, [1939] R.C.É. 141, à la page 145 :

À mon avis, une combinaison d'éléments qui sont essentiellement destinés à remplir une fonction, soit dans ce cas-ci un emballage transparent à l'épreuve de l'humidité et une bande permettant d'ouvrir l'emballage, ne saurait faire l'objet d'une marque de commerce et permettre le contraire donnerait lieu à de graves abus.

(Parke Davis, précité, à la page 354 (C.S.C.))

[148]        La Cour suprême a ensuite examiné la demande fondée sur la commercialisation trompeuse et a souscrit à la conclusion du juge Noël selon laquelle le public n'associait pas encore les marques de commerce avec Parke Davis comme source des marchandises. Par suite de cette conclusion, l'action en commercialisation trompeuse ne pouvait être accueillie.


[149]        Il faut interpréter les remarques que Monsieur le juge Hall a faites au sujet de la validité d'une marque de commerce fonctionnelle à la lumière de la phrase suivante : [traduction] « Il semble être bien établi en droit que si ce que l'on veut faire enregistrer comme marque de commerce a une utilisation ou caractéristique fonctionnelle, cette chose ne peut pas faire l'objet d'une marque de commerce. » Si la fonctionnalité est intrinsèquement incompatible avec la notion de marque de commerce, il ne sert à rien de dire que l'on veut faire enregistrer la marque. D'autre part, pour donner effet à cette remarque, il faut interpréter les mots « ne peut faire l'objet d'une marque de commerce » comme signifiant « ne peut pas être enregistré comme marque de commerce » .

[150]        Selon la position prise par l'intimée dans cet appel, l'arrêt Parke Davis fait autorité lorsqu'il s'agit de dire que ce qui est principalement fonctionnel ne peut pas constituer une marque de commerce. Il faut concéder que les termes employés par le juge Hall permettent cette conclusion. Toutefois, cette remarque n'a pas été faite dans l'abstrait. La Cour suprême examinait une action en violation dans laquelle la question de la validité de l'enregistrement était soulevée comme moyen de défense. Pour que la défenderesse ait gain de cause, il n'était pas nécessaire de conclure que la marque de commerce était invalide. Il suffisait de conclure que l'enregistrement était invalide et pouvait faire l'objet d'une radiation. La radiation de l'enregistrement des marques de commerce de la demanderesse répond pleinement à la préoccupation que la Cour suprême a exprimée dans les paragraphes suivants au sujet de la prolongation de la durée du monopole accordé par un brevet. Dans ses motifs, la Cour suprême n'examine la définition d'une marque de commerce que dans le contexte de l'enregistrement. On peut souscrire à l'avis selon lequel le principe d'ordre public à l'encontre des monopoles donnerait à entendre que les éléments fonctionnels d'une marque de commerce ne peuvent pas faire l'objet d'un monopole, sans nécessairement souscrire à l'avis selon lequel la marque ou le signe ne constitue pas du tout une marque de commerce.


[151]        La question s'est de nouveau posée dans la décision Elgin Handles Ltd. c. Welland Vale Manufacturing Co. Ltd. (1964), 43 C.P.R. 20 (C. de l'É.), [1965] R.C.É. 3 (Elgin Handles), où la demanderesse avait réussi à faire enregistrer une marque de commerce décrite comme étant une [traduction] « accentuation par une couleur plus foncée du grain du bois de manches d'outils, obtenue par un durcissement à la chaleur » (à la page 22). Le président Jackett a accueilli la demande de radiation de l'enregistrement en se fondant sur la décision que la Cour suprême du Canada avait rendue dans l'affaire Parke Davis, précitée, en statuant que le durcissement à la chaleur est un procédé [traduction] « qui vise principalement à améliorer les manches en bois en tant qu'articles de commerce et a donc une utilisation ou caractéristique fonctionnelle » . Il a conclu que la modification de l'apparence du bois, qui est la conséquence normale du durcissement à la chaleur, ne saurait constituer une marque de commerce.


[152]        La décision Elgin Handles, précitée, est intéressante en ce sens qu'il n'a pas été allégué que le grain coloré du manche était intrinsèquement fonctionnel, comme c'est le cas pour la marque figurative Lego. La décision était fondée sur ce que le procédé par lequel la coloration était obtenue était fonctionnel et que le résultat de ce procédé ne pouvait donc pas faire l'objet d'une marque de commerce. (Il s'agit d'un élargissement important de la doctrine de la fonctionnalité à des caractéristiques qui ne sont pas intrinsèquement fonctionnelles, mais qui résultent d'un procédé fonctionnel). À mon avis, la jurisprudence sur laquelle le juge s'est fondé n'allait pas aussi loin. Il est clair que la Cour de l'Échiquier ne voulait pas accorder à Elgin Handles un monopole sur le durcissement à la chaleur en lui conférant le droit exclusif de se prévaloir du résultat obtenu grâce à ce procédé comme marque de commerce. Il est également clair que le procédé en soi ne pouvait pas faire l'objet d'une marque de commerce. La seule question que l'on pourrait se poser est de savoir si la Cour pouvait arriver à la même conclusion par d'autres moyens.

[153]        La question s'est de nouveau posée dans l'arrêt Samann c. Canada's Royal Gold Pinetree Mfg. Co. Ltd. (1986), 9 C.P.R. (3rd) 223, à la page 229 (C.A.F.), où l'une des marques de commerce en litige a été décrite comme suit :

Une représentation d'un conifère de couleur verte ayant, en travers de la partie médiane, un rectangle blanc dans lequel se trouve du texte imprimé, et ayant, à la base du tronc de l'arbre, un autre rectangle blanc dans lequel se trouve du texte imprimé.


[154]        Cette marque de commerce était employée en liaison avec un matériau absorbant imprégné de substances assainissant l'air. Une deuxième marque de commerce était composée d'un dessin montrant un pin sur lequel deux zones étaient prévues pour du texte imprimé. En première instance, le juge avait conclu que les marques n'étaient pas des marques de commerce au sens de la Loi parce qu'elles étaient principalement utilisées « dans ou en liaison avec des produits à des fins utilitaires, partiellement ornementales et partiellement fonctionnelles » lorsqu'elles étaient employées avec l'enveloppe claire en plastique dans laquelle elles étaient vendues. Toutefois, la Cour d'appel fédérale a conclu que les marques elles-mêmes ne comportaient aucun élément fonctionnel. La fonctionnalité découlait de l'utilisation de l'enveloppe à l'égard de laquelle aucune revendication n'était faite. Monsieur le juge Heald était d'avis que l'affaire dont il était saisi pouvait faire l'objet d'une distinction par rapport aux jugementsImperial Tobacco, Parke Davis et Elgin Handles, précités, pour le motif que dans chacune de ces affaires, les marques en litige comportaient des éléments fonctionnels, alors que dans l'affaire dont il était saisi, la marque de commerce n'en comportait pas. Le juge Heald a également souligné que la fonctionnalité est uniquement pertinente à l'égard des marques elles-mêmes plutôt que par rapport aux marchandises avec lesquelles elles sont vendues. En fin de compte, l'enregistrement des marques a été rétabli.

[155]        La question de la fonctionnalité s'est de nouveau posée dans l'arrêt Pizza Pizza Ltd. c. Canada (1989), 26 C.P.R. (3rd) 355 (C.A.F.), où la demanderesse Pizza Pizza avait tenté de faire enregistrer son numéro de téléphone comme marque de commerce. L'enregistrement avait été refusé par le registraire, dont la décision a été confirmée par la Section de première instance. Le registraire a statué que le numéro de téléphone n'était pas enregistrable parce qu'il ne s'agissait pas d'une marque de commerce au sens de la Loi. Monsieur le juge Muldoon souscrivait à l'avis du registraire et a conclu qu'un droit à une combinaison de sept chiffres constituant un monopole ne pouvait pas être enregistré. L'idée selon laquelle le numéro de téléphone servait à permettre aux clients de communiquer avec Pizza Pizza sous-tendait les deux décisions.


[156]        Lorsque l'affaire a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale, le juge Urie a conclu que le numéro de téléphone était désormais associé aux marchandises et services de Pizza Pizza et distinguait maintenant ses produits et services de ceux des autres. Cela étant, il a conclu qu'il s'agissait d'une marque de commerce. Il a ensuite conclu que le fait que le numéro servait de numéro de téléphone de Pizza Pizza ne l'empêchait pas pour autant d'être enregistré. Monsieur le juge Pratte, qui souscrivait à son avis, a brièvement exprimé sa conclusion comme suit :

L'avocate de l'intimé a tenté d'étayer la décision de la Section de première instance [7 C.P.R. (3d) 428, 6 C.I.P.R. 229] en invoquant un seul motif, savoir qu'un numéro de téléphone n'est pas enregistrable à titre de marque de commerce parce que, selon la jurisprudence, une marque qui est principalement conçue pour remplir une fonction ne peut faire l'objet d'une marque de commerce. Ce point de vue dénote, à mon avis, une interprétation totalement erronée de cette jurisprudence. Dans ces affaires, les marques qui ont été jugées fonctionnelles faisaient, en fait, partie des marchandises à l'égard desquelles l'enregistrement a été demandé, de sorte que l'enregistrement de ces marques aurait conféré aux requérantes un monopole sur les éléments ou caractéristiques fonctionnelles de leurs marchandises; les requérantes auraient en fait obtenu des brevets sous forme de marques de commerce. La situation est tout à fait différente en l'espèce. La marque de commerce dont l'appelante a demandé l'enregistrement n'est pas fonctionnelle dans ce sens; pour cette raison, son caractère fonctionnel ne la rend pas « non enregistrable » .

(Pizza Pizza, précité, aux pages 356 et 357)

[157]        Les motifs prononcés par le juge Pratte sont importants en ce sens qu'ils mettaient l'accent sur la fonctionnalité dans le contexte de l'enregistrement. La question qui était soulevée dans l'affaire Pizza Pizza, précitée, était la même que dans les autres affaires examinées sur ce point, mais il s'agit de l'unique affaire dans laquelle la question était clairement désignée comme se rapportant à l'enregistrement par opposition à la validité de la marque de commerce elle-même.


[158]        Cela nous amène à l'affaire Remington Rand Corp. c. Phillips Electronics N.V. (1995), 64 C.P.R. (3rd) 467 (Remington Rand). Remington Rand voulait commercialiser un rasoir électrique à trois têtes de rasage rotatives au Canada, mais quatre marques de commerce avaient été déposées en faveur de Philips, ces enregistrements décrivant un rasoir à trois têtes de rasage rotatives et revendiquant une marque de commerce à l'égard de cette configuration. Remington Rand avait demandé la radiation des enregistrements et avait obtenu gain de cause à l'égard de deux des quatre enregistrements. En appel, Phillips avait soutenu en défense que l'une des deux autres configurations à trois têtes de rasage était un signe distinctif et avait revendiqué la protection pour l'autre en tant que dessin. Monsieur le juge MacGuigan a énoncé la question comme suit :

La description de chacune des marques de commerce visées par l'appel est visuelle. Le point litigieux dans chaque cas réside dans l'effet du caractère fonctionnel sur l'enregistrement. Par conséquent, la question fondamentale, ainsi que l'appelante l'a formulée, est celle de savoir si la description visuelle d'un article manufacturé, en particulier certaines de ses pièces mobiles, peut faire l'objet d'un enregistrement de marque de commerce.

[159]        Le juge MacGuigan a ensuite minutieusement examiné les jugements faisant autorité; après avoir fait des remarques au sujet de la décision rendue dans l'affaire Pizza Pizza, précitée, il a dit ce qui suit, aux pages 475 et 476, au sujet de l'enregistrement d'un dessin de marque :

[...] À mon avis, les deux séries de motifs rendus dans l'affaire Pizza Pizza souscrivent plutôt au point de vue selon lequel c'est le genre de caractère fonctionnel qui constitue le facteur déterminant. Si le caractère fonctionnel se rapporte soit à la marque de commerce même (Imperial Tobacco et Parke, Davis), soit aux marchandises (Elgin Handles), alors il est essentiellement ou principalement incompatible avec un enregistrement. Toutefois, s'il est simplement secondaire ou accessoire, comme un numéro de téléphone n'ayant aucun lien essentiel avec les marchandises, alors il ne fait pas obstacle à l'enregistrement.

Le juge Pratte, J.C.A., a clairement énoncé la raison probante de cette conclusion. Si une marque est principalement fonctionnelle en tant que « partie des marchandises » , l'enregistrement aurait pour effet de conférer aux requérantes « un monopole sur les éléments ou les caractéristiques fonctionnelles de leurs marchandises » . Il créerait en réalité un brevet ou un dessin industriel plutôt qu'une marque de commerce : « les requérantes auraient en fait obtenu des brevets sous forme de marques de commerce » . À mon avis, ce serait précisément la conséquence de l'enregistrement du dessin-marque dans la présente espèce.

[non souligné dans l'original]


[160]        Il ressort clairement que le juge MacGuigan traite de la question de l'enregistrement d'une marque de commerce fonctionnelle par opposition à la question de savoir si la fonctionnalité empêche de conclure que quelque chose constitue une marque de commerce. Le juge d'appel s'est ensuite arrêté à la question du signe distinctif, qu'il a correctement décrit comme un autre genre de marque de commerce. Il a fait remarquer que la décision avait été rendue en première instance et il a dit que la question pouvait être tranchée compte tenu des principes établis dans le jugement Pizza Pizza, précité. Il a cité la définition légale de l'expression « signe distinctif » et a ensuite fait certaines remarques au sujet du rapport existant entre cette expression et les marques de commerce :

« signe distinctif » Selon le cas :

a) façonnement de marchandises ou de leurs contenants;

b) mode d'envelopper ou d'empaqueter des marchandises,

dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres.

L'essence d'un signe distinctif est donc identique à celle d'un dessin-marque puisqu'un signe distinctif sert à distinguer les marchandises d'un titulaire enregistré de celles vendues par d'autres.

[non souligné dans l'original]

(Remington Rand, précité, à la page 477)

[161]        Le juge MacGuigan avait raison de dire que l'essence d'un signe distinctif est identique à celle d'une marque de commerce en ce sens que le signe distinctif sert à distinguer les marchandises du titulaire enregistré de celles des autres. Il a conclu que les mêmes considérations relatives au caractère fonctionnel s'appliquaient au signe distinctif et à la marque de commerce et que, par conséquent :


[...] Le juge de première instance a peut-être eu raison de déclarer qu' « un signe distinctif possède nécessairement un élément ou constituant fonctionnel » (quoique je m'interroge à propos, disons, de la forme d'une bouteille qui ne serait peut-être même pas ornementale), mais dans la mesure où ce caractère fonctionnel se rapporte principalement ou essentiellement aux marchandises mêmes, il invalidera la marque de commerce.

Le signe distinctif dans la présente espèce est invalide, selon moi, parce qu'il se rapporte aux aspects fonctionnels du rasoir Phillips. Une marque qui ne se borne pas à distinguer les marchandises de son titulaire, mais se rapporte à la structure fonctionnelle des marchandises mêmes outrepasse les limites légitimes d'une marque de commerce.

(Remington Rand, précité, à la page 478)

[162]        Le juge MacGuigan a dit que les signes distinctifs étaient un genre de marque de commerce et qu'il fallait les traiter selon les mêmes principes que les marques de commerce, de sorte qu'il faut considérer qu'il les assujettissait aux mêmes considérations, plus précisément que le caractère fonctionnel est une question relative à l'enregistrement.

[163]        L'affaire Remington Rand, précitée, est l'unique affaire dans laquelle la question de l'effet de l'article 13 de la Loi a été soulevée. Le juge MacGuigan a conclu que Remington Rand aurait peut-être pu en arriver au même résultat en se prévalant de l'article 13 de la Loi, mais que l'omission d'invoquer cette disposition ne portait pas un coup fatal à sa cause. Étant donné les remarques que le juge MacGuigan a faites au sujet de la fonctionnalité et de l'enregistrement, il se peut bien qu'il se serait exprimé en des termes différents si Remington Rand avait invoqué l'article 13.


[164]        La seule affaire dans laquelle la question de l'effet d'une marque de commerce non déposée a été soulevée devant la présente cour est l'affaire Thomas & Betts c. Panduit Corp. (1999) 4 C.P.R.(4th) 498 (Thomas & Betts). L'appelante Thomas & Betts avait mis au point et fait breveter un collier de serrage en plastique qui comportait une tête ovale. Le brevet avait expiré en 1984; pendant les dix années suivantes, l'appelante avait été l'unique fournisseur d'un collier de serrage comportant une tête ovale. En 1994, l'intimée avait introduit son propre collier de serrage, qui comportait une tête ovale. L'appelante avait ensuite intenté une action en violation de sa marque de commerce non déposée ainsi qu'une action en commercialisation trompeuse. Une fois les plaidoiries closes, l'intimée avait présenté une demande de jugement sommaire dans laquelle elle sollicitait le rejet de l'action en affirmant que la tête ovale était fonctionnelle, qu'elle « ne p[ouvait], par conséquent, faire l'objet de la protection accordée aux marques de commerce au Canada » , qu'elle était la réalisation privilégiée d'un brevet expiré et qu'elle ne donnait donc pas lieu à des droits liés à une marque de commerce. Au début de l'argumentation de la requête, l'intimée avait abandonné l'argument fondé sur la fonctionnalité. Le juge des requêtes a accueilli la requête en jugement sommaire et l'argumentation portant sur la réalisation privilégiée sur laquelle elle reposait.

[165]        Le juge Décary, au nom de la Cour, a rejeté la conclusion du juge des requêtes pour le motif qu'il avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la Loi. Voici comment le juge Décary a défini la question :

[22] [...] Le titulaire du brevet n'a jamais eu de monopole à l'égard de la tête ovale. Il serait donc injuste de l'empêcher ensuite, en droit, de revendiquer un droit à une marque de commerce à l'égard de la tête ovale. Cela équivaudrait à étendre rétroactivement à la tête ovale la portée du brevet ou du monopole qui est expiré ou à le décrire d'une façon erronée comme comprenant la tête ovale.

[23] En revanche, il serait injuste pour le public que le titulaire d'un brevet puisse, une fois son brevet expiré, utiliser la Loi sur les marques de commerce pour s'attribuer un monopole à l'égard de la forme de son invention alors que cette forme est si étroitement liée à l'invention qu'à toutes fins utiles elle constitue un élément essentiel à l'utilisation complète de l'invention.


[24] C'est précisément pour résoudre ce dilemme que la Loi sur les marques de commerce entre en ligne de compte et c'est précisément pourquoi la présente Cour, en interprétant cette Loi, a veillé à ce qu'elle ne soit pas utilisée de façon à perpétuer un monopole à l'égard d'un brevet qui serait par ailleurs expiré. La solution qu'elle a retenue est la doctrine de la fonctionnalité.

[166]        Le juge a ensuite examiné les divers jugements faisant autorité susmentionnés, mais il n'a pas tenu compte du fait que l'affaire dont il était saisi se rapportait à une marque de commerce non déposée. Par conséquent, il est juste de dire qu'il a soulevé la doctrine de la fonctionnalité à l'égard d'une marque de commerce non déposée, mais il n'est pas juste de dire qu'il a conclu que cela avait pour effet de régler la question. Il a donné à entendre que le fait que la demanderesse avait abandonné l'argument fondé sur la fonctionnalité avait peut-être induit le juge des requêtes en erreur, mais que le juge avait néanmoins commis une erreur en statuant sur la requête sans examiner les principes applicables en matière de marques de commerce, notamment la doctrine de la fonctionnalité.

[167]        En conclusion, le juge Décary a fait des remarques au sujet de certains jugements américains que le juge des requêtes avait examinés. Après avoir fait des remarques favorables au sujet de la qualité de l'analyse figurant dans la jurisprudence américaine, il a fait remarquer que la doctrine de la fonctionnalité peut avoir évolué différemment aux États-Unis et il a dit que les jugements américains devaient être utilisés avec prudence.


[168]        Finalement, le jugement sommaire a été infirmé et l'affaire a été renvoyée pour être instruite. La présente cour n'a tiré aucune conclusion au sujet de l'effet de la fonctionnalité à l'égard d'une marque de commerce non déposée. Elle a mentionné certains jugements portant sur les marques de commerce déposées et a fait remarquer qu'il fallait tenir compte de la doctrine de la fonctionnalité en statuant au fond sur l'affaire. Cependant, elle n'a pas décidé que la fonctionnalité portait un coup fatal à une action en commercialisation trompeuse fondée sur un signe distinctif non déposé. En fait, elle s'est abstenue de trancher cette question. Il est donc difficile de mentionner cette décision comme faisant autorité à l'appui de cette proposition.


[169]        L'arrêt Thomas & Betts, précité, illustre, de la même façon que la décision Elgin Handles, précitée, la façon incohérente dont la doctrine de la fonctionnalité est appliquée. Dans l'affaire Thomas & Betts, précitée, on revendiquait un signe distinctif sous la forme de d'une tête de collier de serrage. Cependant, dans les recueils, on ne trouve aucune explication au sujet de la raison pour laquelle c'était la « forme ovale » de la tête qui était fonctionnelle, par opposition à la tête elle-même. En d'autres termes, la fonctionnalité reposait-elle sur le fonctionnement de la tête par opposition à sa forme? Dans l'affirmative, pourquoi contesterait-on la forme de la tête en invoquant la fonctionnalité, puisque la forme n'était pas du tout fonctionnelle? Dans la décision Elgin Handles, précitée, la doctrine de la fonctionnalité n'a été appliquée ni à la marque de commerce (la couleur du manche) ni aux marchandises (le manche), mais au procédé par lequel la couleur était obtenue. Si, comme on l'a soutenu dans l'arrêt Parke Davis, précité, une marque de commerce ne peut pas être fondée uniquement sur la couleur, il existait une solution au problème autre que la doctrine de la fonctionnalité. La politique à l'encontre de la création de monopoles ressemblant à des brevets au moyen de la législation relative aux marques de commerce est sensée, mais la doctrine de la fonctionnalité est un moyen trop compliqué aux fins de l'avancement de la politique.

[170]        Finalement, je ne trouve dans les jugements faisant autorité rien qui nous oblige à conclure qu'un signe distinctif qui est fonctionnel ne peut pas être une marque de commerce non déposée, susceptible d'étayer une action en commercialisation trompeuse fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi. Cette observation est compatible avec les définitions légales des expressions « marque de commerce » et « signe distinctif » . La jurisprudence portant sur les marques de commerce déposées n'est pas utile aux fins de l'examen du cas des marques de commerce non déposées puisque l'enregistrement confère des droits dont les propriétaires de marques de commerce non déposées ne peuvent pas se prévaloir. Par conséquent, je ne puis souscrire à l'avis selon lequel le simple fait qu'il y a fonctionnalité doit empêcher le propriétaire d'un signe distinctif de recourir à une action en commercialisation trompeuse lorsque le public est induit en erreur par l'emploi de son signe distinctif par une autre personne.


[171]        Je ne suis pas d'accord pour dire que cette décision a pour effet d'accorder aux propriétaires de marques de commerce non déposées des droits plus étendus qu'aux titulaires de marques de commerce déposées. Les propriétaires de signes distinctifs déposés et de signes distinctifs non déposés comportant des particularités fonctionnelles ont dans les deux cas le droit d'intenter des actions visant à empêcher que leur marque de commerce soit employée de façon à créer de la confusion. Dans le cas du propriétaire inscrit, l'emploi d'éléments additionnels destinés à éliminer toute confusion suffirait pour que la demande d'injonction du demandeur soit rejetée. Toutefois, ce droit à une injonction est compensé par des dispositions visant à assurer qu'il ne soit pas interdit d'employer des particularités utilitaires en tant que telles. Le propriétaire de la marque non déposée se trouve dans une situation où l'injonction, en ce qui concerne tous les éléments de la marque de commerce, et non simplement les particularités utilitaires, peut être évitée en éliminant simplement la confusion au sujet de l'origine grâce à l'utilisation d'éléments additionnels. À mon avis, le propriétaire inscrit de pareille marque de commerce est dans une meilleure situation que le propriétaire non inscrit.

[172]        Je conclus donc que la doctrine de la fonctionnalité ne prive pas la marque figurative Lego des appelantes de la qualité de marque de commerce. Je conclus que la marque figurative Lego des appelantes peut étayer une action fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi. J'examinerai maintenant la question de savoir si les éléments de pareille action ont été démontrés, de sorte que les appelantes ont droit à une réparation.

[173]        Au paragraphe 79 de ses motifs, le juge de première instance a conclu que les éléments d'une action fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi étaient essentiellement les éléments d'une action en commercialisation trompeuse fondée sur la common law, lesquels avaient été énoncés au paragraphe 33 de l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1993] 3 R.C.S. 120 au paragraphe 33 :


[33] Les trois éléments nécessaires à une action en passing-off sont donc : l'existence d'un achalandage, la déception du public due à la représentation trompeuse et des dommages actuels ou possibles pour le demandeur.

[174]        Le juge de première instance a ensuite examiné la preuve dont il disposait et il a conclu que l'appelante était pourvue d'achalandage (voir le paragraphe 81 de ses motifs) et que l'achalandage découlait dans une certaine mesure de la marque figurative Lego, mais il n'a pas pu dire dans quelle mesure (au paragraphe 118). Les intimées contestent la conclusion que le juge de première instance a tirée au sujet de l'achalandage en soutenant que la question se rapporte au caractère distinctif. Si la marque figurative Lego n'indique pas une source unique à l'égard des marchandises, elle n'est pas distinctive et elle ne peut donc pas être la source d'un achalandage :

[...] Étant donné que le caractère distinctif d'une marque est attaché, entre autres choses, à sa source de fabrication, lorsqu'une marque est attachée à plus d'une source, elle ne peut avoir de caractère distinctif.

(Moore Dry Kiln Co. Of Canada Ltd. c. U.S. Natural Resources Inc. (1976) 30 C.P.R. (2nd) 40, à la page 49 (C.A.F.).

[175]        La position de l'intimée est dans une certaine mesure logique, mais elle ne tient pas compte du fait que la question du caractère distinctif est une question de fait. Le fait qu'il y a deux usagers d'une marque peut bien laisser entendre que ni l'un ni l'autre ne peut établir que la marque est désormais associée à ses marchandises. Cependant, s'il est possible de démontrer une telle association, il ne sert à rien de dire qu'il ne peut pas en être ainsi. Or, tel est ici le cas. Malgré la présence d'autres usagers de la marque figurative Lego sur le marché, le juge de première instance a conclu, selon la preuve dont il disposait, que les consommateurs associaient à l'appelante la marque figurative Lego (au paragraphe 118).


[176]        La conclusion que le juge de première instance a tirée au sujet de l'achalandage et du caractère distinctif est une conclusion de fait. Une cour d'appel peut uniquement modifier des conclusions de fait s'il est démontré que le juge de première instance a commis « une erreur manifeste et dominante » (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] A.C.S. no 31, au paragraphe 10). La décision que le juge de première instance a tirée sur ce point était fondée sur son appréciation de la preuve d'expert dont il disposait, y compris la preuve relative au sondage, et sur son appréciation de la valeur probante du témoignage de chacun des experts qui ont témoigné devant lui. Pareille conclusion repose sur l'avantage indéniable dont jouit le juge du procès du fait qu'il voit et entend les personnes qui témoignent devant lui. Rien ne permet à la présente cour de modifier les conclusions que le juge de première instance a tirées sur ce point.

[177]        La question suivante se rapporte à la fausse déclaration. Le juge de première instance a conclu que l'emploi par l'intimée de la marque figurative Lego créait de la confusion parmi les consommateurs (au paragraphe 137), mais que cette confusion ne résultait pas d'une stratégie délibérée de la part de l'intimée. Le juge a donc conclu que les appelantes n'avaient pas réussi à établir que les intimées avaient fait une fausse déclaration. Étant donné qu'une fausse déclaration est un élément essentiel d'une action en commercialisation trompeuse, cette conclusion aurait été suffisante pour permettre de statuer sur l'action si la doctrine de la fonctionnalité n'avait pas été en cause.


[178]        La question de savoir, aux fins d'une action en commercialisation trompeuse, si une fausse déclaration doit être délibérée ou intentionnelle est une question de droit. La question de savoir si la conduite d'une partie constitue une fausse déclaration est une question de fait et de droit. Il n'est pas nécessaire de faire preuve de retenue à l'égard des erreurs de droit commises par le juge de première instance, mais il se peut qu'il soit nécessaire de faire preuve de retenue à l'égard des erreurs comportant des questions de fait et de droit, selon la nature de l'erreur (voir Housen c. Nikolaisen, précité, au paragraphe 36).

[179]        Il est bien établi en droit depuis un certain temps qu'une fausse déclaration suffisante pour étayer une action en commercialisation trompeuse n'a pas à résulter d'une ruse intentionnelle. Dans l'arrêt Consumers Distributing Co. c. Seiko Time Canada Ltd., [1984] 1 R.C.S. 583, Monsieur le juge Estey a fait certaines remarques au sujet de la question de la fausse déclaration dans une action en commercialisation trompeuse :

Si besoin est de faire une autre distinction entre les activités commerciales de l'appelante et le type d'activités interdites par la règle du passing off, il faut se rappeler que cette règle est fondée sur le délit civil de tromperie et, bien que depuis le milieu du dix-neuvième siècle l'intention de tromper ne soit plus nécessaire, il faut à tout le moins que la confusion dans l'esprit du public soit une conséquence probable de la vente ou de la mise en vente par le défendeur d'un produit non fabriqué par le demandeur et que l'on fait passer pour le produit du demandeur ou l'équivalent. [non souligné dans l'original]

[180]        Ce passage était précédé d'une longue citation tirée de Prosser, The Law of Torts (4e éd.), aux pages 957 et 958, où figure la proposition ci-après énoncée :


[traduction] Le critère établi pour ces cas est de savoir si la ressemblance est à ce point grande que le client ordinaire agissant avec la prudence dont on fait habituellement preuve dans de telles circonstances peut les confondre. Selon la règle antérieure, il devait y avoir preuve d'une intention frauduleuse ou d'une tromperie délibérée pour qu'il y ait responsabilité et cette règle s'applique encore parfois aujourd'hui; mais la tendance qui se dégage de la jurisprudence récente est qu'il suffit, du moins pour obtenir un redressement par voie d'injonction, que la conduite du défendeur soit de nature à provoquer de la confusion ou à induire en erreur, même si ce n'est pas là son intention.

[181]        La position anglaise actuelle sur ce point, que le juge Estey confirme, est mentionnée dans l'arrêt Reckitt & Colman Products Limited c. Borden Inc. and Ors, [1990] R.P.C. 341, à la page 406 (C.L.). Dans un examen des éléments du délit de commercialisation trompeuse, on trouve le passage suivant :

[traduction]Deuxièmement, il doit établir que le défendeur a fait (intentionnellement ou non) une représentation trompeuse au public qui l'amène ou est susceptible de l'amener à croire que ses produits ou services sont ceux du demandeur.

[182]        Comme le signale le juge Estey, le délit de commercialisation trompeuse, qui visait initialement à protéger les commerçants, a évolué de façon à protéger le public. Dans ce contexte, la question importante consiste à savoir si le public est induit en erreur, par opposition à la question de savoir si le public est délibérément induit en erreur. Le juge de première instance a donc commis une erreur en concluant qu'un élément essentiel d'une action fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi, la fausse déclaration, n'avait pas été prouvé simplement parce qu'il ne pouvait rien constater qui puisse établir l'existence d'une intention délibérée d'induire en erreur. L'élément de fausse déclaration a été établi sur preuve que l'emploi par l'intimée de la marque figurative Lego créait de la confusion parmi le public.


[183]        Le dernier élément se rapporte à la perte subie par les appelantes. Le juge de première instance a conclu qu' « il ne fait aucun doute que les demanderesses et, plus généralement, le Groupe Lego, ont subi un préjudice du fait de l'entrée de Ritvik sur le marché canadien des jeux de construction avec sa série MICRO MEGA BLOCKS » (au paragraphe 146).

[184]        Étant donné que les trois éléments de la cause d'action fondée sur l'alinéa 7b) sont présents, les appelantes ont droit à un jugement.

[185]        J'accueillerais donc l'appel, les dépens étant adjugés aux appelantes en appel et en première instance.

                                                                                                                    « J.D. Denis Pelletier »             

                                                                                                                                                    Juge                              

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                  COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  A-395-02

INTITULÉ :                                                 KIRKBI AG et LEGO CANADA INC. c. RITVIK HOLDINGS INC./GESTIONS RITVIK INC. (maintenant exploitée sous le nom de MEGA BLOKS INC.)

LIEU DE L'AUDIENCE :                         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LES 5 ET 6 MARS 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                    LE JUGE SEXTON

Y A SOUSCRIT :                                        LE JUGE ROTHSTEIN

MOTIFS DISSIDENTS :                          LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                               LE 14 JUILLET 2003

COMPARUTIONS :

M. Robert H.C. MacFarlane                        POUR LES APPELANTES

M. Michael Charles

Mme Christine M. Pallota

M. Ronald E. Dimock                                    POUR L'INTIMÉE

M. Dino P. Clarizio

M. Henry Lue

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr                                             POUR LES APPELANTES

Toronto (Ontario)

Dimock Stratton Clarizio s.r.l.                       POUR L'INTIMÉE

Avocats

Toronto (Ontario)


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