Date : 20030707
Dossier : A-617-02
Référence : 2003 CAF 299
CORAM : LE JUGE LINDEN
ENTRE :
NOVARTIS PHARMA CANADA INC.
appelante
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
intimés
Appel entendu à Ottawa (Ontario), le 10 juin 2003.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE MALONE
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LINDEN
LE JUGE SEXTON
Date: 20030707
Dossier : A-617-02
Référence : 2003 CAF 299
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE SEXTON
LE JUGE MALONE
ENTRE :
NOVARTIS PHARMA CANADA INC.
appelante
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
intimés
MOTIFS DU JUGEMENT
INTRODUCTION
[1] Il s’agit de l’appel de l’ordonnance datée du 7 octobre 2002 et publiée dans (2002) 22 C.P.R. (4th) 361, 2002 CFPI 1042 par laquelle le juge MacKay (le juge saisi de la demande) a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelante relative à son brevet canadien 1,300,021 (le brevet 021). Le juge MacKay a confirmé la décision du ministre de la Santé intimé (le ministre) de radier le brevet 021, qui concerne les timbres Estracomb de Novartis, du registre des brevets établi aux termes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur les avis de conformité).
QUESTION
[2] Dans le cadre du présent appel, il s’agit de savoir si une revendication de brevet visant un système consistant en deux timbres appliqués sur la peau des patientes constitue une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament au sens de l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les avis de conformité.
CADRE LÉGISLATIF
[3] Voici un extrait de l’alinéa 4(2)b) :
(2) La liste de brevets au sujet de la drogue doit contenir les renseignements suivants : |
(2) A patent list submitted in respect of a drug must |
[...] |
[...] |
b) ... une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament ...
|
(b) set out ... a claim for the medicine itself or a claim for the use of the medicine ... |
[4] L’article 2 du Règlement sur les avis de conformité définit le mot « médicament » :
2. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement. |
2. In these Regulations, |
[...] |
[...] |
«médicament» Substance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes.
|
"medicine" means a substance intended or capable of being used for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof; |
FAITS
[5] Le brevet 021 contient six revendications visant deux timbres ou un [Traduction] « système thérapeutique pour... l’administration d’oestrogènes et de progestatifs » et une méthode de préparation de ces timbres ou de ce système thérapeutique. Selon les revendications, chaque timbre est formé de quatre couches distinctes dont la majeure partie est faite de plastique : un fond, un réservoir qui contient le principe actif administré à la patiente, une couche adhésive et une couche pelable.
[6] Le brevet 021 a été inscrit au registre des brevets en 1994 à l’égard du médicament appelé Estracomb. L’Estracomb est un produit médicamenteux que les femmes utilisent pour soulager les symptômes de la ménopause et de la post-ménopause et pour prévenir l’ostéoporose. Ce médicament est vendu au Canada par Novartis.
[7] Les principes actifs de l’Estracomb sont l’estradiol, une hormone oestrogène naturelle, et l’estradiol et l’acétate de noréthindrone, une progestine. Ils sont administrés aux patientes à l’aide de deux timbres appliqués sur la peau durant un cycle de traitement de 28 jours. Le timbre appelé Estraderm est utilisé durant les 14 premiers jours pour administrer l’estradiol à la patiente tandis que le timbre appelé Estragest est utilisé durant les 14 derniers jours du cycle pour lui administrer l’estradiol et l’acétate de noréthindrone. L’administration transdermique du principe actif empêche la métabolisation rapide de quantités relativement importantes de ces principes, ce qui se produirait s’ils étaient administrés par voie orale. Ces timbres permettent d’administrer ces principes actifs d’une manière contrôlée, sûre et efficace.
[8] Le ministre, qui est chargé de la tenue du registre des brevets, en a entrepris une vérification générale en 1998 pour établir si les brevets qui y figuraient déjà étaient inscrits en bonne et due forme. C’est dans le cadre de cette vérification générale que le ministre a examiné le brevet 021 et décidé qu’il ne comportait pas de revendication pour le médicament ou pour l’utilisation du médicament, comme l’exige l’alinéa 4(2)b). En conséquence, il a décidé que le brevet était inadmissible à l’inscription et l’a radié du registre des brevets.
[9] L’appelante a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre. En rejetant cette demande, le juge MacKay a décidé que le brevet 021 a été délivré à l’égard d’un système d’administration d’un médicament et qu’il ne comporte pas de revendication pour le médicament en soi ou pour l’utilisation du médicament, comme l’exige l’alinéa 4(2)b). Il a fondé sa décision sur le jugement Glaxo Group Ltd. c. Novapharm Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 488 (C.F. 1re inst.) (Glaxo CFPI), qui a été confirmé par notre Cour,(1999), 244 N.R. 199 (C.A.F.) (Glaxo CAF), demande d’autorisation d’appel rejetée par la Cour suprême du Canada, [1999] S.C.C.A. no 391.
[10] Le juge saisi de la demande a aussi statué que la réglementation des timbres par le ministre en tant que drogues et non en tant qu’instruments aux termes du Règlement sur les aliments et drogues, ch. 870, n’est pas un facteur déterminant dans l’interprétation des revendications du brevet 021. En outre, la réglementation des timbres par le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés n’est pas non plus déterminante pour décider si les brevets sont des médicaments pour l’application du Règlement sur les avis de conformité.
[11] Un élément clé de la décision du juge MacKay est son analyse des jugements Glaxo et Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé et du bien-être) (1995), 62 C.P.R. (3d) 58 (C.F. 1re inst.) (Hoffman), confirmé par notre Cour dans (1995), 67 C.P.R. (3d) 25 (C.A.F.), demande d’autorisation d’appel rejetée par la Cour suprême, [1996] 3 R.C.S. xi. Ces deux jugements établissent qu’une revendication visant une préparation ou une composition pharmaceutique constitue une « revendication pour le médicament en soi »; toutefois, un brevet visant un instrument médical, qui est utilisé pour administrer, par opposition au fait d’être administré lui-même, ne constitue pas une revendication pour un médicament.
[12] Novartis soutient maintenant que le juge MacKay n’a pas appliqué correctement ces deux jugements parce qu’il a statué que les faits de l’espèce se situent entre ceux de ces deux affaires, mais qu’ils « ressemblent plus » à ceux de l’affaire Glaxo et que, par conséquent, les timbres constituent des instruments médicaux, et non des médicaments. Selon l’appelante, une telle analyse ne traite pas la bonne question, soit celle de savoir si les timbres sont des préparations médicales et si elles sont administrées elles-mêmes ou si elles administrent un médicament.
NORMES DE CONTRÔLE
[13] Pour ce qui est de la norme de contrôle, dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 SCC 19, [2003] S.C.J. no 18 (Dr Q.) au paragraphe 21, le juge McLachlin a écrit qu’il faut appliquer la méthode pragmatique et fonctionnelle dans le cadre de chaque contrôle judiciaire d’un décideur administratif, et qu’il ne suffit plus de classer une question particulière, telle qu’une question de droit, dans une catégorie de contrôle judiciaire (voir les paragraphes 22 à 25). Il faut plutôt analyser les quatre facteurs.
[14] De plus, dans Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du travail), [2003] S.C.J. no 28, 2003 SCC 29 au paragraphe 150, la Cour suprême du Canada a confirmé de nouveau que la méthode pragmatique et fonctionnelle s’applique aux décisions des ministres :
La Cour a également confirmé que « la méthode pragmatique et fonctionnelle » s’applique au contrôle judiciaire des décisions non seulement des tribunaux administratifs mais aussi des ministres : Baker, précité; Mont-Sinai, précité, par. 54; Dr Q., précité, par. 21; Ryan, précité, par. 21.
[15] En l’espèce, le juge saisi de la demande n’a mentionné ni la méthode pragmatique et fonctionnelle ni les quatre facteurs. Il a plutôt fondé sa décision sur son évaluation selon laquelle il s’agissait d’une question de droit ainsi que sur l’accord des parties que la norme de contrôle devrait être celle de la décision correcte. La nature de la question – par exemple, une question de droit – n’est qu’un des quatre facteurs de la méthode pragmatique et fonctionnelle et, en soi, elle ne peut déterminer la norme de contrôle judiciaire.
[16] Toutefois, le recours à ce raccourci judiciaire n’a vraiment pas d’incidence en l’espèce. Si, d’après la norme de la décision correcte, le juge MacKay était convaincu que le ministre a radié à juste titre le brevet 021 du registre des brevets, cette décision n’est contestable ni d’après la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter ni d’après celle de la décision manifestement déraisonnable, étant donné que ces normes sont moins intrusives.
ANALYSE
[17] Nous estimons que le juge saisi de la demande a eu raison de statuer que le ministre a interprété correctement le brevet 021 non pas comme une revendication pour le médicament en soi ou pour l’utilisation du médicament au sens de l’alinéa 4(2)b). Dans la décision Glaxo CAF, notre Cour a reconnu qu’un brevet qui vise un instrument servant à administrer une substance ne constitue pas une revendication pour le médicament en soi ni pour l’utilisation du médicament. Précisément, dans ce jugement, notre Cour a décidé qu’un brevet qui vise un inhalateur servant à administrer un médicament à des patients ne contenait pas des revendications pour le médicament en soi ni pour l’utilisation de ce médicament. Au nom d’une formation unanime, le juge Décary a écrit :
Quant à la décision de fond soulevée par Glaxo dans son appel incident, nous convenons avec le juge de première instance que les brevets en litige, qui ont trait à des dispositifs permettant d’administrer des médicaments à des patients « ou à ces derniers de s’administrer eux-mêmes ces médicaments » plutôt qu’à la substance administrée, ne constitue pas des brevets visant un « médicament » au sens où l’entend le Règlement. [Non souligné dans l’original]
[18] En conséquence, le critère qui s’impose pour établir si les timbres sont des médicaments au sens du Règlement sur les avis de conformité consiste à savoir s’ils sont administrés aux patientes ou s’ils administrent des substances à ces dernières. Il est reconnu que le juge saisi de la demande n’a pas exprimé succinctement ce critère mais qu’il a plutôt déclaré que les faits de la présente espèce se situaient entre ceux des affaires Glaxo et Hoffmann, mais qu’ils ressemblaient davantage à ceux de l’affaire Glaxo. Toutefois, à notre avis, le juge MacKay est parvenu au bon résultat, et il est important que les faits de l’affaire Glaxo se rapprochent beaucoup plus de ceux de la présente espèce que de ceux de l’affaire Hoffman.
[19] La décision du juge MacKay selon laquelle les timbres ne sont pas des médicaments ne contredit pas le jugement Glaxo, comme le prétend l’appelante. Le juge saisi de la demande n’a pas statué que seuls des principes actifs peuvent constituer un médicament. La théorie sous‑jacente à sa décision est que les timbres ne sont pas administrés eux-mêmes, mais qu’ils servent plutôt à administrer un médicament, et il s’agit d’une application directe du jugement Glaxo.
[20] Selon notre analyse, le juge MacKay a eu raison de conclure que les motifs de l’affaire Glaxo s’appliquent en l’espèce. La preuve établit clairement que les revendications du brevet 021 sont similaires à celles du brevet en litige dans l’affaire Glaxo. Dans cette affaire, l’inhalateur servait à administrer un médicament. Dans le même ordre d’idées, les timbres visés par les revendications du brevet 021 servent à administrer de l’estradiol ou de l’estradiol et l’acétate et de noréthindrone à des patientes. Il importe peu que chacun des timbres soit utilisé pendant 14 jours, contrairement à l’inhalateur, qui est utilisé et enlevé immédiatement. Les revendications du brevet 021 se rapportent à un système d’administration de substances, et non à des substances elles-mêmes. En conséquence, le brevet visant les timbres, soit le brevet 021, n’est pas admissible à l’inscription au registre des brevets.
[21] Le juge MacKay a aussi distingué correctement cette affaire du jugement Hoffman. Novartis invoque cette affaire pour soutenir que les timbres sont des formulations de principes actifs et inactifs et qu’ils constituent par conséquent un médicament au sens du Règlement sur les avis de conformité. Toutefois, les timbres sont différents de la formulation en litige dans l’affaire Hoffman. Dans cette affaire, le brevet contenait des revendications visant un vaporisateur nasal composé de principes actifs et inactifs qui étaient physiquement mélangés dans une formulation puis administrés aux patients. Notre Cour a statué que la formulation constituait un médicament au sens du Règlement sur les avis de conformité. Toutefois, en l’espèce, les timbres visés par les revendications du brevet 021 ne constituent pas des formulations. Les couches des timbres ne sont pas mélangées à l’estradiol ou à l’estradiol et à l’acétate de noréthindrone. Au contraire, elles constituent toutes des éléments distincts et séparés, et seuls l’estradiol ou l’estradiol et l’acétate de noréthindrone sont administrés aux patientes. Les autres couches des timbres ne sont jamais administrées. Chacune des deux couches est plutôt délibérément enlevée par la patiente puis jetée après 14 jours. Au vu de ces faits, il est évident que les timbres ne sont jamais administrés et que, par conséquent, ils ne tombent pas sous le coup de la définition du mot « médicament » prévue dans le Règlement sur les avis de conformité.
[22] Enfin, le juge saisi de la demande a eu raison de conclure que le fait que les timbres appelés Estracomb sont réglementés en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, en tant que drogues et non en tant qu’instruments, et par le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés ne constitue pas un facteur déterminant dans l’interprétation des revendications du brevet 021. Il est bien établi que les tribunaux n’examinent pas de questions externes à un brevet pour en interpréter les revendications [voir Merck Frost Canada & Co. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 12 C.P.R. (4th) 383, 2001 CAF 136].
[23] En résumé, le juge MacKay a eu raison de confirmer la décision du ministre de radier le brevet 021 du registre des brevets. Nous rejetons l’appel avec dépens.
« B. Malone »
J.C.A.
« Je souscris
A.M. Linden, J.C.A. »
« Je souscris
J. Edgar Sexton, J.C.A. »
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D’APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-617-02
INTITULÉ : Novartis Pharma Canada inc.
c.
Le ministre de la Santé et le Procureur général du Canada
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : 10 juin 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE MALONE
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LINDEN
LE JUGE SEXTON
DATE DES MOTIFS : 7 juillet 2003
COMPARUTIONS :
Me Anthony Creber POUR L’APPELANTE
Me Jennifer Wilki
Me Frederick Woyiwada POUR LES INTIMÉS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling Lafleur Henderson s.r.l. POUR L’APPELANTE
Ottawa (Ontario)
Me Morris Rosenberg POUR LES INTIMÉS
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)