Date : 20011127
Dossier : A-513-00
OTTAWA (ONTARIO), LE 27 NOVEMBRE 2001
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
IRVING OIL LIMITED
intimée
JUGEMENT
L'appel est rejeté avec dépens.
« A. M. Linden »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.
Date : 20011127
Dossier : A-513-00
Référence neutre : 2001 CAF 364
CORAM : LE JUGE LINDEN
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
IRVING OIL LIMITED
intimée
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 octobre 2001
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2001
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE SHARLOW
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LINDEN
LE JUGE ROTHSTEIN
Date : 20011127
Dossier : A-513-00
Référence neutre : 2001 CAF 364
CORAM : LE JUGE LINDEN
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
IRVING OIL LIMITED
intimée
[1] Il s'agit de savoir si, pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e supp.), ch. 1, les intérêts sur un paiement d'impôt en trop reçus par l'intimée en 1992 constituaient un revenu tiré d'une entreprise exploitée activement. La Couronne soutient que les intérêts sur pareil paiement ne peuvent jamais constituer un revenu d'entreprise; elle a établi la cotisation de l'intimée sur cette base. La Cour de l'impôt a accueilli l'appel interjeté par l'intimée : Irving Limited c. Canada, [2000] 3 C.T.C. 2823, 2000 D.T.C. 2164, [2000] A.C.I. no 349 (C.C.I.). La Couronne interjette maintenant appel contre le jugement de la Cour de l'impôt.
[2] Cet appel a été entendu le même jour que l'appel du jugement rendu par la Cour de l'impôt dans l'affaire La Munich, Cie de Réassurance c. Canada, [2000] 2 C.T.C. 2785, 2000 D.T.C. 2009, [2000] A.C.I. no 195 (C.C.I.). Les appels portaient sur des questions similaires. Le jugement rendu par la présente cour dans l'affaire La Munich, Cie de Réassurance (A-282-00) est rendu en même temps que celui-ci.
[3] L'intimée est une société du Nouveau-Brunswick qui exploite uniquement une entreprise au Canada. Cette entreprise est exploitée activement et consiste à raffiner du pétrole brut et à commercialiser des produits pétroliers raffinés.
[4] En 1978, la Couronne a établi des nouvelles cotisations à l'égard de l'intimée de façon à accroître son obligation fiscale pour les années 1971 à 1975. L'intimée s'est opposée à ces nouvelles cotisations et, lorsque les nouvelles cotisations ont été ratifiées, elle a interjeté appel devant la Section de première instance de la Cour fédérale comme elle avait alors le droit de le faire. Des nouvelles cotisations similaires ont été établies en 1980 et en 1984, lesquelles avaient pour effet d'accroître l'obligation fiscale de l'intimée pour les années 1976 à 1980. Des oppositions ont également été soulevées à l'encontre de ces nouvelles cotisations.
[5] Selon le paragraphe 152(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu, les nouvelles cotisations étaient valides et exécutoires dans la mesure où elles n'étaient pas modifiées ou annulées. L'intimée avait une obligation légale de payer les montants fixés même si des oppositions ou des appels étaient en cours, sous réserve du droit qui lui était conféré en vertu du paragraphe 220(4) de demander à la Couronne d'accepter une garantie en attendant le règlement des oppositions ou des appels.
[6] La fourniture d'une garantie n'était pas une solution acceptable pour l'intimée. L'obligation fiscale représentée par les nouvelles cotisations continuerait à exister pendant que l'impôt faisait l'objet d'une contestation. Si l'impôt contesté demeurait impayé et si les nouvelles cotisations étaient finalement jugées exactes, l'intimée serait tenue de payer le plein montant de l'impôt établi, plus des intérêts non déductibles. D'autre part, si l'impôt contesté était payé et si les nouvelles cotisations étaient finalement jugées inexactes, l'intimée aurait droit à un remboursement d'impôt, avec intérêts. Compte tenu de ces considérations, l'intimée a payé les montants établis pendant que ses oppositions et ses appels étaient en cours. Les paiements ont été effectués en 1980, en 1981, en 1982 et en 1986, à l'aide de fonds générés par l'entreprise exploitée activement par l'intimée.
[7] Le 4 mars 1988, la Section de première instance a réglé les appels en faveur de l'intimée : Irving Oil Ltd. c. Canada (1988), 16 F.T.R. 253, [1988] 1 C.T.C., 88 D.T.C. 6138, [1988] A.C.F. no 201. La décision de la Section de première instance a été confirmée par la Cour d'appel fédérale le 18 février 1991 : [1991] 1 C.T.C. 350, 91 D.T.C. 5106, [1991] A.C.F. no 133 (C.A.F.). L'autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été refusée le 5 septembre 1991 : 136 N.R. 320 (note) (C.S.C.). La Couronne a établi de nouvelles cotisations de façon à donner effet à ces décisions et elle a remboursé l'impôt avec intérêts en 1992. Les intérêts sur le paiement d'impôt en trop s'élevaient à 240 114 465 $.
[8] L'intimée a produit sa déclaration de 1992 en se fondant sur le fait que les intérêts sur le paiement d'impôt en trop constituaient un revenu d'entreprise exploitée activement. La Couronne concède que si les intérêts sur le paiement d'impôt en trop constituent un revenu d'entreprise, il doit s'agir d'un revenu d'une entreprise exploitée activement. Le juge de la Cour de l'impôt estimait que cette concession était exacte, et je souscris à son avis.
[9] Un revenu d'entreprise exploitée activement est l'un des éléments de la formule de crédit d'impôt prévue à l'article 125.1 (désignée sous le nom de « déduction relative aux bénéfices de fabrication et de transformation » ). La description des intérêts sur le paiement d'impôt en trop selon laquelle il s'agissait d'un revenu d'entreprise exploitée activement plutôt qu'un revenu tiré d'un bien était avantageuse pour l'intimée parce qu'elle entraînait un crédit d'impôt plus élevé en vertu de l'article 125.1.
[10] La Couronne a établi la nouvelle cotisation relative à la déclaration de 1992 de l'intimée en se fondant sur le fait que les intérêts sur le paiement d'impôt en trop ne constituaient pas un revenu d'entreprise et qu'il ne s'agissait donc pas d'un revenu d'entreprise exploitée activement. En établissant cette nouvelle cotisation, la Couronne ne s'est pas fondée sur des faits propres à l'intimée, la nature de son entreprise, la manière dont l'intimée dirige son entreprise, ou des faits se rapportant aux cotisations contestées. La Couronne s'est uniquement fondée sur le fait que les intérêts étaient des intérêts sur un paiement d'impôt en trop. La Couronne a soutenu et elle soutient encore que les intérêts sur le paiement d'impôt en trop ne peuvent pas constituer un revenu d'entreprise.
[11] Le juge de la Cour de l'impôt n'a pas accepté l'argument de la Couronne selon lequel les intérêts sur le paiement d'impôt en trop ne peuvent jamais constituer un revenu d'entreprise. Il a examiné les faits particuliers de la présente espèce, et il a conclu que les intérêts sur le paiement d'impôt en trop qui avaient été versés à l'intimée constituaient un revenu d'entreprise. Son raisonnement est résumé aux paragraphes 37 et 38 des motifs de sa décision :
[37] Une erreur du ministre dans l'établissement de cotisations ne doit pas être préjudiciable à la ligne de conduite habituelle et prévue d'un contribuable concernant les sommes utilisées pour payer les cotisations issues de cette erreur. Un paiement en trop représente une erreur du ministre. Pour déterminer si des intérêts sur un paiement d'impôt en trop sont un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien, il faut d'abord considérer l'origine des fonds utilisés par le contribuable pour effectuer le paiement en trop. L'argent utilisé pour faire le paiement en trop était-il un revenu d'entreprise? Il faut également se demander à quoi le contribuable entendait probablement affecter cet argent. L'argent devait-il être utilisé dans l'entreprise du contribuable ou à une autre fin? Si l'argent utilisé pour effectuer le paiement en trop était un revenu d'entreprise devant être employé dans l'entreprise, alors, une fois que les tribunaux ont déterminé qu'il y avait eu un paiement d'impôt en trop, le paiement en trop n'est plus de l'impôt et redevient un bien appartenant au contribuable et destiné à être utilisé dans l'entreprise du contribuable, et les intérêts y afférents sont des revenus d'entreprise. [...]
[38] Je suis convaincu qu'IOL [l'intimée] a, pour effectuer le paiement en trop, utilisé des bénéfices gagnés dans son entreprise et que les montants des paiements en trop des cotisations relatives à Irvcal auraient été utilisés par IOL dans l'exploitation de son entreprise à l'époque du paiement en trop. Une erreur du ministre dans l'établissement de cotisations ne doit pas être préjudiciable à la ligne de conduite habituelle et prévue d'un contribuable concernant les sommes utilisées pour payer les cotisations issues de cette erreur. Le fait qu'un contribuable choisisse de payer une cotisation plutôt que de donner des garanties pour le paiement d'une cotisation n'influe pas sur la façon dont il utilisait l'argent. Quand IOL a reçu un remboursement à l'égard des cotisations relatives à Irvcal, ce remboursement représentait la restitution d'une somme qui devait servir dans l'entreprise d'IOL à l'époque du paiement en trop, ce qui avait été impossible à cause de mesures prises par l'administration gouvernementale.
[12] L'appel interjeté par la Couronne contre le jugement de la Cour de l'impôt est uniquement fondé sur l'argument selon lequel les intérêts sur le paiement d'impôt en trop ne peuvent jamais constituer un revenu d'entreprise. Un argument fondamentalement identique a été invoqué sans succès par le contribuable dans l'affaire La Munich, Cie de Réassurance, dans un contexte différent. La position que la Couronne a prise dans l'affaire La Munich, Cie de Réassurance, était que les intérêts sur le paiement d'impôt en trop peuvent constituer un revenu d'entreprise d'un assureur.
[13] Dans ce cas-ci, la Couronne, comme le contribuable dans l'affaire La Munich, Cie de Réassurance, se fonde sur le principe bien établi selon lequel le paiement de l'impôt sur le revenu n'est pas une dépense visant à permettre de gagner un revenu étant donné qu'il s'agit de la dépense d'un revenu déjà gagné : Roenisch c. M.N.R., [1931] Ex.C.R. 1, [1931] 2 D.L.R. 90, 1 D.T.C. 199; First Pioneer Petroleums Ltd. c. M.R.N. [1974] C.T.C. 108, 74 D.T.C. 6109, 43 D.L.R. (3d) 722 (C.F. 1re inst.). À mon avis, le principe établi dans la décision Roenisch n'est pas ici pertinent. La question qui se posait dans l'affaire Roenisch était de savoir si un montant qu'un contribuable a payé en vue de s'acquitter d'une obligation fiscale constitue une dépense visant à permettre de gagner un revenu. Dans ce cas-ci, la question est tout à fait différente. Il s'agit de savoir si les intérêts sur une dépense que le contribuable fait en vue de s'acquitter d'une obligation fiscale établie à l'égard de son entreprise, la cotisation y afférente étant par la suite jugée erronée, constituent un revenu tiré de l'entreprise ou un revenu tiré d'une autre source.
[14] La Couronne se fonde également sur le principe selon lequel les dépenses effectuées aux fins de la contestation d'une cotisation d'impôt ne sont pas des dépenses visant à permettre de gagner un revenu : No. 195 v. M.N.R., 54 D.T.C. 465 (I.T.A.B.), qui suit Smith's Potato Estates Ltd. c. Bolland, [1948] 2 All E.R. 367 (C.L.). Ce principe ne s'applique pas en l'espèce. L'intimée ne cherche pas à déduire ce qu'il lui en a coûté pour contester une cotisation. (La déduction du coût des oppositions et des appels fondés sur la Loi de l'impôt sur le revenu est maintenant autorisée en vertu de l'alinéa 60o) de la Loi de l'impôt sur le revenu).
[15] La Couronne affirme qu'en l'espèce, comme dans l'affaire Smith's Potato, les bénéfices tirés de l'entreprise de l'intimée n'auraient pas été supérieurs ou inférieurs en l'absence des intérêts sur le paiement d'impôt en trop. Cela n'est tout simplement pas vrai. S'il n'y avait pas eu d'intérêts sur le paiement d'impôt en trop, l'intimée aurait bien pu décider de fournir une garantie à l'égard des cotisations contestées au lieu de les payer, de sorte qu'elle aurait probablement réalisé des bénéfices d'entreprise en utilisant son argent pendant les nombreuses années qu'il a fallu pour régler le litige. La disponibilité des intérêts sur le paiement d'impôt en trop l'a amenée à décider de payer l'impôt contesté. Étant donné que l'intimée a pris cette décision, elle avait droit à des intérêts sur le paiement d'impôt en trop lorsque les oppositions et les appels ont finalement porté fruit.
[16] En l'espèce, la Couronne, comme le contribuable dans l'affaire La Munich, Cie de Réassurance, se fonde également sur des arrêts plus récents qui étayent la thèse voulant qu'aux fins de l'impôt sur le revenu, un avantage qui découle exclusivement des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu ne constitue pas un revenu et qu'une entreprise ne peut pas consister uniquement en une opération dont le but est de réduire l'impôt sur le revenu par ailleurs payable : Moloney c. Canada, [1992] A.C.F. no 95, [1992] 2 C.T.C. 227, 92 D.T.C. 6570 (C.A.F.); Loewen c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 75, 94 D.T.C. 6265 (C.A.F.). Je ne puis faire aucune analogie entre ces affaires et la présente espèce. L'intimée ne concluait pas des opérations d'évitement. Elle ne tentait pas de réaliser un bénéfice à l'aide des déductions d'impôt ou des crédits d'impôt prévus dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle a simplement payé une obligation fiscale qui était due, après avoir conclu, en se fondant sur son sens des affaires, qu'il serait préférable de payer l'impôt plutôt que de fournir une garantie.
[17] Enfin, la Couronne se fonde sur les principes établis dans la décision Ensite Limited c. R., [1986] 2 R.C.S. 509, [1986] A.C.S. no 62, [1986] 2 C.T.C. 459, 86 D.T.C. 6521, en vue de soutenir qu'un droit à un remboursement d'impôt ne peut pas représenter un bien employé ou risqué dans une entreprise parce que le droit au remboursement dépend du succès de l'opposition ou de l'appel. À mon avis, l'arrêt Ensite n'aide pas la Couronne. Au contraire, l'arrêt Ensite confirme qu'il faut déterminer la nature fiscale du revenu en se fondant sur les faits propres à l'affaire. La question qui se posait dans l'affaire Ensite était de savoir si certains investissements faisaient partie de l'entreprise de fabrication du contribuable ou s'il s'agissait d'une entreprise distincte. Dans ce cas-ci, il n'est pas soutenu que l'intimée exploite deux entreprises; la Couronne affirme plutôt qu'une décision de payer l'impôt en question ne constitue pas du tout une activité commerciale. À mon avis, cette proposition n'est pas correcte.
[18] Comme le juge de la Cour de l'impôt, je conclus que rien n'étaye la thèse selon laquelle les intérêts sur un paiement d'impôt en trop ne peuvent jamais constituer un revenu d'entreprise. Étant donné que l'appel interjeté par la Couronne était uniquement fondé sur cette thèse, l'appel devrait être rejeté avec dépens.
« K. Sharlow »
Juge
« Je souscris à cet avis.
Le juge A.M. Linden »
« Je souscris à cet avis.
Le juge Marshall Rothstein »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-513-00
INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE
c.
IRVING OIL LIMITED
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 22 OCTOBRE 2001
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE SHARLOW
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LINDEN
LE JUGE ROTHSTEIN
DATE DES MOTIFS : LE 27 NOVEMBRE 2001
COMPARUTIONS :
M. Ernest Wheeler POUR L'APPELANTE
M. Joseph M. Steiner POUR L'INTIMÉE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Morris Rosenberg POUR L'APPELANTE
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
Osler, Hoskin et Harcourt POUR L'INTIMÉE
Toronto (Ontario)