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Date : 20031219

Dossier : A-336-02

Référence : 2003 CAF 480

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                    MARNI DANGERFIELD

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

                          Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 26 novembre 2003.

                              Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE SEXTON

                                                                                                                         LE JUGE MALONE


                                                                                                                              Date : 20031219

                                                                                                                          Dossier : A-336-02

                                                                                                            Référence : 2003 CAF 480

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                    MARNI DANGERFIELD

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LINDEN


[1]                 En l'espèce, il s'agit principalement de savoir si la « date d'exécution » du 1er mai 1997 a été précisée dans un jugement rendu par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba (la Cour) dans une affaire de droit de la famille, selon lequel une pension alimentaire périodique pour enfants devait être versée à la demanderesse. Si une telle date d'exécution a été précisée de la façon appropriée, la demanderesse n'a pas à payer l'impôt sur les versements effectués au titre de la pension alimentaire qui ont fait l'objet d'une nouvelle cotisation pour l'année 1999. Dans la négative, la demanderesse doit payer l'impôt sur les versements effectués au titre de la pension alimentaire.

LES FAITS

[2]                 La demanderesse et Paul Mountney cohabitaient; ils ont eu un enfant en 1991. Ils ont cessé de vivre ensemble au mois de mars 1992. En 1996, l'avocat de la demanderesse a envoyé une lettre à M. Mountney pour lui demander de payer une pension alimentaire mensuelle pour enfants de 250 $ à compter du 1er janvier 1997. Selon la lettre, le montant était calculé conformément aux Lignes directrices fédérales, DORS/97-175, pour l'application des nouvelles lois sur la pension alimentaire pour enfants; il était précisé que M. Mountney ne pourrait pas déduire ce montant, qui serait non imposable entre les mains de la demanderesse.

[3]                 Au mois de février 1997, l'appelante a présenté une requête à la Cour en vue d'obtenir une ordonnance en vertu de la Loi sur l'obligation alimentaire, L.M. 1977, ch. 47, C.P.L.M. ch. F20, à l'égard de la garde, de la pension alimentaire pour enfants, de la divulgation de renseignements financiers et d'une déclaration de filiation. Dans la requête qui lui a été signifiée, M. Mountney, qui résidait alors en Colombie-Britannique, était informé qu'à défaut de réponse, un jugement pourrait être rendu à son encontre.


[4]                 La requête a été entendue le 21 avril 1997. Monsieur Mountney n'était pas présent. La lettre adressée à M. Mountney dont il est ci-dessus fait mention était incluse dans la preuve présentée au juge Guertin-Riley (le juge). Le juge a oralement accordé la réparation suivante :

[TRADUCTION] LA COUR : Il y aura une déclaration de paternité. Il y aura une ordonnance de garde exclusive. Il y aura une ordonnance de pension alimentaire pour enfants pour un montant de 250 $ par mois à verser à compter du 1er mai. M. Mountney aura l'occasion de faire réviser la pension alimentaire pour enfants lorsqu'il aura procédé à la divulgation de sa situation financière, ce qui, dans les circonstances, inclura l'information relative au revenu de son épouse.

[5]                 Comme d'habitude, un feuillet de résumé d'ordonnance assorti des mêmes conditions a également été signé par le juge le 21 avril 1997. Le jugement formel a par la suite été préparé par l'avocat de la demanderesse; il a été signé par le registraire adjoint le 5 mai 1997. La première page du jugement était datée du 21 avril 1997. Le jugement portait sur cinq points précis, dont quatre ne sont pas ici pertinents. La disposition relative au paiement de la pension alimentaire est ainsi libellée :

[TRADUCTION] La Cour statue : [...]

c)              que le défendeur doit payer à la requérante à titre de pension alimentaire pour ladite enfant la somme de 250 $ par mois le 1er jour de chaque mois à compter du 1er mai 1997;

[6]                 Au cours de l'année d'imposition 1999, la demanderesse a reçu 3 182 $ au titre de la pension alimentaire pour enfants. Elle n'a pas inclus ce montant dans son revenu, mais M. Mountney a déduit le montant en question de son revenu dans sa déclaration de revenu. La défenderesse a établi une nouvelle cotisation à l'égard de la demanderesse, qui a interjeté appel devant la Cour de l'impôt, et cette dernière a rendu un jugement contre elle.


ANALYSE

[7]                 À la suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Thibodeau c. La Reine, [1995] 1 C.T.C. 382, même si le droit du gouvernement d'imposer les versements effectués au bénéficiaire au titre d'une pension alimentaire a été reconnu, la législation a d'une façon générale été modifiée en vue d'éliminer, entre autres, l'obligation de payer un impôt sur les versements effectués au titre d'une pension alimentaire pour enfants conformément à des ordonnances ou accords écrits après une « date d'exécution » particulière. Le sous-alinéa 56.1(4)b)(iv) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1(la Loi) renferme la définition pertinente suivante de la date d'exécution :


56.1(4)(b) date d'exécution : quant à un accord ou une ordonnance :

[. . .]

56.1(4)(b) "commencement day" at any time of an agreement or order means:

. . .

(iv) le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

(iv) the day specified in the agreement or order, or any variation thereof, as the commencement day of the agreement or order for the purposes of this Act.


[8]                 Le problème qui se pose ici est que le jugement de la Cour a été prononcé le 21 avril 1997 et qu'il a formellement été signé le 5 mai 1997; or, il était expressément prévu que la clause c) qui y figurait, laquelle portait sur la pension alimentaire pour enfants, devait commencer à s'appliquer le 1er mai 1997. Il est certain que les jugements et les ordonnances sont considérés de la même façon par les Règles de la Cour du Banc de la Reine, Règ. Man. 553/88.


[9]                 Il n'est pas contesté que le jugement ou l'ordonnance dans l'ensemble a pris pour effet le jour où il a été prononcé, conformément à l'article 1.04.1 des Règles de la Cour du Banc de la Reine, à savoir le 21 avril 1997. Il n'est pas non plus soutenu que le 5 mai 1997, soit la date à laquelle le jugement ou l'ordonnance a été signé, était important dans le présent appel. En effet, le litige porte sur la question de savoir si la partie du jugement ou de l'ordonnance concernant la pension alimentaire pour enfants peut avoir une date d'exécution différente de la date de prise d'effet (le 21 avril) du jugement ou de l'ordonnance dans son ensemble, à savoir le 1er mai 1997, soit la date précisée dans la clause portant sur les versements à effectuer au titre de la pension alimentaire pour enfants.


[10]            Le juge de la Cour de l'impôt, qui était apparemment d'avis que l'ordonnance dans son ensemble devait prévoir une date d'exécution commune, a statué que « la date à laquelle les versements de pension alimentaire doivent commencer ne peut pas être considérée comme la " date d'exécution " de l'ordonnance elle-même dans le cadre du sous-alinéa b)(iv) de la définition de l'expression " date d'exécution " » . Il a en outre conclu qu' « il n'y a toujours pas de date d'exécution dans l'ordonnance elle-même » . Avec égards, je ne suis pas d'accord. Le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en arrivant à cette conclusion. Une ordonnance relative à une pension alimentaire doit comporter une date d'exécution (voir : Pach c. La Reine et Rosenberg, [2003] CAF 363, juge Malone), mais le libellé de l'ordonnance ici en cause précise, en vue du paiement de la pension alimentaire pour enfants, une « date d'exécution » qui est conforme aux dispositions du sous-alinéa 56.1(4)b)(iv).

[11]            Le jugement ou l'ordonnance de la Cour, en date du 21 avril 1997, renfermait plusieurs clauses, dont certaines constituaient des ordonnances individuelles dans le document intitulé [TRADUCTION] « Jugement » . Comme il en a ci-dessus été fait mention, le début de l'ordonnance ou du jugement est ainsi libellé : [TRADUCTION] « La Cour statue [...] » et cinq points particuliers sont ensuite énumérés (aux alinéas a) à e). Aucune date d'exécution n'est précisée pour l'ordonnance dans son ensemble, et pour quatre des clauses, portant sur la garde et sur d'autres questions, mais à l'alinéa c), il est expressément fait mention de la date à laquelle les versements effectués au titre de la pension alimentaire pour enfants doivent commencer, ce qui est particulièrement pertinent en l'espèce.


[12]            Les ordonnances et les jugements sont souvent des documents compliqués portant sur de nombreuses questions. Un jugement ou une ordonnance renferme parfois de nombreuses ordonnances. Il arrive souvent que différentes parties des ordonnances (et en fait des accords) doivent avoir des dates de prise d'effet différentes. Il était donc erroné sur le plan juridique de statuer que, pour qu'il soit possible de tirer parti de la disposition en question, il ne doit y avoir qu'une date d'exécution applicable, à tous les égards, à une ordonnance compliquée portant sur plusieurs éléments individuels. Il faut permettre aux juges et aux parties aux accords de préciser différentes dates de prise d'effet ou d'exécution pour différentes parties des diverses ordonnances qu'ils élaborent. Certaines ordonnances ou parties d'ordonnances sont même rétroactives. Cette approche est conforme au but législatif de la disposition, à savoir offrir un allégement fiscal aux conjoints ayant la garde à la suite de la rupture de la famille. Il faut éviter une interprétation inutilement technique privant les conjoints qui ont la garde de l'allégement fiscal qui leur est accordé par le législateur. Le jugement qui a été rendu dans l'affaire Veilleux c. R., [2002] CAF 201 étaye ce point de vue. Dans cet arrêt, le juge Létourneau a dit ce qui suit :

[...] il m'apparaît important de ne pas adopter une interprétation si restrictive d'une disposition législative qu'elle, [...], triture l'intention du législateur au regard de cette disposition [...]


[13]            À mon avis, une date d'exécution a été précisée dans ce cas-ci à l'égard des versements à effectuer au titre de la pension alimentaire. Telle était clairement l'intention du juge qui a rendu l'ordonnance en question. La transcription démontre d'une façon concluante que le juge a, entre autres, rendu oralement une ordonnance distincte en tant que partie intégrante du jugement qui a été prononcé le 21 avril 1997, des versements mensuels de 250 $ devant commencer à être effectués le 1er mai 1997 au titre de la pension alimentaire. Certains doutes ont été exprimés au sujet de la question de la date d'exécution dans la transcription, mais la question a été réglée à la satisfaction du juge, qui voulait clairement se conformer à la nouvelle législation en précisant une date d'exécution permettant la non-imposition des versements effectués en faveur de la demanderesse. Cet avis est confirmé dans le feuillet de résumé d'ordonnance signé par le juge le 21 avril 1997, lequel comportait une inscription distincte sous le titre [TRADUCTION] « Pension alimentaire » , indiquant qu'un montant mensuel de 250 $ devait être payé [TRADUCTION] « à compter du 1er mai 1997 » . Les autres ordonnances qui ont été rendues dans ce document ne précisent pas la date d'exécution, car il n'était pas nécessaire d'en préciser une à des fins fiscales ou à d'autres fins.

[14]            Il ressort également clairement de la documentation qu'une date d'exécution était précisée, ce qui démontre que les parties voulaient préciser une date d'exécution en vue du paiement de la pension alimentaire pour enfants afin d'éviter de payer l'impôt sur les versements effectués conformément à la nouvelle législation. De toute évidence, le juge de la Cour de l'impôt croyait comprendre que c'est ce que voulaient la demanderesse et son avocat. Dans la lettre du 10 décembre 1996 qui a été incluse dans la preuve, l'avocat de la demanderesse a écrit au père de l'enfant pour l'informer qu'en vertu de la nouvelle loi, la demanderesse [TRADUCTION] « n'aura[it] pas à payer d'impôt sur ce montant et [qu'il] ne pourr[ait] pas déduire ce montant » . Le père n'a pas répondu à cette lettre; de plus, il n'a même pas comparu à l'audience, ce qui montrait qu'il était prêt à se plier aux ordonnances qui étaient rendues contre lui. S'il s'opposait aux ordonnances demandées, il aurait dû prendre les mesures nécessaires pour se défendre. Toutefois, il a par la suite, paradoxalement, déduit de son revenu déclaré le montant des versements effectués au titre de la pension alimentaire, contrairement à ce que voulaient la demanderesse, l'avocat et, selon toute probabilité, le juge qui a rendu l'ordonnance.


[15]            L'argument selon lequel la disposition en question exige qu'il soit expressément mentionné dans l'accord ou dans l'ordonnance que la date d'exécution est précisée « pour l'application de la présente loi » est dénué de fondement. Il ressort clairement de la jurisprudence que pareille condition technique n'est pas nécessaire. On exige uniquement que la date d'exécution soit incluse dans l'ordonnance pour l'application de la Loi; l'ordonnance n'a pas à énoncer expressément que la date est précisée pour l'application de la Loi. Il est souvent parfaitement évident, comme c'était ici le cas, que la date est précisée pour l'application de la Loi; si cela n'est pas évident, une preuve peut être présentée à cet égard, comme cela a été fait en l'espèce.

[16]            La demande sera accueillie, la décision du juge de la Cour de l'impôt sera annulée et l'appel que la demanderesse a interjeté contre la nouvelle cotisation établie pour son année d'imposition 1999 sera accueilli, les dépens étant adjugés en appel et en première instance.

« A. M. Linden »

Juge

« Je souscris aux présents motifs.

J. Edgar Sexton, juge »

« Je souscris aux présents motifs.

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         A-336-02

INTITULÉ :                                                        Marni Dangerfield

c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 26 novembre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                                     LE 19 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Thor Hansel                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Angela Evans                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aikins, MacAulay et Thorvaldson                       POUR LA DEMANDERESSE

Winnipeg

Morris Rosenberg                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


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