Date : 20010402
Dossier : A-132-99
Référence neutre : 2001 CAF 93
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
E n t r e :
LEILA PAUL
appelante
- et -
SOCIÉTÉ RADIO-CANADA
intimée
Audience tenue à Toronto (Ontario) le mercredi 29 novembre 2000
JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario) le lundi 2 avril 2001
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE SEXTON
Y A SOUSCRIT : LE JUGE ROTHSTEIN
MOTIFS CONCORDANTS : LE JUGE STRAYER
Date : 20010402
Dossier : A-132-99
Référence neutre : 2001 CAF 93
OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 2 AVRIL 2001
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
E n t r e :
LEILA PAUL
appelante
- et -
SOCIÉTÉ RADIO-CANADA
intimée
JUGEMENT
L'appel est accueilli en partie. La plainte est renvoyée à la Commission pour qu'elle la réexamine conformément aux motifs du jugement. Seuls les commissaires qui n'ont pas pris part à la première décision pourront faire partie de la formation collégiale chargée de procéder au réexamen de l'affaire.
« B.L. Strayer »
J.C.A.
Traduction certifiée conforme
Martine Guay,. LL.L.
Date : 20010402
Dossier : A-132-99
Référence neutre : 2001 CAF 93
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
E n t r e :
LEILA PAUL
appelante
- et -
SOCIÉTÉ RADIO-CANADA
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE SEXTON
Introduction
[1] La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a tenu compte du rapport dans lequel un conciliateur relatait en détail des propositions de règlement formulées par les parties à titre confidentiel pour se prononcer sur l'opportunité de demander la constitution d'un tribunal chargé d'instruire la plainte déposée par l'appelante. La Commission a effectivement demandé la constitution d'un tribunal en dépit des objections de l'intimée, qui soutenait que l'article 47 de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit de divulguer ce type de renseignements en l'absence de consentement des parties.
Les faits
[2] L'appelante, Mme Leila Paul, était, à l'époque en cause, journaliste et chef d'antenne. En novembre 1987, elle a été embauchée à titre temporaire par la station de télévision de Vancouver de Radio-Canada pour présenter le bulletin télévisé d'informations locales de fin de soirée Night Final les week-ends et pour remplacer le présentateur du bulletin télévisé local. Elle a également travaillé à l'occasion comme journaliste et rédactrice jusqu'en avril 1989. Au moment de son embauche, Mme Paul était âgée de 42 ans. Elle avait accumulé 16 années d'expérience comme rédactrice, journaliste et présentatrice du journal télévisé.
[3] En août 1988, le poste de chef d'antenne du journal télévisé local de 18 h, News Centre, est devenu vacant. Le poste à pourvoir a été annoncé selon les règles applicables. Mme Paul était au courant de cette vacance mais elle ne s'est pas portée candidate. Elle affirme que le fait que la direction de la Société Radio-Canada (la SRC) à Vancouver ne l'avait pas invitée à poser sa candidature, que le directeur de la télévision n'avait pas mentionné ce poste lors de la discussion qu'il avait eue avec elle au sujet de son avenir à la station et qu'un agent des ressources humaines lui avait fait remarquer qu'il serait inutile de se porter candidate l'avait dissuadée de poser sa candidature. Un candidat plus jeune a finalement été retenu pour occuper ce poste.
[4] En mai 1989, le poste de présentateur en semaine du journal télévisé Night Final est devenu vacant. Là encore, le poste à pourvoir a été annoncé selon les règles applicables. Mme Paul a discuté du poste avec le chef de production du journal télévisé et a manifesté son intérêt pour ce poste. À l'instar des dix autres candidats, dont la candidate reçue, Mme Paul s'est portée candidate verbalement. La sélection a été effectuée par le chef de direction en collaboration avec le producteur principal du journal télévisé Night Final. À la suite d'une audition et d'une évaluation de ses compétences en comparaison avec celles des autres candidats, le jury de sélection a estimé que Mme Gloria Macarenko était la meilleure candidate.
[5] Mme Macarenko a été engagée comme présentatrice du journal télévisé Night Final. Au moment de son embauche, elle avait 27 ans. Son expérience en journalisme se bornait à la presse écrite et à la radio. Elle avait travaillé pendant quatre ans comme présentatrice suppléante du bulletin météorologique à la télévision et avait également figuré dans des messages publicitaires à la télévision. Elle ne possédait pas de diplôme universitaire, mais était titulaire d'un diplôme d'études post-secondaires en journalisme de radiotélévision et avait étudié les langues pendant quatre ans dans divers établissements. À l'époque de l'enquête, en 1996, elle était toujours la présentatrice du journal télévisé News Final diffusé en semaine.
[6] En août 1989, Mme Paul s'est démise de ses fonctions à la SRC et a accepté un poste de chef d'antenne chez un concurrent.
Genèse de l'instance
[7] En septembre 1989, Mme Paul a porté plainte devant la Commission. Elle affirmait avoir fait l'objet de discrimination fondée sur l'âge et sur le sexe lors du concours qui avait eu lieu en 1989 pour le poste de présentateur du News Final et de discrimination fondée sur le sexe lors du concours de 1988 relatif au poste de présentateur de News Centre. La plainte a été communiquée à l'intimée.
[8] Vers septembre 1990, Mme Paul a déposé une nouvelle plainte dans laquelle elle alléguait qu'elle avait fait l'objet de harcèlement sexuel de la part du chef de direction du journal télévisé en mars et en avril 1989. La Commission a finalement décidé de proroger le délai d'un an normalement prévu pour la présentation de cette plainte. Saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance a annulé cette décision au motif qu'elle était fondée sur un rapport d'enquête partial et inéquitable. En 1994, Mme Paul a déposé deux nouvelles plaintes de harcèlement sexuel, l'une contre le chef de direction et l'autre contre la SRC. La Commission a de nouveau décidé de proroger les délais prescrits et la SRC a une fois de plus présenté une demande de contrôle judiciaire. Avant l'audition de la demande, Mme Paul a retiré ses plaintes.
[9] Le personnel de la Commission a choisi de suspendre l'enquête sur la première plainte en attendant qu'une décision soit rendue au sujet des autres plaintes. En conséquence, le rapport d'enquête sur la première plainte n'a été déposé que le 29 juillet 1996. L'enquêteur a recommandé à la Commission de prendre la mesure prévue à l'article 47 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui autorise la Commission à « charger un conciliateur d'en arriver à un règlement de la plainte » .
[10] La Commission n'a pas besoin du consentement des parties pour pouvoir nommer un conciliateur en vertu de l'article 47. Il s'ensuit que, si un conciliateur est nommé, les parties sont obligées de participer à la procédure de conciliation qu'elles le veuillent ou non. En fait, dans une lettre datée du 19 août 1996, la SRC s'est opposée à la désignation d'un conciliateur en invoquant plusieurs irrégularités dont le rapport d'enquête était à son avis entaché. Malgré cette opposition, la Commission a donné suite à la recommandation de l'enquêteur le 16 septembre 1996 et a nommé un conciliateur.
[11] Les parties ont rencontré le conciliateur mais n'ont pas pu s'entendre sur un règlement. Le conciliateur a rédigé un rapport dans lequel il exposait la position des deux parties et reproduisait l'offre de règlement de la SRC que la plaignante avait rejetée.
[12] Dans une lettre datée du 14 novembre 1996, le directeur du contrôle de la conformité de la Commission a informé la SRC que la plainte était déférée à la Commission, étant donné que les pourparlers entre le conciliateur et les parties n'avaient pas permis d'en arriver à un règlement. Le directeur ajoutait dans sa lettre que [TRADUCTION] « pour rendre sa décision, la Commission examinera le rapport de conciliation ci-joint ainsi que les observations que les parties pourront lui présenter par écrit » .
[13] La SRC a répondu par une lettre en date du 29 novembre 1996. Elle a réitéré ses griefs au sujet des irrégularités dont, à son avis, le rapport d'enquête était entaché. Elle s'est par ailleurs énergiquement opposée à la communication du rapport de conciliation à la Commission :
[TRADUCTION]
En ce qui concerne le rapport de conciliation lui-même, la SRC estime que le fait de dévoiler sa position et celle de Mme Paul, ainsi que les offres qui ont été faites et qui ont été rejetées, est fortement répréhensible. L'offre de règlement que la SRC a faite à Mme Paul et dont il est fait mention dans le rapport de conciliation a été faite à titre strictement confidentiel, étant expressément entendu que cette offre était faite sans préjudice de la thèse de la SRC suivant laquelle la plainte de Mme Paul était mal fondée. Cette divulgation est également contraire à l'interdiction expresse de divulguer ce type de renseignements qui est formulée à l'article 47 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette divulgation va à l'encontre des objectifs fondamentaux de la conciliation, qui sont de permettre aux parties de discuter dans un cadre informel et sous toutes réserves des modalités d'un éventuel règlement de la plainte. Le fait de mettre la Commission au courant des offres de règlement qui ont été faites ou de la position des parties fait entièrement échec à cette procédure et crée une crainte raisonnable de partialité en ce qui concerne toute décision que la Commission peut rendre après avoir pris connaissance de ces renseignements.
[14] La Commission a décidé de demander la constitution d'un tribunal chargé d'instruire la plainte de Mme Paul. La décision a été communiquée à la SRC par lettre datée du 13 février 1997. Dans cette lettre, la Commission informait la SRC qu'elle avait examiné le rapport de conciliation ainsi que les observations que la plaignante avait formulées en réponse à ce rapport. Il importe de signaler que la Commission ne précisait pas dans sa lettre si elle avait pris connaissance du rapport d'enquête ou des observations formulées par la SRC.
[15] L'intimée a présenté le 13 mars 1997 une demande de contrôle judiciaire de cette décision.
Décision frappée d'appel
[16] Le juge des requêtes a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a annulé la décision de la Commission. Voici ce qu'elle a conclu au sujet des questions soumises à notre Cour :
1. La demande de contrôle judiciaire de la décision a été introduite dans le délai prescrit ;
2. La décision de la Commission ne peut être confirmée pour les raisons suivantes :
a. La Commission n'a pas fait preuve envers la SRC du degré requis d'équité procédurale :
(i) en se fondant sur un rapport d'enquête qui était partial et incomplet ;
(ii) en faisant reposer sa décision sur des éléments qui avaient été portés à sa connaissance sans avoir été communiqués à la SRC ;
b. La communication du rapport du conciliateur à la Commission sans le consentement de la SRC viole le paragraphe 47(3) de la Loi et vicie la décision étant donné que celle-ci est fondée sur des éléments d'information qui ont été portés à la connaissance de la Commission de façon irrégulière ;
c. Les éléments dont disposait la Commission n'étaient pas suffisants pour justifier sa décision de requérir la constitution d'un tribunal ;
3. L'affaire ne devrait pas être renvoyée à la Commission pour réexamen.
[17] Mme Paul interjette appel de cette décision devant notre Cour en alléguant que le juge des requêtes s'est méprise en ce qui concerne chacune de ses conclusions.
Questions en litige
[18] Je me propose d'examiner les questions suivantes :
1. L'intimée a-t-elle présentée sa demande après l'expiration du délai prescrit ?
2. La communication du rapport de conciliation à la Commission sans le consentement de la SRC vicie-t-elle la décision de la Commission de renvoyer la plainte au tribunal ?
3. La Commission a-t-elle tenu compte de tous les éléments d'information qui avaient été régulièrement portés à sa connaissance lorsqu'elle a décidé de renvoyer la plainte au tribunal ?
4. Le juge des requêtes a-t-elle commis une erreur en décidant de ne pas renvoyer la plainte à la Commission pour réexamen ?
Dispositions législatives applicables
[19] Loi canadienne sur les droits de la personne[1]
7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects_: a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu; b) de le défavoriser en cours d'emploi. |
7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly, (a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or (b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination. |
44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête. ... (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission : |
44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation. ... (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission |
a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue_: (i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié, (ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e); |
(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and (ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or |
b) rejette la plainte, si elle est convaincue_: (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié, (ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e). 47. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission peut charger un conciliateur d'en arriver à un règlement de la plainte, soit dès le dépôt de celle-ci, soit ultérieurement dans l'un des cas suivants_: a) l'enquête ne mène pas à un règlement; b) la plainte n'est pas renvoyée ni rejetée en vertu des paragraphes 44(2) ou (3) ou des alinéas 45(2)a) ou 46(2)a); c) la plainte n'est pas réglée après réception par les parties de l'avis prévu au paragraphe 44(4). |
(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or (ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e). 47. (1) Subject to subsection (2), the Commission may, on the filing of a complaint, or if the complaint has not been (a) settled in the course of investigation by an investigator, (b) referred or dismissed under subsection 44(2) or (3) or paragraph 45(2)(a) or 46(2)(a), or (c) settled after receipt by the parties of the notice referred to in subsection 44(4), appoint a person, in this Part referred to as a "conciliator", for the purpose of attempting to bring about a settlement of the complaint. |
(2) Pour une plainte donnée, les fonctions d'enquêteur et de conciliateur sont incompatibles. (3) Les renseignements recueillis par le conciliateur sont confidentiels et ne peuvent être divulgués sans le consentement de la personne qui les a fournis. |
(2) A person is not eligible to act as a conciliator in respect of a complaint if that person has already acted as an investigator in respect of that complaint. (3) Any information received by a conciliator in the course of attempting to reach a settlement of a complaint is confidential and may not be disclosed except with the consent of the person who gave the information. |
48. (1) Les parties qui conviennent d'un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l'audience d'un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l'approbation de la Commission. (2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties. (3) Le règlement approuvé par la Commission peut, par requête d'une partie ou de la Commission à la Cour fédérale, être assimilé à une ordonnance de cette juridiction et être exécuté comme telle. |
48. (1) When, at any stage after the filing of a complaint and before the commencement of a hearing before a Human Rights Tribunal in respect thereof, a settlement is agreed on by the parties, the terms of the settlement shall be referred to the Commission for approval or rejection. (2) If the Commission approves or rejects the terms of a settlement referred to in subsection (1), it shall so certify and notify the parties. (3) A settlement approved under this section may, for the purpose of enforcement, be made an order of the Federal Court on application to that Court by the Commission or a party to the settlement. |
49. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l'instruction est justifiée. |
49. (1) At any stage after the filing of a complaint, the Commission may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry into the complaint if the Commission is satisfied that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry is warranted. |
Analyse
Première question : La demande a-t-elle était déposée avant l'expiration du délai ?
[20] Dans ses observations écrites, l'appelante affirme que la demande de contrôle judiciaire présentée par l'intimée vise uniquement le rapport d'enquête. Elle soutient que, comme le rapport en question a été remis aux parties en août 1996, c'est à ce moment-là (et non après que la Commission eut décidé de demander la constitution d'un tribunal en mars 1997) que l'intimée devait contester le rapport en présentant une demande de contrôle judiciaire.
[21] Je ne puis retenir cet argument. Le libellé de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale est limpide[2]. La demande doit être présentée dans les trente jours de la décision qu'elle vise. L'intimée n'a pas contesté la décision de l'enquêteur de publier son rapport, mais bien la décision de la Commission de demander la constitution d'un tribunal. Et elle l'a fait dans les délais prescrits.
[22] Je tiens à formuler une dernière observation au sujet de cet argument. Ainsi que je vais en discuter plus loin, des considérations d'ordre public ont amené les tribunaux et le législateur à trouver des moyens d'inciter les parties à résoudre leurs différends. Accepter la thèse de l'appelante obligerait un plaideur à choisir entre partis incompatibles : ou bien il conteste un rapport qu'il juge entaché d'irrégularités en introduisant une demande de contrôle judiciaire, ou bien il recourt à la procédure de conciliation, auquel cas toute contestation future du rapport risque d'être prescrite. À mon avis, un tel scénario irait à l'encontre de l'ordre public en encourageant les procès et en décourageant les tentatives de règlement des litiges.
Deuxième question : Le rapport de conciliation
[23] De nos jours, le temps et les coûts associés aux procès portant sur des questions complexes sont devenus des obstacles majeurs auxquels sont confrontés les justiciables qui souhaitent faire trancher leurs différends selon la formule traditionnelle du débat contradictoire. Dans ce contexte, les modes de règlement extrajudiciaire des différends revêtent une importance de plus en plus grande. D'ailleurs, des mécanismes comme la conciliation et la médiation sont devenus des outils puissants de règlement des différends d'ordre juridique.
[24] Les tribunaux ont depuis longtemps pour principe d'encourager le règlement rapide et efficace des différends en favorisant leur résolution. Ainsi, suivant un traité remontant au début du XIXe siècle, lord Mansfield aurait exprimé l'avis qu'il faut permettre aux plaideurs de « se réconcilier » sans égard à la responsabilité[3]. Le lord chancelier s'est exprimé en des termes semblables dans l'arrêt Tennant v. Hamilton :
[TRADUCTION]
[...] c'est souvent une sage décision, indépendamment du bien-fondé de la plainte, de verser une somme d'argent pour tranquilliser le plaignant[4].
[25] Les tribunaux reconnaissent depuis tout aussi longtemps et avec tout autant de constance l'importance de protéger légalement la confidentialité des mesures prises par les parties au litige pour résoudre leurs différends[5]. D'ailleurs, dès 1790, le juge en chef Kenyon faisait observer que [TRADUCTION] « les concessions faites par une partie pour faire la paix et pour éviter un procès » ne devaient pas être admises en preuve au détriment de leur auteur[6]. Dans l'arrêt Waldridge v. Kennison, le même juge déclare :
[TRADUCTION]
[...] tout aveu ou concession faits par une plaideur au sujet de l'objet de l'action et qui a été obtenu en vue d'un règlement et sur la foi de celui-ci et que ce plaideur a pu être amené à faire sur la foi d'un compromis imminent, ne peut être admis en preuve contre lui[7].
[26] La raison d'être de la protection de la confidentialité des tentatives de règlement des différends a été analysée par les tribunaux britanniques et américains dans des décisions plus récentes. À ce propos, voici ce que déclare le juge Oliver, dans un jugement très important portant sur le privilège reconnu en common law en ce qui concerne les offres de règlement faites « sous toutes réserves » :
[TRADUCTION]
Il ressort clairement d'un grand nombre d'arrêts et ouvrages que la règle est fondée, en partie du moins, sur l'ordre public, et, pour l'enquête, le point de départ commode est la nature du principe sous-jacent. C'est-à-dire qu'il faudrait encourager dans toute la mesure du possible les parties à régler leurs différends sans procès, et non qu'elles soient dissuadées de le faire parce qu'elles savent que tout ce qui se dit au cours des négociations [...] peut être utilisé à leur détriment au cours de la procédure. Comme l'a exprimé le juge Clauson dans Scott Paper Co. v. Drayton Paper Works Ltd. (1927), 44 R.P.C. 151, 156, il faudrait encourager pleinement et franchement les parties à jouer cartes sur table [...] En vérité, la justification de l'ordre public repose essentiellement sur l'intérêt qu'il y a d'éviter que des déclarations ou des offres faites au cours de négociations en vue d'un règlement soient soumises au tribunal chargé d'instruire l'affaire en tant qu'aveux sur la question de la responsabilité[8].
[27] La deuxième cour d'appel de circuit a, au sujet de l'obligation de confidentialité prévue par les règles régissant les pourparlers préalables au procès, recouru à la même image des « cartes sur la table » :
[TRADUCTION]
La garantie de confidentialité permet aux parties de discuter à leur aise et les encourage à le faire [...] Si les participants ne peuvent être assurés de la confidentialité de tout ce qui se passe lors de leurs rencontres, ils se sentiront nécessairement obligés de se comporter avec circonspection, d'être peu bavards et de ne pas se compromettre d'une façon qui convient davantage à des personnes qui jouent une partie de poker dont la mise est élevée qu'à des adversaires qui essaient d'en arriver à un règlement équitable d'un différend civil[9].
[28] Notre Cour a également formulé des observations au sujet de la protection de la confidentialité. Dans l'arrêt Bertram c. Canada, voici ce que le juge Hugessen a déclaré, après avoir examiné la jurisprudence relative à l'exclusion des communications faites « sous toutes réserves » :
Selon moi, il ressort clairement de ces citations que les tribunaux ont le souci d'éviter aux parties d'être mises dans l'embarras par des tentatives de concession ou de compromis, voire des aveux de faiblesse. En bref, ce que les parties disent contre leur intérêt durant des négociations est dit sous toutes réserves, en ce sens que leurs déclarations ne peuvent être utilisées par la suite contre elles[10].
[29] S'inspirant des mêmes principes d'ordre public, le législateur a conçu des outils législatifs permettant d'encourager le règlement extrajudiciaire des différends. Parmi ces outils, il y a lieu de mentionner les régimes de médiation et de conciliation obligatoires qui s'appliquent aux différends relevant de la compétence des tribunaux judiciaires ou des tribunaux administratifs. La protection du caractère confidentiel revêt, si c'est possible, encore plus d'importance dans le contexte de ces régimes. Ainsi que le professeur Watson Hamilton l'affirme dans son analyse des régimes de médiation obligatoire :
[TRADUCTION]
Lorsqu'une procédure leur est imposée, les parties doivent avoir confiance en l'intégrité de cette procédure et de ceux qui jouent un rôle important dans le cadre de cette procédure. Le fait de contraindre un médiateur à témoigner ou à produire des documents risque d'amener les parties à croire que le médiateur, le programme ou la procédure elle-même ne respecte pas la confidentialité des communications. Bien qu'une telle perception soit normalement susceptible d'amener les parties à éviter la médiation, les parties ne peuvent s'y soustraire lorsque la médiation est obligatoire. Elles risquent cependant de considérer la médiation comme une simple formalité.
Le fait de considérer la médiation comme une simple formalité irait à l'encontre du rôle de soutien de l'ordre judiciaire que joue ce mécanisme. La médiation obligatoire vise notamment à améliorer l'efficacité de l'appareil et des administrateurs judiciaires en permettant d'éviter l'engorgement des tribunaux et en réduisant les délais et les coûts que doivent subir les plaideurs. Elle vise aussi à améliorer la qualité des interventions grâce à des procédures et à des solutions plus satisfaisantes ou mieux adaptées, à sauvegarder et à améliorer les rapports entre les justiciables et à favoriser la prise en charge de ses responsabilités tant au plan individuel que collectif. En fait, si la participation à une procédure de médiation devient un geste vide de sens, le système judiciaire en sera d'autant moins efficace et les plaideurs risquent d'être insatisfaites[11].
[30] Le libellé du paragraphe 47(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne témoigne de l'importance que le législateur fédéral accorde à la confidentialité en ce qui concerne les mécanismes de conciliation prévus par cette loi :
Renseignements confidentiels
(3) Les renseignements recueillis par le conciliateur sont confidentiels et ne peuvent être divulgués sans le consentement de la personne qui les a fournis.
Cette disposition interdit de façon absolue au conciliateur de divulguer tout renseignement sans le consentement de la personne qui les lui a communiqués. Cette interdiction s'accorde avec le pouvoir conféré à la Commission par l'article 47 de charger un conciliateur d'en arriver à un règlement de la plainte sans le consentement des parties. Sans la protection de la confidentialité, les parties risquent d'être empêchées de participer pleinement au processus, soit en « se croisant les bras » en attendant la décision de celui qui sera appelé au bout du compte à trancher la question, soit en faisant preuve d'une prudence excessive lorsqu'elles essaient de trouver un terrain d'entente et de faire des concessions ou des offres de compromis, rendant ainsi le mécanisme de conciliation inefficace.
[31] L'appelante soutient que l'article 48 de la Loi, qui oblige la Commission à ratifier tout règlement proposé, et l'article 49, qui oblige la Commission à tenir compte des circonstances de la plainte avant de demander la constitution d'un tribunal, montrent bien que la protection dont bénéficie la confidentialité comporte des limites qui font en sorte que la Commission a le droit d'obtenir que le rapport de conciliation lui soit divulgué. Je ne suis pas de cet avis. Le paragraphe 47(3) ne renferme à mon avis aucune disposition qui permettrait de faire exception en faveur de la Commission et les arguments invoqués au soutien de la divulgation du rapport ne m'apparaissent pas convaincants.
[32] Pour ce qui est de l'argument tiré de l'article 48, les parties qui en arrivent à un règlement au cours de la conciliation savent bien que ce règlement doit être ratifié. Cette exigence n'est pas incompatible avec l'obligation suivant laquelle les renseignements recueillis par le conciliateur ne peuvent être divulgués sans le consentement de la personne qui les a fournis. La demande d'approbation constitue le consentement à la divulgation des modalités du règlement intervenu. Cette approbation accordée par un organe de contrôle n'a rien d'inusité ou de nouveau. Depuis longtemps, les tribunaux sont appelés à homologuer des règlements portant, par exemple, sur des mineurs, des personnes faibles d'esprit ou des fiduciaires. Dans aucun de ces cas, cette fonction de contrôle n'enlève quoi que ce soit au privilège dont jouissent les négociations conduisant au règlement.
[33] Dans le même ordre d'idées, il n'y a absolument rien qui permette de penser que les renseignements recueillis lors de la conciliation font partie des circonstances envisagées par l'article 49. À mon avis, il faudrait des termes énergiques et explicites pour éteindre un privilège qui existe depuis plus de 200 ans. D'ailleurs, compte tenu du libellé non ambigu du paragraphe 47(3), je refuse d'adopter l'interprétation large préconisée par l'appelante, qui soutient que le rapport de conciliation fait partie des « circonstances » dont il est question à l'article 49.
[34] L'appelante invoque également deux décisions à l'appui de sa thèse que la Commission avait le droit de prendre connaissance du rapport de conciliation. À mon avis, aucune de ces décisions n'est utile, étant donné que chacune porte sur des faits différents de ceux de la présente espèce.
[35] Dans l'affaire Garnhum c. Canada (Commission des droits de la personne)12, la Commission avait effectivement en mains le rapport d'un conciliateur lorsqu'elle a décidé de rejeter la plainte. Toutefois, la thèse soutenue devant le juge Noël (maintenant juge à la Cour d'appel) ne soulevait même pas la question qui est en litige devant notre Cour, en l'occurrence la question de savoir si la Commission a agi irrégulièrement en prenant connaissance du rapport. De plus, dans l'affaire Garnhum, rien ne permettait de penser que l'une ou l'autre partie n'avait pas consenti à la communication du rapport à la Commission.
[36] Dans l'affaireJazairi v. Ontario (Human Rights Commission)13, la Cour divisionnaire de l'Ontario s'est penchée sur la question de savoir si la Commission avait eu raison de tenir compte d'une offre de règlement pour décider de rejeter la plainte. La Cour a statué que la Commission pouvait prendre acte du fait que des discussions en vue d'un règlement avaient eu lieu. Elle a toutefois estimé qu'il n'était pas nécessaire de se prononcer davantage sur la question, étant donné que la décision finale à l'examen avait été prise sans que l'auteur de cette décision ait en mains l'offre de règlement en cause14.
[37] Pour résumer, j'estime que, faute de consentement, le paragraphe 47(3) de la Loi interdisait de façon absolue au conciliateur de divulguer les renseignements qui lui avaient été révélés par la SRC, notamment l'offre de règlement faite à Mme Paul au cours de la procédure de conciliation. L'intimée n'a pas donné son consentement à la divulgation de ces renseignements à la Commission. En fait, lorsqu'elle a appris que la Commission avait l'intention de tenir compte du rapport pour rendre sa décision, la SRC a protesté et a appelé l'attention de la Commission sur la disposition pertinente. Eu égard à ces circonstances, je conclus qu'en recevant le rapport et en en prenant connaissance malgré les protestations énergiques de la SRC, la Commission a agi de façon irrégulière.
[38] Cette raison suffit à elle seule à justifier l'annulation de la décision de la Commission de demander la constitution d'un tribunal chargé d'instruire la plainte de Mme Paul.
Troisième question : Renseignements dont la Commission a tenu compte
[39] Compte tenu de la conclusion que je viens de tirer, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner les irrégularités dont le rapport d'enquête serait entaché et que le juge des requêtes a signalées. Je tiens toutefois à formuler quelques autres observations au sujet de la décision de la Commission.
[40] L'article 44 de la Loi traite de la rédaction d'un rapport d'enquête, de sa présentation à la Commission et des mesures que la Commission peut prendre pour donner suite à ce rapport. Le paragraphe (1) prévoit qu'une fois l'enquête terminée, « l'enquêteur présente son rapport » à la Commission. Les autres paragraphes, y compris le paragraphe (3), en vertu duquel la Commission a agi en l'espèce, exposent en détail les mesures que la Commission peut prendre « sur » ou « après » réception du rapport.
[41] L'article 44 impose à la Commission l'obligation de recevoir le rapport qui lui est soumis. Elle ne peut agir tant qu'elle n'a pas rempli cette condition. L'article 43 de la Loi prévoit expressément que la Commission peut déléguer ses pouvoirs d'enquête, mais il n'existe pas de disposition semblable qui lui permette de charger quelqu'un d'autre de recevoir le rapport à sa place. Force m'est de conclure que l'obligation de recevoir le rapport avant d'agir implique nécessairement que la Commission doit également en tenir compte pour rendre sa décision. Il serait assurément absurde d'interpréter cet article comme signifiant que la Commission peut s'acquitter de son obligation en recevant le rapport dans une enveloppe cachetée sans jamais l'ouvrir.
[42] J'abonde donc dans le sens du juge MacGuigan, qui s'exprimait au nom des juges majoritaires dans l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, lorsqu'il affirme15 :
[...] le rapport de l'enquêteur [...] est nécessaire pour la décision de la Commission [...] Par ailleurs, il semble que l'intention évidente de l'article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, c'est que les membres de la Commission ne sont pas tenus d'examiner le dossier complet de l'enquête, mais sont censés se fonder uniquement sur le rapport [...] Le rapport n'est pas seulement ce qui déclenche l'action de la Commission, c'est aussi le seul document formant la base de la décision de la Commission sur la manière de régler la plainte16.
[43] Les tribunaux, appliquant le principe de l'équité procédurale, ont imposé d'autres obligations que la Commission doit respecter avant d'agir en vertu du paragraphe 44(3). La Commission doit informer les parties « de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission » 17. Pour ce faire, la Commission doit divulguer le rapport d'enquête aux parties. La Commission est également tenue d'accorder aux parties la possibilité de formuler toutes les observations utiles en réponse au rapport et de tenir compte de ces observations pour rendre sa décision18. Elle n'est pas tenue de motiver sa décision. Les tribunaux ont statué que les motifs de la Commission sont ceux qui sont exposés dans le rapport d'enquête lui-même19.
[44] À mon avis, cette façon de concevoir l'équité procédurale constitue une reconnaissance de l'obligation qui est faite à la Commission de tenir compte du rapport d'enquête qui lui est soumis. Pour commencer, la Commission divulgue le rapport aux parties et doit tenir compte des observations qu'elles formulent en réponse au rapport. Il lui serait impossible d'évaluer ces observations sans tenir compte du rapport auquel elles se rapportent. En second lieu, je ne vois pas comment un tribunal judiciaire pourrait accepter qu'un rapport d'enquête exprime les motifs de la décision de la Commission sans obliger la Commission à prendre connaissance de ce rapport.
[45] En gardant à l'esprit les propositions que je viens d'exposer, j'ai examiné la preuve soumise à la Cour en l'espèce. Je ne suis pas convaincu que la Commission a rempli en l'espèce les obligations auxquelles elle était tenue envers l'intimée en matière d'équité procédurale.
[46] J'ai notamment des réserves en ce qui concerne les observations que la Commission a soumises par écrit à la SRC le 29 novembre 1996. Ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, dans cette lettre, la SRC s'opposait à ce que la Commission prenne connaissance du rapport de conciliation. La SRC y réitérait également, avec force détails, les critiques qu'elle avait déjà exprimées au sujet des présumées irrégularités dont le rapport d'enquête était selon elle entaché20. Je ne suis pas convaincu que la Commission a effectivement tenu compte de ces observations.
[47] Les indices dont nous disposons au sujet des renseignements dont la Commission a tenu compte sont limités. Les seules indications explicites qui permettent de savoir de quels éléments la Commission a tenu compte pour rendre sa décision se trouvent dans les lettres que le personnel de la Commission a fait parvenir à l'intimée. Dans la lettre du 14 novembre 1996 dans laquelle il informait l'intimée que l'affaire serait déférée à la Commission en cas d'échec des tentatives de conciliation, le directeur du contrôle de la conformité s'est contenté de dire que la Commission examinerait le rapport de conciliation ainsi que les observations des parties.
[48] Le secrétaire de la Commission a informé l'intimée de la décision de la Commission par une lettre portant la date du 13 février 1997. Il est utile de reproduire intégralement cette lettre :
[Adresse et appel omis]
[TRADUCTION]
La Commission canadienne des droits de la personne a examiné le rapport de conciliation qui a été rédigé par suite de la plainte (W06915) portée par Mme Leila Paul contre la Société Radio-Canada le 13 juillet 1989 (par la suite modifiée) dans laquelle la plaignante accusait la SRC de discrimination dans l'emploi sur le fondement de l'âge et du sexe. La Commission a également examiné les observations formulées par la plaignante le 28 novembre 1996.
La Commission a décidé, en vertu de l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne du Canada de constituer un tribunal pour instruire la plainte étant donné qu'elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, que l'examen de celle-ci est justifié.
Vous recevrez du greffe du tribunal une copie de la « Constitution d'un tribunal des droits de la personne » vous informant du nom du(des) membre(s) du Tribunal chargé(s) d'instruire la plainte. [Mots non soulignés dans l'original].
[49] Cette seconde lettre ne renferme aucun indice qui nous permettrait de conclure que la Commission a tenu compte des observations de la SRC ou même du rapport d'enquête que ces observations visaient, du moins en partie.
[50] Dans une décision récente, l'arrêt Société canadienne des postes c. Barrette21, notre Cour a examiné les obligations imposées à la Commission par l'article 41 de la Loi en matière d'équité procédurale lorsqu'elle doit trancher la question préliminaire de savoir si elle accepte de statuer sur la plainte dont elle est saisie. Dans cet arrêt, la Cour a, sous la plume du juge Décary, statué que, faute de preuve confirmant que la Commission avait effectivement tenu compte d'une des lettres rédigées par la Société canadienne des postes en réponse à la plainte dont elle faisait l'objet, la décision devait être annulée. L'affaire a été renvoyée à la Commission pour lui permettre de réexaminer sa décision à la lumière de toutes les observations qui lui avaient été soumises.
[51] Je crois que l'interprétation que le juge Décary a donnée de l'article 41 vaut également pour la présente décision, qui est fondée sur l'article 44. Je ne veux pas laisser entendre que la Commission doit toujours, lorsqu'elle rend une décision en vertu de l'article 44, faire état de tous les éléments d'information qu'elle a examinés. Toutefois, eu égard aux circonstances de l'espèce, la mention expresse de l'examen par la Commission d'éléments d'information déterminés, combinée à l'omission de mentionner d'autres éléments qu'elle était tenue d'examiner, permet d'inférer qu'elle n'a pas tenu compte de ces autres éléments. On se demande pourquoi, dans la seule lettre qu'elle a envoyée à la SRC pour l'informer de sa décision, la Commission aurait pris soin de préciser qu'elle avait tenu compte des observations de la plaignante si elle n'avait pas également tenu compte des observations de la SRC.
[52] Comme c'était le cas dans l'affaire Société canadienne des postes, la preuve qui m'a été soumise ne permet pas de savoir avec certitude si la Commission a tenu compte des observations formulées par la SRC. L'affaire doit en conséquence être renvoyée à la Commission pour lui permettre de réexaminer l'affaire à la lumière de toutes les observations formulées par les parties.
[53] Comme je l'ai déjà précisé, je crois que l'ambiguïté constatée en ce qui concerne les renseignements dont la Commission a effectivement tenu compte vaut également pour le rapport d'enquête lui-même. Bien qu'il semble qu'en décidant que la décision de la Commission était viciée par le fait qu'elle reposait sur un rapport d'enquête partial et incomplet, le juge des requêtes ait supposé que la Commission avait tenu compte de ce rapport22, j'hésite à tirer la même conclusion. Aucune des deux lettres que la Commission a adressées à l'intimée après la conciliation n'indique que la Commission avait l'intention d'examiner le rapport pour décider de recommander la constitution d'un tribunal ou qu'elle en a effectivement tenu compte.
[54] D'ailleurs, le seul élément de preuve qu'il nous reste sur le sujet peut être interprété comme signifiant que le rapport d'enquête n'a, en fait, pas été soumis à la Commission. Il s'agit de la note d'accompagnement que le directeur du contrôle de la conformité a envoyée aux commissaires le 15 novembre 1996. Dans cette note, le directeur résume la plainte et le rapport d'enquête en une page. Le texte intégral du rapport compte douze pages. Il semble probable que c'est le résumé et non le texte intégral du rapport d'enquête que la Commission a examiné, parce que le résumé contient également les projets de résolution soumis à la Commission en vue de leur adoption. Bien que je ne trouve rien à redire au fait que la Commission ait en main un résumé du rapport d'enquête, je ne crois pas qu'elle soit pour autant dispensée de son obligation de prendre connaissance du rapport lui-même.
[55] Même si la Commission a tenu compte du rapport d'enquête pour décider de nommer un conciliateur, je ne crois pas qu'un examen qui précède la décision de suivre une ligne de conduite possible (la conciliation) dégage la Commission de son obligation d'examiner de nouveau ce document lorsqu'elle choisit une autre voie (le renvoi de la plainte à un tribunal). Sur ce point, je suis du même avis que le juge Noël, qui s'est penché sur cette question précise dans l'affaire Garnhum23. Après avoir examiné le régime législatif dans le cadre duquel la Commission est appelée à statuer sur des plaintes, le juge Noël a rejeté toute interprétation de la Loi qui aurait eu pour effet de faire d'une décision de soumettre une plainte à la conciliation une décision renvoyant implicitement le plainte à un tribunal en cas d'échec de la conciliation. Si j'applique le raisonnement du juge Noël à la présente affaire, j'estime que la Commission était tenue d'examiner le rapport d'enquête pour décider s'il y avait lieu de requérir la constitution d'un tribunal.
[56] En résumé, je ne crois pas que les éléments de preuve que je viens d'examiner soient suffisants pour établir que la Commission a tenu compte des observations formulées par la SRC au sujet du rapport d'enquête ou du rapport lui-même lorsqu'elle a décidé de renvoyer la plainte à un tribunal.
[57] En conséquence, et compte tenu de la conclusion à laquelle j'en viens plus loin dans les présents motifs et suivant laquelle la présente affaire doit être renvoyée à la Commission pour qu'elle la réexamine en raison de l'examen irrégulier du rapport de conciliation, je refuse d'examiner les présumées irrégularités dont le rapport d'enquête serait entaché. À mon avis, la solution qu'il convient d'adopter en l'espèce, compte tenu de la retenue dont il y a lieu de faire preuve en ce qui concerne les mesures que la Commission prend lorsqu'elle agit en vertu de l'article 44, consiste à fournir à la Commission l'occasion de rendre sa décision en se fondant sur tous les éléments d'information pertinents.
Quatrième question : La réparation
[58] Le juge des requêtes a estimé qu'il ne convenait pas dans ce cas-ci de renvoyer l'affaire à la Commission pour réexamen. Dans le seul paragraphe de sa décision qui porte sur la réparation à accorder, elle fait allusion à deux facteurs : le fait que la décision de la Commission avait été annulée à deux reprises pour cause de partialité et de manque d'équité procédurale en ce qui concerne les mêmes circonstances, et le fait que les événements en question remontait à une dizaine d'années.
[59] La Cour suprême du Canada s'est récemment penchée sur la question de la réparation à accorder pour délai excessif en cas de plainte en matière de droits de la personne dans l'affaire Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission)24. Tant les juges majoritaires que les juges minoritaires ont examiné les facteurs dont il faut tenir compte pour décider s'il y a lieu d'ordonner de mettre fin à l'instance en vertu du principe de l'abus de procédure qui existe en droit administratif. Le juge Bastarache, qui s'exprimait au nom des juges majoritaires, a souligné que la question de savoir si un délai est excessif au point de constituer un abus de procédure dépend du contexte :
La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l'affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l'objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d'autres circonstances de l'affaire. Comme nous l'avons vu, la question de savoir si un délai est excessif et s'il est susceptible de heurter le sens de l'équité de la collectivité dépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures25.
[60] Le juge Lebel et les juges minoritaires, qui préconisaient également une analyse contextuelle, ont discuté des trois principaux facteurs dont il faut tenir compte :
(1) le délai écoulé par rapport au délai inhérent à l'affaire dont est saisi l'organisme administratif en cause, ce qui comprendrait la complexité juridique (y compris l'existence de questions systémiques particulièrement complexes) et la complexité factuelle (y compris la nécessité de recueillir de grandes quantités de renseignements ou de données techniques), ainsi que les délais raisonnables pour que les parties ou le public bénéficient de garanties procédurales ;
(2) les causes de la prolongation du délai inhérent à l'affaire, ce qui comprendrait notamment l'examen de la question de savoir si la personne touchée a contribué ou renoncé à certaines parties du délai, et celle de savoir si l'organisme administratif a utilisé aussi efficacement que possible les ressources dont il disposait ;
(3) l'incidence du délai, considérée comme englobant le préjudice sur le plan de la preuve et les autres atteintes à l'existence des personnes touchées par le délai qui s'écoule. Cela peut également comprendre l'examen des efforts que les différentes parties ont déployés pour réduire au minimum les effets négatifs en fournissant des renseignements ou en apportant des solutions provisoires26.
[61] Compte tenu de l'analyse de la Cour suprême, je ne suis pas convaincu que la réparation que le juge des requêtes a accordée en l'espèce était indiquée, même en la replaçant dans le contexte de l'ensemble de ses conclusions. Il n'est pas facile de déterminer sur qui doit être rejetée la responsabilité des retards qu'a connus l'instruction de la plainte. De plus, les conséquences négatives de l'écoulement du temps valent tant pour l'intimée que pour l'appelante, dans le premier cas, parce que les délais l'empêchent de se défendre, dans le second, parce que le temps écoulé l'empêche d'établir le bien-fondé de ses allégations. Il faudrait soupeser l'importance respective des intérêts en jeu avant de pouvoir mettre fin à l'affaire comme le juge des requêtes l'a fait. De toute façon, vu les conclusions auxquelles j'en suis déjà venu, j'estime qu'il convient d'accorder un autre type de réparation.
[62] À mon avis, l'affaire doit être renvoyée à la Commission pour qu'elle la réexamine. Seuls les commissaires qui n'ont pas participé à la décision de février 1997 recommandant la constitution d'un tribunal pourront prendre part au réexamen. Ni le rapport de conciliation ni son contenu ne doivent être soumis aux commissaires.
[63] Il nous reste à résoudre la question des éléments dont la Commission peut tenir compte. À mon avis, ces éléments doivent comprendre la plainte, le rapport d'enquête et les observations des parties. Il sera également loisible à la Commission, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de tenir compte de tout autre élément ayant servi à la confection du rapport d'enquête qu'elle peut juger nécessaire27.
[64] La question finale est donc celle de savoir quels sont les éléments d'information au sujet desquels les parties pourront formuler des observations lorsqu'elles feront valoir leur point de vue devant la Commission. Au cours de l'audience qui s'est déroulée devant nous, il est devenu évident que les parties se fondaient toutes les deux sur plusieurs « notes de service versées au dossier » qui avaient été rédigées par l'enquêteur de la Commission et dans lesquelles on trouve un résumé des entrevues réalisées avec les témoins. La façon dont ces pièces ont été portées à notre connaissance mérite certaines précisions.
[65] Un des moyens articulés par l'intimée dans son avis de requête introductif d'instance pour justifier sa demande de contrôle judiciaire est le fait que le rapport d'enquête est à son avis partial et incomplet. Lors de la présentation de cet avis, l'intimée a également déposé une « demande de communication de pièces en possession de la Commission canadienne des droits de la personne » en se fondant sur l'article 1612 des Règles de la Cour fédérale, dans leur rédaction en vigueur en 1997. Bien que rien ne permette de penser que les pièces réclamées se trouvaient en la possession de la Commission, j'estime que l'arrêt que notre Cour a rendu dans l'affaire Pathak28 justifiait leur production à titre d'éléments de preuve se rapportant à l'allégation que le rapport était partial et incomplet.
[66] Dans l'affaire Pathak, la Cour statuait sur une ordonnance enjoignant à la Commission de produire les documents sur lesquels un des enquêteurs de la Commission s'était fondé. Cette ordonnance avait été prononcée dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission avait rejeté la plainte. Le juge MacGuigan a statué, avec l'appui du juge Décary, que les documents dont la Commission disposait à l'étape de l'enquête ne se trouvaient pas nécessairement devant elle à l'étape de la décision et qu'au vu des faits de cette affaire, les documents demandés ne se trouvaient pas devant la Commission lorsqu'elle avait décidé de rejeter la plainte. Le juge MacGuigan a souscrit à l'opinion du juge Pratte suivant laquelle, faute d'allégation contestant l'exactitude ou l'intégralité du rapport, les documents qui avaient servi à la rédaction du rapport ne constituaient pas des éléments de preuve pertinents.
[67] Le raisonnement de la Cour démontre que dans un cas comme celui qui nous occupe, lorsque l'intégralité du rapport est effectivement attaquée, les documents qui ont servi à sa rédaction sont pertinents et leur production est susceptible d'être ordonnée.
[68] Il semble que la Commission ne se soit pas opposée à la production des documents et que les parties ne s'opposent ni l'une ni l'autre à leur utilisation. D'ailleurs, les parties ont cité les documents en question dans les observations qu'elles ont formulées devant nous et, selon toute vraisemblance, devant le tribunal de première instance.
[69] Il semble acquis que les observations que les parties formuleront devant la Commission lorsque l'affaire sera renvoyée à cette dernière porteront sur la question de la neutralité et de l'intégralité du rapport. Dans un cas comme celui-ci, dans lequel une partie allègue que le rapport qui a été soumis à la Commission était partial ou incomplet, les parties doivent avoir la possibilité de présenter des éléments de preuve sur cette question et de formuler des observations sur ces éléments de preuve. En conséquence, lorsqu'elles formuleront leurs observations, les parties doivent avoir le loisir de citer le résumé des entrevues des témoins rédigées par l'enquêteur.
Dispositif
[70] Je suis en conséquence d'avis d'accueillir l'appel en partie.
[71] L'affaire devrait être renvoyée à la Commission pour qu'elle la réexamine. Seuls les commissaires qui n'ont pas pris part à la première décision pourront faire partie de la formation collégiale chargée de procéder au réexamen de l'affaire. Ni le rapport de conciliation ni son contenu ne doivent être soumis aux commissaires saisis de l'affaire. La Commission doit à tout le moins tenir compte de la plainte, du rapport d'enquête et de toutes les observations des parties. Pour communiquer sa décision, la Commission devra indiquer clairement les éléments d'information dont elle a tenu compte pour rendre sa décision.
[72] Comme les parties obtiennent chacune en partie gain de cause, je n'adjuge aucuns dépens.
« J. Edgar Sexton »
J.C.A.
« Je suis du même avis.
Le juge Marshall Rothstein »
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
Date : 20010402
Dossier : A-132-99
Référence neutre : 2001 CAF 93
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
E n t r e :
LEILA PAUL
appelante
- et -
SOCIÉTÉ RADIO-CANADA
intimée
MOTIFS CONCORDANTS
LE JUGE STRAYER
[1] Je suis d'accord avec la façon dont mon collègue le juge Sexton disposerait de la présente affaire. Je souscris également aux motifs qu'il a exposés, sauf en ce qui concerne certains commentaires qu'il a formulés au paragraphes 64 à 69 lorsqu'il a tenu pour acquis que les documents qui ont servi à la rédaction du rapport d'enquête seraient pertinents et admissibles dans toute instance future.
[2] Il est vrai qu'au cours des instances en contrôle judiciaire qui ont eu lieu dans le présent dossier, il semble que les parties et le juge des requêtes aient tenu pour acquis que certains résumés d'entrevues rédigés par l'enquêteur faisaient partie du dossier dont la Commission avait tenu compte pour décider de demander la constitution d'un tribunal. J'estime toutefois que cette question ne devrait être réexaminée et tranchée que par la Commission, lorsqu'elle décidera de nouveau s'il y a lieu de demander la constitution d'un tribunal ou, au besoin, par le juge saisi d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Un tel réexamen devrait tenir compte de la jurisprudence récente sur le rôle que joue la Commission lorsqu'elle examine l'opportunité de demander la constitution d'un tribunal et sur la portée du contrôle judiciaire de cette décision et sur la norme régissant ce type de contrôle judiciaire.
[3] En ce qui concerne le rôle de la Commission en la matière, notre Cour a déclaré ce qui suit en 1999 dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F.. 113 (C.A.F.) :
Le bien-fondé des plaintes
[35] Il est établi en droit que, lorsqu'elle décide de déférer ou non une plainte à un tribunal à des fins d'enquête en vertu des articles 44 et 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission exerce des « fonctions d'administration et d'examen préalable » (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne) , [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 893, le juge La Forest) et ne se prononce pas sur son bien-fondé (voir Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada (1997), 208 N.R. 385 (C.A.F.)). Il suffit que la Commission soit « convaincue [que] compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié » (paragraphes 44(3) et 49(1)). Il s'agit d'un seuil peu élevé et les faits de l'espèce font en sorte que la Commission pouvait, à tort ou à raison, en venir à la conclusion qu'il y avait « une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante » (Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne ), précité, paragraphe 30, à la page 899, juge Sopinka, approuvé par le juge La Forest dans Cooper, précité, à la page 891).
L'exercice du pouvoir discrétionnaire
[38] La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme « à son avis » , « devrait » , « normalement ouverts » , « pourrait avantageusement être instruite » , « des circonstances » , « estime indiqué dans les circonstances » , qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a )) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.
[46] Bell s'appuie fortement sur l'extrait de Cooper, précité, au paragraphe 35, à la page 891, où le juge La Forest exprime l'opinion que « [l]orsqu'elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu'un juge effectue à une enquête préliminaire » , pour soutenir qu'un enquêteur, à l'instar d'un juge lors d'une enquête préliminaire, ne peut suggérer la modification d'une plainte. Cette analogie, qui était malgré tout tempérée par le mot « assez » , n'était peut-être pas la plus heureuse dans les circonstances, compte tenu du fait que le juge La Forest a poursuivi, à la page 893, en décrivant la Commission comme n'ayant que des « fonctions d'administration et d'examen préalable [. . .] [sans] rôle important et décisionnel » .
(Non souligné dans l'original).
En ce qui concerne plus précisément les éléments dont la Commission doit tenir compte lorsqu'elle s'acquitte de cette fonction, le juge MacGuigan, qui s'exprimait au nom des juges majoritaires dans l'arrêt Commission canadienne des droits de la personne c. Pathak (cité par mon collègue) a déclaré ce qui suit ([1995] 2 C.F. 455 (C.A.F.) aux paragraphes 23 et 24) :
[...] il semble que l'intention évidente de l'article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, c'est que les membres de la Commission ne sont pas tenus d'examiner le dossier complet de l'enquête, mais sont censés se fonder uniquement sur le rapport.
L'importance limitée du rapport d'enquête lui-même ressort également des dispositions du paragraphe 49(1) de la Loi, qui permet à la Commission de demander la constitution d'un tribunal sans jamais ordonner la tenue d'une enquête. (D'ailleurs, en vertu du paragraphe 40(3), la Commission peut instruire une plainte sans même en avoir été saisie, si elle prend l'initiative de la plainte elle-même !).
[4] Le caractère modeste du rôle que joue la Commission dans ce « processus d'examen préalable » a été renforcé par notre Cour dans l'arrêt récent Zundel c. Procureur général du Canada et autres (A-388-99, 11 décembre 2000). Dans cet arrêt, notre Cour a confirmé la décision par laquelle la Section de première instance avait jugé que la norme de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de demander la constitution d'un tribunal n'était pas celle du bien-fondé, mais plutôt celle de la rationalité : existe-t-il un motif rationnel en droit ou une preuve qui permette de décider qu'une instruction par un tribunal est « justifiée compte tenu de toutes les circonstances » .
[5] Il ressort de ces décisions que la Commission n'est pas tenue de soupeser des éléments de preuve éventuels : elle a le droit de se fonder sur le rapport d'enquête et sur les observations formulées au sujet du rapport par les parties, pour déterminer si le rapport justifie rationnellement le renvoi de l'affaire à un tribunal. Toute lacune que comporte le témoignage éventuel des témoins peut être mise à l'épreuve de manière adéquate lorsque le tribunal statue sur l'affaire. Dans le même ordre d'idées, lorsque, comme en l'espèce, une partie demande le contrôle judiciaire de la décision de renvoyer l'affaire (et non du rapport d'enquête), le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire est tenu d'examiner uniquement le dossier dont disposait la Commission lorsqu'elle a rendu la décision qui fait l'objet du contrôle judiciaire, sous réserve d'allégations spéciales concernant la procédure ou la compétence de l'auteur de la décision.
[6] Il n'y a à mon sens rien qui nuise autant au règlement informel, efficace et rapide des plaintes par ceux qui s'estiment victimes de violations des droits de la personne, au moyen notamment et si cela est nécessaire, d'une audition impartiale par un tribunal compétent dans un délai raisonnable après les événements en question, que le fait de soumettre l'examen préalable sur lequel la Commission fait reposer sa procédure à une analyse judiciaire minutieuse avant que les parties aient eu même l'occasion de faire valoir leur point de vue devant un tribunal administratif. À mon humble avis, la jurisprudence la plus récente de notre Cour n'exige pas un examen aussi méticuleux de l'enquête. Je conviens toutefois parfaitement que si l'affaire est effectivement portée devant un tribunal administratif, la décision de celui-ci est susceptible d'un contrôle judiciaire.
« B.L. Strayer »
J.C.A.
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : A-132-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : Leila Paul c. Société Radio-Canada
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto
DATE DE L'AUDIENCE : Le 29 novembre 2000
MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Strayer avec l'appui du juge Rothstein
MOTIFS CONCORDANTS du juge Strayer
EN DATE DU : 2 avril 2001
ONT COMPARU:
Me R. Anand pour l'appelante
Me K. Stephenson
Me P. Blaikie pour l'intimée
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:
Weir & Foulds, Toronto pour l'appelante
Heenan Blaikie, Montréal pour l'intimée
[1] L.R.C (1985), ch. H-6.
[2] L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée. Cette disposition est ainsi libellée :
(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.18.1 |
(2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow. |
[3] F. Buller, An Introduction to the Law, Relative to Trials at Nisi Prius, 7e éd (Londres, R. Pheney & S. Sweet, 1817) à la page 236b.
[4] (1839), 7 Cl. & Fin. 122 at 133 (H.L.).
[5] Pour un excellent survol historique de ces principes en matière de protection de la confidentialité, voir D. Vaver, "Without Prejudice Communications - Their Admissibility and Effect" (1974) 9 U.B.C. L. Rev. 85.
[6] Slack v. Buchanan (1790), [1790-1795] Peake 7 (C.B.R.).
[7] (1794), 1 Esp. 143 (C.B.R.).
[8] Cutts v. Head, [1984] 1 All E.R. 597, aux pages 605 et 606 (C.A.). Ce passage a été cité et approuvé par lord Griffiths dans l'arrêt Rush & Tompkins Ltd. v. Greater London Council, [1989] A.C. 1280, à la page 1299 (H.L.).
[9] Lake Utopia Paper Ltd. v. Connelly Containers Inc., 608 F.2d 928, à la page 930 (2nd Cir. 1979).
[10] [1996] 1 C.F. 756, au paragraphe 26.
[11] J. Watson Hamilton, "Protecting Confidentiality in Mandatory Mediation : Lessons from Ontario and Saskatchewan" (1999) 24 Queen's L.J. 561, à la page 574.
12 [1996] F.C.J. No. 1254 (C.F. 1re inst.), en ligne : QL (FCJ).
13 (1997), 146 D.L.R. (4th) 297 (Cour div. Ont.).
14 Idem, aux paragraphes 32 et 33.
15 [1995] 2 C.F. 455 (C.A.F.), demande d'autorisation de pourvoi refusée à [1995] S.C.C.A. No. 306.
16 Idem, aux paragraphes 23 et 24.
17 Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C..S. 879 [SEPQA], à la page 902, paragraphe 33.
18 Idem. Voir également le jugement Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, à la page 598 (C.F. 1re inst.), conf. à (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.) et l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F.. 113 (C.A.F.), au paragraphe 43.
19 Arrêt SEPQA, au paragraphe.35. Je constate qu'en tenant ces propos, le juge Sopinka s'est explicitement abstenu de trancher la question. Dans l'arrêt Bell Canada, précité, au paragraphe 30, le juge Décary a statué que « les motifs de la décision de la Commission peuvent se trouver dans le rapport exhaustif remis par l'enquêteur et entériné par la Commission, et que Bell avait en sa possession » .
20 Il ressort de la lettre que l'intimée a fait parvenir à la Commission qu'une copie du rapport d'enquête a été divulguée à la SRC en même temps que le rapport de conciliation.
21 [2000] 4 C.F. 145.
22 Au paragraphe 30 de sa décision, le juge des requêtes cite les propos de Mme Paul suivant lesquels « La Commission a examiné le [rapport d'enquête] » . Le juge des requêtes ne semble cependant pas avoir expressément conclu que c'était effectivement le cas.
23 Précité, note 12.
24 [2000] 2 R..C.S. 307.
25 Ibid., au paragraphe 122.
26 Ibid., au paragraphe 160.
27 Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la page 902.
28 Supra, note 15.