Date : 20030114
Dossier : A-93-00
Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2003
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE SHARLOW
LE JUGE MALONE
MUSADIQ PARDHAN, faisant affaire sous la raison sociale UNIVERSAL EXPORTERS,
1106729 ONTARIO LTD., faisant affaire sous la raison sociale UNIVERSAL EXPORTERS et M. et Mme UNTEL et TOUTE AUTRE PERSONNE INCONNUE DES DEMANDERESSES QUI OFFRE EN VENTE, VEND, IMPORTE, FABRIQUE, ANNONCE OU FAIT LE COMMERCE DE PRODUITS COCA-COLA TRANSBORDÉS
appelants
et
COCA-COLA LTD. et COCA-COLA BOTTLING LTD.
intimées
JUGEMENT
L'appel est rejeté, un seul mémoire de frais entre parties étant payable aux intimées.
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20030114
Dossier : A-93-00
Référence neutre : 2003 CAF 11
CORAM : LE JUGE STONE
ENTRE :
MUSADIQ PARDHAN, faisant affaire sous la raison sociale UNIVERSAL EXPORTERS,
1106729 ONTARIO LTD., faisant affaire sous la raison sociale UNIVERSAL EXPORTERS et M. et Mme UNTEL et TOUTE AUTRE PERSONNE INCONNUE DES DEMANDERESSES QUI OFFRE EN VENTE, VEND, IMPORTE, FABRIQUE, ANNONCE OU FAIT LE COMMERCE DE PRODUITS COCA-COLA TRANSBORDÉS
appelants
et
COCA-COLA LTD. et COCA-COLA BOTTLING LTD.
intimées
Audience tenue à Toronto (Ontario), le jeudi 12 décembre 2002.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE MALONE
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE STONE
LE JUGE SHARLOW
Date : 20030114
Dossier : A-93-00
Référence neutre : 2003 CAF 11
CORAM : LE JUGE STONE
ENTRE :
MUSADIQ PARDHAN, faisant affaire sous la raison sociale UNIVERSAL EXPORTERS,
1106729 ONTARIO LTD., faisant affaire sous la raison sociale UNIVERSAL EXPORTERS et M. et Mme UNTEL et TOUTE AUTRE PERSONNE INCONNUE DES DEMANDERESSES QUI OFFRE EN VENTE, VEND, IMPORTE, FABRIQUE, ANNONCE OU FAIT LE COMMERCE DE PRODUITS COCA-COLA TRANSBORDÉS
appelants
et
COCA-COLA LTD. et COCA-COLA BOTTLING LTD.
intimées
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Le 19 décembre 1995, Coca-Cola Ltd. et Coca -Cola Bottling Ltd. (collectivement appelées CCL) ont intenté une action contre Musadiq Pardhan et 1106729 Ontario Limited (qui exploitaient censément une entreprise sous la raison sociale « Universal Exporters » ) et contre d'autres personnes, en alléguant qu'ils avaient violé la marque de commerce de Coca-Cola et qu'ils avaient diminué la valeur de l'achalandage en distribuant, entreposant, transbordant et exportant des produits Coca-Cola. Dans l'appel ici en cause, les appelants demandent l'annulation de trois ordonnances rendues par Monsieur le juge en chef adjoint Lutfy. Il faut faire un bref historique procédural afin de mettre les questions qui se posent dans leur contexte.
[2] Le 19 décembre 1995, soit le jour où l'action a été intentée, Monsieur le juge Joyal a rendu une ordonnance Anton Piller après que CCL eut présenté une demande ex parte. Cette ordonnance enjoignait aux appelants de permettre à CCL et à ses mandataires d'entrer dans leurs locaux commerciaux à deux endroits en Ontario afin de chercher les produits et documents devant être conservés à la Cour aux fins de l'action et de les enlever.
[3] Le 8 janvier 1996, Monsieur le juge MacKay a rendu une ordonnance dans laquelle il examinait l'ordonnance Anton Piller rendue par le juge Joyal. Le juge a ordonné, entre autres choses, que Mustafa Pardhan soit constitué partie défenderesse dans l'action. Le juge a également accordé une injonction interlocutoire destinée à empêcher les défendeurs d'exporter des produits Coca-Cola.
[4] CCL a subséquemment conclu que les appelants exportaient des produits Coca-Cola en violation de l'injonction et elle a engagé des procédures d'outrage au tribunal. Le 29 juillet 1997, Monsieur le juge en chef adjoint Jerome (tel était alors son titre) a rendu deux ordonnances à l'égard de la demande ex parte de CCL, étayée par un affidavit de l'avocat, ainsi que par l'affidavit de Michael Cowan, lequel fournissait la preuve relative à la surveillance et à l'enquête ayant trait aux activités de MM. Musadiq et Mustafa Pardhan. L'une était une ordonnance portant que Musadiq Pardhan et Mustafa Pardhan devaient comparaître devant la Cour afin de montrer pourquoi ils ne devaient pas être déclarés coupables d'outrage à l'égard de l'injonction.
[5] L'autre ordonnance rendue par le juge en chef adjoint Jerome le 29 juillet 1997 était une deuxième ordonnance Anton Piller, qui obligeait les appelants à permettre à CCL et a ses mandataires d'entrer dans leurs locaux commerciaux et dans la résidence de la famille Pardhan afin de chercher et d'enlever les éléments de preuve se rapportant aux présumées exportations qui devaient être conservés à la Cour. L'ordonnance enjoignait également certains tiers de conserver tout élément de preuve susceptible de se rapporter aux allégations. Parmi les documents saisis à la résidence Pardhan conformément à l'ordonnance, il y avait trois documents qui, selon les appelants, étaient cruciaux aux fins de la conclusion d'outrage tirée par le juge en chef adjoint Lutfy.
[6] Le 18 novembre 1997, le juge en chef adjoint Jerome a examiné la deuxième ordonnance Anton Piller et il l'a confirmée, [TRADUCTION] « sous réserve du droit du défendeur de présenter tout argument se rapportant à l'admissibilité de la preuve obtenue dans le cadre de l'exécution de l'ordonnance Anton Piller contre Musadiq Pardhan à l'audition du procès d'outrage » .
[7] Dans l'intervalle, les appelants ont demandé la radiation de certaines parties de la déclaration dans lesquelles les deux principales demandes étaient décrites. Cette requête a été accueillie par Monsieur le juge Wetston (tel était alors son titre) le 11 novembre 1997, ((1997) 139 F.T.R. 223, (1997), 77 C.P.R. (3d) 501). Le 8 janvier 1996, le juge MacKay a rejeté l'action et a mis fin à l'injonction prononcée le 22 mai 1998 ((1998), 149 F.T.R. 139, (1998), 81 C.P.R. (3d) 244). CCL a interjeté appel contre les décisions du juge Wetston et du juge MacKay. Ces appels ont été rejetés ((1999), 172 D.L.R. (4th) 31, (1999), 85 C.P.R. (3d) 489). La Cour suprême du Canada a rejeté l'autorisation de pourvoi ([1999] A.C.S. no 338).
[8] L'instruction relative à l'outrage devait commencer le 27 avril 1998. À cette date, les appelants étaient en possession de copies des documents obtenus en vertu de la deuxième ordonnance Anton Piller. Par une lettre en date du 2 mars 1998, les appelants ont demandé la communication de documents additionnels se rapportant aux allégations d'outrage. Par une lettre en date du 13 avril 1998, les appelants ont envoyé une demande plus détaillée, qui comprenait une demande selon laquelle CCL devait produire toutes les notes d'enquête se rapportant au procès d'outrage. Les notes d'enquête ont été fournies le 23 avril 1998.
[9] Le 27 avril 1998, au début du procès, les appelants ont présenté et débattu une requête formelle relative à l'obtention d'une ordonnance visant à faire suspendre l'audience relative à l'outrage ou, subsidiairement, à exclure la preuve des enquêteurs ou, subsidiairement encore, à accorder un ajournement. Les appelants ont allégué qu'il avait été porté atteinte à leur droit de présenter une réponse et une défense complètes par suite de l'omission de l'intimée de fournir en temps opportun les notes, rapports et conclusions de ses enquêteurs. La requête a été rejetée par le juge en chef adjoint Lutfy le 30 avril 1998. Le juge a fait remarquer que CCL n'avait pas alors l'intention de se fonder sur les notes d'enquête qui avaient été fournies le 23 avril 1998. Il ne dit pas s'il a envisagé la possibilité que des renseignements disculpatoires soient trouvés dans ces notes, mais il a dit ce qui suit : « Pour ces motifs, la Cour rejette la requête des défendeurs, étant entendu que la présente décision ne préjudiciera d'aucune façon à tout droit que les défendeurs pourront invoquer s'il survenait, au cours de l'instruction, des circonstances actuellement inconnues d'eux, relativement à la communication en temps utile d'éléments de preuve » .
[10] Le procès d'outrage s'est poursuivi. La preuve a été présentée sur plusieurs jours aux mois d'avril et d'août 1998. La présentation des plaidoiries orales a été ajournée au mois d'août 1998 pour être reprise au cours de la semaine allant du 15 au 18 décembre 1998. Le 3 décembre 1998, avant que les arguments soient présentés sur le fond, les appelants ont déposé un avis de requête concernant l'obtention d'une ordonnance abrogeant les deux ordonnances ex parte rendues par le juge en chef adjoint Jerome le 29 juillet 1997 pour le motif que CCL avait obtenu ces ordonnances sans communiquer d'une façon pleine et franche tous les faits pertinents à la Cour. Par une ordonnance en date du 12 janvier 1999, le juge en chef adjoint Lutfy a rejeté ces requêtes. Il n'a pu constater aucune incohérence ou omission importante dans les documents des intimées. Il a également conclu que CCL n'avait pas l'intention de tromper la Cour et il a dit que la pertinence des présumées omissions importantes mentionnées par les appelants était plutôt contestable. Compte tenu des ajouts et corrections proposés par les appelants, le juge a conclu que les deux ordonnances ex parte du juge en chef adjoint Jerome devaient être maintenues.
[11] La présentation des plaidoiries relatives à la question de l'outrage a été reportée au mois d'avril 1999. Les appelants n'ont pas soulevé d'autres objections au sujet de l'admission de quelque élément de preuve. Ils n'ont pas non plus plaidé devant le juge en chef adjoint Lutfy que l'exécution de la deuxième ordonnance Anton Piller violait les droits qui leur étaient reconnus en vertu de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés ou que la preuve tirée de l'exécution de cette ordonnance Anton Piller aurait dû être exclue lors de l'instruction relative à l'outrage en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.
[12] Le 16 novembre 1999, le juge en chef adjoint Lutfy a rendu une ordonnance dans laquelle il concluait que Musadiq Pardhan était coupable d'outrage à l'égard de l'injonction pour avoir participé à l'exportation de produits Coca-Cola. Le juge en chef adjoint Lutfy a effectué un examen détaillé de la preuve présentée à l'instruction; selon son analyse, la preuve établissait hors de tout doute raisonnable le rôle que M. Pardhan avait eu dans un stratagème visant à éviter l'injonction en utilisant des noms fictifs et d'autres membres de la famille pour exploiter l'entreprise d'exportation. Par une ordonnance en date du 20 janvier 2000, le juge en chef adjoint Lutfy a imposé à Musadiq Pardhan une amende de 4 000 $ plus les frais, qui s'élevaient à 95 000 $. Mustafa Pardhan a été acquitté.
[13] Les défendeurs dans l'action, sauf Mustafa Pardhan, ont interjeté appel contre les trois ordonnances du juge en chef adjoint Lutfy. Il s'agit de l'appel dont la Cour est ici saisie.
[14] Deux erreurs de droit sont maintenant avancées à l'appui du présent appel, à savoir :
a) l'omission du juge Lutfy d'annuler l'ordonnance Anton Piller en date du 29 juillet 1997, fondée sur la non-communication importante de faits et sur des éléments de preuve trompeurs ainsi que sur la conclusion selon laquelle les éléments initiaux à l'appui de l'ordonnance Anton Piller qui avaient été utilisés lors de l'instruction relative à l'outrage étaient exacts et complets; (l'argument fondé sur la preuve)
b) la conclusion selon laquelle la perquisition effectuée par les intimées conformément à l'ordonnance Anton Piller ne portait pas atteinte aux droits reconnus aux appelants par l'article 8 de la Charte, à savoir le droit d'être protégés contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies illégales (Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982), y compris l'omission d'examiner de la façon appropriée toutes les circonstances pertinentes conformément aux exigences de l'article 24 de la Charte à l'égard de la perquisition effectuée par les intimées (l'argument fondé sur la Charte).
[15] Selon la thèse générale des appelants, la deuxième ordonnance Anton Piller a été illégalement obtenue et, par conséquent, trois documents particuliers qui ont été saisis dans la résidence Pardhan devraient être retournés à M. Pardhan, détruisant ainsi la preuve indirecte de l'intimée et le fondement de la conclusion d'outrage.
L'ARGUMENT FONDÉ SUR LA PREUVE
[16] Les appelants soutiennent que la deuxième ordonnance Anton Piller devrait être infirmée. La principale lacune invoquée est que les affidavits sur lesquels étaient fondées ces ordonnances ne constituaient pas une communication complète et franche telle que celle qui est exigée dans les requêtes ex parte, en particulier dans le cas d'une demande Anton Piller.
[17] L'affidavit de Michael Cowan, enquêteur principal chez Amera International, une entreprise dont CCL avait retenu les services, était fondé sur des renseignements tirés des rapports d'autres enquêteurs de l'entreprise. Selon l'affidavit, M. Musadiq Pardhan était au bureau du Price Club le 30 mai 1997, mais les notes d'enquête dactylographiées, auxquelles sont ajoutées des notes manuscrites, donnent à entendre que seul le véhicule de M. Pardhan a été observé au bureau du Price Club ce jour-là. Les appelants notent également qu'une autre déclaration figurant dans les notes d'enquête n'était pas incluse dans l'affidavit Cowan, cette déclaration étant qu'on n'a jamais vu M. Pardhan remettre de l'argent au Price Club pour l'achat de produits Coca-Cola.
[18] Les appelants affirment également que l'affidavit Cowan constitue du « double ouï-dire » , étant donné que M. Cowan a fondé sa conclusion sur un rapport préparé par le superviseur, Ed Reiken, dans lequel étaient résumées les notes des enquêteurs sur le terrain eux-mêmes. Il est soutenu que ce « double ouï-dire » aurait dû être clairement identifié dans l'affidavit Cowan et qu'il ne l'a pas été.
[19] L'argument final se rapporte aux conditions essentielles sur lesquelles une ordonnance Anton Piller doit être fondée; il doit exister une forte preuve prima facie à l'encontre des défendeurs désignés (voir Anton Piller K.G. c. Mfg. Processes Ltd., [1976] Ch. 55, [1976] 2 W.L.R. 162; Nintendo of America Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189). En l'espèce, les intimées n'ont pas indiqué qu'une question nouvelle qui n'est pas connue dans le droit canadien des marques de commerce est soulevée, soit une omission qui, selon les appelants, constituerait un fondement suffisant justifiant l'annulation de l'ordonnance Anton Piller.
[20] CCL soutient que les prétentions des appelants en ce qui concerne l'argument fondé sur la preuve sont dénuées de fondement et que, de toute façon, le délai d'appel est expiré puisqu'un appel d'une ordonnance interlocutoire est ici en cause. J'examinerai d'abord l'argument fondé sur l'expiration du délai.
[21] Par un avis en date du 17 février 2000, les appelants ont interjeté appel contre les trois ordonnances rendues par le juge. Selon les intimées, il ne convient pas de considérer l'ordonnance du 12 janvier 1999 par laquelle le juge a refusé d'annuler la deuxième ordonnance Anton Piller comme si elle faisait partie de l'instruction relative à l'outrage ou comme s'il s'agissait d'une décision portant sur l'admissibilité de la preuve au cours de l'instruction relative à l'outrage. L'article 27 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, confère à la Cour la compétence voulue pour entendre les appels de jugements et d'ordonnances de la Section de première instance, et ce, qu'ils soient définitifs ou de nature interlocutoire. Toutefois, l'ordonnance interlocutoire aurait du être portée en appel conformément au paragraphe 27(2) dans une délai de dix jours. Or, aucun appel n'a été interjeté. Par conséquent, CCL soutient que seule la Section de première instance a compétence pour proroger ce délai (voir Vojic c. Canada (Procureur général du Canada) (1989), 96 N.R. 390 (C.A.F.)).
[22] Selon mon analyse, l'ordonnance du 16 janvier 1999 n'est pas de nature interlocutoire lorsqu'elle est considérée dans le contexte de la procédure d'outrage dans son ensemble. Premièrement, il faut se rappeler le but des deux ordonnances rendues par le juge en chef adjoint Jerome. L'ordonnance Anton Piller visait à assurer la conservation des documents, ce qui étayait l'ordonnance de justification.
[23] Deuxièmement, il n'est pas contesté que le juge a suivi la pratique selon laquelle on accepterait les requêtes formelles que les appelants présentent en vue de faire examiner des questions importantes. Ainsi, au début de l'instruction, les appelants ont présenté, et ils ont débattu en vain, une requête visant la suspension de l'instruction relative à l'outrage fondée sur ce que les intimées n'avaient pas communiqué les notes d'enquête en temps opportun.
[24] L'ordonnance du 12 janvier 1999 découlait également d'une requête formelle présentée par les appelants. Le juge en chef adjoint Lutfy a été obligé de rendre l'ordonnance sans délai pour que les parties soient au courant de la preuve dont elles devaient traiter au cours des plaidoiries orales, au mois d'avril 1999. Selon mon analyse, il serait donc abusif d'exiger que les appelants déposent une série d'avis d'appel pour les diverses décisions rendues par le juge une fois que la preuve a commencé à être présentée et avant que l'ordonnance finale du 20 janvier 2000 ait pour effet de dessaisir le juge. Étant donné la façon dont l'instruction s'est déroulée, les appelants pouvaient à bon droit considérer les diverses ordonnances rendues par le juge comme susceptibles d'être portées en appel de la façon normale une fois rendue l'ordonnance relative à l'amende. Eu égard aux circonstances inhabituelles de l'affaire, les ordonnances interlocutoires seraient uniquement celles qui avaient été rendues avant le début de l'instruction relative à l'outrage.
[25] Toutefois, je suis d'accord avec CCL pour dire que le juge n'a pas commis d'erreur de droit en concluant que l'affidavit de documents fournissait au juge en chef adjoint Jerome une communication pleine et franche de tous les éléments de preuve importants pertinents qui étaient alors connus. Dans l'affidavit Cowan, on veillait à faire une distinction entre la conduite observée et la conviction des enquêteurs sur le terrain et il convenait d'utiliser l'affidavit, étant donné que l'auteur était l'enquêteur principal chargé de la surveillance, lequel était en mesure de résumer la grande quantité de renseignements recueillis à la suite des nombreuses heures de surveillance.
[26] Quoi qu'il en soit, il faut éviter d'appliquer strictement l'obligation de communication pleine et franche et l'omission d'effectuer une pleine communication n'est pas toujours fatale. Les demandes ex parte sont nécessairement urgentes et on a peu le temps de préparer des éléments à l'appui; or, les ordonnances ne devraient pas être infirmées en raison de simples lacunes relevées dans les affidavits ou parce que des faits ne prêtant pas à conséquence n'ont pas été divulgués (voir Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, édition à feuilles mobiles (Toronto : Canada Law Book, 2001), paragraphe 2.45).
[27] Par conséquent, même si le juge avait conclu à une non-communication importante, cette conclusion n'aurait pas nécessairement entraîné l'annulation de l'ordonnance Anton Piller. L'effet de la non-communication aurait plutôt relevé de la discrétion du juge. Dans ce contexte, il est clair que le juge était convaincu, eu égard à la preuve dont il disposait dans son ensemble, que les ordonnances rendues par le juge en chef adjoint Jerome auraient dû être rendues. (Voir Ontario Realty Corp. c. P. Gabriele & Sons Ltd. (2000), 50 C.P.C. (4th) 300, pages 321 à 325 (Ont. S.C.J. - Com. List); Adobe Systems Inc. c. KLJ Computer Solutions Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 177, page 189 et pages 196 à 198 (C.F. 1re inst.); Capitanescue c. Universal Weld Overlays Inc. (1996), 71 C.P.R. (3d) 37, page 46 (B.R. Alb.); Cullom Machine Tool & Die, Inc. c. Bruce Tile Inc. (1990), 34 C.P.R. (3d) 296, pages 300 à 305 (C.F. 1re inst.); Brink's Mat Ltd. c. Elcombe, [1988] 1 W.L.R. 1350 (C.A.), juge Gibson, page 1357, juge Balcombe, page 1358 et juge Slade, page 1359.) À mon avis, cette conclusion était amplement étayée par la preuve. Je ne puis rien constater qui permette à la Cour d'intervenir.
[28] Les appelants soutiennent qu'en omettant d'informer le juge en chef adjoint Jerome que l'action fondée sur la marque de commerce qui avait été intentée contre eux était nouvelle, CCL a commis une erreur cruciale. Toutefois, la force relative de l'action fondée sur la marque de commerce n'est pas pertinente, étant donné que la forte preuve prima facie de l'intimée était fondée sur la violation par les appelants de l'injonction accordée par le juge MacKay. La deuxième ordonnance Anton Piller a été demandée à l'appui d'une ordonnance de justification relative à un outrage au tribunal et non d'une action fondée sur la violation d'une marque de commerce.
L'ARGUMENT FONDÉ SUR LA CHARTE
[29] Les appelants soutiennent également qu'il a été porter atteinte au droit qui leur est reconnu à l'article 8 de la Charte d'être protégés contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives puisque, en l'absence d'une communication pleine et franche, la deuxième ordonnance Anton Piller a été illégalement obtenue. Les appelants soutiennent que tous les éléments de preuve qui ont été saisis en vertu de la deuxième ordonnance Anton Piller devraient être écartés lors de l'instruction relative à l'outrage conformément au paragraphe 24(2) de la Charte. Les intimées affirment que la Charte ne s'applique pas et que, de toute façon, les appelants ne devraient pas être autorisés à présenter en appel l'argument fondé sur la Charte parce qu'ils ont omis de le soulever à l'instruction.
[30] Normalement, la Charte ne s'applique pas aux ordonnances judiciaires rendues dans des litiges privés (voir Dolphin Delivery c. Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, section locale 550, [1986] 2 R.C.S. 573 ). Toutefois, les appelants se fondent sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue l'affaire Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065. Dans cet arrêt-là, la majorité a statué qu'en vertu du Code civil du Québec, lorsque l'élément d'outrage civil au tribunal fait également partie de l'instance, l'enquête et la poursuite ont pour effet de rendre l'instance de nature quasi pénale et de créer un élément de droit public. La ligne de démarcation entre l'outrage criminel et l'outrage civil est floue, mais la majorité ne va pas jusqu'à dire que les procédures d'outrage civil fondées sur le Code civil du Québec déclenchent un examen fondé sur la Charte. Dans un jugement concordant, Monsieur le juge en chef Lamer va plus loin que la majorité, et il conclut qu'une personne qui fait l'objet de poursuites a droit à la protection fournie par la Charte. En dissidence, Madame le juge L'Heureux-Dubé conclut le contraire, en disant que l'outrage civil fondé sur le Code civil du Québec repose sur le droit privé, et que cela l'emporte sur tous ses aspects de droit public.
[31] À mon avis, il n'est pas nécessaire de déterminer en l'espèce si une personne qui est accusée d'outrage au tribunal pour avoir désobéi à une ordonnance judiciaire dans une affaire civile a droit à la protection de la Charte; en effet, je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse d'un cas dans lequel il convient d'examiner un argument fondé sur la Charte qui a été soulevé pour la première fois en appel. Je retiens l'argument des intimées (paragraphe 87 de leur mémoire des faits et du droit) selon lequel l'omission des appelants de soulever l'argument fondé sur la Charte en première instance avait pour effet de nier aux intimées la possibilité de présenter une preuve en première instance en vue de contester l'argument fondé sur la Charte.
[32] Deux autres facteurs étayent la conclusion selon laquelle nous ne devrions pas examiner l'argument fondé sur la Charte à ce stade. En premier lieu, aucun argument fondé sur la Charte n'a été soulevé devant le juge en chef adjoint Lutfy, ce qui veut dire que la Cour n'a pas à sa disposition le raisonnement et l'analyse qui ont été effectués sur ce point. En second lieu, l'argument lié à la Charte est principalement fondé sur l'allégation selon laquelle les intimées n'ont pas effectué une communication pleine et franche lorsqu'elles ont demandé la deuxième ordonnance Anton Piller. Cette allégation a été rejetée par le juge en chef adjoint Lutfy dans le contexte de la contestation principale de l'ordonnance Anton Piller, de sorte que le fondement factuel de l'argument fondé sur la Charte est éliminé.
[33] Je rejetterais l'appel, un seul mémoire de frais entre parties étant payable aux intimées.
« B. Malone »
Juge
« Je souscris aux présents motifs.
A.J. Stone, juge »
« Je souscris aux présents motifs.
K. Sharlow, juge »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-93-00
INTITULÉ : MUSADIQ PARDHAN ET AUTRES
c.
COCA-COLA LTD. ET AUTRE
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 12 décembre 2002
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE MALONE
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE STONE
LE JUGE SHARLOW
DATE DES MOTIFS : le 14 janvier 2003
COMPARUTIONS :
M. David A. Seed POUR LES APPELANTS
M. Christopher J. Pibus POUR LES INTIMÉES
M. James Buchan
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. David A. Seed POUR LES APPELANTS
Muir, Seed & Short
Avocats
468, rue Elizabeth
Burlington (Ontario) L7R 2M2
M. Christopher J. Pibus POUR LES INTIMÉES
M. James H. Buchan
Gowling Lafleur Henderson LLP
Avocats
Bureau 4900, Commerce Court West
Toronto (Ontario) M5L 1L3